TUNIS
STATION HIVERNALE
PAR
3U GIRARBET
PARIS
IMPRIMERIE F. GHATELUS
6, RUE DES FORGES, 6
1891
A M. MASSICAULT,
Résident général à Tunis.
MONSIEUR,
Pour
relever lasplendeur
du grand étatafri-
cain qui fut la Carthage
punique
et doitrede-
venir
la Carthagemoderne, aussi
glorieuse,aussi puissante
que son illustre aînée, laFrance
a mis sa maindans
celle du Bey de Tunis etvous
a désigné
pour
sonporte-parole
et sonreprésen- tant.
Ce
n'est pas
ànous quil peut appartenir
demontrer
combien futheureux
le choix duGou- vernement
etd'entreprendre
l'éloge devos qua-
lités
rares d'administrateur
etd'homme
politique, que chacun de vos actes célèbreplus éloquem-
ment que
nous
nesaurions
faire.Mais nous
pourrons peut-être, répétant
ce quedit chacun de ceux de nos
nationaux
quiont
eula
bonne fortune
de suivre deprès votre
action,affirmer que cette action vigoureuse et sagace
saura
venir àbout
de l'oeuvre de relèvement de la Tunisie et placer la Régence aupremier
rangdes États de l'Afrique septentrionale.
Permettez donc que l'humble opuscule,
traitant
de l'embellissement de la ville de Tunis,
vous
soit dédié, comme aurestaurateur
de la fortuneet de la gloire de l'ancien
pays
d'Annibal.L. GIRARDET.
Lagnieu (Ain)-, Décembre 1891. .
TUNIS
STATION HIVERNALE
AVANT-PROPOS
Située
au
fond du golfe qui commande lepas- sage
étroit placé entre la Sicile et la Tunisie et sé-pare
lebassin
oriental dubassin
occidental dela
Méditerranée,
la
ville de Tunis, véritable clef de cette Méditerranée où se disputela
conquête du monde, a une importance maritime considérable.Tunis,
mise
enpossession
des formidables moyens de défense dont disposenotre
époque,c'est
en effetla route
de l'Orient,aussi
bien que celle des Indespar
le canal de Suez, ferméeaux nations
occidentales.Ceci dit
pour montrer
l'importance politique duterritoire
dont tous nosnationaux
ne se préoccu- pentpas au
même degré, qued'aucuns envisa-
gent comme une région perdue et inaccessible, oubliant que Tunis est à trenteheures
de Mar- seille,nous
allonsessayer, dans
unerapide
— 10 —
esquisse,
demontrer
cequ'est
Tunis,la
Carthage des tempsmodernes,
etl'essor
magnifique queprend
la ville sousla
vigoureuse impulsion deses administrateurs
(1) et de développer unprojet
dont nous sommes
l'auteur,
quiferait
de Tunis une ville d'hiver incomparable, laplus
belle du mondepour
les Européens fatigués àla recherche
d'unrepos réparateur sous
leplus
doux detous
les climats, ou avides desensations
nouvelles qu'ils nesauraient trouver
nullepart plus sûrement
quedans la terre classique
des épopéescarthaginoises.
(1) Il serait injuste de ne pas attribuer la meilleure part dos résultats acquis à M. Massicault, résident-général, à qui on doit, entre autres mesures capitales, la convention douanière, la réforme monétaire, etc., etc,
PREMIÈRE PARTIE
CE QU'EST TUNIS
Tunis !
c'est
encore le type dela
villearabe
duMoyen-Age ; c'est Tunis
la
sainte,c'est
Tunis la blanche,la fleur
de l'Occident, commel'ont
dénommée les poètesarabes.
S'étageant
sur la
pente douce d'une colline verdoyante,ayant au
front, comme un diadème,la Kasba,
elle apparaît comme un rêve oriental àl'étranger
qui, dudébarcadère,
s'yrend
en barque (s'iln'a pas pris
le chemin de fer de LaGoulette) en
traversant
le lac El-Bahira, nappe immense d'un bleu immobile,éblouissante
delumière,« féerique, dit le commandant Villot, avec
ses
ibisaux pures
couleurs etses énormes
flamands qui,dans leur
pose sibyllique, sem-blent
interroger l'avenir
». (1)(1) Tunis et la Régence- Gliallamol aîné, éditeur,
— 12 —
Et le
voyageur
ébloui,débarquant au quartier
de la Marine, un peu étonné de se
trouver
enplein
centre
des villeseuropéennes
qu'il vient defuir,
s'élance dans la
villearabe
pour, duquartier
de
la
Médina, serépandre
à son gré, soitau nord dans
lequartier
Bab-Souika, soitau sud dans
celui de El-Djazira.
Le changement à vue
est
complet. Comme au beau temps des magiciens et des fées dont le coup de baguette enfantait desmétamorphoses, la
ville indigèneapparaît.
Les
quartiers
juifs etarabes
n'offrentpas,
certes, le confort et le luxe du
quartier
européen.Les
rues
en sont bien un peu étroites,un
peutortueuses,
quelquefois même un peusordides
; mais quelsaspects
diversdans leurs inextrica-
bleslabyrinthes,
dansleurs bazars, leurs palais mystérieux
!Et,
pour n'être pas suspect
d'unetendresse exagérée
àl'endroit
dela
citémusulmane, lais- sons
icila
paroleà
unvoyageur
d'uneindiscu-
table autorité, M. Cat,inspecteur
d'Académie àConstantine.
« Tunis, dit-il,
vaut surtout par
le détail, et,«
pendant
quelquesjours,
le voyageur qui pro-« mène
au hasard ses pas dans
l'infini dédale des«
rues, est
émerveillé des découvertes qu'il fait« presque à chaque
instant.
« Ici, ce sont les souks ou bazars,
ruelles tor-
«
tueuses
et presquecirculaires au-dessus des-
« quelles de longues
planches
forment unesorte
« de toiture, qui garde
la fraîcheur
en tout temps ;« chaque corps de métier a son souk particulier.
— 13 —
« Ailleurs, en
dedans
même de l'enceinte, clans de«
grands espaces
vides,déserts,
gîtent desmilliers
« de
chèvres
;dans un
de cesquartiers
qu'on«
croirait
depuis longtempsabandonné par ses
«
habitants, au
milieu du calmeabsolu
et du« silence, on entend
tout à
coup comme ungrand
«
bruit d'eau
qui tombe,puis
onaperçoit un jar-
« din, des
fleurs,
desarbres,
un petit coinvert
et«
frais.
« C'est
là
que legrand aqueduc,
qui amène«
à Tunis les eaux
de Zaghouan, débouche. Le« flot
arrive
énorme etfaisant grand
tapage, et,« de là, se
déverse dans
les cent dixgrandes
fon-«
taines
qui alimententla
ville.«
Partout
del'imprévu
et dubizarre
:la kasba
« en
ruines,
desmurs crénelés
et desforts
(1)« avec des
canons,
des vestiges d'une enceinte«
plus
vieille, ou bienpar une
porte, commela
«
porte Es-Sadoun,
une belleperspective sur
«
tout un
coin de ville, rempli de dômes et de«
mosquées.
«
Presque toutes les maisons,
mêmeles
plus«
sordides,
ontdans leurs murs
ou une colonne« antique, ou
une porte
décoréedans
le goûtdelà
«
Renaissance,oude
finessculptures mauresques.
«
Plus ornées
encore, quelquesmosquées
sont,«
dans leur
genre, de véritables chefs-d'oeuvre.« Le dôme de
plusieurs
estcouvert
de faïences« vertes, de
sorte qu'à une certaine
distance, on(1) Oes fortifications remontent à Charles-Quint. {Note de
l'auteur).
— 14 —
«
croirait
voir un peu deverdure par-dessus les
«
rues
et lesterrasses sèches
». (1)Il
est vrai
que commecorrectif à toutes
cesbeautés,
l'écrivain quenous venons
de citernous montre dans
les mêmesrues,
siséduisantes pour l'artiste, une odeur
d'huile et defriture
etdes tas
d'immondices qui
n'ont rien
deflatteur pour
l'oeilet
l'odorat.
Mais,depuis
dixans
que le blâmea
été
porté,
letableau a changé
et fortheureuse- ment.
Une
municipalité laborieuse
et dévouée, bien secondéepar l'ingénieur
dela
ville,a
faitpaver
les
rues désormais éclairées au
gaz etdisparaître
de la cité
les cloaques
et lesdétritus,
enorgani- sant un service
devoirie très sérieux
etsurtout
en
distribuant l'eau à profusion, jusque dans les quartiers les
plusreculés,
Sans
redouter les inconvénients
donta
étévictime le nez de M. Cat — en 1882,
croyons-nous
— l'Européen
pourra visiter aujourd'hui, dans la
ville
arabe, la kasba aux hautes murailles créne-
lées, dont, en 1535, vingt mille
esclaves chrétiens s'enfuirent pour ouvrir à Charles-Quint les portes
de Tunis,
les nombreuses mosquées aux vitraux peints, aux arabesques capricieuses, aux
voûtesnues portées par des
colonnestorses provenant
en
grande partie
desmarbres précieux
de Car- thage, les souks enfin, sianimés
et sivivants, bazars
desparfums orientaux, des précieuses essences
derose
et dejasmin,
des étoffesd'or
etd'argent, des
bijoux,bazars surtout des cuirs, des
(1) Une excursion à Tunis, par E. Cat.
— 15 —
selliers-gentilshommes,
sans rivaux dans la
fabrication des selles brodées
d'or aux étriers
d'argent.
Et
lorsque,
ébloui etcharmé
desa
vision del'Orient, il
redescendra dans la
villebasse,
le contrasteentre
lequartier arabe
et lequartier
européen luiapparaîtra saisissant.
Plus deruelles
étroites et bizarrementtourmentées
;partout
des voieslarges,
bienaérées,
bien ali-gnées,
delarges avenues propres, nettes
etbor-
dées de
maisons
élégantes qui nedépareraient pas les artères
denos
villes mêmeprincipales.
L'avenue de
la Marine surtout,
avecses six ran-
gées
d'arbres toujours
verts,large
de 60 ou 80mètres, est une
desplus
bellespromenades
quel'on
puisse rêver.
Il
n'est pas jusqu'aux tramways
qui ne donnent à Tunis unair
de civilisation,jurant
peut-être un peu avec les idées qu'éveillent en l'âme dutou- riste l'aspect
desminarets
et des mosquées,tou-
tefois fort
rassurant.
Ce moyen de locomotionn'est d'ailleurs pas
exclusivement goûté des Eu-ropéens,
dontl'abus
desvéhicules
de toutgenre
et de toute forme a rendu
les jambes
quelque peuparesseuses
et rebellesaux
longstrajets
; ill'est aussi
des indigènes qui ne dédaignentpas plus
de fendre
l'air sur nos tramways
et nos chemins de fer quesur leurs
petits chevauxbarbes si
alertes
et si fugaces.Le
réseau
de cestramways n'est
point achevéd'ailleurs, mais sera
bientôt notablementaccru.
Tel
quel, traversant
lesprincipales rues
duquartier
européen,contournant
lesquartiers ara-
-16 -
bes, il rend déjà des services fort appréciables,
et — nous l'avons dit — fort appréciés.
La liste
serait
longue des améliorations réali- sées déjàpar
l'habile municipalité qui administreavec un prévoyant souci des intérêts de ses con- citoyens les affaires communales. Quelque obli- gation que nous ayons de nous borner, nous ne
pouvons cependant nous refuser le
plaisir
de ci-ter
la construction de marchés, l'édification demaisons
d'école de toutes sortes, la construction d'un superbe Hôtel des postes et télégraphes,la
mise en exploitation d'un
réseau
téléphonique,la
confection d'un système d'égoûts avec machine élévatoire pour les eaux, remplaçant (et avec quel avantage I) les anciens égoûts du pays, les kandacs ouverts et puants, l'achèvement du port, enfin, qui permettra, dans un an environ,
aux
plusgrands
navires de commerce d'embarqueret de
débarquer
en plein coeur de Tunis, voya- geurs et marchandises.Telles sont, à peine indiquées, les principales améliorations apportées à Tunis qui, de
par sa
situation géographique, est appelée
à
devenir, en même temps qu'une des plus belles villes du monde, une des cités les plus riches, les plus populeuses et les plusprospères;
en un mot, à redevenir ce qu'elle fut autrefois, la rivalejalou-
sée de
la
Carthage disparue, et disparue, hélas !aussi
complètement que l'avait désiré Caton,lançant de la tribune romaine son cri de haine incessamment répété : Delenda est Carthago !
Nous applaudissons des deux mains aux intel- ligentes améliorations
réalisées par l'administra-
— 17 —
tion de Tunis. L'amour de la vérité
nous
obligepourtant à
formuler ici une légère critique :Pourquoi, dans
letracé
des voies nouvelles,n'avoir
pas
ménagé une seule place ?Le magnifique monument
qu'est
l'Hôtel desPostes
lui-même se trouve à l'alignement d'unerue très
mouvementée et des plusétroites,
et nullepart l'observateur
nepourra jeter sur
l'édi-fice un coup-d'oeil d'ensemble. Cependant,
au
moment de la construction de l'Hôtel, des
terrains nus
setrouvaient
en face, qui ne semblaientattendre qu'un square
et qui, maintenant,sont couverts
deconstructions.
Faudra-t-il,
dans un demi-siècle, quand onre- connaîtra l'erreur aujourd'hui
commise, acheterces
maisons pour
les mettreà
bas? Peut-être. Maisalors
la pioche du démolisseurdécouvrira
unter- rain
qu'on eût achetéjadis à
vilprix
et quire-
viendraalors
à quelque cinq ou six centsfrancs
par
mètrecarré
de surface. Ilserait
doncprudent
etsage de mettre
à
profit cette leçon et deménager
dès
maintenant
des places et dessquares.
Peut-être
aussi serait-il
également prudent etsage de ne
pas entasser
tousles monuments publicssur
un même point de la ville. Du côté de lagare
française setrouvent
le Palais dela
Résidence, leMarché, la Poste, etc. C'est assez d'édifices publics
sur
la partie sud. On peut dès maintenant prévoir que lequartier
avoisinant le Boulevard deParis
deviendra, à bref délai, un des centres de Tunis
les
plus beaux et les plus fréquentés. Quelques-uns
des futursmonj^iyîs^m'on
devra élever,comme le
Palais d^j'ustice^^
Bourse, etc., n'y—
18-
seraient
pas déplacés, et ilserait
bonsans
douted'en
acquérir
dèsmaintenant
les emplacements,alors
que leprix
duterrain n'est pas
fort élevé et qu'on a la facilité deménager autour
des monumentsfuturs
des places et dessquares
quien faciliteront plus
tard
la vue et l'accès.Ces observations
présentées, nous devons,
répétons-le, louersans réserve la sagesse
de l'administration publique quia
admirablement compris l'importance politique et commercialede Tunis, dont la situation privilégiée
au
fond dugolfe incomparable qui a
pris
son nomattirera
un vaste commerce maritime extérieur, en même temps que
tous
les chemins de fer en construction ou en exploitation à l'intérieur, convergeanttous vers
le coeur dupays
et le foyer de vie, viendront, de toutesparts,
luiverser à grands
flots lespro-
duitsvariés
d'un sol inépuisable où le bétail abonde, oùcroissent
en quantité les céréales, leblé, l'orge, le sorgho, le
maïs,
oùprospère
la ramie, oùla
vignefournit
desraisins
magnifi- ques, où les huiles, les alfas, les dattes,sont
desproduits d'exportation
courante.Aussi
l'avenir
apparaît-il brillant. Nous n'en donnerons comme preuve que le chiffre de la population de Tunis, qui, de 120 ou 130,000 habi-tants
à l'époque de l'intervention première de laFrance,
est monté àprès
de 200,000. Avec unetelle
progression,
unemarche
enavant aussi
considérable, on peut
tout espérer, tout
attendredu temps.
DEUXIEME PARTIE
CE QUE SERA TUNIS
DEUXIEME PARTIE
CE QUE SERA TUNIS
Ce que
sera
Tunis est facile à prévoir. Elle peut,aujourd'hui qu'un peuple fort et
puissant
comme la France veillesur ses
destinées, elle doit rede- venir ce qu'ellea
étésous
la domination romaine.Les Romains en effet, épris de son ciel pur, de son climat salubre et sain, où la douce brise de mer vient tempérer les
ardeurs
du soleil d'été et rendre supportables les mois les plus chauds de l'année : Juillet et Août, séduitsaussi par
la clémence deses
hivers, venaient, nous dit l'histoire, en Tunisie pour y vivre longtemps et y mourir en paix, loin des orages dela
Métropole. On a trouvé des épi-taphes signalant des existences de 120 et de 130 ans, et l'Enfida, qui ne comptait alors pas moins
de 100.000 habitants et où régnait Aphrodisium
99
dans
le luxed'une
civilisation raffinée (1), était ence temps
la patrie
descentenaires.
La
prédilection
desRomains pour
cepays
deTunisie est
amplement justifiée. La Villedu
Soleil, commeles Arabes appellent
Tunisdans leur lan-
gage imagé, est,sans
contredit,un
despoints les plus salubres
du monde. Lesmaladies
épidémi- ques,peste, variole
et choléra, qui décimentles populations sur tant d'autres points
du globe, n'yapparaissent
querarement
et y font peu de vic- times.Le
printemps
yest
délicieux, et lessaisons
yont
une grande analogie
avec celles deFrance, d'Espagne
et d'Italie.La
neige yest très rare,
etc'est un
événementquand parfois
l'on enconstate
quelques flocons éphémèressur
leshauteurs
en-vironnantes.
Enhiver,
lethermomètre
descendrarement à
zéro etmarque
engénéral
10,15 et 20degrés
au dessus.
La
douceur
du climat,les jardins embaumés avoisinant la
ville,les sites
merveilleux quire-
tiennent,
charmé,
leregard
dutouriste,
font de cepays enchanteur
lerival
de celuià
qui le poète in-dulgent
voulut bien,dans
Mignon,accorder
:Un éternel printemps sous un ciel toujours bleu-
L'Européen qui, l'hiver,
voudrait
fuirles ri- gueurs
dela température,
netrouvera
nullepart
plus qu'à
Tunisun pays salubre
etsain, à
latem- pérature heureusement
égale.(1) De ce luxe inouï, prodigieux, il ne reste guère aujourd'hui
que le temple de Vénus et la porte d'honneur, que les habitants
d'Aphrodisiummontrent encore avec orgueil.
— 23 —
Tunis !...
mais
ce serait, leparadis terrestre
del'hiverneur, si l'hiverneur connaissait
Tunis.Et
pourquoi
ne leconnaîtrait-il pas?' Pourquoi
retarderait-on plus
longtemps lamise
en oeuvrede
toutes
cesbeautés,
l'exploitation de toutes cesrichesses
climatologiques quela nature a dépar- ties
avectant
delargesse à
ce coin deterre privi-
légié?
Pour attirer
etretenir l'hiverneur,
,que faut-il,au surplus
?Un peu de
réclame
d'abord,la
divulgation deri- chesses
qu'onignore
trop enFrance,
etpuis,
mêmeà Tunis,
mêmeau pays des
investigations-curieuses
etintéressantes au travers
del'histoire, des échappées radieuses sur les
épopéespuniques
et
romaines, un
peu du confort et duluxe
dela
vie
moderne, un
peu dela distraction parisienne surtout.
Uncasino, un théâtre
quireposera
l'é-tranger
dela musique
dupays, des poésies lu- briques locales,un parc enfin,superbe,où
desso-
ciétés
musicales donneront
desconcerts
denuit,
bref,
un ensemble
dedistractions mondaines
quisont indispensables pour attirer
etretenir les heureux
du siècle, lesfavorisés
dela
fortune, et quimanquent encore à Tunis pour
enfaire une incomparable station
hivernale.Il
serait
peut-être temps d'ysonger, aujourd'hui
que
sont achevés
lestravaux publics
d'une utilitéprimordiale incontestable,
ilserait
temps deson-
ger,
dis-je, à
ces deuxchoses indispensables à toute grande
ville :un théâtre
etun parc.
Car on ne
peut donner
le nom deThéâtres aux
établissements
de Tunisqui
ontambitieusement
— 24 —
pris
ce titre,baraques
en bois,sur
les scènesmal
établies desquelles se donnent des
représentations
qui nerappellent l'art
dramatique que vaguementet de
très
loin.Le
parc,
deson
côté,est peut-être la
créationla
plus indispensable. L'hiverneur veut du soleil,de ce bon soleil de Tunis qui échauffe le
corps
etl'âme;
c'est àla
promenade,c'est au parc
qu'il de-vra
letrouver, sans
fatigue,dans
le douxfar-
niente des
rêveries solitaires.
Depuis longtemps il
est
question dela construc-
tion d'un
parc au
Belvédère. Le momentn'est-il pas
venu dese
mettreà
l'oeuvre?L'emplacement d'ailleurs
est admirablement
choisi. Sur cette colline où l'on
jouit
d'un merveil- leux coup-d'ceil, où leregard embrasse,
dans unpanorama
incomparable,la
villedans
sonensem-
ble,
drapée dans
son blanc vêtement, le lacd'azur
où le ciel
se
reflète,la vaste mer
avec le cap Bon comme fond et Carthage, dont lesouvenir
planeaujourd'hui sur
desruines.
On doit à
la
vérité dedire
quela
ville,aussi
bien que le gouvernement. Tunisien, ne
recevant aucune
indemnité ousubside
du gouvernementfrançais
et devantopérer
avecses seules res- sources
ilparaît prudent
et sage decréer
ces res-sources
et deconsulter
l'état deses
finances avant des'engager dans
des dépenses capablesde
troubler
l'équilibre de son budget etcréer une fausse
situation.Cette prudence
a
présidé àtous
lesactes
dugouvernement et de
la
municipalité et on ne peut, en somme, queles
en féliciter.— 25 —
Mais il ne
faut rien exagérer,
mêmedans
le bien,dit-on.
Maintenant que
les ressources arrivent
avec leproduit
desabattoirs,
dela manufacture
desta-
bacs,
duport
bientôt,etc.,
ilfaut absolument mettre Tunis sur un
pied d'égalité avecses aînées
d'Algérie.
Et
puis
nereste-t-ilpas la ressource
des impôts, quetous les
Européensétaient habitués
àpayer
dans leur pays
d'origine ? De l'emprunt, quiest
un moyen
souvent
deréaliser les plus grandes
choses?Des dettes ! le mot effraie
un
peud'abord.
Maisquand
onarrive
àse dire
que toutesles
villes du monde ont des dettes, depuis lesplus grandes
ci-tés jusqu'aux
plus petitesbourgades,
etprécisé- ment
enprogression
même deleur richesse
et deleur grandeur,
quec'est par
ce moyen qu'ellessont arrivées à croître
età
s'embellir,à
seren-
dre
intéressantes, agréables
etriches, la crudité
dumot disparaît
devantl'appât
dela réalité
etla
beauté du
résultat.
Les intérêts
qu'aurait à payer la
ville lui se-ront rendus,
centuplés,parles visiteurs, touristes
et
hiverneurs,
qui neferont plus,
commeaujour-
d'hui, que detraverser la
ville,mais prendront plaisir
à y faire halte,à
yséjourner,
et quisait
si,trouvant à
Tunis le reposréparateur
dont ilsavaient
besoin, ils n'y deviendrontpas
lenoyau
d'uneriche
colonieétrangère?
La
question
duparc est
doncune question
vi- tale pourles intérêts
dé Tunis, et qu'il importe detrancher au plus
vite.— 26 —
Avec le
parc viendra l'exécution
duprojet dont nous
sommesl'auteur
et dontvontrouvera
leplan
ci-joint.
Cette
position
difficiled'un auteur devant son
oeuvre
nous
empêche deformuler sur
ceprojet
une appréciation
qui,personnelle, paraîtrait sans
doute
intéressée.
Maisau
moinspourrons-nous
dire
unmot
del'importance
de ceprojet,
qued'au-
tres
quenous
ont qualifié degrandiose
et dema-
gnifique.
Le
projet des
Champs-Elysées deTunis
com-porte la construction, au
pied du Belvédère,la riante
colline quiabrite Tunis contre les vents du nord, d'une centaine
devillas,
quiviendront
segrouper
en bas duparc dans une heureuse dispo-
sition. Les
terrains choisis sont d'ailleurs
admi-rables pour les constructions qu'ils
doiventrece- voir. S'étageant
enpente douce au
pied dumont
d'où
l'ondécouvre
leplus beau des panoramas,
excellents pour la création
dejardins fruitiers
etd'agrément,
oùpousseront
en pleineterre, oran- gers, bananiers, grenadiers
etpalmiers, à l'abri
(nous
insistons sur
ce point)des vents
dunord dont les protège
le Belvédère,ils
offrent bienréellement
lemeilleur emplacement
qu'onpuisse
désirer pour la
création d'unestation hivernale.
Les
futurs Champs-Elysées seront desservis au nord par la route
deTunis à l'Ariane, au sud
par
celle dela
Goulette, ettraversés dans toute
leur
étenduepar
leBoulevard
deParis.
Ce bou-levard, à
quisemble
biendue une mention spé-
ciale,
aura une longueur
deplusieurs kilomètres
et
sera la plus grande artère
deTunis. Traversant
— 27 —
complètement la ville
européenne,
ilmettra Tunis
en
communication
avec lesprincipaux centres
depromenades les plus intéressants pour
le visiteur.C'est
ainsi
qu'ilunira la route
d'Hammam-Lif, célèbrestation thermale romaine, aujourd'hui ruinée mais
quine demande qu'à renaître
deses cendres, à
celle del'Ariane, la terre enchante-
resse
oùpoussent roses
et....villas, à
celle deLa
Goulette,station
debains
demer, à
celle enfin du Bardo,résidence d'hiver
des Beys deTunis,
oùla cour
des lions, lessalons d'apparat
et dubaise-
main, leharem, la salle
du conseil,fastueusement ornée
detapisseries des
Gobelins, detapis Perse,
de lampes
d'or suspendues à des plafonds d'azur,
de
marbre
et de faïences, demosaïques
etd'ara- besques, curieux spécimens
du stylemauresque,
font
rêver aux palais
des Mille etune Nuits.
Le
boulevard
deParis
à Tunis, cecera
quelquechose
comme l'Avenuedes Champs-Elysées à Paris,
lePrado à
Marseille, cesera l'entrée
triom-phale
duParc-Promenade.
Malgré
tant
detitres pompeux
bienmérités,
sa construction
définitive, décidée en principe,n'avance pas,
en réalité. Cependant onn'attend
que
son achèvement pour
leborder
devillas ma-
gnifiques, qu'on ne peutactuellement
édifiersur
une
voieboueuse dans la saison
despluies, pous- siéreuse
en été,toujours
privée de gaz, de mouve-ment, de vie.
Une
vingtaine d'hectares sont pourtant
entière-ment
lotis etprêts
àrecevoir
120 ou 130villas, gra-
cieusement
aménagées,entourées
dejardins, re-
liées les
unes aux autres par
desrues spacieuses
— 28 —
et ombragées, entrecoupées de ci de là de
squares
et de places dont l'emplacement
sera
concédégra- tuitement
à la ville.Tel est le projet Girardet dont,
sans
qu'ilsoit
besoin
d'insister
autrement, la municipalité,quia
donné
jusqu'ici tant
depreuves
d'un dévouement intelligent à la chose publique, comprendra toute l'importance, importance qui ne viseà rien
moinsqu'à
donner à Tunis ce qui lui manque encore en luxe et en confortpour
enfaire
la premièresta-
tion hivernale du monde,
la
plus riche,la plus prospère
etla plus
fréquentée.Grandiose et magnifique
a-t-on
pu dénommerce projet. Et,
pour
élogieuses qu'elles soient, cesgracieuses
épithètessont-elles
si imméritées?Voyons-le.
Le
projet
Girardet,faisant sortir
deterre
lesvillas délicieuses, les quinconces fleuris et parfu- més où la flore africaine
luttera
de force et de grâce avec la flore occidentale,mettra sur
ce soljus-
qu'ici réputé
barbare
la griffe toutepuissante
dela
civilisationparisienne,
un luxe magique quis'aidera,
— et combien puissamment! — des beau-tés
de cettenature
orientale. Un éblouissementpeut-être, mais
un charme! Dans cet Eden,pays du
rêve, chaque souffle du vent quiaura baisé
lesroses au passage
effleurera levisiteur
d'une ca-resse
parfumée, et,sous
ces souffles vivifiants,la
vie
reviendra aux
étiolés de nos cités, plus riche etplus
abondante quesur
les plagesles
plusre-
nommées de cette Méditerranée qui connaît Nice
cependant, Nice et
ses roses,
que Tunis doit éga- ler, sinon éclipser toutà
fait.— 29 —
Et ce
nom
de Champs-Elysées donnéaux rian- tes constructions
quipareront
lenord
dela
cité, qu'ellescouronneront,
commeune
aigrette de dia-mants pare
lefront d'une reine,
a-t-il étéjeté là
par hasard
et fortuitement? Est-ceune
appellation quelconque? N'est-cepas plutôt un
symbole?Les Champs-Elysées
qu'ont vantés tous les
poè- tes detoutes les latitudes,
quetoutes les littéra- tures
ontcélébrés
enprose
et envers, séjour
en-chanté des élus
dupaganisme, ont-ils jamais
été dotés de merveillesplus séduisantes
que n'enaura
ce coin de
terre
privilégié et bénientre tous?
Mais
la comparaison paraîtrait ambitieuse.
Nenous
yarrêtons
point, quoi qu'il neserait
peut- êtrepas
si difficile demontrer
quela poésie est
faite derêves,
et que, nullepart,
lerêve ne pourra,
plus librement qu'aux
Champs-Elysées de Tunis, déployersur ses
fidèlesses
voilesaux
changean-tes, infinies
transparences.
L'étranger
qui, desa
villa, serendra dans
leparc ombreux,
avecsur sa
tête le ciel bleu infini,à ses
côtésles
tigesarborescentes des solitudes mystérieuses, à ses
pieds, le lac,la mer aux
hori-zons
sublimes, partout autour
de luiles riches- ses
combinées dedeux civilisations
différentes:les
coupolesblanches
desmosquées
etles terras- ses des
villas, s'il ne veutpas nourrir
sarêverie
duspectacle
magnifique queprésentent à sa
vuela
mer,la terre,
le ciel,pourra aussi
bienà son gré
évoquerles souvenirs
quel'ossuaire
de Car-thage est là pour lui rappeler: l'ombre des héros
morts pour
l'indépendance,les farouches haran-
— 30 —
gués,
les batailles navales,
lescombats sans
merci de deux peuples
puissants.
Quel rêve en
la terre
du rêve, et qu'il ya là
dequoi faire oublier
aux plus acharnés lutteurs
desbatailles
dela
vie,les spéculations
dujour,
lesouci des affaires,
les ombres
dela
politique!Et
puis,
ce nom de Champs-Elyséesest surtout
un symbole en ce
sens
qu'il évoquera, à Tunis, le nom dela France
et lesouvenir
deParis.
C'est leluxe de
la capitale
du monde qu'onaura trans-
porté au tunisien
rivage, unmorceau
dela patrie qu'on devra retrouver là-bas, après avoir passé
la mer, la
villedes
merveillesdans la
villedes
souvenirs !Ceci fait, Tunis créée ville d'hiver,
devra-t-on
s'entenir
là?Qui sait?
L'avenir peut-être réserve
biendes
surprises
àsa
favorite africaine, etnous croyons savoir qu'un second
projet,plus grandiose
encoreque celui que
nous venons d'essayer
deprésenter,
et tout
aussi
fécond enrésultats certains, est
en ce moment à l'étude. Maisnous
ne devonspas
pous-ser plus
loinl'indiscrétion.
Achaque jour
suffitsa
peine, dit
un
malinproverbe.
Etpuis
l'exécutionde ce second
projet est expressément subordon-
née