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Communication de crise (ou non)

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REVUE MÉDICALE SUISSE

WWW.REVMED.CH 10 novembre 2021

1956

BLOC-NOTES

Communication de crise (ou non)

omment nier qu’il y a échec, ne pas avouer que, face aux crises multiples, la communication en science et en méde- cine relève de la dérisoire inadaptation ? Dans les débats, la raison n’est qu’un argument comme les autres. Plutôt plus faible que les autres. Les buts et les décisions sont désormais embarqués dans un violent flux d’opinions, de fictions et de contre-vérités. Flux d’apparence chaotique, mais en partie organisé autour de guérillas de l’info, avec ses petits et grands caïds. Sur le terrain disputé du savoir, se déploient de vastes groupes d’influence, dont le programme consiste en déclinaisons fractales des vieux thèmes recuits de complot, ou encore en intérêts industriels qui nécessitent de dire le faux à la place du vrai. S’y ajoute une multitude de sachants par eux-mêmes, auto-instruits et satisfaits, plus ou moins agrégés, grisés par leur audace de penser autrement. Des phénomènes de croyance sont aussi à l’œuvre, mais de croyances qui ne jouent plus leur rôle – celui en particulier de donner du sens – et qui enva- hissent sans distinction le monde de la science.

Science qui justement, apparaît de plus en plus contre-intuitive et probabiliste, alors que l’esprit contemporain aime plus que jamais se fier à lui-même, à ses propres représentations.

Qu’importent les études cliniques, pensent certains, j’ai une excellente immunité, mon corps saura résister au Covid. Ou encore : pour- quoi s’inquiéter, 2 degrés d’augmentation de la température moyenne, ce n’est pas énorme, on arrivera bien à vivre avec.

Rien de cela n’est nouveau, sauf la croissance de la désorganisation de la pensée commune, le réchauffement du climat de la cognition individuelle et de groupe. Dans ce monde en transformation, nous ignorons – mais a-t-on jamais su ? – comment entraîner la population dans des décisions difficiles en lien avec la réalité. Alors que le changement climatique menace le futur à court et long terme et que le Covid n’en finit pas de ne pas finir, il est temps de prendre acte que l’ensemble de la stratégie de communication s’appuyant sur la raison a failli.

Face à cette déraison aux contours flous, les autorités et systèmes politiques tendent à réagir avec le modèle managérial de communi- cation de crise. Oubliant que ce qui est en jeu, ce n’est pas de protéger la réputation d’une entreprise, mais la vie (ou la mort) de per- sonnes et, de manière large et indissociable, du

vivant. Oubliant aussi que penser « la crise » n’a plus de sens clair. Pour le climat comme pour le Covid, ce qui survient ces jours, davantage qu’une crise, est une crise de la notion même de crise. Il n’existe plus un début, une acmé, une résolution. La tension est continue, les rebondissements s’enchaînent, chacun étant un maillon intriqué dans le précédent. Quels seront les prochains maillons ? Une multiplica- tion de pénuries ? Des mutations du virus du Covid, l’émergence d’autres virus, des boucles encore inconnues de rétroactions renforçant les problèmes environnementaux, l’effondrement de pans entiers du fonctionnement civilisationnel ? Comment prévenir, anticiper et accompagner des crises en chaîne ? C’est tout cela qui doit faire l’objet d’une communication, c’est-à-dire de multiples relations d’information, d’ensei- gnement et d’accompagnement.

Dans les situations de tension, comme toujours d’ailleurs, c’est dans la mesure où elle ne craint pas d’exposer ce qu’elle sait que la communication se montre efficace. Car, à la fin, l’enjeu, c’est la confiance. Donc le respect de la population dans ce qui lui est dû : toujours, et de manière compréhensible, dire la vérité.

Viser la transparence, dévoiler l’envers du décor, sans chichis, sans langue de bois. Expliquer les dimensions du savoir et de l’ignorance, à chaque instant. Ou encore parler des incerti- tudes – sans honte, elles sont la substance même de la science – exposant là encore leur portée. Cela suppose de communiquer sur la fragilité de la science qui se développe en temps réel, de la connaissance qui se constitue et se modifie sans cesse. Et puis aussi, parce qu’elle se trouve au cœur de la démarche scientifique : l’autocritique. Revenir sur ce qui a été affirmé et conseillé de manière erronée, et en donner les explications.

Avec les réseaux sociaux est arrivé quelque chose de radicalement nouveau. Même ceux qui les possèdent et les gèrent semblent dépassés par les phénomènes qui en émergent. Ce qui ne les empêche pas de se servir sans vergogne de leur étrange pouvoir. Prenez Facebook. Ce qu’on a appris grâce aux récentes révélations de Frances Haugen, c’est que ce réseau de réseaux (désormais appelé Meta) ne parvient à modérer qu’une infime partie de ses contenus. Mais surtout qu’il néglige complètement cette question. Il prétend que la dérive des commentaires vers le pire peut (pourra) être contenue grâce aux algorithmes. Mensonge : la preuve est faite que ça ne marche pas, qu’il faudrait engager non pas des milliers, mais des millions de modérateurs humains pour prendre en compte les diffé- rentes langues, subtilités locales et habitudes

culturelles. Et surtout, comble du cynisme, à rebours de ces discours, révèle Frances Haugen, Facebook cherche par tous les moyens à s’enrichir en faisant flamber les émotions et en augmentant les échanges grâce aux commentaires porteurs de désinformation. Comble de cette vaste mys- tification, l’entreprise continue d’affirmer – de manière quasi religieuse – qu’elle ne poursuit qu’une seule et magnifique mission : connecter le monde.

Pour faire diversion face à ces révélations, Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, vient d’annoncer le lancement d’une plateforme encore plus disruptive, enfermante, proposant un univers et des échanges entièrement virtuels : Metaverse. Tout est inquiétant dans ce projet : les gigantesques moyens non-démocratique- ment investis, la configuration et la gestion de la plateforme aux mains d’une élite, la menace d’une emprise encore plus grande sur les po- pulations. Or la possibilité même de la pensée, de la science, de la création, ne peut exister que dans des systèmes ouverts, divers, non propriétaires, où non seulement les contenus sont discutés et critiqués, mais aussi les struc- tures d’échange, les langages, l’ensemble du contenant, des codes et algorithmes. Metaverse n’est pas une voie de solution à la violence des échanges ou au monde qui s’effondre. C’est la promesse d’une disparation de l’humain dans le virtuel et la simulation.

Pour rester éthique (et efficace), la com- munication ne peut pas répondre aux manipu- lations par d’autres manipulations, au cynisme par davantage de cynisme. Cette retenue dans les actions possibles représente une faiblesse, certes. Mais à quoi servirait – vers quel but souhaitable nous mènerait – une communica- tion qui bafouerait les valeurs qui fondent la possibilité de la démocratie et de la science ?

Démonter méthodiquement les mensonges, les dévoiements, les corruptions, dévoiler les archaïsmes de pensées et les inconscients tribaux – plus largement : lire le délire – devrait être le premier mouvement d’un renouveau de la communication. Mais en même temps, il lui faut bouger, imaginer de nouveaux dispositifs de séduction. Non pas tenter par tous les moyens de convaincre les gens, mais parler à leur intelligence. Utiliser les émotions – et de mille façons – mais pour stimuler et non submerger la raison.

La communication ne peut être qu’une culture, au sens large : une parole, un langage, une vision.

C

Bertrand Kiefer

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