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La territorialité suisse à l'heure des paradoxes

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La territorialité suisse à l'heure des paradoxes

RAFFESTIN, Claude, RACINE, Jean-Bernard

RAFFESTIN, Claude, RACINE, Jean-Bernard. La territorialité suisse à l'heure des paradoxes.

In: Jean-Bernard Racine et Claude Raffestin. Nouvelle Géographie de la Suisse et des Suisses. Lausanne : Payot, 1990. p. 533-542

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:4438

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La territorialité suisse

à l'heure de ses paradoxes

A. La Suisse dans son extériorité Claude Raffestin

Une lecture rapide de notre histoire pourrait laisser croire que la leçon «L'OUVERT» ET «LE FERMÉ»

de César a été suffisante pour nous passer le goût de l'expansion et nous maintenir confinés à l'intérieur de notre territoire. Au fond, après une longue «psychanalyse», nous aurions réussi à nous guérir du complexe d'enfermement. Il en va ainsi quant au territoire concret à l'inté- rieur duquel nous avons agi, pratiquement sans en bouger, depuis le XVI' siècle. Nos frontières, stables depuis 1815, sont quasiment fossili- sées et nous avons toujours renoncé aux aventures qui auraient pu nous valoir quelques agrandissements. Mais en va-t-il ainsi quant à l'espace économique mondial?

Certes non, car depuis le XVIII' siècle et surtout depuis la naissance de l'Etat fédéral moderne en 1848, les industriels et les commerçants suisses ont véritablement investi le monde. Certains d'entre eux, dans un mémorandum datant de la dernière guerre, et en réponse aux déclara- tions nazies sur l'espace vital ont même proclamé, dans un esprit empreint de libéralisme: «L'espace vital de la Suisse est le monde»

(H. Lüthy). On rétorquera que tous les grands pays industriels ont pra- tiqué de cette manière, et c'est vrai, mais la Suisse l'a fait plus que les autres, car elle vient immédiatement après les Etats-Unis pour l'impor- tance de ses investissements directs à l'étranger: le gnome helvétique, toutes choses égales par ailleurs, est même plus puissant que le géant amé- ricain. La Suisse a ainsi compensé sa faiblesse politique évidente par une force économique diffuse et cachée.

La Suisse dans son extériorité 533

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Capacité d'ouverture économique de la Suisse comparée à celle d'autres pays.

Indice synthétique combinant plusieurs mesures: la présence des entreprises d'un pays dans les

Si la Suisse n'est pas politiquement négligeable, elle n'es! pas non plus très significative dans le concert des nations. En revanche, elle est écono- miquement influente et, dans beaucoup de cas, sa position est incontour- nable.

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Dynamisme financier de la Suisse comparé à celui d'autres pays.

Indice synthétique construit à parti, d'une variété de critères évaluant l'environnement financier tels que la dette gouvernementale, les dépenses déficitaires, la politique monétaire, la variété, le volume et le coût des disponibilités financières, la liberté des mouvements de capitaux, les activités du secteur privé (taux d'intérêt, performances des marchés et des instruments financiers).

Source: IMEDE «The World Competitiveness Reportll 1989.

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Nous touchons là, sans doute, le paradoxe le plus créateur de discor- dances dans les relations que nous entretenons avec nous-mêmes et avec les autres. Comment formuler ce paradoxe? Disons d'une manière géné- rale avant d'entrer dans plus de détails que la Suisse se caractérise par une territorialité quelque peu schizophrénique: «ouverture économique»

mais «fermeture politique». Les relations économiques tous azimuts dénotent non seulement une capacité relationnelle étonnante mais aussi une souplesse dans l'adaptation au système économique mondial remar- quable. En revanche, les relations politiques tant intérieures qu'ex- térieures, sont plus rigides et dénotent une certaine ankylose. Pour. continuer à cerner le problème à grands traits, on peut dire que l'ou- verture économique est la conséquence plus ou moins directe de la modernité à laquelle nous faisons référence tandis que la fermeture poli·

tique dérive en grande partie de la tradition dans laquelle nous nous enracinons.

Implicitement, il y a soixante ans, Hermann von Keyserling a décrit ce processus de fermeture politique lorsqu'il écrivait: «Ils (les Suisses) se sentent toujours pionniers de la liberté, du progrès, ce qu'ils ne sont plus.

Car la liberté qu'ils entendaient et représentaient est, depuis longtemps, devenue le bien de tous: en ce sens, ils sont leurs propres classiques».

Cette remarque, à plus d'un demi-siècle de distance, prend toute sa valeur car elle nous laisse entrevoir la contradiction qu'il peut y avoir entre la souplesse économique et la rigidité politique. Nous souffrons d'un double système de vision: «La Suisse observe le monde à petite échelle mais s'observe elle-même à grande échelle. Ce double mode d'observa·

tion crée d'inévitables discordances: là où nous devrions voir des struc- tures, nous ne voyons que des faits de détail, et là où nous ne devrions voir que des détails, nous voyons des structures» (e. Raffestin). Notre vision politique est marquée par la grande échelle tandis que notre vision économique est essentiellement orientée par la petite échelle.

Cette situation est explicable par d'autres couples d'oppositions qu'il convient d'évoquer. L'un de ces couples, pratiquement un passage obligé, un poncif, dans la représentation de la Suisse est unité versus diversité. Qui n'a pas sacrifié à la vertu, de moins en moins magique, de cette opposition parmi ceux qui se sont intéressés à.la Suisse? Qu'il s'agisse des paysages, des langues, des religions, des cultures, des villes ou de bien d'autres choses encore, tout cela a été cité en cause, à un moment ou à un autre, pour démontrer que la diversité n'empêchait pas l'unité, et réciproquement. Nul ne contestera les parcelles de vérité tombées sous la plume de nombreux penseurs qui ont tenté de verser des pièces au dossier.

Mais combien de passerelles fragiles n'ont-elles pas été jetées par des phrases lisses sur des abîmes de divergences et des torrents de conflits. On peut certes s'en réjouir, car il n'y a pas d'existence possible sans volonté d'harmonisation. Néanmoins, cela pose le problème de la «raison d'être» de la Suisse. Il y a une question latente et lancinante que nous nous posons tous mais que nous ne formulons jamais parce que nous n'avons pas d'Hamlet sur notre balcon alpin: To be or not to be, that is the question.

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Si, pourtant, certains l'ont posée, tel Ramuz qui a eu l'audace, le mot n'est pas excessif, d'écrire il y a cinquante ans dans une lettre à Denis de Rougemont: «La Suisse est un pays qui n'existe pas.» Il faisait écho en cela, sur un mode plus large et plus péremptoire, à des G. Keller, C.F. Meyer et C. Spitteler qui pensaient chacun à leur manière qu'il n'y avait pas de littérature suisse. Ce à quoi D. de Rougemont répliquait: «Et pourquoi n'irais-je pas jusqu'à dire que notre grandeur culturelle est de n'avoir pas de culture suisse, mais seulement une culture européenne?»

Fortes paroles, belles aussi, mais sont-elles encore vraies aujourd'hui? Le même auteur n'écrivait-il pas en 1940 que les vrais ennemis de notre liberté intérieure étaient <da paresse d'esprit et l'égalitarisme»?

Le ta be or not ta be helvétique ne se pose pas à cause des conditions potentielles d'un éclatement que pourrait libérer le jeu des tendances cen- trifuges et centripètes - elles existent ailleurs aussi - mais bien en raison d'une dynamique commandée par l'opposition entre les mythes politi- ques, auxquels nous nous référons, et les réalités économiques qui, fina·

lement, homogénéisent la «pâte helvétique». Ce sont les radicaux qui ont fait triompher, en 1848, le mythe de l'égalitarisme politique, indispen- sable ciment du fédéralisme qui a pris, certes, mais qui s'effrite aujourd'hui dangereusement. Ainsi, nous avons vécu, tant bien que mal, sur le mythe d'une démocratie qui était un modèle du genre, une sorte d' «Athènes moderne» dont la mise en cause s'apparentait au sacrilège.

Nous avons oublié que parallèlement à cela s'est développé un élitisme économique qui est le vrai triomphe du libéralisme de sorte que l'on a jux- taposé à 1'«Athènes politique» une «Sparte économique» dont le poids est allé croissant dans les affaires et qui aujourd'hui devient écrasant.

Tant que l'interface politico-économique du fédéralisme ne s'est pas trop déformé et que les déséquilibres sont demeurés dans des limites sinon acceptables du moins pas trop visibles, les problèmes, qui survenaient, trouvaient par le jeu du compromis des solutions relativement satisfai- santes. Aujourd'hui, l'interaction entre politique et économie est viciée par le paradoxe exposé plus haut car nous pensons la politique en termes traditionnels et l'économie en termes modernes. Nous aurons l'occasion d'illustrer, ultérieurement, ces affirmations.

La Suisse moderne est placée devant la nécessité de se penser en termes politiques et économiques renouvelés. Nous sommes absents, comme l'Europe d'ailleurs mais pour des raisons différentes, de la poli- tique internationale alors que nous sommes présents, Ô combien, sur la scène économique mondiale. Max Frisch se trompait-il beaucoup en déclarant récemment qu'en Suisse, de plus en plus, était raisonnable ce qui était rentable?

La prédominance de l'économique sur le politique s'exprime aussi par le fait, qui recoupe le clivage linguistique, que les Alémaniques entre 1848 et 1979 ont dirigé le Département de l'économie publique pendant cent treize ans sur centre trente-deux. Le secteur clé appartient donc bien à la majorité linguistique. En contrepartie, les Romands ont dirigé les affaires étrangères pendant cinquante-cinq ans sur ,cent trente-deux (G. Andrey). Mais qu'on ne s'y trompe pas, par le truchement de l'Office fédéral des affaires économiques extérieures, le Département de l'éco- La territorialité suisse à l'heure de ses paradoxes

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Domie publique contrôle, de fait, l'activité diplomatique de la Suisse dans le monde.

Les relations politiques sont-elles assujetties aux relations économi- qlles? Notre territorialité politique est-elle, à l'intérieur, conditionnée par une territorialité économique qui se manifeste à l'échelle du monde?

C'est à ces questions que nous voudrions apporter quelques réponses et quelques éclaircissements.

D'un point de vue officiel, il n'l'a pas de problèmes linguistiques en Suisse et, toujours de ce point de vue, parler de problèmes, c'est vouloir qu'ils existent. L'idéologie helvétique dans ce domaine est assez étroite- ment confinée à l'intérieur des limites d'une bienséance collective que l'on n'aime pas voir transgressées. En effet,la diversité des langues et des religions, des pratiques sociales et politiques, est sublimée en une unité rarement mise en doute dans les discours officiels. C'est le syndrome de Siegfried: la Suisse démocratie-témoin dont un Roland Béguelin a pris le contrepied avec «un faux témoin, la Suisse». La «vérité» ou plutôt une certaine «réalité» n'est pas entre les deux. JI y a une situation historique qu'il faut décrire pour chercher à comprendre.

Le plurilinguisme helvétique n'est pas une «invention» suisse, car, dans l'ancienne Confédération des XIII cantons, la langue officielle de la Diète était l'allemand. Les Etats souverains étaient tous germanophones mais les Bernois ne songèrent jamais à germaniser leurs sujets vaudois, de même la Suisse primitive à l'égard du Tessin. Au moment de l'invasion française, en 1798,Ia langue officielle étant l'allemand,la Confédération était unilingue en droit. C'est la République helvétique qui instaura par décret le plurilinguisme, ce qui signifiait que les lois devaient être publiées en trois langues. Le plurilinguisme n'est donc pas, à l'origine, la consé- quence d'une volonté intérieure mais celle d'une contrainte exercée de

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La Suisse dans son extériorité

LA ({FERMETURE POLITIQUE»:

LE RÔLE DES STRUCTURES DANS LES CONJONCTURES

CONTEMPORAINES PROBLÈMES LINGUISTIQUES

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Frontières linguistiques

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l'extérieur. C'est tellement vrai que l'Acte de médiation a rétabli la préé- minence de l'allemand qui s'est maintenue sous la Restauration en 1815.

Le succès d'une langue est toujours sous-tendu par un pouvoir politique et! ou un contrôle économique.

La langue est un «territoire symbolique» qui joue un rôle essentiel dans la territorialité, car c'est par elle que sont médiatisées la communi- cation, au sens propre, et l'organisation de la réalité, mais aussi les mythes et les croyances d'une société. Cela dit, la langue est le signe d'un pouvoir et non pas le pouvoir lui-même, au même titre que la monnaie n'est que le signe de la richesse et non pas la richesse elle-même.

Cependant, en tant que territoire symbolique, la langue est l'ultime lieu de résistance à partir duquel on peut chercher à réinvestir tous les autres lieux réels et concrets dans lesquels on voudrait jouer un rôle. Le cas du Jura a été, à cet égard, exemplaire. Si la question jurassienne a été posée en 1815, ce n'est que progressivement que se fit une prise de cons- cience de la part des Jurassiens de constituer une identité propre. C'est au moment de la Première Guerre qu'émergea une organisation prônant un statut cantonal séparé, mais c'est en 1947, à la suite d'un problème d'attribution d'un département jugé «trop important pour être confié à un conseiller d'Etat de langue française», même représentant du Jura au Gouvernement bernois qu'éclate la crise dans le détail de laquelle il est inutile d'entrer. Toujours est-il qu'il a fallu un tiers de siècle pour réussir à former un nouveau canton. La non-précipitation en matière politique est souvent de la sagesse. La lenteur, en revanche peut être un signe de conservatisme dont la manifestation peut empoisonner une démocratie.

L'affaire jurassienne a été un exemple de la fermeture politique de la Suisse, pendant de nombreuses années, que les séparatistes ont éprouvé et ressenti durement.

On peut se demander si, aujourd'hui, toutes choses égales par ail- leurs, ce n'est pas la Suisse romande qui est confrontée avec un problème linguistique. Nous disons «peut-être» car les choses sont difficiles à saisir en raison même du système institutionnel qui garantit la territorialité des langues et qui, en apparence, donne toutes les garanties pour qu'il n'y ait pas de conflit linguistique. En fait, la situation est paradoxale: le conflit est nié et n'est pas nié tout à la fois, il existe et n'existe pas. Face à l'alle- mand majoritaire, la crise du romanche, celle de l'italien et celle du fran- çais n'ont pas la même puissance parce qu'elles intéressent des collec- tivités quantitativement différentes mais elles ont la même intensité.

Pourquoi? Parce que ce sont les Suisses alémaniques qui décident et contrôlent tout projet de société helvétique ou toute absence de projet.

C'est évidemment la conséquence d'une économie et d'une démographie alémaniques beaucoup plus puissantes que l'économie et la démographie des autres groupes. A cela, il n'y a rien à redire, car c'est le jeu correct de la majorité, pierre angulaire de toute démocratie véritable. Cependant, il faut craindre que la pente naturelle de tout Etat fédéral moderne vers la centralisation, voire le centralisme, ne tende à détériorer la position des minoritaires et cela d'autant plus que l'anglo-américain se profile de plus en plus comme «cinquième langue nationale». Comme l'écrivait, il y a quelques années, l'un de nos actuels conseillers fédéraux: «Le péché du La territorialité suisse à l'heure de ses paradoxes

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simplisme nous guette. Le recours au plus pressé, à l'allemand comme esperanto fédéral- en attendant que ce ne soit peut-être l'anglais - est un processus de facilité (J.-P. Delamuraz).

Si nous voulons conserver un fédéralisme vivant qui soit un micro- cosme vivifié par la culture européenne dont les langues que nous parlons sont porteuses, il convient que nos langues nationales continuent, cha- cune à sa manière, à maintenir ouvert le chemin de l'Europe. Mais voilà, le lent dépérissement de la moins parlée de nos langues, le romanche, révèle une valeur marginale très faible qui indique, somme toute, celle accordée aux trois autres langues.

La Suisse est-elle encore un témoin du pluralisme linguistique? On peut en douter. Il est très frappant de constater que le Conseil fédéral n'a pas compris l'existence d'une francophonie mondiale aux manifestations de laquelle la Suisse ne participe pas ou s'y fait représenter par un «obser- vateur».

S'il est vrai que cela ne constitue pas un problème linguistique, on peut néanmoins craindre que la fermeture de la Suisse s'accentue dans ce domaine.

La Suisse est-elle encore le refuge des «humanités persécutées»? Si LA SUISSE Er LES RÉFUGIÉS

elle l'a été, elle l'est de moins en moins car elle renoue avec les heures les plus sombres et les moins glorieuses de la Seconde Guerre mondiale. Il y a quelques années, J.-F. Aubert disait: «Ce qui me déplaît le plus mainte- nant dans notre pays, c'est le manque de générosité.» Aurait-il encore raison? De la même manière que nous avons été peu accueillants entre 1930 et 1945, inhumains même, à partir de la déclaration de guerre, à l'endroit des Juifs qui ne furent pas considérés comme des réfugiés politi- ques et en conséquence difficilement ou non accueillis, les événements récents font ressurgir de vieux réflexes.

En 1942, il y avait, en Suisse, 9600 réfugiés, soit 0,22"10 de la popula- tion. Pour justifier l'attitude restrictive du Conseil fédéral, Eduard von Steiger, qui faisait partie des milieux germanophiles de la ligue populaire pour l'indépendance de la Suisse, déclare que <da barque est pleine». Ce n'est qu'après 1943, après que les Allemands aient essuyé des échecs mili- taires graves, que le mouvement est renversé: le nombre des réfugiés passe à 75000 et augmente un peu au-delà de 100000 au moment de l'effondrement de l'Allemagne. Cela ne représente jamais qu'un peu plus de 20/0 de la population. Ce sont des faits et non des jugements.

Aujourd'hui, ators que la Suisse est autrement riche et prospère, les réfugiés représentent 0,9"10 de la population totale. La frontière suisse est devenue plus «imperméable». Cette attitude mal vécue par une partie de la collectivité a incité des personnalités politiques à cautionner l'entrée dans la clandestinité et à cacher des candidats à l'asile, menacés d'être expulsés. De la part de certains parlementaires, cette entrée dans «l'illé- galité» est assez étonnante et nouvelle. Cela révèle la mise en cause d'une relation à l'Autre difficilement acceptable et supportable.

Il s'agit bien là, en l'occurrence, d'un autre exemple de fermeture politique qui est largement incompréhensible dans la mesure où les réfu- giés, au cours de l'histoire, ont contribué à «construire» la Suisse à de

La Suisse dans son extériorité 539

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LA SUISSE ET L'ONU

LA SUISSE ET L'EUROPE

L'OUVERTURE ÉCONOMIQUE PAR L'INTERNATIONALISATION.

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multiples points de vue. Nous refusons, en somme, des relations essen- tielles, à terme, pour l'existence même de notre pays.

La Suisse fait partie, pratiquement, de toutes les organisations inter- nationales mais elle a refusé dans la votation du 16 mars 1986 d'adhérer à l'ONU. Refus très net avec pour l'ensemble de la Suisse 75,7% de non contre 24,3 % de oui. Même si les proportions de oui et de non ont varié, il est à noter qu'aucun canton ne s'est prononcé favorablement. Seul le Jura a atteint 40,2 "10 de oui, suivi par Bâle-Ville avec 36 %, le Tessin avec 34,5 %, Bâle-Campagne avec 32,9% et Genève avec 30,2 %. Les scores de oui les plus bas ont été enregistrés par Appenzell Rh.-!. avec 10,7%, Nidwald 15%, Schwyz 15,6% et Obwald avec 16%.

Parmi les arguments invoqués contre l'ONU, il y a ceux d'ordre inté- rieur comme l'identité nationale, l'affaiblissement de la neutralité, les coûts financiers, l'incompatibilité avec la neutralité, mais aussi ceux de nature extérieure comme l'absence d'influence politique de la Suisse, l'impuissance de l'ONU dans la solution des conflits et l'impossibilité pour la Suisse de participer à d'éventuelles sanctions.

Les partisans du oui ont évoqué les arguments suivants: le danger de l'isolement de la Suisse, la nécessaire collaboration internationale, les intérêts économiques de la Suisse dans le monde, le renforcement de la neutralité.

Ce vote a été exemplaire car, par le refus massif de l'adhésion à l'ONU, il est loisible de mesurer, une fois encore, la fermeture politique vis-à-vis de l'extérieur qui est en contradiction avec notre ouverture éco- nomique. Notre système de relations est discriminatoire: nous privilé- gions l'économique et le technique au détriment du politique et du culturel.

Quant à la politique européenne de la Suisse, elle est, en 1989, prison- nière d'un dilemme qui naît de l'évidence contrainte d'aligner nos struc- tures sur la logique et la pratique de l'Europe des Douze. Politiquement, en revanche, l'adhésion à la CEE paraît, pour l'instant, exclue par la crainte de perdre la souveraineté et l'identité «nationale» et de mettre en cause le statut de neutralité.

Parmi les alternatives qui promettent une sortie de ce dilemme se trouve celle d'un élargissement de l'AELE sur les pays de l'Est, qui tout en renforçant la zone de libre échange européenne, permettrait à la Suisse de trouver de nouveaux partenaires dans sa poursuite d'une troisième voie entre l'adhésion et l'isolement.

La Suisse, on l'a vu précédemment, du XVIe au XIX' siècle, par le système des capitulations militaires a <doué» du travail contre des espèces sonnantes qui ont contribué à élaborer de grandes fortunes, donc du capital. Certes ce trafic est allé en s'amenuisant à partir du XVIIIe et il est même interdit au milieu du XIX'. C'est alors que l'industrialisation a permis progressivement de stabiliser la main-d' œuvre en lui trouvant des emplois sur le sol national.

La mise en place de la grande industrie textile, mécanique et chimique permettra de dégager des biens qui seront exportés sur les marchés inter-

La territorialité suisse à l'heure de ses paradoxes

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nationaux. De régionales, les industries deviendront nationales puis internationales, ou, si l'on préfère, multinationales. Ce terme de multina- tionale est surtout employé d'une manière courante depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, même si le phénomène de «multinationalisa- lion» est beaucoup plus ancien.

Pendant longtemps, l'industrie se tirera d'affaire seule en matière de capitaux. En effet, elle ne recourra pas ou rarement aux banques: «Au contraire, ce sont les industriels qui déposent leurs bénéfices à la banque pour que celle-ci les investisse ailleurs.» (J.-F. Bergier). Mais si la situa- tion change assez vite, le réseau bancaire ne s'en est pas moins construit lentement. Avant 1848, on trouve, d'un côté, les banques privées, et de l'autre des instituts d'épargne et de crédit local finalement limités dans leurs possibilités. Ce n'est que dans la seconde moitié du XIX' siècle qu'apparurent les grandes banques d'affaires dont la première fut le Crédit Suisse, fondée en 1856, engagée dans le financement des chemins de fer. Vinrent ensuite la Société de Banque Suisse et l'Union de Banques Suisses, toutes deux résulteront de fusions, respectivement en 1895-1896 et 1912. Si les banques suisses ont toujours joué un rôle sur le marché mondial des capitaux, c'est surtout à partir du XX' siècle que leur puis- sance s'est manifestée.

Si l'épargne nationale drainée par les banques a d'abord servi aux investissements intérieurs, à la nécessaire modernisation et adaptation des équipements privés et publics, les investissements à l'étranger n'ont pas été négligés. Sans doute, ici, faut-il faire une distinction entre inves- tissements de portefeuille et investissements directs. Par les premiers, la théorie économique entend l'achat d'obligations et d'actions étrangères ou la participation à des crédits internationaux, tandis que par les seconds on entend le contrôle d'une entreprise à l'étranger. S'il est très difficile d'avoir des données précises sur les mouvements internationaux de capitaux, on" peut néanmoins affirmer que la Suisse est le plus gros investisseur direct à l'étranger après les Etats-Unis. Une étude des Nations Unies a révélé qu'entre 1973 et 1975, les Etats-Unis ont investi 15,4 milliards de francs suisses nets en moyenne annuelle contre 5,4 mil- liards pour la Suisse. Faut-il rappeler que la population suisse représente

La Suisse dans son extériorité

Implantations d'usines à l'étranger.

Pour savoir d'un coup d'œil. ..

... qui construit le plus d'usines à l'étranger

• Exportations nettes de capitaux d'investissement direct.

... et qui accueille le plus d'usines étrangères sur son sol

• Importations nettes de capitaux d'investissement direct.

541

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2,80/0 de la population américaine? En revanche, elle assume des investis- sements directs à l'étranger équivalant à 35 % des investissements améri- cains.

C'est assez dire que la politique économique de la Suisse, par l'inter- médiaire de ses entreprises, est ouverte sur le monde. Dans les pays déve- loppés, la Suisse assume le quart de tous les investissements qui y sont effectués. La Suisse compense, ainsi, son étroitesse territoriale et sa peti- tesse démographique. Les capitaux suisses par les revenus qu'ils procu- rent jouent aujourd'hui, toutes choses égales par ailleurs, le rôle que jouaient au XVII' les régiments suisses au service de l'étranger.

Depuis vingt ans, les investissements étrangers révèlent un solde positif. C'est évidemment la conséquence de la multinationalisation des entreprises suisses.

Les quinze premières multinationales suisses n'emploient que le 24,9% de leur personnel en Suisse. Le reste est à l'étranger à raison de 59,5% dans les pays industriels et 15,6% dans les pays en voie de déve- loppement. Grosso modo l'investissement et la production correspon- dent à ces pourcentages, sauf pour l'investissement qui est de 32,4% en Suisse contre 9, 1 % dans les pays en voie de développement. En revanche, les dépenses de recherche sont de 62 % pour la Suisse contre 35 % dans les pays industriels et 3% dans les pays en voie de développement. Ce n'est que par rapport à la recherche que ces entreprises sont encore majoritai- rement suisses. On constate donc que l'économie suisse est en train de se spécialiser surtout dans la recherche, dans les services de direction et, aussi, accessoirement, de finissage.

On peut penser que plus les marchés sont perturbés plus les multina- tionales implantent des usines sur les marchés étrangers en s'autofinan- çant elles-mêmes. Cette politique d'ouverture sur l'étranger a sensible- ment modifié la territorialité helvétique. On touche, dans ce cas, un des paradoxes contemporains de la Suisse: ces multinationales disposent d'énormes moyens qui leur permettent d'influencer la politique suisse, mais, en même temps, leurs activités pour la grande partie d'entre elles ne sont plus sur territoire suisse ... Elles sont si peu sur territoire suisse

qu'elles ont, via le Conseil fédéral, conclu un accord (secret) avec le

Canada pour le transfert des sièges sociaux en cas de guerre en Europe.

Il ne s'agit pas de porter un jugement sur cette situation, mais d'apprécier' ses conséquences. L'espace économique suisse est devenu le monde au • cours des trente dernières années; c'est en multipliant ses relations à l'échelle de la planète que l'économie suisse a pu conserver sa place et assurer le haut revenu par habitant dont nous jouissons. En même temps, cela implique que nous ajustions nos structures socio-culturelles puisque les domaines dans lesquels les Suisses peuvent encore jouer un rôle sont ceux des services et donc de l'information. Nous évoluons vers une éco- nomie informationnelle dans laquelle les biens matériels auront toujours moins d'importance du point de vue économique.

La territorialisation économique suisse héritée de la première moitié du XX' siècle est en pleine transformation. Les branches traditionnelles, pour les grosses unités, se sont déterritorialisées et reterritorialisées ail- leurs dans le monde dans des conditions plus favorables.

La territorialité suisse à l'heure de ses paradoxes

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