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Parole - Ecriture - Sacrements : études de théologie et d'exégèse

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Parole - Ecriture - Sacrements : études de théologie et d'exégèse

LEENHARDT, Franz Jehan

LEENHARDT, Franz Jehan. Parole - Ecriture - Sacrements : études de théologie et d'exégèse . Neuchâtel : Delachaux et Niestlé, 1968, 215 p.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:23187

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PAROLE - ÉCRITURE - SACREMENTS Etudes de théologie et d'exégèse

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BIBLIOTHÈQUE THÉOLOGIQUE

publiée sous la direction de

J.-J.

VON ALLMEN

avec la collaboration de P. BoNNARD, CL. BRIDEL, O. CULLMANN, E. JACOB,

J.-L.

LEUBA, E. MAURIS,

R.

MEHL, PH.-H. MENoun, et R. STAUFFER

La liste des ouvrages parus dans la Bibliothèque théologique se trouve à la fin de ce volume.

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BIBL/0 THÈQUE THÉOLOGIQUE

FRANZJ.LEENHARDT

Professeur à l'Université de Genève

Parole - Ecriture - Sacrements

Etudes de théologie et d'exégèse

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ÉDITIONS DELACHAUX ET NIESTLÉ

NEUCHATEL (SUISSE)

Diffusion en France: DELACHAUX ET NIESTLÉ s. A., 32 RUE DE GRENELLE, PARIS vne

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Tous droits réservés pour tous pays y compris l'U.R.S.S.

© Delachaux et Niestlé s. A., Neuchâtel (Switzerland) 1968

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Préface

Mettre sous les yeux du lecteur d'aujourd'hui des textes rédigés hier, cela ne va pas sans risques. La réflexion théologique va vite actuellement, soit qu'elle s' enri- chisse de biens véritables, soit qu'elle souffre des modes qui se livrent à d'inutiles jeux de massacre.

Cette pensée s'est imposée à moi lorsque les Editions Delachaux et Niestlé prirent l'initiative de constituer un recueil avec quelques-uns de mes travaux et articles anciens.

Au risque d'être anachronique s'ajoute un scrupule. Dans une revue, on laisse souvent imprimer un texte d'occasion pour servir de ballon d'essai et dans l'attente des réactions dont on compte tirer profit. N'est-ce pas, pour un tel texte, honneur trop lourd, de figurer dans un ouvrage qui a l'apparence d'un travail achevé.

Or il ne saurait être question de mettre à jour ces textes, ni de reprendre ceux qui ne furent qu'esquisses, pour en faire une œuvre. Pas davantage ne pouvait-on chercher à rajeunir les bibliographies par un badigeon d'actualité purement factice.

Que le lecteur veuille donc aborder ces pages avec la bienveillance que réclame leur âge, afin de leur épargner des reproches qui aggraveraient injustement ceux qu'elles méritent certainement déjà.

Quelques réflexions sur des problèmes de méthode poseront certains principes de lecture. Il s'agit de chercher à quelles conditions nous exerçons valablement notre pensée théologique et choisissons judicieusement nos vérités. A moins que ce soit elles qui nous choisissent, auquel cas il s'agit de ne pas s'aveugler sur elles et de s'ouvrir à leur appel. Ni l'orthodoxie de la doctrine, ni l'orthodoxie de l'Ecriture ne devraient atténuer la puissance novatrice et rénovatrice de la Parole de Dieu, toujours active et toujours au-delà de nos paroles et de nos choix.

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6 PRÉFACE

Plusieurs titres sont ensuite consacrés aux deux sacrements du baptême et de la cène. On sait la contestation dont la notion de sacrement est l'objet de la part de ceux à qui suffit /'argument que le mot ne se trouve pas dans la Bible. Quant à nous, il suffit que la réalité s'y trouve, ce qui est le cas avec évidence, si l'on a soin de ne pas imposer aux textes des contenus qui ne seraient pas eux-mêmes bibliques. Les essais qu'on lira ici n'excluent pas une réflexion qui tente de rendre compte de ce qui est implicite dans les affirmations de/' Ecriture; mais ils espèrent ne pas sortir du style de pensée que celles-ci déterminent et exigent.

Une réflexion sur les sacrements serait-elle inopportune, en ce temps où la chré- tienté s'inquiète à juste titre de se situer par rapport à un monde qui a cessé de s'in- téresser aux questions qu'elle agite et aux rites qu'elle célèbre .2 Isolée d'une génération qui n'écoute pas sa voix, la chrétienté ne doit-elle pas se détourner des notions qu'elle ne peut rendre accessible à l'esprit du siècle et des << mystères» qu'elle pratique à huis clos pour ses « initiés» .2 Sur cette pente, plusieurs vont jusqu'à prôner que /'on renonce même à parler de Dieu, dont il faudrait proclamer « la mort~ ...

Le malentendu est patent. La question toutefois reste ouverte, de savoir s'il n'y a pas effectivement une certaine notion et un certain usage, que traditionnellement couvre le nom de Dieu et que véhicule la catéchèse classique, notion et usage auxquels il faudrait contester radicalement qu'ils soient conformes à la révélation biblique.

Il en va de même pour les sacrements, doctrine et pratique. Mais quand les rectifi- cations qui s'imposent auront été faites, on comprendra que la rencontre avec le monde profane ne saurait trouver d'obstacle dans le sacrement. Bien plus: le sacrement met en lumière que le profane appartient au domaine du Christ, lequel s'est manifesté précisément dans la profanité de l'humain, avec quoi la profanité des actes sacra- mentels est en directe continuité.

Quant à l'unité des textes proposés au lecteur dans ces pages, elle n'est pas contes- table si on regarde aux thèmes aussi bien qu'à la méthode. Qu'un développement de la pensée se remarque sur tel point ou tel autre, le fait soulignerait qu'il n'y a point, pour la pensée humaine, de saisie définitive des richesses incluses dans la révélation de Dieu en Jésus-Christ. Nous espérons que les explorations successives dont on trouvera ici l'écho ne vont jamais jusqu'à la contradiction. Pût-ce le cas, l'auteur souhaiterait associer le lecteur à sa conviction, qu'il vaut mieux se contredire que rester dans l'erreur, et que, en toutes ces démarches de l'étude et de la réflexion, c'est l'humilité qui convient à tous, auteur comme lecteur.

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PRÉFACE 7 Nous remercions la rédaction des revues où furent publiés plusieurs de ces textes, pour l'autorisation accordée de les reproduire:

« La signification de la notion de parole dans la pensée chrétienne » a paru dans la Revue d'histoire et de philosophie religieuses, I955, n° 3, pages 263 à 273.

« Pour une orthodoxie libérale » a paru dans la Revue de théologie et de philo- sophie, I958, III, pages I6I à I87.

«Sola Scriptura » ou <<Ecriture et Tradition» a paru dans les Etudes théolo- giques et religieuses, I96I, I, pages 5 à 46.

« Le pain et la coupe » a paru dans Foi et Vie, I948, 6, pages 509 à 526.

«La présence eucharistique» a paru dans Irénikon, I96o, 2, pages I46 à I72.

« La structure du chapitre 6 de l'Evangile de Jean » a paru dans la Revue d'his- toire et de philosophie religieuses, I959, I, pages I à I3.

« Le Baptême chrétien » et « Ceci est mon corps » ont été publiés dans la collection Cahiers théologiques ( n°8 4 et 37 ), par les Editions De lachaux et Niestlé, Neuchâtel et Paris, I944 et I955·

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/. Etudes de méthodologie

LA SIGNIFICATION DE LA NOTION DE PAROLE DANS LA PENSÉE CHRÉTIENNE 1

Si l'on excepte le nom de Dieu, il n'est pas de mot qui occupe une place et qui joue un rôle comparable à ceux qui reviennent au mot Parole dans toute la tradition chrétienne, et, avant Jésus-Christ, dans l'hébraïsme d'où elle est issue.

Constater ce fait serait d'un intérêt assez maigre. On collectionnerait des faits bien connus de tous: rôle de la Parole dans la création d'après les mythes de la Genèse, rôle de la Parole dans la révélation de la volonté de Jahvé à Moïse et aux prophètes, rôle encore de la Parole chez les réformateurs deutéronomistes.

Qyand vint l'ère chrétienne, tout culmine si bien dans la Parole de Dieu, que l'auteur de l'Evangile assimile le Christ à la Parole de Dieu, et les prédicateurs appellent leur message la Parole; finalement, l'Eglise appellera le recueil de ses écritures la Parole de Dieu.

Variété et constance d'un usage qui méritent la réflexion. Comment l' expli- quer? Qyelle en est la portée? Pourquoi la notion de parole occupe-t-elle une telle place?

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Qy'est-ce que la parole?

L'étymologie du mot hébreu Dabar nous servira de point de départ. La signi- fication première du terme est: être derrière et pousser en avant; telle est du moins l'étymologie admise par la plupart.

Voilà, en effet, ce qui se passe quand l'homme parle. L'hébreu ne spécule pas abstraitement sur la parole et le langage; il regarde l'homme parler; il analyse l'acte et cherche son essence dans le sujet qui parle. Or, quand l'homme parle, il y a quelque chose qui est derrière, encore caché, et qui pousse en avant. Les mots sont poussés au dehors par ce qui est derrière, la pensée secrète. L'intérieur pousse les mots sur la bouche qui les profère. L'homme en parlant s'ex-prime.

1 Contribution à un symposium organisé par la Société genevoise de philosophie sur<< la Parole et le Langage ».

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10 ÉTUDES DE MÉTIIODOLOGIE

En s'exprimant, l'homme sort de lui-même. Le mouvement que réalise le langage va du sujet humain aux objets. En parlant, l'homme prend place dans le monde extérieur. Il sort de sa subjectivité et il s'insère dans la réalité. Il s'y affirme et y joue un rôle. La parole prend le caractère d'un acte. Qpand l'homme parle, il agit. Le mot Dabar = Parole, a en hébreu également le sens d'événe- ment, circonstance. La parole n'est pas bruit; elle est action, dans laquelle la personne se trouve compromise, présente.

On peut même dire que la parole n'est point une pensée, justement parce qu'elle est un acte, un mouvement qui exprime la personne et imprime un carac- tère nouveau à son milieu. Une courte comparaison avec la notion grecque de la nature de la parole et du langage fera mieux apparaître ce point.

En grec, Àeyeiv c'est rassembler, réunir, énumérer, compter, analyser, penser. Il est caractéristique des deux perspectives que nous rapprochons, l'hébraïque et la grecque, que l'une englobe dans le même vocable parler et agir, et l'autre parler et penser.

Selon la vision hébraïque, l'homme est dans le monde celui dont la parole est action. Ce qui constitue l'essence de l'homme c'est de parler, c'est-à-dire d'agir en exprimant son être secret, en projetant sa conscience sur les choses, en s'im- posant à elles. C'est une vision dynamique de l'homme et des choses. La relation de l'homme aux choses n'est pas de connaissance, mais d'action. Le mythe de la création dans la Genèse assigne à l'homme la tâche de conquérir le monde et de l'utiliser. Tout est histoire et mouvement. L'homme n'est point destiné à l'illu- mination intellectuelle, à la contemplation des idées pures ou des formes par- faites; il ne communie pas avec un logos éternel, principe d'un monde immobile.

Pour l'hébreu, le monde ni l'homme ne sont des données absolues, définissables, enfermées dans leur nature. Le monde a commencé et va quelque part; son essence est de devenir, et la condition de l'homme est vocation.

Le langage reflète cette structure de l'âme hébraïque. On le constate dans la façon même dont le verbe, en grammaire hébraïque, exprime l'action. Le verbe hébreu a seulement deux temps- qu'il faudrait d'ailleurs nommer plutôt des modes que des temps, précisément parce que ces deux formes sont destinées à indiquer, non pas si l'action est présente, passée ou future, mais si elle est ache- vée, parfaite, ou imparfaite, inachevée, en train de se faire. Le verbe exprime donc la qualité de l'action plutôt que le moment. Le futur est, pour l'hébreu, ce qui est inachevé, ce qui attend son accomplissement; mais le moment présent aussi est compris dans son caractère d'imperfection, comme ce qui est en train de se faire et attend un achèvement. Le même mode rend notre présent et notre futur.

Ce futur, c'est ce qui complète et doit finalement achever le présent. Le présent est un devenir qui va vers son accomplissement, il est mouvement, il est histoire.

Le langage exprime ici encore des comportements psychologiques profonds.

Pour distinguer présent, passé, futur, il faut découper la réalité en éléments statiques, les saisir analytiquement et les grouper en chaînes pour les compter;

ce sont les opérations caractéristiques de la pensée grecque, qui circonscrit les

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LA NOTION DE PAROLE DANS LA PENSÉE CHRÉTIENNE II

choses dans des définitions et finalement englobe le monde dans sa propre défi- nition. Parler, c'est définir. La parole explique les phénomènes.

Le langage hébraïque saisit la réalité dans sa qualité, et au lieu de prendre la réalité pour ce qu'elle est, il la réfère à une perfection, à une fin. Les choses sont ce qu'elles deviennent. Ce qu'il y a de plus réel en elles n'est pas la position qu'elles occupent à un moment, et par rapport à d'autres moments antérieurs ou postérieurs; leur véritable réalité n'est pas dans ce qu'elles sont, mais dans ce qui les fait être. Je pense que l'on peut ici évoquer. sans abus l'élan vital de Bergson, dont la pensée s'avère plus fidèle qu'il ne l'a peut-être cru lui-même à la tradition philosophique et religieuse qui l'avait nourri. Le langage hébraïque exprime une pensée qui saisit les choses dans le mouvement qui les pousse à sortir de derrière pour venir à la pleine existence, à une existence toujours plus riche et plus complète. Le monde est compris sous l'angle d'une vocation à l'être. C'est encore dans la ligne authentique de l'hébraïsme que s'inscrit, on le voit, la doctrine de cet autre éminent enfant d'Israël qui rappela que le monde n'était pas tant à expliquer qu'à transformer. Bergson et Marx réagissent de la même façon au statisme de la pensée grecque. Le messianisme de K. Marx relève, comme le bergsonisme, d'une vision dynamique et qualitative du monde. Ce qui est, c'est ce qui sera; la fin explique les moyens : les temps derniers sont la justification de l'histoire. L'opposition de la morale close à la morale ouverte relève des mêmes catégories de pensée. Parler, c'est agir. La parole n'explique pas les phénomènes, elle les crée.

Revenons encore à une remarque précédemment faite. Pour dire. ce qu'est le langage, l'hébreu considère l'homme en train de parler. Il ne sépare pas la parole prononcée de celui qui la prononce. La parole est un phénomène humain. La conception hébraïque du langage et de la parole est, en effet, déterminée par la façon « humaniste » dont l'homme hébraïque se comprend et se situe dans le monde. L'hébraïsme est- aussi- un humanisme, et c'est le lieu de rappeler que le marxisme a été d'abord et demeure essentiellement, lui aussi, un huma- nisme.

Le langage est l'expression de la personne. Il n'est pas la réaction de l'homme au monde extérieur, mais l'emprise de l'homme sur ce monde. Dans le langage, ce n'est pas le monde qui vient à l'homme et s'impose à lui; c'est l'homme qui va au monde pour le dominer. Il y a en lui un acte de puissance, une manifestation d'autorité. La parole hébraïque n'est pas logos, elle est praxis. Elle est comman- dement, efficacité. Le curieux mythe de la tour de Babel illustre pathétiquement cette puissance du langage humain; l'union faisant la force, c'est à l'unité du langage que le mythe reconnaît la suprême manifestation de la puissance orgueil- leuse de l'homme. Parce qu'ils parlent une seule langue, les hommes sont devenus des concurrents dangereux pour la puissance divine.

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12 ÉTUDFS DE MÉTHODOLOGIE

Ce qui est vrai de l'homme et de la parole est vrai de Dieu et de la parole de Dieu. La parole de Dieu, c'est sa puissance souveraine sur la création.

La religion égyptienne enseignait que le dieu Atum d'Héliopolis avait créé le monde par la parole. Mais pour donner naissance au monde, Atum avait mis son sperme dans sa bouche, et il avait craché. Le monde était donc né comme une émanation; il était un écoulement de la substance vitale.

Le Dieu d'Israël crée sans aucun intermédiaire. Puis, sur une matière créée mais informe, il prononce une parole souveraine qui l'ordonne et la qualifie.

Non seulement on affirme ainsi la souveraineté originelle de Dieu par l'idée d'une création qui ne doit rien à rien- mais encore on affirme la souveraineté continuée de Dieu agissant par la parole. Le monde n'est pas dominé par une force vitale immanente ; il est dirigé par une personne qui parle aux objets, dont elle se distingue pour leur imposer sa :volonté.

Selon cette conception, le monde est donc le fait d'une parole, il est un langage de la divinité. L'homme dans l'existence n'est pas confronté à un cosmos que domine une logique interne et fatale : volentem fata ducunt, nolentem trahunt.

Le monde au contraire est une parole, l'instrument d'un dialogue. Il a un sens.

Il dit quelque chose sur celui qui l'a ordonné. L'homme est appelé à répondre.

Q!I'il s'agisse de l'étonnement ou de l'angoisse, par la voix de la conscience ou du silence des espaces infinis, le monde inquiète l'homme et le met en cause.

Si l'homme sait entendre la parole qui lui est ainsi adressée, cette inquiétude est génératrice de personnalité, de responsabilité, de liberté.

Le Dieu d'Israël, cependant, ne parle pas seulement par les voix silencieuses du monde. L'expérience humaine la plus riche a été stimulée, en Israël, par cette assurance que l'homme est dominé, créé et dirigé par un Dieu qui ne cesse de parler. On sait l'importance que les narrateurs bibliques ont attribuée aux récits de vocation, parce qu'ils illustrent comment le Dieu qui parle fait lever un homme et crée une personnalité, comment un homme émerge des conditionne- ments sociaux et économiques lorsqu'il prend conscience de la parole intérieure qui lui est adressée.

Parmi ces hommes, les grands prophètes sont les figures les plus connues.

A leur propos, il serait nécessaire de souligner plus longuement que la parole de Jahvé - le Debar Jahvé- retentit dans leurs bouches, non comme un simple discours, mais comme une action réelle, qui insère dans l'histoire nationale et internationale les volontés de Jahvé. Le Dieu des prophètes est un Dieu qui parle, parce qu'il dirige l'histoire. Selon l'expression d'un prophète: sa parole ne retourne pas à lui sans avoir produit son effet.

C'est encore la notion d'alliance qu'il faut évoquer dans ce contexte. On en sait le rôle capital dans la vie religieuse et politique d'Israël. Or l'alliance traduit concrètement la doctrine de la parole. L'alliance est un échange de paroles, un

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LA NOTION DE PAROLE DANS LA PENSÉE CHRÉTIENNE 13

dialogue. Israël sait qu'il est engagé dans une existence dialoguée. L'hébreu est toujours dans une condition de réponse, et il conçoit que telle est la condition de tout homme, puisque l'alliance noachique embrasse toute l'humanité.

Pour l'hébreu, l'homme est essentiellement un être capable de répondre, un respons-able.

Dans ce dialogue, l'hébreu pense que c'est Dieu qui aura le dernier mot, et cela jette sur lui un jour particulier et caractéristique. L'alliance donne à l'histoire un caractère dynamique. L'alliance est ouverte sur l'avenir; elle est assortie de promesses, elle annonce ce qui sera. Q!Iand Dieu parle, il crée des possibilités nouvelles. La parole est essentiellement créatrice, non seulement du passé, mais du futur. L'hébreu vit dans la lumière de ses espérances, fondées objectivement en un Dieu qui n'est pas le moteur immobile de l'histoire, mais son artisan.

Parole et eschatologie sont aussi solidaires au plan de l'histoire que parole et liberté au plan de la personne. L'histoire ne se recommence pas toujours. Le dialogue avec Dieu est générateur de la liberté qui insère dans l'histoire ce qui ne relève pas de l'histoire, ce qui la transcende et la finalise, ce qui donne à chaque situation sa signification dernière au-delà de l'histoire.

* ... *

Dans le christianisme, la philosophie de la parole, comme la théologie de la parole, demeurent identiques à ce qu'elles sont dans l'hébraïsme.

La seule nouveauté- elle est capitale- c'est que le Debar Jahvé trouve son accomplissement. La levée messianique de Jésus de Nazareth se présente comme une manifestation caractéristique du Debar Jahvé. Les contemporains sont frappés de ce qu'il enseigne «avec autorité». Non pas avec compétence; les scribes, ses adversaires, étaient gens compétents. Mais cette autorité singulière, c'était l'efficacité d'une parole capable d'atteindre au monde des existences, de confondre des hypocrites, de créer des situations nouvelles. Jésus parle «avec autorité» parce que l'histoire prend, pour qui l'écoute, une dimension nouvelle.

En langage d'évangile, on parle du royaume de Dieu; cela veut dire que l'homme sous son autorité est soustrait au domaine des choses et de la facticité, et jeté dans une aventure nouvelle sous le domaine de Dieu. Les horizons changent totale- ment; il se produit sous l'effet de cette parole reçue par celui qui a des oreilles pour entendre, une révolution intérieure, une IJETavo{a. Il en est d'un tel . homme, comme d'un terrain ensemencé. Jésus a comparé plusieurs fois sa parole à une semence jetée en terre. La comparaison évoque bien la dynamique propre à cette conception de la parole. Une fois le terrain ensemencé, toutes les perspec- tives changent: le présent débouche sur l'avenir; le temps final de la moisson éclaire le temps présent. Les choses et l'homme sont ce qu'ils sont en train de devenir sous la pression d'une parole qui inaugure les << temps nouveaux ».

L'homme qui accueille cette semence laissera les morts ensevelir les morts; son histoire est devant lui, non derrière.

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14 ÉTUDES DE MÉTHODOLOGIE

Il faut dire davantage. Le Dehar Jahvé n'est pas seulement annoncé comme parole. Il est manifesté en personne. Cette parole est, en effet, inséparable de la personne qui la parle, parce qu'elle est personnelle au plus haut point.

Socrate ne voulait pas être appelé ôtôéxo-I<cxÀos; il s'effaçait avec modestie derrière sa méthode. En dernière analyse, il n'avait rien de tout à fait nouveau, rien de créateur à apporter, car il cherchait à vaincre chez chacun l'ignorance de soi-même. Sa parole n'était point semence, mais thérapeutique.

Me trompé-je en pensant qu'il y a un contraste très instructif dans la façon dont Jésus se présente? Personne ne soupçonnera que ce soit un manque de modestie qui fait dire à Jésus: «Venez à moi ... ; moi je vous dis ... ; suis-moi ... », etc. S'il ne s'efface pas modestement derrière son message, c'est que son message et sa personne sont inséparables, étant la même chose. Sa parole est acte en lui, le Dehar Jahvé est maintenant réellement concret et actif, il se manifeste dans l'histoire en celui-là précisément qui l'annonce. Sa personne, c'est ce qu'il dit à l'état vécu, à l'état incarné.

On voit que nous touchons à l'aboutissement de la conception hébraïque de la parole. On en trouve l'expression classique dans le prologue du 4e Evangile.

Le Dehar Jahvé est si bien ce que Dieu fait en parlant, qu'il y a coalescence du Dehar Jahvé et de l'histoire. Le Dehar Jahvé est coextensif à une o-éxpÇ.

Avant de quitter les évangiles, quelques mots au sujet de la parole certaine- ment la plus énigmatique que Jésus ait prononcée. Elle nous apporte une illus- tration frappante de la conception du langage que nous avons esquissée.

~elques heures avant son arrestation, Jésus distribua du pain à ses disciples en leur disant: « Ceci est mon corps. >> Laissons de côté les questions n'intéressant pas directement notre sujet. Il reste que voilà une singulière manière de parler, quand on donne un bout de pain à manger à ses amis. Faut-il dénoncer ici quelque inflation du langage ou quelque défaillance de pensée?

La difficulté que la pensée chrétienne a, jusqu'à maintenant, rencontrée à comprendre cette déclaration est susceptible, me semble-t-il, d'une solution finalement assez simple, qui n'enlève rien au mystère de fond, mais le dégage des pseudomystères parasites.

Si les mots sont destinés à définir des objets, si leur contenu est donné par une réalité préalablement circonscrite, dénombrée, pensée dans son objectivité statique, la déclaration de Jésus ne peut recevoir aucun sens valable.

Il en va assez différemment, si l'on se souvient de ce que l'hébreu pense faire, quand il parle. Parler, pour lui, ce n'est pas définir l'objet dans son inertie sta- tique. Ce qui importe à l'hébreu, dans la parole, c'est celui qui parle, plutôt que ce qu'il dit. Le langage, pour lui, n'est pas avant tout dans sa signification, dans sa relation à l'objet; il est avant tout dans sa relation au sujet, dans l'ex-pression.

Il est l'acte par lequel un sujet se situe dans le monde et situe le monde par rap- port à soi. En parlant, l'homme s'exprime, davantage qu'il n'exprime les objets.

En nommant les choses, il ne les définit pas, il les oriente. Il pose une relation vivante de lui à elles. Il les tire du néant de leur objectivité inerte, pour les loo qua-

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LA NOTION DE PAROLE DANS LA PENSÉE ŒIRÉTIENNE 15 lifier. Il en fait quelque chose, de rien qu'elles sont malgré leur« être là», malgré leur «être en soi». Le monde de l'objet pur n'existait pas pour l'hébreu, qui ne reconnaissait pas à la création une valeur propre, une finalité immanente. Le monde extérieur existe pour l'homme. La façon dont l'hébreu parle et comprend son langage traduit cette position fondamentale de la conscience de soi dans le monde.

Du seul point de vue de la technique du langage, il me paraît que la parole si énigmatique de Jésus s'intègre dans un tout qui l'éclaire. Un éclairage com- plémentaire, de ce même point de vue, peut venir encore de la réflexion philo- sophique contemporaine sur ce même problème de la relation du langage et de la personne. Voici, par exemple, quelques lignes d'un philosophe sur le langage:

«Le nom crée l'objet, seul il atteint par-delà l'inconsistance des apparences ...

La parole en sa réalité plénière manifeste le pouvoir surnaturel de l'homme qui, en allant au monde, donne un sens à soi-même et au monde. Œuvre maîtresse en laquelle chaque personnalité manifeste ce dont elle est capable, sa vertu créa- trice ou son impuissance ... » (G. Gusdorf, La Parole, p. 35 et 44).

N'est-il pas curieux que le philosophe emploie ici, pour décrire la parole commune, des mots si familiers au théologien en cette circonstance: pouvoir surnaturel, vertu créatrice? ... L'application de ces citations au cas qui nous occupe, n'est-elle pas aisée et éclairante? La parole, nous dit-on, nous place en face du mystère même de l'homme. Elle participe à ce mystère, elle le traduit.

L'homme parle selon ce qu'il est. Le langage très singulier de Jésus en cette occasion pointe vers l'énigme de sa propre personne. Avec force, il impose à l'examen le problème que toute parole soulève, et que celle-ci soulève de façon massive, le problème de la relation de l'homme aux choses; car le langage traduit cette relation, la fait connaître tout à la fois et l'engendre. Problème essentiel de toute existence, de savoir si les choses sont pour l'homme ou l'homme pour les choses.

Mon propos n'est point d'expliquer en quel sens Jésus a déclaré que le pain est son corps 1J'ai voulu seulement montrer comment cette déclaration était possible; quelle conception du langage elle supposait chez lui et chez ses audi- teurs. Les mots avaient pour lui cette «vertu créatrice» que le philosophe leur reconnaît quand une personnalité se manifeste, ce « pouvoir surnaturel » qui nomme les objets en fonction de la relation qu'établit avec eux la liberté du sujet s'affirmant dans l'usage qu'il en fait. Le langage est là, de façon éclatante et unique, le signe de la souveraineté de l'homme sur le monde.

* * *

1 Pour un développement plus complet de ces remarques, v. FRANz-]. LEENHARDT, «Ceci est mon corps.» Essai d'une explication de ces paroles de Jésus-Christ, Neuchâtel et Paris, Delachaux et Niestlé, 1955.

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16 ÉTUDES DE MÉTHODOLOGIE

Très brièvement, j'évoquerai pour conclure la destinée du langage dans le mouvement de pensée et d'action issu de Jésus. Deux réflexions suffiront à ce propos.

D'une part, Jésus lui-même a orienté le développement ultérieur de la doc- trine de la parole. Il chargera ses disciples d'une mission qui reproduirait et prolongerait la sienne. « Qyi vous écoute, m'écoute.» La problématique de la parole est la même pour la parole des disciples, qu'elle était pour celle du maître;

au point que la personne de Jésus elle-même, bien que retenue dans ses limitations historiques, y joue tout de même le rôle central. C'est lui qui parle ce que les autres disent. Ses messagers ont conscience de n'être que des intermédiaires, l'apôtre Paul dira des ambassadeurs, en même temps qu'ils proclament l'impor- tance décisive de leur message, odeur de vie ou odeur de mort. Ce contraste d'hu- milité et d'assurance, de simplicité et d'audace, repose sur la doctrine de la parole, reçue du Christ Jésus et transmise en son nom.

La parole est donc l'instrument de travail par excellence des successeurs de Jésus, comme c'était déjà l'unique outil de Jésus lui-même. Mais avec cela, aucune tentation de tomber dans la magie verbale. Les mots n'ont au fond aucune importance propre. Ce Jésus dont la parole est l'unique outil ne se soucie pas un instant de fixer ce qu'il dit par écrit. Ses disciples eux-mêmes n'auront ce souci qu'assez tardivement et pour parer au pire. Socrate n'a rien écrit non plus ; mais la place de la personne de Jésus dans son enseignement, comme nous l'avons relevé plus haut, donne une tout autre portée à son abstention. En revanche, Mahomet laisse le Koran, qui passe pour lui avoir été dicté par Gabriel d'après l'original qu'il lisait dans le ciel (voir c. 95 et 97); l'arabe (sauf erreur) est la langue de Dieu ; les mots doivent être religieusement respectés. Le langage chrétien est, au contraire, placé sous le signe de la diversité, de la relativité et de l'adaptation. Il n'y a pas de langue sacrée. Il ne peut pas y en avoir, étant donnée la relation immédiate du langage et de la personne, qui exclut tout objectivisme verbal. Ceci amorce la deuxième remarque.

La chrétienté a eu une conscience aussi forte de la relativité du langage, que de sa nécessité. Instrument nécessaire au plan des relations humaines, le langage cesse d'être adéquat au plan des relations religieuses. Alors que la parole occupe la place que nous avons dite, il faut noter en terminant comment l'apôtre Paul, se faisant l'écho d'une persuasion générale, enlève à la parole humaine toute auréole et tout prestige. Il estime naturellement qu'il faut parler un langage intelligible au cours des assemblées, mais il reconnaît l'inadéquation, l'impuis- sance de ce langage humain quand il s'agit de parler à Dieu. Il sait que les mou- vements les plus profonds de la vie intérieure ne peuvent s'exprimer que par ce qu'il appelle des cnsvay~ol &ÀaÀT)TOl (Rom. 8. 26), gémissements qui ne peu- vent se traduire dans un langage ; il oppose aux propos enseignés par la sagesse de l'homme ceux qu'enseigne l'esprit (Àa:Àov~sv ovK êv StSCXKTois àv6po.>lrfv'T)s aoq>ia:s Àoyots, àÀ/1..' èv StSCXKTois Tivsv~CXTos, Tivsv~a:TtKois Tivsv~a:TtKà

avyKpivovTss, 1 Cor. 2. 13); il a entendu dans un ravissement des paroles

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LA NOTION DE PAROLE DANS LA PENSÉE CHRÉTIENNE 17 indicibles (â:ppTlTCX PTJIJCXTCX,

a

OVK éÇov âv6pOO'ITC}> ÀcxÀfjO"cxl, 2 Cor. 12. 4) qu'il n'est pas permis à un homme de parler. Ainsi, le langage humain, sous la poussée intérieure, éclate et se transforme en un langage que la sagesse de l'homme traite de folie. Faut-il ici évoquer l'aventure de la poésie moderne qui brise le langage pour le rendre plus docile à la spontanéité? Faut-il encore trouver ici une justifi- cation profonde de, ce qu'on appelle le patois de Canaan? Pour ma part, je le crois! Il y a dans l'expression de la foi quelque chose d'irréductible à la raison.

Ce langage religieux est toujours, par quelque côté, symbolique et mythique, et les formules plus sèches des dogmes participent de ce caractère. Les comprendre comme des énoncés de raison ou des formules explicatives, c'est oublier ce que l'hébraïsme a enseigné au christianisme sur la nature et la fonction du langage.

Mais notons enfin que cette réserve à l'égard du langage ne va pas jusqu'à l'éloge et la recherche du silence. Le silence auquel les mystiques non chrétiens aboutissent - et auquel les mystiques chrétiens ne devraient pas aboutir - ne peut trouver place dans une perspective où les relations de l'homme à Dieu demeurent strictement personnelles. Le langage est le mode de relation des personnes. La foi est toujours, pour la pensée chrétienne, un appel et une réponse;

elle est dialogue.

2

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POUR UNE ORTHODOXIE LIBÉRALE

L'usage habituel des mots «orthodoxie» et «libéralisme« ne facilite pas l'examen des problèmes que pose la coexistence de ces deux courants de pensée au sein de la théologie protestante. Qyelles réalités recouvrent-ils? Où passent les frontières qui définissent la configuration spécifique de chacune? Qyels prin- cipes fondamentaux les caractérisent? Il est rare que l'on ne soit l'orthodoxe ou le libéral de quelqu'un. Une surenchère toujours renaissante déplace les éti- quettes. Sont aujourd'hui suspectes d'orthodoxie, ou de libéralisme, des positions sur lesquelles aucun soupçon ne pesait hier encore. Pour ne donner, de ce jeu de massacre, qu'un exemple bien connu, voici Alexandre Vinet et Gaston From- mel, champions de l'orthodoxie jadis, dénoncés maintenant comme fourriers du libéralisme, sinon par K. Barth qui paraît les ignorer totalement, du moins par ses disciples de langue française. Mais ce même K. Barth, stigmatisé pour son orthodoxie par ceux qu'il dénonce sous le nom de néo-protestants, se voit vio- lemment accusé par les fondamentalistes américains de ruiner la foi orthodoxe.

La confusion que révèlent ces polémiques se complique encore, du fait qu'aux yeux des théologiens catholiques romains toute la théologie protestante, même quand elle s'affirme orthodoxe, est marquée du sceau du libéralisme, pour la raison suffisante qu'elle se développe indépendamment de la véritable garantie de l'orthodoxie, celle que le Christ a établie en donnant à Pierre la responsabilité totale de son Eglise. Fût-on orthodoxe sur tous les articles de la foi, cette ortho- doxie matérielle n'a aucune valeur formelle, du seul fait qu'elle ignore la démarche essentielle de la foi, qui est de reconnaître l'autorité du Christ en son vicaire.

Ce jugement devrait mettre un peu d'humilité dans le cœur de ceux qui se posent en champions de l'orthodoxie protestante. Mais le plus intéressant pour notre propos n'est pas là. Un tel jugement montre que le problème posé par la coexis- tence de l'orthodoxie et du libéralisme dans le sein du protestantisme, ne soulève pas seulement un problème épisodique. C'est le protestantisme même, en son essence, qui se trouve mis en cause. L'orthodoxie romaine prétend être la seule orthodoxie véritable, parce qu'elle est garantie par un système d'autorité complet.

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POUR UNE ORTHODOXIE LIBÉRALE 19 En regard de cette orthodoxie-là, pour laquelle le Syllabus n'a pas été un accident, de quelle nature peut bien être une orthodoxie protestante? En d'autres termes, quelles définitions donner de l'orthodoxie et du libéralisme, qui s'inscrivent dans .la position spécifique de la foi protestante ?

* * *

Si l'on s'en remettait aux intentions les plus couramment invoquées par les orthodoxes et par les libéraux, on n'atteindrait pas le nœud véritable de la question.

Certes, il est vrai que les orthodoxes se· posent en défenseurs de la foi tradition- nelle et qu'ils s'attachent, pour cela, aux formules classiques de cette foi. Pour la même raison, ils condamnent les libertés que prend le libéralisme, stigmatisant le droit que ce dernier s'arroge de choisir dans le dépôt des vérités révélées au nom de la raison, de l'histoire, de la conscience, etc.

Les défenseurs du libéralisme, de leur côté, s'élèvent contre l'étroitesse d'esprit et le manque de courage intellectuel d'une orthodoxie qui, depuis vingt siècles, n'a rien appris ni rien oublié. Ils condamnent le formalisme, la sclérose, l'artificialité d'une pensée qui s'attache aux mots et refuse d'affronter franche- ment les problèmes fondamentaux imposés par la culture contemporaine.

Toutefois l'orthodoxie et le libéralisme ne doivent pas être réduits à ce qui est l'aspect polémique de leur position. Il faut chercher le principe fondamental de l'une et l'autre attitude, si l'on veut comprendre chacune en elle-même et dans sa signification en regard de l'autre. Les hommes se jettent des reproches réciproques, et trop souvent sans charité. Mais les systèmes ont une essence propre, que ces polémiques ont voilée aux yeux même de ceux qui s'en firent les protagonistes. On a montré beaucoup d'empressement pour abattre le contra- dicteur, au lieu de chercher la raison dernière des positions que l'on défendait.

On a été d'autant plus incompréhensif à l'égard des autres, qu'on avait davantage négligé de se mieux comprendre soi-même.

Q!I'est-ce donc que l'orthodoxie?

En son intention fondamentale, l'orthodoxie traduit une volonté de fidélité.

Le mot l'indique déjà:« orthodoxie» désigne la pensée droite, l'opinion correcte, par où l'on entend la pensée conforme à la règle, à la tradition, celle qui ne dévie pas des origines. L'orthodoxie consiste donc dans la permanence, dans la stabilité.

Elle entend suivre la ligne tracée par les générations antérieures et sauvegarder le patrimoine hérité. QJeod semper, quod ubique, quod ab omnibus creditum est, selon la formule de Vincent de Lérins 1• La question de savoir de quelle manière se réalisera adéquatement le souci de fidélité qui anime l'orthodoxie est une autre

1 C'est en ce sens également que l'on parle d'une orthodoxie marxiste, par exemple. Il arrive souvent que l'opinion dominante soit prise pour norme et confondue avec l'opinion orthodoxe;

l'orthodoxie n'est plus alors que du conformisme. Un journaliste parlait récemment des« pan- toufles orthodoxes », pour évoquer la situation confortable de celui qui se range à l'opinion du parti au pouvoir.

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20 ÉTUDES DE MÉTHODOLOGIE

question, et la soulever c'est déjà évoquer, en son principe, la réaction qui carac- térise le libéralisme.

* * *

Il n'y a aucun paradoxe, en effet, à soutenir que le libéralisme partage avec l'orthodoxie le souci de fidélité. Q!Iand le libéralisme reproche à l'orthodoxie sa façon étriquée, surannée, de saisir la vérité chrétienne, quand jl fait effort pour se libérer des formes caduques de la pensée traditionnelle, quand il court cette grande et belle aventure qui consiste à dégager l'essentiel des éléments accessoires ou périmés qui obstruent l'accès aux vérités centrales du christianisme, il ne faut pas s'empresser de dire que le libéralisme cherche à se débarrasser des doctrines qui offusquent son rationalisme. Il faut d'abord apprendre à reconnaître dans de telles démarches, une recherche de l'authentique, une aspiration vers un chris- tianisme purifié. Au lieu de faire les pudiques devant cet effort de purification, les formes du christianisme qui se disent orthodoxes devraient avoir la loyauté de confesser qu'elles ont toutes, elles aussi, opéré sur plus d'un point une sem- blable purification. L'orthodoxie d'aujourd'hui n'est plus la même que l'ortho- doxie d'il y a vingt siècles, bien qu'elle ne se l'avoue pas. Comme l'orthodoxie, le libéralisme est donc soucieux de la pensée originelle, bien qu'il se place, pour la retrouver, à un autre point de vue que ne fait l'orthodoxie. Plusieurs contem- porains se réclamant du libéralisme ont exprimé très nettement leur désir de fidélité. Harnack a pu donner pour titre à l'un des manifestes les plus connus du libéralisme L'Essence du christianisme. De même, Auguste Sabatier pouvait élever sur les ruines des religions d'autorité ce qu'il appelait La religion de l'esprit, en déclarant qu'enfin le christianisme avait recouvré sa forme authentique. Ici encore, réservons la question de savoir si l'intention atteint son but. Pas plus que l'ortho- doxie n'est assurée d'accomplir son vœu de fidélité par la méthode qui est la sienne, pas davantage le libéralisme par la méthode contraire. Mais la contrariété des méthodes ne signifie point l'opposition des visées.

Je crois donc que l'on peut jeter quelque clarté sur le problème qui nous occupe, si l'on consent à reconnaître dans l'orthodoxie et le libéralisme deux formes de fidélité. Mais alors, comment se fait-il qu'une commune fidélité ait engendré des systèmes si radicalement divergents? Comment expliquer et peut- on encore justifier ensemble, en dépit de leur commune intention première, deux démarches que l'on voit aboutir à des résultats qui s'excluent?

Afin de répondre à ces délicates questions, il faut trouver la raison fondamen- tale de l'une et l'autre démarche. Cela nous aidera à ne point confondre la signi- fication essentielle de ces démarches contraires, avec les formes particulières et plus ou moins heureuses- et parfois très malheureuses- qu'elles ont revêtues dans l'histoire.

* * *

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POUR UNE ORTHODOXIE LIBÉRALE 21

La fidélité de l'orthodoxie et la fidélité du libéralisme ont le même objet, que je désignerai de façon très succincte en disant: l'évangile de Jésus-Christ.

Or cet évangile, par sa nature même, réclame deux fidélités. Il réclame de nous, d'une part, que nous regardions aux sources. Car l'évangile est un donné. Il est historiquement défini. Il est inséré dans des faits et dans un témoi- gnage, que la critique peut avoir à préciser, mais auxquels il est nécessaire de revenir incessamment.

Cependant, l'évangile est aussi une prédication actuelle et vivante. Il n'est pas une pièce de musée qui intéresserait des archéologues. Il s'adresse à l'homme d'aujourd'hui, pour l'atteindre au centre de son existence, afin de lui apporter la Parole de vie.

D'une part, il y a regard rétrospectif vers l'élément originel, vers ce qui est donné une fois pour toutes. On n'invente pas Jésus-Christ. On le reçoit de ceux qui l'ont reçu avant vous. Il y a nécessairement transmission, tradition.

D'autre part, il y a regard prospectif vers ceux auxquels il faut transmettre l'évangile reçu. Le témoignage engendre le témoignage. Le nom de Jésus-Christ appartient au passé par l'incarnation. Il appartient à l'avenir par la prédication.

Ainsi la pensée chrétienne est en équilibre entre ces deux conditions de son existence. Elle doit ce qu'elle est à sa fidélité à ses origines. Elle n'est ce qu'elle doit qu'au prix d'une certaine liberté à l'égard de ces mêmes origines. Car on ne peut annoncer valablement l'évangile qu'en se tenant au plus près des données originelles. C'est pourquoi il faut inscrire dans le rythme vital de la pensée chré- tienne un moment d'orthodoxie. Cependant, on ne peut annoncer l'évangile efficacement, qu'en assumant les risques d'une courageuse liberté, faute de quoi il perdrait quelque chose de son actualité pour les générations successives. La fidélité n'est pas du psittacisme. La Parole de Dieu s'est révélée dans des circons- tances historiques, sociales, intellectuelles, qui ne sont plus les nôtres. L'évangile a été exprimé dans une langue, et en fonction d'une mentalité, auxquelles nous n'avons point accès de plain-pied. Il doit éclairer des problématiques perpé- tuellement nouvelles. Voilà autant d'éléments de contingence, autant de facteurs de variabilité. Pour dire aujourd'hui la même chose qu'autrefois, il faut le dire autrement. Non nova sed nove. L'évangile est un trésor à l'intégrité duquel l'or- thodoxie veille jalousement. Mais ce trésor, comme la manne, se corrompt si on le capitalise. Il nous est confié pour en faire un usage généreux. Nous devons l'exposer à tout instant dans les promiscuités de la rue, faute de quoi nous nous attirerons le reproche de l'avoir coupablement enfoui sous prétexte de le sauve- garder. Une chrétienté qui a peur de compromettre l'évangile dans des investisse- ments nouveaux, fussent-ils aventureux, imite le mauvais serviteur de la parabole, qui se perdit pour avoir voulu sauver sa mise. La fidélité à courte vue de l'inté- grisme n'est qu'une lâcheté, et par conséquent une infidélité.

La condition de la pensée chrétienne est donc instable et difficile. Elle subit une tension continuelle. Tantôt elle se contracte pour retourner aux sources. Le souci de pureté l'emporte alors. Tantôt elle se dilate, elle s'ouvre aux perspectives

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22 ÉTUDES DE MÉTHODOLOGIE

neuves, elle cherche le contact. Le souci d'incarnement l'emporte alors. Condi- tion écartelée d'une pensée placée entre les deux devoirs d'être fidèle à ses ori- gines, et d'être en même temps fidèle à ses fins.

Dans cette double obligation, on a reconnu le principe qui justifie l'effort de l'orthodoxie et l'effort du libéralisme.

* * *

Justifier le principe qui engage la réflexion chrétienne dans les voies de l'or- thodoxie et du libéralisme, ce n'est pas encore approuver la façon dont les hommes engagés dans ces voies ont, en fait, accompli la tâche à laquelle ils se sont dévoués.

La difficulté majeure à laquelle ces hommes se sont trouvés confrontés, ·résultait de l'état de tension qui vient d'être signalé. Il suffit de prendre au sérieux l'une de ces deux fidélités, pour courir le risque de négliger l'autre et de rompre l'équi- libre. Chacune des démarches nécessaires pour assurer la fidélité totale à l'évan- gile de Jésus-Christ cache en elle des tentations auxquelles l'esprit et le cœur de l'homme résistent difficilement. Comment satisfaire à des exigences qui paraissent s'exclure?

Q!Iand le souci de pureté l'emporte, la pensée tend à se contracter, à se dur- cir, à se scléroser. On en vient à flairer l'hérésie partout. On dénonce à tort et à travers ce que les orthodoxies politiques appellent aujourd'hui le déviationisme, ce que les orthodoxies ecclésiastiques ont appelé le modernisme. On insiste sur la doctrine officielle, à laquelle on donne des formules toujours plus précises.

On entoure ces formules de garanties toujours plus sûres, jusqu'au jour où, par un mouvement incoercible de l'exigence d'orthodoxie, on en vient à les déclarer irréformables ou à les placer sous le signe de l'infaillibilité (biblique ou pontifi- cale, traditionnelle, conciliaire ou synodale!). C'est la tentation de toute ortho- doxie qui se suffit à elle-même, de tendre à sauvegarder la vérité en l'entourant d'une autorité toujours plus indiscutable. Le mouvement de systole, qui est celui de l'orthodoxie, s'immobilise dans une pensée appauvrie. On fait de l'ar- chaïsme. L'objet de la foi tend à se détacher de la foi qui ne le saisit plus dans un acte vivant. On le considère toujours plus en lui-même et pour lui-même, auréolé de l'autorité formelle qui le place au-dessus de toute saisie, de toute discussion. C'est ainsi que, dans l'organisme vivant de la pensée chrétienne, se développent ces deux virus de toute orthodoxie: l'objectivisme et l'autoritarisme.

A l'inverse, quand le souci de contact et d'incarnement inspire la démarche intellectuelle, on est menacé à chaque pas de glisser sur les bas-côtés et de perdre l'axe central de la pensée chrétienne. L'expérience l'a cent fois démontré. On veut se faire comprendre, et l'on est poussé à réduire son propos afin de le rendre plus accessible. On veut se placer au point de vue de son interlocuteur, momen- tanément, afin d'engager le dialogue; mais on court grandement le risque de s'y installer pour toujours si le dialogue s'est bien engagé, car on pressent bien qu'il serait très difficile de poursuivre si on l'abandonnait. L'intérêt que l'on porte

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POUR UNE ORTHODOXIE LIBÉRALE 23 ainsi à ceux que l'on interpelle menace l'intégrité de ce que l'on doit leur dire.

Par charité on se fait un devoir de l'imprécision de la pensée, qui facilite les com- promis et tolère de véritables contradictions. On émousse les vérités pour que nul ne se considère exclu par aucune. On recourt aux effusions sentimentales et l'on condamne les formulations précises, les dogmes en particulier. Les « croyan- ces » sont déclarées non nécessaires, voire dangereuses pour la foi. La sincérité suffit à tout. C'est ainsi que, dans l'organisme vivant de la pensée chrétienne, se développent ces deux virus de tout libéralisme: le subjectivisme et l'agnosticisme dogmatique.

A la limite, une orthodoxie extrême se repliera sur elle-même, à ce point qu'elle n'exercera plus d'action autour d'elle. Elle aura rompu avec le temps.

Elle aura fait de l'Eglise un ghetto où l'on ne consommera plus que des nourri- tures d'une pureté absolument contrôlée.

Un libéralisme trop largement ouvert se trouvera dans le cas contraire, mais il n'exercera pas plus d'action parce qu'il aura laissé la substance de la foi se dis- soudre et se perdre dans les grands courants de la pensée contemporaine. Le syncrétisme n'est pas une moindre menace que l'intégrisme.

* * *

L'histoire de la pensée chrétienne est faite de la recherche de ces deux fidé- lités, avec leurs promesses, certes, mais aussi avec leurs risques et leurs excès.

On vient de voir le caractère général de chacune d'elles. On s'est rendu compte que chacune est légitime, mais on aperçoit également les menaces qui pèsent sur chacune. Le tableau résultant de ce premier examen n'est pas simple. On ne peut se contenter de parler d'orthodoxie et de libéralisme, puisque chacun de ces termes peut évoquer une fidélité légitime et nécessaire, mais aussi une forme pervertie, excessive, dangereuse de cette même fidélité. Dans les faits, l'ortho- doxie et le libéralisme sont des phénomènes complexes. Trop souvent leurs adversaires respectifs les ont arbitrairement simplifiés. Pour les combattre plus commodément, on a fait endosser à tous les orthodoxes les prétentions sclérosées de certains, comme aux libéraux les fantaisies inconsistantes des plus aventureux d'entre eux.

La polémique cependant n'est pas seule responsable de telles simplifications.

L'instinct de défense, la peur, l'aveuglement des uns et des autres y contribuent pour une large part. Il est dans la mentalité d'un orthodoxe de ne pas se soup- çonner d'adversaire à droite, comme le libéral pense n'en point avoir à gauche.

En revanche, le premier suspectera tout ce qui ne s'inscrit pas dans cette saisie rétrospective de l'Evangile dont nous faisions la marque de la pensée orthodoxe.

Le second, à l'inverse, se raidira chaque fois qu'on le rendra attentif aux exigences fondamentales.

Toutes ces réactions des uns et des autres font croire qu'il n'y a qu'une ortho- doxie et qu'un libéralisme. En réalité, il y a deux orthodoxies et deux libéralismes.

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24 ÉTUDES DE MÉTHODOLOGIE

Il y a, de chacune de ces attitudes d'esprit, une forme légitime et une forme pervertie. Notre tâche est maintenant de montrer comment se développent et se distinguent les deux formes, authentique et corrompue, de l'orthodoxie et du libéralisme.

Je grouperai sous trois chefs les caractéristiques de chacun. L'orthodoxie et le libéralisme étant l'un et l'autre un effort de fidélité à l'Evangile de Jésus- Christ, l'un et l'autre prennent pour point de départ, pour fondement, le fait de la révélation de Dieu en Jésus-Christ. Avant de diverger éventuellement sur l'interprétation du fait, ils le reconnaissent comme fondamental. La première tâche leur semble donc la même: s'informer de ce fait auprès de ceux qui peuvent le faire connaître, consulter les témoins et les témoignages. Leur fidélité se mani- festera en premier lieu dans la façon dont ils retourneront aux sources. Leur première fidélité sera relative à la connaissance de l'Ecriture.

Comme il ne suffit pas de lire pour connaître ni de répéter pour comprendre, la deuxième tâche s'imposant à l'orthodoxie comme au libéralisme concernera l'élaboration des données que l'Ecriture livre à l'état brut, ou du moins peu élaborées. Il faut approfondir la signification des enseignements et des rensei- gnements recueillis dans la Bible, cerner et rapprocher des vérités rarement définies et offertes sans souci de systématisation. Les nécessités de l'enseignement et du témoignage contraignent à sortir de la naïveté d'une foi qui vit spontanément de ce qui lui est donné, sans se préoccuper de réfléchir. La fidélité aura là l'occa- sion de se manifester à nouveau. Elle sera relative à l'élaboration doctrinale.

Connaître et comprendre sont nécessaires, mais point encore suffisants. La vérité livrée par l'Ecriture et réfléchie pour être mieux saisie, c'est un message qui vise l'homme, qui l'engage tout entier. Ni la Bible, ni la doctrine ne jouent avec des abstractions, mais elles font entendre, elles présentent et explicitent l'appel que Jésus-Christ adresse aux hommes pour qu'ils le suivent. Tout le travail du témoignage et de la réflexion chrétienne vise et aboutit à grouper autour du Seigneur le petit troupeau de ses disciples, son ecclesia, l'assemblée de ceux qui confessent son nom et obéissent à sa parole. Tel est le troisième plan de la fidélité, qui se montrera dans la façon de comprendre l'engagement personnel et communautaire de ceux qui ont accepté l'évangile.

En bref, Bible, doctrine (ou dogme), Eglise, voilà évoqués les trois plans où l'orthodoxie et le libéralisme se révéleront soucieux de la fidélité qui les inspire fondamentalement. Sur ces trois plans aussi - et malheureusement - on verra se développer une caricature de l'orthodoxie et du libéralisme, caricature souvent confondue avec leur visage authentique.

* * *

Indiquons d'abord les traits essentiels de la fidélité orthodoxe authentique.

La fidélité de l'orthodoxie se manifeste à l'égard de la Bible par le rôle qu'elle lui assigne comme critère de toute connaissance valable de la révélation de Dieu

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POUR UNE ORTHODOXIE LIBÉRALE 25 en Jésus~Christ. A travers le livre, c'est Jésus-Christ lui-même qu'elle cherche, sa voix qu'elle écoute, son visage qu'elle contemple. Elle ne s'attache pas à la lettre du texte, et si elle en affirme l'inspiration, ce n'est pas pour y enfermer le Saint-Esprit, mais au contraire pour proclamer qu'au-delà de la lettre qui ne peut que tuer ceux qui s'y arrêtent, c'est l'Esprit qui vivifie ceux qui recherchent la rencontre vivante avec le Christ. Elle veut amener tout homme à cette confron- tation qui engage le cœur dans un dialogue décisif. Connaître Jésus-Christ, ce n'est pas lire mécaniquement des versets de l'Ecriture, ni en assommer ses con- tradicteurs. Connaître, c'est rencontrer, c'est dialoguer, c'est aimer.

Et par conséquent aussi, connaître Jésus-Christ, c'est chercher à mieux comprendre, à com-prendre, à prendre avec soi, en soi. C'est assimiler. La fidélité orthodoxe se traduit dans l'effort d'une élaboration dogmatique. La vie de la foi n'est pas sans tirer de grands profits d'une telle élaboration, lorsqu'elle est conduite avec le sens des limites que le mystère impose à l'intelligence. Ce n'est point par amour de la spéculation, c'est par respect pour la richesse des vérités cachées en Christ, que l'on s'essaie à en faire l'inventaire, afin qu'il en échappe le moins possible à l'attention de l'Eglise. L'amour et l'adoration s'ap- profondissent, s'ils connaissent mieux leur objet. Le rationalisme n'a rien à voir, en principe, dans les systèmes des théologiens chrétiens, pas plus que dans les dogmes des Eglises. Ce sont les rationalistes qui se sont trompés en lisant les formules théologiques et dogmatiques comme des énoncés de philosophie. On comparerait plutôt de tels textes à des «mythes», comme déjà les appelait Berdiaeff pour mar- quer qu'ils ne s'adressent pas à l'intelligence discursive, mais à la personne la plus profonde, visant à atteindre l'existence secrète des âmes et appelant à la décision.

L'orthodoxie enfin se tourne vers l'homme ainsi initié par elle à la connais- sance et à la compréhension de l'évangile de Jésus-Christ. Elle veut achever son œuvre en en faisant un membre du Corps de Christ. La rencontre personnelle du Christ a placé le croyant dans la dépendance du Christ, comme un membre dépend de la tête. La réflexion sur la signification de l'évangile a rattaché cet homme aux autres croyants en une unité fondée sur l'unicité du Chef, sur la communauté de l'Esprit, sur la solidarité des membres dans un même service réciproque. L'orthodoxie veut prévenir l'isolement des individus comme les entraînements grégaires. L'Eglise constitue à ses yeux la sauvegarde providen- tielle contre l'une et l'autre menace. Elle ne laisse pas le croyant à ses libertés arbitraires, car elle est le lieu où l'autorité du Christ s'exerce actuellement par et dans la communion des membres de son Corps. Elle n'écrase cependant pas le croyant sous la pression d'une volonté collective, consciente ou inconsciente, populacière ou dictoriale, parce qu'elle engage ses membres dans un service communautaire où chacun est nécesssaire à sa place et doit être conduit à une pleine majorité spirituelle pour pouvoir répondre à sa vocation dans l'exercice de son ministère propre. Un pour tous, tous pour un ... 1

1 La vie dans l'Eglise est la première forme de la vie éthique en général, comme on le voit dans les épîtres de saint Paul.

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26 ÉTUDES DE MÉTHODOLOGIE

A grands traits, voilà esquissée la fidélité orthodoxe. Jésus-Christ est l'objet de la foi, et toute la foi consiste à le rencontrer. Or cette rencontre n'estpossible que sur la base et sous le contrôle des Ecritures. Elle ne prend sa dimension véritable que par l'élaboration dogmatique. Elle trouve son aboutissement nécessaire et son épanouissement dans l'Eglise, où elle prend «corps». L'ortho- doxie manifeste sa fidélité sur ces trois plans, scripturaire, doctrinal, ecclésial.

* * *

Malheureusement, sur ces trois plans aussi, l'orthodoxie s'est plus d'une fois gravement trompée quant au sens et aux exigences de sa fidélité. Il est aisé de repérer, dans l'histoire des vingt siècles d'orthodoxie qu'a connus la chrétienté, des orthodoxies caricaturales et cruellement décevantes.

L'orthodoxie est menacée, nous l'avons dit plus haut, par l'objectivisme et l'autoritarisme. Son juste propos, c'est de conserver à la pensée chrétienne ses caractères spécifiques. Elle s'attache donc aux données originelles, qu'elle entoure de sauvegardes. Elle tend à fixer l'objet de la foi dans des formules qu'elle veut inaltérables. Elle invite les croyants à la soumission, faisant de l'obéissance à l'égard de l'autorité la note première, voire essentielle, de la foi. S'il s'agit de l'autorité de Dieu, cette obéissance est indiscutablement première et essentielle.

En principe, d'ailleurs, c'est bien de l'autorité de Dieu qu'il s'agit. Mais l'ortho- doxie a souvent considéré que l'autorité divine se défendait mal contre les audaces de l'homme rebelle, si elle ne revêtait pas des formes concrètes et stables, si elle ne fournissait pas des références explicites formulées en clair dans des textes, ou si elle ne s'exprimait pas au gré des circonstances par une viva vox. Qy'il s'agisse d'un magistère clérical ou livresque, de définitions conciliaires ou de mesures disciplinaires, c'est toujours le même mouvement qui a entraîné l'orthodoxie à rendre pleinement objective la foi qu'elle veut sauvegarder et à élaborer un système d'autorité qui la garantisse au plan de la vie concrète de l'Eglise.

Objectivité et autorité de l'Ecriture, appuyées par des théories sur l'inspira- tion et la révélation, culminant dans la proclamation de l'inerrance et aboutissant à un usage mécanique des textes. L'orthodoxie s'est illustrée par une exégèse de l'Ecriture qui, sous prétexte de fidélité au texte inspiré, s'est refusée aux méthodes d'explication les plus éprouvées.

Objectivité et autorité des formulations doctrinales, par lesquelles était explicitée la révélation biblique. L'orthodoxie a montré une grande confiance dans le langage et dans l'esprit humain qui le crée et le manie, pensant pouvoir exprimer adéquatement les certitudes de la foi et définir leur objet. Elle a joué avec les formules et imposé des formulaires. Elle a tracassé, condamné, persécuté, brûlé des braves gens qui désiraient vivre en paix avec elle dans une même ado- ration, à laquelle cependant ils ne pouvaient donner les mêmes traductions intel- lectuelles. Elle a voué une foi égale au mystère du Christ et aux explications qu'elle en donnait.

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