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L'instinct aurait-il une base épigénétique ?
GIACOBINO, Ariane
GIACOBINO, Ariane. L'instinct aurait-il une base épigénétique ? Revue médicale suisse , 2017, vol. 13, no. 571, p. 1441
PMID : 28837283
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www.revmed.ch
23 août 2017
1441
Génétique
L’instinct aurait-il une base épigénétique ?
Dr ARIANE PAOLONI-GIACOBINO Rev Med Suisse 2017 ; 13 : 1441
Qu’est-ce que l’instinct ? Les oiseaux semblent savoir qu’ils doivent migrer en hiver vers le sud, et comment faire un nid, les abeilles dansent pour indiquer à leurs congénères la direction d’une source de nourriture, les mammifères fuient face à des prédateurs ou certaines de leurs traces : comment savent-ils spontanément ce qu’il faut faire, et si c’est inné, comment cette information est-elle codée ? Des centaines de comportements sont ainsi décrits comme instinctifs sans que le mécanisme fonda- mental qui les sous-tende n’ait encore été décrypté.
Pour tenter de mieux comprendre si l’apprentissage était sous-jacent à l’ins- tinct, une expérience extraordinaire1 sur les singes verts de la Barbade a été effec- tuée. Les chercheurs ont entrepris d’expo- ser ces singes à des images de prédateurs africains, les léopards, auxquels ils ne sont plus exposés. A l’origine, les singes verts proviennent d’Afrique, et dans le milieu actuel de la Barbade où ces animaux ont été introduits, il y a environ 350 ans, il n’y a pas de léopards. Il s’agissait justement de voir si ces singes manifestaient une réaction de crainte et de fuite à ce préda- teur ancestral. Des singes verts de diffé- rents âges et des deux sexes ont ainsi été exposés à des représentations visuelles de léopards et leurs réactions comporte- mentales méthodiquement enregistrées.
Ils ont aussi été exposés à des représenta- tions d’un autre animal africain (le buffle), qui n’est pas un prédateur mais auquel ils ne sont également plus exposés depuis 350 ans.
Malgré la non-exposition à ce préda- teur ancestral depuis plus de 50 généra- tions, la réaction classique « anti-préda- teur » de stress et de fuite de ces singes
verts a bien été observée en présence des images de léopards, et ce n’était pas le cas en présence des représentations de buffles.
L’information est donc bien là, sans con- tact et apprentissage préalable.
S’agit-il d’une variation génétique, sé- lectionnée par l’évolution, car favorable, dans chaque espèce concernée et pour chaque comportement instinctif ? Possible, bien que difficile de concevoir que tous ces comportements complexes puissent avoir une complète détermination géné- tique, même si sur des modèles animaux, on peut lier certaines mutations à des comportements particuliers. Des scienti- fiques pensaient justement qu’un certain apprentissage devait être de près ou de loin lié à l’instinct.
Des expériences de conditionnement à la peur ont été effectuées chez des sou- ris, par l’exposition à une odeur spécifique que les expérimentateurs ont associée à un stress intense. Ils ont observé la réaction de stress lors de l’exposition des descen- dants à cette odeur seule, sur les deux générations suivantes,2 en l’absence des géniteurs. Cela montre que ce comporte- ment acquis a été transmis, car il ne peut y avoir de mutation si rapidement apparue et sélectionnée, et que l’apprentissage a joué un rôle.
Des chercheurs ont justement émis l’hypothèse que l’instinct correspondait à une forme de plasticité comportementale, permettant une réponse adaptative à l’en- vironnement et à ses stimulations. De là, se serait exercée une sélection naturelle sur les individus montrant cette réponse (favorable pour l’espèce), au cours de l’évolution. Pour permettre cette plasticité comportementale, en réponse à des stimuli extérieurs : des changements d’expression
génique via des mécanismes épigénéti- ques. Ces mécanismes sont essentiels au développement du système nerveux et à la plasticité en réponse à l’apprentissage. Du fait que certaines modifications épigéné- tiques sont héritables, il y aurait alors une possible transmission de ces comporte- ments acquis au départ par apprentissage, sous une forme en quelque sorte stabilisée.
Chez les souris conditionnées à la peur par une odeur,2 des modifications épi- génétiques, dans un gène lié à l’olfaction, ont bien été démontrées dans l’ADN des gamètes parentaux. Un type de mémoire ancestrale de certains comportements passe ainsi de l’acquis au transmis, l’apprentis- sage initial devenant inné dans les généra- tions suivantes.
Cette hypothèse des bases épigéné- tiques de l’instinct, discutée tout récem- ment dans la revue Science3 fait réfléchir sur les notions d’inné, d’apprentissage, et de transmission d’un savoir acquis.
1 Burns-Cusato M, Glueck AC, Merchak AR, et al. Threats from the past: Barbados green monkeys (Chlorocebus sabaeus) fear leopards after centuries of isolation. Behav Processes 2016;126:1-11.
2 Dias BG, Ressler KJ. Parental olfactory experience in- fluences behavior and neural structure in subsequent generations. Nat Neurosci 2014;17:89-96.
3Robinson GE, Barron AB. Epigenetics and the evolution of instincts. Science 2017;356:26-7.
DR ARIANE PAOLONI-GIACOBINO
Service de médecine génétique, HUG, 1211 Genève 14 ariane.giacobino@unige.ch