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L HYPER-PUISSANCE AMÉRICAINE ET LES POUVOIRS DÉSINCARNÉS

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L’HYPER-PUISSANCE AMÉRICAINE ET LES POUVOIRS DÉSINCARNÉS Marc Zarrouati

La Documentation française | « Les Champs de Mars » 2004/1 N° 15 | pages 125 à 152

ISBN 9782110057105 DOI 10.3917/lcdm1.015.0125

Article disponible en ligne à l'adresse :

--- https://www.cairn.info/revue-les-champs-de-mars-ldm-2004-1-page-125.htm ---

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Varia

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L'hyper-puissance allléricaine et les

pouvoirs désincarnés

Marc

ZARROUA Tl

Dans un article 1 qui fit un certain bruit, de ce côté de l'Atlantique comme de!' autre, Robert Kagan 2 expliquait en Juin 2002 que l'abîme qui sépare aujourd'hui les stratégies américaines et européennes en matière de gestion des ten- sions internationales et de résolution des conflits, loin d'être conjoncturel, reflète très précisément la puissance ou l'impui sance des deux continents en question. épourvue d'une puissance autref(Jis ans équivalent, l'Europe qui fut, en des temps coloniaux, l'apôtre d'un interventionnisme armé particulièrement sy tématique, s'est aujourd'hui métamorphosée en un chantre convaincu de la coop~ration

internaLionale et du règlement pacifique des siLuations de crises, prônant dorénavant une primauté du droit sur la guerre à laquell 1 s peuples du mond ne pourraient qu'aspirer. Prenant en pcrmancnc la réus ite de la con - trucLion européenne en exemple pour a s 'OÏr l'idée qu'un monde de coexistcnc pa ifiqu csl non seulement po siblc mais réellement accessibl • \ le ténor du droit contre la force auraient d'autant plus de raisons de promouvoir la concertation qu'ils seraient singulièrement dépourvus de tout autre moyen susceptible de leur permettre de simple- ment exister sur la scène politique internationale.

1. R K.agan," l'owcr1111d Wc11k11css H, Polily Rc11ic111, l 13, juin-juillcl 2002.

Une traduction française: de cc texte a été publié dnns le numéru 99 (Au- tomne 2002) de la revue Commc111airc. Nous l'utiliserons souvcru dans la suite comme base de traduction, l'adaptant cependant quand nous estime- rons nécessaire de nous tenir au plus près de l'original.

2. R Kagan est Senior Profcssor au Carnegie Endowment for Internatio- nal Peace.

3. «L'Europe a un rôle à joucrd:ms ln gouvernance mondiale 1 ... 1 En réus- siss11n1 l'unilica1io11 europl!enn nou · dérnonlron nu monde qu'il existe une méthode pour parvenir à la pl,lbc •, Romano Prodi, conférence pro-

nonc~c à l'Institut d'études poliLiqucs de Paris le 29 mai 2001, cité in R. Ka- gan, op. cit.

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Cc n'est pas tant l'intérêt prospecri( de cette analyse 1 que la r.ichesse dialecti.quc potentielle du couple puis ance américainc,'/impuissancc européenne qui a retenu notre anention. L'objet de cette conlribution consi le à examiner les conséquence les plus radicales le cette dualité pour comprendre dans quelle mesure cette dernièr permet de penser un type alternatif de pouvoir, irréductible au concept classique de puissance qu'il s'agisse de puissance cl· nui- sance ou cl pui ance souveraine. Nous verrons c.lans quelle mesure une telle typologie des pouvoirs peut contribu ré éclairer et précis r les différents mode de rationalité à partir de quel Américains et Européens comprennent la dyna- mique de· relations internationales.

L'antériorité de la force sur le droit

Après avoir tenté dans les première,~ pages de on article d'exposer avec impartialité les conceptions américaines et européennes, en soulignant les logiques antagonistes de force et de faiblesse qui les sous-tendent 2, sans prendre clai- rement partie pour l'une plutôt que pour l'autre, l'auteur semble ·uccomber au fil de son explication à l'évidence de la vision américaine du monde 3 : la coexistence pacifique esl une utopie, ou mieux un idéal, vers lequel il faut ans doute

1. Cc rcxte de R Kagan, eu Sl>ulignanl les divergences tmtégiques qui ne devaient pas m:mqucr à Lerme de sépar 'r les deux continents. nnticipait dan une c ·naine mesure la scission que le conOil irakien :1 cnlrnînéc quel- ques mois µlus tard (c'est-à-dire au débul de: l'année 2003) parmi les mem- bre du onscil de sécurité.

2. «Les Européens érnic11r convnin ·u~ qu'il· nvnicm mieux s'y prendre avec les oviétiqucs: il c faisaient fort le les :ii11udoucr par l'~tnblisscmcnl

de liens commcrci:rnx ·t politiques et en prônant la patience ct l:a prudence.

C'éf.tlit Ir> 1111e m11ccp1irw /Olll à fuit lt!gitimc. » R. Kag:an, ibid., ·taus i : " Les

~uropécns ont tout intérêt~ récu cr (dcva/11i11g), voir i1 ér:icliquer, les lois bruwlcs d'un monde anarchique, un monde hobbésicn dan lequel la puis- sance (power) csr le délerminam ultime tk la sécurité et d l:a réus itc d'une narion. Cda 11'cst pns 1111 repmcht·. \:st cc que les pays faibles ont de toul temps recherché. 'est ce 1.1uc les t\méric:Lins voulaient il la fin clu XVIII' siècle c1 :11.1 début du XIX', qu:111d l:i brutafüé d~1 sysrèmc de puis- sances (/>0111cr politic.r) en Europe, avec ces gé<111ts plnnét~aircs qu'éraicnL la France, l:i Grantlc-Brct:1~nc et la Russie, cxpo~aienc 1:1 jeune Cl vulnérnblc Amérique à une rossé· impérioliste. "•id. lie souligne!.

3. ~ 1 'cttc poliliquc européenne] rcOéwit <1ussi la fniblc.~se relative de l'Europe vis-à-vis des États-Unis, le petit nombre d'oplioM militaires dont elle disposait et s:1 plus grande vulnérnbilité face~ l'URSS.'" id.

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tendre, mais qu'il ne faut en aucun cas prendre pour la réa- lité actuelle des choses.

La règle de droic- aussi séduisante soit-clic - n cons- titue pas un au-delà d la force ou du pouvoir, mai· un en-deçà 1Loin de transcender la force armée elle lui est subordonnC:c 2, Cl i les Européens ont pu «oublier» ceLce antériorité primordiale, c'est parce qu'ils n'ex rcent pas eux-mêmes cctt force qu'ils peuvent donc d'autant plus fa il<;mcnt renier 3Laissant en effet de plus en plu le soin aux Etats-Unis d'Amérique de gérer les crise· internationa- les\ voire m ~me d'intervenir militairement dan les cas les plu ensibles les Européens ne réali craicnt pa que la la- bilité dont ils bénéficient depuis prè d'un demi-siècle et qui a, entre autres, permis la construction de l'Union euro- péenne, se paye tous les jours au prix fort par une présence ostensible de la puissance militaire américaine dan le reste du monde.

Y-a-il là matière à une compréhension originale de la force du droit ? Certes non, sernble-t-il de prime abord. Le fait que la règle de droit tire toute · n efficace cl l'existence d'un pouvoir qui la précède et~ui la fonde en acre-à défaut de toujours la fonder en droiL - esL un lieu ommun de la pensée poliuquc.

La

loi esc ainsi, pour Rous eau, l'cxpre - siond lavolontégénéral ,c'c t-à-diredcla ouv rainctédu peu pl 6 : c'e 'l donc le pouvoir légitime du peuple, et non celui - illégitime - du despote, qui c t «exprimé» dans l

1. «Le nou\lcl ordre 1 •.• 1 européen ne pouvait fleurir que sous le parnpluic

l

)rotcctcurd'unc puissance américuinccxcrcé ·scion le~ règles du \lie.il ordre 10bbésicn. C'est la puissance 11111lricai11c (amcrica11 po111cr) qui a permis à l'Europe de croire que 111/orcc des armes (pv111cr) n'avait plus d'importance. >>, id. [je so11lig11cj.

2. «L'Europe, n'ay:tnc ni ln volonté ni la capacité de morm:r la gard :w- tour de S< n pclir ptiradis pour l'empêcher d'être envahi, est clé. armais dé- pendante du bon vouloir clone l'Amérique pourra foire prèuvc quand il s'agira pour ccuc: dernière d'utiliser sa force militaire, pour di$Su;1ùcr ou vni11cre ceux qui, de par lem ndc, croient encore à la poliuque de l:i force (po111upolilics). »,id. Ou ·ncorc •L'évolution de l'Europe jusqu'à son fo1t acwcJ. 'est faite sous cette proccccion militaire de l'Amfriquc et n'aurait pu avoir lieu ~ans elle.•, id.

3. «La plupnrt des Européens n'ont pas saisi ce paradoxe majeur : leur entrée da us l'ère po ·t-modcrne n'a été possible que p;:ircc que les Améri- c:iim ne les y ont p:is sui\'iS. »,id.

4. Outre l'intervention nu Kosovo eu 1999, on peut citer plu. récemment l:i crise israélo-pnlcs1inicnnc, cr surtout le problème nord-coréen, dnns lequel le Étrus-Unis refusent jusqu'à présc111 d'être directement impliqués, au grand clam de la hinc ou du Jnpon et. .. de hi 'orée du ord elle-même.

5. L:i dincrc11ccentrclesécol<: portant plus sur la légitimitéd ·cc pouvoir qu ·sur le f:.iil qu ·la règle ne oit que ln lrnn cri pt ion écrite d'une volnnté qui la précMc.

6. J.-J. Rousseau, Du contmtsocia!, Paris, Pla mmarion, 1992. pp. 42, 62-63.

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texte législatif; rnais ce (:e1~nicr est toujours ." l'cxpressi_on » d'une volonté qui le precedc et dont la puissance doit en garanrir l'application.

M<1i <lau le champ des rclalions imcrn::itionales, il n'y a théoriqucmenL pa de ouveraipcté légiLime supérieure à cell' des Érats. L'a emb.lée des Etats n est don pas souve- rain comme pourrait l'êlrc une 3ssemblée de sujets, et clic l}e saurait d'autré part accepter la souvcrnineté de l'un des Euns sur l'ensemble des autres. La quc~tion de l'existence d'un pouvoir c.lc nature non juridique, susceptible de garan- tir l'applic3tion du droit international n'est donc pas réso- luble en term c.lc simple reconnaissance de souveraineté.

Mai· cela ne signifie pas qu'un tel pouvoir n'est pas pen- sable, bien au contraire.

On privilégie traditionnellement deux modes de cons- titution possibles: ce pouvoir peut tou~ d'abord être lt: pro- duit de l'abandon collcct1f par chaque tat de sa capacité de nuisanc' sur les autres États; en renonçant ?i l'usage de la force au profit de la discussion et de la coopération dans un cadre conventionnel, chaque f,tat opèrerait une délégation de son pouvoir de coercition el contribuerait ainsi à la for- mation d'un pouvoir « ·upr:1naLional mais non ·ouve- rain » 1, censé le protéger des agre · ion, possibles vcnanl d'autres États, qu'ils s'agissent d'Étals parties à la conven- tion ou pas.

Mais ce p<iuvoit:peut aus i êrrc le produil d l'abandon colle tif par chaque Etal de tOtll ou E <irtie de a propre sou- veraineté: il s'agit alors moins d'abandonner un capacité de nuisance qu'une capacité de se gouverner soi-même en toute liberté.

Considérons clans un premier temps l'hypothèse scion laquelle un pouvoir constitué par délégation de « cap;icités de nuisance» fonderait implicitement la règle de droit. On trouve chez Philippe U !mas une stigmatisation de l'utopie

1. 'omm · nou~ l'HvonsdéF1 souligné, il ne peul c.~istcrdc souvcralne1és11- pr:inutiq11alc: se pose donc la question dt 1:1 nnturc clc cc pouvoir" au-des- sus des Ewis "et par sui cc cJc la pcrtiucncc de la théorie du L6vialhan (<-/ T.

1 lohb · , f,ivi111/11w) pour décrire les modes

uc

coopC-r~1tions pacifiques

·ntrc f~rnts. Quoi yu'il en oit cependant tl · la qualilic:ition cx;1clc de cc puuvt ir, cette dé.légation cnlkctive de puissance au pmlit d'un ,organi me ch. rgt d 'lro11vcrde, ~ululions pncifiqucs aux conrlîts enrrc le~ Etats est un des burs premiers tics ation~ unie ('/. par l'Xl'mplc la Charte des N111i'o11s 1111ics cl aus i l'.-IVI. Dupuy, Omit i111cm111iomil public, Paris, Oallo:-:, 19911, p. 465).

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que con titue 1 idée d'une construction d' la paix par le froit 1 qui peut paraître similaire ; l'idée clénonc'c par Kagan. Pour elm:1s, .il y a en effet utopie parce qu il y a méconnaissance d ~ l'antériorit~ n ~ces aire du pouvoir poli- tique sur la règle de droit 2, parce qu'il y a oubli du fait que l' fficacité de toute construction juridique est conditionnée par la vol nté polilique commun des acteurs. Le pouvoir

·st t ut à la fois 1 garnnt de la mise en application de la r glc 3 et de la légitimité d'une telle coopéraci n ~. Tantôt signe de force et tantôt de légitimité, il est extérieur à une règle dont il as ure la fondation r la pérennité. fi la sous-tend mais il n'c t pa de mêm nature qu'elle 5

Que cette volonté politique vienne à manquer pour des raisons diverses (dont la divergence d'intérêts des Etats en question n'est pas la m indre) et c'e t coute l'efficacité de la con ·truction juridique qui est m nac~e : les déb<1ts ur la réglementation mondiale du c mm rce d s arm 6 ou

J. « C'c.~t une idée <langcrcu c de cru ire que la multiplication <les réglc- mcntlllÎ<)lts cl <les c11gagemcnrs solennels tisse lentement une sorte d'Erar de Ur<>Ît me ndi:il. ( :crtes le~ di. C<>Urs de tmlleS ks gnllldcs puissances Cil ap- pellent l'av~ncmcnl cl k~ ations unie. réent l'illusion d'un 1d ca Ire."

Ph. l>clr)1:1s, /,e bel a11t·11ir de la guerre, Paris, Ga.llimnrd, 1995, p. 12~.

2. "En foit c'est le 't!l1S du politique qui est cn trniu de se pcr<lre. Lcs insti- tutions et le droit ncçrécnt ptl.\ lie lé!titimité poli1il1uc, il en prncèdcn1. "•id.

t " 111 cM exclus! que l'intégr.nion juridique fonde un ordre de urité cl

[soit rnpahlc d ·garantir! un minimum dt stabilité. Un td rôle supposcmi1 un cert:11n com ·nsus sur les prinrité politiques et les moyens d'y pernrvoir.

1 ... Un tel con ensusl est indispens:1blc pour que les prin ipcs gén<:r:cux soirnt 1rnduit~ en disp •sil ion~ pratique!\ cffic;ices. "'·ibid., pp. 123-124.

4. «li est dillicilc.: d'im:igincrquc l'in1égra1ivn c.'ronomiqu •puisse urvh•

durablement il d ·s difi't:remls politiques mnjcurs en rnntièrc de écurité, ott, au fil des crbe~, ch:tcun c se11tir:ii1 lilch~ ou trahi par les :nurcs. lnévitablc-

1nc11t, ]~1 lt~gi1-in1itl-:: d11 lien cnlllnH1n;1uL;1irc scr~1i1 remise en cause», ihid., p. 126.

S. "Celle uUlflÎe juridique témoigne il· la cou usion entre des instrumc11ts d'adminislmtion cl une nrg;111is:11io11 poliriqu • •,id. C<·1tcdi~socintion dl' 1:1 règle Cl du pouvoir c.<>t s1 luire pour Kagan, qu'il cléfinil le modèlt: d'inté- gration juridillU · mo11di:1I prôné l)~r le~ Européen com1i;it un moudc de loi;, de règles, de négoc1;irion et de C\10pératio11 entre lc~ Etms qui e pen- sent - i1 wrt -•lu-dd1' de la puissance":~ 1 .'l·.urope est en train de se dé- tourner dt la pui sanc'' (po111cr), f ... ] ·lie~,. dirige vers un :111-dclà tll· la

puiss~ncc (bcyo1ul pmu,r), l'l'rs un monde bic.:11 dis1inc1 de l'au! rc, un n10ntle d(• lois dan~ kl1ucl 1 · nég<>ci:ttions ctcoopér:11 e1111s cmre nations so111 ré!;lc- rncntfrs. ''. I{. K1g<111. op. cil.

(i. "Les Ft;ils-Unis voul.1ic111 empocher les liénéfices ck 1:1 lpn:miè1TI guurc du (;oit~ La Fr;111cc cl k Roy;1urne-Uni 11c compr;1icnt p;1s kur c11 hisser le hé11éllcc ~xclusif. l.a C:hi11c n'c11vis;1gc1ir l'as de se privn d'u11 moyen commode de li 1J<1ncer ses dépc11scs militaire~ t:r du kvin politique d'C::11T le fournisseur des pays prosctiLs par les Orcidcntaux. Q11a11L ;, 1,, Russie, clic a\'ai1 hc~oin de devises." 1'11. lkl111.1~, ihù/., p. 125.

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encore l'incapacité radicale dans laquelle se trouve l'Union européenne de con truir un politique de défi nse et de . écurité commune 1 en om de bons xemples.

c type le position théoriqu qui entend final mcnL prolonger dans le champ des re~ations internationale le mécani me de con titution de l'Etat élaboré par Thomas Iobbes outre 1. rntut problématique de la nature du pou- voir qu'elle. emblc indu~rc 2, repose ur lep Lu lat implicite de la po session par les Etats concerné d'une telle capacité de nuisance. Mais explique Kagan, cc postulat e t doubk:- mcnc infondé car ks Etats européens ont doublement fai- bl -s: il ont trop foib.les collectivement pour se protéger 1 u pour m ·ner un qudconqueconHit hors de leur frontière~ t

ils sont trop fàiblcs, pris yn à un pour attaquer un de leur voisin et ainsi défier les Etats-Unis. es dernieJ·s, en erfet, loin <l'cxpl iter leur hégémonie militaire en a<l 1 tant une attitude cl spotiquc à l'instar des empire qui les ont précé- dés, 'attachent au contraire à protégér le· démocrati s,

• fforç:rntdc faire régner la loi 't l'ordre dans un monde en proie aux pires désordres.

Ain i, Les États d'Europe ne sont plus aujourd'hui dans la c nfiguracion du traité de Vienne : ils ne sont pa faibl s les uns par rapport aux autres - cc qui n · erait final ment qu'une faibJ sse relative etemraîncrairunc orcc d'équilibre

1. «Le trnitclTil'l1l natiorwl tks crl~cs lin_irn i11éluct~1bkment par susciter des tension~ polil'iqucs direct s cntr ·les Ernrs membres 11y:1nt des int6rC-1s divergents et :rucune obligntion ni tr:1<lition de les s11rmonter collcctive- mcnl

1.,

id., p. 127.

2. Corn men,t 1·11 effet e<1ractériser le statut politique de cette" volonté com- mune» des Etnrs ?

3. " 'é1ah uu cngngcmem aux côtés Je l'Eurorc, 'l non une marque d'ho. tilité i\ son ~g:ird, qui a conduit lesi\méricuins il maintenir <le tr lUI c~

su.r le contincnc d:ins lé!> ann6c qui 0111 ·uivil:S la guerre, puis li créer l'Oran.

L:r présence de troupes 11méric11i111:s g;1r:111tiss:int la sC:curicé en E.uropc, constitué

r . ..

1 tn condition préalable C!ssenLicllc du processus J'unilication européenne. •, lt .Kagan, ibid.

~- " u li~l)lltde l;r déccnnic, l 'rnnAit le. .13alk:rn. a révélé 1·incap:.icité rni- llurirc de l'l~urop •cc son impuim1nce politique 1 ... ). :eue dis1)t1ri1é [ •ntre 1:1 puissance européenne •1 la puissance amfricuincj s"c 'l foire en con: plus 11pp:1rc111e il la fin de 111 Jéccnnic quand il est devenu pnccm que ln c:1p:rcité de~ fü:rh européens (t'll'IV{Jl!llll pou1trs), pris 111 liviJucllemcnt ou collcc1ivc-

m ·nt, il pro1ctcr efficaccmont leurs Force~ armées ·ur Jes zones de conflits

n uehors de l"l.:'..uropc était négligc:thlc . .. ,fr/. 11 est en effet patent d • consta- ter il c1ucl poim lrr marche vers l'Union ncs'acc<>mpnguc d'au un signe 1an- giblc d'une quclc:mlque poli1iquc conimunc de défonse, ~ans mème parler de ln constitution u'unc entité militaire comp:rr.ihlc ~ 1';1rméc :rméricainc.

Les F.\tropécn ne s"tmisscnt pa plus pour foire poids face aux Américains tiu'ils ne le font pour se prmégcr le. un des ;1\rtrcs. L:r du:rlité puissance

• méric:1i1w/impuissance curopéc:nne invalide t<Jute analyse poli1il1uc clas- iquc de la construcl'ion européenne cl inrerrogc donc d'nutan1 plus forlc- mcnt la Mt ure de cc pouvoir.

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des pouvoirs 1 - , ils sont faibles absolument, puisque la puis- sance améri aine leur est devenue inc mmensurable. De ce fait, les Européens ne possèdent plus aucun pouvoir de nui- sance et ne peuvent donc pas le céder à quelque insti[ution internationale que ce soit.

Autant pour Philippe Del ma une règl ne saurait po - séder d'autre force que celle qu lui onfèr la volonté c, m- m une de lé rislateur c'est-à-dire en 1 o currence del' Etat parties à la convention en qu stion autant pom Rob l't

Kagan il ne saurait y av ir de pui ,sance ni <.Jans la règle elle-même, ni dans la volonté des tats qui la meucnt en a:uvre. Aussi situe-t-il la pui ancc non seulement hor d ·la règle mai au si hors du monde de l'élaboration de la règl , au-delà de cet univers do· sur lui-même que constitue l'espace européen, dans la jungle planétaire où pullulent les hors-la-loi de toutes sortes 2

Or, si la protection américaine assure depuis un demi-siècle la stabilité du vieux continent et par conséquent a rendu possible la construction d'un espace juridique pérenne, rien n'indique qu' Ile ·o.it pour autant a l'origine de ce dernier. En d'autres termes pour nécessaire qu'elle soit, rien ne prouve que cette «protection» ·oit suffisante, rien ne permet de lui attribuer la paternité d une entent ori- ginale, qui relève vrai emblablement d'abord lavant LOUL de la volonté de acteurs européens eux-mêmes. Mais ce acteurs, on vient de le dire, sont dépourvus de toute puis- sance, ils ne peuvent donc pas garantir pru· eux-mêmes l'application ùes règles qu'ils énoncent, et par suite, la force du dmit ne saurait dériver de leur volonté commune.

La position de Kagan est donc d'abord original en ceci que si le développement du droit dans l'univers los euro- péen n'c t pos iblc que par l'usage constant de la fore dan la jungle planétaire, il n'en dérive pourtant pas et par suite il présente une twtonomie de développement dont il nou faut

1. «Le vieux sy t~mc d'équilibre 01vc se~ visée. 11a1ionalc. pcrmon<;ntcs ses Jlli:rnces contraignantes, sn politique fondée sur les intérêts des E1a1~.

ainsi que le d. ngcr c<111s1am d ·s iJ<!ologi · naLionalistcs cl de leur confron- tation.,., J. Fischer. di cours prononcé;\ l'université Humh1>ld1 (Herlin) le l 2 mai 2000, cité in R l<:ig:111, ibid.

2. «Emre nous, nous nous en tenon aux lois, mais (1uand nous opérons dans la jungle, n(Jus devons suivre aussi les lois de la jungle.[{obcrt Cop- per, ciSé in R IC1ga11, ibid.

"Les Etals-Unis se conduisent comme un shérif international J ... J chcr- d1ant à imposer un peu de puix et de justice 1;'1 où les Américain voient un monde an~ loi, où les brigand~ (0111lt1111s) t.loivcm t!tre dissuadés J'ap,ir, ou prom ptcmclll ;i battus (111/icn: u111ü1111111ccd 10 /le drtL'l"J'lld or dc11roy11d, 1111tl of- '''" tlirougli thc 11111~zlt: of a g1111). '" R. 1 ag:in, ihid.

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élucider la M1rurc. La puÎS$ctl1Ct' chez Kagmi est d'abord puis- sance de clôture cil· esc non seulemcm extérieure à la règle

mais ::iussi aux auteurs d ·la règle. a force du droit ne pro- cèd ·donc pas d'un pouvoir politique et 1:1 règle scmbl bien po éder en propr une crrainc capacité- un certain p u- voir- d'organisation de l'espace public international <~pro-

é , J

c ge )>.

L'objection de la délégation de souveraineté

Si Kagan n'emploie tout au long de son analyse qu'un seul et même terme (power) qui peut désigner tout à la fois le pouvoir exercé et le pouvoir « en puissance », le contexte montre sans ambiguïté qu'il fait exclusivement allusion au pouvoir en tant qu'il est effectivement exercé. En ce sens, la traduction de «power» par « puissance» peut prêter à confusion. Il s'agit néanmoins de l'usage commun, que l'on retrouve par exemple dans les qualificatifs de super-puis- sance et maintenant cl'hyper-puissance (néologisme que l'on prête à Hubert Védrine). Pour Kagan, l'impuissance signifie l'inaptitude à exercer une quelconque nuisance sur ses voisins. Derrière toute puissance, il y a un sujet qui l'exerce et non un principe quis' en réclame. Il ne s'agit donc pas d'une puissance virtuelle ou d'une puissance de droit, mais d'un pouvoir réalisé. Remarquons incidemment que Kagan rejoint Foucault dans ce déni de « métaphysique» politique, dan ce rejet de tout pouvoir autre que celui qui est réellement exercé. Nous aurons amplement l'occasion clans la suite de cette étude de constater que la ressemblance entre les analyses de ces cieux auteurs ne va pas beaucoup plus loin. Bornons-nous pour l'instant à en tjrer les conclu- sions quant à la question de la souveraineté. A ne considérer que l'exercice du pouvoir comme domination effective sur

1. C ·ttc fro1nièr ·étanche enw· monde ùc la loi et mond ·de lu jungle, qui constitue un 1 oim clé de la démot1stratio11 de Kai.;<111, est pou riant en con- traèlictil>ll patente avec 1:1 suht)rdi1rn1ion du,. shfrif nm,éricain ":1 des conv •nt ions int,ern:Hionalcs <lonr il n·c ·t)or;tiqucmcnt pas l'u11it1u · mHcur puislJltÏI n'cs1 p:is lin tlcspote. Ainsi, les Etats- nis d'1\mérique s'cfforccn1 de.: !:1irc régnerd;u1 · I~ jungle une loi él:il c>réc.: p;1r la ommunnutédcs É.lats, 'cst-à-dirl' 11nc lvi issu· du d '11d(lppcmc111 juridiqu ·que K:1g1111 ohscr1111i1 d:1m lc monde clos. En sou111c-1r:in11:1 ju11gl il ln loi et en 11ourcha. s:int lcs

"0111/111us •. I ·s t\mérkains élt;ndcnt d(mc d • tl1i1, par la forcc, I · mo11dc du

droit ~ l'c:nscrnhlc de ln planète, aholissllm progrcssivcmc111 la frc>111ièrc symbolique cni rc un c pacc ~ prc>t '~é " et un · jungk· planétaire.

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autrui, on ne peut pas penser le pouvoir ordinaire 1 d'un État sur lui-même, ce que l'on appelle l'exercice de la souverai- neté, comme une «puissance d'agir» susceptible d'être aliénée au profit d'un organisme supra-étatique 2

Or qu'en est-il de cette hypothèse d'une production de pouvoir par délégation collective de souverainetés indivi- d uclles ? Cette idée peut se décliner de cliver. es manières, scion quel' on insiste sur la volonté dont font preuve les États pour réellement mettre n application hcz eux des textes qui pourraient porter direcrement atteinte à leur souv rai- neté, ou scion quel' on souli ne!' étonnant processus d anti- cipation opéré par l • magistrats européen· qui intègrent dans la juri prudence des norme non encore votée par les États, s'appuyant sur un volonté de peuple «à v nir »et ne manquant pas de susciter par là une «déception démo- cratique» chez les peuples concernés.

Philipp~ Delmas évoque cette« remarquable accepta- tion par les Etats des limitations de leur souveraineté» 3 à propos du traité sur l'interdiction des armes chimiques signé en 1993. «[Les] 120 signataires ont accepté que n'importe lequel d'entre eux puisse déclencher chez n'importe quel autre pays l.signataireJ une visite surprise dans n'importe quelle in callarion civil· ou militaire qu'il soupçonn <l'abri- ter une usine ou un laboratoire d'armes chimique . "4 Et il s'agit bi n pour l'aulcur d un «événement politiqu » 5 et non pas juridique. Fn d'autres termes, ce traité est garanti par la volonté des Etats qui consentent à abandonner une partie de leur souveraineté, et son efficacité durera autant que durera cette volonté commune.

l. Certes, Kagan prenJ <l'une certaine manière en cc;mpte les situations clc di ·1ature di1n le quelles la puis~nnc militaire d'un fü;ic c retourne contre sa propre population : l'.Érat est nlor" onsidéré commç l':rnu.:ur d'un·

;1gres ion, a ·re t1ui légitime une in1erve111ion armée des Erors-Unis. Mais

•ntre une di t;iLurc cl ur1 · v;1cancc du pouvoir, il)' n manifestement place pour u11c vie poliriqu -. ..

2. "est d'ailleurs cet aspect gui est Je loin le plus polémique aujourd'hui:

il sulli1 d s rem <morcr la vi ru le nec des débats ay<1nt accornpagn6 les der- niers référendums d'J\msrerdam et de Maastricht sur l'Union européenne.

Tour se pa se donc comme i nous n'avion,s même plu l'iJée de subir une

<1uclconquc :igression de la pan d'autres Etats : cla vn cout ;', fait Jans le .ens de« l'oubli» pur et simple de lu di1m:nsion militaire que dénonce Ka- g:111.

t 11 agit en foi1 de la soµvcrainc1é des peuple. "exercée,• par les É.wts. 1 e m~rnièrc génér:ik, qu:111d nous parlerons par la suit<: J'• F.tats rn\1vcrnin~ '"

c'est en tant qu ·ces derniers exercent une. ouvcrain ·cé qui 1>cu1 leur être confiée p~r une instance upéri ure - comme par ·xemplc la \•Ol1)nté du peuple ...

4. Ph. Delmas, ibid., p. 122.

5. Ph. l )cl mas, ibid., p. 123.

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Mireille Delmas-Marty s'attache pour sa part à souli- gner le lien entre la force du droit et le pouvoir des juges, en

~voquant en particulier 1 ·mécanisme d'anticipation par 1 s magistrats d'une décision politique «à venir» 1La norme serait donc non sculemegt prc rite par les juges mais aussi mise en œuvrc par les Etats, alor qu'elle ne po sèderait encore aucun caractère contraignant, pour la simple raison que ce dernier serait« anticipé» par l'ensemble des acteurs concernés. La question du pouvoir est alors renvoyée à une incarnation sous-jacente de la volonté des peuples, non encore constituée mais moralement nécessaire. Et le tout nouveau professeur au Collège de France de déplorer, à l'instar de Pierre Rosanvallon, la «déception démocra- tique» à laquelle l'internationalisation du droit donne lieu, et d'appeler à une« refondation des pouvoirs>>, c'est-à-dire finalement à une reprise en main par une entité politique légitime« à fonder» la construction d'un avenir commun.

Qu'il s'agisse de ,souligner l'efficacité d'une règle qui amène finalement les Etats à accepter de se conformer à cer- tain conventions attentatoires à leur souveraineté, ou qu'il

'agis e de déplorer que c tte efficacité rep~se sur une antici- pation de la volonté future de ces mêmes Etats, il n'en reste pas moins que c'est bien dans cet abandon de souveraineté que le droit puisera sa force, selon nos deux auteurs.

Que pcn erde cette analyse? Pour nous en cenirau cas particulier de l'Europe, le fait que tans l'Union uropéenne les décisions puis ent être théoriquement pri es par une majorité qualifiée du conseil des ministres européens et non pas forcément à l'unanimité renforce la crainte de l'établis- sement insidieux d'une juridiction de nature supra-natio- nale et donc d'une prise de pouvoir de facto par des institutions non parlementaires - et donc non démocrati- q ucrnent, élues - comme la commission de Bruxelles.

haque Etat perdrait alors du pouvoir sur lui-même puis- qu'il serait obligé de se soumettre à des règles qu'il na pas forcément votées. Ce risque exi te, certes, mais il masque

1. ~Une foi inscritcd:ins la conslitution, la Chnne Ides droits fondamen- taux de l'Union cutgpécMe! devrait pr ·ndre force juridique el s'nppliquer non seulement aux ·iat., maisuus i aux ac.teurséconom1qucs. À ll:rme,ellc permettra pcut-l:tre de combiner ks mécnnismcs de régulation propres au nrnrché (ouvertur de. marchés et libre concurrence) avec le respect des au- tres droits fondamemaux. Déjà les justiciables commencent il l'invoquer ci·

les jUJ,'CS il s'y référer comme source d'inspiml.Îon; cette façon d'amicipcr sur 1:1 décision poliliqu ·marquant une foi de plus/a forced11 droit cc lcpo11- voirdesj11gt:s 1 ... ] •>,M. I cl mas-Marty,« Du désordre mondial à la force ,lu droit in1ern;itional ,., lcs;on inaugur:ilc prononcée au Collège de Frnnce le 20 mnr.ç 2003, l.<.· Monde, 22 murs 2003 l le souligne(.

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surtout un phénomène structurel plus subtil et plus décisif pour notre propos.

• n effet si la perspective de conslitution d'une volonté

«bureaucratique>} supra-nationale, incarnée à~Ilruxcllcs l

prenant pr gressivcmcot l'a ccndam sur des Etats de plus

·n plus impuis ants à lui résister, ne doit pas êtr · complèt mcnt écartée, il n'en reste pas moins que la pratiquecffective de production normative dément jusqu'à présent ces inquiétudes : tout d'abord, les décision importantes résul- tent toujours pour le moment d'un con sen us, et comme I.e remarque François Terré dans son Introduction générale au droit, ce n'est pas tant la supra-nationalité que la trans-nationalité des normes qui est inquiétante, ce n'est pas tant le risque d'incompatibi~ité entre les normes européen- nes et la constitution d'un Etat qui est à craindre 1 que la concurrence entre normes cur9pécnnes et droit interne dans 1 ordr juridique de chaque Etat mcmbrc. En d1èt, il est admi aujourd'hui que ce« droit communautaire dérivé» 2 est immédiatement et directement applicable, inaugurant ainsi une concurrence dans l'ordre juridique de chaque État entre le droit interne et le droit communautaire et posant de fait la question de la primauté de l'un sur l'autre.

En contraignant les juridictions de chaque État à appliquer des norme qui n'ont pas encore ét' reçues et inté- grées dan l urdroitintern ,laCourdcju·ticedes mmu- nautés européennes établit la primauté de l'ordre juridique européen sur l'ordre juridique interne à chaque État 3 'est donc l'organisation du sy tème juridique plus que son contenu quj est profondément transformé par la production normative européenne.

La

que ti n ne ·e po c, là encore, pas vraiment en terme de volonté ou l'abdication de vol n- té ni en termes de perte d'un droit à dispo er de oi, mais bien plutôt en termes de transformation des modalités de

1. "Si une conlmdicrion appami sait eJlLrc l'évolurion de cc droit Cl nos 1 rescrip1ion con titutionncllcs, cc1cc con1radictio11 devrait soil être in- voquée par ln fora nec pour refuser ln tmnscription, dan~ ~on droit interne, de· nouvelles normes cornmunautnires, soil résorbée par une révision de ln constitution'» Rép. min., JO, déh. Ass. nat. 24 ept. 1990, p. 4454, cité in F. Terré,!11trod11ctio11 génémle a11 droit, Paris, Dalloz, 1994, p. 174.

2. C'est-à-dire l'ensemble des normes édictées par les organes commu nau- taircs, selon cc qui est prévu par le.~ tr:1ités, accords et conventions qui ont institué les Communautés européennes. Sur cette question, voir F. Terré, ibid., p. 171 & P.-M. Dupuy, op. cit., p. 141. 174 sq.

3. «Loin d laisser à chaque sys~èm · juridique 1 soin de situer, en lui-même, la place du droir communautaire, cc qui corrcspond;1it 11 uncvi-

~ion trnditionnclk en droit international, on a voulu - du côté de Bruxelles ou de Luxcmhou rg-demandcr au droit communautaire lui-même de fixer sa propre place par rapport aux droits internes'» F. Terré, op. cit., pp. 175-176.

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contrôle. En coexistant avec un droit interne hiérarchisé, les normes européennes inaugurent des contrôles de toutes sor- tes cl produisent donc un savoir qui ne résulte pas d'une divulgation au niveau supra-national d'informations déjà connues au niveau national, mais <l'une proclucl.ion 5k don- nées nouvelles. fa donc paradoxalement chaque Etat, au lieu de subir cc contrôle «venant de l'extérieur», utilise cc savoir nouveau pour ~rngmenter, affiner et compléter la connaissance qu'il a de lui-même, rendant d'autant plus précise cc efficace son action de gouvernement.

L'élément le plus significatif de cette intégration juri- dique est donc ua~ accroissement net du «pouvoir de con- trôle» de chaque Etat sur lui-même (au détriment toutefois d'un alf~iblisscment de son ordre juridique interne) el de chaque Etat sur les autres {puisque le contrôle est effectoé par un organc,communautairc qui agit au nom de l'ensemble des Etats) : l'État garde en pratique la haute main sur les contenus des normes qui lui sont appliquées, mais il n'est plus maître de leur agcncemcnletde l<;urdispo- sicion dans son ordre juridique interne. Chaque Etat s'ins- crit donc dans un« ordre» juridique qui le dépasse, et dont on peut incidemment se demander s'il consticue réellement un cout ordonné.

L'abandon colkc1if de souveraineté, qu'il convient donc de minimiser mais non de négliger, oriente probable- mem l'Union vers une sorte de fédéralisme. En ce sens les transferts de souveraineté créent un espace d'action com- mune possible, ouvrent une marge de manœuvre d'harmo- nisation pour les organes communautaires, mais ils ne créent ni plus ni moins de souveraineté qu'il n'en existait déjà - puisque toute partie de souveraineté perdue par un État csl récupérée par les organes communautaires au nom des autres membres de la communauté. En d'autres termes, là où un Étac pouvait mettre ou ne pas menrc en œuvre telle ou telle loi, la communauté des États aura maintenant son mol à dire. Outre le fàit qu'il ne s'agic pas d'une révolution t;n malièrc juridique puisque loue traité signé entre deux Etats les oblige à la mesure des engagements qu'ils ont pris, il n'y a rien qui puisse s'apparenter ici à une coordination de puissances susceptible de créer plus de pouvoir - à la manière de deux personm:s réussissant à soulever une pierre qu'ils étaiem incapables de soulever seuls.

Nous voyons donc que le pouvoir de la norme ne relève pas d'une volçnté que l'on pourrait rapporter à un sujcc

« au~cldà des Etats»; il semble bien plutôt renvoyer à une capacité de réorganisalion, de structuration - ou de

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déstructuration - d'un ensemble de règles, et il o' est absolu- rne nt pas incompatible avec un ensemble d'États pleine- ment souverains. Cette efficacité de la norme internationale ne résultat donc pas d'un abaJ1don collectif de l'exercice par les États <l'une parue de leur souveraineté. Ou, plus précisé- ment, si cc pouvoir s'articule - d'une manière qu'il reste encore à préciser- autour de ces transferts de souveraineté, il ne saurait pourtant e·n procéder.

Si volonté il y a à l'origine de cette intégration juri- dique, il ne peut s'agir que d'une «volonté radicalement impuissante», c'cst-~-dire d'une volonté dont n'émane aucun pouvoir susceptible de fonder l'efficace du droit. En ce sens, cr en reprenant le fil de l'analyse du texte de Kagan, l'Union n'est pas le choix d'un ensemble d'acteurs ration- nels, susceptibles par exemple de mettre en balance une option militaire et une option juridique, mais bien l'unique moyen de produire une paix et une prospérité à panir de la production d'un pouvoirdecontrôlcctdccoopération qu'ils ne possédaient pas nu départ.

C'est donc la faiblesse politique de ces États et non leur force qui autorise leur intégration progressive dans une union. La nuance est d'imporLance: c'est parce que la puis- sance- au sens classique du terme- leur a été retirée qu'une telle intégration est possible, et c'est bien parce que cette puissance existe encore aiJJcurs qu'une telle intégration est pérenne 1Ainsi, la floraison des règles s'inscrit dans une double dynamique de puis~ancc cl d'impuissance : s'appuyant sur l'incapacité des Etats européens à mener une politique tic confrontation, la règle apparaît dès lors comme l'unique possibilité d'une réelle intcraçtion productive et, profitant cic la stabilité assurée par les Ewts-Unis, elle peut

l. Nous touchons là au nocu<l de l'argumcntatio11 <le Kag:m qui rcnconrrc ici la p<>~ition critique: la plu~ rndicale du pouvoir: Cil SUbSlallCC, il ~·agit de nier toute réaliré au processus de renoncement à l'exercice du pouvoir, <1ud

~1u·il sou. Plutôt ~1ue d'interpréter ces relations internationales pacifiqu1:s d'un nouvç;1u typc- qui ont succédé depui~ 19·15 ;:1111r.1clitic)n11cl équilihre d1:s pouvoirs is~u du uaité de Vienne-comme dei. progrès dans le rcnoncc- mcm ''olontaire il ln capnci1é de nuin:, K<1)1:t11 insiste m~ con1r:1ire de m;1-

~i~rc très l?r:tJtrnn1iqu; ~u~ l'impuiss;111~c: wwle de cc~ E1:11s en f'l·gar.<l tic 1 hypcr-pu1ssnncc amcncame. Il ne s agu donc p.1s pour eux de suhsuiucr un rypc de pouvc)1r :\un autre, <luns le cadre d'um· ~tr.11égic calculée, m:us bi<.:11 de produire un pou mir :'I partir de rien. Le pouvoirn'.1 fait l'objet d·.1u- cun renoncement, il a 1ustc changé <le main, et ccuc lr.msform<ition induit des réorganb;itions lo(alcs, des effets de pouvoir~ locaux, que: l'on a 1111cr- prétés plus haut comme des consé<1~1cnccs de la clôture organisée par l'hy- pcr-puissancc. A des comp~>rtemcllls " rauonncls ~ cr " rcsponsabl<.:s "•

implicitement imputé~ nui< Etars dans l'hypnth~se d'un renoncement v11- lonrnire à la domination sur autrui, Kng:m suhstilue un processus anonyme de rforg<misation structurelle des rcl:itions de pouvoir.

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·c déployer cl ns la durée, et lisser une u·amc toujour plus serrée clan· le ·hamp des relation· inter-étatique . Le pro- cc ··us d'intégn1tion juridique produit en fait des résultats oppo é · à ceux décrit par Thomas I bbc dan le Lévia- tlum- ce qui confüme l'inanité de ce modèle politique p9ur décrire le proces ·us qui nous intéresse i i : haqu Etat accroît onpropr·contrôlcsursoietacqui·rtun ontrôJ• ur ses voisins, et cc, sans perdre aucune capacité de nuisance, puisqu'il en est déjà au départ totalement dépourvu.

La force de la forme

En posant la qu stion de la nature d la fore• de la norme à partir de l'impuissance radicale des acteur d cette cons- truction juridique l agan autori ·e ainsi un · problémati a- tion épuré de la question de la nature d'une fficace intrinsèque à la règle de clrnit.

S'il faut donc s'attacher à discern rune telle efficace de la reglc dans let règle elle-même, faut-il c pencher ur fa form · ou ur l fond ? Le fond, 'est-à-dire le contenu d la règle ne aurait présenter un quelconque pouvoir autre qu'un pouvoir de con ensus qui renverrait en dernièr ana- lyse aux représentations des Etats membres. II ne s'agirait donc pa à proprement parler d'une force du droit en tant que tel mai plutôt d'un force de idées exprimée sous forme juridique. Ainsi, une réelle force du droit n pem êtr qu'une «force d la forme», comm' le souligne Mireille Dclmas-Ma1ty, en fai am allu ion aux travaux de Pierre Bourdieu sur la violence ymbolique. Mai Bourdieu s'est attaché à montrer combien les structures symboliques cou- tumières pouvaient organi er et perpétuer ( ans qu'elles

oient jamai interrogées) de relation de pouvoir au sein de groupes divers. r, ici les normes juridique internationales ont clairement identifiée par l'ensemble le acteurs comm des conventions dont la validité est t0uj urs à cons- truire. En ce sens il nou paraît difficile d'étendre l'analy e de Bourdieu - fondée sur l'implicite de la norme - à cc ca

~ ien particulier.

Mais il est une autre ::ipproche de la que tion formelle:

ceJle de la cohérence logique d'un sy tc::m juridique et de la hiérarchisation des normes a11 sein de celui-ci. Ces deux points sont étroitement liés, car on me ure la cohérence for- mel[ d'un ensemble de règles à l'absence d'incompatibilité entre le unes et le autres. Or les unes étant nécessairement antérieures aux autres, l'exigence de compatibili.ré suppose la subordination des nouvelles aux anci nne. e qui peul

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s'cntcndr de c.leux façons : oit 1 s nouvelles som formulées pour corr pondr aux anciennes, soit certaines ancienn sont modifiées pour prendre en compte une nouvcJlc. Un t ·I proce su· d'harm ni ation suppo e donc qu'à tout moment, n puisse ordonner les normes entre elles ~t véri- (icr qu 1 s normes sccondatres oot bien c mpatibles ave les n rm premières, et que les nc>rm. s t rtiaires sont bien compatible avec les normes primair t econdaires, t

ainsi de suite. L'exigence de cohérenc uppo · donc une hiérarchie des normes.

r, un des traits fondamentaux du sy tème juridique international est on ab encc de cohérence formelle: le nor- mes et pres riptions n formcnc pas un ensemble compa- tible comm l.'e t théoriquement tout droit interne dans Jequ ·1 une nouvelle loi doit s'agencer logiqucment avec les autre et éventueJlemcnt abroger u modifier celles qui seraient n contradiclÎ n ave elle. Au contrair plusieur pratiques propres à ce droit l'tnscrivenc d<Lns une incohé- rence permanente, voire nécessaire : incohérence tout d'abord du fait de la cocxi ·tcnce d'unjus cogens ou sy tèmc de règles impératives (c'est-à-dire auxqucllc. on ne peut pa déroger) t d'un Y,'t"me d n rme qui normalement n'engagent que le· tat · ui y ou rivenr. ans cc cadre quel peut être le sens d'une r"gl impérative e qui s'impo c à tous, ans que tou · n' la choi issent en permanence ? 1

T ncohér n e aussi du fait de la prolifération de normes non contraignantes, les r · ommandations, qui constituent autant d'én ncés qui e r coupent et s'entrecroi cnt sans qu'il n'y ait aucune tentativ d'ajustement; la cohérence form Ile étant alors presqu perçue comme un frein à l'effectivité de la règl , effi tivilé qui se nourrit de toutes les réserve et aytre personnifications de la règle dont doivent di poser le Etats pour accepter d'intégrer (même partielle- ment) roue ens mble d, traités ou d conventions 3Incohé- rence enfin du fait de 1 applicabilité immédiat de certaines

1. Cf P.-M. Dupuy, Droit i11ta11otio11al 1n1blic, Paris, Dallo7., 1998, § 25.

2. ~ n peut aisément démultiplier le droiL international, le régionaliser, le hil:ttéruliscr, cl ces norme. p::irticuliè'r ·s, clisp •rsécs et diverse, ont en même lCmp. les plus nombreuses et les plus solides." S. Sur ;,; Qudques obscrv;itions sur les norme. juri li que inccrna1i1>nalcs "•Revue 1i!11Emle de Droit /n1cmotio111tl Public, 4, l985, ci Lé in A. l..cibowio., Philosophie du droit i11tcmt11io11al: L'imp1Msiblccap111rctlc/'/11111u111ité, Paris, PUI•, 1999, p. 55.

3. "La recommand:nion intcrnationnlc, il l'inverse de l:i loi, dit le particulier:

la minorité qui ne veut pascollnborcrcst libre· la norme la plus réccllle, la plu particu licrc, 1, plus locale, s'applique au milmc titre que les aulrcs on les m:tin- cient, cnr cc n 'c t pas par la upprcssi n le certaines d'entres clics qu'on ré ·out pour uutanL la contradiction ; à. chaque occision, quand il y a conflit, sera rc- d1crchéc la nonne il ppliqucr en vue d'une solution. C'est l'applicabilité de la norme qui est recherchée 1 ... J." A. Leibowicz, op. cit., p. 55.

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