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cas clinique
Un homme d’affaires de 42 ans sans antécédents médicaux vous consulte au mois de juillet en raison d’une diarrhée aqueuse associée à des crampes abdo
minales apparues il y a trois jours. Deux jours avant l’apparition des symptômes, ce monsieur avait participé à un barbe
cue entre amis ; il s’avère qu’au moins un des convives présente les mêmes signes cliniques. Il n’a pas récemment voyagé hors d’Europe. Le premier soir, une fièvre à 38,7°C accompagne les symptômes.
Depuis, il est afébrile. Il a vomi seulement une fois. Le patient se plaint de jusqu’à dix épisodes journaliers de diarrhée, sans sang visible, ce qui l’empêche de travail
ler. Etant à son compte, cette situation ne peut durer et il désire ardemment repren
dre son activité au plus vite.
Il demande un antibiotique pour accé
lérer sa guérison. Vous vous assurez qu’il n’y a pas de signes de déshydratation sévère et que le patient est toujours afé
brile.
Que lui proposezvous ?
commentaire
Le choix du traitement doit se baser sur la clinique et sur l’information épidémiologi
que. Il serait, bien sûr, utile de connaître le pathogène en cause, mais un résultat bac
tériologique ne vous parviendra que dans les deux à trois jours ouvrables si vous effec
tuez un prélèvement.
Dans les pays développés, les causes les plus fréquentes de gastroentérite aiguë chez l’adulte immunocompétent non hospitalisé sont deux virus (norovirus et rotavirus) et deux genres de bactéries (surtout Campy- lobacter spp. et, dans une moindre propor
tion, Salmonella spp.). Dans le contexte
«barbecue», on devrait aussi évoquer les
«STEC» (Escherichia coli, producteurs de Shigatoxines), plus rares et associés avec
la viande hachée de bœuf insuffisamment cuite, ainsi que les intoxications par les toxines préfabriquées dans les aliments par, entre autres, Staphylococcus aureus et Bacillus cereus. Enfin, Clostridium difficile est une cause émergente d’entérite dans la communauté.
Typiquement, les bactéries invasives de type campylobacters, shigelles et salmonel
les engendrent une diarrhée plutôt «inflam
matoire» avec un état fébrile et parfois des selles sanguinolentes. Par contre, les diar
rhées virales sont normalement aqueuses,
«non inflammatoires» avec moins de fièvre.
Les intoxications par toxines préfabriquées se distinguent par une incubation très courte (normalement l 12 heures) et une guérison en règle générale dans les 24 heures. Des selles sanguinolentes en l’absence de fièvre seraient typiques pour les STEC. La saison est un argument contre les norovirus et les rotavirus davantage prévalents en hiver. «Sta
tistiquement», dans la situation décrite, la cause la plus probable est un campylobac
ter. En pratique, dans la plupart des cas, ni la clinique ni les facteurs épidémiologiques ne sont assez tranchés pour permettre un diagnostic étiologique fiable sans recours aux analyses microbiologiques. Le rende
ment des cultures de selles étant faible,
cellesci devraient être limitées aux cas sévè res et aux situations évoquant une épi
démie (plusieurs cas liés).
A ce stade, le traitement va donc être
«empirique» (tableau 1). Une réhydratation adéquate – idéalement avec un soluté de réhydratation oral contenant des électro
lytes et du sucre – est le fondement incon
testé du traitement de toute gastroentérite.
Les patients devraient être encouragés à faire des repas légers. Pour prévenir la trans
mission du pathogène, il convient de rappe
ler l’importance de l’hygiène des mains et un entretien adéquat des sanitaires.
Les antidiarrhéiques comme le lopéra
mide sont très efficaces, mais augmentent le risque de complications des gastroenté
rites invasives et inflammatoires et sont par conséquent contreindiqués dans ces cas.
La prescription d’un antibiotique vatelle résoudre le problème ? La réponse n’est guère facile. Les antibiotiques sont indiqués dans les cas compliqués (par exemple fiè
vre élevée avec diarrhée sanguinolente, ex
trêmes d’âge, immunodéficience). Cepen
dant, dans la plupart des gastroentérites (comme le cas décrit dans l’introduction), le seul bénéfice potentiel d’une antibiothérapie est de raccourcir la durée des symptômes.
Ceci a été démontré pour la campylobacté
Infection virale et bactérienne du système digestif
Quadrimed 2011
T. Haustein
Dr Thomas Haustein Service prévention et contrôle de l’infection
HUG, 1211 Genève 14 thomas.haustein@hcuge.ch
Rev Med Suisse 2011 ; 7 : 189-90
Tableau 1. Options thérapeutiques pour les gastro-entérites non compliquées STEC : Escherichia coli producteurs de Shiga-toxines.
Avantages Inconvénients, risques
Réhydratation Traitement de base de toute –
gastro-entérite
Antidiarrhéiques Réduisent la fréquence de Réduisent l’élimination des pathogènes : (par exemple défécation risque d’aggravation dans les cas d’infections
lopéramide) invasives
Antibiotiques • Recommandés d’office pour les • Sélection de bactéries résistantes (surtout cas sévères ou compliqués (par au niveau oropharyngé et intestinal) exemple patients immunosup- • Prolongation du portage de Salmonella spp.
primés, bactériémie, dysenterie • Possiblement induction de production de
sévère) toxines par STEC
• Peuvent raccourcir la durée de • Sélection de Clostridium difficile
symptômes dans certains cas de • Exacerbation d’une colite à Clostridium difficile gastro-entérite non compliquée existante
de 1-2 jours • Effets secondaires spécifiques de la molécule
Ciprofloxacine Active contre la plupart de Campylobacter spp. souvent résistant aux souches de Salmonella et Shigella fluoroquinolones in vitro
in vitro
• Erythromycine Actives contre la plupart d’isolats Absence d’efficacité prouvée contre la plupart
• Clarithromycine de Campylobacter spp. des autres pathogènes causant fréquemment
des gastro-entérites
Azithromycine Active contre la plupart de Demi-vie longue, effet sélecteur de bactéries
souches de Campylobacter, résistantes prolongé
Salmonella et Shigella
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Implications pratiques
Une grande partie des gastro-entérites sont virales, même chez les adultes La grande majorité de cas de gastro- enté rites sont autolimitées
Les bénéfices potentiels d’une antibiothé- rapie (qui sont relativement modestes et varient en fonction du pathogène en cause) doivent être mis en balance avec les complications et les effets secondai- res, en particulier avec la problématique d’augmentation des résistances liée à cette prescription
Si les symptômes sont assez sévères pour motiver un traitement antibiotique, ou dans le contexte d’une épidémie poten- tielle, des selles devraient être envoyées au laboratoire pour rechercher le patho- gène en cause
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riose, la shigellose et la turista (réduction de un à deux jours). Le bénéfice d’un traite
ment antibiotique semble être maximal au tout début de la maladie mais diminue avec la durée des symptômes. En même temps, il y a aussi des risques associés à la pres
cription d’antibiotiques. Les antibiotiques peuvent prolonger la période d’excrétion de salmonelles non typhoïdiques et augmen
teraient le risque de complications dans les infections à STEC ; ils perturbent la flore in
testinale et peuvent avoir d’autres effets se
condaires liés à la molécule choisie. D’un point de vue communautaire, le risque le plus important de toute utilisation d’antibio
tiques est sans aucun doute l’augmentation de la résistance bactérienne. L’effet de sé
lection de souches résistantes au niveau de la flore oropharyngée et intestinale peut du
rer jusqu’à un an après traitement, favorisant la transmission ultérieure de ces bactéries à d’autres sujets.
conclusion
Il découle de ces considérations que pour les patients souffrant de gastroentérite non compliquée, vous devriez limiter la prescrip
tion d’antibiotiques à des cas exceptionnels.
Vous devez rassurer le patient décrit précé
demment en lui expliquant que sa maladie
sera autolimitée et lui signaler que la pres
cription d’antibiotiques est associée à des risques, surtout dans la situation où la cause de la maladie est incertaine, et que le gain potentiel est modéré.
Si, après avoir tenu compte de ces consi
dérations, le bénéfice potentiel de raccour
cir la maladie de un ou deux jours semble clairement dépasser tous les risques asso
ciés, vous pourriez prescrire un traitement par ciprofloxacine (500 mg toutes les 12 heu
res PO) ou azithromycine (500 mg une fois par jour PO) pendant trois jours.
Remerciements
Tous mes remerciements à Mme S. Longet-Di Pietro et au Pr S. Harbarth pour leur relecture attentive et leurs commentaires.
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