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PARTICIPATION MUSULMANE CITOYENNE À GENÈVE

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PARTICIPATION MUSULMANE CITOYENNE À GENÈVE

BANFI, Elisa

Abstract

Le propos de cet ouvrage est d'aborder l'islam dans une perspective nouvelle pour la Suisse, celle de la mosquée, de la salle de prière ou de l'association... depuis quelques années, plusieursrecherches d'ampleur ont été menées en Suisse sur les communautéset associations musulmanes. Ce volume a pour but de rassembler les résultats et analyses découlant de ces différentes enquêtes, afin d'éclairer sous un jour nouveau la problématique de la présence del'islam en Suisse. (Monnot C.)

BANFI, Elisa. PARTICIPATION MUSULMANE CITOYENNE À GENÈVE. In: Monnot C. La Suisse des mosquées. Genève : Labor et Fides, 2013. p. 99-122

Available at:

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Chapitre 4

P

ARTICIPATIONMUSULMANE CITOYENNEÀ

G

ENÈVE Elisa BANFI

Au vu de l’article 4 de ses statuts, la plupart des buts de l’Asso- ciation culturelle musulmane meyrinoise (ACMM) sont ceux de n’importe quelle maison de quartier ou association socioculturelle :

« Mieux se connaître et se faire connaître ; promouvoir une parti- cipation citoyenne de ses membres […] ; développer les acti- vités culturelles, cultuelles et sportives ; organiser des colloques, conférences, et événements festifs ; être au service de la population meyrinoise ; gérer un centre culturel à Meyrin » 1. La structure organisationnelle et même les règles de fonctionnement sont tout à fait conformes au droit associatif cantonal. Toutefois, une ana- lyse plus scrupuleuse des activités menées par l’ACMM pourrait retenir l’attention du lecteur sceptique. Le noyau thématique des activités proposées – les cours d’arabe, les cours de Coran, les cours de religion et les activités cultuelles – sont sans conteste des acti- vités spécifi ques d’une association musulmane. En outre, l’inspira- tion des cinq piliers de l’islam est explicitement affi chée sur le site Internet. L’ACMM assure donc aussi bien certaines fonctions d’une petite maison de quartier que celles d’une mosquée ou d’un centre islamique plus classique. Cette dualité, qu’on retrouve dans la plu- part des associations ou centres islamiques actifs dans le canton de Genève, est devenue une caractéristique très répandue au cours de la dernière décennie. La création de plusieurs associations musulmanes

1. http://www.acmm.ch/home.html (consulté le 21.03.2013).

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qui se rapprochent du modèle de l’ACMM confi rme une tendance déjà observable à partir de la fi n des années 1990. Cette typologie d’association musulmane est même désormais majoritaire au sein de l’ensemble des lieux de culte, des fondations 2 et des associations musulmanes. En outre, les associations et les fondations plus anciennes qui organisent le culte ou gèrent les lieux de culte ont progressivement développé des activités socioculturelles à côté de celles plus strictement cultuelles, à cause de pressions externes (autres associations et institutions) et internes (membres).

Dans le canton de Genève, plusieurs projets socioculturels ont progressivement permis de tisser des liens avec les institutions à l’échelon municipal et d’être reconnu comme partenaire régulier dans des activités et projets promus par la Ville, les associations assurant aussi bien certaines fonctions d’une petite maison de quar- tier ou d’un centre culturel que celles d’une mosquée ou d’un centre islamique plus classique, une dualité devenue une caractéristique très répandue au cours de la dernière décennie. Toutefois, à l’aube de la présence dans la sphère publique de l’islam à Genève, il était diffi cile de repérer des signes prémonitoires de cette évolution

« citoyenne » des organisations musulmanes genevoises. En fait, les premières associations musulmanes fondées en ville inscrivaient leurs activités dans une logique presque exclusivement religieuse.

Le premier centre islamique du canton fut fondé en 1961 par Saïd Ramadan, un célèbre intellectuel panislamiste, héritier spirituel du père fondateur des Frères musulmans 3. Cet homme qui aida à la création de la Ligue musulmane mondiale s’installa à Genève en 1958. De là, il fi t rayonner son infl uence sur toute la (alors petite) communauté musulmane en Europe, afi n de créer des centres musul- mans capables d’orienter la vie des musulmans dans le continent 4. A Genève, il fonda le Centre islamique de Genève (CIGE), en 1961, dans la Maison verte, une maison dans laquelle l’association a encore aujourd’hui son siège, dans le quartier des Eaux-Vives. A cette époque, les populations du Proche-Orient et du Maghreb étaient en pleine décolonisation, et deux idéologies confl ictuelles cher- chaient à gagner du terrain dans les ex-colonies : le panislamisme et

2. La fondation dépend moins des cotisations de membres, parce qu’elle a un capital de base.

3. L’association panislamiste des Frères musulmans fut fondée en 1928 par Hassan el-Banna en Egypte.

4. Voir Adil HUSSAIN KHAN, « Transnational Infl uences on Irish Muslim Networks : From Local to Global Perspectives », Journal of Muslim Minority Affairs 31 (4), 2011, pp. 488-490.

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le panarabisme. Saïd Ramadan, défenseur du courant panislamiste, convainquit le prince Fayçal, futur roi d’Arabie saoudite, de fi nancer de nouveaux centres panislamistes en Europe 5. Ainsi le premier centre islamique de Genève, un des plus anciens d’Europe, vit le jour grâce au soutien économique du prince Fayçal et de la Ligue musulmane mondiale, et grâce à l’administration d’un des plus importants cadres des Frères musulmans. Le centre se consacra ini- tialement à une activité éditoriale islamique en allemand, français et anglais, qui profi ta de la contribution de nombreux intellectuels musulmans pakistanais et indiens. Le but de cette activité était de fédérer la communauté musulmane en Europe autour des idées panislamistes, une communauté qui comprenait à l’époque une forte présence d’étudiants et d’intellectuels exilés. L’Arabie saoudite arrêta de fi nancer le CIGE en 1971 pour cause de divergences idéo- logiques. Le centre ralentit alors son activité éditoriale, mais, sur- tout, se confronta aux changements sociodémographiques de la présence musulmane en Suisse. Au cours des années 1990, après la mort de son père Saïd, en 1995, le nouveau leader de l’association, Hani Ramadan, décida avec le comité de l’association d’implé- menter des activités de support spirituel et social en faveur des immigrés musulmans en diffi culté, surtout maghrébins. Des acti- vités de prévention contre la criminalité, l’alcoolisme et la drogue furent intégrées, à côté de l’activité cultuelle normale. En outre, le CIGE aida la partie la plus démunie de la population immigrée fré- quentant la mosquée avec, par exemple, la distribution de nourriture gratuite à l’épicerie solidaire, les lundis, en collaboration avec l’as- sociation chrétienne d’aide sociale Partage 6. Dans le cadre d’une profonde transformation des modalités d’activisme en ville, le CIGE hébergea en 1998 une nouvelle association musulmane née dans le quartier : le Club sportif Salsabil.

Ce club fédéra de jeunes musulmans afi n de faire évoluer les valeurs du respect mutuel à travers l’activité sportive. Il a récem- ment développé un réseau de reconnaissance d’acteurs non musul- mans au niveau local, grâce à la participation à des fêtes de quartiers et, au niveau fédéral, grâce à l’organisation et à la participation à différents tournois intercantonaux. Dans le cas du CIGE, la pré- sence d’une très active deuxième génération parmi ses membres et l’engagement progressif de l’ancien leadership dans des activités

5. Voir les différentes contributions relatives à ce sujet in : Roel MEIJER et Edwin BAKKER (éd.), The Muslim Brotherhood in Europe, New York, Columbia University Press, 2013.

6. http://www.partage.ch/ (consulté le 21.03.2013).

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socioculturelles ont amélioré l’insertion de l’association dans le réseau des acteurs publics municipaux. En 2012, Hani Ramadan, le leader du CIGE, devient président de l’Union des organisations musulmanes de Genève (UOMG) et organisera un dialogue interre- ligieux pendant la semaine d’action contre le racisme, en 2013 7. Le site Internet du CIGE 8 affi che alors une stratégie de collabora- tion avec les autres associations musulmanes et non musulmanes, la proposant comme l’une de ses fi nalités prioritaires. Le parcours du CIGE a ainsi progressivement changé la représentation commune très négative que la sphère publique genevoise avait du centre. Ce changement est lié à l’ensemble des transformations du milieu musulman genevois qu’illustre le présent chapitre.

Un exemple similaire est celui de la Fondation culturelle isla- mique (FCI) 9, fondation qui gère la seule mosquée au sens propre de Genève. Lorsque l’Arabie saoudite bloqua les fi nancements du CIGE sur la rive gauche, elle décida de bâtir une mosquée sur la rive droite, dans le quartier du Petit-Saconnex. Elle créa alors la Fonda- tion précitée, en 1975, afi n d’organiser la construction et l’inaugu- ration d’une véritable mosquée. L’inauguration de la mosquée, qui est la deuxième mosquée avec minaret en Suisse, eut lieu en 1978, en présence de Willi Ritschard, le président de la Confédération de l’époque.

A l’origine, cette mosquée, appelée également mosquée de Col- ladon, servait essentiellement de salle de prière pour les musulmans qui travaillaient dans les institutions internationales ou pour des étu- diants musulmans. En fait, lors de leurs fondations, les organisa- tions islamiques en Suisse ont surtout développé des activités religieuses et des activités liées à la pratique de la religion, et ce n’est qu’au cours des deux dernières décennies que les associations islamiques ont augmenté et diversifi é leurs activités, pour faire face aux changements sociodémographiques de la population musul- mane résidente en Suisse. En effet, depuis les années 1980 et 1990, les femmes et les enfants deviennent une composante importante de la population de religion musulmane en Suisse. La mosquée du Petit-Saconnex est ainsi aujourd’hui utilisée pour réaliser un large panel d’activités. La capacité d’accueil de 1500 personnes pour la prière fait de la mosquée un lieu de référence physique pour les musulmans dans le canton. La plupart des mariages et des services

7. http://www.cige.org/cige/ (consulté le 21.03.2013).

8. http://www.cige.org/cige/ (consulté le 21.03.2013).

9. http://www.mosque.ch/ (consulté le 21.03.2013).

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funéraires des musulmans genevois se déroulent à la mosquée de Colladon. Des citoyens suisses musulmans, ainsi que des résidents étrangers de différents pays, prient ensemble dans cette mosquée, la seule à être pourvue d’un minaret et la plus grande de Suisse romande. Souvent, elle reçoit les écoliers du canton qui découvrent ainsi l’architecture d’une mosquée. La fondation gère en outre une école, une bibliothèque et un centre culturel. Depuis 2005, la mos- quée de Colladon ouvre ses portes aux résidents pour un repas convivial et des visités guidées pendant « La fête des voisins ».

Parmi ses fi nalités, le FCI énumère le développement des activités cultuelles, éducatives, culturelles et sociales. A la différence des autres associations genevoises, l’Etat d’Arabie saoudite fi nance la mosquée, les frais de gestion ainsi que les salaires du personnel et de l’imam. C’est pourquoi son conseil de fondation est constitué par le président de la Ligue islamique et un petit groupe de représen- tants de la Ligue islamique et de l’Etat d’Arabie saoudite 10. Le conseil de la fondation se réunit une fois par an avec le président de la mosquée. La direction de la fondation se réunit avec les employés deux fois par semaine. Selon l’art. 84 I 11 du Code civil suisse, « les fondations sont placées sous la surveillance de la corporation publique (Confédération, canton, commune) dont elles relèvent par leur but ». Toutefois, la mosquée n’a jamais été contrôlée par la surveillance fédérale ou cantonale des fondations, ayant été consi- dérée dès le départ comme « fondation ecclésiastique », c’est-à-dire comme une fondation développant exclusivement des activités reli- gieuses. L’article 87 12 du Code civil suisse prévoit que ce type de fondation ne doit pas être surveillé. Elle ne doit pas davantage se doter d’un organe de révision. En dirigeant une école et un centre culturel, la FCI pourrait pourtant ne pas être exemptée du contrôle.

Au cours de l’année 2012, la fondation devient un sujet de discus- sion entre les membres d’un groupe de fi dèles, après le renvoi de quatre imams par son Conseil. Déjà en 2007, des employés jugés non adéquats par le Conseil de fondation avaient été licenciés, et cet événement avait créé des débats parmi des fi dèles de la mosquée. En 2012, les licenciements des quatre imams ont été suivis de l’enga- gement de deux nouveaux imams. C’est à ce moment que, par le biais d’un avocat sollicité par des fi dèles de la mosquée, se met en place une remise en cause de cette liberté de gestion. L’imam libyen

10. Les statuts de la FCI : http://ge.ch/hrcintapp/rdfi sFile?id=2752751000000066031012 (consulté le 21.03.2013).

11. http://www.admin.ch/ch/f/rs/210/a84.html (consulté le 21.03.2013).

12. http://www.admin.ch/ch/f/rs/210/a87.html (consulté le 21.03.2013).

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Rashid Farhat licencié en 2011 se retrouve à la tête d’un groupe de fi dèles qui utilisent la cave d’un restaurant pour organiser des prières. La dialectique entre l’administration de la mosquée et les membres ou les autres associations musulmanes du canton remonte loin 13.

La visibilité de la FCI est liée au grand espace qui a permis à d’autres organisations islamiques d’y développer des activités en collaboration avec la mosquée. Parmi les organisations actives dans la dernière décennie, on trouve le Collectif des femmes musulmanes de Genève, aujourd’hui inactif, qui prône l’amélioration de la condi- tion de la femme musulmane au sein de la collectivité musulmane genevoise et dans la ville de Genève de manière plus générale. En 2007, le collectif se constitue après la décision du Tribunal fédéral d’interdire à Lucia Dahlab, une enseignante genevoise, le port du foulard pendant son travail. Elle avait travaillé pendant quatre ans voilée, sans problèmes. L’intervention de la presse dans son cas provoque la fondation du collectif des femmes.

Le collectif essaie de modifi er les relations au sein de la mosquée du Petit-Saconnex en proposant des ateliers mixtes d’éducation sexuelle pour les parents, dans lesquels pères et mères se confronte- raient sur la manière d’aborder la sexualité avec leurs enfants. En outre, le collectif promeut l’activisme civique et culturel des femmes fi dèles de la mosquée, surtout celui des femmes les moins insérées dans le tissu socioéconomique.

Le collectif organise des cours informels de prise de parole en public et aide certaines femmes à reprendre ou à entreprendre des études. Un autre objectif du collectif consiste à introduire dans le système politique suisse des femmes qui n’étaient pas accoutumées à la démocratie, car provenant de pays aux régimes militaires ou dictatoriaux. Ces activités, comme d’autres, provoquent des débats entre le collectif, le conseil de Fondation et certains participants au culte à la mosquée. Les femmes du collectif s’activent à l’intérieur comme à l’extérieur du réseau musulman. Elles participent à plu- sieurs fêtes de quartiers afi n, d’abord, de témoigner de leur utilité sur le plan socioculturel, mais également de trouver des moyens fi nanciers par le biais de la vente de nourriture pour préserver une indépendance économique vis-à-vis de la mosquée de Colladon.

13. http://www.tdg.ch/geneve/actu-genevoise/Des-musulmans-creent-leur-propre-salle- de-priere/story/13100610 (consulté le 21.03.2013) ; http://www.letemps.ch/Page/Uuid/

c457400e-67d2-11e1-8a57-ba3c5a76b2ce|0#.UV7M4spgtTw (consulté le 21.03.2013) et http://www.20min.ch/ro/news/geneve/story/Ras-le-bol-la-Mosqu-e-15326437 (consulté le 21.03.2013).

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Elles participent à la marche de la femme en 2009 et au défi lé de la Fête du travail. Dans la sphère politique genevoise, elles s’engagent en faveur de l’assurance maternité.

Le collectif développe certaines activités d’engagement citoyen qui constituent, ensemble avec l’engagement du CIGE, de la Fonda- tion de L’entre-connaissance, de l’association chiite et d’autres musulmans indépendants, la base sur laquelle les fondements de l’UOMG sont posés. La présidente du collectif, Lucia Dahlab, en devint la première femme vice-présidente. En même temps, elle est candidate pour le parti politique des Verts aux élections municipales du conseil de Meyrin, en 2011. La différence entre les activités menées par le collectif et celles organisées par les femmes à l’inté- rieur de la grande mosquée de Colladon est subtile. Le collectif se gère de manière autonome au niveau économique et politique, et les activités internes à la mosquée sont plutôt décidées avec l’aide éco- nomique et l’accord politique du conseil. Le collectif œuvre en dehors et dans la mosquée, avec la fi nalité d’insérer politiquement et professionnellement la femme musulmane dans la société gene- voise. Les activités développées par d’autres associations internes à la mosquée ont la même fi nalité que dans les cas de colonies de vacances, d’activités sportives, de supports scolaires, de cours d’al- lemand et de français. Par ailleurs, elles ciblent surtout les jeunes fi lles et leur intégration au sein de la communauté musulmane, avec des ateliers artistiques et des groupes de parole. Les bénévoles qui organisent au sein de la mosquée de Colladon des activités récréa- tives ou culturelles des plus novatrices travaillent également dans la même direction au CIGE dans le quartier des Eaux-Vives. Ce groupe de bénévoles a permis d’améliorer les relations entre ces deux centres et les autres acteurs associatifs genevois, musulmans comme non musulmans.

Dans tous les centres musulmans de Genève se trouvent de nom- breux bénévoles, plus ou moins qualifi és, qui répondent aux diverses demandes des membres. En fait, surtout dans la dernière décennie, la majorité des organisations musulmanes de Genève se sont enga- gées prioritairement dans des activités sociales d’aide à l’intégration de leurs membres. Parmi ces activités, nous pouvons citer les sou- tiens scolaires des enfants, les cours de langues (le français et l’al- lemand), les activités sportives, les soutiens économiques pour les membres en situation de précarité, l’engagement dans les hôpitaux, la médiation culturelle, le soutien psychologique aux réfugiés et aux requérants d’asile. Les deux premiers centres islamiques de Genève, la mosquée de Colladon et la Maison verte des Eaux-Vives, ont

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également développé, au cours du temps, des activités sociocultu- relles à côté d’activités religieuses, suite à des stimulations internes et externes. A l’intérieur des deux associations, la deuxième géné- ration et la composante féminine ont ainsi œuvré afi n de désen- claver les deux associations. A l’extérieur, au début des années 1980 et 1990, de nombreuses associations musulmanes ont été fon- dées avec d’explicites fi nalités socioculturelles. Les premières asso- ciations musulmanes (CIGE et FIC) ont donc contré la compétition d’un réseau organisationnel musulman qui commençait à s’accroître et à se diversifi er. La variété islamique émerge dans deux sens : d’une part, la diversité théologique interne des différents courants religieux qui se revendiquent musulmans donne lieu à la fondation d’organisations liées aux différentes branches de l’islam, tels le Centre culturel sunnite (1991), l’Association islamique d’Ahl El Beit de Suisse Genève (1992), la Dahira Touba (1992) et l’Associa- tion culturelle alévie de Genève (1993) ; d’autre part, des associa- tions musulmanes qui regroupent des membres autour de l’origine nationale commune sont fondées, ainsi le Centre culturel bosniaque (1997) ou la Fondation communauté musulmane Genève (1999).

1. Genève et sa variété islamique

Dans les années 1990, le panorama musulman genevois se diver- sifi e encore grâce à la fondation de nombreuses associations musul- manes représentant différents courants de l’islam. En 1991, l’Association de bienfaisance islamique de Genève est fondée dans le quartier des Acacias. L’association change ensuite son nom et devient le Centre culturel islamique de Genève. Elle appartient au courant des ahbaches. Le fondateur du mouvement est né en Ethiopie (en arabe Habacha), et le mouvement se développe surtout au Liban. L’association genevoise dépend directement de l’Associa- tion de projets de bienfaisance islamique fondée en 1983 à Bey- routh 14. Dans les années 1990, l’association mère décide de fonder une trentaine de fi lières, en Suisse et dans d’autres pays 15. Les membres de cette association proviennent de tous milieux sociaux

14. Voir Mustafa KABHA et Haggai ERLICH, « Al-Ahbash and Wahhabiyya : Interpre- tations of Islam », International Journal of Middle East Studies 38 (4), 2006, pp. 519- 538.

15. Voir Dominique AVON, « Les Ahbaches. Un mouvement libanais sunnite contesté dans un monde globalisé », Cahiers d’Etudes du Religieux – Recherches interdiscipli- naires 2, 2008 (revue électronique du Centre interdisciplinaire d’étude du religieux).

Voir http://www.msh-m.org/cier/ (consulté le 21.03.2013).

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confondus et de différentes nationalités. Théologiquement éloignée du wahhabisme de l’Arabie saoudite et des Frères musulmans, l’as- sociation est très isolée au sein du réseau musulman genevois, avec une exception dans le cadre des actions menées en faveur de la cause palestinienne. L’association fonde une branche féminine en 2002, l’Association des femmes musulmanes de Genève (AFMG).

La présidente, une jeune enseignante convertie à l’islam, réussit à tisser des liens étroits avec les institutions au niveau cantonal et municipal. Elle développe différentes activités ayant pour but l’in- tégration des membres immigrés et d’être la composante féminine de l’association. Des cours de soutien scolaire, une petite crèche informelle, des cours de français et des activités socioculturelles variées deviennent un point de référence pour les musulmans les plus demandeurs de ces services, dans les quartiers des Acacias et de la Jonction. Les salles de prière de ces deux associations sont situées sous un même préau, à quelques mètres de la salle de prière de l’association chiite.

L’Association islamique d’Ahl El Beit de Suisse (AIASGE) 16 est la représentante à Genève des musulmans chiites, l’une des princi- pales branches de la religion musulmane, qui se différencie du sun- nisme par des positions liées à la succession de Mohammed et à la place donnée à Ali dans l’islam. Au sein des chiites, les divergences vis-à-vis de la succession du Prophète ont mené à la fondation de différents groupes. L’AIASGE s’inspire du courant duodécimain ou imamite, qui attend le retour du douzième imam. Ce courant est religion d’Etat en Iran, et est très répandu en Iraq et au Liban. L’as- sociation, fondée en 1992, est membre de la Ligue mondiale d’Ahl Al Beit. Elle développe des activités d’intégration pour les membres qui viennent d’arriver d’Iran ou d’autres pays 17. Parmi ses membres se trouvent des Suisses, des Iraquiens, des Iraniens, des Indiens, des ressortissants du Proche-Orient et du Maghreb.

Etant l’unique association chiite formelle du canton (il existe néanmoins également des membres d’un courant minoritaire de l’islam chiite, l’ismaélisme, qui se réunissent de manière informelle dans des habitations privées), l’association organise des cours de religion pour la deuxième génération. Une attention particulière est portée sur l’insertion des femmes et des jeunes dans le milieu socio- culturel genevois, comme l’explique le président Vahid Khoshideh :

16. http://www.12imam.ch/fondation/ (consulté le 21.03.2013).

17. Voir Matthijs VAN DEN BOS, « European Shiism ? Counterpoints from Shiites’

organization in Britain and the Netherlands », Ethnicities 12 (5), 2012, pp. 556-580.

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Nos soucis principaux sont nos enfants, nos deuxième et troisième générations, qui sont nés en Suisse et vivent en Suisse, et qui vont bien sûr continuer leur vie professionnelle aussi en Suisse. C’est vrai qu’ils ont un décalage avec leurs parents qui sont de toute façon des immigrés. Alors on a fondé la Fondation islamique d’Ahl El Beit, afi n de pouvoir concilier ces deux générations et éliminer la différence qui existe entre les deux. Il s’agit aussi bien de pouvoir renseigner les parents sur la manière dont la vie se passe réellement en Suisse, pour qu’il y ait moins de différences entre leur vie et celle de leurs enfants.

De plus, les enfants peuvent quand même toujours garder leur iden- tité et leur origine. D’après des études, les enfants de deuxième et troisième générations d’immigrés qui ont gardé leur identité sont beaucoup mieux intégrés que ceux qui n’ont plus tout à fait d’identité d’origine. Donc l’intégration fait un peu partie de notre travail 18. L’association agit également en tant que fondation responsable de la gestion économique d’un grand appartement utilisé comme salle de prière. A Genève, l’AIASGE a tissé de solides relations avec la majorité des associations sunnites du canton, au point de participer très activement à la constitution de l’UOMG.

A la différence du chiisme, les mourides appartiennent à une autre branche de l’islam, très importante au Sénégal et qui n’est considérée comme orthodoxe ni par le sunnisme ni par le chiisme.

C’est pourquoi leurs liens avec les autres associations musulmanes sont presque inexistants. En 1992, cette confrérie musulmane fonda l’association Dahira Touba de Genève, afi n d’offrir des services religieux aux étudiants et aux fonctionnaires travaillant aux Nations- Unies. Elle organisa des événements cultuels spécifi ques à la confrérie mouride, ainsi que les aspects festifs de la vie communau- taire sénégalaise à Genève. Ses racines remontent à la fi n des années 1980, lorsque les premières dahiras (confréries religieuses en milieu urbain) qui se structurent dans toute l’Europe sont fondées par des chefs spirituels mourides 19. La Dahira Touba partage beaucoup de membres avec l’Association des Sénégalais de Genève, fondée en 1986. Les deux associations fonctionnent comme des vases commu- nicants, sans qu’aucun lien structurel ne soit établi entre elles 20.

18. Interview audiovisuelle avec Vahid Khoshideh le 04.12.2008.

19. Voir Jenny MAGGI et Dame SARR, Au Diapason de la Diaspora, Genève, Unité de sociologie visuelle – Département de sociologie, Université de Genève, 2012 (docu- mentaire audiovisuel).

20. Voir Jenny MAGGI, Dame SARR, Eva G. T. GREEN, Oriane SARRASIN et Anna FERRO, « Migrations transnationales sénégalaises, intégration et développement. Le rôle des associations de la diaspora à Milan, Paris et Genève », Sociograph - Sociological Research Study 15, 2013.

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La Dahira développe des activités cultuelles et spirituelles, et l’As- sociation des Sénégalais de Genève développe des liens avec les institutions et les autres acteurs de la société civile, afi n d’améliorer l’intégration de la communauté sénégalaise en proposant surtout des activités culturelles, tels des débats et des conférences publics.

Comme le travail de Jenny Maggi et de ses collègues le confi rme, une autre confrérie sénégalaise, la Khadra Tidjane, existe à Genève sur mode informel et hors visibilité publique. D’une part, les mou- rides n’aiment pas être associés aux autres associations musulmanes, par peur des amalgames avec les représentions médiatiques néga- tives de l’islam, d’autre part, les institutions publiques semblent ignorer la présence de cette association, pourtant un exemple perti- nent d’islam genevois.

Une autre association témoignant d’un islam très peu médiatisé est le Centre culturel alévi de Genève, fondé en 1993 21. La plupart de ses membres viennent de Turquie. Parmi les membres fondateurs se trouvent des immigrés politiques, échappés au coup d’Etat mili- taire et aux troubles des années 1980 et 1990. Par ailleurs, des membres sont également des immigrés économiques des années 1960 et 1970 et de nouvelles familles réunies récemment grâce au regroupement familial 22. L’alévisme est un courant hétérodoxe de l’islam, qui mélange des croyances propres au chiisme, au soufi sme et au sunnisme. Cette branche de l’islam n’accorde pas trop d’im- portance aux rituels typiques de l’islam sunnite, leur préférant un moment de prière appelé cem (cercle). Une fois par an, le guide spirituel, animateur de la cérémonie du cem, célèbre un moment de prière avec les membres, femmes et hommes, où la musique, la poésie et la danse ont un rôle socioreligieux de transmission des valeurs propres à cette minorité 23. Le Centre culturel alévi de Genève promeut la culture musicale et artistique de l’Anatolie en organisant en ville des cours de danse, de musique et de théâtre.

La musique est utilisée comme outil d’intégration de la communauté

21. https://www.facebook.com/alevikultur.merkezicenevre (consulté le 21.03.2013).

22. Voir Katharina HAAB, Claudio BOLZMAN, Andrea KUGLER et Özcan YILMAZ, Diaspora et communautés de migrants de Turquie en Suisse, Offi ce fédéral des migra- tions (ODM), 2010.

23. Interview avec Mustafa Kaya le 08.06.2011 (pour cette interview, cf. WP6, work- package 6, du projet eurislam.eu). Et voir Sarah BEYELER et Virginia SUTER REICH,

« Inkorporation von zugewanderten Religionsgemeinschaften in der Schweiz am Beispiel der Aleviten und der Ahmadiyya », Revue suisse d’histoire religieuse et culturelle 102, 2008, pp. 233-259. Voir également Virginia SUTER REICH, « Anerkennungspraktiken ale- vitischer Gemeinschaften im Kontext der Basler Verfassungsreform », in : Brigit ALLEN-

BACH et Martin SÖKEFELD (éd.), Muslime in der Schweiz, Zürich, Seismo, 2010, pp. 92-123.

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alévie au sein de la vie culturelle de Genève. L’association utilise également des ateliers de musique d’Anatolie pour dépasser les confl its entre première et deuxième générations et recoudre les liens identitaires. Souvent, les parents sont des immigrés économiques ou des requérants d’asile, avec un très fort ancrage dans la culture tra- ditionnelle. A travers les ateliers de musique gérés par des leaders de l’association, les enfants arrivent à conjuguer les liens tradition- nels et l’insertion dans le tissu socioculturel urbain. Les ateliers sont souvent organisés dans le cadre des activités d’Ateliers d’ethnomu- sicologie de la ville. Une des fi nalités prioritaires internes à l’asso- ciation est l’émancipation de la femme, surtout des jeunes fi lles. A l’extérieur, l’association travaille afi n de propager une image de la culture d’Anatolie tolérante et compréhensive des différentes iden- tités religieuses et culturelles. L’association de Genève adhère à la Fédération des communautés alévies de Suisse (IABF).

Pour achever la description de la variété intra-islamique, il faut encore rappeler la fondation de l’Association des musulmans suisses pour la laïcité (ASML) 24 en 2006. Elle a été fondée par Ali Benouari, ancien membre du parti politique suisse Union démocratique du centre (UDC, un parti suisse de type nationaliste) 25. Il avait quitté l’UDC, selon son propre témoignage, « pour cause avérée d’islamophobie et de racisme » 26. Par la suite, l’association a organisé des moments fes- tifs, mais a surtout revendiqué la possibilité de conjuguer islam et laï- cité. Plus récemment, en 2012, Ali Benouari a fait partie du Comité d’honneur du congrès « Genève 2010 : Un islam spirituel libre et res- ponsable », organisé par la commission suisse de l’Association inter- nationale soufi e Alâwiyya (AISA) 27, qui existe en Suisse depuis les années 1930, et que le président Philippe Mottet décrit ainsi :

Notre objectif, c’est vraiment de parler de l’islam spirituel, de ce qui est le cœur de l’islam. Le cœur de l’islam est quelque chose de pro- fondément universel, c’est un respect de la nature, c’est un respect de l’altérité, [...] mais dans une volonté de valeurs universelles 28.

24. http://benouari.ch/benouari/ (consulté le 21.03.2013).

25. http://www.udc.ch/ (consulté le 21.03.2013).

26. http://www.rts.ch/video/emissions/infrarouge/464581-ali-benouari-initiateur-de- l-asml-association-suisse-des-musulmans-pour-la-laicite-favorable-a-l-integration- citoyenne-des-musulmans-en-suisse-ancien-membre-de-l-udc-parti-a-qui-il-reproche- d-etre-raciste.html (consulté le 21.03.2013).

27. http://www.aisa-suisse.ch/aisa-suisse.html (consulté le 21.03.2013).

28. Interview audiovisuelle avec Philippe Mottet le 09.10.2010. Voir Elisa BANFI,

« Mosaïque d’islam », in : EAD. (éd.), Snowboarding on Swiss Islam, Neuchâtel, Editions Alphil – Presses universitaires suisses, 2013.

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La plupart de ses membres possèdent la nationalité suisse et se répartissent sur quatre générations. La confrérie œuvre pour donner une image de l’islam plus ouverte que l’islam représenté par les médias, et elle est très engagée dans le dialogue interreligieux.

2. Les associations culturelles des années 1990

L’Association culturelle des Bosniaques de Genève (ACBG), fondée en 1999, est le point de référence de la communauté bos- niaque de Genève. A sa tête, l’imam Husanovic 29, très présent au sein de sa communauté, a su mettre en œuvre une médiation pré- cieuse entre la communauté bosniaque et les institutions locales à l’échelon municipal, cantonal et fédéral. Il a toujours répondu aux appels d’aide des services sociaux, des psychologues ou des ensei- gnants qui avaient à interagir avec les membres du centre. Les membres de la communauté bosniaque ont en fait souvent besoin du soutien des services sociaux, la communauté bosniaque ayant der- rière elle le vécu de la guerre de Bosnie-Herzégovine.

Une large partie des enfants qui fréquentent les activités de l’ACBG ont perdu un membre de leur famille élargie à cause de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie. C’est pourquoi l’imam a dû et a su revêtir la double casquette du guide spirituel et du médiateur socioculturel, intégrant les deux rôles. Il promeut aussi le dialogue entre les Bosniaques et les institutions suisses au niveau fédéral, étant également le président de l’Association fédérale des Bos- niaques de Suisse.

Entre 200 et 300 familles sont adhérentes-cotisants de l’ACBG, sise d’abord à Vernier et qui a ensuite, en 2000, transféré son siège et ses lieux d’activités à Châtelaine. Fondée afi n d’aider les Bos- niaques touchés par la guerre, l’association développe des activités cultuelles dans une salle de prière, des cours de religion pour les enfants et les adultes et, surtout, gère un bar et un endroit de socia- lisation ouverts à tous les habitants du quartier. Dans ces lieux, des activités récréatives et culturelles servent également à recueillir des ressources économiques destinées à des actions d’aide humanitaire en Bosnie-Herzégovine. L’ACBG est en contact avec le bureau de l’intégration du canton de Genève, la Croix-Rouge et l’Hospice général. En 2010, elle a offert à la Ville une Kamen Spavac, une pierre commémorative du massacre de Srebrenica, qui a été installée

29. Interview audiovisuelle avec l’imam Husanovic.

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devant les bâtiments des Nations Unies. L’année suivante, l’asso- ciation a organisé la commémoration du 16e anniversaire du géno- cide de Srebrenica en posant derrière cette pierre une banderole avec le message suivant : « Celui qui tue un innocent, c’est comme s’il avait tué l’humanité entière. En juillet 1995, lors du génocide de Srebrenica, l’humanité a été tuée 8372 fois » 30. A l’événement ont participé des membres de l’ACBG, l’ambassadeur de Bosnie-Herzé- govine en Suisse et l’ambassadeur de Bosnie-Herzégovine auprès de l’Offi ce des Nations Unies à Genève, le vice-président de la Ville de Genève, des professeurs universitaires, des enseignants et des écoliers. Les événements commémoratifs liés à cette pierre sont devenus l’occasion pour certaines classes des écoles genevoises d’approfondir l’histoire de la guerre de Bosnie-Herzégovine et d’écouter les témoignages des membres de l’association qui partici- pèrent à la tristement célèbre marche de Srebrenica.

Fondée dans la même période, en 1999, à Plan-les-Ouates, la Fondation communauté musulmane Genève (FCMG) 31 organise régulièrement des activités pour les jeunes et les personnes âgées.

Une grande partie des membres sont des immigrés de Turquie, dont une deuxième génération très intégrée dans le contexte socioécono- mique du canton, ainsi qu’un groupe de membres très âgés. Elle a été fondée afi n d’améliorer l’intégration des musulmans en Suisse romande, et son Conseil est soumis au service de surveillance des fondations et des institutions de prévoyance de Genève. La FCMG organise la vie cultuelle et culturelle d’une partie des immigrés turcs du canton. Les associations musulmanes turques, si nombreuses dans les cantons de Suisse alémanique, sont moins répandues en Suisse romande. Le premier président de la FCMG, Ender Demirtas, a souvent soutenu l’idée d’un contrôle étatique sur les fi nancements des centres musulmans, afi n de contrôler le fl ux d’argent étranger dans les caisses des associations. Le président de la FCMG a égale- ment intégré le comité scientifi que du certifi cat de formation continue universitaire de l’Université de Fribourg « Islam, musul- mans et société civile ». Le FCMG a souvent mis en avant la néces- sité de créer une nouvelle génération de leaders qui puissent être le lien entre la société et la communauté. L’actuel président du FCMG est l’un des plus jeunes présidents des associations de musulmans genevois. Au niveau des activités sur le territoire, l’association a

30. https://bhinfo.fr/srebrenica-journees-de-la-memoire,1869/ (consulté le 21.03.2013).

31. http://www.facebook.com/pages/Muslim-Community-Foundation-Geneva-Fon- dation-Communaut%C3%A9-Musulmane-Gen%C3%A8ve/136506989734584 (consulté le 21.03.2013).

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établi des liens avec les municipalités de Plan-les-Ouates et d’Onex afi n d’organiser des kermesses, des activités cultuelles et festives, les activités à Plan-les-Ouates étant souvent organisées dans deux espaces, faute d’une place qui puisse rassembler l’ensemble de la communauté turque.

3. La spécialisation fonctionnelle des associations musulmanes La spécialisation des associations musulmanes est en lien avec la typologie des activités proposées. Par exemple, trois associations musulmanes avec des objectifs très spécifi ques sont fondées dans le canton de Genève : l’association Islamic Relief, l’Aumônerie musulmane de Genève 32 et l’Union des organisations musulmanes de Genève (UOMG) 33. Ces trois associations proposent leurs ser- vices à la plupart des associations musulmanes du canton.

Islamic Relief a été fondée à Birmingham en 1984 par deux doc- teurs. Dès 1992-1993, l’organisation a développé des centres en Albanie, Allemagne, Belgique, Bosnie, Croatie, Etats-Unis, France, Italie et les Pays-Bas. C’est une organisation non gouvernementale de secours d’urgence et de développement durable. Elle est égale- ment signataire du Code de conduite pour le Mouvement interna- tional de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge ainsi que pour les organisations non gouvernementales lors des opérations de secours en cas de catastrophe. A Genève, elle a son siège dans le quartier proche de la mosquée de Colladon, donc des Nations-Unies. Elle est devenue membre consultatif du Conseil économique et social des Nations Unies en 1993. L’association ouvre son bureau à Genève en 2002, où elle recueille des fonds destinés aux réfugiés de guerre et de catastrophes naturelles ainsi qu’à la réhabilitation des blessés et des handicapés. La zakat 34 est un moyen de fi nancement, mais il n’est pas le seul. L’association a tissé des liens avec les Nations Unies et le canton de Genève et a développé un partenariat avec différentes institutions pour coordonner les activités d’aide en situa- tion d’urgence.

L’Aumônerie musulmane de Genève a vu le jour il y a quinze ans comme association informelle, grâce à l’initiative d’étudiants et de

32. http://www.aumoneriemusulmane.ch/index.php?option=com_content&view=ar ticle&id=6&Itemid=8 (consulté le 21.03.2013).

33. http://www.uomg.net/ (consulté le 2.10 2012).

34. Voir Silvia MARTENS, « Wohltätiges Engagement von Muslimen in der Schweiz », in : Brigit ALLENBACH et Martin SÖKEFELD (éd.), op. cit., pp. 145-178.

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médecins de confession musulmane, afi n de fournir une assistance spirituelle aux patients musulmans des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Tout d’abord, ces bénévoles ont cherché à créer des liens avec l’administration des HUG et les aumôneries religieuses chrétiennes. Dans la première décennie de ce siècle, l’association se donna la structure d’association à but non lucratif. L’utilité de ses services a été progressivement reconnue par la plupart des associa- tions musulmanes de Genève qui, en 2006, signent une convention de partenariat avec l’aumônerie. La majorité des activités sont implémentées par le président Omar Seck qui répond aux besoins des patients, de leurs proches et des soignants. Comme il l’explique, l’aumônerie joue un rôle important de médiation culturelle, afi n de pouvoir aider les soignants dans l’application des soins :

A l’hôpital de Belle-Idée où en général, les cas sont diffi ciles, il est vrai, l’aspect de la maladie devient très important par rapport à l’islam ; la plupart des malades considèrent plus le côté religieux que médical. Lorsqu’ils disent : « Je veux voir un imam, je veux voir un homme religieux, je veux qu’on me lise le Coran sur la tête », à ce moment-là je collabore beaucoup avec les médecins. Par exemple, si les malades disent que les médicaments ne soignent pas, que c’est Dieu qui soigne, là, je joue le rôle du médiateur entre le malade et le médecin pour que le malade puisse prendre son médicament d’une manière très régulière. J’arrive à convaincre le malade sur le plan religieux en disant que : « Oui, c’est Dieu qui soigne, mais c’est Dieu qui a donné aussi aux hommes la science. » Et là, il commence à comprendre, il commence à accepter la thérapeutique qu’il doit suivre. Ainsi l’aspect religieux pour convaincre du lien entre Dieu et la science est très important 35.

En 2007 l’aumônerie signe un accord avec la direction des HUG, accord qui doit être reconduit tous les ans, à la différence de l’ac- cord signé avec les aumôneries catholique et protestante. Dans les cinq dernières années, l’aumônerie accroît ses effectifs et intègre des membres très spécialisés. Parmi ces bénévoles, Dia Khadam-El- Jame et Benzarga Nedjar sont responsables de la morgue à la grande mosquée du Petit-Saconnex. L’aumônerie travaille actuellement au centre de soins continus, en psychiatrie, en gynécologie et en pédia- trie.

L’aumônerie signa l’accord avec les HUG parce que auparavant, elle avait signé un accord de partenariat avec l’UOMG, la première

35. Interview audiovisuelle avec Omar Seck.

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association musulmane fédérative à l’échelon cantonal. A l’origine de cette union entre différentes associations musulmanes se trouve la volonté de la CIGE, de la Fondation de L’entre-connaissance, de l’association chiite, du Collectif de femmes musulmanes de Genève et des leaders des autres associations musulmanes présentes en ville 36. Le Collectif qui, à l’époque, se défi nissait comme une asso- ciation féministe d’action directe 37 organisait en 2003 déjà des rencontres afi n de promouvoir la « participation citoyenne musul- mane » 38. L’idée de l’engagement public citoyen d’une éventuelle coordination cantonale genevoise devient un vif argument des débats parmi les responsables des associations musulmanes gene- voises de l’époque. Ainsi, en 2006, l’UOMG est fondée dans le but de concilier religion et citoyenneté, par la Fondation culturelle isla- mique de Genève, le Centre islamique de Genève, la Fondation communauté musulmane Genève, l’Association islamique d’Ahl El Beit de Suisse Genève, l’Association culturelle bosniaque de Genève, l’Association des Somaliens de Genève, la Ligue des musulmans de Suisse Genève, le Club sportif Salsabil, l’Aumônerie musulmane de Genève et l’Association Espace culturel. Le premier président est l’imam historique de la mosquée de Colladon, Yahia Basalamah, avec la vice-présidente Lucia Dahlab (à partir de 2009), suivis, en 2012, par le nouveau président Hani Ramadan. Entre 2006 et 2009, l’UOMG vit une phase de consolidation. A la fonda- tion de l’UOMG, le droit de vote est ainsi réparti : huit voix à la mosquée de Colladon en vertu des différentes associations qui y œuvraient, quatre voix au CIGE pour la même raison, et trois voix aux associations avec salle de prière. A l’origine, seules les associa- tions avaient le droit de vote. Le Collectif des femmes a pu voter lorsque l’UOMG s’est restructuré et a admis des membres indépen- dants élus par l’assemblée générale, à partir de 2009, en réponse à la campagne anti-minaret.

L’UOMG a été le protagoniste des trois initiatives qui ont changé l’image publique de l’islam à Genève : les deux Journées portes ouvertes des mosquées intitulées « A la découverte de l’islam à Genève », en 2009, et « L’islam à Genève, parlons-en. Dialoguer,

36. Stéphane LATHION, « Musulmans de Suisse, le défi de la citoyenneté », in : Mal- lory SCHNEUWLY PURDIE, Matteo GIANNI et Magali JENNY (éd.), Musulmans d’au- jourd’hui : identités plurielles en Suisse, Genève, Labor et Fides, 2009, pp. 177-200.

37. Interview avec Latifa Benhattat Camfferman (membre du collectif) 18.12.2008.

38. Mounia BENNANI-CHRAÏBI, Sophie NEDJAR, Samina MESGARZADEH, L’émergence d’acteurs associatifs musulmans dans la sphère publique en Suisse, FNS, PNR 58-Col- lectivités religieuses, Etat et Société, 2010.

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c’est partager » 39, en 2010, en collaboration avec la Plateforme interreligieuse genevoise et le Bureau de l’intégration du canton de Genève, ainsi que la semaine internationale d’action contre le racisme en 2013. En septembre 2012, l’assemblée générale a changé ses statuts et, après délibération, a décidé que chaque association aurait dès lors deux voix chacune. Cet important changement, accepté par la mosquée de Colladon, prévoit également une nou- velle interprétation des fi nalités de l’UOMG. L’UOMG aspire à devenir coordinatrice des différents liens avec les institutions et les autres acteurs de la société civile ainsi que, surtout, des activités des associations musulmanes dans le canton. L’UOMG a par exemple confi é à Lucia Dahlab et à Sabine Tiguemounine l’organisation de deux conférences au cours de l’année 2013, intitulées « Union et ouverture », pour les citoyens musulmans et non musulmans, sur des thématiques liées à la citoyenneté active.

4. Formes citoyennes d’engagement associatif de musulmans à Genève

A la fi n des années 1990 et dans la première décennie de ce siècle, les musulmans habitant le canton de Genève entrent dans un moment décisif de l’histoire de leur engagement dans la sphère publique. Les résidents musulmans décident de plus en plus de s’organiser par le biais d’associations qui privilégient les aspects culturels et sociaux, dans le but de changer une vision véhiculée par les médias réduisant la civilisation musulmane au seul domaine religieux. De même, ils sou- tiennent une implémentation des valeurs de l’islam dans un engage- ment citoyen, en faveur des résidents musulmans comme des non musulmans.

Autour des Maisons de quartier et d’autres lieux associatifs genevois, un réseau associatif de citoyens et de résidents de foi musulmane s’organise. Ces associations sont toutefois très diver- sifi ées. Une première catégorie est celle des associations qui adhèrent ou collaborent avec l’UOMG : la Fondation de L’entre- connaissance, l’Association des intellectuels somaliens de Genève, le Centre culturel islamique albanais Dituria 40, l’association

39. http://www.uomg.net/index.php/evenement (consulté en octobre 2012).

40. A Vernier, le Centre culturel islamique albanais Dituria est créé en décembre 2005, dans le but de louer un espace dans lequel se réunirait la communauté albano- phone musulmane de Genève. Voir http://www.dituria.ch/ (consulté le 21.03.2013). En avril 2006, les membres inaugurent la salle de prière louée au sein d’un isolat industriel

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Nouvel horizon 41 et l’ACMM de Meyrin. Ces associations dévelop- pent leurs activités dans des quartiers périphériques ou à forte den- sité de population immigrée. Elles s’engagent dans la fondation d’organismes ou le développement d’activités qui fédèrent les asso- ciations socioculturelles, en œuvrant en faveur du renforcement de la cohésion sociale et du capital social individuel et associatif à l’échelon municipal. Parmi les plus anciennes, la Fondation de L’entre-connaissance (FEC) voit le jour au Pâquis en 1999. Mardam- Bey Nemat 42 et Ouardiri Hafi d 43, d’anciens membres très actifs au sein de la mosquée de Colladon, fondent l’association afi n « de tisser des liens entre la civilisation islamique et le reste du monde, et d’œuvrer pour la connaissance et la compréhension des cultures et des peuples » 44. L’association développe des liens étroits avec les institutions au niveau municipal, cantonal et fédéral. Par le biais d’une savante utilisation des médias, elle donne une image progres- siste de l’islam en Suisse. La FEC a organisé des activités presti- gieuses 45 avec la plupart des acteurs culturels de Genève, fi nançant

à Vernier. L’accès à la salle de prière se fait par un garage et témoigne de la diffi culté de trouver à Genève un lieu capable de contenir plus de 300 membres pour la prière du vendredi. La salle de prière est utilisée deux fois par semaine pour des cours de français qui ciblent prioritairement les femmes de la communauté, afi n d’améliorer leur insertion socioculturelle, et des cours de soutien scolaire pour les enfants. Le nombre des membres croît d’année en année. Les activités religieuses se font en albanais : cinq prières quoti- diennes, apprentissage du Coran pour les enfants et les adultes, fêtes cultuelles. Une grande place est donnée par l’imam et le comité exécutif de la mosquée à des jeux pour les jeunes appelés quiz. Certains mois de l’année, le centre Dituria propose une série de questions de culture générale à la deuxième génération qui fréquente la salle de prière.

Les questions peuvent toucher différentes matières scolastiques. Les adolescents et les enfants ont un mois pour préparer les réponses afi n de pouvoir emporter les prix du concours quiz. Le concours se déroule publiquement dans la salle de prière. Avec ces quiz, les adultes cherchent à améliorer la préparation culturelle de la deuxième généra- tion en proposant des activités éducatives ludiques. Interview avec l’imam du Centre culturel islamique albanais Dituria le 18.03.2013. Voir aussi Bashkim ISENI, « Les dias- poras musulmanes des Balkans en Suisse », in : Mallory SCHNEUWLY PURDIE, Matteo GIANNI et Magali JENNY (éd.), op. cit., pp. 37-52.

41. Au Lignon, l’association Nouvel horizon est fondée afi n de soulager le manque de service de garderie pour les enfants entre 3 et 6 ans. Deux après-midi par semaine, une petite garderie d’enfants est organisée pour tous les enfants, musulmans comme non musulmans. Pour les enfants entre 4 et 6 ans, des cours de langue arabe, de Coran et de religion sont également organisés. Voir http://www.anouvelhorizon.com/ (consulté le 21.03.2013)

42. Présidente de la Fondation de L’entre-connaissance et gestionnaire fi nancière.

Son grand-père fut le maître d’œuvre de la mosquée de Colladon.

43. Porte-parole de la mosquée de Colladon, licencié en 2006 par le Conseil de fondation, directeur de la Fondation de L’entre-connaissance.

44. http://www.fec-geneve.ch/ (consulté en 2009 et en 2012).

45. http://www.fec-geneve.ch/panorama2.php, http://www.fec-geneve.ch/pano- rama3.php et http://www.fec-geneve.ch/media.php (consulté le 21.03.2013).

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indifféremment des associations genevoises laïques, chrétiennes et musulmanes. Installée aux Pâquis, l’un des quartiers les plus diffi - ciles en matière d’insertion des couches défavorisées des immigrés du Maghreb, l’association crée collectivement, avec d’autres asso- ciations du quartier, l’association Bien vivre aux Pâquis (BVP) 46. La capacité de promouvoir avec d’autres associations la création de nouvelles entités est également propre à l’Association des intellec- tuels somaliens de Genève qui participe à la fondation de l’Univer- sité populaire africaine en Suisse, en 2009. Cette association développe des activités à la Maison des associations sociopoli- tiques 47, bien avant sa fondation offi cielle en 2001. Elle aide à la stabilisation des immigrés somaliens dans le canton en organisant des cours de français et de formation professionnelle, surtout pour les femmes, et en collaboration avec le Bureau de l’intégration du canton de Genève. Elle promeut également des activités à la Cité Seniors 48, pour les personnes âgées suisses et somaliennes, en pro- posant des cours sur l’histoire de la Somalie.

La deuxième catégorie regroupe les associations dont les membres proviennent des pays où l’islam a contribué à structurer l’identité culturelle nationale, par exemple du Pakistan pour la Geneva Pakistan Association 49 ou de l’Afghanistan pour l’association Zeba Watan 50. Bien que la majorité des membres ait un lien personnel

46. http://bienvivreauxpaquis.parfab.ch/bvp/ (consulté le 21.03.2013).

47. http://www.lafea.org/ (consulté le 21.03.2013). L’Association des intellectuels somaliens de Genève recouvre une fonction éducative pour les Somaliens de Suisse et d’Afrique en proposant une lecture historique des récents événements politiques de la Corne d’Afrique, qui déconstruit les logiques confl ictuelles d’appartenance clanique.

48. http://www.ville-geneve.ch/plan-ville/lieux-rencontre-aines/cite-seniors-lau- sanne/ (consulté le 21.03.2013).

49. Aux Pâquis, la Geneva Pakistan Association a été fondée en 2004-2005 afi n d’organiser l’aide aux populations du Pakistan frappées par les tremblements de terre.

Tout d’abord, des résidents pakistanais dans le canton s’organisent pour envoyer des moyens sanitaires aux blessés. A partir de 2008, à côté de l’action humanitaire, l’asso- ciation développe avec les associations travaillant à la Maison de quartier des Pâquis des activités festives et culturelles pour le quartier. En outre, l’association s’engage en Suisse et au Pakistan pour l’émancipation de la femme et souhaite construire au Pakistan des structures comme les Maisons de quartier suisses, afi n de promouvoir l’idée du respect et du dialogue politique pacifi que. Elle fonde avec la FEC le collectif Bien vivre aux Pâquis. Interview avec Muhammad Gaddafi (président de la Geneva Pakistan Asso- ciation) le 02.07.2011. Voir http://www.genevapakistan.org/ (consulté le 21.03.2013).

50. Cette association est une forme très récente d’engagement associatif de la deu- xième génération musulmane genevoise. Voir http://fr-fr.facebook.com/pages/ZEBA- WATAN/172918166874 (consulté le 21.03.2013). En 2008, l’active deuxième géné- ration afghane de Genève, de jeunes étudiants essentiellement, fonde cette association à but non lucratif, dont le souci est « d’offrir une autre représentation de l’Afghanistan que celle habituellement proposée dans les médias » (interview audiovisuelle avec le président de Zeba Watan en 2009). A travers leur participation à la « Fête de la diversité »

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avec la religion islamique, l’islam n’apparaît pas parmi les raisons qui ont déclenché la création de ces associations. Elles ne tissent aucun lien avec les associations musulmanes traditionnelles de la ville. Elles créent plutôt un réseau d’acteurs qui favorisent la média- tion socioculturelle en utilisant chacun des activités spécifi ques.

Certaines associations préfèrent les activités culturelles, d’autres optent pour des activités sociopolitiques, d’autres encore cherchent à faciliter les dialogues entre différents acteurs 51. Ce deuxième groupe d’associations vit l’islam comme une référence culturelle parmi d’autres, ces associations intégrant différentes identités reli- gieuses ou culturelles en leur sein 52.

Enfi n, le troisième et dernier groupe d’associations ne fait jamais référence à l’islam en tant que référence cultuelle. Elles préfèrent structurer leurs activités autour du concept de « participation citoyenne » et, de ce fait, refusent toute référence à la religion dans le développement de leurs activités 53.

et à la soirée « Saveurs du monde », organisées par la Maison Kultura (http://www.

kultura.ch/ consulté le 21.03.2013) ainsi qu’à la journée « Un autre regard sur l’Orient » à l’Université de Genève (http://aiesec.ch/geneva/ consulté le 21.03.2013), Zeba Watan a de fait bouleversé les stéréotypes sur la culture afghane, à travers la promotion de sa culture culinaire, artistique et musicale. A l’intérieur de la communauté, elle cherche à rassembler les jeunes Afghans et à mettre en communication les diverses factions de la communauté afi n d’organiser des activités d’aide aux travailleurs afghans en Suisse et en Afghanistan.

51. En mars 2013, le Dialog Institut est inauguré à Genève en la présence et avec des interventions des représentants des communautés religieuses chrétiennes. L’institut fondé par des intellectuels turcs et suisses, musulmans et non musulmans, est déjà actif à Zurich depuis 2004. Comme le jeune président Halil Göksan l’écrit : « On observe aujourd’hui un durcissement du climat social, un écart grandissant entre les différentes composantes de la société. Un effort est nécessaire pour maintenir la paix sociale. La rencontre et la communication entre les gens et les communautés de différentes cultures sont la base de la cohésion sociale et du vivre ensemble. En Suisse, diverses organisa- tions travaillent déjà sur le dialogue et l’intégration, aussi notre institut ne se veut qu’une contribution pour renforcer, développer et initier des actions concrètes favori- sant ce dialogue et cette coopération. » Voir http://www.dialog-institut.ch/anlaesse/

diverse/295-inauguration-dialog-institut (consulté le 21.03.2013).

52. En 2012, l’association Verein FUL, active en Suisse alémanique depuis 2006, ouvre un bureau dans le canton de Genève. Voir http://www.sterbefonds.ch/fr.htm (consulté le 21.03.2013). Elle apporte une aide aux transferts des corps de personnes décédées vers leur pays d’origine. Le service, créé surtout pour les musulmans, est devenu un service également pour d’autres communautés immigrées non musulmanes en Suisse. Interview avec Rasim Cindemir (membre actif) le 10.06.2011.

53. C’est le cas de l’Association des Burkinabés, créée par une majorité d’étudiants en 2001 qui participent à la vie de la communauté burkinabé en organisant des activités humanitaires au Burkina Faso et des activités culturelles à Genève, par exemple avec la participation à l’organisation du festival « Tambours Battants ». Voir interview avec M. Clément le 08.12.2008. D’autres associations mettent en place des projets sociaux et culturels, comme l’Association marocaine de solidarité et d’intégration en Suisse

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5. Le réseau musulman à Genève, entre Maison de quartier et mosquée 54

Les collaborations et les projets présentés dans ces pages esquis- sent brièvement l’extrême variété du réseau des associations musul- manes genevoises. Malgré les différences, certaines caractéristiques de la stratégie relationnelle des associations apparaissent comme communes à la majorité des acteurs musulmans observés. Les asso- ciations sunnites musulmanes de Genève n’ont pas eu comme prio- rité initiale la recherche d’une salle de prière, étant donné qu’elles en disposaient déjà de deux depuis les années 1960 et 1970 : la Maison verte et la mosquée de Colladon. La recherche de salles de prière est devenue une priorité à partir du moment où il y a eu une volonté de dissocier sa propre identité islamique de deux autres formes d’identité islamique surreprésentées dans l’espace public en Suisse romande : le wahhabisme d’Arabie saoudite et l’islam des Frères musulmans. La cohésion sociale, l’éducation religieuse et non religieuse et la sauvegarde des liens communautaires représen- taient les raisons qui ont conduit les croyants à fonder des associa- tions et à chercher des espaces où organiser leurs activités. La stratégie gagnante consistait à utiliser les espaces communs très signifi catifs de la vie socioculturelle des Genevois, comme la Maison des associations, la Maison Kultura 55 et les Maisons du quartier en tant que premiers lieux de rencontre et de socialisation.

Les associations des musulmans qui s’activèrent pour la participa- tion citoyenne choisirent ces lieux associatifs très typiques de la ville de Genève et y furent fi délisées. En conséquence, même les associations ou les fondations plus anciennes développèrent des interactions ponctuelles ou régulières avec ces acteurs engagés dans la promotion de la participation citoyenne. Ce changement se déve- loppa lentement pendant deux décennies jusqu’à se manifester explicitement, après 2005, avec la fondation des associations musul- manes citoyennes telle, par exemple, celle de l’ACMM de Meyrin.

Durant ces années, les associations musulmanes du canton s’en- gagèrent de plus en plus dans des activités socioculturelles, en

(AMSIS) fondée en 2005 (voir http://cours.ifage.ch/we0109/amel/ consulté le 21.03.2013) ou l’association Droit pour tous fondée en 2002 par des résidents musul- mans et non musulmans qui organisent des activités humanitaires, surtout pour la Pales- tine et la Syrie.

54. Voir pour le cadre théorique de référence Salvatore ARMANDO, « Eccentric Modernity ? An Islamic Perspective on the Civilizing Process and the Public Sphere », European Journal of Social Theory, 14 (1), 2011, pp. 55-69.

55. http://www.kultura.ch/ (consulté le 21.03.2013).

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parallèle des activités religieuses. Pour mieux comprendre cette atti- tude, il faut souligner que dans le canton de Genève, les collectivités religieuses ne sont pas fi nancées par l’Etat ni ne peuvent pas acquérir le statut d’organisation de droit public comme dans d’autres can- tons. Elles peuvent seulement être reconnues « d’utilité publique ».

En 2004, la Fondation de la mosquée de Genève s’est vu reconnaître ce statut d’organisme d’utilité publique, une décision provenant de l’autorité fi scale qui permet une exemption fi scale 56 de plusieurs organismes, dont les Eglises chrétiennes. De ce point de vue, Genève se hisse au rang des très rares cantons qui attribuent une forme de reconnaissance étatique à une organisation musulmane, mais cette reconnaissance n’est pas spécifi quement religieuse.

Dans le contexte très particulier de la laïcité genevoise, l’UOMG, tout comme chaque association musulmane d’ailleurs, pourrait aspirer à une reconnaissance seulement en s’engageant activement sur le plan socioculturel pour faire preuve d’une utilité publique. Le modèle genevois de la séparation stricte entre l’Etat et l’Eglise joue donc un rôle dans le choix des types d’activités développées par les associations musulmanes du canton.

En même temps, les associations musulmanes les plus engagées autour de la participation citoyenne ont véritablement changé la per- ception de l’islam par les institutions et la société civile du canton de Genève. Leurs activités pourraient imposer dans les années à venir une convergence de toutes les associations musulmanes du canton vers ce modèle du citoyen musulman genevois.

Par exemple, l’association de Meyrin formule de manière tout à fait explicite sa volonté de faire que les valeurs de l’islam devien- nent des valeurs-ressources pour la communauté des résidents et des citoyens, musulmans et non musulmans. En outre, en privilégiant le plan municipal comme plan d’action prioritaire, l’ACMM adopte une modalité très suisse d’autofi nancement à l’échelon de la mairie.

La mairie devient donc une référence très importante pour ce type d’association musulmane, qui se protège des fi nancements étrangers et donc des infl uences externes. La transparence économique com- mence d’ailleurs à être demandée par les membres et par certains leaders, afi n d’éviter les infl uences externes au réseau musulman genevois déjà très varié et compliqué.

Le réseau d’organisations musulmanes de Genève présente effec- tivement toutes sortes de branches musulmanes imaginables. Cette

56. Dans le cas de la Fondation, il s’agit de 30 000 francs par année à la place des 200 000 francs précédemment.

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