• Aucun résultat trouvé

La solidarité humaine selon l'enseignement des derniers Souverains Pontifes

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "La solidarité humaine selon l'enseignement des derniers Souverains Pontifes"

Copied!
185
0
0

Texte intégral

(1)

r

B

zo.s

UL S?£J$ &

3£3

THESE PRESENTEE

A L’ECOLE DES GRADUES DE L’UNIVERSITE LAVAL

POUR OBTENIR

LE GRADE DE DOCTEUR EN PHILOSOPHIE

PAR

n V.

d’ordre

183

L’ABBE JOSEPH LAROCHELLE M.A. (UN.CATH.WASHINGTON) L.TH., L.PH, (LAVAL)

LA SOLIDARITE HUMAINE SELON L’ENSEIGNEMENT DES DERNIERS SOUVERAINS PONTIFES

v-> ' **

(2)

PROPOSITIONS

1. LT-analogie de 1* être. S

2. L*essence et 1*existence. 3. L1hylémorphisme.

4. L*origine des idées.

(3)

IÎEROHJCTIOH

lie problème de notre siècle est le problème de l'homme. Les questions qui hantent en ce moment les esprits et les dressent souvent les uns contre les autres, gravitent presque toutes autour des rela­ tions de 1*homme avec ses semblables* relations des individus avec les individus et la société; relations de la société et de l'autorité avec les particuliers. A la vérité, le problème n'est pas nouveau; il est vieux comme la société elle-même, comme l'humanité. Il a été particu­ lièrement agité depuis la Renaissance, d'où est né l'homme moderne: individu conscient de ses droits et jaloux de sa libertté. L'esprit d'indépendance qui caractérise notre siècle et, d'autre part, la forma­ tion, en certains pays, d'Etats fortement autocratiques, redonnent au problème des relations entre les hommes une singulière actualité,

La solution de ce problème cotoie deux abîmes: 1 ' individual!s- me et le collectivisme. L'individualisme, qui tend a isoler la personne humaine; le collectivisme, qui tend à l'absorber.

Personne n'ignore que 1'individualisme égoïste, l'amour désor­ donné de soi, est a la base des maux dont souffre l'humanité. Et jamais peut-être ce désordre n'a pesé davantage sur le monde que de notre temps. Sans doute l'homme moderne admet qu'il lui faut vivre en société, qu'il a besoin de ses semblables pour poursuivre une existence convenable. Mais trop souvent il prétend être social et ne s'occuper que de lui-même.

(4)

Il veut profiter de la vie en. société et ne se soucier que de ses "biens privés, ne sacrifier aucun de ses "biens privés aux "biens de la collecti­ vité. "Ainsi les passagers du navire. Ils usent du navire sans rien lui donner". Bref il méconnaît la nature et les exigences de la vie en commun.

Cet esprit s'est naturellement infiltré dans les rapports entre les nations. L'égoisme devient alors synonyme de nationalisme étroit qui élève des cloisons étanches entre les peuples, ne juge de tout qu'en fonc­ tion de 1'intérêt et de la souveraineté nationale, oublie ou méprise meme le bien des autres peuples à qui échoient soumission et servitude.

La clairvoyance des Papes n'a pas manqué de faire le diagnosti­ que de ce mal qui ronge l'humanité. A peine monté sur le trône de Saint Pierre, Benoit XV mesure du regard les misères du troupeau qui lui est

confié. Il avise que l'absence de bienveillance mutuelle entre les hom­ mes constitue l'un des principaux chefs de désordres d'où proviennent les pertubations si graves de la société.

Jamais peut-être plus que maintenant, écrit-il dans sa première encyclique, on n’a parlé de fraternité humaine....

Cependant, a vrai dire, jamais la fraternité n'a été moins pratiquée que de nos jours: on n'hésite même pas à laisser de coté les enseignements de l’Evangile, l'oeu­ vre de Jésus-Christ et de l'Eglise et a prétendre quand même que ce zèle pour la fraternité est un des fruits les plus précieux de la civilisation moderne. Cependant les haines de races sont portées au paroxysme; les peuples

sont divisés par leurs rancunes encore plus que par leurs frontières; au sein d'une même nation, les classes s'op­ priment et se jalousent mutuellement et chez les indivi­

dus tout est réglé par l'égoisme, devenu la loi suprême (l). (l)

(5)

Après un quart de siècle, ces paroles n’ont rien perdu de leur actualité. Et Pie XI, au milieu des passions vivaces, des discordes so­ ciales et internationales, élève a son tour la voix pour faire la même observation avec l’énergie qui le caractérise:

’’N* est-ce pas cet égoisme, déclare-t-il, qui trop souvent préside aux relations individuelles et sociales; n’est-ce pas en somme, la cupidité, quelles qu’en soient la forme

et l’espèce, qui a entraîné le monde aux extrémités que nous voyons et déplorons...?

Que si cet égoisme, abusant du légitime amour de la pa­ trie et poussant & 1’exagération ce sentiment de juste nationalisme que l’ordre légitime de la charité chrétien­ ne non seulement ne désapprouve pas, mais sanctionne et vivifie en la réglant,si cet égoisme s’infiltre dans les relations de peuple à peuple, il n’y a plus d’excès qui ne semble justifié, et ce qui entre individus semble con­ damnable est dès lors considéré comme permis et digne de louanges du moment qu’on l’accomplit au nom de ce natio­ nalisme exagéré" (l).

L’erreur se complaît dans les extrêmes. Sous prétexte, sincère ou apparent, de réagir contre l’individualisme ou le nationalisme outré, on peut aussi tomber dans l’excès contraire, ignorer 1’individu et ses droits, méconnaître les différences naturelles qui existent entre les peuples et mépriser leurs légitimes aspirations.

0’est la, esquissée en quelques mots, l’histoire des doctrines totalitaristes qui prêchent une morale du collectif, au détriment de l’homme. Le racisme biologique, en effet, par un monstrueux pervertis­ sement du bien commun, considère la personne humaine comme une entité négligeable en soi, n’ayant de valeur qu’en fonction de la collecti­ vité, n’existant que pour le bien de la race et ne possédant de droits (l)

(6)

que par concession de l’Etat. C’est ériger en système le culte de la violence, 1’idolâtrie de la race et du sang, la destruction de la li­ berté et de la dignité humaine (l).

Le communisme marxiste ne s’en distingue pas essentiellement. Il nous présente comme humanité idéale une masse d’individus sans hié­ rarchie, une collectivité libre de toute entrave, de toute aliénation religieuse et sociale, un monde sans frontières et sans patries. Mais la négation de la pitié est aussi a son principe. Pour réaliser ce

rêve de la Classe, il sacrifie impitoyablement les droits les plus sacrés des individus et des peuples, laissant les morts enterrer et pleurer leurs morts (2).

On le peut constater cependant, l’opposition entre individua­ lisme et collectivisme n’est pas très profonde. Aucun des systèmes men­ tionnés ne veut réellement détruire l’individualisme. Individualisme et collectivisme sont logiquement connexes. Le collectivisme n’est qu’un individualisme plus poussé et plus brutal.

(1) Pie XII. Discours de juin 19^5 ♦

(2) Marx tourne évidemment ce texte contre son sens originel, et l’emploie pour rejeter les biens spirituels et pour affirmer comme seuls biens véritables ceux de la terre - les biens sensibles et passagers.

Les grands mouvements d’aujourd’hui semblent hsciller entre deux posi­ tions également partiales.Tantôt ils sacrifient le présent au futur. Tel est par exemple le marxisme.Tant que dure la phase préparatoire du communisme ,1a cité harmonieuse n’ existe pas .Paix, liberté, amour fra­ ternel remis a demain peuvent être précédés par le mensonge,la haine et l’oppression.Le présent n* est pas la réalisation ébauchée de l’ave­ nir, mais le pur moyen hétérogène à la fin. Les générations actuelles sont vouées, tant activement que passivement,à un sacrifice sans contre­ partie puisqu’elles n’ont aucun espoir de participer quelque jour à l’avenir qu’elles ont contribué à créer* Tantêt, au contraire, le futur est sacrifié au présent. Plus attentif a sauver un ordre actuel qui le favorise qu’à promouvoir un ordre nouveau, tout un courant libéral se refuse aux sacrifices et aux réformes qui amèneraient pourtant la participation de tous à un - mieux-être économique,social et culturel. Louis Beimaert; Fidélité è, l’Eglise,fidélité a l’homme dans Les Etudes, oct.19^6, p.9.

(7)

Rien ne développe en effet 1*individualisme comme la tyrannie qui fait disparaître le Men commun, l'idéal communiste représente d'ail­ leurs d'une façon explicite l'individualisme dans sa forme la plus abso­ lue, puisque cet idéal ne sera réalisé que lorsque chaque individu,étant devenu un être générique, n'aura à s'occuper que de son bien privé (l).

Or tous ces systèmes représentent plus ipie des erreurs pratiques. Cette maladie du coeur humain qu'est l'amour désordonné de soi, a engen­ dré des erreurs spéculatives qu'il importe souverainement de dissiper. Tache d'autant plus difficile que ces doctrines, à l'encontre des celles de l'Antiquité, pèchent dans la lumière et rejettent la lumière. Biles sont d'abord une apostasie arrogante de Jésus-Christ,un reniement de sa doctrine et de son oeuvre de Rédemption (2). "De nos jours, disait Pie XII au début de son Pontificat, les dissensions ne proviennent pas seulement d'élans de passions rebelles, mais d'une profonde crise spirituelle qui a bouleversé les principes de la morale privée et publique" (3) •

Cette crise spirituelle qui empoisonne actuellement la vie en commun des individus et des peuples se manifeste particulièrement dans le mépris de la grande loi de solidarité humaine, de dépendance mutuelle de tous les hommes dans la poursuite du bonheur.

La première de ces pernicieuses erreurs,(qui rendent presqu'impossible la pacifique vie en commun de peuples) aujourd'hui largement répandue, est l'oubli de cette loi de solidarité humaine et de charité, dictée et im­ posée aussi bien par la communauté d'origine et par l'égalité de la nature raisonnable chez tous les hommes,

(1) Karl Marx ,M.C. (2) Pie XII, Juin 1945.

(8)

à quelque peuple qu’ils appartiennent,que par le sacri­ fice de rédemption offert par Jésus-Christ sur l’autel de la Croix a son Père céleste en faveur de l’humanité pécheresse (l).

Cette doctrine de la solidarité humaine est celle de l’Eglise. Elle réprouve l’égoisme et la lutte des classes, mais non la distinc­ tion des classes. Elle condamne l’absorption de l’individu dans la so­ ciété, mais non la société elle-même. Elle prSne la primauté du bien commun, sans pour cela sacrifier les droits de la personne humaine. Elle permet, impose même l’amour de la patrie, mais elle ajoute que cet amour ne doit être ni étroit ni exclusif. Bref, tout en sauvegar­ dant jalousement la dignité de la personne humaine et les droits des Etats, elle affirme l’existence d’une mutuelle dépendance entre les in­ dividus et les peuples, de sorte que les uns ne peuvent être heureux que si les autres le peuvent aussi: d’où, résulte non seulement l’obli­ gation, mais l’avantage de s’entraider.

Cette doctrine, écrit Pie XI, se tient à égale dis­ tance des erreurs extrêmes comme des exagérations des parties ou des systèmes qui s’y rattachent; elle réclame la juste mesure dans la théorie et en assure la réalisation progressive dans la pratique, s’efforçant de concilier les droits et les devoirs de tous, l’autorité avec la liberté, la dignité de l’individu avec celle de l’Etat, la personnalité humaine du subordonné avec l’origine divine du pou­ voir, la juste soumission, l’amour ordonné de soi- même, de sa famille et des autres patries (2). Depuis un demi siècle surtout, alors que, a la faveur de crises économiques, les systèmes sociaux les plus subversifs tentent de s’imposer de plus en plus dans le monde, menaçant les fondements

(1) Pie XII, Summi Pontificatus (2) Pie XI, Studiorum Ducem

(9)

même de la diretienté, les Souverains Pontifes n’ont cessé d'élever la voix, pour indiquer le danger, découvrir 11 erreur cachée sous les dehors les plus spécieux, proposer les vrais remèdes. La philosophie sociale s'est ainsi accrue d'un grand nombre de documents de la plus haute por­ tée doctrinale où l'on trouve les principes qui régissent les rapports entre les hommes ù tous les degrés de la vie sociale.

Nous avons tenté de recueillir quelques-uns de ces principes » Cet essai de synthèse s'inspire donc de 1'enseignement des Souverains Pontifes depuis Léon XIII jusqu'à Pie XII glorieusement régnant. Limi­ tant notre travail aux documents les plus importants et les plus spéci­ fiques, nous nous sommes efforcés de comprendre et d'interpréter les documents pontificaux à la lumière de la doctrine de Saint Thomas, doc­ trine qui éclaire non seulement les régions sereines de la métaphysi­ que, mais tous les domaines de l'activité humaine.

Comme cette étude tend a démontrer la solidarité universelle du genre humain, nous avons encore puisé chez les auteurs qui se sont particulièrement occupés de questions internationales, tels que Vitto-

ria, Taparelli, John Eppstein, Yves de la Brière, J.-T,Delos, Mgr Paquet, Mgr D,A. McLean.

Notre point de départ sera une analyse de la nature humaine considérée en elle-même et dans ses exigences sociales. Nous étudie­ rons ensuite la nature du bien commun et de la société dont il est la raison d'être.

(10)

Nous élevant ensuite sur un plan plus vaste, nous appliquerons, rjg.rtg un deuxième chapitre, les principes de la sociabilité aux peuples eux-mêmes et nous poserons ainsi les bases de la société universelle, internationale.

Enfin, dans un troisième chapitre, nous préciserons la nature et les limites d’un internationalisme modéré et sain.

Nous nous en tiendrons généralement è, l’aspect philosophique de la question. Toutefois, on ne saurait faire abstraction complètement de l’ordre surnaturel lorsqu’il s’agit de questions sociales. Nous y ferons appel au moins secondairement, soit pour confirmer les données de la raison, soit encore pour montrer l’inefficacité de celle-ci à l’effet de résoudre adéquatement certains problèmes humains.

Ce travail est une exposition de principes. On y cherchera donc en vain des discussions sur des points particuliers de loi internationa­ le, ou des suggestions pratiques touchant l’institution d*organismes internationaux. Oes questions relèvent des sociologues, des juristes et des hommes d’Etat. Nous avons simplement voulu apporter quelques pierres sur lesquelles reposera l’édifice. A d’autres de concevoir le plan et de construire.

(11)

Li HOMME ET LA SOCIETE

La société a pour fin le "bien des personnes. Nous connaissons ce Men en tant qu’il est la perfection k laquelle 1*homme est ordonné en vertu même des aptitudes et des "besoins de sa nature. Il convient donc d’ examiner celle-ci en vue de montrer comment les aptitudes et les "besoins des personnes les engagent tout naturellement à vivre en société dans la poursuite drun "bien qui fait le premier principe de leur solidarité. Pour cette raison nous consacrons la premiere partie de ce chapitre k 1*étude de la nature de l’homme en tant qu’elle est le fondement de la vie en société.

(12)

10-HATUBE 3355 L’HOMME

L’homme est a la fois un être matériel et spirituel. Ce prin­ cipe que saint Thomas énonce des le début de son traité de l’homme doit servir de "base à toute discipline concernant la vie des hommes en com- zmm(l). L’homme n’est pas seulement matière; il n’est pas non plus pur esprit, mais un admirable composé des deux. Il est l’abrégé de l’univers, un petit monde o$l se rencontrent la matière et l’esprit. Cette union

d’esprit et de matière, de grandeur et de misère, qui situe l’homme au bas de l’échelle des êtres intelligents, le rend cependant capable des plus grandes exaltations.

L'homme a une âme spirituelle et immortelle; il est une personne admirablement pourvue par le Créateur

d’un corps et d'un esprit, un vrai 11 micro s cosme11, comme disaient les Anciens, c’est-a-dire un petit monde qui vaut à lui seul beaucoup plus que l’immense univers inanimé.

En cette vie et en l’autre il n’a pour fin dernière que Dieu par la grâce sanctifiante, il est élevé a la dignité de fils de Dieu et incorporé au royaume de Dieu dans le corps mystique du Christ (2).

Pie XI résume, dans ces quelques lignes, la sagesse antique et 1'enseignement de la foi touchant la nature et les destinées de l’homme. Il réprouve, une fois de plus, ces monstrueuses doctrines, si en vogue aujourd’hui dans certaines écoles, qui prétendent suppri­ mer l’esprit et réduire toute l'activité humaine a des réactions ner­ veuses et organiques^) - ou du moins soumettent l'esprit a la matière

(1) I, q.75, Prologue.

(2) Pie XI, Divini Redemptoris.

(3) Le cerveau est 1’organe particulier destiné à produire la pensée,comme l'estomac et les intestins à faire la digestion. Les alimente tombent dans l’estomac avec leurs qualités propres, et en sortent avec des qualités nouvelles.L'estomac digère.Ainsi les impressions arrivent au cerveau par 1’entremise des nerfs; ce viscère entre en action, il agit

(13)

dans laquelle elles voient le principe ultime de toutes choses. Gomment un esprit ainsi soumis a la matière mérite-t-il encore le nom à’esprit?(l)

L1 homme a une âme spirituelle. Ses opérations le proclament constamment. La pensée humaine en effet évolue sur des objets et selon un mode qui dépassent essentiellement les limites de la matière. Bile porte sur des objets qui, dans leur formalité propre, sont au-dessus des conditions de la matière, de la fixation du lieu et de l’évanescence du temps. Non seulement peut-elle atteindre des objets matériels et tem­ porels selon un mode tout immatériel et intemporel, mais encore peut- elle arriver à connaître des êtres qui ont une existence concrète et sé­ parée de toute matière, des etres purement spirituels. L’intelligence humaine ne pourrait connaître ainsi les choses, elle ne pourrait attein­ dre ces objets, si elle n’était pas elle-même, par sa nature, élevée au- dessus de la précarité des êtres matériels. Il faut donc que le princi­ pe de la pensée humaine soit une réalité indépendante de la matière,

c’est-à-dire une réalité spirituelle.

(suite de la note précédente) sur elles et bientôt les renvoie métamor­ phosées en idées: d’où nous pouvons conclure avec la même certitude que le cerveau digère en quelque sorte les impressions et fait organi­ quement la sécrétion de la pensée. Cabanis, Rapports du moral et du physique de l’homme. T.I, p.lg2.

(l) La grande question fondamentale de toute philosophie, et spéciale­ ment de la philosophie moderne, est celle du rapport de la pensée et de l'être. Quel est l'élément primordial, l'esprit ou la matière?.. Selon qu’ils répondaient de telle ou telle façon a cette question, les philosophes se divisaient en deux grands camps. Ceux qui affir­ maient le caractère primordial de l'esprit par rapport à la nature et qui admettaient par conséquent en dernière instance une création du monde de quelque espèce que ce fut.. .formaient le caipp de 1 ’ idéa­ lisme. Les autres qui considèrent la nature comme l’élément primor­ dial, appartenaient aux différentes écoles du matérialisme. B.Eœfeels, Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande,

(14)

D’ailleurs l’homme dit "je", et ce simple petit mot sorti de ses lèvres nous livre déjà le caractère spirituel de son être. Par ce "je" en effet, l’homme déclare qu’il a conscience de lui-même; il se prend comme objet de sa propre pensée. Son moi est à la fois sujet pensant et objet pensé. Or, un être totalement matériel ne peut se posséder et s’appartenir de cette façon. Une partie peut bien agir sur une autre partie, mais il est impossible que le tout de la matière agis­

se sur le tout, qu’une partie agisse sur elle-même. La main ne peut se saisir elle-même totalement, de même qu’elle ne peut saisir sa propre opération.

L’homme juge; il raisonne. Et ces opérations nous livrent en­ core son âme, car, mettre ainsi en regard plusieurs objets, percevoir les relations qui existent entre eux, ne peut être le fait d’une facul­ té qui s'exerce par le moyen d’un organe corporel. Une faculté organi­ que en effet peut bien percevoir les choses les unes apres les autres, elle ne peut mettre deux choses en regard à la fois et percevoir entre elles leur convenance ou leur non-convenance (l).

Si nous passons aux activités pratiques de l’homme, nous voyons qu’il dépasse encore les conditions de la pure animalité, si parfaite

n’

soit-elle. L’homme agit pas seulement selon le poids de sa nature, il (l) (l) Eespondeo dicendum quod necesse est dicere id quod est principium

intellectualis operationis,quod dicimus animam hominis,esse quoddam principium incorporeum et subsistens .Manifestum est enim quod homo per intellectum cognoscere potest naturam omnium corporum.Quod autem potest cognoscere aliqua,oportet ut nihil eorum habeat in sua natura;

quia id quod inesset sibi naturaliter,impediret cognitionem aliorum; sicut videmus quod lingua infirmi quae est infecta choierico et amaro humore, non potest percipere aliquid dulce,sed omnia vedentur ei amara.

Si igitur principium intellectuale haberet in se naturam ali cujus cor­ poris, non posset omnia corpora cognoscere.Omne autem corpus habeat aliquam determinatam naturam. Impossibile est igitur quod principium

(15)

est agent par 11 intelligence. Il agit délibérément pour une fin. Même le matérialisme le plus violent insiste sur cette faculté caractéris­ tique de l’homme. Ecoutons, par exemple Marx:

Le travail,écrit-il, est d’abord un phénomène qui unit l’homme et la nature. Un phénomène dans lequel l’homme accommode, règle et contrôle l’échange de matière qu’il fait avec la nature. Il agit en face de la matière natu­ relle comme une force naturelle. Les forces naturelles qui appartiennent à son corps, ses bras et ses jambes, sa tête et ses mains, il les met en mouvement pour s'ap­ proprier la matière naturelle sous une forme qui puisse servir à sa propre vie. En agissant sur la nature qui est hors de lui a travers ce mouvement et en la transfor­ mant. Il transforme aussi sa propre nature. Il développe les puissances endormies en lui et il soumet le jeu de leurs forces a sa propre autorité. Nous n'avons pas affai­ re ici aux premières formes animales, instinctives du travail: il y a un immense écart entre l’état où le tra­ vailleur parait sur le marché des marchandises comme ven­ deur de sa force de travail et l'état où le travail humain n’avait pas encore dépouillé les formes primitives de 1’ins­ tinct . Nous supposons le travail sous forme spécifiquement humaine. Une araignée accomplit des opérations qui ressem­ blent à celles du tisserand; une abeille par la construc­ tion de ses cellules de cire, confond plus d’un architec­ te. Mais ce qui distingue d'abord le plus mauvais archi­ tecte et l’abeille la plus habile, c’est que le premier a construit la cellule dans sa tête avant de la réaliser dans la cire. A la fin du travail se produit un résultat qui, dès le commencement, existait déjà dans la représen­ tation du travailleur, d’une manière idéale, par conséquent. Ce n'est pas seulement une modification de formes qu'il effectue dans la nature; c'est une réalisation dans la na­ ture de ses fins; il connaît cette fin, qui définit comme une loi les modalités de son action et à laquelle il doit subordonner sa volonté. Cette subordination n'est pas un acte isolé. Outre 1’effort des organes qui travaillent, pendant toute la durée du travail, est exigée une volonté adéquate qui se manifeste sous forme d'attention,

d'au-( suite de la note précédente).

Et similiter impossibile est quod intelligat per organum corporeum! quia etiam natura determinata illius organi corporei prohiberet cogni­ tionem omnium corporum; sicut si aliquis determinatus color non sit solum in pupilla, sed etiam in vase vitreo, liquor infusus ejusdem coloris videtur. *

*psum igitur intellectuale principium, quod dicitur mens vel intellectus, habet operationem per se,cui non communicat corpus. Nihil autem potest per se operari, nisi quod per se subsistit.

(16)

tant plus que le travail entraîne moien le travailleur, par son contenu et les modalités de son exécution, et gu* il lui profite moins comme un jeu de ses pouvoirs physiques et spirituels (l).

Or, pourquoi 1*abeille ne parvient-elle pas à concevoir et & construire son oeuvre à la façon de 1*architecte? 1ST’ est-ce pas parce gu* elle est figée par la nature et déterminée à faire telle chose par tels moyens? Et s’il en est ainsi c’est gue le principe de son oeuvre n* est pas suffisamment séparé de la nature matérielle pour concevoir cette oeuvre (l) 11 d’une manière idéale" et réfléchie. C’est parce gue la faculté de l’architecte n’est pas perdue dans le flux des choses maté­ rielles, parce gu* elle précède leur matérialité, gu’ elle peut concevoir "d’une manière idéale", former au dedans d’elle-même, au préalable, or­ donner et finalement imposer sa construction à la réalité matérielle.

Il y a donc une différence essentielle entre ces deux maniè­ res de construire. Dans la première, l’agent est entièrement déterminé, malgré lui, par la nature. He parvenant pas a. saisir la nature univer­ selle de fin et de moyen, cet agent ne peut produire gu*une oeuvre

(l) Marx, Morceaux choisis, pp.103-104.

Hous retrouvons la même idée chez Engels?"Man alone has succeeded in impres­ sing his stamp on nature,not only by shifting the plant and animal world ffcom one place to another,but also by altering the aspect and climate of this dwelling place,and even the plants and animals themselves,that the consequences of his activity can disapear only with the general extinc­ tion of the terrestrial globe.And he has accomplished this primarily and essentially by means of the hand".-Dialectics of Hature,translated and edicted by Clemens Dutt,International Pubiishers,Hew-York l$4o, p.lS. "The most that animal can achieve is to collect?man produces,he prepares the means of life in the widest sense of the words,which,without him,nature would not have produced.This makes impossible any immediate transference of the laws of life in animal societies to human ones".Ibidem,p.209.

"The further men become removed from animals,however,the more their effect on nature assumes the characters of a premeditated,planned action directed towards definite ends known in advance", tIbidem, p.2$0.

(17)

prédéterminée par la nature, dans de limites très étroites et par des moyens fort restreints. C’est pourquoi il ne peut inventer ni s'adapter aux circonstances avec la spontanéité et la maîtrise de la raison. L’homme, au contraire, peut construire des oeuvres que la nature ne

saurait produire; il peut en concevoir une infinité, leur trouver et former des moyens proportionnés. Voilà qui témoigne de cette infinité d'une raison séparée de la matière. Elle voit dans la matière des pos­ sibilités qui demeurent cachées aux agents naturels - possibilités acces­ sibles aux seuls agents capables de s'élever au-dessus du singulier figé par la nature, jusqu’à atteindre à la raison universelle de fin et de moyen. C’est dire, en même temps, que la raison n*est pas liée à un organe corporel, mais qu'elle domine les organes et les soumet à son service. Une faculté intrinsèquement liée à un organe, tels les sens internes et externes, ne peut jamais atteindre que le singulier maté­ riel; elle ne peut pas s'en séparer, le dominer, le transformer en vue de fins que la nature ne saurait réaliser.

L'âme intellectuelle, dit saint Thomas, est en puis­ sance à une infinité d'actes, du fait qu’elle peut saisir des natures universelles. Il n’était donc pas possible de lui fixer des jugements instinctifs d'un certain genre, ou même des moyens spéciaux de défense ou de protection, comme c'est la cas pour les animaux, dont la connaissance et l’activité sont déterminées à certaines fins particulières. Au lieu de tous ces ins­ truments, l'homme possède par nature une raison, et la main, qui est 1’organe des organes, parce qu'il peut se fabriquer, ^ar son intermédiaire, des outils d'une infi­ nité de modèles et pour une infinité d'usages (l). (l)

(18)

16

-Cette saisie des raisons universelles fonde la liberté humaine. Et cette perfection, "apanage exclusif des êtres doués d’intelligence ou de raison", manifeste encore clairement la différence profonde qui existe entre l’homme et les autres animaux. En effet cette faculté qui ne peut se trouver que chez les êtres doués d’une âme spirituelle, le sens eomnran et l’expérience quotidienne la reconnaissent a l’homme. Cette conscience de la liberté est telle que les marxistes, pour la nier, doivent affirmer que tout, dans le monde, est soumis à une puis­ sance inhumaine (l) * Ils se mettent ainsi en contradiction avec une de leurs positions fondamentales, que nous venons de citer.

Nul n’a exposé de façon plus profonde et plus limpide s. la fois, cette doctrine de la liberté humaine que 1’immortel Léon XIII dans 1’encyclique Libertas Praestantissimum. Nous citerons quelques lignes de cet important documents

Tandis que les animaux n’obéissent qu’aux sens, écrit- il, et ne sont poussés que par l’instinct naturel à rechercher ce qui leur est utile ou %, éviter ce qui leur serait nuisible, l’homme, dans chacune des actions de sa vie a la raison pour guide. Or la raison, a l’é­ gard des biens de ce monde, nous dit de tous et de cha­ cun qu’ils peuvent indifféremment être ou ne pas être, d’où il suit qu’aucun ne lui apparaît comme absolument nécessaire. Elle donne à la volonté le pouvoir d’option pour choisir ce qui lui plait.

Mais si l’homme peut juger de la contingence, comme on dit, des biens dont nous avons parlé, c’est qu’il a une âme simple de sa nature, spirituelle et capable de penser (2),

Dette faculté que possédé l’homme de se replier sur lui-même et de choisir parmi les objets qui lui sont proposés, ne lui permet

(1) Une puissance inhumaine règne sur tout. Marx: Morceaux choisis, p.203 (2) Léon XIII. Libertas Praestantissimum.

(19)

17»

cependant pas de choisir sa fin dernière, qui doit être le premier prin­ cipe de tout vouloir. Car de meme que l’intelligence adhere nécessaire­ ment et naturellement aux premiers principes, ainsi la volonté doit tendre vers la fin ultime. Le choix ne peut porter que sur les biens qui n’ont pas de rapport nécessaire avec cette fin. Encore faut—il que la poursuite de ces biens soit conforme a la fin dernière et contribue à nous en approcher.

Il y a donc chez l’homme un principe immatériel d’opération, une âme spirituelle qui a son mode particulier de vie et d(action. l’esprit cependant n’est pas tout l'homme (l). Il n’est pas non plus,

contrairement à ce que pensait Platon, un être distinct complet empri­ sonné dans la chair (2). C’est le même être, chez l’homme, qui sent, qui se meut, qui pense, qui veut et qui est libre (3). Il est "un esprit joint à un corps dans l’unité de nature" (&). Il y a entre l’esprit et la matière union substantielle; l'âme est la forme du corps (5)*

(1) Manifestum est quod homo non est anima tantum, sed aliquid compositum ex anima et corpore. la, q.75» a.4.

(2) La philosophie nous enseigne que l’âme est réellement enchaînée et re­ tenue par le corps comme par une prison d'ou elle contemple les êtres. Platon, Alcibiade, fin.

(3) Anima illud esse in quo subsistit, communicat materiae corporali: ex qua et anima intellectiva fit unum:ita quod illud esse quod est totius compositi,est etiam ipsius animae. Ia, q.76, a.l, ad 5» Nulla forma substantialis est in homine, nisi sola anima intellectiva. Ia, q.76,a.3. (4) Pie XI, Divini Illius Magistri.

(20)

18-Celui-ci n’est donc pas, pour l’âme, une cangue embarrassante, c’est le sujet normal qui la reçoit pour devenir son serviteur,

O’est l'âme spirituelle qui donne à l’homme sa perfection pro­ pre et l'élève au-dessus de tous les autres êtres de la nature. Pour

son âme, "il vaut à lui seul beaucoup plus que l’immense univers inanimé" (l). A cause de sa pure immatérialité, une seule de ses pensées est plus ri­

che et plus vaste que tout l’univers matériel. Par son intelligence, il peut devenir, intentionnellement, toutes choses (2).

La pure immatérialité de sa nature assure à l’âme humaine l’im­ mortalité. Même séparée du corps, elle conserve sa vie et son individua­ lité propre (3) • Rien donc de plus absurde que de vouloir faire de l’âme humaine, infiniment plus riche et plus parfaite que la matière, un simple produit de celle-ci. Sortie immédiatement des mains de Dieu, elle est ce qu’il y a de plus définitif dans notre univers. Elle en est le couronne­ ment et la fin intrinsèque. Elle est 1’empreinte de la divinité même sur notre univers. Par elle en effet, l’homme est l’image de Dieu en ce qu’il

(1) Respondeo dicendum quod necesse est dicere quod intellectus, qui est

intellectualis operationis principium, sit humani corporis forma. Ia,q»7ô,a«l, (2) Intellectus intelligendo fit quodammodo omnia.

(3) "Immortalité", dans le sens chrétien,veut dire: continuation de la vie de l’homme après la mort terrestre,dans sa personnalité individuelle, pour son éternelle récompense,ou pour son éternel châtiment. Quiconque ne veut désigner par le mot "immortalité" que la continuation ici-bas de la vie collective dans la durée de son peuple pour un avenir d’une longueur indéterminée,celui-là renverse et falsifie l’une des vérités fondamentales de la foi chrétienne,il touche aux bases mêmes de la conception religieuse de l’univers, qui exige un ordre moral dans le monde. Pie XI, Mit Brennender S orge.

(21)

19'

imite la vie même de Dieu par l’intelligence et l’amour (l) « Il a reçu la mission de chanter, au nom de tous les êtres de la nature, les gran­ deurs du Créateur si admirablement manifestées par ses oeuvres (2), La dignité dont il est revêtu, fondée sur la perfection de son être, ne lui est toutefois assurée que dans la mesure où il est fidele à sa mis­ sion et observe l’ordre établi par le Créateur (3) •

Etre intelligent et libre, l'homme n'en reste pas moins un ani­ mal, et comme tel, il a besoin des choses matérielles pour poursuivre son existence. C'est d'ailleurs pour l'homme que toutes les choses de la nature ont été préparées; sans que nous sachions toujours exacte­ ment de quelle façon, c’est en lui seul qu'elles trouvent leur raison d'être (4).

L'âme elle-même, quoique spirituelle et dès lors indépendante de la matière dans son être, est obligée, dans son activité, de se pen­ cher vers les corps sans lesquels elle ne peut ni penser ni vouloir. Aussi longtemps que l'âme informe le corps, l’intelligence ne peut

(1) Respondeo dicendum quod cum homo secundum intellectualem naturam ad imaginem Dei esse dicatur, secundum hoc est maxime ad imaginem Dei secundum quod intellectualis natura Deum maxime imitari potest. Imi­ tatur autem intellectualis creatura maxime Deum quantum ad hoc quod Deus seipsum intelligit et amat. Ia, q.93» a.4.

(2) ...Coeli dicuntur enarrare gloriam Dei,laudare et exaltare,materiali­ ter, in quantum sunt hominibus materia laudandi vel enarrandi vel exul- tandi. Simii ia enim inveniuntur in Scripturis de montibus et collibus, et aliis inanimatis creaturis.De Q.D.Spir.0reat.q.i,a.6,ad 14.

(3) Ia^-IIae, q.64, a.2, ad 3* Homo peccando ab ordine rationis recedit,

et ideo decidit a dignitate humana.

(4) Ea quae sunt imperfecta in natura ordinantur ad perfecta sicut ad

(22)

20«

entrer en communication avec son objet que par l’intermédiaire de la sensation. Elle ne possède aucune connaissance innée. Elle n' est pas non plus sujet d’une action illuminative directe de la part de l’intel­ ligence suprême. L’expérience le prouve. D’ailleurs, étant au plus bas degré des intelligences, il est naturel qu’elle soit créée à l’état de pure potentialité. Elle doit donc abstraire ses idées des images four­ nies par les sens qu’elle illumine et dématérialise. C’est ce qui ex­ plique qu’une indisposition du coté des sens internes ou externes a des

répereussions immédiates sur la vie intellectuelle. Mais cela ne signi­ fie aucunement que l’intelligence s’exerce au moyen d'un organe maté­ riel; cette dépendance de la matière est purement extrinsèque et objec­ tive (l).

LA FIE DE L’HOMME

Comme tous les êtres de la création, l’homme désire son bien, c'est-à-dire le bien conforme à sa nature. Dans tous ses actes, cons­ ciemment ou non, il poursuit l'objet capable de rassasier ses facultés, il cherche le bonheur. Etant ce qu'il y a de plus parfait dans le monde, l'homme ne saurait trouver sa perfection dans quelque bien terrestre.

Il suffirait, pour assurer la vérité de cette affirmation, d'en appeler à l'expérience de chacun. Car le coeur de l'homme ne trouve jamais de repos complet en dehors de Dieu (2). Les biens créés loin d'assouvir la soif de bonheur qui tourmente tout être raisonnable, creusent au

con-(1) Corpus requiritur ad actionem intellectus,non sicut organum quo talis actio exerceatur, sed ratione object i; phantasma enim comparatur ad in­ tellectum sicut color ad visum. Sic autem indigere coipo re non removet intellectum esse subsistentem. Ia, q»75,a»2, ad 3»

(2) Fecisti nos ad te,Deus,et inquietum est cor nostrum donec requiscat in te. S.Aug. Confess., 1-1, c.l.

(23)

traire un abime de désirs et de besoins qu'ils ne peuvent combler. Saint Thomas, dans son traité de la béatitude (l) repasse un à un les différents biens terrestres que 1*homme peut convoiter ici-bas et donne les raisons pour lesquelles ces biens ne peuvent lui fournir sa perfection derniers. Le bonheur, écrit-il en substance, ne peut con­

sister d'abord dans les richesses, car celles-ci sont elles-mêmes ordon­ nées à l'homme comme à leur fin. Ce serait renverser l'ordre que d'en

faire la fin de l'homme. D'ailleurs le désir du bonheur a un certain caractère d'infinité que les richesses ne sauraient pleinement rassa­ sier selon cette parole de l'Ecclésiasteî Celui qui aime l'argent ne sera pas rassasié par l'argent (2).

Les honneurs, la gloire, la renommée ne peuvent constituer la perfection ultime de l'homme. Elles la supposent plutôt, car elles en sont comme les effets. Et encore ces biens sont-ils souvent trompeurs et éphémères, è moins que Dieu lui-même ne les confère (3)»

Enfin il est manifestement impossible que la béatitude de l'hom­ me réside dans quelque bien du corps, car le corps et les biens du corps sont ordonnés à l'âme, comme l'inférieur au supérieur, alors que l'ob­ jet de la béatitude dernière ne peut être ordonné a autre chose. Bref, aucun bien créé ne peut satisfaire pleinement l'âme humaine, qui par

son intelligence et sa volonté aspire au bien universel, bien qui ne se trouve réalisé en aucune créature, mais seulement en Dieu. C’est pourquoi, "en cette vie comme dans l'autre, l'homme n'a que Dieu pour fin dernière" (4).

(1) Ia-IIae, q.2.

(2) Avarus non impletur pecunia. Eccle.,7,9.

(3) Ille probatus est quem Deus commendat, II ad Cor., X,18. (4) Pie XII, Message de Boel 1942.

(24)

On peut cependant distinguer deux sortes de "béatitudes? l'une parfaite et qui consiste dans la vision immédiate de Dieu; l'autre im­ parfaite et telle que nous pouvons l'avoir dans la vie présente. Cette "béatitude temporelle de l'homme consiste dans "la conservation, le dé­ veloppement et le perfectionnement" de sa personne, grâce à la mise en oeuvre des "règles et des valeurs de la religion et de la culture, des­ tinées par le Créateur à chaque homme et à toute l'humanité" (l).

En d'autres termes, la "béatitude temporelle de l'homme consiste dans une vie vertueuse, acheminement normal vers la béatitude étemelle, dont elle est d'ailleurs une certaine imitation (2).

Ce bonheur temporel suppose deux sortes de biens? les biens de l'âme, qui sont les vertus intellectuelles et morales; les biens

du corps, comme la santé et 1'intégrité, et une certaine quantité de biens matériels, qui, sans être de 1'essence même du bonheur, n'en sont pas moins, dans les cas ordinaires, les instruments nécessaires (3) "Dans une société bien organisée, disait Léon XIII, il doit se trouver encore une certaine abondance de biens matériels dont l'usage est re~ ' quis à l’exercice de la vertu" (4). Le corps et l'âme, en effet, ne font qu'un être. On ne saurait toucher à l'un de ces principes sans toucher à l'autre. Ce serait sans doute un blasphème de considérer l'homme comme un simple animal, de s'occuper uniquement de son bien- être immédiat et des exigences inférieures de sa nature. Mais ce serait

(1) Pie XII, Message de Noel 1942.

(2) De Regimine Principum. Lib.I, cap.l4.

(3) Ad bonam autem unius hominis vitam duo requiruntur,unum principale, quod est operatio secundum virtutem.Virtus enim est qua bene vivitur Aliud vero secundarium et quasi instrumental!s, scilicet corporalium honorum sufficientia,quorum usus est necessarius ad actum virtutis. D e Regimine Principum, Lib.I, cap.15.

(25)

encore une grave erreur de le traiter comme un pur esprit, de lui mon­ trer un bonheur futur et lointain et se soucier peu de ses besoins ac­ tuels et de son bonheur terrestre.

l'Eglise ne perd jamais de vue cette règle de conduite. Si elle donne la priorité aux biens de l'âme, elle ne laisse pas pour cela de se pencher avec tendresse sur les misères corporelles de ses enfants, d'encourager autant qu'elle le peut le progrès matériel.

Elle ne sépare pas, dit Pie XI, le souci modéré des biens temporels de la sollicitude pour les biens éter­ nels. Si elle subordonne les premiers aux autres, sui­ vant la parole de son divin Fondateur: "Cherchez d'a­ bord le royaume de Dieu et sa jsutice et tout le reste vous sera donné par surcroit" (S.Matt.,VI,33) elle est bien loin toutefois de se désintéresser des choses hu­ maines et d'entraver le progrès et les avantages maté­ riels; au contraire, elle les aide et les favorise de la manière la plus raisonnable et la plus efficace (l). La supériorité de l'esprit sur la matière n'entraîne donc pas nécessairement le mépris de la matière. La foi nous enseigne, au con­ traire, que la matière participera à l'immortalité et a la glorifica­ tion de l’âme des élus a l'heure marquée par la divine Providence où toutes les choses de la terre seront renouvelées.

Tel est donc l'homme dans sa nature et ses destinées. Il est vrai que, envisagé dans sa seule nature, l'homme est la moins parfaite des créatures intelligentes. Mais il convient de remarquer que cette nature, - cet abrégé de l'univers, ce petit monde où se rencontrent la matière et l'esprit - a été élevé, par la toute-puissante Miséricorde

(26)

24-du Dieu Rédempteur, "bien au-dessus de la condition qui conviendrait à cette nature laissée à elle-même; Il l'a élevée au sommet même de toutes ses oeuvres, conformément à cette parole: "Miserationes ejus super omnia opera ejus" (l). l'homme n‘est donc pas seulement un être de nature très parfaite en tant qu'il est doué d'une âme spiri­ tuelle et immortelle, mais il a été élevé à la dignité incomparable de fils de Dieu.

(27)

LE CARACTERE SOCIAL DE L'HOMME

Le corps et l'âme spirituelle sont les deux principes consti­ tutifs de l'homme. Le corps est un principe intrinsèque de la vie végé­ tative et sensitive avec leurs facultés; de l'âme seule émanent 1'in­ telligence et la volonté. La béatitude temporelle de l'homme consiste dans la mise en exercice et le développement harmonieux de ces diverses facultés qui lui permettent de poursuivre le bien le plus parfait ici- bas et de s'acheminer vers le bien absolu, sa fin dernière: Dieu,

Mais l'achèvement de la personne humaine, la poursuite effi­ cace du bonheur ne peuvent être réalisés que dans la vie en société. Dès lors apparait une autre caractéristique essentielle à la nature hu­ maine: la sociabilité. Il

Il n'est pas inutile de reprendre le problème de la sociabi­ lité de l'homme et de rétablir ce vieux principe déjà formulé par Aris­ tote: l'homme est un animal naturellement politique (l).

Pie XII nous en avertissait naguère dans les termes suivants: Une claire intelligence des bases normales de toute vie sociale est d'une importance capitale, aujourd'hui plus que jamais, alors que l'humanité, infectée par le poison d'erreurs et de perversions sociales, tourmentée par la fievre des désirs de doctrines, de tendances di­ vergentes, se débat avec angoisse dans le désordre qu'elle- meme a créé et subit les effets de la force destructrice d'idées sociales erronées qui laissent de côté les lois de Dieu ou sont en opposition avec elle. Et cette claire

(28)

intelligence des "bases de la société est encore d'une impérieuse importance dans les relations internationales. Supports internationaux et or­ dre intérieur sont en effet intimement liés, l'é­ quilibre et l'harmonie entre nations dépendent de l'équilibre et de l'achèvement intérieur de chaque Etat dans le domaine matériel, social, in­ tellectuel. De fait, jamais un front de paix vers le dehors ne pourra s'établir et assuré, à moins qu'un front de paix à l'intérieur n'inspire con­ fiance (l).

Le principe de la sociabilité naturelle de l'homme est une des bases de l'édifice social. C'est le principe fondamental qui com­ mande toute la sociologie. Les révolutions les plus sanglantes qu'aient

enregistrées l’histoire, sont nées, pour une bonne part, du rejet de ce principe. Les monstrueuses théories sociales qui agitent tant les esprits de nos jours et produisent actuellement dans le monde les pi­ res catastrophes, plongent encore leurs racines dans une mauvaise in­ terprétation du caractère social de l'homme, et dans le désir de cons­ truire la cité d'une façon totalement arbitraire.

La sociabilité naturelle de 1'homme a été systématiquement niée, au dix-huitième siècle, par Thomas Hobbes et J.J.Rousseau. L'auteur

du "Léviathan" soutient que la nature humaine est foncièrement viciée et que l'homme est naturellement anti-social, "L'homme est un loup pour l'homme". L'état naturel serait un état de guerre et une guerre de tous contre tous. Ce serait la nécessité de se défendre contre ses semblables qui aurait contraint l'homme à abandonner sa liberté, è faire un pacte avec un groupe dont il devra accepter les volontés (2).

(1) Message de Hoel 19^2.

(29)

Le point de départ de J.J«Bousaeau est différent. Il enseigne que la nature humaine est naturellement "bonnes l’homme sauvage est "bon et heureux, croit-il, et ce serait la société qui le déprave. Il s’en­ suivrait donc que l’état naturel ne connaîtrait pas de sociétés. La vie sociale serait due à des circonstances parfaitement contingentes, à des circonstances qui auraient pu être tout autres (l). D’où il suit que la société, n’étant pas l’épanouissement normal de notre nature, ne sera légitime que si elle a pour origine le libre consentement des volontés individuellesI le Contrat Social. L’autorité ne sera que 1’in­ terprète de la volonté générale, de telle sorte que 1’individu en lui obéissant n’obéira qu’à lui-même.

Malgré la différence de leur point de départ, les théories sociales de Hobbes et de Rousseau aboutissent aux mêmes conséquences. Elles enseignent l’une et l’autre que la société est une réalité pure­ ment artificielle et arbitraire dont il faut chercher la cause propre et suffisante dans la liberté humaine. Elles s’identifient encore en ce qu’elles mèneraient logiquement à la justification du pouvoir absolu et à la négation des droits de la personne humaine engagée dans la vie sociale. Elles contiennent donc en germe les erreurs de la démocratie mal comprise où la volonté de la majorité constitue une norme intangi­ ble, et qui devient ainsi un totalitarisme qui sacrifie la personne (l)

(l) L’homme nait bon, c’est la société qui le déprave...En le considé­ rant tel qu’il a dû sortir des mains de la. nature, je vois un ani­ mal moins fort que les autres,mais à tout prendre organisé le plus avantageusement de tous;je le vois se rassasiant sous un chêne, se désaltérant au premier ruisseau, trouvant son lit au pied du même arbre qui lui a fourni son repas,et voilà ses besoins satisfaits... Si le genre humain fût resté abandonné à lui-même/voilà l’état de nature,état de félicité réelle,dans laquelle il eut vécu...L e pre­ mier qui,ayant enclos un terrain,s’avisa de direiceci est à moi et trouva des gens assez simples pour le croire,fut le vrai fondateur de la société civile.J,J.Rousseau.Discours sur 1*origine et le fonde­ ment de 1’inégalité narrai les hommes.

(30)

humaine à la tyrannie de la collectivité. Elles détruisent le fondement même de l’ordre social. Aussi la raison rejette-t-elle énergiquement ces inventions et ces chimères. Elle démontre que la vie sociale n’a pas pour cause première le hasard ni la contrainte, qu’elle n’est pas non plus le seul résultat d’un contrat. Elle a son fondement dans la nature humaine et, en dernière instance, dans la volonté de Dieu, principe et cause de toute chose et de tout ordre.

Puisque nous voulons présenter avant tout la doctrine catho­ lique en cette matière, consultons tout d’abord les documents les plus autorisés qui nous font voir cette doctrine dans toute son actualité.

Il est impossible de citer ici tous les textes ou les Souve­ rains Pontifes rappellent le principe de la sociabilité naturelle de l’homme. Eous nous bornerons aux principaux.

Léon XIII a traité cette question dans deux encycliques éga­ lement célèbres. Dans la première, sur l’origine du pouvoir civil, il écrit:

Ceux qui font sortir la société civile d’un libre contrat doivent assigner è l’autorité la même ori­ gine; ils disent alors que chaque particulier a cé­ dé de son droit et que tous se sont volontairement placés sous la puissance de celui en qui se sont

concentrés tous les droits individuels.

Mais l’erreur considérable de ces philosophes con­ siste a ne point voir ce qui est pourtant évident; c’est que les hommes ne constituent pas une race sauvage et solitaire; c’est qu’avec toute résolution de leur volonté, leur condition naturelle est de vi­ vre en société. Ajoutez ;a cela que le pacte dont on se prévaut est une invention et une chimère... Ce qui réunit les hommes pour les faire vivre en société, c’est la loi de la nature; ou plus exacte­ ment la volonté de Dieu auteur de la nature; c’ est

(31)

instrument principal des relations qui fondent la so­ ciété, et tant de désirs qui naissent avec nous, et tant de "besoins de premier ordre qui resteraient sans objet dans l'état d'isolement, mais qui trouvent leur satisfaction dès que les hommes se rapprochent et s'as­ socient entre eux (l).

Dans un document subséquent ayant pour thème la constitution chrétienne des Etats, le même pontife reprend cette thèse dans les termes suivants$

l'homme est fait pour vivre en société. En effet, isolé de ses semblables,il ne peut se procurer ce qui est né­ cessaire et utile a la conservation de sa vie ni acqué­ rir le parfait développement de 1'esprit et du coeur. Aussi la divine Providence l'a-t-elle fait pour vivre avec ses semblables, en famille et en société. Hors de là, il ne pourrait tout ce que réclame la perfection de la vie présente (2).

Pie XI proclame à son tour que la vie sociale correspond au plan de la divine Providence, qu'elle est une nécessité de la nature humaine.

Dieu,dit-il, destina l'homme à vivre en société comme sa nature le demande. Dans le plan du Créateur la, so­ ciété est le moyen naturel, dont l'homme peut et doit se servir pour atteindre sa fin (3).

Et Pie XII, en un langage sublime, rappelait ces mêmes prin­ cipes dans l'un de ses messages de Hbel.

De la vie individuelle et sociale, il faut monter à Dieu, cause.-et dernier fondement,en tant que Créateur, de la première société conjugale, origine de la socié­ té familiale, de la société des peuples et des nations. Miroir imparfait de son modèle, de Dieu en sa Trinité... la vie sociale,dans son idéal et dans sa fin, possède à la lumière de la raison et -de la révélation, une autorité morale et un caractère absolu dominant toutes (1) Léon XIII, Diuturnum.

(2) Léon XIII, Immortale Dei. (3) Die XI, Divini Redemptoris.

(32)

30

-les vicissitudes des temps, une force d’attraction qui, loin de s’amoindrir ou de s*épuiser du fait des déceptions,des erreurs,des échecs, meut irrésis­ tiblement les esprits les plus nobles et les plus fidèles au Seigneur, è reprendre avec une énergie retrempée, avec une nouvelle connaissance, de nou­ velles études, moyens et méthodes, ce qui, en d*au­ tres temps et d’autres circonstances avait été vai­ nement tenté (l).

Bref, la société est enracinée dans la nature même de l’homme, et c’est en Dieu, auteur de la Nature, qu’elle trouve sa cause première.

Arrêtons-nous maintenant à 11 enseignement du Docteur Commun. Nous rencontrons dans 1’oeuvre de saint Thomas deux raisons a la néces­ sité de vie sociale de l’homme. La vie en société est nécessaire a la personne humaine pour la réalisation et le maintien de son bien propre;

elle est nécessaire aussi è, le, poursuite de ce bien humain prafait qu' est le bien commun de la société. On le voit, si la société est déjà, néces­ saire au bien propre et privé, à fortiori le sera-t-elle a la poursuite d’un bien de beaucoup plus parfait et plus difficile à atteindre et %.

conserver.

Le premier pas de notre raisonnement est tiré de la nature sensible de l’homme, de sa nature physique et de ses besoins naturels. Meme ceux qui n’admettent pas théoriquement la nature sociale de l’homme n’infirmeront jamais cette vérité qui s’impose à tous. Puisque cette première raison est la plus facile et que, d’autre part, il convient d’aller de ce qui est le plus connu pour nous vers ce qui est le plus connu en soi et plus difficile a saisir, nous en traiterons incessam­ ment.

(33)

Il suffit de comparer les conditions d* existence physiques de l’homme à celle des autres animaux pour constater que la nature elle- meme l'ordonne à vivre en société. Pour simple qu'elle soit, cette cons­ tatation n'en est pas moins profonde. Les animaux, dit saint Thomas a la suite du Philosophe, ont été pourvus, par la nature, de tous leurs moyens de subsistance. La nature leur a préparé la nourriture, le vê­

tement, de meme que les moyens de défense contre les attaques de l'en­ nemi, dents, griffes, rapidité de la course etc...(l). L'homme, au con­ traire, n'a aucun de ces avantages» C'est par sa propre industrie qu'il doit se procurer ses moyens de subsistance. De plus, ses "besoins, même materiels, sont "beaucoup plus nombreux que ceux des autres animaux. Ils se multiplient presqu'à l'infini. Les "besoins de l'alimentation sont "beaucoup plus compliques chez l'homme que chez l'animal qui trou­ ve dans un seul élément, ou à peu près, tout ce qui est nécessaire à sa subsistance. L'homme doit inventer toujours de nouveaux moyens de defense et d'attaque. Le gite eÿ le vêtement supposent encore des varia­ tions et des adaptations multiples.

Il ne faudra! cependant pas trop s'apitoyer sur le sort de l'homme et "accuser la nature" à son endroit. Comme le fait remarquer (l)

(l) Maturale est homini, ut sit animal sociale et politicum,in multitu­ dine vivens, magis quam etiam omnia alia animalia,quod quidem natu­ ralis necessitas declarat .Aliis enim animalibus natura praeparavit cibum,tegumenta pilorum,defensiones,ut dentes,cernua,ungues,vel sal­ tem velocitatem ad fugam.Homo autem institue est nullo horum sibi a natura praeparato,sed loco omnium data est ei ratio,per quam sibi haec omnia officio manuum potest praeparare,ad quae paranda = unus homo non sufficit...Est igitur homini naturale,quod in socie­ tate vivat. De Regimine Princinum.Liv. 1. o. 1.

(34)

32'

Aristote (l), il a* est pas juste de dire que l’homme est le plus dépourvu des animaux. Il a, en effet, l’intelligence et la main qui lui permettent de réaliser tout ce dont il a "besoin. D’autre part, la nature ne pouvait fournir a l’homme, comme aux autres animaux, les moyens de subsistance et de défense qui lui sont nécessaires. Tout cela ne pouvait lui être fourni qu’en puissance, car il fallait l’intelligence et la liberté pour varier à l’infini ce qui correspond à l’infinité des exigences de l’homme. C’est pourquoi il a été pourvu aussi de la main qui, comme l’in­ telligence, a une certaine infinité, puisqu’elle peut devenir tous les instruments, ou, du moins, les manier tous et réaliser les multiples conceptions de 1’esprit,

"Les cornes et les ongles, dit saint Thomas,qui cons­ tituent pour certains animaux, leurs moyens de défense, et la dureté du cuir ou la multitude des poils et des plumes qui servent b. les couvrir,attestent,dans ces animaux,1’abondance de l’élément terrestre? chose qui répugne à l’harmonie et à la délicatesse de la complexion de l’homme. Aussi bien, ces choses-là. ne pouvaient-elles lui convenir. Mais, à la place, il a la raison et les mains,avec lesquelles il peut se faire des armes, et des vêtements, et toutes les choses nécessaires à la vie, d’une infinité de manières. C’est pour cela que les

mains sont appelées par Aristote l’instrument des ins­ truments. Il était mieux d’ailleurs, pour l’homme, en raison de sa nature raisonnable, capable de varier ses conceptions à l’infini, qu’il eut la faculté de se pré­ parer lui-même des ressources à 1’infini". (l)

(l) A la vérité, il n’est pas juste de dire, comme quelques-uns le font, que l’homme est le plus dépourvu des animaux,du fait qu’il a été pro­ duit nu-^ieds, sans vêtement s, sans armes pour se défendre. A l’encon­ tre de cela, nous pouvons dire que tous les autres animaux n’ont qu’un seul moyen de défense et ne peuvent pas l’échanger pour un autre? ils sont pour ainsi dire obligés de dormir et d’accomplir toutes leurs besognes chaussés, ils ne peuvent jamais enlever leur vêtement plus abondant,ni changer les armes qu’ils ont reçues une fois pour toutes. Mai s, pour l’homme,il est possible d’employer plusieurs moyens de défense, et de les varier. Il peut choisir les armes qu’il veut et quand il veut. La main, en effet, devient à souhait serre,ongle,lance,épée, ou n’impor­

te quel genre d’arme ou d’instrument?et elle peut être tout cela parce qu’elle peut les manier et les tenir tous.lt c’est pour cette raison que la nature a ainsi organisé la conformation de la main, Aristote. De Partibus animalium,IT,c.10,p.19. la, q.91,a.3, ad 2.

(35)

33

-Mais cette infinité appelle la collaboration. Meme avec son intelligence et ses mains l'homme isolé ne pourrait se procurer lui- même cette infinité d'objets. D'abord cette intelligence reste comme à l'état latent pendant de longues années et laisse 1'individu dans la plus complete indigence. L'enfant, à sa naissance, ne pourrait vivre longtemps sans le secours de ses semblables. Et toute sa vie il demeu­ rera largement dépendant des autres. Personne ne pourrait pratiquer tous les arts, être à la fois agriculteur, forgeron, menuisier, médecin,etc. La nature a d'ailleurs indiqué cette division nécessaire du travail en donnant aux individus des aptitudes innées et des penchants différents (l), Seulement leur union et leur collaboration peuvent offrir une réponse

complète aux besoins humains. Bien plus, dans le domaine de son art, vu les limites d'une vie humaine, l'individu a besoin de l'expérience

et de l'habileté acquises par ses prédécesseurs et ses contemporains. Il est donc nécessaire que l'homme entretienne avec ses sembla­ bles des relations permanentes et d'ordre rationnel. En d'autres termes, les besoins humains demandent communication entre des raisons capables de concevoir et de réaliser une infinité d'objets et d'oeuvres. (l)

(l) Un vaste système de compensation et d'harmonie régit le monde;la pru­ dence du vieillard vient en aide a l'inexpérience du jeune homme, comme la vigueur de celui-ci soutient la faiblesse de celui-là? l'homme peut tout contre la femme et 1'enfant, mais leurs charmes tout puissants arrêtent son bras,enchaînent son coeur;le savant qui a pour lui la puissance du génie,manque le plus souvent de la force et de la vigueur physique,et l'gnorant qui a besoin d'être guidé par lui,lui devient à son tour indispensable pour ses besoins maté­

riels; la richesse qui rend l'homme oisif,le rend en même temps tri­ butaire du pauvre qui a l'habitude du travail et de la fatigue. L'ordre social tout entier est fondé sur une réciprocité de besoins

et de secours dont l'admirable répartition est faite avec infiniment de sagesse par l'intelligence créatrice qui a voulu produire l'asso­ ciation, la société humaine. Taparelli, Essai théorique de droit natu- rel, T.I, p.lSl.

(36)

De là aussi la raison, d'etre et la signification du langage qui par sa "liberté" peut servir à exprimer ces oeuvres. Car, comme dit saint Paul, "si j'ignore la valeur du son, je serai un barbare pour celui qui parle, et celui qui parle sera un barbare pour moi" (l). Et comme l'enrichisse­ ment de l'expérience, de la science et des arts suppose communication avec le passé, et que cette transmission, pour une large part, du pré­ sent au futur, de même que la communication d'un lieu à un autre, se fait par le moyen du langage écrit, l'usage de l'écriture est encore

compris dans les exigences de la nature humaine (2). Or tout cela exige encore que les hommes vivent ensemble. Tandis que 1'animal connaît natu­ rellement les signes par lesquels il peut communiquer certaines de ses

(1) .. .Dicunt enim quidam omnem hominem barbarum esse ei qui linguam ejus non intelligit. Unde et Apostolus dicit (I Cor.XIV)• Si nesciero virtu— tem vocis, ero ei cui loquar barbarus.et qui loquitur mihi barbarus. In Polit,, Aristot.I.I, 1.1.

Que deux hommes, en effet, se rencontrent, ignorant chacun la langue de 1'autre$ si. loin de les séparer, quelque nécessité les réunit, il y aura plutôt société entre des animaux muets, même d'espece diffé­ rente,qu'entre ces deux voyageurs .hommes tous deux. Car ce seul obsta­ cle de la différence du langage leur rendant impossible tout échange de pensées,une telle conformité de nature est impuissante à lier les hommes;et l'homme est plus volontiers avec son chien qu'avec l'homme é tranger. S .Augustin,De Civ.Dei.lib.19,c.7.(Trad.L.Moreau,Classiques

Garnier, T.Ill, p.21371

(2) Et si quidem homo esset naturaliter animal solitarium,sufficeret sibi animae passiones quibus ipsis rebus conformaretur,ut earum notitiam in se haberet;sed quia homo est animal naturaliter politicum et socia­ le,necesse fuit quod conceptiones unius hominis innotescerent aliis quod fit per vocem; et ideo necesse fuit esse voces significativas ad hoc quod homines ad invicem conviverent.Unde illi qui sunt diver­ sarum linguarum non possunt bene convivere ad invicem.Bursum si homo uteretur sola cognitione sensitiva quae respicit solum ad hic et nunc, sufficeret sibi ad convivendum aliis vox significativa, sicut et coeteris animalibus quae per quasdam voces suas conceptiones invi­ cem sibi manifestant;sed quia homo utitur etiam intellectuali cogni­ tione quae abstrahit ab hic et nunc, consequitur ipsius sollicitudo non solum de praesentibus secundum locum et his qui venturi sunt in futuro tempore manifestat,necessarius fuit usus scripturae.-In Pe-

Références

Documents relatifs

- En aucun cas, le recours à la force pour régler un différend entre deux États membres de la Ligue ne sera autorisé. Mais chaque Etat est libre de conclure avec tout autre

Une famille est composée de deux parents et de trois enfants ; quelle est la probabilité qu’il y ait exactement deux filles parmi ces trois enfants.. (On considèrera qu’à

Notre travail, c'est d'attaquer ce qui peut céder, avant l'incrustation quasi-défi- nitive, alors que les êtres sont jeunes et près, par l e temps, de

• D’un pays à l’autre, les caractéristiques sociales des individus les plus non- répondants et des « ne peut choisir » peuvent varier..  la fusion des non-réponses et

Elle, qui n’était pas grosse en tout comme un oeuf, Envieuse, s’étend, et s’enfle, et se travaille,?. Pour égaler l’animal en grosseur, Disant : « Regardez bien, ma

La mission des disciples est relayée au lecteur pour qu’il puisse, marchant sur ce chemin et acceptant de ne jamais en posséder la fin, proclamer à son tour la metanoia

alin saute dans la mare de pisse et clabousse les premiers rangs un prtre grim en Pre Nol se fait insulter des crachats recouvrent le corps et les joues d'un homêmeles comdiens

Que notre Seigneur nous responsabilise devant cette échéance et si nous inves- tissons avec foi, nous verrons de grandes choses de la part de notre Dieu. Pour ceux qui le désirent