A NNALES DE LA FACULTÉ DES SCIENCES DE T OULOUSE
H ENRY B OURGET
Éclipse totale de soleil du 28 mai 1900. Rapport de la mission organisée par l’université de Toulouse
Annales de la faculté des sciences de Toulouse 2
esérie, tome 4 (1902), p. 471-478
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RAPPORT DE LA MISSION
ORGANISÉE
PAR L’UNIVERSITÉ DE TOULOUSE,
PAR M. HENRY
BOURGET,
Maître de Conférences à l’Université et Astronome adjoint à l’Observatoire.
ÉCLIPSE TOTALE DE SOLEIL DU 28 MAI 1900.
1. Une
éclipse
totale de Soleil eut lieu le 28 mai 1900. La totalité était visibleen
Europe,
sur une mince bande deterrain,
allant d’Ovar enPortugal
à Santa-Pola
près
d’ Alicante enEspagne.
L’Université de Toulouse
pensant qu’il
y avaitgrand
intérêt à observer unphénomène
aussiimportant
et aussi rare,ayant
lieu dans unerégion
si voisinede la
nôtre,
voulut bien me faire l’honneur de mecharger
d’unemission,
enm’adjoignant
M.Carrère,
mécanicien à l’Observatoire. Le Conseil de l’Univer- sité vota, en outre, un crédit suffisant pour nos frais de voyage, d’installationet de
séjour.
La station choisie fut la
petite
villed’Elche,
située à côté d’ungrand
bois depalmiers,
à 26km au sud-ouest d’Alicanle.De son
côté,
l’Université deMontpellier organisait,
dans les mêmes condi-tions,
une missionanalogue composée
de MM.Lebeuf et Meslin, professeurs
à laFaculté des Sciences. Les deux missions convinrent de se réunir et
d’opérer
côteà côte.
Les
instruments,
dont nous donneronsplus
loinl’énumération, qui
servirent àM. Lebeuf et à
moi-même,
furentobligeamment
mis à notredisposition
par M.Bailland,
directeur de l’observatoire de Toulouse. Je tiens à luiexprimer
icitoute ma
gratitude,
nonseulement
sur cepoint,
mais encore pour toutes les faci- litésqu’il
nous a données pour lapréparation
et l’exécution de notre mission.472
Sauf
quelques généralités indispensables,
concernant notre installation com-mune, on ne trouvera dans les pages
qui
suivent que leRapport
de la missionde Toulouse. Des difficultés matérielles
d’impression
m’ontempêche
dejoindre,
pour constituer un travail
d’ensemble,
mes notes à celles de MM. Meslin etLebeuf.
N’ayant
pas voulu’ retarder outre mesure cettepublication déjà
bientardive, j’ai
dûpublier
monrapport séparément,
tout enprévenant
lelecteur,
carje
ne voudrais pasqu’il s’élevât.,
dans sonesprit,
le moindre doute sur la bonneentente et la cordialité
parfaite qui
n’ont cessé derégner
entre nouspendant
le
grand
mois que nous avonspassé
ensemble à Elche.2. Voici les instruments dont nous
disposions :
~° M. Mes)In avait
emporté
une chambreprismatique
à réseau Rowland avecun
héliostat,
destinée à l’observationspectroscopique
duphénomène
et unelunette raccourcie de Steinheil pour la
photographie
de la couronne solaire.2° M. Lebeuf devait déterminer la latitude de notre station avec un cercle méridien
portatif
d’Eichens. Cecercle, prêté
à l’observatoire de Toulouse par l’observatoire deParis,
avait été mis à notredisposition
par M. Baillaud.D’autre
part,
M. Lebenf devait observer les contacts avec une excellente lunette de Secretan de Io8mm d’ouverture et de n~"~ de distance focale. Cettelunette,
montée sur unpied équatorial métallique,
fut pourvue par M. Carrère d’un oculaire solaire et d’un mouvementd’horlogerie appartenant
à l’Université deMontpellier.
3° Deux chronomètres de temps
sidéral,
l’un de Fénon(n° 36)
battant lademi-seconde
et l’autre deBreguet (n° 999)
battant lesquatre
dixièmes de seconde.40
Une lunettephotographique
de MM.Henry,
de d’ouverture et degocm
de distance focale. Cettelunette,
fixée sur unpied équatorial
enbois,
muni d’un mouvement
d’horlogerie,
devait me servir àprendre
desphotogra- phies
de la couronne solaire dans des conditions variées. A ceteffet,
M. Carrèreavait très habilement combiné et construit un revolver
photographique, permet-
tant d’utiliser huit
plaques 6~
X sans perte de temps.Les deux dessins
ci-après représentent
ce revolver( fig.
~ et2 ).
Il consiste en une roue sur la
jante
delaquelle
sont montées les huitplaques
Pi P" ..., Ps
dans depetits
châssismétalliques
vendus dans le commerce pour lesphoto-jumelles.
Cette rouepeut, à
l’aide d’une manivelleM, M’,
tourner autourd’un axe R dont les extrémités
reposent
dans lesparois
d’un tambourT, T’
enveloppant
entièrement la roue. La rotationpermet
d’amener auplan
focal dela lunette successivement chacune des
plaques,
la mise enplace
étant assurée par des coups depointeau S,
S’ arrêtantlégèrement
unepetite tige portée
par la manivelleM,
àchaque
rotation. Dans lafigure,
laplaque Pt
est enplace.
Lalunette n’est pas
représentée;
le revolvers’installant
à son extrémité par uneprise
que l’on voit enAB,
A’B’. EnV,
onaperçoit
la queue d’un voletproté-
geant les
plaques
contre la lumière venant del’objectif.
Lerevolver,
une foischargé
de sesplaques
dans le laboratoirephotographique,
s’installe à la lunetteFig. 1. Fig. 2.
exactement comme un châssis ordinaire et à
la place
même de ce châssis. Un chercheurpermettant
deprojeter l’image
du Soleil sur un verredépoli
étaitmonté sur cette lunette.
Enfin,
unepetite
chambrephotographique
18 x~.~,
munie d’un
objectif Dallmeyer, complétait
cet instrument.5° Un baromètre
Fortin,
un baromètre anéroïde et des thermomètres.La lunette
Secretan,
leschronomètres,
la lunette de MM.Henry
et le baro-mètre Fortin
appartiennent
à l’Observatoire de Toulouse.3. MM. Lebeuf et Carrère arrivèrent à Elche le 25
avril,
et commencèrent par chercher unemplacement
favorable aidés par l’alcade de cetteville,
don Sebas-tian Canalès
Murtula,
dont la mission ne sauraittrop
louerl’obligeance
cordialeet
l’empressement,
et par M.Issanjou,
commerçantfrançais
établi àAlicante, qui
se mit à leurdisposition
avec laplus grande complaisance.
Après
avoir examiné bien desemplacements,
on fit choix de la villa San-Antonio,
située à 2km d’Elche sur la route deCrevillente,
au milieu deplanta-
tions d’oliviers et de caroubiers. Son
propriétaire,
senorTorregrossa
yPareno,
lamit
généreusement
à notredisposition
et ne cessa de veiller avec sollicitude surnotre installation.
Au sud de la
villa,
devant lamaison,
s’étendait un vasteemplacement
décou-vert tout à fait convenable pour y installer nos instruments.
Le
plan
ci-dessous montre notre installation( fig. 3 ).
Fig. 3.
M. Meslin monta en
A,
sous la vérandaprotégée
par des cloisons enplanches,
sa chambre
prismatique
et en D la lunette de Steinheil. Je m’installai en B sous une tenteapportée
deToulouse,
et en G sous une autre tente, M. Lebeuf établit les deux instruments dont ildisposait.
Les deux tentes que
j’avais
cru devoir emmener avec moi furent pour nous lasource de bien des ennuis. Il
fallait,
àchaque
coup de vent, veiller sur lestoiles;
et elles
étaient longues
et très mal commodes à découvrir pour Inobservation. Je pensequ’en pareille
circonstance le mieux est d’avoir desimples
abris démon-tables en
planches
recouvertes de toile ou depapier goudronné
pour neprotéger
, que l’instrument
lui-même ;
l’observateur trouvanttoujours,
surplace,
le moyend’organiser
un abrisupplémentaire
si cela est nécessaire..
4. J’arrivai à Elche dans les
premiers jours
du mois de mai. Les tentes, lespiliers
enbriques
et les instruments avaientdéjà
été montés par M.Carrère,
avec une activité et des soins
entendus,
dont nous ne saurionstrop
le remercier.Il restait à
régler
mon instrument.Malheureusement, pendant
toute la pre- mièrequinzaine
du mois demai,
letemps
fut très peu favorable et c’est àpeine
si nous eûmes trois belles soirées nécessaires pour ces
opérations.
Je crois
pouvoir
recommander-le mode suivant de mise enplace.
J’en ai étésatisfait dans maintes circonstances
( ~ ~.
On
oriente, pendant
lejour,
le mieuxpossible
l’instrument en azimut avec le Soleil et en hauteur avec un niveaud’angle, puis
mettant le tube de la lunette bien vertical avec un fil àplomb,
onrègle
laposition
des index d’ascension droiteet de déclinaison à l’aide d’une valeur
approchée
de la latitude.Enfin,
on finitle
réglage
de nuit à l’aide de la méthode de Scheinerrapide,
sûre etprécise.
On
fait,
dejour,
à loisir leréglage
du mouvementd’horlogerie.
Le
temps
se découvritcomplètement quelques jours
avantl’éclipse
et se main-tint beau
pendant
toute la durée duphénomène.
Dans les derniers
jours,
M.Joubin, professeur
dephysique
à l’Université deBesançon (2),
vint sejoindre
à nous, voulut bienpartager
notre installation à la villa San-Antonio et,pendant l’éclipse,
s’inslalla en E avec une lunette munie d’undispositif
pour déceler et mesurer lapolarisation elliptique
de la couronne.Enfin,
M.Moye, professeur
à la Faculté de droit deMontpellier,
et M. Tram-blay,
deux habiles astronomes amateurs, vinrentégalement
observer avec nous.M.
Moye
sechargea
de la lunette de Steinheil de M. Meslin et de l’observationsur le sol des célèbres bandes
ondulantes,
et M.Tramblay,
enF,
nota lesphéno-
mènes
généraux
extérieurs et les variations des thermomètres.5. Voici comment
j’avais préparé l’emploi
des neufplaques photographiques dont je disposais :
(1) Notamment dans deux campagnes
astronomiques
faites en octobre 1901 et enjuillet I902 au sommet du Pic du Midi de Bigorre. , ( 2) Actuellement, recteur de l’Académie de Grenoble.
.La
plaque
7 était recouverte d’un bristolperforé
à trousespacés
d’un milli-mètre,
defaçon
à donner de la couronne uneimage
formée depoints séparés plus
ou moins noirs et permettant de mesurer l’intensité relative des diverses
régions
de la couronne.
- Je devais manoeuvrer le revolver
photographique
et les mouvements lents de la lunette. 3’I. Carrère m’assistait et étaitchargé
d’ouvrir et de fermer l’obtura-teur de
l’objectif.
J’avais donc
préparé
un programme minimum. J’ai cruprudent d’agir
ainsipour une
première
observationd’éclipse totale,
euégard
surtout à la faible durée de la totalité. J’aipensé
quel’enregistrement
des formes de la couronne, si im-portantes
pour l’avenir de la théorie duSoleil,
constituait à lui seul une obser- vation d’intérêt assezgrand,
pour essayer de le faire à coup sûr dans les meilleures conditionspossibles
et sans crainte d’échec par suite d’un nombretrop grand d’appareils
à manier dans untemps
aussi court.6. Le
jour
del’éclipse,
ce programme fut réalisé d’une manière très satis- faisante et sans accident. Pour mapart, je
pensequ’il
faut attribuer cette heu-reuse réussite à nos
répétitions préliminaires
d’abord et ensuite à ce que lephénomène
n’a rien de subit ni de déconcertant. Il faut reconnaître que lescontacts d’une
éclipse
s’observent bien mieux(à
neparler
que des conditionssubjectives) qu’une
occultation d’étoiles par Ja Lune. La soudaineté de ce der- nierphénomène
en rend l’observationparticulièrement
déconcertante et incer- taine.Trois
quarts
d’heure avant latotalité,
l’instrument fut mis enmarche,
etje commençai
àsuivre,
sur l’écran duchercheur, l’image
de la Lune et la diminu-tion
graduelle
du croissant lumineux.Quelques
secondes avant latotalité,
cemince croissant se
déchira,
pour ainsidire,
d’un seul coup, montrant lephéno-
mène des
grains
deBailey.
Immédiatement
après,
un coup de fusil de M. Lebeuf nousannonçait
le secondcontact, et les
photographies
commencèrent,Après l’exposition
des neufplaques, je
puscontempler pendant 5
secondesenviron
l’éclipse
dans toute sabeauté,
réellement trèsgrande
aux yeux d’un observateur assistant pour lapremière
fois à cespectacle.
La couronneresplen-
dissait d’un blanc
éblouissant; ressemblant,
autant quej’en
aipu juger,
au blancque
possède,
avant lepolissage,
un miroirqu’on
vientd’argenter
par leprocédé
à la soude et au sucre. Une très belle
protubérance
était visible. Dans leciel,
autour du
Soleil,
brillaientVénus, Mercure,
lesplus
belles étoiles d’Orion etSirius. L’obscurité n’était pas très
grande,
et l’on a pu lirependant
toute latotalité un chronomètre à
pointage.
Au couchant s’étendait unegrande
bande deciel d’une teinte
brique
trèsparticulière.
M.Moye,
à mescôtés, aperçut
sur lesol,
avec une trèsgrande netteté,
les bandes ondulantes dont M. K. Exner adonné nne
explication simple.
’7. Passons aux résultats fournis par les
plaques photographiques. Ces plaques
m’avaient été données par MM. Lumière avec leur libéralité bien connue des
astronomes. Comme les émulsions lentes
(étiq. jaune
etétiq. rouge)
n’existentpas dans le commerce avec couche
anti-halo,
MM. Lumière avaient eu la com-plaisance
de me lespréparer spécialement. J’avais,
avant mondépart, essayé
cesplaques
sur leSoleil,
avecl’objectif Dallmeyer,
etj’en
avais été très content.Elles sont
parfaites poùr
toutes lesopérations photographiques
où la lumière n’a pas une intensitécomparable
à la lumière directe du Soleil.Mais,
pour cet astre,avec un
objectif
aussilumineux (§)
que celui de MM.Henry,
on a Intérêt à passerau dos de la
plaque,
par mesure deprécaution,
une couche de collodion à lachrysoïdine
ou de tout autre enduit anti--halo(’).
Enfait,
lesplaques exposées
audébut et à la fin de la
totalité,
aux moments où la lumière est trèsvive,
montrentun halo
empiétant
sur ledisque
lunaire surtout au niveau desprotubérances,
dontla teinte est voisine de celle de la couche anti-halo des
plaques employées.
Les
plaques 1
et 2présentent donc,
en mêmetemps qu’une
couronne trèslumineuse,
un haloqui
masquel’image
desprotubérances.
Sur la
plaque 3,
lesprotubérances
sedistinguent mieux,
mais la couronne amoins d’extension.
La
plaque 4
ne montre que lesprotubérances
et encore sont-elles très faibles.Évidemment,
une pose de i seconde avec lesplaques
àétiquette
rouge estsûre-
ment insuffisante pour la
photographie
duphénomène.
C’est sur la
plaque 5
que lesprotubérances
se voient de la manière laplus
nette. J’ai constaté que cette
plaque
montrait toutes lesprotubérances
relevées àl’oeil,
avec unspectroscope,
par M.Fenyi
lejour
même del’éclipse.
~ La
plaque
6 a été voiléependant
ledéveloppement.
Je
pensais pouvoir tirer
de laplaque
7quelques renseignements précieux
sur lesvaleurs
photométriques
relatives des diversesrégions
de la couronne;mais, après développement, j’ai
constaté que lesimages
desrégions
de la couronne faites àtravers les trous du bristol
présentaient,
dans leurétendue,
de fortes variations de teinte. Les trous du bristol étaient donctrop grands
relativement à la gran- deur del’image
totale de la couronne. J’ai donc laissé de côté cetteplaque,
meproposant
dereprendre
cet essai à uneprochaine
occasion.La
plaque
8 est une des meilleures : les rayons coronaux y sont nets etfins,
les deux
dépressions polaires
sont très accusées, et la couronne yprésente
bienl’aspect
habituel auxépoques
de minimum de l’activité solaire.( i ) Depuis cette
époque,
MM. Lumière ont mis en vente de nouvellesplaques
anti-halos.478
.
Enfin,
un examen attentif de laplaque
9 ne m’amontré,
autour duSoleil,
aucunastre autre que ceux
qui
devaient normalements’y
trouver.’
. ,
Mercure,
enparticulier, s’y distingue
très bien à l’extrémité d’un rayon coronal.Je
dois ajouter,
pourl’intelligence
de cequi précède, que
les sensibilités desplaques Lumière, étiquette bleue; étiquette jaune, étiquette
rouge, sontpropor-
tionnelles aux nombres
1, 6, 15.
...- La
planche d’héliogravure qui accompagne
ceRapport
donne lesimages agrandies
deux fois desplaques 2, 3, 5
et 8. La couronne ypossède
naturellement moins détendue et de finesse que sur les clichéseux-mêmes,
et lesprotubérances
faibles visibles sur le cliché 5 sont
noyées
dans lareproduction
de lapartie
laplus
lumineuse de la couronne. rrellequ’elle
est,je
pensequ’elle intéressera, cependant,
les lecteurs. C’est une observationqui
vients’ajouter
à celles quenous ont données les
éclipses passées. Si
l’on considère quela
couronne est unphénomène
observable seulement huitjours
parsiècle,
on se rendracompte
deimportance
d’une telle observation. Cela seuljustifie pleinement
lapeine
quenous avons dû