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Avant d’analyser qualitativement les rapports qui sont consacrés aux relations entre les Tchécoslovaques et leurs minorités

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Academic year: 2021

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Avant d’analyser qualitativement les rapports qui sont consacrés aux relations entre les Tchécoslovaques et leurs minorités1, il faut aborder l’importance quantitative qui est ac- cordée aux litiges territoriaux et aux problèmes de minorités au sein de l’ensemble de ceux qui traitent de la problématique nationale. En voici les résultats triés en fonction de l’année :

Légation de Prague (1919-1923)*

Parmi les rapports traitant la question nationale (A), ceux qui se réfèrent directement aux litiges territoriaux et aux problèmes de minorités nationales (B): approche chronologique

Année A B

1919 (sept derniers mois**) 20 13 (65%)

1920 80 47 (59%)

1921 38 14 (37%)

1922 15 6 (40%)

1923 18 11 (61%)

* Pour les premiers mois de 1924, l’échantillon est extrêmement négligeable.

** avant, pas de légation ouverte.

Si l’on fait abstraction des biais introduits par la petitesse des effectifs des catégories, on constate un vrai clivage entre les deux premières années et les suivantes : 59% de rap- ports consacrés à cette problématique durant les deux premières années contre à peine 44% au cours des trois suivantes. L’explication n’est pas très compliquée : au fur et à mesure, les litiges territoriaux en relation avec la question nationale trouvent une solu- tion, au moins temporaire. En dépit de cette tendance, le sujet préoccupe toujours consi- dérablement les diplomates belges en poste à Prague.

Légation de Prague (réouverture de la légation, mi1919-démission d’Henri Jaspar, début 1924) Parmi les rapports traitant la question nationale (A), ceux qui font référence directe aux li-

tiges territoriaux et aux problèmes des minorités nationales (B) : ventilation par diplomate

Année A B

Gaston de Ramaix 20 13 (65%)

Maurice Michotte de Welle 61 36 (59%)

Etienne Ruzette 6 4 (67%)

Pierre Forthomme 13 7 (54%)

Halot (prénom non-précisé) 24 11 (46%)

Pierre Bure 33 11 (33%)

Edouard de Streel 15 9 (60%)

Cette fois, en dépit de la taille réduite, on observe une évidente dispersion des résultats.

Non seulement l’écart atteint le simple au double, mais la répartition est complètement anarchique. On pourrait croire en ne prenant pas en compte le facteur chronologique que les nobles y accordent plus d’importance. L’acuité et l’actualité des litiges territoriaux biaisent allègrement les données obtenues. Les écarts entre membres d’une même généra- tion de diplomates sont colossaux entre sept et vingt-six pour cent. Ils sont également

1 Sauf contre-indication, les rapports mentionnés dans ce chapitre sont tirés des dossiers chronologiques suivants : Arch. Min. Aff. Etr. (B), [Corr. pol..] Tchécoslovaquie. 1919-1923. Idem, Tchécoslovaquie 1924- 1926. Rapports politiques. Prague 1924. Pour l’illustration cartographique des différents litiges sur les frontières tchécoslovaques, la carte 4 (p. 466) des annexes s’avère la plus intéressante.

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importants si l’on retient le critère de la formation. Le parcours avant d’arriver à la léga- tion de Prague n’influe pas davantage. Au-delà de ces considérations quantitatives, il faut envisager le discours d’un point de vue qualitatif, successivement pour chacune des na- tionalités concernées.

1. Les Allemands

Depuis le XIIIe siècle, des colons germaniques s’étaient installés dans l’arc montagneux qui entoure la Bohême, mieux connu sous le nom de Sudètes. Ils contribuèrent au déve- loppement industriel d’un territoire où ils vinrent à former progressivement la majorité de la population. A l’époque austro-hongroise, leur situation excentrée ne soulève aucune difficulté particulière, si ce n’est que la cohabitation s’avère de plus en plus difficile à partir du dernier tiers du XIXe siècle : des projets tchèque et allemand divergent de plus en plus. Entrés sans enthousiasme aux côtés des Centraux, les Tchèques abandonnent de plus en plus le passivité initiale pour entrer dans la résistance active et, pour certains, re- joindre les Alliés pour combattre à leurs côtés. Lors de la révolution de 1918, la domina- tion des trois gros millions d’Allemands de la nouvelle république prend fin ; quant à la noblesse germanique, elle se trouve doublement déchue dans la mesure où le mouvement est également démocratique. Les Allemands revendiquent l’autodétermination qu’ils avaient toujours refusée aux Tchèques : ils réclament de pouvoir choisir leur destin, à savoir le rattachement au Reich. Leur projet s’oppose donc catégoriquement non seule- ment aux aspirations et aux exigences des Tchèques mais aussi à la volonté des Alliés de ne pas renforcer l’Allemagne. L’histoire et les intérêts, voire les nécessités économiques, participent à l’argumentation des premiers. Les considérations stratégiques reviennent dans les deux discours. Pour Georges Clémenceau, la frontière entre l’ancienne Autriche et l’Allemagne doit demeurer en état, même si elle sépare désormais cette dernière de la Tchécoslovaquie. Il est entendu : le principe des nationalités est écarté2.

Même si les Allemands ne représentent presque rien au sein de la population de la Slova- quie (moins de 5%), un problème similaire surgit dans cette partie du nouvel Etat, mais avec une population hongroise, particulièrement nombreuse (plus de 20 %)3. La survie de la Tchécoslovaquie est donc largement hypothéquée, puisque plus de 30% de la popula- tion de la République appartiennent à des nationalités hostiles, disposant d’Etats, battus et revanchards, le Reich ou la Hongrie selon les cas. Si l’on rajoute que l’Autriche, dont une bonne part des citoyens ne se reconnaît pas dans leur nouvel Etat, aspire à l’Anschluss, et

2 BECKER, Jean-Jacques, op. cit., pp. 65-66 et 77 ; ELCOCK, Howard James, op. cit., principalement pp. 188-190 et 285 ; TEICH, Mikulás, op. cit., pp. 254-256 ; BENES, Zdeněk, et KURAL, Václav (éd.), Pour comprendre l’histoire. Les relations tchéco-allemandes entre 1848 et 1948, Gallery, Prague, 2002, pp. 10-84.

3 MORDAL, Jacques, op. cit., p. 60 ; TEICH, Mikulás, op. cit., pp. 254-256.

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les minorités magyares ou germaniques disséminées dans tous les Etats-successeurs, on arrive à une centaine de millions d’adversaires guettant la moindre opportunité pour abat- tre le nouvel Etat.

1.1.Les diplomates

Quant on aborde le cas de la cohabitation entre Tchèques et Allemands, on est consterné par l’omniprésence du problème. Les diplomates belges en poste à Prague partagent tous cette impression. Ils accordent de longues pages de leurs rapports à cette question sensi- ble, sinon brûlante. Gaston de Ramaix perçoit déjà dans son premier rapport la menace que les seconds font peser sur l’intégrité territoriale de la Tchécoslovaquie4, et donc plus largement au projet national tchèque. La minorité en cause ne se rend pas plus sympathi- que en s’en prenant à la politique de la Belgique dans les cantons rédimés5. Il appelle à une politique patriotique, mais conciliante, pour amadouer les principaux facteurs de prospérité industrielle qui appartiennent précisément à cette minorité6.

Tout au long de son séjour à Prague, Maurice de Michotte de Welle fait état de leur oppo- sition à la Tchécoslovaquie : encore une charge supplémentaire7. Le fait qu’ils soutien- nent un rapprochement avec le Reich et la Hongrie augmente encore le capital-antipathie dont ils jouissent auprès du diplomate notoirement tchécophile8. Cette orientation se confirme : les Allemands sont entièrement responsables en ayant refusé le nouvel Etat. Il fustige aussi le caractère oppresseur d’eux-mêmes et de leurs congénères d’Allemagne9. Le procès se poursuit. Ils sont accusés de simuler des dissensions internes pour mener à bien les projets séparatistes en détournant l’attention des Alliés10. Et en plus, ils s’en prennent à la Belgique11. Mais, d’après le diplomate, leur comportement, toujours condamné, aurait des conséquences positives sur les Tchèques, en les incitant à l’union, ce qui écarte le péril d’une politique intégralement socialiste. Il va sans dire que les di- plomates sont peu portés au communisme, et même généralement au socialisme et à la social-démocratie. Quant à la politique sociale, il caresse l’espoir qu’elle fera naître des divisions entre Allemands, les sociaux-démocrates allemands étant probablement bien disposés pour appuyer des mesures en ce sens. Cohésion des nationaux, division de

4 Rapport de Gaston de Ramaix à Paul Hymans, Prague, 5 juin 1919.

5 Rapport de Gaston de Ramaix à Paul Hymans, Prague, 8 janvier 1919.

6 Rapport de Gaston de Ramaix à Paul Hymans, Prague, 21 août 1919.

7 Rapport de Maurice Michotte de Welle à Paul Hymans, Prague, 4 janvier 1920.

8 Rapport de Maurice Michotte de Welle à Paul Hymans, Prague, 6 février 1920.

9 Rapport de Maurice Michotte de Welle à Paul Hymans, Prague, 1er mars 1920.

10 Rapport de Maurice Michotte de Welle à Paul Hymans, Prague, 29 mars 1920.

11 Rapport de Maurice Michotte de Welle à Paul Hymans, Prague, 18 avril 1920.

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l’opposition : le résultat serait merveilleux12. Deux semaines plus tard, il semble confirmé dans ses prédictions : les sociaux-démocrates allemands refusent de participer aux inci- dents provoqués par leurs collègues bourgeois au Parlement13.

Pierre Forthomme, ministre de Belgique à Prague, se montre plus soucieux : les Tchèques ne seraient pas suffisamment conscients de la menace, intérieure et extérieure, allemande sur l’existence de leur Etat14. Or, trois semaines auparavant, il évoquait la fin de la majo- rité tchèque suite à la dissidence communiste (rupture avec les sociaux-démocrates tchè- ques)15. Il n’est pas définitivement désespéré : à la fin de la mission, il estime que la prise de conscience s’est opérée. Il attribue le bon rôle aux Tchèques (la mesure, la pondéra- tion) et le mauvais aux Allemands (la haine, l’excitation et l’incitation au désordre)16. Initialement, Halot brosse un tableau beaucoup plus optimiste de la situation. Adversaire tout aussi déclaré du pangermanisme, il considère que la collaboration entre les deux par- ties conditionne la formation du gouvernement. Son espoir se porte sur les sociaux- démocrates allemands qui n’adopteraient pas un point de vue aussi intransigeant que les partis bourgeois de la même minorité17. Deux semaines plus tard, il change de cheval : les cléricaux allemands seraient disposés à entrer dans un prochain cabinet18. L’inquiétude réapparaît par la suite : l’opposition allemande serait irréductible, en défendant invaria- blement le pangermanisme19. La menace est aggravée par les discussions entre sociaux- démocrates des deux nationalités20.

Pierre Bure renoue avec un certain optimisme : l’accord entre la Tchécoslovaquie et l’Autriche repose entre autres sur la promesse de la seconde de ne pas soutenir les mou- vements autonomistes21. Mais il reste vigilant face à ce qu’il considère comme un péril intérieur22. Le ton vire même au pessimisme : les Allemands sont présentés comme des ennemis irréductibles du nouvel Etat23, favorables au Reich et entendophobes24. Tout en partageant le sentiment d’une opposition fondamentale menaçant la Tchécoslovaquie25, il finit par considérer que cette dernière mène une politique adéquate, à savoir fermement anti-pangermaniste26.

12 Rapport de Maurice Michotte de Welle à Paul Hymans, Prague, 12 mai 1920.

13 Rapport de Maurice Michotte de Welle à Paul Hymans, Prague, 29 mai 1920.

14 Rapport de Pierre Forthomme à Léon Delacroix, Prague, 9 octobre 1920.

15 Rapport de Pierre Forthomme à Léon Delacroix, Prague, 16 septembre 1920.

16 Rapport de Pierre Forthomme à Henri Jaspar, Prague, 23 décembre 1920.

17 Rapport de Halot à Henri Jaspar, Prague, 8 janvier 1921.

18 Rapport de Halot à Henri Jaspar, Prague, 23 janvier 1921.

19 Rapport de Halot à Henri Jaspar, Prague, 23 mars 1921.

20 Rapport de Halot à Henri Jaspar, Prague, 12 avril 1921.

21 Rapport de Halot à Henri Jaspar, Prague, 27 décembre 1921.

22 Rapport de Pierre Bure à Henri Jaspar, Prague, 12 septembre 1922.

23 Rapport de Pierre Bure à Henri Jaspar, Prague, 25 octobre 1922.

24 Rapports de Pierre Bure à Henri Jaspar, Prague, 3 et 28 février 1923.

25 Rapports d’Edouard de Streel à Henri Jaspar, Prague, 21 décembre 1922 et 17 janvier 1923.

26 Rapport d’Edouard de Streel à Henri Jaspar, Prague, 19 novembre 1923.

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En guise de conclusion, les reproches sont récurrents et focalisés sur les Allemands ainsi que sur ceux qui veulent comploter ou composer avec eux. Ils sont présentés comme unis intimement au Reich et à la Hongrie revanchistes. Au contraire, l’Autriche est épargnée par ses critiques, en dépit de la nationalité de sa population. En dehors de quelques notes d’espoir éparses, on ne peut pas déceler de clivage clair sur base de la chronologie et des profils différenciés des diplomates. Reposant sur un nombre de rapports plus restreint, l’exemple du cas hongrois nous amènera néanmoins aux mêmes conclusions : les criti- ques fusent et jamais une circonstance atténuante.

Gaston de Ramaix reprend les positions de chacun : si les Tchèques ont rappelé qu’ils étaient eux-mêmes les initiateurs de l’inscription des droits des minorités dans les traités de paix, les Allemands ne se satisfont pas de celle-ci et revendiquent une quasi- indépendance. Si tous dénoncent le traitement injuste face à l’autonomie complète dont jouit la Russie subcarpatique, moins peuplée et arriérée, les Germano-tchèques seraient divisés entre bourgeois et sociaux-démocrates, manipulés par les Juifs. Si le document n’est pas clair quant aux sentiments du diplomate face au régime souhaitable, il présente encore une fois le Juif comme l’ennemi de la Nation27. Il faut attendre le troisième et der- nier rapport qu’il consacre au sujet pour rencontrer un point de vue plutôt explicite, cor- respondant à l’idée que l’on pouvait se faire d’après sa sympathie pour la cause tchèque.

S’il défend la cause tchèque et critique le comportement des minorités, surtout des Alle- mands, il doit forcément s’en prendre à leurs revendications d’autonomie.

Quant à Halot, il ne se livre qu’à des constatations. Par exemple, il évoque les revendica- tions de fédéralisme ou d’autonomie, notamment en matière scolaire, la politique menée en la matière constituant la principale source de mécontentement au sein de la minorité allemande. Il rappelle en même temps qu’ils ne sont pas opposés à l’existence de la Tchécoslovaquie28. Pierre Bure s’inscrit dans la lignée de ses prédécesseurs : l’indifférence29 ou l’hostilité à l’autonomie. Il incline pour la seconde option30. Edouard de Streel ne se démarque pas de la tendance générale. Il se contente d’exposer les préfé- rences du gouvernement tchécoslovaque sans les commenter longuement. Toutefois, il serait probablement amené à porter un regard positif quand Tomas Masaryk appelle à s’inspirer de l’exemple belge de traitement différencié des nations – solution qu’il préco- nise aux problèmes slovaque et allemand31. Il devrait a priori déplorer l’impasse dans

27 Rapport de Gaston de Ramaix à Paul Hymans, Prague, 14 octobre 1919.

28 Rapport de Halot à Henri Jaspar, Prague, 8 janvier 1921.

29 Rapport de Pierre Bure à Henri Jaspar, Prague, 18 octobre 1921.

30 Rapport de Pierre Bure à Henri Jaspar, Prague, 27 décembre 1921.

31 Rapport d’Edouard de Streel à Henri Jaspar, Prague, 3 janvier 1923.

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laquelle se trouve la Tchécoslovaquie entre le centralisme entêté de Tomas Masaryk et les revendications récurrentes des minorités à l’autonomie, au nom de la constitution et des accords conclus32. Le tour de la question peut donc être rapidement opéré, puisque les variations chronologiques et les écarts entre diplomates s’avèrent insignifiants. Tous considèrent que la question est de nature à pouvoir compromettre le bon fonctionnement du nouvel Etat, voire son existence. Si les évocations sont rares, le sujet est pris néan- moins au sérieux. L’autonomie, et plus encore le séparatisme qui lui est parfois associé, sont regardés avec méfiance, avec indifférence dans le meilleur des cas. Cette option re- présente chez les diplomates une ‘menace intérieure’ pour la survie de la Tchécoslova- quie, Etat-clé dans le système né des traités. Or, celui-ci a restauré la Belgique dans son existence indépendante après quatre ans d’occupation. En bref, choisir l’autonomie, c’est mettre en danger le nouvel Etat, donc la paix, donc le système des traités qui a permis le rétablissement de l’indépendance nationale belge.

1.2.Les journaux

En la matière, on doit noter l’absence fréquente de remarques significatives sur le sujet, probablement parce que le sujet est vite tranché par les acteurs de la Conférence de la Paix. Au-delà de cette pénurie de témoignages directs, on doit souligner qu’à l’exception d’un article isolé de La Nation Belge, l’ensemble des articles se concentre dans un laps de 9 mois, du début de l’hiver 1918 à la fin de l’été 1919.

Sur le fond, l’hostilité à l’Allemagne est patente lorsque des avis sont formulés par les quotidiens. La Nation Belge marque simultanément un enthousiasme et une sympathie à l’égard des Tchécoslovaques, qui rétablissent l’ordre dans des régions allemandes de la Bohême33 et qui volent au secours des Allemands d’Autriche alors même que ces derniers intriguent contre eux34. Même les socialistes témoignent d’une sympathie envers le nou- vel Etat : ils saluent avec plaisir la volonté supposée des camarades allemands de Tchéco- slovaquie de participer positivement à la vie politique du nouvel Etat35. A côté de ces positions socialiste, libérale ou nationaliste, l’organe conservateur catholique manifeste une très logique réserve à l’égard d’un régime neuf, laïque et même plus largement révo- lutionnaire. Sans prendre la défense explicite des Allemands qui restent dans ce journal

32 Rapport d’Edouard de Streel à Henri Jaspar, Prague, 21 décembre 1923.

33 "Les Tchéco-Slovaques rétablissent l’ordre en Bohême allemande", in La Nation Belge, 23 décembre 1918, p. 3.

34 "Les Tchéco-Slovaques secourent les Allemands d’Autriche", in ibid., 24 décembre 1918, p. 1.

35 "Les Socialistes allemands de Tchéco-Slovaquie forment un parti indépendant", in Le Peuple, 4 septem- bre 1919, p. 2.

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d’affreux Boches qui ont attaqué la Belgique, il décrit cependant une agitation anti- allemande à Prague36. Aussi peu de temps après l’armistice, on peut s’étonner qu’il ne justifie pas ces agissements. En effet, en décrivant des événements similaires, les autres journaux auraient probablement, ou bien marqué les doutes quant à l’exactitude de l’information, ou bien défendu l’attitude des Tchèques en estimant que c’est un juste re- tour. On retrouve le même texte et le même titre dans l’édition du Peuple de la veille37. Ici, on peut davantage s’étonner du discours. L’identité de la rédaction s’explique proba- blement par la simple transposition d’une dépêche d’agence. Néanmoins, rien n’obligeait ces deux journaux de la reprendre, encore moins sans la modifier. La facilité offrirait une solution trop simple. On peut par contre avancer l’idée d’une motivation différente ame- nant à une même décision. Dans le cas de la Tchécoslovaquie, on peut supposer que les socialistes, qui n’ont pas encore complètement rompu avec les Bolcheviks pour lesquels ils manifestent de temps à autre une grande sympathie, voient d’un mauvais œil le com- portement d’un mouvement nationaliste. Il heurterait leurs convictions internationalistes.

De surcroît, le pays apparaît comme une pièce dans un système centre- et est-européen, capitaliste et bourgeois, s’opposant à leurs rêves incarnés par la Russie soviétique. Cette piste semble corroborée par un article ultérieur où les Tchécoslovaques apparaissent dans le rôle des briseurs de grèves que voulaient organiser les Allemands38. Des éléments re- viennent dans le discours de La Dernière Heure. Plus précisément, ce dernier journal soutient que les Allemands ont manifesté malgré l’interdiction. Cette formule est ambi- guë car elle permet deux interprétations au moins : soit les Allemands jouent un mauvais rôle en ne respectant pas l’ordre ou la loi, soit les Tchèques adoptent un comportement contraire à l’esprit de liberté. A l’inverse d’autres quotidiens, il est difficile de classer La Dernière Heure parmi les partisans ou les opposants.

Du côté flamand, la Gazet van Antwerpen conserve une neutralité constante39. Au contraire de son équivalent francophone, Laatste Nieuws offre un ensemble de prises de position très claires. Si chacune d’elles est aisément classifiable parmi celles favorables ou défavorables, l’ensemble offre peu de cohérence. L’interview d’un Tchèque publiée dans l’édition du 29-30 décembre 1918 en témoigne. Le début de la conversation indique un doute sur l’opportunité d’insérer les régions allemandes de la Bohême dans la nouvelle

36 "L’agitation anti-allemande à Prague", in La Libre Belgique, 12 décembre 1918, p. 3.

37 "L’agitation antiallemande à Prague", in Le Peuple, 11 décembre 1918, p. 2.

38 Rubrique "Nouvelles brèves", in ibid., 9 juin 1919, p. 3.

39 Par exemple, "Staatkundig overzicht (…) In Bohemen", in Gazet van Antwerpen, 6 décembre 1918, p. 1, et rubrique "In weinige woorden", in ibid., 19 janvier 1919, p. 1.

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république. Le Tchèque lui répond qu’une part significative de la prédominance alle- mande résulte de la contrainte exercée par les – méchants – grands patrons de l’industrie :

"Wei, was zijn eerste woord, wij zijn nu geallieerden en in mijn hart was ik nooit aan der zijde der Centralen.

Uit den mond van een Tsjeck verwonderde ons zulke taal niet. (…)"40

" - Maakt ook gansch Bohemen deel uit der nieuwe Republiek? Wij meenen nochtans dat Noordelijk en Westelijk Bohemen gansch Duitsch is.

- Ja die streek is thans Duitsch, maar zij is het niet altijd geweest. De groote nijverheids- bazen, die daar meest allen Duitschers zijn, hebben sedert lange jaren druk op hun werk- volk uitgeoefend om ze te dwingen hun kinderen naar Duitsche scholen te sturen."41

Ensuite, il exprime une forme de sympathie flamande au combat linguistique passé des Tchèques contre les Allemands. Il est peut-être déçu par la réponse de son interlocuteur, qui invite à la modération : il ne faudrait pas aller trop vite en besogne dans la comparai- son. L’extrait suivant l’illustre parfaitement :

Wij vroegen onze Tsjeck of geen gelijkenis bestond tusschen den Vlaamschen taalstrijd en den taalstrijd in Bohemen.

- « De taalstrijd is Bohemen was veel heftiger, werdervoer hij. Het taalbewustzijn is bij de Tsjecken veel sterker dan bij de Vlamingen. Wel is de Tsjecksche adel Duitschgezind, zooals de hoogere burgerij in Vlaanderen verfranscht is, maar over ‘t algemeen vormen de Tsjecken beter blok dan de Vlamingen.

Vergeleken bij den Tsjeckschen strijd komt me de Vlaamsche Beweging maar oppervlak- kig voor. Duizenden Tsjecken ondergingen gevangenisstraf wegens de taalkwestie ; eerst wanneer een zaak martelaren heeft, grijpt zij het diepste gevoel van het volk aan. »"42

Quelques mois plus tard, comme l’autre journal libéral étudié, il présente une version ambiguë de la grève générale allemande et du comportement des Tchécoslovaques en relation avec celle-ci43. On peut conclure que des tendances sont difficiles à esquisser. En effet, le peu d’articles consacrés au sujet et le caractère parfois énigmatique de certaines formules nous empêchent de le faire.

*

* *

40 "Onderhoud met een Tsjeck", in Laatste Nieuws, 29-30 décembre 1918, p. 1.

41Ibid., p. 1.

42Ibid., p. 1.

43 "Algemeene staking in Bohemen", in ibid., 10 juin 1919, p. 1.

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Ces constatations relatives au positionnement des diplomates et de la presse doivent à présent être mises en rapport avec les interférences éventuelles des questions posées dans une perspective belge : nationale-linguistique et sociale-socialiste. A propos de la pre- mière, comme dans le cas des relations germano-polonaises, la mauvaise presse de l’Allemagne et la bonne image dont la Tchécoslovaquie44 bénéficie permettraient à elles seules à expliquer le positionnement. Si Prague ne dispose pas du même capital- sympathie que Varsovie, elle apparaît plus fiable : pacifiste, pragmatique et plus évoluée, elle ne se laisserait pas emporter dans des aventures risquées comme son homologue po- lonaise. Parallèlement, elle a le mérite d’apparaître suffisamment ferme vis-à-vis des re- vanchards et autres irrédentistes qui menacent l’ordre des traités : le droit à l’autodétermination ou à l’autonomie est assimilé au séparatisme et rejeté car remettre en cause les frontières, c’est ouvrir la boîte de Pandore. Ici, même si les droits individuels des citoyens de langue allemande sont relativement bien garantis, y compris en matière éducative et administrative45, la loi II/1918 attribue la souveraineté au peuple tchécoslo- vaque46. Mais tout comme la notion de nation tchécoslovaque, celle de peuple n’est ja- mais définie. Il faut cependant constater que les Tchèques dominent le nouvel Etat. S’ils n’oppriment pas, les deux plus fortes minorités, les plus adversaires du nouvel Etat (alle- mande et hongroise), ne s’accommodent pas facilement de leur nouveau statut, se- condaire. Pourtant, des collaborations entre Tchèques et Allemands ne sont pas exclues.

Leur évocation suscite des réactions contrastées, surtout quand on rapproche les seconds des Juifs, qui souffrent d’une réputation abominable. Ainsi, la peur obsessionnelle du rouge et du révisionniste des traités – l’Allemagne en est l’incarnation – conduit la Belgi- que à ne pas s’interroger sur les erreurs de ses alliés. Il s’agit de véritables tabous, inspi- rés par une méconnaissance de la problématique nationale : la traditionnelle incompré- hension entre les modèles ethnique et civique. Partagé par les Grandes Puissances, ce diagnostic erroné et ces mesures inappropriées sont reprises par la Belgique.

Prague semble donc offrir un pilier d’autant plus solide pour défendre la nouvelle donne internationale. A peine recouvrée, l’indépendance belge paraît mieux garantie par une Tchécoslovaquie plus raisonnable qu’une Pologne alliée, mais trop souvent impulsive et irréfléchie. Sa fermeté face aux Soviets et la non-participation des communistes au gou- vernement ne la préjudicie pas auprès du POB dans la mesure où les socialistes tchèques

44 Il suffit de se référer au chapitre V.

45 Le droit de recourir à l’allemand est reconnu par la loi et organisé sur le terrain. Ce constat est transposa- ble aux autres pays.

46 BENES, Zdeněk, et KURAL, Václav (éd.), op. cit., p. 56.

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occupent des places de choix au sein de la coalition gouvernementale. Un autre élément qui est porté à son crédit réside dans la proximité qui est établie entre la Belgique et le pays en question. Le positionnement des partis est donc différent, mais ils partagent tous un discours modéré. Seule la droite catholique n’adhère pas.

Son opposition irréductible à cette république anticléricale ne se cantonne pas à la seule présence massive de socialistes au gouvernement : le terrain religieux et le fait que son avènement ait correspondu également à la fin de l’Autriche-Hongrie constituent d’autres pistes explicatives de leur haine et de leur mépris. Mais en dehors de cette frange, beau- coup se laissent séduire par les comparaisons tchèques. Selon les interlocuteurs, les per- sonnalités tchèques s’adressent à leurs interlocuteurs dans des termes qui flattent leurs sentiments : ils déclarent aux unitaristes et aux nationalistes belges que les Sudètes se- raient à la Tchécoslovaquie ce que les Cantons de l’Est seraient à la Belgique. Quand le message s’adresse à un public flamand ou de gauche, l’Allemand incarne le capitaliste odieux qui a exploité un prolétariat tchèque, indigène, qu’il a forcé à apprendre l’allemand. Dans tous les cas de figure, un message favorable parvient.

Sur le plan, des réalisations, on doit noter que l’apport belge se révèle tout simplement nul. La Belgique est victime des autres (marginalisation par les Grandes Puissances), mais aussi d’elle-même (discordances et confrontation avec certains Alliés dans des conflits déjà exposés). La droite catholique apparaît bien isolée dans son rejet de la Tché- coslovaquie, qui trouve plus ou moins grâce aux yeux des autres secteurs. Mais l’arbre cache la forêt : ce sont des motivations différentes, parfois même contradictoires, qui amènent la majorité des secteurs de l’opinion publique à converger.

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2. Les Hongrois

2.1.Les diplomates

Focalisé sur la Bohême, Gaston de Ramaix fait presque l’impasse sur les Hongrois, les autres ennemis irréductibles de la Tchécoslovaquie : il déclare seulement que la Hongrie ne serait pas en mesure d’utiliser la minorité magyare pour déstabiliser le nouvel Etat. Il ne laisse pas transparaître ses sentiments47.

Maurice Michotte de Welle dénonce par contre l’immixtion de l’Etat magyar sous pré- texte de défendre l’intérêt des minorités hongroises de Slovaquie. Il soutient qu’il paie des prostituées – affront à la moralité – et des agitateurs pour provoquer des plébiscites dans les provinces perdues48. Cela prend une tournure inquiétante lorsqu’Etienne Ruzette annonce que les courants favorables aux Hongrois travaillent la Slovaquie49. Quant à Pierre Bure, il tient des propos nullement rassurants lorsqu’il affirme que les huit pour cent de Hongrois dans l’armée constituent un péril pour la Tchécoslovaquie50. Ce diplo- mate devait apprécier modérément leurs sympathies pour le Reich et leur hostilité pour l’Entente51. Non seulement les auteurs considèrent tous que les deux minorités, allemande et hongroise, constituent un danger potentiellement fatal à la jeune République, mais ils considèrent aussi qu’ils collaborent dans leur entreprise de déstabilisation52.

Maurice Michotte de Welle va bien plus loin. Comme les pages précédentes l’établissent clairement, il défend ardemment la cause tchèque et dénonce les attaques qui lui sont por- tées, que ce soit par les Allemands, les Slovaques et tous les autres adversaires. L’objectif est pour lui primordial, même quand il exprime un certain malaise face aux intérêts finan- ciers et économiques de la Belgique, se référant probablement à la question des répara- tions. Celle-ci suppose un redressement de l’économie des vaincus, ce qui ne manque pas de l’inquiéter :

"Il y a une malheureuse antinomie entre nos intérêts financiers et économique, d’une part, et politiques de l’autre. L’enrichissement de nos débiteurs, même par un travail pacifique, ne nous apportera pas une joie, sans mélange, puisqu’il engendra, en même temps, une force qui sera pour un danger permanent."53

Donc, il n’y a aucune ambiguïté ni ambivalence à propos ni des Allemands ni des Hon- grois : ils sont critiqués pour leur opposition résolue au projet national tchécoslovaque.

47 Rapport de Gaston de Ramaix à Paul Hymans, Prague, 30 juin 1919.

48 Rapport de Maurice Michotte de Welle à Paul Hymans, Prague, 22 février 1920.

49 Rapport d’Etienne Ruzette à Paul Hymans, Prague, 11 août 1920.

50 Rapport de Pierre Bure à Henri Jaspar, Prague, 12 septembre 1923.

51 Rapport de Pierre Bure à Henri Jaspar, Prague, 3 février et 28 mars 1923.

52 Rapports de Gaston de Ramaix à Paul Hymans, Prague, 5 et 30 juin 1919.

53 Rapport de Maurice Michotte de Welle à Paul Hymans, Prague, 27 janvier 1920.

(12)

2.2.La presse

Peu de constats peuvent être dressés sur le plan quantitatif. Néanmoins, on peut en formu- ler au moins deux. D’une part, les rapports avec la Hongrie soulèvent plus d’interventions que ceux avec l’Allemagne, surtout du côté flamand. Comme le commentaire qualitatif établi ci-dessous en atteste, la peur des Magyars dépasse de loin celle des Allemands.

D’autre part, au-delà des clivages partisans ou linguistiques, l’essentiel des interventions se concentre au début de la période. Cela correspond tout simplement aux offensives des Hongrois en Slovaquie.

Nombre de jours où le sujet est

traité 11.11.

18 31.01.19 01.06.19 05.07.19 01.09.19 20.09.19 20.11.19 30.11.19 23.02.20 29.02.20 01.06.20 07.06.20 08.09.20 14.09.20 15.12.20 21.12.20 25.03.21 31.03.21 25.07.21 31.07.21 24.11.21 30.11.21 01.04.22 07.04.22 08.08.22 14.08.22 15.12.22 21.12.22 08.04.23 14.04.23 08.08.23 14.08.23

Laatste Nieuws 15 1

Gazet Antwerp. 2 8 1 1

Standaard 2 1

Nation Belge 4

Dernière Heure 1 2 3 1 1

Libre Belgique 7 1

Le Peuple 1 5

On doit constater que les remarques convergent beaucoup plus clairement. Voici quel- ques exemples qui permettent de l’illustrer. La Dernière Heure du 25 février 1920 titre en première page L’agitation magyare: Budapest est accusé d’avoir tenté de semer des troubles en Slovaquie. Parallèlement, les Tchèques auraient tenu toutes les promesses formulées à Pittsburg. Son équivalent flamand évoquait déjà le 11 juin 1919 qu’avec le concours de divisions françaises, les Tchèques avaient contraint les Hongrois à la retraite (terugtocht)54. Face au péril communiste, La Libre Belgique, organe conservateur par excellence, n’hésite pas à soutenir que l’avancée des troupes de Béla Kun en Slovaquie fait que La situation est très sérieuse55. Ce n’est qu’exceptionnellement, dans une dépê- che, signalée comme provenant de Budapest, que les Hongrois endossent le bon rôle56. En plus, une attaque qui est bien plus forte à leur encontre est publiée moins d’une se- maine après. En effet, le titre constitue à lui seul un réquisitoire impitoyable contre le révolutionnaire magyar. Mais, dans le corps de l’article, d’autres expressions, comme l’attitude sournoise actuelle de la Hongrie, viennent renforcer ce constat. Enfin, l’article développe l’idée que les attaques tchèques relevaient d’une manipulation des Hongrois57. Leur double jeu est également dénoncé dans un autre article, publié dans la Gazet van

54Laatste Nieuws, 11 juin 1919, p. 4.

55 "Les hostilités entre les Tchèques et les Hongrois", in La Libre Belgique, 14 juin 1919, p. 3.

56 "Les hostilités tchéco-hongroises continuent malgré l’ordre d’armistice. Un communiqué hongrois", in ibid., 23 juin 1919, p. 2.

57"La lutte contre le bolchevisme. Le double jeu de Bela Kun, le dictateur hongrois.", inibid., 28 juin 1919, p. 2.

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Antwerpen du 28 juin 1919 en première page58. Les socialistes condamnent aussi les me- nées magyares : les Hongrois attaquent de façon violente et injuste les Tchéco-Slovaques et pénètrent en Tchéco-Slovaquie59. Cette belle unanimité est rompue par des opinions publiées plus tardivement par le quotidien conservateur flamand Standaard. Dans son édition du 20 décembre 1922, il condamne dans l’article très évocateur le comportement des Tchèques. Il titre qu’ils oppressent la Slovaquie (De Tsjechen verdrukken Slowa- kije)60. La suite dénonce, pêle-mêle, l’occupation, la dictature militaire, l’état d’urgence, des élections sous pression, l’autodétermination bafouée et l’appauvrissement de la popu- lation slovaque. La suite de l’article appelle le Flamand à se solidariser avec ses frères slovaques: [d]at klinkt heel anders, dan wat uit Praag over deze toestanden wordt ge- meld, en de Vlamingen zullen bij vergelijking, begrijpen aan welke zijde de waarheid ligt.

Ce positionnement n’en demeure pas moins isolé et assez tardif.

Il est inutile de revenir sur les interférences de la situation belge dans la perception des rapports tchéco-hongrois: ils constituent une copie des reproches adressés aux Allemands, en plus sévère. L’image déplorable du Hongrois et le refus catégorique des Magyars à participer aux institutions l’explique dans une large mesure. Les seules évocations favo- rables à Budapest sont trop épisodiques pour être significatives, tant de la part des Fla- mands que des socialistes. Ils n’offrent par ailleurs aucun nouvel enseignement.

3. Des arriérés à assister : les carpato-ruthènes

Petite par sa superficie et sa population qui dépasse à peine 550 000 habitants, il faut no- ter que la Ruthénie ou la Russie supcarpatique pose plus d’un problème. Non seulement, la population majoritaire n’y est ni tchèque (presque absents), ni même slovaque (moins d’1 %). Il s’agit des Ruthènes, qui ne représentent guère plus de 55%. Mais aussi, les ennemis les plus irréductibles du nouvel Etat occupent une place considérable : près de 11 % d’Allemands et près de 30% de Hongrois, soit plus de deux habitants sur cinq !61 Les Ruthéniens de Russie subcarpatique étaient considérés comme trop arriérés pour se gouverner eux-mêmes. Ce constat établi par les Tchèques est partagé par les diplomates belges. En effet, quoique conscient de l’hostilité de la population locale à l’envoi de fonc- tionnaires par le cabinet de Prague, Maurice Michotte de Welle le comprend en raison de la pénurie de cadres administratifs62. Le sujet est toutefois traité de façon relativement marginale : les diplomates ne focalisent pas leur attention sur ce volet de la question des minorités. En bref, ils oscillent entre une indifférence complète et un mépris consommé.

58 L’article s’intitule "In Rood Hongarië".

59 "Un Ultimatum de l’Entente à la Hongrie", in Le Peuple, 9 juin 1919, p. 3.

60Standaard, 20 décembre 1922.

61 MORDAL, Jacques, op. cit., p. 64.

62 Rapport de Maurice Michotte de Welle à Paul Hymans, Prague, 6 mai 1920.

(14)

Enfin, lorsque ces populations apparaissent comme des instruments des manœuvres ma- gyares, l’hostilité devient radicale, plus encore que dans le cas des autres Etats- successeurs de la Hongrie. En effet, si avec la Roumanie et la Yougoslavie, la SDN fait montre d’une certaine prudence et de nuance, son discours s’oriente vers un soutien indé- fectible à cette alliée d’Europe centrale, la Tchécoslovaquie, dans la question de la Ru- thénie subcarpatique. Dans leur rapport, Paul Hymans et ses collègues63 déclarent que les requêtes du parti politique des Ruthènes de Hongrie, ouvertement révisionniste, sont in- fondées. D’après la SDN, Prague mettrait donc tout en œuvre pour les droits des minori- tés, telles que définies par le traité de Saint-Germain-en-Laye. Les Ruthènes bénéficie- raient de ces dispositions, alors que le découpage territorial les faisait dépendre de Buda- pest depuis le Compromis de 1867. Pour défendre l’action tchèque, le retard de dévelop- pement de la région est invoqué : il faut envoyer des fonctionnaires, tchèques dans la ma- jorité des cas, pour préparer la région à jouir de l’autonomie prévue64. La confiance ac- cordée s’avère totale.

"Ayant pris connaissance des observations du Gouvernement Tchécoslovaque, nous ex- primons notre confiance en lui, et notre conviction qu’il trouvera les moyens de procéder, dans un avenir prochain, à la constitution du territoire des Ruthènes au Sud des Carpathes, en une unité autonome à l’intérieur de l’Etat tchécoslovaque, conformément au Traité du 10 septembre 1919, et qu’il continuera à tenir la Société des Nations au courant des mesu- res prises à cet égard, comme il l’a fait jusqu’à présent."65

Le point de vue hongrois ou hungarophile est dans ce cas d’espèce complètement rejeté.

Cette opinion, quoiqu’exprimée une seule fois dans le cas d’étude présent, traduit plus généralement une tendance que l’on peut constater, avec plus ou moins de vigueur, dans les autres litiges impliquant Budapest.

Cette vision se calque sur la représentation des Galiciens, des Ruthéniens et des Ukrai- niens dans les zones contrôlées par Varsovie. De surcroît, d’après le ministère, ces popu- lations seraient soit contaminées par le bolchevisme, soit ne disposeraient pas des prédis- positions nécessaires au développement d’un Etat national, soit présenteraient ces deux handicaps. La Tchécoslovaquie n’est que rarement reprise dans les raisonnements du dé- partement des Affaires Etrangères, probablement parce que les Ruthéniens ne sont pas très nombreux dans la nouvelle République. Prague n’est donc pas aussi concernée que la

63 Il s’agit du Brésilien Da Cunha et de l’Espagnol Jose María Quiñones de León, désignés pour résoudre ce litige par le Conseil, en date du 25 octobre 1920. Lettre de Paul Hymans à Eric Colban, Bruxelles, 16 dé- cembre 1921, in Arch. SDN, R1651, le territoire ruthène du Sud des Carpathes, novembre 1921 – juin 1922.

64 "Projet de rapport du Conseil. Par son Excellence Monsieur Hymans, et leurs Excellences M. le Marquis Imperiali et Monsieur le Vcte Ishii au sujet d’une requête du parti politique des ruthènes de Hongrie", 10 septembre 1919, p. 1, in Arch. SDN, R1651, le territoire ruthène du Sud des Carpathes, novembre 1921 – juin 1922.

65Ibid., p. 2.

(15)

Pologne. Toutefois, la politique menée par la Belgique en défense de la Pologne contre la Russie et l’Ukraine bénéficie à la Tchécoslovaquie dont on ne conteste donc pas l’intégrité territoriale. Parallèlement au faible intérêt des diplomates pour ce sujet, on constate que ni la presse, ni les partis, ni les services ministériels ne lui accordent la moindre place.

Ici, si le cas s’avère fortement différent des deux précédents, il ne nécessite que très peu de commentaires, toujours négatifs. Ainsi, les Ruthènes seraient tellement sous- développés qu’une existence nationale propre n’est pas envisageable. Ils ont encore be- soin de leurs tuteurs tchèques qui les protègent des périls hongrois et soviétique, deux dangers pour l’indépendance belge car ils mettent en péril les traités.

4. Les approches globalisantes de la question des nationalités

Au lieu de résumer ce qui a été développé plus largement aux cours des trois précédentes rubriques, et de répéter des éléments déjà évoqués, j’ai pris le parti d’envisager les points de vue plus généraux que les diplomates belges formulent de temps à autre. Comme le fera plus tard Halot66, Gaston de Ramaix voit dans l’irrédentisme des minorités une me- nace sur les avantages économiques liés à l’apparition de la Tchécoslovaquie67. Avec la prospérité et la qualité du gouvernement, il considère la politique des minorités comme une des trois clés de la survie de l’Etat68. Il est préoccupé quand il suppose que Thomas Masaryk ne sera pas suivi par tous dans son appel à la tolérance69. Le très tchécophile Maurice Michotte de Welle évoque le refus des sociaux-démocrates tchèques de partici- per à un cabinet de concentration nationale. Ils estiment qu’un tel choix, marginalisant les minorités, affaiblirait l’Etat70. En quelques mots, on assiste ici au phénomène constaté pour les autres problématiques : défense de la cause tchèque. Toute initiative tendant à la faire triompher est saluée et estimée, toute autre visant à l’affaiblir ou à la détruire, est blâmée, parfois avec virulence. Trois constats avaient été dressés dans le cas de la léga- tion de Prague sur les projets tchécoslovaques en la matière. Primo, l’intérêt est relative- ment faible. Secundo, lorsque le sujet est abordé, c’est le plus souvent de façon neutre et purement descriptive. Tertio, lorsque des commentaires apparaissent quant à l’autonomie ou au fédéralisme, ils sont généralement négatifs. Ce seraient des portes d’entrée vers le séparatisme ou des manigances des minorités et/ou des puissances qui se cachent derrière elles (Allemagne et Hongrie) pour nuire à l’existence du nouvel Etat.

66 Rapport de Maurice Michotte de Welle à Paul Hymans, Prague, 20 mars 1921.

67 Rapport de Gaston de Ramaix à Paul Hymans, Prague, 30 juin 1919.

68 Rapport de Gaston de Ramaix à Paul Hymans, Prague, 21 octobre 1919.

69 Rapport de Gaston de Ramaix à Paul Hymans, Prague, 6 novembre 1919.

70 Rapport de Maurice Michotte de Welle à Paul Hymans, Prague, 29 mai 1920.

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*

* *

Hormis quelques commentaires hostiles à la Tchécoslovaquie par Le Peuple, inspirés par sa sympathie pour le régime de Béla Kun, le ton est presque invariablement favorable aux Tchécoslovaques tandis qu’autant les Allemands que les Hongrois sont attaqués avec virulence. Quant aux Ruthéniens, très ponctuellement évoqués, ils sont présentés comme des rustres incapables.

*

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Au terme de ce chapitre, on peut tirer la conclusion que toutes les minorités que la Tché- coslovaquie compte sont méprisées, fustigées ou condamnées. Elles incarnent un péril grand pour le nouvel Etat qui partagerait une communauté de destin avec la Belgique.

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