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EN FAMILLE DANS LA RUE

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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UNIVERSITÉ BORDEAUX SEGALEN

Année 2012 n°1968

THÈSE pour l’obtention du

DOCTORAT DE L'UNIVERSITÉ DE BORDEAUX II

Mention : Sociétés, Politique, Santé publique Option : Sciences de l'éducation

EN FAMILLE DANS LA RUE :

TRAJECTOIRES DE JEUNES DE LA RUE ET CARRIÈRES ZONARDES

Présentée et soutenue publiquement Le 3 décembre 2012

Par Tristana PIMOR Née le 30/06/1978 à Quimper (56) Sous la direction d'Éric Debarbieux

Membres du jury :

François DUBET, Professeur, Université Bordeaux Segalen, président.

Éric DEBARBIEUX, Professeur, Université UPEC Créteil, directeur.

Anne BARRÈRE, Professeur, Université Paris Descartes, rapporteur.

Gilles MONCEAU, Professeur, Université de Cergy-Pontoise, rapporteur.

Luc ROBÈNE, Professeur, Université de Rennes 2, rapporteur.

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« NOUS ALLONS BIENTÔT PARTIR EN AFRIQUE, CAR LÀ-BAS, TU VOIS, C’EST UN MONDE LIBRE DANS LEQUEL NOUS POURRONS UTILISER CETTE ÉNERGIE

NOUVELLE POUR CRÉER NOTRE MUSIQUE ET VIVRE COMME NOUS DÉSIRONS VIVRE, COMME DES

ANIMAUX, DES VRAIS. »

(T. COLOMBIÉ, 2001)

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5 REMERCIEMENTS :

Qui remercier en premier ? Sûrement celui qui me redonna le goût pour les études, me réconcilia avec l’école, M. Le Professeur Éric Debarbieux. Étrange ironie ou réelle logique que cette réconciliation prenne place en département des Sciences de l’Éducation.

Sans lui, jamais je n’aurai imaginé m’orienter vers la recherche, jamais je n’aurai découvert la passion qui m’anima durant tout ce parcours universitaire pour désirer comprendre cet univers oh combien étrange et paradoxal qu’est la Zone. Pour cela, mais aussi pour son soutien moral, humain, intellectuel, sa confiance, sa pédagogie : « Merci ! » Je remercie par ailleurs la CNAF, plus particulièrement son président et son conseil d’administration qui par leur soutien, m’ont permis de travailler sur cette thèse avec plus d’aisance. Je pense aussi à M. Benoît Ceroux et Mme Catherine Vérité du Pôle recherche et prospective, qui m’ont aidée scientifiquement et humainement.

Je n’oublie pas M. Le Professeur Alain Marchive qui m’accompagna dans mon ethnographie par ses apports théoriques, me confia l’enseignement de cette méthode et participa lui aussi avec nombre d’enseignants, Maîtres de conférences et Professeurs de ce département de l’université de Bordeaux Segalen à m’attacher à la recherche.

M. Jean-François Bruneaud, Maître de conférence, malgré nos terrains de recherches dissemblables en surface, fût l’un de ceux qui contribua à l’élaboration analytique originale de ce travail. Sans lui je n’aurai pas connu Frederick Barth et les théories de l’ethnicité. Je l’en remercie et n’omets pas son soutien humoristique, professionnel, son guidage socialisateur dans le monde universitaire.

Merci aussi : à Mme la Professeure Catherine Blaya pour son aide aussi bien dans les traductions qu’humainement ; à Benjamin Moignard, Maitre de conférence, pour son soutien et sa confiance dans mon cursus d’apprentie enseignante ; à Joanna Dagorn, chercheuse et coordinatrice de l’UR-CIDFF pour sa lecture et ses critiques, Stéphanie Rubi, Maître de conférence, pour nos échanges ; à mes correcteurs orthographiques à la tâche oh combien douloureuse : Isabelle Lobjois, ma mère, mon beau-père, ma tante, Vanessa Giocanti psychologue, Pierre Cornet. Pour les deux derniers s’ajoutent à l’aide orthographique, un soutien théorique.

À mon compagnon et ma fille, merci pour votre compréhension, votre soutien, votre tolérance face à mes sautes d’humeurs, les vacances et temps de famille négligés.

Enfin, que dire à La Family ? Vous êtes les co-auteurs de cette thèse ! Sans vous rien n’eut été possible. Outre, l’ouverture sur votre existence et sur une part de votre intimité, c’est aussi une leçon humaine que vous m’avez donnée. Je ne suis plus la même et vous en remercie. Ce travail a donc été bien plus qu’une découverte scientifique … Comme vous

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le diriez : « Spéciales dédicaces à Yogui, Nia, et La Family : que vos rêves vous sourient, que vos projets se réalisent, gardez votre cap ! ».

Pour finir, je dédie cette thèse à mon ami Guillaume, dit "Gui" et ici "Yogui", trop tôt parti. Ton anonymat que tu refusais n'a plus lieu d'être. Ton prénom est maintenant inscrit comme tu le souhaitais. Au delà de la recherche, tu m’as ouvert sur une autre réalité. Que ce travail soit un hommage, aussi petit soit-il, comparé à ce que tu fus.

Mes remerciements se tournent aussi vers les commerçants, la mairie, les travailleurs sociaux et sanitaires qui m’ont aidée.

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7

En famille dans la rue :

Trajectoires de jeunes de la rue et carrières zonardes

INTRODUCTION : QUAND LE TERRAIN IMPOSE ________________________ 14

Une population : du jugement à la science __________________________________ 14 Une approche ethnographique ____________________________________________ 15 Une lecture du passé et du présent _________________________________________ 17 La déviance comme conséquence et cause de la réalité zonarde _________________ 19

CHAPITRE 1 __________________________________________________________ 22 LITTÉRATURE HÉTÉROCLITE POUR UN PUBLIC HÉTÉRODOXE ________ 22

1. 1. Un tour d’horizon des quelques recherches sur le sujet ____________________ 23 1. 1. 1. L’errance entre pathologie et exclusion : des regards français normalisés ____ 23 1. 1. 1. 1. Les jeunes en errance : des jeunes atteints de troubles ___________ 24 1. 1. 1. 2. Exclusion sociale __________________________________________ 27

1. 1. 2. De l’autre côté de l’atlantique des approches moins pathologisantes _________ 30 1. 1. 2. 1. Difficultés familiales, institutions sociales _____________________ 32 1. 1. 2. 2. Désaffiliation, exclusion ou marge créatrice ? __________________ 32

1. 1. 3. « Street kids », « Young homeless », etc, entre backgrounds et situations ______ 35 1. 1. 3. 1. Familles dysfonctionnelles et apprentissage de la déviance _______ 35 1. 1. 3. 2. Difficulté scolaire, arrière-plan social et capital criminel _________ 36 1. 1. 3. 3. Déviance des jeunes sans domicile : arrière-plans ou situation ? ___ 38 1. 2. Les errants : une appellation, une définition à inventer ___________________ 39 1. 2. 1. Le sens des mots __________________________________________________ 39 1. 2. 2. Le zonard : un autre _______________________________________________ 43 1. 3. La zone : paradoxe d’un conformisme déviant ___________________________ 44 1. 3. 1. Déviance : l’évidence ______________________________________________ 45 1. 3. 2. La socialisation : deuxième entrée ____________________________________ 48

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CHAPITRE 2 __________________________________________________________ 54 UNE MÉTHODE D’ENQUÊTE SOUMISE À LA POPULATION ______________ 54

2. 1. Une posture interactionniste mais pas seulement _________________________ 54 2. 2. Quand la monographie impose l’implication… __________________________ 59 2. 3. Une observation versus adoption ______________________________________ 63 2. 3. 1. Le déroulement de l’observation _____________________________________ 63 2. 3. 1. 1. Première : de l’apprivoisement au ralliement à la cause _________ 65 2. 3. 1. 2. Seconde : mais où sont les zonards ? _________________________ 71

2. 3. 2. Chercher sa place _________________________________________________ 74 2. 3. 2. 1. De la place attribuée à ma place _____________________________ 74

De la mère à l’intellectuelle, à l’écrivain apprenant __________________ 76 Dissimuler ou tout dire ? _______________________________________ 77 Le chercheur imprimé _________________________________________ 78 2. 3. 2. 2. Entre cadre et hors-cadre __________________________________ 80 Dans le cadre zonard : l’affiliation et ses limites ____________________ 80 Dans le cadre du travail social et des revendications riveraines ________ 85 2. 4. De l’entretien compréhensif au semi-directif : coq à l’âne méthodologique ___ 88 2. 4. 1. La schizophrénie méthodologique du tout-terrain ________________________ 88 2. 4. 2. Distance sociale : quand la proximité n’est pas un gage de réussite __________ 91 2. 4. 3. L’entretien récit de vie chez La Family : idéologie et intimité _______________ 93 2. 4. 4. Le tout-terrain invite à la non-directivité _______________________________ 94 2. 4. 5. L’entretien récit de vie une technique de profondeur. _____________________ 95

2. 5. L’étude des traces, du Web, des photographies __________________________ 96 2. 6. Le retour au terrain et la coconstruction : un échec ? _____________________ 96 2. 7. L’écriture : distance, arrachement, fiction… être au plus proche ! __________ 98 2. 8. Lieux d’enquêtes : dedans / dehors ____________________________________ 99 2. 8. 1. Le squat _________________________________________________________ 99 2. 8. 2. « La rue », la Zone et ses commerces _________________________________ 104 2. 8. 3. Les appartements ________________________________________________ 105 2. 8. 4. Les associations _________________________________________________ 106 2. 9. Photo de famille ___________________________________________________ 107

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9

CHAPITRE 3 _________________________________________________________ 110 PARCOURS DE ZONE ________________________________________________ 110

3. 1. Enfance : de l’informel et du formel __________________________________ 112 3. 1. 1. Environnement, famille : transmissions et stigmatisations ________________ 112 3. 1. 1. 1. Familles de satellites : du tout venant ? ______________________ 113

De l’ascendance à la descente sur pente douce _____________________ 113 Conformité maternelle, déviance paternelle _______________________ 115

3. 1. 1. 2. Familles de ZI, familles de vilains petits canards ______________ 120 La bohème parentale / le retour des enfants aux sources populaires ____ 121 Croyance dans la réussite méritocratique et calcul de rentabilité ______ 123 Les vilains petits canards perdent des plumes ______________________ 124

3. 1. 1. 3. Familles de ZE : relégation, stigmatisation et tradition _________ 130 Quand l’injustice socialise… ___________________________________ 130 Laxisme / coercition / déviance : une éducation populaire cohérente ___ 138 Une originalité dans les transmissions : voyage, lecture, musique… ____ 147

3. 1. 1. 4. Les travellers : un regard serein sur leurs vécus familiaux ______ 149 Dot plus légitime ____________________________________________ 149 Des vécus plus pacifiés mais toujours engagés _____________________ 150

3. 1. 2. École : étiquetage déviant et inégalité ________________________________ 151 3. 1. 2. 1. L’école primaire chez les ZE : des expériences diverses _________ 152

Capitaux mais encore… _______________________________________ 152 Emmener l’école à la campagne ________________________________ 154 Quand on arrive en ville… _____________________________________ 156

3. 1. 2. 2. Les satellites et les ZI : des élèves ordinaires __________________ 158 Des filles mieux préparées au métier d’élève ______________________ 159 Les exceptions féminines ______________________________________ 161 Des garçons tournés vers les copains ? ___________________________ 163 3. 1. 2. 3. Les travellers : l’école de la prolongation familiale _____________ 164 3. 1. 3. Pour y voir clair dans les socialisations primaires et leurs impacts _________ 165 3. 2. Adolescence, jeune adulte : quête et aboutissement d’une trajectoire _______ 167 3. 2. 1. Les satellites et les ZI : le lycée de tous les dangers _____________________ 167 3. 2. 1. 1. Le collège : de l’intello, au SES, au chahuteur, au déserteur… ___ 167

Adapté oui, conforme non _____________________________________ 167 Botte en touche scolaire et intégration à un groupe de pairs déviants ___ 169 Trouver sa place en accédant à la culture anti-école ________________ 172

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3. 2. 1. 2. Le lycée : tous en teuf, abandons, et rares survies scolaires ______ 175 Tentatives de remobilisation ___________________________________ 175 Fin de parcours _____________________________________________ 180 Réussites avortées sous influences _______________________________ 183 3. 2. 1. 3. Le travail un peu mais pas trop _____________________________ 184

3. 2. 2. Les ZE : de l’échec, à la relégation, à la réappropriation _________________ 186 3. 2 . 2. 1. Collège : l’améritocratie conscientisée ? _____________________ 186

Contextes inégalitaires ________________________________________ 186 Hors l’école ________________________________________________ 194 La course économe __________________________________________ 196 3. 2. 2. 2. Lycée économe et travail décevant __________________________ 198 3. 2. 3. Les travellers : diplômes et travel way of life ___________________________ 206

3. 2. 4. De réajustements en bifurcations : être autre qu’un agent ________________ 208 3. 2. 4. 1. Les satellites et les ZI : de la crise naît le compromis ___________ 209

Bifurcations familiales et quête identitaire ambivalente ______________ 209 Les ZI : turning-points, accidents biographiques et quête de soi _______ 211

3. 2. 4. 2. Les ZE, les travellers : continuités et ruptures ________________ 213 Vers une nouvelle place, la déviance ZE comme adaptation ___________ 213 Les travellers : bifurcations actives de jeunes adultes _______________ 219

CHAPITRE 4 _________________________________________________________ 224 LA ZONE AU PRÉSENT : SA CARRIÈRE, SON QUOTIDIEN ______________ 224

4. 1. De la Free Party à la famille de rue : la carrière zonarde _________________ 224 4. 1. 2. Ça commence comme ça : tâtonnements hédonistes des satellites __________ 225 4. 1. 2. 1. Quitter sa famille pour être soi _____________________________ 225 4. 1. 2. 2. Du mythe de la Spiral Tribe aux teufeurs ____________________ 228 4. 1. 2. 3. Drogues paradoxales : distinction, introspection, (in)dépendance 235 4. 1. 2. 4. Zone réglée _____________________________________________ 239

4. 1. 3. Et puis ça continue : quand le ZI trouve une famille de rue _______________ 243 4. 1. 3. 1. De l’étiquetage familial à la nouvelle Family __________________ 243 4. 1. 3. 2. « SYSTM D » ___________________________________________ 247 4. 1. 3. 3. Étiquettes supplémentaires et rite de l’« héro » ________________ 251 4. 1. 3. 4. Socialisation ZI : préparation d’une métamorphose ? __________ 256

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11

4. 1. 3. J’y suis, j’y reste : le « vrai » zonard, un expert ________________________ 260 4. 1. 3. 1. Début du ZE ____________________________________________ 260 4. 1. 3. 2. ZE Intronisés et chef(s) de famille __________________________ 263 4. 1. 3. 3. Idéologie : domination, conspiration, épanouissement __________ 265 4. 1. 3. 4. Les ZE aguerris, des guides moins délinquant ________________ 269

4. 1. 4. La Zone, je m'en détache ou j'y reste ? ________________________________ 272 4. 1. 4. 1. Traveller : le but est atteint ________________________________ 273

Une formation partiellement antérieure __________________________ 273 Une place à entretenir ________________________________________ 275 Apaisés, autonomes mais critiques et solidaires ____________________ 277 4. 1. 4. 2. Sorties de route __________________________________________ 281 4. 2. Outsiders’ family : les frontières s'érigent _____________________________ 284 4. 2. 1. Insécurité, mauvais pauvre et compassion _____________________________ 285 4. 2. 1. 1. Quartier en voie de désorganisation ? _______________________ 285 4. 2. 1. 2. Du mauvais indigent au pauvre jeune _______________________ 290

4. 2. 1. 3. Interactions : divergences de définition ______________________ 297 Stigmate, visibilité, importunité _________________________________ 297 Des interactions perdent les faces _______________________________ 298 Présentation de soi et situation : des divergences interprétatives _______ 303 4. 2. 1. 4. Quand l’entente est possible… _____________________________ 308

4. 2. 2. Traitements socio-sanitaires : réduction des risques, normativité ___________ 311 4. 2. 2. 1. Passage du jeune en danger au toxico ________________________ 311 4. 2. 2. 2. Des professionnels sous le joug de l’errance ___________________ 316 4. 2. 2. 3. Bénévole « porte-parole », une stigmatisation réactualisée ______ 322 4. 2. 2. 4. Travail social dans la rue, pour la rue _______________________ 324

4. 2. 3. Des frontières surveillées __________________________________________ 326 4. 2. 3. 1. Du groupe à la communauté : une conversion complexe ________ 327 4. 2. 3. 2. Stigmatisation et frontières ________________________________ 334 4. 2. 3. 3. Protection et identité zonarde ______________________________ 335 4. 2. 3. 4. Frontières et pérennisation de l’identité zonarde ______________ 337

CONCLUSION : DU PASSÉ AU PRÉSENT, DU JEUNE EN ERRANCE AU

ZONARD ____________________________________________________________ 344

Une population méconnue, une ethnographie riche __________________________ 344 Des trajectoires complexes ______________________________________________ 345 Les autres groupes sociaux, l’identité zonarde ______________________________ 350

(10)

BIBLIOGRAPHIE ____________________________________________________ 354

ANNEXES : __________________________________________________________ 376

Annexe 1 : Portraits des enquêtés zonards _________________________________ 376 1. 1. Squatteurs, ex-squatteurs de Sénac ___________________________________ 376 1. 1. 1. Nia : du Zonard au normal __________________________________ 376 1. 1. 2. Yogui : le leader malgré lui __________________________________ 378 1. 1. 3. Shanana : la guerrière / CC : le Traveller ______________________ 380 1. 1. 4. Mumu : se réfugier dans le rêve ______________________________ 382 1. 1. 5. Poly : la rue à dose homéopathique ___________________________ 383 1. 1. 6. ADN : le punk discret _______________________________________ 385 1. 1. 7. Mr Z : le renonçant ________________________________________ 386 1. 1. 8. Joe : l’utopiste lucide _______________________________________ 387 1. 1. 9. Miette : la découverte plus avant de la rue _____________________ 388 1. 1. 10. Dorine et Brade : la vie dans une chambre ____________________ 389 1. 1. 11. Trash : le fils de Yogui _____________________________________ 391 1. 1. 12. Momo (and co) : un novice chez les experts ____________________ 392 1. 1. 13. Benoît et Roxane : le dj et la lycéenne ________________________ 393 1. 1. 14. Sioux : l’enfant punk ______________________________________ 395 1. 1. 15. Armor : le charmeur ______________________________________ 395 1. 1. 16. Kundevitch : « Merci de pas avoir peur de nous. » ______________ 396 1. 2. Ceux qui ne vivent pas au squat de Sénac _______________________________ 397

1. 2. 1. Poisson : entre lascar et zonard _______________________________ 397 1. 2. 2. Mag : l’infirmière pré-diplômée ______________________________ 398 1. 2. 3. Antifaf et Mina : punks en couple et en appartement _____________ 399 Mina, la femme aux deux visages entre norme et déviance ____________ 400 1. 2. 4. Julie : la garçonne __________________________________________ 401 1. 2. 5. Mona : la mère punk _______________________________________ 402 1. 2. 6. Manuel : le bandit __________________________________________ 405 1. 2. 7. Panawane et Annie : les travailleurs précaires __________________ 405

Annexe 2 : Le non-manifeste de la Spiral Tribe _____________________________ 406 Annexe 3 : Plan du quartier d’implantation de la Zone ______________________ 407

Annexe 4 : Textes législatifs et réglementaires relatifs aux jeunes SDF __________ 408 4. 1. Lois _____________________________________________________________ 408 4. 1. 1. Textes abrogés _____________________________________________ 408 LOPSI, n°267, 2011 (loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, 2009) _________________________________________________ 408 4. 1. 2. Textes adoptés _____________________________________________ 409

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a). Projet de loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, LOPSI n°267, 2011 ___________________________ 409 b.) Sur la mendicité : _________________________________________ 410 c.) Référence des lois sur les chiens ______________________________ 413 4. 2. Arrêtés de la mairie ________________________________________________ 414

Annexe 5 : Marqueurs d’appartenance zonards et de catégorisation sociale et

divergences culturelles __________________________________________________ 420 5. 1. Marqueurs et interprétations _________________________________________ 420 5. 2. Divergences culturelles _____________________________________________ 421

Annexe 6 : Extraits de la presse locale _____________________________________ 421 Annexe 7 : Tracts du squat ______________________________________________ 421 Annexe 8 : Plan du squat ________________________________________________ 422 Annexe 9 : Lexique ____________________________________________________ 423 Annexe 10 : Les données de l’enquête (sur CD-Rom) ________________________ 424

RÉSUMÉS _______________________________________________________ 425

(12)

I

NTRODUCTION

: Q

UAND LE TERRAIN IMPOSE

Une population : du jugement à la science

Nous sommes en 2006, les zonards abondent dans l’une des plus grosses villes françaises du Sud. Depuis la fin de mes études d’éducatrice spécialisée, vivant dans un de leurs quartiers de prédilection, j’ai assisté à leur installation. Personne ne dénombre avec précision leur augmentation pourtant affirmée par les secteurs social et sécuritaire1 (Bonnemaison, 1983 ; Alamarcha. Bonnet, 2008). Puis les choses se sont semble-t-il tassées. À l’époque je ne m’intéresse pas à ces jeunes gens avinés à l’allure excentrique, qui accompagnés de leurs chiens, alpaguent les passants en quête de quelques pièces. Ils ne sont pour moi que d’autres SDF, plus jeunes, moins respectueux, plus difficilement supportables car bien présents, tant visuellement qu’auditivement, dans le paysage urbain.

Je les évite comme tout un chacun, refuse de leur "donner la pièce" et au meilleur de mon humeur accepte de leur acheter quelques vivres, histoire de me donner bonne conscience.

Être travailleur social n’est pas un gage d’humanité, bien au contraire. L’usure liée à la fréquentation d’usagers toxicomanes aux exigences démesurées et aux institutions économisant au maximum le temps de travail avait déclenché chez moi une forme de froideur. La pratique du travail social et ma socialisation professionnelle m'avaient fait adopter un regard sur l’homme plus enclin à la normalisation qu’à la compréhension. Je reprends pourtant mes études à cette époque, sous prétexte d'une remise en cause professionnelle, de besoins théoriques, mais je n’imagine pas ce qui adviendra. Je pars ainsi sur le terrain réaliser ma première ébauche d’étude scientifique. Mes questionnements, très ancrés dans les pratiques sociales en addictologie, tournent autour des conduites à risque des toxicomanes. Je me rends donc dans une association CAARUD2, que je connais. On me présente tout d’abord Clara. Je me souviendrai toujours de ce premier contact avec la "Zone". À ce moment-là, je ne réalise pas qu’un terrain de recherche, une population spécifique sont en train de s’imposer à moi et qu’ils vont rediriger mes recherches jusqu’à cette thèse. Clara est avec une amie, deux chiens adultes.

Elles poussent un caddie où des chiots sont disposés. Elles discutent "des petits" en fumant une cigarette. Clara, aux cheveux longs noirs rasés sur les côtés et surmontés d’atébas 3 de couleurs vives, revêt un treillis, des baskets de skate et un sweat large à capuche. Sa collègue, elle, le crâne entièrement rasé, habillée d’une robe et de t-shirts moulants superposés sur un caleçon long noir, chaussée de Dock Martins, semble adhérer à une

1 Le rapport d’activité du travail de rue d’un CAARUD a comptabilisé 344 jeunes, 300 d’après Alamarcha.

Bonnet. C, 2008, p. 49

2 CAARUD : Centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues.

3 L'atéba ou athéba est une mèche de cheveux enroulée de fils de laine.

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15

apparence plutôt punk, moins grunge. Leurs visages et oreilles sont ornés de piercings, d’écarteurs4. D’autres jeunes à l’allure proche arrivent dans la structure. Je réalise ainsi mon premier entretien avec "une zonarde", tout d’abord dans un bureau puis sur le trottoir comme si la rue la rattrapait. Assises ainsi sur les pavés, nous discutons durant deux heures. Je suis surprise du peu de temps qu’il lui faut pour se livrer et de la place considérable que les psychotropes et la musique techno occupent dans son discours. Pour l’instant, je ne me rends absolument pas compte de l’originalité de la population. Je ne vois dans ces jeunes dits "en errance" qu’une sous-catégorie de toxicomanes aux difficultés sociales plus importantes. Cette vison éducative sera vite mise à mal par trois autres rencontre. La plus décisive fut celle de Nia. Provocateur et humoriste averti, d'un naturel affiliatif, il m’ouvrira les portes du squat où il habite avec d’autres, m’introduira dans le milieu, la Zone, me protègera sûrement, sans jamais me le dire et deviendra un proche. C’est par l’établissement d’une relation à long terme, que deux ans après je débuterai cette étude ethnographique.

Une approche ethnographique

Je dégage, à cette époque, grâce aux premières données, certaines constantes dans le mode de vie de ces jeunes, des similitudes dans les goûts vestimentaires, musicaux, dans l’idéologie, des normes et des valeurs communes qui régissent leur quotidien. Ainsi, je comprends que je suis face à ce que les travailleurs sociaux et certains sociologues nomment "les jeunes en errance ". Je cherche dans la littérature scientifique quelques ouvrages sur ces individus, leur façon de vivre et d’appréhender le monde, leurs antécédents… Peu de publications françaises. Les seuls écrits relèvent de la recherche- action. Ils véhiculent à mon sens des interprétations soit normatives, soit essentiellement psychologiques, ou encore particulièrement tournées vers les addictions (Chobeaux, 1996 ; Delille, Rahis, 2004). Les parutions plus sociologiques, souvent quantitatives, intègrent cette population à une beaucoup plus vaste, celle des SDF de moins de trente ans, regroupant ainsi des acteurs aux caractéristiques et aux modes de vie divers (Marpsat, Firdion, 2001). L’évidence s’impose donc quant à la nécessité d’une recherche avant tout descriptive, exploratoire. Délinquante ne serait-ce que par ses abus de psychotropes, ayant eu des démêlés avec la justice, la population est méfiante, se protège de tout individu extérieur. L’ethnographie apparaît alors comme la méthode la plus adaptée à ces constats.

Tout d’abord très larges5, les questionnements au fil de l’observation vont se resserrer autour de la trajectoire. Comment et pourquoi devient-on zonard ? Pourquoi reste-t- on zonard ? Comment vit-on ? Sous quelles conditions ? Dans quelles directions ? Est-on le même zonard à seize ans qu’à trente ans ? Je pars ainsi consciemment sans hypothèse

4 Sorte de piercing qui agrandit la perforation réalisée au préalable par des boucles de diamètres de plus en plus larges. Cet ornement rappelle les plateaux des indiens Kayapos vivant en Amazonie, certains peuples africains et d’Amérique du Nord utilisent aussi ces élargisseurs sur les oreilles, la bouche.

5 Qui sont les zonards ? Comment vivent-ils ?

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sur le terrain pour m’écarter d’une part du sens commun éducatif qui pourrait au vu de mon passé me contaminer rapidement, d’autre part pour m’éloigner des lectures françaises que j’avais effectuées et qui ne me satisfaisaient pas épistémologiquement. Le but est de saisir la réalité des jeunes en errance, leurs subjectivités. L’observation participante et les entretiens m’ouvrent aux regards des acteurs, à leurs interprétations, leurs logiques. Il s’agit avant tout de décrire un monde fait par les zonards (Luckmann, Berger, 2008).

Selon le paradigme constructiviste qui m’anime, notre ordre social n’est ni figé, ni déterminé mais construit perpétuellement par les acteurs lors d’interactions et au cours d’expériences (Dubet, 1994 ; De Queiroz, Ziolkovski, 1994). L’ethnographie permet de l’approcher en s’immergeant et en saisissant les interprétations que les acteurs donnent à leurs pratiques, à la réalité sociale. La capacité interprétative des acteurs constitue une propriété structurale de toute société dite "réflexive" et produit du sens (Giddens, 2005), sens qui va gouverner les actions. Ce sens ne peut être relevé sans une immersion dans le monde zonard, sans un certain détachement des références qui me sont propres. La méthode ethnographique participative a ceci d’intéressant qu’elle force à la décentration.

Ainsi, le quotidien d’un groupe "d’errants", vivant dans deux squats accolés, son mode d’organisation, les règles, les normes, les valeurs qui le sous-tendent seront décrits pour saisir la manière dont ce mode de vie déviant se traduit. Je ne listerai pas de manière exhaustive les traits culturels zonards, d’une part, du fait de leur mouvance, d’autre part, parce qu’ils n’expliquent pas à eux seuls la trajectoire zonarde et sa pérennisation et que cette description pointue nécessiterait un chapitre conséquent débordant du cadre de cette thèse. Je propose alors que nous jonglions ensemble entre une analyse des personnes en tant que membres d’une communauté et en tant qu’individus plus singuliers. Ce regard, plus individualisé sur certains membres, permettra de comprendre comment des individus aux histoires différentes s’inscrivent dans la vie d’errant, comment "le choix " de la déviance, que constitue l'inscription dans la Zone, devient pour beaucoup une évidence biographique rationnelle, en partie réflexive, mais aussi un cheminement influencé par des enjeux structuraux qui balisent les opportunités de décisions. Les faits sociaux ne sont pas à traiter comme des choses, ils ne sont pas donnés, mais sont des produits rationnels en partie réflexifs de la construction d’hommes qu’il ne faut pas, selon nous, considérer comme des « idiots culturels » ni comme des individus super, voire supra-conscients (Garfinkel in Coulon, 2002b). La vie dans la "Zone" n’est pas que désœuvrement. Elle est même, pour certains, source de maturation, d'éducation, de positionnement face au monde (Rullac, 2005 ; Mauger, 2006). Elle est en tout cas sûrement une expérience singulière participant d'un apprentissage. Les particularités de chacun, les détails que l’on pourrait concevoir comme non pertinents seront utilisés pour introduire un effet d’humanité propre à ce qu’ils sont : des acteurs engagés dans un fonctionnement, dans une définition groupale et sociale et pourtant non absorbés totalement par ceux-ci (Piette, 1996). Le choix d’une écriture axée sur les détails pertinents et non pertinents se réfère à la conception d’un monde chez ces jeunes parfois commun mais aussi parfois divergent.

Cette écriture se justifie par un désir d’offrir une double lecture : du particulier et du

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collectif. J’espère ainsi vous donner la sensation d’y être comme j’y étais, de comprendre la vie des errants sous de multiples entrées : celle de chaque participant, celle de leur groupe et celle du sociologue ; de rencontrer cette famille de la rue. Cette volonté ethnographique répond aussi à un impératif déontologique : se refuser à faire disparaître l’humanité, l’identité des participants derrière un discours uniformisant.

Une lecture du passé et du présent

Dans cette continuité, l’appréhension du monde zonard induit le décryptage de la construction des interprétations des acteurs au travers de leurs diverses socialisations dans ce qu’elles ont de singulier mais aussi de commun (Lahire, 2001 ; Berger, Luckmann, 1996). Si l’individu possède une rationalité, une réflexivité et agit sur le monde, ses préhensions de la réalité se trouvent influencées par ses multiples appartenances — familiale, sociale, de genre — et par les interactions qu’il a nouées avec tout un ensemble d’acteurs. Goffman soulignait que la structure était première et qu’il ne s’occupait que de ce qui était secondaire : l’interaction. L’enjeu ici est de les prendre toutes deux en considération. L’individu n’est exempt ni de "déterminations" structurelles, ni de

"dominations", ni d’ancrages culturels, ni d’un environnement, ni d’un héritage familial, ni d’un modèle éducatif, ni de vécus scolaires, ni d’expériences sociales diverses qui l’amènent à bâtir un cadre d’appréhension de la réalité, ou plus justement une réalité, puis à l’entretenir ou à la modifier, voire à en changer (Berger, Luckmann, 1996 ; Lahire, 2001). Une attention sera ainsi portée aux bifurcations, turning-points des parcours des acteurs, aux vécus expérientiels et aux acquis qui perdurent (Grossetti, 2006 ; Abbott, 2010). Notre entrée ne peut se borner à décrire le parcours zonard comme une socialisation ordinaire. Il ne s’agit pas d’un peuple conforme reconnu comme intégré à un environnement social, mais d’un groupe social jugé déviant, adoptant des activités déviantes et se positionnant "hors société" (Oblet, Renouard, 2006 ; Bonnemaison, 1983 ; Cassia, 2006). Ces jeunes suivis par des structures d’aides sanitaires et sociales, bénéficiant de leurs aides, ayant pour certains connu les tribunaux, les postes de police, refusant un hébergement classique, un travail, nommés péjorativement "punks à chien" par des riverains, m'obligeaient de par leurs caractéristiques à ne pas esquiver la question de la déviance. La déviance, liée à un étiquetage social, à des pratiques ratifiées comme étant hors des normes légitimes, caractérise leur être au monde, du moins la façon dont on les perçoit et implique des interactions à l’origine de l’identité zonarde (Becker, 1985). En cela, il paraît indispensable de repérer la manière dont cette marginalité se construit, en tenant compte des facteurs individuels, contextuels, interactionnels, situationnels et structuraux. Pour ce faire j’userai donc du concept de socialisation mais aussi de celui de carrière plus neutre épistémologiquement que ceux d’exclusion, d’errance généralement choisis dans l’étude des jeunes SDF (Becker, 1985). Être exclu c’est être nulle part, en dehors de la société (Paugam, 1996). Être un errant c’est ne pas savoir où aller (Chobeaux,

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1996). La carrière permet donc de se départir du sens commun misérabiliste pour saisir comment s’organise le déplacement des acteurs vers un nouveau statut, une nouvelle identité, une autre culture. « Dans les études de professions, où ce concept a d’abord été élaboré, il renvoie à la suite des passages d’une position à une autre accomplis par un travailleur dans un système professionnel. Il englobe également l’idée d’événements et de circonstances affectant la carrière. Cette notion désigne les facteurs dont dépend la mobilité d’une position à une autre, c’est-à-dire aussi bien les faits objectifs relevant de la structure sociale que les changements de perspectives, les motivations et les désirs de l’individu. » (Becker, 1985, p. 47).

Cette approche, sous l’angle de la déviance, semble évidemment risquée d’un point de vue éthique, mais je me défends d’ores et déjà d’indiquer en creux un quelconque traitement politique de la question, encore moins sécuritaire. Mon travail refuse de se situer dans cette perspective. Il n’est en rien prescriptif mais compréhensif, explicatif avant toute chose (Mucchielli, 2004). Les théories de la déviance permettent de considérer les zonards avec le regard de notre société : comme des étrangers, des hors normes et de tenir ainsi compte des représentations, des interactions, des stratégies qu’ils génèrent, qu’ils subissent, utilisent, détournent, dans leur construction identitaire et dans leur quotidien (Becker, 1985 ; Goffman, 1975). Les théories de la déviance autorisent à saisir les tractations qui s’opèrent entre ces jeunes et le reste de la société. Cette recherche se situe dans le prolongement de l’école de Chicago, la deuxième, tant dans les méthodes d’investigation, que dans l’approche analytique. Elle ne se borne pas à entendre le phénomène zonard comme la simple manifestation d’un passé carencé, d’une culture déviante. Si les analyses effectuées prêtent un intérêt certain à sa forme, elles ne s’y cantonnent pas. Elles ne se situent pas dans l’approche culturaliste qui, souffrant d’essentialisme, fige les cultures en ensembles clos à l’intérieur desquels nous pourrions répertorier des normes, des valeurs, des mœurs, des rôles comme des entités immuables dans le temps. Au regard des travaux de J. L. Amselle (2009), il est clair que les cultures se constituent par échanges, par cohabitation et donc interactions et que leurs pratiques, coutumes, idéologies sont ainsi relativement labiles. Ici il deviendrait difficile de s’opposer à cette conception, du fait des conséquences des interactions nouées entre zonards et out-groups. Les zonards existent au travers du regard qui leur est porté par le reste de la société. Le nom "punk à chien" en dit long. Cependant, nier qu’il existe des contenus culturels qui guident les pratiques c’est selon nous se leurrer (Lagrange, 2002).

Les influences des transmissions familiales et de certaines contre-cultures à cet égard paraissent assez conséquentes.

Néanmoins, si les caractéristiques culturelles transpirent des acteurs, orientent leurs actions, elles ne sont pas seules à participer à l’élaboration identitaire zonarde, ni à la forme spécifique de leur mode de vie. Elles constituent des bases et sont aussi des indicateurs. Le regard interactionniste s’impose ainsi afin de comprendre comment par échanges avec d’autres groupes sociaux mais aussi avec tout ce qui constitue le passé individuel des zonards, les acteurs rentrent dans la zone.

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Je me pencherai donc sur les carrières déviantes des individus, sur leurs diverses socialisations (familiale, scolaire, professionnelle, de pairs) et les interactions quotidiennes avec certains out-groups. Il semble en effet qu’une logique circulaire soit à l’œuvre dans le processus d’élaboration de l’identité zonarde. Les socialisations passées alimentent la carrière zonarde qui elle-même réécrit la biographie des acteurs, cette négociation est elle- même alimentée par des interactions spécifiques avec des out-groups.

Ainsi les expériences antérieures et actuelles influenceraient leurs comportements, leurs interprétations du monde et les formes d’interactions quelquefois hostiles envers les autres acteurs (Dubet, 1994). C’est dans cette analyse diachronique et synchronique de la construction des subjectivités zonardes que les sciences de l’éducation permettent d’apporter un éclairage. Ce cheminement zonard est avant tout un apprentissage qui organise un tri entre des apports du passé et du présent, leur donne du sens, les actualise, les confronte pour faire naître des façons d’être zonards ; car il y en existe plusieurs. Ainsi l’éducation informelle de la famille, des pairs et celle plus formelle de l’école, du monde professionnel seront décrites pour comprendre ce qui facilite, motive, freine ce type de marginalisation. Nous tenterons de cerner ce qui dans le système scolaire a pu ou n’a pas pu s’accorder avec les socialisations familiales, de pairs, de classes, les expériences sociales. Nous nous interrogerons sur ce qui a pu fonctionner comme une résilience conforme à un modèle légitime et inversement pour certains acteurs, et à quels moments cette socialisation à la norme sociétale légitime a échoué à l’heure de l’égalité des chances.

Les interactions présentes, quant à elles, faites de réactions discriminatoires entre zonards et non zonards, ne feraient qu’accroître leur implication dans le rôle de zonard, confortant cette identité de déviant, et consolidant de fait les attributs culturels du groupe.

Il semble donc primordial de lier analyse diachronique et synchronique pour comprendre les nœuds des constructions identitaires groupales et individuelles. Le parti pris interactionniste jouera donc aussi avec le temps.

La déviance comme conséquence et cause de la réalité zonarde

Ainsi, des travailleurs sociaux, des commerçants, des riverains les côtoyant ont participé à cette enquête pour que nous puissions approfondir les mécanismes de la construction identitaire zonarde. Les relations qu’ils tissent avec eux, les interactions mises en œuvre ont des conséquences sur "l’être" zonard.

Dans l'examen du présent en train de se faire, dans une approche plus situationnelle, interactionniste dans la veine goffmanienne, il est impossible d’écarter de ce travail les thèmes de l’insécurité et de la discrimination zonardes. En effet, la crainte semble exister de manière évidente chez nombre de riverains et de commerçants qui côtoient ces jeunes (Oblet, Renouard, 2006). N’induit-elle pas des conséquences aussi bien dans les

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interactions en créant une stigmatisation, une discrimination des zonards et, de façon consécutive une élaboration de frontières intergroupes entre normaux et zonards, ainsi qu’un renforcement identitaire chez les acteurs errants (Barth, 1995) ? Ne sommes-nous pas face à plusieurs phénomènes qui, s’entremêlant, finissent par favoriser l’exclusion6 de ces jeunes en errance, l’élaboration d’une identité sociale et individuelle plus en marge, des difficultés de cohabitation et des actes hors normes (Goffman, 1975) ? Ainsi la constitution de la culture zonarde déviante, l’identité groupale et les actions qui en découlent seraient autant des conséquences que des causes de la catégorisation sociale à l’œuvre entre zonards et normaux, de la stigmatisation et du sentiment d’insécurité, eux- mêmes sources et effets des autres phénomènes. Il s’agirait de logiques sociales dialectiques7 qui voient s’entrelacer : culture déviante et actes associés, identité zonarde, stigmatisation, catégorisation sociale et repli groupal, construction de frontières intergroupes et problèmes interactionnels, d’insécurité.

Ainsi votre lecture débutera par une revue sur la question quelque peu diversifiée. Tout d’abord un tour d’horizon des recherches sur les jeunes de la rue en France, au Québec et aux États-Unis sera réalisé afin de situer plus précisément l’approche choisie pour cette recherche. Nous verrons ainsi que si le recours aux publications transatlantiques se révèle fort heuristique, malgré un contexte anthropologique, historique, économique et social différent, force est de constater qu’une seule étude a approché de près les jeunes de la rue, sans tisser le rapport de proximité nécessaire à l’appréhension des interprétations des acteurs dans leur quotidien (Thanh Khoï, 1981). Cependant, elles dévoilent et soutiennent l’utilité d’une approche du phénomène des jeunes en errance sous un angle criminologique. Cette partie présentera en sus, d’une part, la population parente de ce travail, dite "errante", qui verra son nom modifié au profit d’une endodéfinition. Puis, nous expliquerons pourquoi notre analyse des jeunes zonards se situe dans le champ de la déviance et de la socialisation.

Un second chapitre traitera de la méthode employée, du paradigme qui soutient cette recherche. Il présente les lieux et les participants de l’enquête. L’ethnographie réalisée est consciemment impliquée et tire son objectivation du travail d’analyse et d’écriture. Elle ne nie pas les diverses places plus ou moins proches occupées et se veut avant tout honnête, plausible, cohérente et tend à la coconstruction entre chercheur et enquêtés (De Sardan, 2009 ; Clifford, Marcus, 1986). Une attention particulière a été portée à la construction des portraits et à la description des espaces. Pour ce faire, une présentation alliant description des personnages et montage de paroles des interviewés de type documentaire a été réalisée. Trop conséquents, les portraits individuels ont été mis cependant en annexe.

Cette présentation constitue pour moi une obligation heuristique et humaine. Le partage de l’autorité scientifique avec les enquêtés et les lecteurs me paraît en effet souhaitable

6 L’exclusion ici se réfère au regard du sens commun porté par les travailleurs sociaux et non à la théorie de l’exclusion dont je me détache.

7 Dans lesquelles les causes deviennent des conséquences et les conséquences des causes.

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(Clifford in Cefaï, 2003). Pour saisir les propos ultérieurs, plus analytiques, il convient que le lecteur puisse se créer une image des protagonistes principaux.

Le troisième chapitre quant à lui montrera une certaine diversité "d’êtres" zonards. Il décrira divers positionnements repérés dans ce monde des "jeunes en errance". Ces places s’organisent à partir d’un engagement plus ou moins important dans la vie zonarde, d’une expertise et d’une dépendance à ce milieu. Ces catégories possèdent pour chacune des spécificités de socialisation, d’expérience sociale, d’éducation, d’environnement à même d’expliquer en partie l’orientation des acteurs vers telle ou telle position zonarde. Il sera ici question d’identifier dans les diverses instances socialisatrices (famille, école, pairs, professionnelle), les transmissions, les expériences, les épreuves, les forces structurelles, les interactions, les bifurcations qui encouragent l’engagement dans l’univers de la Zone mais aussi celles qui le ralentissent. Ainsi avant d’évoquer la carrière zonarde, les places modélisées théoriquement seront présentées de manière statique.

Nous poursuivrons par un dernier chapitre traitant des processus à l’œuvre dans la carrière zonarde et des interactions avec les out-groups. Les catégories zonardes que nous venons d’évoquer seront exposées alors de manière dynamique. Outre, le positionnement face à la Zone, ces places sont aussi des séquences de la carrière zonarde "idéale" (Becker, 1985).

Certains acteurs se contentent de gravir la première, la seconde marche, conservent des attaches majeures avec les normes légitimes, d’autres atteindront les séquences ultérieures, se départiront davantage d’une conformité légitime (Hirshi, 2009). Nous décrirons ainsi comment un acteur devient un zonard expérimenté, puis s’oriente vers d’autres horizons.

Pour finir, une analyse des interactions actuelles avec les autres groupes sociaux que ces jeunes côtoient permettra de saisir d’une part comment la sous-culture de ces jeunes se maintient dans le temps et d’autre part ne se défait pas de ses pratiques déviantes.

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C

HAPITRE

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LITTÉRATURE HÉTÉROCLITE POUR UN PUBLIC HÉTÉRODOXE

Bien peu de travaux français sur les jeunes de la rue correspondent à notre population (Chobeaux, 1996 ; OFDT, 2004). Nommés "errants" par certains, "jeunes SDF" par d’autres, ces deux appellations regroupent des individus totalement différents, d’où la difficulté à établir une revue de littérature classique (Pattegay, 2001). La plupart des publications sont bien plus axées sur certains de leurs comportements que sur les acteurs eux-mêmes, leur mode de vie (Assedo, 1990 ; Valleur, 1989). D’autres, établissant un échantillon par le biais des services d’hébergement, ou d’aide, évincent une bonne partie de la population puisqu’elle fréquente les foyers d’hébergement (Marpsat, Firdion, 2001 ; 2000). Les enquêtes de l’INED sur les jeunes SDF se trouvent donc face à une grande proportion d’acteurs étrangers ( 44 % ) qui ne correspondent pas aux membres du groupe enquêté. Le déracinement culturel, que Marpsat fait valoir, ne peut donc être retenu en tant que facteur explicatif d’une vie de rue (Marpsat, and al, 2000). P. Le Rest (2006) souligne que la population des jeunes SDF comprend deux catégories d’individus : les galériens : d’origine immigrée et les jeunes en errance français « en rupture avec l’environnement social, culturel, familial. » Nos enquêtés se situent donc dans la seconde.

Nos confrères québécois et américains étudient des jeunes dans la rue qu’ils nomment

"itinérants", "jeunes de la rue", "errants", "homeless youth", "street kids". Ces derniers semblent posséder des caractéristiques similaires à notre population malgré des contextes différents (Laberge, 2000 ; Hagan, Mc Carty, 1998). Si les situations économiques et sociales française, canadienne, américaine ne sont évidemment pas comparables, les descriptions et les résultats se sont avérés par moments proches de nos observations et m’ont permis de me questionner différemment. La convocation de recherches transatlantiques a été effectuée afin de répondre à un objectif purement heuristique. J’ai imaginé qu’en analysant les causes de certains phénomènes par une comparaison des différences et des similitudes grâce aux études de nos confrères étrangers, il devenait plus aisé de repérer les facteurs intervenant dans le phénomène des jeunes en errance. La comparaison agit ainsi comme un révélateur (Thanh Khoï, 1981). Bien entendu, celle-ci se borne à une recherche essentiellement théorique et les éléments explicatifs doivent toujours être recontextualisés. De plus, cette démarche permet de saisir l’impact des politiques et des prises en charge sociales sur l’aspect formel de l’errance juvénile, et de ses stratégies (Mallinson, 1966). La comparaison dévoile ainsi l'influence des interactions entre les divers groupes sociaux sur certaines pratiques de ces jeunes. Elle a mis par ailleurs en évidence une difficulté internationale dans la définition, la nomination des jeunes de la rue et m’a ainsi poussée à m’y pencher avec précaution et à recourir à une

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approche inductive. C’est par ce travail de lecture internationale qu’il m’est apparu évident qu’une définition opératoire serait somme toute plus valide et plus utile qu’une définition préalable.

Ainsi ce tour d’horizon débutera par une synthèse des apports des auteurs français, en soulignant évidemment certains manques, puis nous poursuivrons avec les Québécois pour finir avec les États-Unis aux approches aussi bien quantitatives qu’ethnographiques souvent teintées de criminologie.

Pour terminer, j’expliquerai brièvement le cadre d’analyse qui sera convoqué dans les chapitres 3 et 4 et la manière dont le phénomène sera étudié. Car s’il s’agit d’une étude ethnographique, la méthodologie n’empêche aucunement la théorisation des faits observés et ne se contentera pas d’une simple description (Atkinson, Hammersley, 2007).

1. 1. Un tour d’horizon des quelques recherches sur le sujet

1. 1. 1. L’errance entre pathologie et exclusion : des regards français normalisés

Les ouvrages de F. Chobeaux (1996 ; 2001) restent les références françaises sur la question des jeunes en errance. Travaillant auprès de ces jeunes depuis plus de vingt ans, il est considéré comme spécialiste de la question, en témoignent les bibliographies d’articles et de livres en français sur le thème des jeunes en errance (Le Rest, 2006 ; Laberge, 2000). Une question reste évidente : pourquoi le phénomène errant n’intéresse-t- il pas les sciences humaines françaises alors même qu’il semble prendre de l’ampleur et poser quelques difficultés (Oblet, Renouard, 2006 ; Alamarcha Bonnet, 2008) ?

Ce vide de littérature scientifique française s’expliquerait, premièrement, par la difficulté que nous rencontrons en tant que scientifique à les nommer — cette question sera ultérieurement traitée (1.2.2. Une définition à inventer) —, secondairement par la nouveauté de la forme prise par cette population et peut-être avant tout par le risque que nous prenons sur un plan politique à analyser l’adhésion d’individus à un mode de vie fort en marge sous telle ou telle entrée (déviance, délinquance, exclusion sociale, marginalité, pathologie mentale) indiquant en creux, sans que nous en ayons foncièrement le désir, un traitement spécial (Parazelli, 2002). Car si l’existence sociale de ces jeunes est récente — ou plutôt son aspect, sa proportion — elle n’en est pas moins problématique et fait d’ores et déjà grand bruit dans les médias8. Un troisième aspect, et non des moindres, est le terrain d’enquête lui-même. En effet, cette population jeune, méfiante à l’égard de ses aînés, prescrit de fait que l’enquêteur soit lui-même proche de sa tranche d’âge ou culturellement (connaissance en musique punk, techno alternative). Ainsi, quelques

8 Envoyé spécial : sur les jeunes en fugue « Jeunesse en fuite » du 8/01/09, sur les jeunes précaires « Une jeunesse sans adresse, 10/01/2008. Complément d’enquête sur France 3 du 29/09/08 « Pourquoi les marginaux nous dérangent ? ». TF1, Journal de 13H00, « Exclusion : les SDF sont de plus en plus jeunes ».

M6 66 minutes l’enquête, « SDF à 13 ans ». La tribu des punks à chien, Tracks, Arte.

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mémoires de master et une thèse en cours ont pu être trouvés, mais à l’évidence l’engouement des étudiants pour les adolescents de quartiers populaires semble plus vivace que pour les jeunes de la rue (Blanchard, 2007 ; Spault, 2007 ; Diotalevi, 2009). Il faut dire que l’apparence quelque peu sale, l’affichage de la toxicomanie n’invitent pas à se frotter à eux.

À cette vacuité des écrits, soulignons-le d’emblée, les visées des recherches françaises sur les jeunes en errance, sont avant tout prescriptives et ne s’en cachent pas puisqu’elles s’énoncent comme appartenant à la recherche action (Chobeaux, 1996, Le Rest, 2006 ; TREND9, 2004). Les méthodologies ici employées sont souvent mises en œuvre par des travailleurs sociaux ou médicaux, des psychologues côtoyant de près les enquêtés ou a minima repérés comme appartenant à des structures d’aide. Le positionnement de soignant est donc un biais. Il nous semble ainsi que le travail présenté répond aux lacunes observées ci dessus : d’une part par la méthode ethnographique impliquée que nous avons choisie, d’autre part par les liens que nous avons pu tisser avec le milieu de la rue. Si certains jeunes de cette étude peuvent être simplement identifiés comme enquêtés, d’autres en revanche sont devenus des proches au fur et à mesure de nos investigations, nous offrant ainsi la possibilité de dialoguer plus ouvertement sur leurs interprétations, sur leur mode de vie, sur leurs visions, sur leur être au monde et sur leurs cheminements.

Cette proximité relationnelle et la fréquentation du terrain depuis plus de six ans, dans un rapport aussi symétrique que possible, sont des avantages considérables dans la construction d’une recherche ayant pour focale le regard des acteurs. Car il semble avant tout indispensable de comprendre comment les individus ont pu adhérer à ce mode de vie en marge, de repérer leur façon de vivre — règles, normes, valeurs qui paraissent diverger sur certains plans des standards sociétaux — leur vision de leur monde et de celui qu’ils perçoivent comme extérieur, de saisir ainsi les dynamiques qui lient ces individus entre eux et dans leurs relations aux non-membres de la rue afin d’identifier les processus à l’œuvre dans la construction identitaire zonarde. Cette base de connaissances qui fait défaut est pourtant un préalable à tout autre questionnement sur des comportements particuliers, dits "anti-sociaux" que les errants déploient et à toute action sanitaire et sociale.

1. 1. 1. 1. Les jeunes en errance : des jeunes atteints de troubles

La description des jeunes de la rue ou en errance fait somme toute relativement consensus dans ses grandes lignes. En fait, il s’agit bien d’individus âgés de seize à trente ans, accompagnés de chiens, vivant de façon nomade, sans emploi, consommateurs de drogues (Le Rest, 2006 ; Guillou, 1998 ). Leur nomadisme n’a rien de réglementé, ni trajets prédéfinis, ni temps à respecter, et s’apparente plus à du semi-nomadisme répondant à des besoins ou à des envies (fêtes techno, travaux saisonniers) (Spault, 2007). « Ils sont vêtus,

9 TREND : Tendances Récentes et Nouvelles Drogues, publication OFDT.

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coiffés avec l’ostentation provocatrice des sous-cultures marginales vers lesquelles vont leurs préférences. » (Chobeaux, 1996, p. 21).

« Atypiques au sein de la galaxie des exclus, ils ne se situent absolument pas dans la plainte mais au contraire ils revendiquent leur statut comme étant la mise en œuvre d’un choix de vie clairement décidé. Pour qui les accompagne, ce choix n’en est évidemment pas un, et leur vie est en réalité une fuite permanente de réalités personnelles et intimes insupportables. » (Chobeaux, 1996, def). Cette présentation reflète les soubassements analytiques psychologisants de la majorité des recherches françaises. Elles arguent en effet que l’élection de cette vie marginale, l’errance, ne peut être que l’indicateur d’une souffrance insoutenable (Le Rest, 2006 ; Guillou, 1998 ; Chobeaux, 1996).

Tous toxicomanes, les zonards, jeunes en errance consommeraient des médicaments, de l’alcool, du cannabis, des ecstasy, du lsd, pour « se casser », rechercheraient un « Knock out cérébral », qui témoignerait de leur désir de fuir la réalité et de l’anomie de leur existence (Chobeaux, 1996, def). Les comportements à risque, les conduites ordaliques caractériseraient le mode de vie errant, dans une quête de soi et de sens dont ils n’auraient que peu conscience et qui s’imposerait à eux (Le Breton, 2002). « On leur prête des pratiques toxicomaniaques et déviantes dont le paradigme explicatif est celui de l’errance vue sous l’angle de la psychologie. » (Bourquet and al, 2004). Les errants manquant donc de structuration identitaire, souffrant de carences affectives, de problème d’estime de soi s’inscriraient ainsi dans un rapport au monde de type fuite où la présence et la quête de situations et d’actions risquées seraient essentielles. Si l’on ne peut nier effectivement que beaucoup partagent une histoire familiale quelque peu difficile variant de la maltraitance la plus dure aux difficultés relationnelles parentales, peut-on penser que tous les enfants ayant eu le même vécu se dirigent vers cette voie ? Il n’en est rien évidemment ; et cela n’explique nullement la forme que prend cette façon de vivre. De plus, comment affirmer que ce choix de vie est toujours une simple fuite ?

Voir ces individus uniquement comme des personnes subissant les déterminismes de leurs difficultés psychologiques spécifiques, telles que les conduites ordaliques, serait leur nier toutes capacités de rationalité, de réflexivité. Cette forme conceptuelle relève aussi nombre d’actes irraisonnés impulsifs, de violences jubilatoires dans les discours des jeunes errants qu’elle associe à la présence de tatouages, de cicatrices, comme autant de preuves de leur intolérance à la frustration et à l’interdit. Ce manque de limite engendrerait ainsi des passages à l’acte, qui « font penser à des structures psychoaffectives situées dans le registre de la psychopathie. » (Chobeaux, 1996, p. 43). Dans la ville alors investiguée ils seraient plus de trois cents psychopathes hantant nos rues (Alamarcha, Bonnet, 2008) ? Ces caractéristiques comportementales attribuées au psychopathe sont en définitive, ici, pour nous, davantage les effets d’un manque d’attachement aux institutions (famille, école, travail) et aux normes légitimes et les conséquences d’une allégeance à une sous- culture déviante (Hirshi, 2009 ; Cohen, 1955). Le manque de culpabilité, d'empathie et d’attachement aux autres ainsi que l’agressivité et l’impulsivité, qui définiraient les comportements de ces jeunes, ne seraient donc pas un symptôme de psychopathie mais

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relèveraient d’une rupture des liens avec la société conforme, d'une obédience à un cadre de référence délinquant (Hirshi, 2009). Cette distance vis-à-vis de la société conforme serait ainsi le fruit d’un calcul rationnel de l’acteur ne trouvant pas dans le cadre moral légitime les bénéfices que lui octroient des comportements déviants (Hirshi, 2009).

Il nous semble donc que les analyses exposées plus haut ne tiennent que peu compte de la vision des jeunes en errance eux-mêmes et souffrent d’une normativité interprétative liée aux métiers de travailleurs sociaux et sanitaires de leurs auteurs. Les méthodes de recherche de F. Chobeaux (1996), de P. Le Rest (2006) s’axent avant tout sur des observations, des entretiens réalisés dans le cours des actions de prévention qu'ils mènent en tant que travailleurs sociaux. L’immersion alors indiquée, facilitée par cet accès au terrain que légitime le statut de travailleur social, est en contrepartie entachée par celui-ci.

Suivre des jeunes en errance du matin au soir, comme je le fis, non pas dans des espaces et des temps festivaliers mais dans une quotidienneté, sans statut éducatif, dans une posture compréhensive permet de soutenir que la fuite de la réalité interprétée n’est peut-être pas si constante et ne constitue pas l’essentiel du rapport à la société de cette population. En outre, ce type d’analyse ne permet pas de saisir la constitution des groupes d’errants, ni les formes culturelles qu’ils prennent même si comme l’argue F. Chobeaux, elles peuvent peut-être constituer « un vernis qui cache une réaction vitale de prestance qui est un habillage désespéré du mal-être profond qui les fait souffrir et qui les a conduits à fuir et à se fuir. » (Chobeaux, 2001, p. 15). Là encore nous nous interrogeons : s’agit-il d’un mal- être antérieur ou postérieur à l’errance (Hagan, Mc Carthy, 1997) ? « […] Qui ne finirait pas par développer des affects dépressifs ou une certaine méfiance suite au harcèlement presque constant que vit l’itinérant aux prises avec les résidants qui s’inquiètent, des commerçants qui veulent s’en défaire, des policiers qui exercent trop nerveusement leurs réflexes de surveillance, des intervenants sociaux qui accroissent le stress de survie avec des objectifs inadaptés de traitements ? » (Poirier and al, 2000, p. 13). Et y a-t-il toujours mal-être ? Voir l’errant comme un autre, c’est oublier que l’environnement immédiat et quotidien qui entoure l’homme quel qu’il soit, influe inévitablement sur ses comportements, c’est donc naturaliser l’errant dans un rôle attribué, participer à sa stigmatisation déjà bien esquissée.

Cette vision de l’errance comme mode de vie « au rabais », « où règne le vide : vide des journées, vide des relations à l’autre, vide de projets, même de rêves », de ces jeunes

« sans toit, ni loi » en recherche compulsive de quelques drogues leur permettant de faire un break out mental, ne semble pas correspondre aux individus de cette enquête (Chobeaux, 1996, p. 22 ; Le Rest, 2006, p. 15). Comme V. Lussier (2007, p. 131) le fait si justement remarquer : « Le savoir de sens commun appréhende l’itinérance comme le terminus du désespoir, de la démission. ». Est-ce bien cela ?

Les relations aux autres, la sociabilité, la fête semblent peupler leur quotidien avec encore plus de place que chez des individus ordinaires qui pris dans le feu des tâches quotidiennes, se croisent sans se rencontrer. Les errants ont le temps ou ont peut-être décidé de le prendre. Nous verrons aussi par la suite que les résultats de l’immersion

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