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La place et le rôle de la relation pédagogique dans la construction du sens des pratiques numériques scolaires selon les collégiens Le cas d’une classe innovante

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La place et le rôle de la relation

pédagogique dans la construction du sens des pratiques numériques scolaires

selon les collégiens

Le cas d’une classe innovante

Dany Hamon

Laboratoire CIRCEFT-Escol Université Paris 8

2 rue de la liberté 93526 Saint-Denis cedex Dany.hamon@voila.fr

RÉSUMÉ. Depuis plusieurs années, les rapports nationaux et internationaux soulignent l’importance de la motivation des élèves lors des usages des technologies numériques dans le cadre scolaire. Pourtant certaines recherches émettent un bémol. Elles font apparaître que ce ne sont pas tant les technologies qui sont décriées par les élèves que les contextes d’usages.

Aussi nous avons cherché à mieux comprendre ce qui se jouait dans ces situations d’usages à partir de l’observation d’une classe innovante d’un collège de banlieue semi-rurale de la région parisienne. Bien que les conditions apparaissent favorables, les enseignants déplorent le manque de motivation de leurs élèves. Nous avons interrogé 14 d’entre eux, autant de filles que de garçons de tous niveaux de réussite scolaire. Les résultats permettent d’approcher la place et le rôle de l’enseignant pour les élèves dans la construction du sens de ces situations d’apprentissage.

MOTS-CLÉS : Pratiques numériques scolaires- sens des apprentissages- motivation- collégiens-enseignants-

I NTRODUCTION

Si de nombreuses recherches nationales et internationales pointent la

motivation des élèves comme élément clé des pratiques numériques

scolaires, d’autres mettent en avant des obstacles au maintien de cette

motivation, faisant état notamment d’un contexte d’usage peu propice. En

(2)

Jocair 2012 quoi les enseignants, en partie concepteurs de ces dispositifs sont-ils concernés ?

1. Problématique et hypothèse 1.1 Motivation et TICE

Le rapport international ICT Impact Report sur l’apport des Technologies de l’Information et de la Communication pour l’apprentissage souligne la prééminence de la motivation des élèves dans la majorité des études (Balanskat, 2006). Pourtant d’autres recherches s’intéressant à l’intentionnalité des élèves émettent un bémol. L’étude Fréquence Ecole sur

« Les Jeunes et Internet » menée par deux chercheuses en sociologie des médias (Kredens et Fontar, 2010) a interrogé des jeunes de l’école primaire au lycée dans la région Rhône-Alpes sur leurs usages d’Internet dans le cadre d’une étude à la fois quantitative et qualitative. Elle révèle que les usages scolaires sont déconsidérés par les collégiens interrogés qui se plaignent d’être bridés dans leurs pratiques et sont très critiques à l’égard des activités soumises par leurs enseignants. Ces élèves disent pourtant souhaiter, malgré ces déceptions et comme l’avait déjà montré précédemment l’enquête européenne Médiappro (Médiappro, 2006), multiplier les usages dans le cadre scolaire.

Il semble donc que ce ne sont pas tant les technologies utilisées qui sont

décriées que le contexte d’usage dans lequel elles s’inscrivent. Pour mieux

approcher cet environnement, nous choisissons de le définir comme un

dispositif d’enseignement-apprentissage instrumenté par des Technologies

de l’Information et de la Communication pour l’Enseignement et de le

considérer comme un lieu social d’interaction et de coopération, possédant

un fonctionnement matériel et symbolique et des modes d’interactions

propres (Peraya, 1999). Ce dispositif est construit par l’institution et les

équipes pédagogiques, avec des intentions et des stratégies, souvent visibles

dans le choix des technologies utilisées. Les technologies sont elles-mêmes

déjà porteuses d’une offre à la fois technique et symbolique, de la part des

concepteurs avec des contraintes, des possibilités et des valeurs (Proulx,

2005). Les enseignants portent un projet à travers les dispositifs utilisés

qu’ils construisent à partir de leurs représentations et de leurs valeurs, de

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leur conception de l’enseignement-apprentissage, de la place de l’élève dans cette relation. Et enfin les élèves sont aussi acteurs à part entière des dispositifs construits dans le cadre scolaire, avec leurs intentions et leurs stratégies également.

Des études internationales et nationales dans les années 90 mais également plus récemment au niveau des collèges (Jaillet, 2004 ; Hamon, 2006) ont montré combien le rôle des enseignants (leur profil, leur style pédagogique) était significatif dans l’appropriation par les élèves des dispositifs utilisant les TIC dans le cadre scolaire. Ce rôle a été mis en évidence à partir de l’étude du sens que donnaient les élèves aux situations d’enseignement-apprentissage instrumentées par les technologies numériques.

1.2 La question du sens des apprentissages

La question du sens des apprentissages est à la fois ancienne et contemporaine, elle est consubstantielle de la question du « vouloir enseigner » plutôt que du « laisser apprendre » (Meirieu, 2006). Elle repose sur l’idée qu’on ne peut décréter l’apprentissage à la place de l’élève, mais que des situations propices à la construction de nouvelles connaissances peuvent être organisées pour que l’élève puisse y puiser le désir d’apprendre mais aussi être capable de persévérer, d’interagir avec d’autres, de prendre des risques, de changer et de faire évoluer ses représentations du savoir (Perrenoud, 2004).

Le désir d’apprendre est étroitement lié au sens d’un savoir, d’une

activité, d’une situation. L’élève ne souhaite apprendre que les savoirs qui

ont de la valeur en tant qu’ils vont lui permettre de maîtriser une partie du

monde, d’échanger avec d’autres, de se réaliser (Charlot, 1997, 2001), voire

de ne pas être puni ou être exclu (Perrenoud, 2004). Ses envies, ses désirs,

ses besoins sont construits par l’élève à partir de ses ressources, de son

histoire singulière mais aussi des besoins sociaux communs inscrits dans

une culture (des représentations et des valeurs acquises au sein de sa famille,

des pairs, de la société). Le sens se construit aussi en situation entre

tactiques à court terme et stratégies à long terme entre principe de plaisir et

principe de réalité. Le sens peut se négocier dans le cadre des interactions

avec les enseignants et les autres élèves, s’infléchir grâce à la transformation

de la relation ou de la situation. Il peut aussi se développer ou se perdre

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Jocair 2012 (Rochex, 1995, Perrenoud, 1996). L’élève ne se mobilisera que si la situation fait sens pour lui. La notion de mobilisation utilisée de préférence à celle de motivation permet de mettre l’accent sur la dynamique interne. Elle renvoie aux concepts de ressource et de mobile entendu comme « raison d’agir » (Charlot, 1997). Nous nous intéresserons alors aux mobiles qui produisent la mise en mouvement et qui ne peuvent être définis qu’en référence à une activité, un ensemble d’actions qui visent un but.

L’importance de la relation pédagogique dans la mobilisation des élèves a été l’objet de controverses ces dernières décennies dans les différents courants pédagogiques (de la primauté du relationnel (entendu comme primat de l’affectivité) dans les années 70, au primat du rationnel dans les années 80). Les recherches en psychologie cognitive et en didactique ont cherché à dépasser les obstacles à l’apprentissage grâce à l’instrumentation pédagogique, aux outils et aux techniques, atténuant la place du relationnel.

Toutefois, l’être humain semble mu par l’affectivité avant de l’être par la rationalité. Cet accès à la rationalité ne va pas de soi mais advient dans un monde humanisé, dans un environnement social, une culture. C’est donc aussi la médiation d’autres sujets humains qui donne sens au monde (Delannoy, 2005).

Les technologies numériques utilisées dans le cadre des dispositifs sont considérées dans la société ainsi que dans les discours des décideurs au sein du système éducatif comme des éléments moteurs du changement.

Composantes essentielles de la culture générale scientifique et technique, elles sont objets d’apprentissage, mais elles participent également aux dispositifs mis en place par les enseignants en tant qu’aide à l’enseignement et environnements d’apprentissage. Elles font partie de l’environnement quotidien de la majorité des adolescents que sont les collégiens tout en ayant toujours un fort pouvoir de fascination.

Comment les élèves, usagers finaux de ces dispositifs vont-ils percevoir ces situations d’apprentissage ? Quels vont être la place et le rôle de la relation pédagogique dans ces dispositifs ?

Nous posons l’hypothèse que le sens des dispositifs mis en place dans le

cadre scolaire selon les élèves se construit particulièrement dans leur

relation aux enseignants. .

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2. Méthodologie

En vue de mieux cerner la place et le rôle des enseignants dans le rapport des élèves aux dispositifs mis en place, nous avons choisi de nous intéresser à un collège portant un projet d’investissement conséquent dans les TICE (équipements et pédagogie) soutenu par l’académie. Ce choix a été réalisé à partir d’une liste proposée par les conseillers TICE, acteurs primordiaux pour établir le lien entre la politique choisie par l’académie et les acteurs de terrain. Notre attention a été portée sur un projet qui est apparu particulièrement dynamique mais aussi marqué paradoxalement par le doute des enseignants sur la mobilisation de leurs élèves, suite à des retours d’usages peu positifs. Une enquête réalisée par ces conseillers auprès des élèves concernés l’année précédente (2009) avait déjà révélé un certain désengagement des élèves qui pour 78% d’entre eux avaient estimé que les TICE c’était « bien mais pas indispensable » dans le cadre de leur classe.

Nous avons interrogé 14 élèves (âgés 14 à 15 ans) de la classe de troisième sur leurs représentations (Jodelet, 2003) des pratiques numériques scolaires et extrascolaires (accès, formation, fréquence des usages, choix et enjeux des pratiques, rapport à soi, aux autres, à l’enseignant, aux apprentissages, avenir scolaire et professionnel envisagé), autant de filles que de garçons, considérés comme plutôt faibles, moyens ou bons voire excellents au regard de la norme scolaire.

Les entretiens compréhensifs d’une durée d’une heure, qui s’inspirent d’une approche anthropologique (Kaufman, 1996) ont été enregistrés garantissant l’anonymat des personnes interrogées en changeant les prénoms des élèves dans les articles concernés à cette recherche

Les entretiens ont eu lieu au début du troisième trimestre 2010 en vue de considérer l’évolution du sens pour les élèves sur une année scolaire.

Des observations de classe ont également été réalisées afin de mieux comprendre les discours des élèves (marqueurs de contexte).

Quatre enseignants, le principal et son adjoint ont également accepté des

entretiens semi-directifs et un entretien informel d’une heure a eu lieu

également avec une autre enseignante en vue de compléter notre

compréhension de la situation. L’analyse de contenu (Bardin, 2007) a été

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Jocair 2012 utilisée comme outil d’interprétation des discours des différents acteurs (contenus des représentations).

3. Résultats

Malgré un contexte d’usage à priori favorable, des élèves ont rapidement exprimé leur déception par rapport au projet. Pourtant la majorité des élèves interrogés au troisième trimestre restait plutôt satisfaite. Nous observons le rôle des enseignants dans leur construction du sens des situations en place.

3.1 Un contexte d’usage favorable

L’académie concernée dans le cadre de cette recherche a fait le choix de s’investir depuis de nombreuses années (fin des années 90) dans le déploiement et le développement des TICE en partenariat avec les collectivités territoriales sur la base de projets d'établissements expertisés par l’ensemble des corps d’inspection et coordonnées par le CRDP (Centre Régional de Documentation Pédagogique).

L’équipe de direction de l’établissement choisi (le chef d’établissement et

son adjoint) dit avoir misé sur une démarche collective d’engagement dans

la mise en place des pratiques numériques, considérant comme capital

l’accompagnement des personnels enseignants, notamment grâce à un lien

constant avec le CRDP, ainsi que la communication avec les familles, dont

le rôle est jugé particulièrement déterminant. Elle précise qu’elle soutient les

personnes-ressources, compétentes et moteurs dans ces pratiques depuis

plusieurs années, également formatrices TICE (Technologie, Français…),

notamment grâce à une dotation horaire pour mettre en place les dispositifs

(site du collège, plate-forme d’échanges…). Elles sont considérées comme

des pivots de ces usages. L’article 34 de la Loi d’orientation et de

programme pour l’avenir de l’école (MEN, 2005) a aussi permis à l’équipe

pédagogique une certaine liberté pour expérimenter les nouveaux dispositifs

(ultraportables, Ipods, Tableau Numérique Interactif (TNI…). L’équipe

pédagogique interrogée estime que le déploiement d’un parc technique mais

aussi à la mise en œuvre du B2I (Brevet Informatique et Internet) ont joué

un rôle fédérateur auprès de l’ensemble des enseignants des différentes

disciplines qui se sont répartis les items à évaluer (échanges et mutualisation

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des savoirs). Le site du collège sert à la fois de plate-forme d’échanges entre enseignants et élèves mais aussi de vitrine pour les familles. L’équipe pédagogique dit attendre d’abord des pratiques numériques le développement de la curiosité des élèves, une ouverture à la complexité du monde, puis une motivation des élèves envers les apprentissages scolaires et une adaptation des élèves aux outils du monde actuel.

Au regard du dynamisme de l’équipe pédagogique et de son projet, le collège a donc été choisi pour expérimenter une classe équipant chaque élève d’un ordinateur ultraportable. Le niveau 3e a été préféré en raison de la responsabilité attendue des élèves qui sont amenés à utiliser leurs portables tout autant dans le cadre du collège qu’à leur domicile. Une classe a été choisie au hasard, en évitant toutefois selon les enseignants, les classes latinistes et germanistes n’assurant pas l’hétérogénéité recherchée dans la population des élèves

Une grande partie des enseignants de cette classe de 3e s’est engagée dans le projet, avec des usages réguliers pour les uns et épisodiques pour les autres. Des Ipods ont été utilisés en cours de langue, le Tableau Numérique Interactif (TNI), dans plusieurs disciplines (Histoire, Technologie, Sciences de la Vie et de la Terre…), des chariots multimédias, et des logiciels en mathématiques pour favoriser l'individualisation de l'enseignement.

Et pourtant, bien que considérés comme des outils de relance de la

motivation, les ultraportables n’ont pas été toujours bien accueillis par

l’ensemble des élèves selon la direction de l’établissement. « Pourquoi ça

tombe sur nous ? » ont-ils entendu, remarquant que ces pratiques forçaient

les élèves à s’investir dans une autre démarche. Ils nous font part du projet

d’abandon de cette expérience par un groupe d’élèves de la classe de 3e

concernée (près de la moitié de la classe de 28 élèves), dès la fin du premier

trimestre et du découragement des enseignants. L’analyse des discours des

élèves nous permet d’approcher ce qui se joue à travers les dispositifs

construits et particulièrement le rôle des enseignants dans la construction du

sens des dispositifs utilisés.

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Jocair 2012 3.2 Des élèves entre enthousiasme et déception

En interrogeant les élèves sur leur entrée dans le projet, tous se sont déclarés très enthousiastes mais pour des raisons différentes. 4 d’entre eux en effet évoquent une logique de distinction (« la chance d’être dans cette classe, le seule du collège »), 4 précisent leur intérêt pour les ordinateurs (autant de filles que de garçons), 3 pensent aussitôt à l’allègement du cartable, deux expriment l’idée de changement et de leur curiosité de découvrir un autre univers et enfin une élève précise qu’il s’agit d’un prolongement faisant partie déjà d’une classe avec spécialité informatique dans un précédent collège.

Des déceptions sont survenues assez rapidement ensuite selon les élèves, exprimant la demande (12 sur 28 élèves) d’arrêter le projet dès le mois de décembre pour revenir « au papier ». Pourtant au troisième trimestre, seulement 2 (F) parmi les 14 élèves interrogés disent vouloir arrêter et revenir à une classe « normale », 7 (3M, 3 plutôt B et 1TB) déclarent apprécier les dispositifs sous certaines conditions et 5 restent très enthousiastes (3F/TF, 1M, 1B), passionnés d’informatique pour la plupart d’entre eux, souhaitant continuer à travailler dans ce type d’environnement.

Nous pouvons nous interroger sur la soudaine perte de sens des dispositifs, puis sur le revirement au bout de plusieurs mois de pratiques.

Nous nous interrogeons également sur un cas particulier. Les 14 élèves ont tous plébiscité pour sa qualité le cours de français instrumenté avec les TICE (TNI, ultraportable, plateforme d’échanges) y compris ceux qui déclarent ne pas apprécier la discipline ou ne pas utiliser le portable par ailleurs. Les enseignants avaient laissé le choix aux élèves de leur support d’écriture tout en les incitant à l’usage du portable. Selon Marion (14 ans, de niveau moyen), c’est « le seul cours que je prends en intégralité sur ordinateur », préférant le cahier pour les autres cours.

La particularité de cette enseignante est d’être accessible et ouverte au dialogue selon les élèves, elle offre un cours très organisé, structuré, cohérent qui laisse la place à l’expression des élèves.

De son côté, l’enseignante nous dit prendre plaisir à ces usages et « se

régaler » en préparant ses cours grâce à la diversité des ressources

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accessibles. Elle constate que les élèves semblent plus intéressés, même si les devoirs à la maison et les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des attentes.

Nous observons à travers le croisement de ces représentations l’émergence des dimensions essentielles de la mobilisation des élèves.

3.3 Le rôle de l’enseignant dans la construction du sens

3.2.1. La dimension mimétique du désir

La dimension mimétique du plaisir, de l’investissement et de l’attention des enseignants est évoquée par une grande partie des élèves (de niveau de réussite faible à bon au regard de la norme scolaire). Fiona (15 ans, Faible) évoque, très enthousiaste, une enseignante d’espagnol qui s’est vraiment donné du mal à installer le TNI mais qui « s’éclate » à faire la carte météo de l’Espagne sur ce tableau numérique. Pour Quentin (15 ans, B) « c’est un peu comme si c’était sa seule classe, donc il (l’enseignant de technologie) nous explique plein de trucs (en informatique)». Les enseignants de technologie et de français ont invité un réalisateur du CRDP pour expliquer le montage numérique et Caroline (14 ans, F) déclare « je trouve ça gentil, ils s’investissent beaucoup, ils perdent pas leur temps mais ils donnent de leur temps ». Damien (14 ans, Très Faible) a un fort désir d’identification à son frère et à son père, experts en informatique (programmation), ainsi qu’à un héros d’une série télévisée, informaticien chevronné, qu’il transfert en partie à son enseignant de technologie (« il utilise Linux, il fait partie des bons »). Cet enseignant lui apprend de nouvelles « astuces », alors qu’il pensait que l’école n’avait rien à lui apprendre en matière d’informatique.

L’enseignant suscite ainsi le plaisir en montrant le sien. En tant que

médiateur, modèle, l’enseignant désigne à l’élève ce qui est désirable. « Ce

n’est pas par les paroles, c’est par son propre désir que le modèle désigne

au sujet l’objet suprêmement désirable » disait René Girard (1972). Selon

les tenants de la « médiation », le savoir ne prend sens et ne devient objet de

désir pour l’enfant ou l’adolescent que parce qu’il a élu un modèle de

sachant lire, écrire et qui vaut également pour l’expertise informatique. Il

souhaitera alors incorporer la façon dont ce modèle s’y prend (Delannoy,

2005). Cette phase de mimétisme à l’égard de l’enseignant ne doit pas pour

autant être comprise comme une dépendance, freinant l’autonomie de

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Jocair 2012 l’élève, mais comme un accompagnement interne (« rendre des comptes à quelqu’un que l’on porte en soi »).

Cependant, le médiateur peut aussi se sentir menacé dans son statut. La représentation de la rivalité de l’élève peut entraîner la tentation de marquer une distance pour se protéger contre cette rivalité (Delannoy, 2005). Ainsi par crainte de l’affirmation de l’expertise informatique supposée des élèves une distance peut être maintenue par l’enseignant en accordant une place réduite à leur expression dans la planification très rigoureuse des activités comme l’a montré Anne Cordier (Cordier, 2011). Le cours s’appuie alors notamment sur une posture magistrale, de longues séances de réécriture.

Leïla (14 ans, B), férue d’informatique explique son rejet d’un cours scientifique « les cours, on doit les écrire tous, donc pendant qu’elle explique, nous on écrit en même temps (ce qui est inscrit sur le TNI), donc après elle nous laisse pas le temps, donc c’est un peu n’importe quoi ».

Cette forme scolaire est fustigée par l’ensemble des élèves interrogés.

L’enseignant risque ainsi par là même de limiter l’autonomie des élèves et une opérationnalité pragmatique réelle. Il risque également le rejet des élèves qui ne peuvent comprendre le cours, car apprendre c’est aussi pouvoir s’appuyer sur la négociation et la réciprocité (Delannoy, 2005).

Le sens des apprentissages se construit pour les élèves à travers les pratiques numériques si l’enseignant peut montrer qu’il y prend lui-même du plaisir. Les entretiens avec les enseignant(e)s ont révélé des rapports différents à ces pratiques. Si quelques-uns déclarent s’investir entièrement, d’autres sont en attente voire en retrait. Ils questionnent la finalité de ces usages en rapport avec l’offre des décideurs. Ils dénoncent la pression exercée sur les enseignants (« les « bons profs » utilisent les TICE aujourd’hui »).

3.2.2. La dimension affective

La construction d’un environnement affectif sécurisant est attendue des

élèves à travers la construction d’un groupe-classe voire au-delà d’une

communauté-collège qui est déjà souvent virtuellement dans la boite mail

des élèves ou sur leur réseau social. Il s’agit pour les élèves de travailler

dans un climat convivial qui va éviter la solitude ressentie comme isolement,

chacun derrière son portable, comme derrière son cahier (« ça change

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rien »). C’est ce sentiment de solitude qui selon certains élèves les pousse d’ailleurs à préférer rester travailler en salle de « permanence » plutôt que de rentrer chez eux ou à trouver des artifices pour remplir le vide comme nous le confie Paul (14 ans M). « Sans la musique, j’y arrive pas parce que j’ai l’impression qu’il n’y a personne autour de moi et je suis trop habitué à travailler quand il y a une ambiance quoi…parce qu’autrement j’ai pas envie de travailler s’il n’y a personne….c’est comme si je devais faire à manger, des fois j’ai la flemme, sauf si y’a quelqu’un qui a besoin que je le fasse aussi et ben là je le fais ».

Il s’agit de se sentir appartenir à un groupe humain et d’être capable d’apporter quelque chose à ce groupe. Si l’individualisation des apprentissages à travers l’usage de logiciels adaptés est appréciée car elle permet de progresser à son rythme, plusieurs élèves disent souhaiter

« revenir » au plus vite au sein du groupe pour apprendre avec les autres.

Les enseignants sont ainsi attendus pour construire un cadre sécurisant pour les élèves, assurant de leur présence, de la possibilité d’échanges avec les pairs dans une communauté d’appartenance, de marges de liberté pour s’autonomiser. Ils sont aussi attendus comme des experts des savoirs, qui vont pouvoir leur « expliquer ».

3.2.3. La dimension cognitive

L’acquisition des compétences techniques semble prévaloir pour la majorité des élèves interrogés, car ces savoirs ont une forte valeur symbolique, valeur d’échange à court terme dans leur environnement proche et pressentie à plus long terme, sur le marché du travail. Les efforts pour acquérir ces compétences sont rapidement récompensés par le plaisir de la progression individuelle, voire même collective. Si pour certains élèves plutôt faibles et passionnés d’informatique, ces compétences suffisent à les combler, pour d’autres, elles vont permettre d’accéder à des savoirs plus attractifs car plus riches. Cette richesse (diversité et approfondissement des savoirs) permet d’acquérir une culture générale qui apparaît aussi comme facteur d’intégration sociale et de distinction dans un monde compétitif.

Les élèves estiment cependant que les usages sont encore trop faibles

pour leur permettre le temps d’acquérir les habiletés techniques qu’ils

souhaiteraient. Les élèves non experts se sont sentis doublement lésés,

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Jocair 2012 surtout au début de l’année. En effet, l’imaginaire social repris par la majorité de leurs enseignants les considérant comme des « digital natives » (Prensky, 2001), naturellement experts nuit à ces pratiques. Les enseignants tendent ainsi à occulter la nécessaire formation technique des élèves qui, bien qu’étant tous connectés chez eux ont des habitudes d’usages bien différentes de celles attendues dans le cadre scolaire (traitement de texte, tableur, graphiques…). En surcharge de travail, particulièrement les élèves en difficultés, sont déçus et tendent à abandonner car ils se sentent en plus grande difficulté.

Les enseignants sont attendus comme experts des savoirs. Manon (14 ans M) dit qu’elle préférait l’écoute évaluatrice de l’enseignante des séquences de langues enregistrées sur son Ipod, que l’aide des pairs ou sa propre évaluation. « Je pense que c’est bien (Audacity), que c’est intéressant de voir comment on parle, si notre accent est assez « british », mais on connaît pas l’accent, on sait pas, quand on va aller en Angleterre, s’ils vont nous comprendre ».

La plate-forme d’échange Claroline qui apparaît de façon spontanée dans les entretiens comme lieu de transfert des données pourrait être porteuse d’espoir comme lien entre les élèves et les enseignants à condition de véhiculer « les signes de la présence » (Weissberg, 1999), ce qui semble peu le cas dans les faits. Les élèves de niveau faible particulièrement se sentent complètement démunis face à des exercices envoyés par une enseignante de cours de langue lors de son absence et tendent à abandonner très rapidement devant la difficulté au risque d’être punis.

Si l’accompagnement des enseignants s’avère primordial, la construction

de contextes d’usages « très structurés, très organisés, très nets, où on

comprend tout » selon Leïla (14 ans B) est plébiscitée par l’ensemble des

élèves. Samir (15 ans F) précise, « elle fait comme si c’était un classeur

l’ordi, elle nous range bien, elle fait séquence 6, séquence 5, par exemple

y’a langue, grammaire, expression écrite, dedans y’a ce qu’on fait et tout,

c’est bien organisé et c’est bien présenté ! ». Le cours de l’enseignante de

français auquel est rapportée cette description systématique s’appuie sur la

construction d’un cadre clair au début de chaque séquence comprenant les

différentes parties du cours, que les élèves vont remplir progressivement

avec l’enseignante. L’organisation de la partie théorique et des exercices sur

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un même support leur permet de ne pas se disperser. Les élèves disent apprécier cette efficacité.

3.2.4. La question de l’efficacité des dispositifs

Cette question de l’efficacité renvoie à la question de l’évaluation mais aussi à la question de la temporalité. Les élèves attendent des enseignants une efficacité des dispositifs. Ainsi, au-delà de la demande des élèves en grande difficulté qui ont souhaité retrouver des situations d’apprentissage moins complexes, des élèves de tous niveaux ont estimé que les difficultés techniques rencontrées par certains enseignants pouvaient les ralentir dans l’avancée de leurs apprentissages (programmes, évaluations).

Les enseignants sont également en attente d’efficacité. Ils déclarent ne pas voir d’évolution au niveau des résultats des élèves, suite à la mise en place de ces dispositifs. Tous, forts de pressions extérieures sont donc en attente de résultats visibles. La mesure de l’évaluation est à nouveau interrogée dans le cadre des dispositifs instrumentés par les TICE. Celle de la temporalité également.

Ainsi que le note Paul (14 ans M), il s’avère important de pouvoir dépasser les impatiences et les découragements.

« En fait quand je l’ai eu (l’ultraportable) au début de l’année, pour moi c’était super bien, et au fur et à mesure que le temps passait, on s’est rendu compte que c’était pas aussi facile que ça… et en s’habituant, au milieu de l’année, on râlait et tout et puis on n’a pas voulu arrêter parce qu’on était habitués et là on y arrivait bien…donc il faut quand même l’utiliser, il faut avoir la motivation pour l’utiliser parce qu’autrement on lâche le truc… » .

Il souligne en outre que plus il utilise son ordinateur plus il se sent aidé

(des cours plus propres, plus clairs, plus lisibles, mieux organisés) et plus il

a envie de l’utiliser. Il rappelle ainsi à ses enseignants, l’importance de

laisser aux usages le temps de s’installer comme l’ont souligné déjà les

nombreuses recherches sur les TICE dans le cadre scolaire.

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Jocair 2012 4. Discussions

Les technologies numériques semblent attractives pour les collégiens.

Ainsi dès l’annonce de leur appartenance au projet de classe utilisant ces technologies, l’ensemble des élèves interrogés manifestait son enthousiasme, qui reposait pourtant sur des attentes différentes (logique de distinction, intérêt pour les ordinateurs, allègement du poids du cartable…).

Les enseignants porteurs de ce projet mûrement réfléchi, experts en TICE, ont été accompagnés par l’académie, les collectivités territoriales et soutenus par l’équipe de direction du collège. Pourtant malgré cet investissement (humain, financier), près de la moitié des élèves de la classe a souhaité arrêter cette expérimentation dès la fin du premier trimestre décourageant par là même leurs enseignants.

Les résultats de notre recherche ont montré combien étaient importants la place et le rôle des enseignants dans ces dispositifs pour susciter l’envie d’apprendre et de savoir et surtout la maintenir. Bien que cette étude se limite à un cas particulier, elle fait écho à une précédente recherche en sciences de l’éducation (Dioni, 2008) qui pointait les malentendus entre enseignants et élèves dans le cadre des situations d’enseignement- apprentissage instrumentées par les technologies numériques avec la difficulté pour les enseignants de percevoir la réalité des pratiques des adolescents « cette génération branchée qui a pourtant des lacunes » et pourtant la nécessité pour les adolescents d’être accompagnés dans cette démarche d’appropriation des connaissances avec les technologies.

La mobilisation des élèves (soit le désir de savoir et d’apprendre) existe en effet dans une relation, qui peut être mimétique ou conflictuelle. Ainsi une enseignante qui recueille tous les suffrages, même des élèves qui ne s’investissent nullement ailleurs, a su transmettre son propre plaisir d’utiliser les technologies numériques pour mieux appréhender sa discipline.

Dans d’autres cas au contraire, l’identification à l’adulte n’a pu avoir lieu, soit parce que des conflits de statut ont freiné cette envie qui n’a pu s’exprimer, soit parce que les gains des compétences n’étaient pas visibles (des usages faibles ou non maîtrisés).

Le regard positif de l’enseignant sur l’élève favorise aussi cette

identification. Les entretiens avec l’équipe pédagogique ont parfois révélé

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un regard plutôt négatif (des élèves immatures, peu volontaires, joueurs voire tricheurs avec leur ultraportable) mais d’autres ont offert une autre vision et parlent d’élèves curieux et organisés. Ils estiment que tous les élèves, même les plus faibles peuvent profiter de ces dispositifs. De

« petites » choses les amènent ainsi à progresser dans un processus lent mais positif dans le cadre de projets authentiques.

La construction de cours très organisés, structurés semblent par ailleurs susciter l’intérêt d’élèves.

L’attention des enseignants à l’évolution des représentations des élèves apparaît primordiale dans le cadre de ces usages car les élèves d’aujourd’hui s’inscrivent dans une culture du changement qui s’est banalisée, qui les conduit à avoir un intérêt limité dans le temps pour une activité, privilégiant par ailleurs les échanges ponctuels et sous des formes originales, des moments anodins en apparence mais qui en réalité apparaissent cruciaux pour rappeler la présence de l’adulte et sa disponibilité en cas de besoin (Lachance, 2011).

5. Bibliographie

Balanskat, A., ICT Impact Report in http://ec.europa.eu/education/pdf/doc254

(consulté le 12/05/2012)

Bardin, L., L’analyse de contenu (1

ère

édition 1997). Paris, France, PUF, 2007

Charlot, B., Les Jeunes et le Savoir. Paris, France, Economica, 2001

Charlot, B., Du Rapport au Savoir. Eléments pour une théorie. Paris, France, Economica, 1997

Delannoy C., avec le concours de Lévine, J., La motivation. Désir de savoir, décision d’apprendre. Paris, Hachette Livre, 2005

Dioni, C., Métier d’élève, métier d’enseignant à l’ère numérique, in

http://www.responsable.unige.ch/RechercheDioni.pdf , 2008 (consulté le

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