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Ciments d'églises, semences de chrétiens. Constructions religieuses et industrie cimentière en Isère au XIXème siècle.

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Academic year: 2021

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(1)

Université de Grenoble II Pierre-Mendès-France Histoire et histoire de l'art

CIMENTS D'EGLISES, SEMENCES DE CHRETIENS

Constructions religieuses et industrie cimentière en Isère au XIX

è m e

siècle

Thèse de doctorat présentée par Cédric Avenier

Sous la direction de monsieur le professeur Thierry Dufrêne

Vol. I TEXTES

Soutenue le 6 décembre 2004

Jury de thèse :

M. Serge Chassagne, professeur d'histoire contemporaine à l'Université Lyon II Lumière.

M. François Fossier, professeur d'histoire de l'art contemporain à Université Lyon II Lumière.

M. Jean-Michel Leniaud, directeur d'études à l’Ecole pratique des hautes études et professeur à l'Ecole nationale des chartes.

M. Arnauld Pierre, professeur d'histoire de l'art contemporain à l'Université de Grenoble II Pierre-Mendès-France.

M. Frédéric Seitz, architecte, professeur d'architecture à l'Université de technologie de Compiègne.

(2)

SOMMAIRE

REMERCIEMENTS : 3

ABREVIATIONS : 5

AVANT-PROPOS : 7

INTRODUCTION : 27

PREMIERE PARTIE LE CULTE ET SES EDIFICES

Bâtir dans un département libre de ses actions 41

I POINTS DE REPERES DAUPHINOIS : 43

II LES HOMMES DE L'ART ET DE LA RELIGION : 63

III LES FONDEMENTS D'UNE RECONSTRUCTION : 118

IV L'INTERET DES EGLISES POLEMIQUES : 165

V LE DIOCESE ET SON PATRIMOINE : 201

CONCLUSION DE PREMIERE PARTIE : 261

DEUXIEME PARTIE

LES CIMENTS ET LEURS INITIATEURS

Naissance d’un matériau industriel et ses applications 263

I L'INVENTION D'UN LIANT HYDRAULIQUE : 266

II DE GRANDES CIMENTERIES EN ISERE : 299

III LE BRAS SECULIER DES CIMENTIERS : 326

IV DE LA FABRICATION ARTISANALE A L'INDUSTRIE : 350

V DES APPLICATIONS CIMENTIERES ORIGINALES : 383

CONCLUSION DE DEUXIEME PARTIE : 411

TROISIEME PARTIE

MATERIAUX ET ARCHITECTURE

Les influences de la production cimentière 413

I DES METIERS ET DES HOMMES DE PAYS : 415

II LES RACINES D'UNE ARCHITECTURE PRATIQUE : 434

III VERS UNE ARCHITECTURE SYSTEMATIQUE : 506

IV LES EGLISES ET LEURS ORDONNANCES : 565

V DE LA RECEPTION DES ŒUVRES: 612

CONCLUSION DE TROISIEME PARTIE : 632

CONCLUSION GENERALE : 634

INDEX DES NOMS DE PERSONNES : 640

TABLE DES MATIERES : 653

(3)

SABATCHKA

(4)

REMERCIEMENTS

Nos sincères remerciements se dirigent naturellement vers :

M. Thierry Dufrêne, notre directeur de thèse, professeur d'histoire de l'art contemporain à l'Université de Grenoble II Pierre-Mendès-France et désormais professeur à l'Université de Paris X Nanterre.

MM. les membres de notre jury de thèse :

M. Serge Chassagne, professeur d'histoire contemporaine à l'Université Lyon II Lumière.

M. François Fossier, professeur d'histoire de l'art contemporain à Université Lyon II Lumière.

M. Jean-Michel Leniaud, directeur d'études à l’Ecole pratique des hautes études et professeur à l'Ecole nationale des chartes.

M. Arnauld Pierre, professeur d'histoire de l'art contemporain à l'Université de Grenoble II Pierre-Mendès-France.

M. Frédéric Seitz, architecte, professeur d’architecture à l'Université de technologie de Compiègne.

Les personnes qui nous ont aidé, éclairé, soutenu :

M. Yves Soulingeas (†), directeur des Archives départementales de l'Isère, pour nous avoir entretenu sur l'état des collections publiques et privées de l'Isère et donné l'accès à certains fonds non récolés.

La société des ciments Vicat, représentée par son président M. Jacques Merceron-Vicat, son directeur des relations humaines M. Jacques Coret et son directeur scientifique M. Michel Pech, qui ont ratifié nos propos techniques et cimentiers.

Le Cercle des partenaires du patrimoine sous la direction de M

me

Isabelle Pallot-Frossard, directeur du Laboratoire de recherche des Monuments historiques de Champs-sur-Marne, qui nous a intégré au conseil scientifique de sa commission Bétons anciens en Rhône-Alpes.

M. Laurent Charlet, professeur à l'Université de Grenoble I Joseph-Fourier, Laboratoire de géophysique interne et tectonophysique.

M

me

Danielle Moger, maître de conférence en histoire de l'art à Université de Grenoble II Pierre-Mendès-France, membre du Comité régional du patrimoine et des sites.

M. Jean Guibal, directeur de la Conservation du patrimoine de l'Isère.

M. Dominique Chancel, architecte-historien de la Conservation du patrimoine de l'Isère.

M. Joël Delaine, ancien directeur des Archives municipales de Grenoble et M

me

Sylvie Claus actuelle directrice.

M

me

Marie-Françoise Bois-Delatte, conservateur du Fonds dauphinois de la Bibliothèque municipale de Grenoble.

M

me

Dominique Mochet, directrice des Archives municipales de Voiron.

M

me

Nadine Gastaldi, conservateur de la Série F19 des Archives nationales de France.

Le père Edmond Coffin, archiviste du diocèse de Grenoble.

M

me

de Fuentès, conservateur général de la bibliothèque de l'Ecole polytechnique, et M

me

Claudine Billoux, responsable de la bibliothèque.

(5)

M

me

Anne Lacourt, archiviste de l'Ecole nationale des ponts et chaussées, et M. Laurent Saye, responsable de la Médiathèque.

M. G.D., propriétaire des archives Louis et Joseph Vicat.

M

me

Jean Mazaré, M

me

Geneviève Dumolard-Murienne et M. Jean Dumolard, propriétaires d'archives concernant les Ciments de la Porte de France.

M. Robert Policand (†), ancien directeur des cimenteries et chaufourneries Policand, et M.

Pierre Frappat, professeur à l'Université de Grenoble III Stendhal et à l'Institut de la communication et des métiers d'Echirolles, pour nous avoir entretenu sur les entreprises de l'Isère.

Le père Pierre Kerloch', M

me

Alice du Besset, M

elle

Diane Carron, M. Bruno de La Motte, M.

Jérome Rojon.

Nos amis et notre famille qui ont subi cette entreprise de nomade ou de sédentaire et souvent d'ermite.

Thèse de doctorat en histoire et histoire de l'art soutenue par

le Ministère de la Culture et de la Communication de la République française.

(6)

ABREVIATIONS

A.D.G. : Archives du diocèse de Grenoble.

A.D.I. : Archives départementales de l'Isère.

A.M.G. : Archives municipales de Grenoble.

A.M.V. : Archives municipales de Voiron.

A.N.F. : Archives nationales de France.

B.M.G. : Bibliothèque municipale de Grenoble.

B.X. : Bibliothèque de l'Ecole polytechnique.

C.P.I. : Conservation du patrimoine de l'Isère.

E.N.P.C : Ecole nationale des ponts et chaussées.

M.D. : Musée dauphinois.

Fonds. G.D. : Collection particulière.

fig. : figure.

ill. : illustration.

ibid. : dernier ouvrage cité.

ms. : manuscrit Nota : à noter.

n° : numéro.

op. cit. : ouvrage cité.

p. et pp. : page et pages.

pl. : planche.

rmq : remarque.

s.l. : sans lieu.

s.d. : sans date.

s.l.n.d. : sans lieu ni date.

t. : tome.

vol. : volume.

Nota :

-Les textes cités sont retranscrits à l'identique, avec leur orthographe et leur grammaire.

Quelques "sic" le rappelleront.

-Les édifices ne sont pas renvoyés aux illustrations car elles sont simplement classées par genres et ordre alphabétique des communes dans leur volume.

-Un répertoire biographique ainsi qu'un lexique cimentier, dans le volume des annexes,

pourront fournir des renseignements complémentaires au lecteur.

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AVANT-PROPOS

"Lorsque nous possédons encore quelques bonnes monographies régionales nouvelles – alors, mais seulement alors, en groupant leurs données, en les comparant, en les confrontant minutieusement, on pourra reprendre la question d'ensemble, lui faire faire un pas nouveau et décisif. Procéder autrement ce serait partir, de deux ou trois idées simples et grosses, pour une sorte de rapide excursion. Ce serait passer, dans la plupart des cas, à côté du particulier, de l'individuel, de l'irrégulier – c'est-à-dire, somme toute, du plus intéressant".

Lucien Febvre

La Terre et l'Evolution humaine

L'architecture à Grenoble, constat d'une lacune ? :

Sous l'Ancien Régime, les rentiers et propriétaires constituaient l'éminence de la société grenobloise. Grenoble était une ville de "robins, d'universitaires et d'officiers". Les héros du pays étaient des militaires, exhortés par le mythe de Bayard, et des juristes propulsés par le Parlement ayant eu des places de choix lors de l'Assemblée de Vizille en 1788. Grenoble était une petite ville de passage pour l'Italie. En 1830, elle avait 23 000 habitants, 27 000 en 1850 et 40 000 en 1870. Et cela n'engageait pas une politique de construction inexistante ou presque depuis le Moyen Age, faisant du Dauphiné une terre pauvre d'architecture.

En 1839, durant sa visite de huit jours en Isère, Prosper Mérimée ne distinguait en dehors de Saint-Maurice de Vienne et de la crypte de Saint- Laurent de Grenoble, que l'abbaye de Saint-Antoine parmi les monuments remarquables

1

. Au milieu du XIX

è m e

siècle les guides touristiques Joanne, s'ils vantaient le panorama des montagnes, trouvaient le Dauphiné impropre aux visites, sale, mal accueillant puisque les " Dauphinois n'avait jamais rien

1 MERIMEE, P., Prosper Mérimée et les monuments du Dauphiné : lettres et rapports inédits / de Prosper Mérimée (recueillis et annotés Jean Mallion), Grenoble, Société des écrivains dauphinois, Cahiers de l'Alpe, 1979, p. 3.

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su faire, ni livres, ni chemins, pas même des auberges "

2

. La région semblait dénuée de goût architectural attendu qu'aucun grand nom n'y a tiré ses origines. C'est pour cela que la famille de Virieu demanda à Viollet-le-Duc de lui dessiner les plans des châteaux de La Flachère au Grand-Lemps et de Pupetières à Châbons

3

.

Grenoble fut longtemps une ville oubliée. Seule la révolution industrielle de 1840 l'a fit sortir de l'ombre.

Dès la période révolutionnaire, les consuls avaient détaxé la mécanique afin d'attirer l'industrie horlogère suisse. Mais l'essor économique se fit réellement pendant la seconde moitié du siècle, à partir de l'Exposition industrielle de 1844. La ganterie employait régulièrement 10 000 ouvriers à Grenoble et 32 000 en Isère. Les papeteries se développaient à Voiron, Pont- de-Claix ou en Grésivaudan. Le chemin de fer des P.L.M passait par Saint- Rambert en 1858. En 1854 les usines de matériel hydraulique Brenier naissaient, en 1863 celles de Joya et en 1867 de Bouchayer, alors qu'Aristide Bergès découvrait la Houille Blanche à Lancey. En 1860 les activités minières battaient leur plein, pour l'acier à Allevard ou pour l'anthracite de La Mure. La chapellerie employait 10 000 ouvriers en 1870. Et bien sûr, une activité économique importante était l'exploitation des gisements et carrières à chaux et ciments dans les massifs montagneux depuis les années 1840 et surtout 1860

4

.

Toutefois Napoléon III fut le seul chef d'Etat qui ait visité Grenoble au XIX

è m e

siècle

5

, cette cité qui fut la seule à avoir célébré le retour de son oncle de l'île d'Elbe

6

. Il profita de sa rencontre de Chambéry lors du rattachement

2 JOANNE, A., Itinéraire descriptif et historique du Dauphiné. Première partie : Isère, Paris, Hachette, Recueil des "Guides Joanne", 1862, 376 p.

3 Le château de Pupetières, en partie classé monument historique fut bâti par Denis Darcy en 1861, en ciment moulé et sur les plans de Viollet-le-Duc (voir LEONE-ROBIN, I., L'architecte Denis Darcy (1829-1904), mémoire de maîtrise, octobre 1986, Université de Paris IV, 2 vol.). Ce château a été commandé par le marquis de Virieu, Aymon de Virieu ayant été l'ami de Lamartine. Celui de La Flachère, néo-gothique au Grand-Lemps (Isère), a aussi été construit sur les plans de Viollet-le-Duc en 1863-1867 (LEMOINE, B., La France du XIXème siècle, Paris, La Martinière, 1993, p. 12).

4 LEON, P., Naissance de la grande Industrie en Dauphiné (fin XVIIIème siècle-1869), Gap, Université de Paris, Publications de la Faculté des Lettres, Thèse pour le doctorat ès Lettres, 1954, 2 vol., 965 p.

5 A.M.G. : 3 K 21 à 27, visites présidentielles à Grenoble. (Les passages de Sadi Carnot, qui n'a d'ailleurs que procédé à l'inauguration de la statue des Trois ordres, et Félix Faure ne sont pas consignés).

6 Napoléon est passé à Grenoble le 5 septembre 1805. Il déclara ensuite : "Avant Grenoble j'étais un aventurier, après Grenoble j'étais un Prince".

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de la Savoie à la France pour faire un petit détour en 1860. Tous les notables s'étaient réunis et malgré les richesses accumulées on ne pouvait pas recevoir l'empereur dans autre chose que le vieux bâtiment de Lesdiguières, sans salon, et qui servait d'Hôtel de Ville

7

. Cette défaillance allait contraindre la Ville à se doter d'attributs magistraux en commandant à Charles Questel la restauration du palais de Justice, la construction d'un palais de Préfecture et d'un Musée-Bibliothèque sur la place d'Armes, construits de 1861 à 1872

8

. A cela s'ajoutaient l'Hôtel des facultés et le Siège de la division militaire qui font de la place un des plus remarquables ensembles éclectiques de la période. Une politique de construction germait enfin à Grenoble. Bien qu'aucun autre monument de caractère national n'y vit plus le jour jusqu'à la construction de la Tour Perret en 1925 pour l'Exposition universelle de la Houille blanche. En 1881, la mairie avait bien commandé un magnifique Lycée de garçons à Emile Vaudremer mais sa réalisation fut critiquée dès 1883. Aristide Bergès, conseiller municipal en disait : " Le lycée peut faire, selon le cas, des sujets ou des citoyens et comme les vieux lycées étaient savamment organisés pour faire des sujets, je crois qu'il y a quelques modifications à faire, même dans l'architecture, pour qu'il en sorte à l'avenir des citoyens" et Alfred Berruyer, architecte diocésain, à son habitude maugréait : " On reconnaît facilement que cet interminable ramassis de bâtiments bas ou efflanqués, aussi disgracieux que discordants dépare la cité.

[...] On se demande ce que peut signifier cette série de constructions mi- rustiques posées biaisement. Cet édifice apparaît comme une caserne de bas- étage, un séchoir de feuilles à tabac, des bâtiments provisoires d'exposition de bestiaux "

9

.

Grenoble et le département de l'Isère étaient faits pour l'industrie et non pour l'art. Du reste le Congrès archéologique de France tenu à Grenoble en 1857 produisit une publication de 388 pages dont seules les pages 358 à

7 ADVIELLE, V., L'Empereur Napoléon III à Grenoble et dans le département de l'Isère. Les 5, 6 et 7 septembre 1860, Grenoble, Merle.A, 1860, 47 p.

8 QUESTEL, Ch., Département de l'Isère. Musée et Bibliothèque. Monument commencé en 1864, terminé en 1872, Versailles, Aubert, Encyclopédie d'architecture, 1876, 13 p. in-f° et Département de l'Isère. Préfecture.

Monument commencé en 1861, terminé en 1872, Versailles, Aubert, 1875, Revue de l'architecture et des travaux publics, Vol. 32, 4ème série, 2ème vol.

9 PARENT, J.-F., Grenoble, deux siècles d'urbanisation, projets d'urbanisme et réalisation architecturale, (1815/1965), Grenoble, P.U.G., 1982, p. 71 et BERRUYER, A., Modifications du nouveau lycée de Grenoble, Grenoble, Barratier et Mollaret, 1888, 8 p.

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388 traitaient de l'Isère en citant surtout les inscriptions antiques

10

. Il avait servi à recevoir en grande pompe le Congrès scientifique de France du mois de septembre de la même année qui, lui, engendrait une publication de deux volumes de 694 pages et 686 pages traitant des meilleures avancées de l'Isère

11

.

Pourtant d'excellents artisans et des artistes pouvaient y œuvrer. Depuis les Hache, les ébénistes Borgey et Roybon avaient bien succédé. Les maîtres verriers Etienne Buche, Théodore Moullot, Antoine Bernard et surtout les Bessac puis les Balmet ont eu des commandes dans le monde entier. Les statuaires Victor Sappey, Claude-Aimé Irvoy ou Henri Ding étaient réputés.

Les artistes-peintres de l'Ecole dauphinoise, l'abbé Laurent Guétal, Jean Achard et de leur élève Charles Bertier, eurent même un authentique succès ainsi qu'Alexandre Debelle et Victor Cassien ou Diodore Rahoult et Blanc- Fontaine. L'Ecole de Proveysieux, initiée par le peintre Théodore Ravanat et devenue à la mode réunissait à l'auberge "Aux Grandzgouziers" les artistes et les hommes célèbres de la fin du siècle

12

. L'Ile-Crémieu a bien attiré des artistes, des peintres ou des écrivains comme Paul Claudel. Rodin avait bien eu comme confident le père Pierre-Julien Eymard de La Mure.

Quelques gantiers, habitués au luxe et au commerce international, ont bâti des hôtels particuliers, comme les Perrin rue de Turenne, après avoir succédé à l'hôtel des gantiers Rouillon rue des Dauphins

13

, ou les Reynier et leurs sublimes chinoiseries émaillées rue Dode et encore le château de Beaurevoir à Sassenage par les Terray.

Les autres avaient de grandes demeures du XVIII

è m e

siècle dans les environs de Grenoble où ils amassaient meubles et peintures dauphinoises ; sauf peut- être le greffier Bigillion, premier collectionneur de son temps avec le plus gros héritage d'art du Dauphiné, le comte de Saint-Ferriol et la galerie de son

10 Congrès archéologique de France. Séances générales tenues à Grenoble en 1857, par la Société française d'archéologie, Paris, Derache, 1858, 388 p.

11 Congrès scientifique de France, XXIVème session tenue à Grenoble au mois de septembre 1857, Grenoble, Maisonville, 1859, 2 vol., 694 p. et 686 p.

12 Cette "Ecole" fut aussi appelée "l'Ecole de Barbizon iséroise" par Paul Dreyfus. Nous lisons bien souvent que ce fut un lieu d'agapes et de chants patois pour la bourgeoisie moderne des années 1880-1883. Le lieu fut gai comme ses invités, mais il est à craindre que tout Grenoble n'y venait pas, en tout cas pas ensemble du fait des luttes intestines politiques ou artistiques parfois violentes, surtout pas le "bourgeois portant un melon sous son bras". (COCHE, R., La Chartreuse et le pays de Voiron selon Alpinus, Grenoble, P.U.G., L'Empreinte du Temps, 1990, p. 111.)

13 Cet hôtel est devenu l'institution catholique pour filles Bois-Rolland puis le lycée Pierre-Termier.

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château d'Uriage, le président de la cour d'Appel de Grenoble Petit réputé connaisseur et encore le général de Beylié

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ainsi que le fils Bergès, Maurice, qui commença son palais idéal de Lancey vers 1900, collectionnant les œuvres contemporaines, de préférence symbolistes et ambitionnait très sérieusement l'achèvement de la Villa Madame

15

.

Aucune élite artistique ne fit carrière en Isère. Hector Berlioz est natif de la Côte-Saint-André, Stendhal est né à Grenoble, Henri Fantin-Latour aussi tout comme Ernest Hébert et plus tard Jules Flandrin. Aucun n'y vécut sinon pour s'exiler et ils ont parfois abominé la noirceur de la ville de leur enfance.

Rien à faire, les montagnes n'étaient pas faites pour la jouissance artistique.

D'ailleurs les deux seuls journaux artistiques, Le Lorgnon et Le Miroir n'ont été publiés que de 1853 à 1857. Grenoble était une ville politique où la gauche était libérale et la droite sociale ; elles s'exécutaient dans l'industrie et se rejoignaient en un point : le goût du sublime, qu'elles n'avaient pas.

Néanmoins, si la Ville et son département n'ont pas engendré d'architecture de prestige, leur développement urbain et architectural s'est bien produit durant la seconde moitié du XIX

è m e

siècle et les constructions se sont développées en quantité et en liberté, en liaison étroite avec l'économie et la société nouvelle. Les enceintes militaires détruites ont servi aux tracés des grands boulevards mais l'habitat individuel n'avait aucun plan d'autorisation de construction, pas même pour les hôtels particuliers. Le matériau habituel des constructions était la pierre de taille blanche venant des carrières aux portes de la ville. Le pisé avait été interdit vers 1880 et le fer forgé en décoration était très rare. L'architecture paraît alors ordinaire mais la spécificité se trouve être l'ornementation, surtout des fenêtres, pilastres et reliefs d'encadrements. En effet, ce qui distingue les édifices de Grenoble et

14 Emile Bigillion avait 200 tableaux des XVII et XVIIIèmes siècle dans une collection esimée à 100 000 F ; Louis-Xavier Sibeud de Saint-Ferriol possédait deux Giotto, des Caravage, Carrache, Véronèse, Cranach, Holbein, Van Eyck, Rubens et des pièces d'égyptologie ; Auguste Petit rassemblait des toiles de Ribera, Velasquez, le Corrège, Véronèse, Canaletto, Hobbema, Teniers, Franz Hals, Van Dyck, Jordaens, Rembrandt, Bellangé, Largillière, Vernet, Hubert Robert, Watteau, Greuze et des contemporains : Meissonnier, Paul Huet, Diaz de la Pena, et enfin Daubigny, Corot et Courbet ; Jules de Beylié, vice-président de la société des Arts, légua entre autres œuvres les quatre Zurbaran au Musée de Grenoble.

(DAIGLE, J.-G., La culture en partage. Grenoble et son élite au milieu du XIXème siècle, Grenoble-Ottawa, P.U.G., 1977, Annexe 9, p. 81-83).

15 Collection et archives du Musée Bergès (maison Bergès) de Lancey, dessins et plans d'architecture. Une étude est en cours par Melle Vermorel.

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même du département tout entier, ce sont les nombreux motifs décoratifs qui courent sans ordre sur les balcons, les piliers, sous les rampants et les corniches. Les cariatides côtoient les chutes végétales. Les parements à bossage encadrent les baies les plus délicates. Vers 1880 les décors étaient classiques, faits de palmettes, rinceaux et cartouches, et vers 1900 de guirlandes et frises ou têtes de lions. Mais cette profusion de décors, contrairement à ce qu'elle laisse entendre, n'est pas l'œuvre de maîtres tailleurs de pierre car elle est due pour la plupart à une activité singulière, le moulage en ciment. La pierre factice de ciment moulé est présente dans tous les édifices de Grenoble mais encore dans tous ceux de l'Isère, dans tous les types d'architecture autant privés que publics

16

.

L'architecture de pierre et la construction métallique allaient marquer le XIX

è m e

siècle mais l'Isère choisissait pour se bâtir un matériau pauvre et rebutant que l'on nomme aujourd'hui "or gris". Les principes d'hydraulicité du ciment ayant été mis au point par Louis Vicat, ingénieur originaire de Grenoble, et le département étant un très grand producteur du matériau, il devait certainement y avoir d'importantes relations de cause à effet.

Parmi la quantité d'édifices comprenant du ciment moulé, notre étude concerne les édifices religieux, principalement les églises des chefs-lieux de canton, d'arrondissements, des sous-préfectures, et plus généralement des communes et nouvelles communes urbaines de la seconde moitié du XIX

è m e

, ainsi que quelques édifices connus, du diocèse de Grenoble

17

. En d'autres termes, les monuments notables bâtis dans les communes à fortes propensions constructives. Des monuments pour lesquels nous trouvons le plus de renseignements car leurs archives sont conservées, et les plus impliqués dans l'urbanisme car ils sont les plus frappants. C'est ici le départ de notre recherche.

16 Les seuls édifices de Grenoble estimés de Boris Vian furent les urinoirs en ciment moulé, modèles monoplaces, disposés le long des boulevards et fabriqués par la société Cuynat vers 1900. Certains ont été classés monuments historiques.

17 Nous avons exclu de l'étude les édifices de Vienne. Cette ville a été rattachée au département l'Isère certes, devenant une sous-préfecture, mais elle constitue une entité à part. C'est un ancien archevêché important, très opposé à Grenoble et dans l'influence de Lyon. Les constructions antiques et médiévales ont davantage attiré les archéologues et restaurateurs que les bâtisseurs. Aucune construction religieuse n'y fut faite au XIXème siècle sauf la chapelle du Mont Pipet.

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Les villages, les bourgades et parfois les villes de l'Isère sont encore dominés par les clochers que seuls les sommets alpins dépassent. La plupart de ces innombrables églises, toutes ou parties bâties en pierres factices de ciment moulé, sont à peine postérieures à 1850 et antérieures à 1900. L'Isère constitue ainsi un creuset d'études nouvelles, fournissant la matière historique comme la matière patrimoniale architecturale.

Historiographie :

Le XIX

è m e

siècle est une mine pour les chercheurs. Un âge entre l'ancien monde et le monde nouveau déjà étudié par ses contemporains et, magnifié ou déprécié, jamais complètement délaissé. Les sources abondent ; les études surabondent ; la matière est intarissable pour cette époque qui devait laisser une marque dans tous les domaines. Cependant, s'il en est un riche qui fut longtemps négligé, c'est l'architecture. D'aucuns voyaient un art traditionnel décadant, d'autres un art moderne primitif, pas souvent une renaissance avec ses caractères propres. Quelques maïeuticiens ont su discerner et accoucher les esprits de ce temps.

Quelques ouvrages nous ont servi de références. Celui de Jean-Michel Leniaud, entre autres études de l'auteur sur la période concordataire et les portraits d’Eugène Viollet-le-Duc ou Jean-Baptiste Lassus, Les cathédrales au XIX

è m e

siècle

18

de 1993, fournit une matière historique, juridique et technique incontestable, possède tous les renseignements sur les chantiers des cathédrales, les théories artistiques et leurs auteurs, ainsi que des fiches biographiques d'architectes diocésains. L'ouvrage collectif de Chantal Bouchon, Catherine Brisac, Nadine-Josette Chaline et Jean-Michel Leniaud, Ces églises du XIX

è m e

siècle

19

de 1993, est une œuvre essentielle sur les édifications cultuelles ordinaires et majeures. Notons aussi les différents travaux de Bruno Foucart concernant Henri Labrouste, Félix Duban ou Louis Boileau ou l'église Saint-Nicolas de Nantes et la Bibliothèque-Musée de

18 LENIAUD, J.-M., Les cathédrale du XIXème siècle : étude du service des édifices diocésains, Paris, Economica, 1993, 984 p.

19 BOUCHON, C. ; BRISAC, C. ; CHALINE, N.-J. (ss.dir.) ; LENIAUD, J.-M., Ces églises du XIXème siècle, Amiens, Encrage, 1993, 270 p.

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Grenoble, en dehors du Renouveau de la peinture au XIX

è m e

siècle

20

et L'architecture religieuse du XIX

è m e

siècle, entre éclectisme et rationalisme

21

en collaboration avec Françoise Hamon et que nous attendons. Bien sûr, étant donnée notre approche du sujet, l'ouvrage d'Hélène Guéné et François Loyer L'Eglise, l'Etat et les architectes. Rennes 1870-1940

22

de 1995 ou celui de Philippe Boutry, Prêtres et paroisses au pays du curé d'Ars

23

de 1986, pour la matière historique liée à l'architecture, et le collectif sous la direction de Frédéric Seitz, Métal et architecture en France au 19è et 20è siècles

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de 1994, vu comme un précédent méthodologique concernant les matériaux de constructions, ont été essentiels. Les thèses pour le doctorat de Jean Nayrolles sur le néo-roman de 1994, de Philippe Dufieux sur le diocèse de Lyon et l'architecte Pierre Bossan de 2000 et d'Annick Rey-Bogey sur les église de Savoie, apparaissent comme autant d'excellentes études

25

. Enfin, dans la lignée des monographies d'architectes remises à l'honneur par des études dépassant l'histoire événementielle, citons Emile Vaudremer 1829- 1914 , La rigueur de l'architecture publique

26

d'Alice Thomine en 2004, ou les résultats attendus de la thèse de doctorat engagée par Franck Delorme, enseignant à l'Ecole d'architecture de Grenoble, concernant l'architecte diocésain de Grenoble Alfred Berruyer.

Les ciments et l'architecture de béton ou de ciment sont quant à eux peu étudiés car ils sont mal estimés. Les ouvrages précurseurs sont ceux de

20 FOUCART, B., Le renouveau de la peinture religieuse en France (1800-1860), Paris, arthena, 1987, 443 p.

21 FOUCART, B. ; HAMON, Fr., ss. dir., L’architecture religieuse du XIXème siècle entre éclectisme et rationalisme, actes du colloque des 21 et 22 septembre 2000, Presses de l'Université Paris-Sorbonne, à paraître en 2004.

22 GUENE, H. ; LOYER, F., L'Eglise, l'Etat et les architectes. Rennes 1870-1940, Paris, I.F.A., éd. Norma, 1995, 366 p.

23 BOUTRY, Ph., Prêtres et paroisses au pays du curé d'Ars, Paris, Le Cerf, 1986, 706 p.

24 SEITZ, F., ss. dir., Métal et architecture en France au 19è et 20 è siècles, Paris, éd. de l'E.H.E.S.S., 1994, 240 p. 25 Celle de Philippe Dufieux est d'autant intéressante pour nous qu'elle établit une percée en Isère (Un siècle d'architecture religieuse, Lyon (1840-1940), de Bossan à la reconstruction, Paris, Ecole Pratique des Hautes Etudes, Thèse de doctorat, ss. dir. Leniaud, J.-M., 2000, 3 vol., 447 et 192 p., 351 pl.). Nous n'avons malheureusement pas pu consulter celles de Jean Nayrolles (Roman et neo-roman. De l'invention du passé dans la culture archéologique et dans l'art du XIXème siècle français, Université de Toulouse-Le-Mirail, Thèse sous la direction d'Yves Bruand, 1994, 2 vol.) et d'Annick Rey-Bogey (Du Piémont à la France. Du Concordat à la rupture. Un siècle de construction et décoration des églises paroissiales en Savoie (1802-1905). Diocèses de Chambéry, Tarentaise et Maurienne, Lyon, Thèse, Université de Lyon II, 2002, 4 vol.)

26 THOMINE, A., Emile Vaudremer 1829-1914, La rigueur de l'architecture publique, Paris, Picard, 2004, 382 p.

(16)

Siegfried Giedion, Construire en France, construire en fer, construire en béton

27

de 1928 ou Espace Temps Architecture

28

de 1940. Mais Giedion, ami de Walter Gropius, théorise sur l'architecture de béton armé depuis François Hennebique en tant qu'élément fondateur de l'architecture du XX

è m e

siècle.

Pierre Francastel faisait remarquer dans Art et technique aux XIX

è m e

et XX

è m e

siècles

29

en 1956, que ni Siegfried Giedion, ni Lewis Mumford, ni Bruno Zevi, n'accordaient un rôle actif à la découverte du béton dans le déroulement des événements du XIX

è m e

siècle car ils ont découvert le béton avec les travaux d'Auguste Perret (Giedion fit une annotation sur Joseph Aspind et le ciment Portland en 1829). Soit, mais Francastel ne consacre pas plus d'un paragraphe au béton au sein d'un chapitre sur l'Ecole de Chicago. Il mentionne Joseph Monnier (sic pour Monier) et son ciment armé et François Hennebique plus que brièvement. Francastel remarque une lacune mais ne la comble pas. Il paraît alors victime de sa lecture de Giedion qui, sans être français, ne connaît pas Louis Vicat, pourtant célébré par Honoré de Balzac

30

, et n'a pas remarqué que Gustave Eiffel l'avait inscrit au rang des grands Hommes sur le bandeau de sa Tour de l'exposition universelle de 1889. Ainsi Francastel ne cite-t-il pas même le nom de Louis Vicat. Bien plus tard encore, en 1981, Henry Russel Hitchcock, écrit Architecture : dix-neuvième et vingtième siècles

31

, entretenant les déficiences habituelles sur le sujet, ne cite toujours qu'une seule fois le mot ciment en relation avec l'architecture de Perret. C'est Michel Ragon, en 1986, qui consacra enfin, dans un ouvrage sur l'architecture moderne, Histoire de l'architecture et de l'urbanisme moderne.

Idéologies et pionniers, 1800-1910

32

, un chapitre au béton armé comme matériau avec une chronologie des inventions. Mais ce chapitre signale à peine les travaux de Joseph Monier et de François Coignet en trois pages et la chronologie est lacunaire. De plus Ragon nous met en garde de ne pas

27 GIEDION, S. ; MOHOLY-NAGY, L. ; BOLLANGE, G. ; COHEN, J.-L., Construire en France, construire en fer, construire en béton, 2000, Paris, éd. de la Vilette, réed. de 1928, 127 p.

28 GIEDION, S., Espace, temps, architecture, Zurich, Denoël, 1940, 529 p.

29 FRANCASTEL, P., Art et technique aux XIXème et XXème siècles, Paris, Denoël, 1979, réed de 1956, 295 p.

30 Honoré de Balzac, après avoir écrit "Cette industrie (de la chaux) nouvellement venue utilise nos bruyères"

dans Le médecin de campagne en 1833, dont l'action se déroule vraisemblablement au Chevalon de Voreppe, cita Vicat en 1839 dans Le curé de village : "Quelle sera la récompense de Vicat, celui d'entre nous qui a fait faire le seul progrès réel à la science pratique des constructions ?".

31 HITCHCOCK, H.-R., Architecture : dix-neuvième et vingtième siècles, Liège, éd. Mardaga, 1981, 710 p.

32 RAGON, M., Histoire de l'architecture et de l'urbanisme. Idéologies et pionniers, 1800-1910, Tours, Casterman, 1991, 374 p.

(17)

confondre le béton et le béton armé or lui-même confond les utilisations du ciment et du béton. Ce qui provient certainement d'une longue confusion des termes qu'il subit au gré de ses lectures anciennes puisque aucun n'a d'étymologie précise et tous les auteurs du XIX

è m e

et début du XX

è m e

siècles les confondaient involontairement.

Les travaux récents, cette fois parfaits sur le point technique, ne traitent encore souvent que de béton armé à la suite du Concrete de Peter Collins

33

. Pourtant ils contiennent des notes sur les premiers bétons, comme Matériaux et architecture. Le béton armé : origine, invention, esthétique

34

, thèse soutenue en 1994 par l'architecte Cyrille Simonnet, et L'invention du béton armé Hennebique 1890-1914

35

publiée en 1999 par Gwénaël Delhumeau. Ces auteurs ont écrit de nombreux articles et ouvrages sur les bétons et bétons armés, particulièrement sur les constructions d'Hennebique, tout comme l'Institut Français d'Architecture qui propose régulièrement des colloques.

Bernard Marrey a aussi fait l'éloge du Béton à Paris

36

et de Joseph Monier et la naissance du ciment armé

37

en collaboration avec Jean-Louis Bosc, Jean- Michel Chauveau, Jacques Clément, Jacques Degenne et Michel Paulin. On comprend que l'histoire de l'architecture cimentière débute vers 1865-1870 seulement et grâce à quelques figures pionnières éparses.

Ce sont les travaux d'Antoine Picon L'invention de l'ingénieur moderne.

L'Ecole des Ponts et Chaussées 1747-1851

38

de 1992 ainsi que d'André Guillerme dans Bâtir la ville. Révolution industrielle dans les matériaux de construction. France-Grande-Bretagne (1760-1840)

39

de 1995, qui font les premières études importantes sur les liants hydrauliques. Elles concernent principalement les chaux hydrauliques et non les ciments modernes. Il reste le mémoire de maîtrise de Claude Fégueux, Histoire de la cimenterie à

33 COLLINS, P., Splendeurs du béton : les prédécesseurs et l'œuvre d'Auguste Perret (titre original : Concrete), Paris, Hazan, 1995, 576 p.

34 SIMONNET, C., Matériaux et architecture. Le béton armé : origine, invention, esthétique, Paris, E.H.E.S.S., Thèse pour le nouveau doctorat (Damisch, H., ss.dir.), 1994.

35 DELHUMEAU, G., L'invention du béton armé Hennebique 1890-1914, Paris, I.F.A., éd. Norma, 1999, 345 p.

36 MARREY, B. ; HAMMOUTENE, F., Le béton à Paris, Paris, Ed. du pavillon de l'Arsenal, Picard, 1999, 221 p. 37 BOSC, J.-L. ; CHAUVEAU, J.-M. ; CLEMENT, J. ; DEGENNE, J. ; MARREY, B. ; PAULIN, M., Joseph Monier et la naissance du béton armé, Paris, Linteau, 2001, 180 p.

38 PICON, A., L'invention de l'ingénieur moderne. L'Ecole des Ponts et Chaussées 1747-1851, Paris, Presse de l'Ecole Nationale de l'Ecole des Ponts et Chaussées, 1992, 768 p.

(18)

Grenoble

40

de 1972, dont le fondement se trouve dans les livrets de cimentiers de A. Gobin

41

de 1889 et Nestor Cornier

42

de 1902. Ce mémoire recense des sources dont une partie est aujourd'hui détruite

43

et fait une excellente analyse historique, économique et technique mais ne traite pas d'architecture et les citations de sources archivistiques font parfois défaut.

Les abrégés comme les précis d'histoire de l'architecture concernant la période 1840-1890, dates limites de la création des premières grandes cimenteries puis de l'avènement du béton armé, font finalement peu de cas de l'architecture cimentière car la période est pauvre en œuvres majeures et ils ne traitent pas du long cheminement depuis son apparition jusqu'aux grandes applications. Cela paraît approprié puisque, comme le fait remarquer Pierre Francastel, nous ne voyons pas - et dans aucun pays - de ralliement rapide et définitif aux principes d'une architecture moderne déduite des possibilités techniques mises par la machine et l'industrie à la disposition du constructeur

; mais il y a eu des petits groupes d'essayistes, ingénieurs, mécaniciens ou architectes, persuadés des capacités positives des techniques nouvelles mises par l'industrie à la disposition des constructeurs.

Les écoles se sont groupées en corps de doctrines autour des grands travaux d'Hommes nouveaux, une génération de précurseurs et d'ingénieurs, comme Joseph Paxton, Gustave Eiffel, l'Ecole Chicago, ou d'architectes, classiques, éclectiques comme Charles Garnier, rationalistes comme Eugène Viollet-le-Duc, détruisant l'idée d'une évolution tranquille et parallèle de l'architecture dans ce siècle de théoriciens.

Les ciments ont été inventés vers 1820 et produits régulièrement à partir de 1840 pour pallier les défauts de la chaux. C'est seulement vers 1890, qu'ils furent employés comme matériaux initiateurs d'une architecture

39 GUILLERME, A., Bâtir la ville. Révolution industrielle dans les matériaux de construction. France-Grande- Bretagne (1760-1840), Paris, P.U.F., Champ Vallon, 1995, 315 p.

40 FEGUEUX, Cl., Histoire de la cimenterie de Grenoble et de sa région, des origines à 1939, Grenoble, T.E.R, U.E.R. d'histoire et histoire des arts, Université des Sciences Sociales, 1972, 400 p.

41 GOBIN, A., "Etude sur la fabrication et les propriétés des ciments de l'Isère", in Annales des Ponts et Chaussées, Paris, Dunod.Vve, juin 1889, 78 p., dépl., in-8°.

42 CORNIER, N., "Notice sur les ciments de Grenoble", in Grenoble et le Dauphiné, Grenoble, Gratier, A. et Rey, J., 1902-1904, pp. 147-173, 1 pl.

43 Claude Fégueux est l'épouse d'un administrateur de la société des ciments Vicat. Elle eut ainsi accès à de nombreux documents dont personne ne soupçonnait plus l'existence mais qui ont été détruits en 1975 lors de la fusion des Ciments de la Porte de France et de la Société Vicat.

(19)

révolutionnaire. Le béton est venu, une fois armé seulement, apporter une solution économique, technique puis plastique. Il a donc fallu cinquante années d'évolution des théories d'architecture parallèles à cinquante années d'évolution des constructions cimentières pour que les ciments deviennent enfin les piliers de l'architecture.

Ce qui caractérise l'architecture du XIX

è m e

siècle ce sont les grandes constructions métalliques urbaines. Cependant, nous ne pouvons pas négliger cette marche impassible des constructions régionales, de caractère privé mais de style tout aussi international, qui promurent le ciment de manière à en faire le matériau de l'architecture du XX

è m e

siècle.

Sauf les monographies, ces deux sujets que sont les églises et les ciments semblent peu publiés et ils ne le sont pas ensemble. Au travers des études sur les édifices religieux les termes "ciment" ou "béton" ne sont apparus que rarement et pour cause. Michel Lagrée en donne l'explication dans La bénédiction de Prométhée

44

en 1999. Analysant les relations entre la religion et la technologie, il conçoit que le béton n'est pas un matériau d'église car nul ne peut oublier l'homologie et l'homonymie établies par le Christ entre l'apôtre Pierre et la pierre de fondation de l'Eglise : supra firma petram . Ce qui garantit l'absence d'églises connues employant du ciment entre les constructions en 1864 de Sainte-Marguerite du Vésinet par Louis-Auguste Boileau et l’ingénieur Paul Cottancin en béton-pisé Coignet et Saint-Jean de Montmartre en brique armées et mortier de ciment par Anatole de Baudot en 1894.

En revanche, si l'ouvrage de J.-M. Leniaud, Les cathédrales au XIX

è m e

siècle , traite de la proscription des ciments et des mastics pour la restauration des cathédrales, dans son chapitre consacré aux matériaux de substitutions, il évoque la façade de la cathédrale de Grenoble comme "la griffe la plus marquante du XIX

è m e

siècle". Cette devanture de ciment de Grenoble est aussi l'une des deux constructions qui illustrent le chapitre dévolu aux bétons du collectif Ces églises du XIX

è m e

siècle . De sorte que la thèse de Ph. Dufieux consacre désormais un chapitre aux pierres factices de l'Isère. Car, chose

44 LAGREE, M., La bénédiction de Prométhée. Religion et technologie XIXème-XXème siècle, Paris, Fayard, 1999, 438 p.

(20)

originale, pour une étude des églises de l'Isère il faut nécessairement se pencher sur celle du ciment et réciproquement. En effet, durant la période 1850-1900, la plupart des églises de l'Isère ont été édifiées grâce à l'utilisation de la "pierre factice de béton moulé" et inversement l'architecture cimentière en Isère concerne presque exclusivement les églises. Personne n'osera dire que l'histoire de l'architecture en ciment de 1850 à 1900 se développe en Isère, ni que l'architecture religieuse de ce département est la mère de l'architecture de béton. D'autant que l'architecture de pierres factices n'a pas engendré directement l'architecture de béton armé

45

. Néanmoins, nous espérons ici faire une première étude sur l'avènement du nouveau matériau de construction et les prémices de son utilisation en architecture. Tout comme nous espérons mettre en valeur les édifices religieux du XIX

è m e

siècle si actuels.

Sources et bibliographie :

Grâce aux réseaux informatiques des bibliothèques, nous avons assez rapidement constitué une bibliographie complétée par des lectures. Cette bibliographie comprend des ouvrages d'architecture, d'histoire de l'art, de religion, de politique et d'économie mais elle contient aussi de nombreux ouvrages régionalistes. C'est le fondement de toute compréhension de l'histoire locale insérée nécessairement dans une histoire plus globalisante.

Retenons néanmoins que Grenoble et l'Isère ont peu, très peu, été étudiées en ce qui concerne le XIX

è m e

siècle. Nous pouvons citer les travaux sous la direction de Bernard Bligny Histoire du diocèse de Grenoble

46

, de Jean-Guy Daigle Grenoble et son élite au milieu du XIX

è m e

siècle

47

, de Pierre Léon Naissance de la grande Industrie en Dauphiné

48

et Pierre Barral Le

45 Nous aurions aimé consulter le travail de Cyrille Simonnet, De la pierre factice au béton armé, Grenoble, Ecole d'Architecture, Rapport de recherche B.R.A., 1989 et celui de M. Galhouz, Du béton au béton armé, fin XVIIIème siècle-début XXème siècle, Paris, E.H.E.S.S., D.E.A. histoire des techniques, 1990.

46 BLIGNY, B., (ss.dir.), CHOMEL, V., EMERY, J., GODEL, A., JOBERT, SOLE, J., Histoire du Diocèse de Grenoble, Paris, Beauchesne, 1979, 352 p.

47 DAIGLE, J.-G., La culture en partage. Grenoble et son élite au milieu du XIXème siècle, Grenoble-Ottawa, P.U.G., Editions de l'Université, 1977, 184 p.

48 LEON, P., Naissance de la grande Industrie en Dauphiné (fin XVIIIème siècle-1869), Gap, Université de Paris, Publications de la Faculté des Lettres, Thèse pour le doctorat ès Lettres, 1954, 2 vol., 965 p.

(21)

département de l'Isère sous la Troisième République

49

, qui traitent respectivement d'histoire religieuse, culturelle, économique et sociale.

Quelques thèses de doctorat sont en cours. Le résultat est maigre pour ne pas dire famélique. L'art et l'architecture n'ont pas été traitées sauf en études de cas. Nous avons donc du regrouper un grand nombre de petites études et surtout fait un long dépouillement de sources manuscrites, dont nous apprécions d'ailleurs l'authenticité plus qu'aucune autre étude.

La bibliographie est composée d'environ 1200 ouvrages : 800 sont classés parmi les sources imprimées dont 500 concernent l'architecture et les techniques cimentières en général et 300 sont relatifs à l'histoire du Dauphiné dont 120 à l'architecture et les cimenteries ; environ 500 ouvrages sont classés parmi les travaux, dont 300 traitent d'architecture et histoire de l'art et 200 d'histoire.

Nous avons aussi réalisé une liste des sources manuscrites composée de 2600 documents. Ces sources comprennent les archives nationales, (série F

1 9

des A.N.F. en particulier

50

), départementales (série 2 O et 7 O et 3 V des A.D.I.), communales (séries M des A.M. de Grenoble et Voiron) et privées (la société Vicat a hérité des fonds des cimenteries iséroises lors de rachats et fusions ; quelques familles ont gardé des documents

51

). Notons aussi que les archives de l'évêché de Grenoble, malgré leur importance sur la période, n'ont pas été primordiales pour notre sujet

52

. Et enfin, deux fonds en cours de récolement vont être consultables aux A.D.I : la correspondance de Prosper

49 BARRAL, P., Le département de l'Isère sous la Troisième République. 1870-1940, Histoire sociale et politique, Paris, Colin., A., Cahiers de la fondation nationale des sciences politiques, n° 115, 1962, 606 p.

50 Les consultations des archives nationales, au C.A.R.A.N, à l'hôtel de Soubise ou à l'ancienne B.N.F Richelieu, n'ont pas toujours été faciles du fait des travaux de rénovation ; mais la série F19 n'est pas primordiale pour notre recherche et elle a déjà été bien étudiée. Nous avons remarqué des manques de correspondance entre les cotes mentionnées dans les ouvrages de J. Charon-Bordas, J.-M. Leniaud, le registre général de la série F19 et les inventaires détaillés, dues à la recotation partielle de 1995.

En revanche, nous avons fait microfilmer les dossiers administratifs déposés aux A.N.F. concernant Louis Vicat (F14 2337²) et Maurice Merceron-Vicat (F14 22821). Ils seront consultables et reproductibles aux A.D.I dans la série J (documents entrés par voie extraordinaire).

51 Nous avons pu consulter les archives privées de Louis et Joseph Vicat (correspondance, manuscrits, etc.) que nous citons sous l'abréviation Fonds G.D. Les archives de la cimenterie Thorrand-Allard-Nicolet de Voreppe sont assez riches et devraient être déposées aux A.D.I.

52 Les archives de l'évêché de Grenoble sont déposées pour la plupart aux A.D.I., formant les séries G (clergé séculier), H (clergé régulier) et la sous-série 27 J (documents entrés par voie extraodinaire, archives ecclésiastiques). Le père Edmond Coffin, archiviste du diocèse, nous a accueilli et présenté les fonds qu'il possède encore. Nous avons procédé à des sondages, au travers des dossiers classés par paroisse, et vu qu'il s'agit de correspondance épiscopale entre les fabriques, les mairies et l'épiscopat. Cela concerne peu souvent les constructions sinon des financements. La Salette possède pour elle seule plusieurs dizaines de mètres d'archives.

(22)

Mérimée avec les architectes de l'Isère (conservée jusqu'alors à la préfecture, constituant la seconde correspondance avec celle d'Hector Riondel et Charles Questel à propos de la construction de Musée-Bibliothèque de Grenoble) et l'important fonds des architectes Auguste Demartiny et Charles Couttavoz (conservé par héritage chez M. Bugey, architecte à Grenoble)

53

. Nous avons pu consulter en partie le fonds Demartiny-Couttavoz composé d'innombrables plans, devis et correspondance ; plusieurs dizaines de mètres d'archives. Il est d'autant plus important qu'il contient par suite de successions les fonds Eugène Péronnet, Joseph Chatrousse et Marius Ricoud. Ce fonds concerne la plus grande partie des édifices publics et privés construits en Isère de 1850 à 1910 ; soit la période la plus faste de l'architecture iséroise. C'est aussi le seul fonds d'architectes connu pour cette période en Isère

54

, mais peu intéressant pour les édifices religieux au premier abord. Il paraît difficile de trouver d'autres fonds à l'avenir ; Hector Riondel peut-être ? Alfred Berruyer n'a pas légué ses archives à des élèves mais à un neveu de Montélimar dont la famille a disparu

55

.

Dans nos sources, les archives nationales représentent une minorité de documents consultés. En revanche les archives départementales de l'Isère sont nombreuses car il existe un dossier par commune (série O), donc plus de 500 cotes en tout

56

. La moitié seulement est récolée (série 2 O), l'autre est en cours de récolement mais consultable (série 7 O). Parmi ces documents nous comptons environ 150 plans. Aux A.M.G., 58 plans dont de nombreuses copies calques et photocopies concernant l'église Saint-Bruno de Grenoble sont classés dans la série 2 Fi. Le répertoire détaillé est imprécis, nous avons du établir nous-même un récolement. Une numérisation de la collection est prévue dans les années à venir. Les plans des autres églises de Grenoble sont classés et numérisés dans la série 1 Fi. Ceux de Saint-Joseph sont

53 Le fonds Mérimée sera classé dans la sous-série 12 T (Monuments historiques), et le fonds Demartiny- Couttavoz en 194 J (Particuliers).

54 Le fonds d'architecte Pierre Pouradier-Duteil est le seul connu en Isère mais concerne les années 1920-1960 environ.

55 BERRUYER, A., Testament, 28 octobre 1895, chez Maître Lescot, notaire à Grenoble (Marron, Castets, Roche, successeurs à Grenoble, 1 rue Philis de la Charce à Grenoble en 2003.

Nota : Un A. Grasset, habitant Montélimar, a déposé une photographie de son grand-oncle Alfred Berruyer à la bibliothèque de la Conservation du patrimoine de l'Isère, sans laisser plus de renseignements.

56 Les modifications territoriales et administratives du département de l'Isère réduisirent le nombre de communes de 558 en 1801 à 523 en 1894.

(23)

introuvables, sauf de rares spécimens et ceux concours de 1910 car ils ont été publiés.

Si les sources manuscrites ont été relevées, les documents bibliographiques n'ont pas tous été lus ; en particulier les 350 livres des sources imprimées sur les ciments et bétons du XIX

è m e

siècle, redondants et pas nécessairement faciles à se procurer. Néanmoins 500 ouvrages ont bien été consultés dont une partie se trouve à la bibliothèque municipale de Grenoble (le fonds Maignien concerne l'architecture et le fonds Gariel les livrets de cimentiers). Ces fonds sont donc importants. Nous avons choisi d'en inclure la liste : sans être exhaustive, elle donne un aperçu de la question cimentière au XIX

è m e

et début du XX

è m e

siècle pour servir d'outil de travail à l'avenir.

Dans le même objectif nous les avons réunis dans plusieurs bases de données informatisées, textes enregistrés et partant faciles à exploiter et à compléter.

Nous avons donc réalisé deux bases informatiques déjà opérantes, une bibliographique et une archivistique. Une autre base informatique concerne les architectes et entrepreneurs de l'Isère et sert à la constitution de notre répertoire biographique.

Problématique :

Le XIX

è m e

siècle fut dévot et urbain. Les rapports entre l'Eglise et les pouvoirs publics furent constitutionnels et nécessaires. Il paraît alors impossible de négliger ni les interventions privées, ni encore les interrelations entre les événements religieux, économiques, industriels, sociaux, politiques, pour faire l'étude d’une construction cultuelle. Tous ces domaines sont autant liés à l’architecture que l'histoire locale ou régionale est intimement imbriquée dans une histoire nationale ou internationale. Nous en revenons à cette assertion de Pierre Gros : " Nulle autre activité humaine n'est autant que l'architecture liée aux structures sociales et politiques de son temps ; nul autre artiste n'est plus que l'architecte tributaire des puissants"

57

.

57 in CALLEBAT, L., ss. dir., Histoire de l'architecte, Paris, Flammarion, 1998, p. 19.

(24)

D'ailleurs pour l'objet qui nous concerne, Anthyme Saint-Paul, auteur virulent, homme de "conseils, préceptes et de pieuses objurgations"

58

, se récriait déjà : " L'architecture religieuse est en grande prospérité à notre époque, mais c'est en industrie du bâtiment qu'elle fleurit ; par le nombre, l'importance, le luxe des constructions ; par l'aisance, souvent la richesse, qu'elle procure à certaines classes d'ouvriers, d'industriels et d'artistes ; par le rôle qu'elle joue dans l'économie politique actuelle "

59

. En effet, les églises de village ou de quartier sont plus qu’aucun autre monument des clefs de l’urbanisme moderne, adorées ou décriées, élevées parfois au mépris de ce qui est ancien mais comme des fleurons de l’architecture. Les nouvelles fortunes industrielles n’hésitaient pas à prendre parti dans leurs investigations politiques afin de générer leurs propres valeurs religieuses ou répandre leurs produits.

Parmi ces produits de l'industrie, les moulures d’ornementation, les pièces moulées à l'avance, jugées plus antiques que médiévales, pouvaient paraître superflues et amenaient à y voir de lourdes superfétations. Mais comme elles faisaient baisser les coûts de constructions on oublia l’origine païenne de la technique. L’Isère, terre mère du ciment, loin de voir dans l’industrie de diaboliques modernités, avait ainsi fait sien le matériau en répondant aux exigences de son époque :

" Le siècle où nous vivons, Messieurs, est celui de la vapeur et de l'électricité : on veut aller vite, et par-dessus tout on veut jouir vite. [...]

Comme la vapeur et l'électricité, le ciment répond à cet état nouveau des esprits ; avec lui, on peut construire avec rapidité qui n'a d'autre limite que le temps nécessaire à la manœuvre des matériaux "

60

.

L'adoption du ciment moulé en architecture transforma peu à peu le paysage monumental religieux de l'Isère, et la bonne perception du matériau nouveau convertit les principes de l'architecture. Ce sont la production et la réception qui opérèrent conjointement un changement historique de l'art, de l'architecture artisanale ajustée à l'architecture pré-industrielle composée

58 André Gide, Les Faux-Monnayeurs.

59 SAINT-PAUL, A., Le présent et l'avenir de l'architecture chrétienne, Paris, Didron et Nilson, 2ème édition, 1877, p. 2.

(25)

d'éléments fabriqués en série. On passait d'une architecture au cas par cas à une architecture au coût par coût. Et si Saint-Paul continuait sa harangue :

" Le XIXè siècle n'a pas et n'aura pas d'architecture propre !" puis "Le fait que l'Etat a pris la place du clergé (Le Conseil des bâtiments a pris la place des Corporations religieuses) pour les constructions religieuses nuit à l'art"

61

, était-ce "juste et bon" d'annihiler la valeur de cette production artistique ? Saint-Paul opposait rageusement l'Eglise à l'Etat, néanmoins les édifices sommaires des curés-bâtisseurs ne renfermaient pas l'intellection de ceux, grands ou petits, des élèves des écoles de l'Etat. Et puis, n'était-ce pas un peu ça la marque du XIX

è m e

siècle, la juxtaposition des siècles sur une façade en signe de reconnaissance de l'Histoire ?

Les églises en ciment de l'Isère ne sont pas une exception culturelle, des œuvres indépendantes, mais s'inscrivent dans une chaîne artistique. Aussi, les églises réunissent-elles l'art et la technique comme de réels "objets de civilisation"

62

puisqu'elles ont une valeur sociale. Les monuments religieux s'inscrivent parfaitement dans la commande publique, la contrainte économique, l'implantation urbaine et ont une finalité pratique pas seulement artistique : le prêche. Donc une histoire de l'art comme une "construction croisée" (sans faire de la micro-histoire) entre les œuvres et les hommes, s'applique ici plus encore que pour une analyse de tableaux. Il ne s'agit pas seulement de travailler sur le mythe de l'église paroissiale, sur le rôle qu'elle tint au centre de la paroisse, mais sur la réalité de sa construction, les enjeux de l'édification.

Des plans, devis ou cahiers des charges sont conservés, comme les avis des conseils de fabrique ou municipaux et les comptes-rendus des commissions des monuments publics. Nous connaissons donc le point de vue des maîtres d'œuvre, des maîtres d'ouvrage, et parfois des financiers grâce à leur correspondance écrite. Bien loin d'avoir étudié tous les monuments du diocèse, nous pouvons tout de même avoir un bon aperçu du sujet. Il est donc

60 MERCERON-VICAT, M., "Discours pour le Congrès des membres de l'Association française pour l'avancement des sciences, tenu à Grenoble au mois d'août 1885", in Chaux hydrauliques et ciments, Grenoble, Breynat et Cie, 1885, p. 35.

61 SAINT-PAUL, A., Le présent et l'avenir de l'architecture chrétienne, Paris, Didron et Nilson, 2ème édition, 1877, pp. 7 et 8.

(26)

possible de connaître quelques raisons des choix précédant les constructions, soit ce qui intéresse un monument :

Qui propose ou impose les nouveaux matériaux ? Y a-t-il des liens de famille ou d'amitiés entre les pouvoirs publics, la finance, l'industrie nouvelle

? Y en a-t-il entre les architectes et les pouvoirs publics ? Quels sont les rapports entre les constructeurs (entrepreneurs) et les architectes ? Cette architecture, plus rapide, est-elle au service du commanditaire ?

Les cimentiers sont-ils puissants ? Possèdent-ils les carrières ? Les mouleurs sont-ils des tailleurs reconvertis ou des nouveaux venus qui font disparaître l'ancien métier ? Y a t'il une concurrence ?

Pourquoi les maîtres d'ouvrages et d'œuvres ont utilisé les ciments ? En quoi cette adoption d'un nouveau matériau a-t-elle joué pour les coûts de constructions ? Quelle est l'importance de leurs édifications dans les villes ? Quelles ont été leurs premiers procédés de travail ? De quelle manière le ciment moulé a-t-il modifié les techniques de construction ou le choix du style des édifices religieux ? Cette architecture cimentière est-elle réellement industrielle ? Avaient-ils conscience de leur technologie ?

Puisque nous avons deux sujets originaux, les constructions religieuses et les ciments, alimentés par des sources abondantes et parfois inédites, nous avons souhaité réaliser une étude pluridisciplinaire : connaître la question des édifications dans leur siècle, les techniques de constructions cimentières et les résultats modernes de cette production.

Pour cela nous procédons selon trois grandes parties. Une histoire des acteurs de la construction en Isère dévoile les avantages du département. Une histoire générale de la cimenterie démontre ses origines iséroises, autre avantage pour les constructions, et se prolonge dans une étude des techniques cimentières qui permet de comprendre une part de cette architecture. Enfin, une analyse des systèmes de l'architecture religieuse, en partie cimentière, ainsi que des styles architecturaux permet de cerner la nature vraie de ces constructions et d'établir des rapprochements ou des distinctions avec l'architecture du siècle.

62 Expression de Pierre Francastel.

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