OBSERVATIONS SUR LA POLLINISATION DU TOURNESOL
(Helianthus
annuusL.)
Jacques
LECOMTEStation de Recherches sur l’Abeille et les Insectes sociaux,
Bures-sur-Yvette
(Seine-et-Oise).
SOMMAIRE
L’auteur se basant sur les travaux russes en ce domaine, étudie la
question
de lapollinisation
du Tournesol en France. Il en conclue que celle-ci est assurée dans les conditions actuelles d’une manière très satisfaisante par l’Abeille
domestique.
Le rôle des Bourdons semble moinsimportant
et même nul dans certaines
régions.
INTRODUCTION
L’importation
de variétés russes à teneur en huileélevée,
cultivables au nord de la laLoire,
met le Tournesol au rang desplantes susceptibles d’occuper
uneplace importante
dans notre économie. Les travaux russesayant
mis en évidence le rôle essentieljoué
par les insectespollinisateurs
dans la mise àgraine
duTournesol,
ilnous a paru intéressant d’examiner cette
question
dans les conditions de culture propres à notre pays.Nous commencerons par étudier la
biologie
florale du Tournesol.L’inflorescence a la forme d’un
capitule
assez volumineuxpouvant
contenir unassez
grand
nombre de fleurs( plus
de i500 ). Ces fleurs
de structure tubulaire sont decouleur marron clair et c’est à
partir
d’elles que sedéveloppent
lesgraines.
Il existeun deuxième
type
defleurs, jaune
clair et en forme delanguettes.
Ces fleurs sontdisposées
à lapériphérie
et ne donnent pas degraines.
Au cours de l’évolution de laplante,
les fleursjaunes
sont lespremières
àapparaître ;
q. ou 5jours ensuite,
les fleursfertile
apparaissent.
Leur
épanouissement
se fait d’une manièreconcentrique
de lapériphérie
versle centre. La durée de floraison dans des conditions normales est de 2
jours
pourchaque
fleur,
mais commechaque jour
3 ou 4rangées s’épanouissent,
uncapitule
ne metgénéralement
pasplus
de 10jours
às’épanouir.
Lepremier
matin de son ouverturela fleur de Tournesol est une fleur mâle
productrice
depollen.
Le stade femelle n’est atteint que durantl’après-midi
ou le lendemain matin. Il est intéressant de remarquer que si la fécondation n’intervient pas, soit par suite d’une carence enagents pollini-
sateurs, soit par suite de conditions
météorologiques défavorables,
les fleurs ne sefanent pas à l’issue de cette deuxième
journée.
Dans cesconditions,
elles restent au stade femellependant
assez untemps
assezlong, près
dequinze jours.
Ces différentsrenseignements
sontempruntés
à Gr,uKOV(i955)!
I,a fécondation
peut
être effectuée par lepollen
de fleurs situées sur le mêmeplant
que les fleursfemelles,
mais lapollinisation
croisée donne des résultatsplus
satisfaisants à divers
points
de vue.Les Abeilles
domestiques
sont un excellentagent pollinisateur
duTournesol ;
de très nombreux travaux russes l’attestent. Parexemple
G!,uKOV( 1955 ) signale
uneobservation faite dans la
région
de Kharkov.Dans le cas de
plantations
de Tournesols situées à :Différents
auteurs,
parexemple
KOURENNOI 1957, KOVALEV etU LANI CIIE V , ig6i
s’accordent pour
préconiser
l’installation de rucherspollinisateurs
àproxi- proximité
immédiate des cultures de Tournesol à raison d’une ruche par hectare. On obtient ainsi des densités en butineuses de l’ordre de 6 ooo Abeilles parhectare,
cequi
semble satisfaisant aux auteurs russes et des améliorations de rendement en
poids
del’ordre de 30 p. 100.
OBSERVATIONS EN FRANCE
Nos observations ont essentiellement
porté
sur deschamps
situés en Eure-et- Loir etSeine-et-Oise,
aux environsd’Angerville.
Unpremier
travail a consisté àcompter
le nombre d’Abeillesprésentes
sur des bandes de IOOfleurs. Ce travail a pu être effectuégrâce
à la collaboration d’unagent
du C. E. T. I. O. M. et apermis
deréunir des données concernant 18
champs.
Nous résumeronsrapidement
cesprinci- pales
données :Les densités en butineuses sont assez voisines le matin de celles de
l’après-midi.
Le matin nous trouvons 108 butineuses pour
100 fleurs,
moyenne de i5goo neurs obser- vées, et l’après-midi
115 butineuses pour100 fleurs,
moyenne de z5 80o fleurs observées Le centre deschamps,
par contre semble un peuplus
visité que les bordures.Sur les 20 ooo fleurs observées sur les
bordures,
il se trouvait en moyenne 118 buti-neuses pour 100
fleurs,
tandis que sur 10 ooo fleurs se trouvant au centre deschamps,
il a été
compté
137,5 butineuses pour cent fleurs. La moyennegénérale
pour l’ensemble des 18champs
étudiés se situe donc aux environs de 115. Cechiffre,
si nous admettonsun nombre moyen
(anormalement
élevéd’ailleurs)
de go ooocapitules
par hectaredans les cultures réalisées en
ig6i, représente
despopulations
d’Abeilles de l’ordre de 100 000ouvrières par hectare.Un autre facteur doit être
pris
en considération pourapprécier
l’activitépollini- satrice ;
ils’agit
de la vitesse de travail de la butineuse.Les auteurs russes ont
pris
comme critère la vitesse debutinage
d’une fleur.Selon KOURENNOI 1957, les moyennes observées varient entre
3 ,6
et6, 2
secondes par fleur. L’efficacité des butineusespeut
donc varier considérablement et la densité n’est pas le seul facteur à considérer. Il m’a semblé que letemps passé
parcapitule pouvait également
être un facteurimportant.
Eneffet,
c’est à l’occasion de ces passages d’uncapitule
à l’autre que s’effectuel’heteropollinisation
dont nous avonssouligné
l’im-portance.
Les butineuses de nectarpassent
en moyenne 5g secondes parcapitule,
moyenne de 20
comptages,
mais cetemps
est très variable etj’ai
observé les extrêmes de 6 secondes et de 7 minutes 37.Les butineuses de
pollen
semblentplus lentes,
maisplus régulières,
letemps passé
sur
chaque capitule
variant entre une et deux minutes. Lepourcentage
d’Abeilles récolteuses depollen
est d’ailleurs assez faible.Je
l’ai trouvéde
q. p. 100 pour uncomptage
effectué sur i25 butineuses.Il y aurait certainement lieu de tenir
compte
de ces différentes variables pour établir un bilanprécis
de l’activitépollinisatrice
d’unepopulation
d’Abeilles.Cepen- dant,
dans cettepremière approche
duproblème,
nous n’avons tenucompte
que de la densité en butineuses.Nous avons cherché à mettre en corrélation le nombre de
graines
creuses avecla densité en butineuses. L’estimation du nombre de
graines
creuses a été effectuée pour 7champs
par M. MALLETingénieur
au C. E. T. I. O. M. sur deuxprélèvements
de1
6capitules
dont lesgraines
ont étéhomogénéisées
et échantillonnées.L’estimation
de ladensité en butineuses a étéexprimée
par un indicequi
est obtenu de la manière suivante :Chaque
mesure estrapportée
à la moyenne des mesures effectuéependant
lamême
demi-journée
etexprimée
par la différence avec cette moyenne affectée dusigne plus
ou moins.Si la moyenne des
comptages
effectués un matin est de10 6,
unchamp
où il a étéobservé 100butineuses pour 100fleurs aura un indice de -6. On fait ensuite la moyenne de ces indices d’écarts
journaliers,
cequi
donne l’indice debutinage
dechaque champ.
Le tableau ci-dessous donne les résultats.
La lecture de ce tableau
permet
les constatations suivantes :D’abord,
il nesemble pas y avoir corrélation très nette entre l’indice de
butinage
et lepourcentage
degraines
creuses.Ensuite,
cespourcentages comparés
à ceuxsignalés
par les auteurs russes sont très faibles.Gi.UKOV,
1955, n’écrit-il pas cc dans les cas où lesplantations
de Tournesol ne sont pas situées à
proximité
deruchers,
la fécondation desgraines
ne
dépasse
pas habituellement uneproportion
de 40 à 50 p. 100 ; levoisinage
desAbeilles
peut
l’amenerjusqu’à
70 et 95 p. 100 ».Or,
dans le cas leplus mauvais, champ
n° 4, nous avons 9r,7 p. 100 de fécondations. Cechamp présente
un indicede
butinage négatif
de-6,
mais un examen des donnéesnumériques
montre tout demême que ce
champ
avait une moyenne une densité de8 7
ooo butineuses par hectareMoyenne
calculée sur 2 400capitules
lors de 8comptages.
Cettedensité,
même entenant
compte
du fait que le nombre decapitules
par hectare est anormalement élevé enFrance,
est encore trèssupérieure
à celle considérée comme satisfaisante par les auteurs russes.En
fait, je
n’ai pu mettre en évidence le rôle de l’Abeille dans la fécondation des fleurs deTournesol,
parce que tous leschamps
étudiés en F,ure-et-Loir étaient visités d’une manièreplus
que satisfaisante. Dans cesconditions,
les différences nepeuvent
être que très faibles et surtout
masquées
par l’action des autres facteurs.C’est
pourquoi
il neparaît
pas très utile des’interroger
sur lasignification
desdifférences observées entre les
pourcentages
degraines
creuses selon que lesprélève-
ments furent effectués en bordure ou en
plein
centre duchamp. Remarquons
cepen- dant que les résultatsobtenus, 4 ,6
p. 100pour les bordures et 3,5pour le centre, vont dans le même sens que les différences des densités en butineusesindiquées plus
haut.Les
populations
existantes d’Abeillesdomestiques
sont donccapables,
dans larégion étudiée,
de fournir un nombre suffisant depollinisateurs.
Deux remarques doiventcependant
êtrefaites ; premièrement
larégion
considéréepossédait
uncheptel apicole particulièrement abondant,
ensuite lasuperficie
de Tournesol nedépassait
pas 400 hectares
répartis
sur 10 ooo hectares environ. Dans lesrégions
moins richesen
exploitations apicoles
ou dans le cas où les surfaces de Tournesolprendraient
uneimportance
notablementplus grande,
laquestion
devrait se reposer.Un certain nombre de
sondages
effectués en différentspoints
de France :Loir-et- Cher, Indre-et-Loire, Vienne,
m’ont donné des résultats assez voisins descomptages systématiques
effectués en Eure-et-Loir et Seine-et-Oise.Dans tous les cas, la variété cultivée était la variété russe « B
65 40
» ou du moinscette variété
prédominait.
Il m’a étécependant possible
de comparer l’attractivité vis-à-vis despollinisateurs
de deuxparcelles
situées côte à côte aux environs de Loudun(Vienne).
En cequi
concerne cefacteur,
lasupériorité
de la variété russe parrapport
à la variété «Jupiter
» est manifeste. 4comptages
de 100capitules
ont étéaffectués avec les résultats suivants :
B
65
40 : 103 Abeilles et m Bourdons pour 100capitules.
Jupiter :
42,7 Abeilles et 12Bourdons pour 100capitules.
Ces derniers résultats m’amènent à
parler
despollinisateurs
autres que l’Abeilles.Il
s’agit
essentiellement desBourdons, je
n’aiguère
vu d’autresApides
butinantle Tournesol.
Ces
Bourdons,
Bombus terrestris érant leplus largement représentés,
étaient trèsrares dans la
région d’Angerville.
Dans leLoir-et-Cher
etl’Indre-et-Loire,
il en étaitgénéralement
observé un ou deux pour centcapitules.
Dans laVienne,
nous avons pu observer une densité très nettementsupérieure :
11,5pour centcapitules,
calculée sur400
capitules.
Nous avons vu que l’attractivité des deux variétés étudiées ne différait pas vis-à-vis de ces insectes.CONCLUSION
Dans l’état actuel des
choses,
lespopulations
d’Abeilles existantes assurent dans lamajorité
des cas unepollinisation
correcte des cultures de Tournesol. Cettepollini-
sation
qui peut
êtrequalifiée
de « naturelle» pourrait
suffire dans lesrégions
étudiéespour des
superficies
trèssupérieures
à celles existant eni 9 6t.
En cas de déficit visible depollinisation, (moins
de 6 ooo butineuses à l’hectare pour 40ooocapitules
à l’hec-tare, soit z5 butineuses pour 100
capitules ),
il y a lieu deplacer
àproximité
immédiatedes cultures un
rucher,
à raison d’une ruche par hectare.Reçu pour
pitblicatioîz
eujanvier
1962.REMERCIEMENTS
Je
tiens à remercier le Centretechnique interprofessionnel
desOléagineux métropolitains
pour l’aide apportée au cours de ce travail.SUMMARY
OBSERVATIONS ON TIIE FERTILIZATION OF THE SUNFLOWER
!llelZanLJ2uS
annuusL.)
It seems that the fertilization of the sunnower in France is
performed by
cultivated bees. This isparticularly
the case for the Russian variety B. 65 ¢o. An average number of ioo,ooo workers per hectare was found. 1’hus, the percentage of hollow grains is very low, 4.0; °-! on the average.Other fertilizing agents are l3umble bees, and the
importance
of their role is variable accordingto the area.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
( 3
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KoUREN N
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