Fiche technique Bas d’armoire formant secrétaire en pente et prie-Dieu
Description
Bas d’armoire ouvrant à deux portes, formant secrétaire en pente avec un abattant et genouillère pour le prie-Dieu.
Le bâti est en bois de sapin, les tiroirs sont en bois de noyer et le corps du casier est en bois de hêtre. Le meuble est plaqué à l’extérieur de bois de palissandre de violette et de bois de satiné. L’intérieur des portes est plaqué en bois de Macacauba ou Trébol (connu en Guyane sous le nom d’ébène rouge) et
comprend une tablette à l’intérieur entièrement peinte à l’imitation du placage à décor de vannerie. Le placage est ciré selon la technique du poli-ciré décrite dans le Roubo (partie ébénisterie) et initiée par moi avec Jean de Dreuille, alors ébéniste à Versailles, il y a vingt-cinq ans.
L’abattant est garni d’un cuir vert qui n’est pas d’origine mais qui a été conservé, car de très belle qualité.
Lien vers les analyses des échantillons de placage par le CIRAD : https://1drv.ms/b/s!AknQPtkXRiR8rDtIds-iTOKkib_W?e=u9dd9m
Il est estampillé de Pierre IV Migeon, estampillé deux fois avec grande estampille (intérieur du tiroir) et petite estampille (derrière) et la marque JME.
H. : 92 cm L. : 63 cm P. : 39 cm
Epoque Louis XV, circa 1740-50.
Ce bas d’armoire ayant usage de prie-Dieu est constitué d’un dos d’âne surmontant un bas d’armoire à deux vantaux dans le piètement duquel se glisse une marche servant de prie-Dieu. Avec ses usages multiples, ce meuble est typique des créations, souvent de commandes, fabriquées pour une clientèle avisée.
L’ensemble de ce meuble présente une structure en courbe et en contre-courbes tant en plan qu’en volume typique des plus belles créations du style Louis XV.
Aucun élément de bronze ne vient perturber les lignes structurant ce secrétaire.
La qualité de ce meuble tient à la fois dans le travail du bâti chantourné et dans la qualité du placage qui épouse et met en valeur les lignes de construction, notamment le profil en arbalète de l’abattant (typique de Pierre IV Migeon) du secrétaire en pente à motifs de pointes de diamants (qu’on retrouve sur le secrétaire en pente de Migeon du château de Thoiry, réputé avoir appartenu à Machault d’Arnouville), et les bords des deux vantaux de la partie inférieure du meuble grâce à des filets de bois accompagnant les contours du meuble. La même qualité caractérise la réalisation et le placage des tiroirs chantournés du dos d’âne.
Fait exceptionnel, l’étagère médiane et le bas dans la partie inférieure du meuble ne sont ni laissés en bois brut, ni plaqués. Ils sont peints à la colle avec des terres de couleur brune et rouge pour imiter les motifs de la marqueterie (ci-contre).
La porte droite est dotée d’une serrure à tringle emboitée à l’intérieur du bâti d’origine et recouverte d’un palâtre en laiton tout le long de celui-ci, sans qu’il soit nécessaire de bloquer l’autre porte par des charnières.
Provenance
Ancienne collection Etienne Nicolas (1871-1960), ancien directeur des Vins Nicolas.
Christie’s Paris, 17 novembre 2010, lot n°209.
Constat d’état et remise en état
On se rapportera au rapport de restauration de Sébastien Evain alors ébéniste à Paris 15ème :
https://1drv.ms/b/s!AknQPtkXRiR8rDx0yTSn6zXgqatk?e=bTNUNn Lien vers les factures du CIRAD et de l’ébéniste restaurateur : https://1drv.ms/b/s!AknQPtkXRiR8rD055XuK3lBaCW10?e=ihB1lL
Pierre IV Migeon (1696-1758)
Membre d’une dynastie d’ébénistes établie au faubourg Saint-Antoine dont il est sans doute le plus grand représentant, Pierre IV Migeon naît en 1696 à Paris. Il est vraisemblable qu’il fût d’abord formé dans l’atelier paternel ou auprès de son beau-père, Saint-Amant. Il est maître avant 1729. Lorsqu’il épouse Madeleine Horry en 1732, il apporte au mariage 43 000 livres (dont 8000 livres de marchandises), somme fort considérable qui témoigne de la prospérité du commerce de Pierre Migeon et de l’aisance de l’aisance de l’ébéniste. A l’époque
déjà, son stock est considérable, et il est certain que Migeon sous-traitait et exerçait une activité de marchand. On trouve d’ailleurs des ébénistes parmi ses créanciers et le détail de leurs noms dans son Livre des ouvriers (Dautriche, Popsel, etc.).
« Pierre IV Migeon fut sans aucun doute le plus brillant ébéniste de la dynastie. Il parvint, par le soin qu’il apportait à ses ouvrages et la rigueur de la gestion de son atelier, à faire prospérer son commerce, s’attirant une clientèle nombreuse [et] fidèle » nous dit Sophie Mouquin, que son Livre-Journal porte à notre connaissance. Parmi ses clients on trouve nombre de parlementaires, de membres de la finance et de la haute noblesse, dont le président de Bandeville, le garde des Sceaux, le chancelier d’Aguesseau ou le comte de Caraman. Pierre IV Migeon livre des meubles au garde-meuble de la Couronne, notamment pour le Dauphin.
Pierre IV Migeon, rappelle Sophie Mouquin, est avant tout l’ébéniste du placage, ce dont témoigne notre meuble. Il multiplie les jeux de placage en jouant sur des effets décoratifs monochromes et fait souvent preuve d’une grande sobriété, que l’on retrouve ici notamment dans l’absence d’éléments de bronze. La forme galbée, les arrondis sinueux et la ligne en arbalète de l’abattant du secrétaire, notamment, sont associés à son œuvre.
La consultation du livre journal de Pierre IV Migeon (1 Juillet 1730 - 3 Décembre 1736) mentionne la vente du 2 septembre 1730, à “
M de Duneny à la Madelaine de Trenelte, de deux prie dieu de
bois de chaine de 18 livres tournois piesse
“Œuvres en rapport
La sinuosité développée sur le secrétaire-prie-Dieu se retrouve sur le secrétaire en dos d’âne illustré par Sophie Mouquin (ci-dessous, à droite). Le musée des Arts Décoratifs possède quant à lui un meuble similaire estampillé de Jean- Baptiste Tuart, mais qui ne présente pas les galbes multiples et équilibrés du bas d’armoire de Migeon (ci-dessous, à gauche).
A noter
qu’un secrétaire en pente en
bois de
violette d’une structure similaire à la partie
supérieure du meuble est passé en vente à la SVV
Boisseau Pomez à Troyes le 27 novembre 2020 (lot 667). Il est illustré ci- dessous :
Lien vers un modèle similaire passé en vente chez Sotheby’s Londres le 11 mars 1999, lot 631 :
https://1drv.ms/b/s!AknQPtkXRiR8qy4UV3bi5Q6coYfk?e=bQuHEn
Antoine Robert Gaudreaus (1680-1746) livra le 20 septembre 1740, sous le numéro 563 (au titre de divers meubles), pour servir dans le cabinet de retraite de la Reine à Fontainebleau, un grand prie Dieu de bois violet à placages doubles de bois de citronnier, ayant pardevant deux guichets fermans à clefs et une tablette en dedans, de 13 pouces de profondeur (35,19 cm) sur trois pieds de long (97,44 cm) et 26 à 27 pouces de haut (70,38 cm à 73,08 cm), avec la genouillère séparée de bois de chêne et son carreau de damas cramoisi piqué en pente sur trois costés.
Jacques Dubois (1694-1763) a exécuté un bas d’armoire similaire en placages de satiné à deux guichets, avec un abattant en pente et genouillère en maroquin cramoisi cloué de clous dorés avec un compartiment à l’intérieur fermant à clef (portant le numéro 1767 et un chiffre enlacé de cinq lettres T M L F C, que l’on retrouve sur une série de beaux meubles Louis XV des années 1740-1760, dont plusieurs sont estampillés de Charles Maclard), qui constitue un des chefs d’œuvre d’ébénisterie du maître, dont le décor de laiton ciselé et doré est marqué du C couronné, illustré ci-dessous avec sa marque de propriété.
Bas d’armoire en plinthe estampillé I. DUBOIS en placages de satiné à deux guichets plaqués d’acajou et d’amarante à leur verso, une tablette de chêne plaqué sur son champ d’acajou à l’intérieur, avec un abattant en pente et genouillère en maroquin cramoisi cloué de clous dorés 1745-1749 et la marque estampée à froid TMLFC (Coll. de l’abbé d’A...)
Bibliographie
« Pierre IV Migeon » par Sophie Mouquin, Les Editions de l’Amateur, 2001.
« L’essence du bois, manuel d’identification macroscopique des bois du mobilier français du XVIe au XXe siècle» par Patrick George, Emmanuel Maurin et Marie- Christine Trouy-Jacquemet, avec l’assistance du laboratoire de recherches des monuments historiques, éditions du patrimoine, 2020.
