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contemporaine Observation et explication en psychologie cognitive Théorie du traitement de l information et psychologie cognitive 40

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(1)

CHAPITRE

1

La psychologie cognitive présentation générale

Sommaire

1. La psychologie cognitive et les sciences cognitives 13

2. Les racines de la psychologie cognitive

contemporaine 19

3. Observation et explication en psychologie cognitive 24

4. Théorie du traitement de l’information

et psychologie cognitive 40

Dans ce chapitre, vous allez apprendre

1

Quelles sont les racines de la psychologie cognitive et sa place parmi les sciences cognitives.

2

Quels types de méthodes et de mesures sont utilisées en psychologie cognitive.

3

Quels sont les postulats à la base de la psychologie cognitive contemporaine.

(2)

12

C h a p i t r e 1 – La psychologie cognitive présentation générale

Voici un problème. Vous disposez de quatre chaînettes de trois maillons chacune.

Ouvrir un maillon vous coûte deux euros et en fermer un vous coûte trois euros. On com- mence avec tous les maillons fermés. Vous devez attacher les 12 maillons afin de faire un collier sans que cela vous coûte plus de 15 euros.

Comment vous y prendriez-vous pour résoudre un tel problème ? Comparez ce problème et la multitude de problèmes ou de tâches que nous effectuons tous les jours. Quel est le rapport entre les deux ? S’agit-il de problèmes de même type ou de problèmes tout à fait différents ? Nécessitent-ils de mettre en œuvre les mêmes opérations mentales ? Quelles sont ces opéra- tions mentales ? Ces opérations mentales sont-elles les mêmes que celles que vous mettez en œuvre lorsque vous devez apprendre un cours, résoudre une équation mathématique, déci- der quel appartement louer, comprendre et produire du langage ? Comment faisons-nous pour savoir ce qu’il faut faire pour réussir des tâches comme celles-là ?

Depuis des siècles, l’homme se pose ce genre de questions et essaie de comprendre comment fonctionne son intelligence. Toutefois, ce n’est que depuis récemment que nous avons com- mencé à étudier scientifiquement notre intelligence. L’étude scientifique de la pensée humaine est réalisée par la psychologie cognitive.

Le but de cet ouvrage est de vous présenter les découvertes fondamentales qu’a réalisées la psychologie cognitive. Cette discipline est passionnante car elle s’intéresse à un objet qui a toujours fasciné l’homme, à savoir la pensée ou la cognition. Elle est passionnante également par les méthodes ingénieuses que les psychologues développent pour comprendre cette cogni- tion. Enfin, c’est une discipline qui a, au cours de ces dernières années, accumulé des décou- vertes encore inimaginables il y a quelques décennies. À la fin de cet ouvrage, vous maîtriserez les outils conceptuels et méthodologiques actuels qui permettent aux psycholo- gues de la cognition humaine de révéler, d’observer, de décrire et d’expliquer les mécanismes de la pensée humaine.

Ce premier chapitre d’introduction générale devrait vous permettre d’avoir une idée claire de ce qu’est la psychologie cognitive, du type d’activités mentales qu’elle étudie, du type de méthodes et de techniques utilisées pour étudier l’activité cognitive et du type de modèles théoriques mis au point pour rendre compte de cette activité. Dans un premier temps, après avoir défini l’objet de la psychologie cognitive, nous analyserons la contribution de la psychologie cognitive à la connaissance de l’esprit humain. Pour cela, nous situerons la psy- chologie cognitive au sein des sciences cognitives. Dans un deuxième temps, l’examen des dif- férents mouvements théoriques de la psychologie cognitive révélera combien les conceptions de la cognition humaine ont varié au cours de l’histoire. Ensuite, nous examinerons les gran- des familles de méthodes utilisées pour étudier la cognition humaine. Enfin, nous examine- rons les postulats de base de la théorie de la psychologie cognitive.

(3)

La psychologie cognitive et les sciences cognitives

13

La psychologie cognitive n’est pas la seule discipline qui s’intéresse à l’esprit. Les disciplines qui partagent cet intérêt ont été rassemblées dans ce qu’il est maintenant courant d’appeler les « sciences cognitives ».

Les sciences cognitives cherchent à déterminer :

• comment un système naturel (humain ou animal) ou artificiel (robot) acquiert des informations sur le monde dans lequel il se trouve,

• comment ces informations sont représentées et transformées en connaissances,

• comment ces connaissances sont utilisées pour guider son attention et son com- portement.

Les sciences cognitives rassemblent les contributions de plusieurs disciplines, comme la psychologie cognitive, la linguistique, les neurosciences et la philosophie. Certains auteurs y ajoutent d’autres disciplines, comme l’ethnologie, l’anthropologie ou la socio- logie. Pour situer la psychologie cognitive et la spécificité de ses contributions, nous rap- pelons brièvement les objets des disciplines considérées comme centrales dans les sciences cognitives, à savoir la psychologie cognitive, l’intelligence artificielle (IA), la lin- guistique, les neurosciences et la philosophie (voir Figure 1.1).

1 La psychologie cognitive et les sciences cognitives

BIOLOGIE

NEUROSCIENCES SCIENCES HUMAINES PHILOSOPHIE

LINGUIS- TIQUE

PSYCHOLOGIE COGNITIVE INFORMATIQUE

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

Figure 1.1

Disciplines considérées comme centrales dans les sciences cognitives

(4)

14

C h a p i t r e 1 – La psychologie cognitive présentation générale

La psychologie cognitive est la sous-discipline de la psychologie qui se focalise sur la cognition. Le terme « cognition » est un terme contemporain synonyme d’« intelligence », de « pensée ». Les psychologues cognitivistes étudient donc l’intelli- gence, ou comment on fait pour penser. La cognition est cette faculté mobilisée dans de nombreuses activités, comme la perception (des objets, des formes, des couleurs…), les sensations (gustatives, olfactives…), les actions, la mémorisation et le rappel d’informa- tions, la résolution de problèmes, le raisonnement (inductif et déductif), la prise de déci- sion et le jugement, la compréhension et la production du langage, etc.

Les psychologues cognitivistes cherchent à déterminer par quels mécanismes nous réa- lisons toutes les tâches auxquelles sommes confrontés. Ceci signifie que ce qui importe au psychologue cogniviste, c’est de dresser la liste précise des opérations mentales élé- mentaires (i.e., processus) décrivant comment un sujet accomplit une tâche cognitive.

Les processus, et les mécanismes par lesquels ils sont déclenchés et exécutés, ne doivent pas être vagues. Ils doivent pouvoir être définis précisément. Par exemple, ils n’est pas suffisant de dire qu’un sujet comprend un texte en mettant en œuvre un processus de lecture. Il est nécessaire de dire par quelle suite de processus la compréhension d’un texte est réalisée. Dans cet ouvrage, nous verrons comment les psychologues décou- vrent et démontrent l’existence des processus cognitifs.

L’esprit du psychologue cognitiviste est le même que celui de tout autre scientifique.

C’est-à-dire que l’activité du psychologue de la cognition ressemble à celle du chimiste ou à celle du généticien. Ainsi, l’objectif du chimiste est d’expliquer une réaction chimi- que par la suite des réactions élémentaires. Le généticien cherche à rendre compte des mécanismes par lesquels se transmettent les caractères. Le psychologue cognitiviste quant à lui découvre les mécanismes par lesquels le sujet pense.

La notion de mécanisme a été introduite seulement récemment en psychologie comme principe descriptif et explicatif. Elle est néanmoins puissante. De la même manière que l’introduction de la notion de mécanisme en chimie a permis au chimiste de conceptua- liser les nombreuses réactions chimiques comme pouvant se réduire à des réactions plus élémentaires, les psychologues cognitivistes cherchent à décrire les mécanismes fondamentaux impliqués dans la cognition humaine. Cette perspective devrait permet- tre à terme d’aboutir à un « catalogue des processus mentaux » (et de leurs caractéris- tiques) impliqués dans la cognition humaine. Comme dans tout autre domaine, certains processus sont très généraux (i.e., mis en œuvre dans différentes tâches cognitives), d’autres sont très spécifiques (i.e., mobilisés dans un ensemble restreint de tâches).

Pour comprendre quels sont les mécanismes fondamentaux de la cognition humaine, les psychologues cognitivistes sont conduits à caractériser au moins deux types de con- traintes qui pèsent sur le système cognitif. Ces contraintes peuvent être structurales ou fonctionnelles. Les contraintes structurales incluent les différents composants du sys- tème cognitif et les processus mis en œuvre par chacun de ces composants. Ainsi, par exemple, la mémoire à court terme et la mémoire à long terme sont deux composants essentiels du système cognitif humain. La liste et l’agencement de ces composants cons- tituent ce que les psychologues appellent une « architecture cognitive ».

1.1 La psychologie cognitive

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La psychologie cognitive et les sciences cognitives

15

Les contraintes fonctionnelles comprennent les caractéristiques des processus cognitifs et des représentations mentales. La rapidité (et la précision) du déclenchement et de l’exécution d’un processus constituent des exemples de caractéristiques fonctionnelles.

La possibilité ou non d’exercer un contrôle sur un processus constitue un autre exem- ple de caractéristique fonctionnelle. Comme exemples de caractéristiques des représen- tations mentales, on peut citer l’organisation de l’information en mémoire.

L’approche de la psychologie cognitive est une approche scientifique. Ceci signifie que le psychologue étudie la cognition comme le biologiste étudie une autre fonction du vivant. Le psychologue cognitiviste découvre les mécanismes cognitifs en mettant au point des expériences. Ces expériences ont lieu en laboratoire ou à l’extérieur du laboratoire. Dans la suite de cet ouvrage, vous verrez comment l’approche scientifique adoptée par les psychologues cognitivistes leur permet de faire d’immenses progrès.

Vous verrez aussi comment l’approche scientifique permet une analyse objective, rigoureuse et extrêmement précise de la cognition.

L’un des fondateurs de l’intelligence artificielle, Marvin Minsky, avait coutume de dire que l’intelligence artificielle (IA) est la science de faire réaliser à des machines des choses qui demanderaient de l’intelligence si elles étaient accomplies par des êtres humains. Les chercheurs en IA et en psychologie cognitive sont préoccupés par le même type de questions fondamentales. L’une de ces questions est de savoir comment un système de traitement de l’information parvient à accomplir des tâches cognitives de niveaux de complexité différents. Ces deux disciplines cherchent à déterminer le type de représentations (leurs structures, leurs organisations, leurs formats) manipu- lées par le système pour accomplir une tâche. Elles cherchent aussi à savoir comment est acquise l’information et comment l’utilisation de cette information est contrôlée par le système ou un agent externe.

Les chercheurs en IA créent des systèmes artificiels qui nous renseignent sur la manière dont les êtres vivants (humains et animaux) accomplissent des tâches intelli- gentes de difficulté variable. Ainsi, ils tentent de créer des robots capables de se repérer et de se déplacer dans l’espace. Ainsi encore, ils construisent des robots capables de comprendre une conversation ou de diagnostiquer une pathologie médicale. Cette approche suppose la création d’une représentation (i.e., un modèle) de la situation et de ce que la machine doit faire pour réussir de telles tâches. Cette approche oblige le cher- cheur à être précis dans ses postulats. Par exemple, le chercheur ne peut pas se conten- ter de dire « le robot récupère l’information en mémoire ». Il doit préciser ce que signifie

« récupère », comment s’opère cette récupération, ce que fait le robot lorsqu’il récupère et quel type d’information il récupère.

L’une des forces de cette approche est que, lorsqu’un programme échoue, il est relative- ment facile de localiser les raisons de cet échec et de modifier le système pour qu’il fonc- tionne correctement. Le chercheur en IA peut en effet chercher à comprendre pourquoi le système qu’il construit ne fait pas ce pourquoi il est construit en modifiant telle ou telle partie du système. Il peut par exemple modifier l’organisation de la base de don-

1.2 L’intelligence artificielle

(6)

16

C h a p i t r e 1 – La psychologie cognitive présentation générale

nées. Il peut changer les procédures de manipulations des informations. Ceci représente un énorme avantage par rapport à l’approche du psychologue. En effet, il est impossible au psychologue cognitiviste d’enlever un bout de mémoire à long terme ou un processus d’élaboration mentale dans le système cognitif d’un sujet pour en voir le résultat sur le fonctionnement de la mémoire.

Dans cet ouvrage, nous verrons que les psychologues ont fait d’importants progrès grâce à l’IA. Les modèles mis au point par les psychologues pour décrire et expliquer la cognition humaine sont fortement inspirés des modèles élaborés en IA. En fait, certains modèles sont l’œuvre d’une fructueuse collaboration entre psychologues et chercheurs en intelligence artificielle. Cette collaboration a forcé les psychologues à être plus précis dans leur compte rendu de la cognition humaine. Quand un psychologue travaille avec un chercheur en IA pour construire un modèle qui résout des problèmes par exemple, le chercheur en IA veut savoir précisément ce que le psychologue veut dire quand il dit que « le sujet encode le problème ». Il veut être en mesure d’implémenter sur ordina- teur ce processus d’encodage. Inversement, les chercheurs en intelligence artificielle bénéficient énormément des données que les psychologues collectent chez les sujets humains. Ces données fournissent des indications quant aux processus à implémenter pour simuler une fonction cognitive sur ordinateur.

Les neurosciences étudient la réalisation physique et matérielle des processus de traitement de l’information chez l’homme et chez l’animal. Les chercheurs en neuros- ciences s’attachent donc à dégager la structure physique générale du système nerveux afin d’expliquer comment certains traitements de l’information sont effectués de manière efficace et d’autres de manière moins efficace.

Il est classique de distinguer deux grandes perspectives en neurosciences. La première perspective est représentée par la neurophysiologie qui étudie les fonctions du système nerveux. Les neurophysiologistes poursuivent leur but grâce à des micro-électrodes qui leur permettent d’effectuer des enregistrements au niveau des (groupes de) neurones.

Ils mesurent également l’activité électrique du cerveau au moyen d’électrodes de plus grande taille. Ils effectuent aussi de temps en temps des destructions de cellules et de connexions afin d’en voir les conséquences.

La deuxième perspective en neurosciences est représentée par la neuroanatomie qui étudie la structure du système nerveux, à la fois au niveau microscopique et au niveau macroscopique. Les neuroanatomistes poursuivent leur but grâce à des dissections de cerveaux, de moelles épinières ou de fibres nerveuses périphériques. Des méthodes récentes d’imagerie cérébrale (imagerie par résonance magnétique, tomographie par émission de positons, etc.) viennent compléter ces techniques et permettent de visuali- ser l’activité des structures nerveuses lorsque le sujet est en train d’accomplir une tâche cognitive.

À l’intersection de la neurophysiologie et de la neuroanatomie, se trouve la neuropsy- chologie. Cette discipline étudie les relations entre le fonctionnement cognitif d’une part et le fonctionnement et la structure du système nerveux d’autre part. Les neuropsycho-

1.3 Les neurosciences

(7)

La psychologie cognitive et les sciences cognitives

17

logues tentent de déterminer les parties du cerveau qui contrôlent ou médiatisent les fonctions psychologiques. Les neuropsychologues utilisent toutes les méthodes de la neurophysiologie et de la neuroanatomie. En outre, ils utilisent l’étude des cas de patients cérébrolésés (i.e., avec lésions de certaines parties du cerveau, suite à un acci- dent).

Les données provenant de patients cérébrolésés sont très riches à la fois pour le clini- cien et pour le psychologue fondamentaliste (Seron, 1993). L’intérêt de ces données est double.

• Elles permettent de découvrir des aspects de la cognition non découverts par les données traditionnelles (e.g., patrons d’erreurs et de latences) ;

• Elles permettent de tester des modèles théoriques mis au point pour rendre compte des performances de sujets neurologiquement sains.

Les données provenant de patients cérébrolésés sont depuis peu considérées plus importantes qu’elles ne l’avaient été par le passé car elles permettent d’avoir des indi- cations sur les fonctions des parties atteintes du cerveau. Le raisonnement est simple.

Si une partie du cerveau est atteinte chez un patient et que le patient ne parvient pas à effectuer une tâche, aisément accomplie chez un sujet chez lequel cette partie n’est pas atteinte, c’est que cette partie est cruciale pour la tâche.

Par ailleurs, les données recueillies chez des patients permettent de tester des théories cognitives et de contraindre les modèles construits par les psychologues cognitivistes.

Comme nous le verrons dans cet ouvrage, c’est grâce aux observations de patients céré- brolésés que les psychologues ont testé l’hypothèse selon laquelle il existerait deux types de mémoire : une mémoire implicite (i.e., non consciemment mobilisée) et une mémoire explicite (i.e., intentionnellement utilisée). En bref, l’observation du fonction- nement cognitif pathologique est tout aussi informative que celle du fonctionnement normal pour comprendre la cognition humaine.

La linguistique est l’une des disciplines qui s’intéressent au langage. Loin d’être une discipline unitaire, la linguistique est subdivisée en sous-disciplines. On distingue par exemple la phonologie (étude de la nature des sons), la syntaxe (étude des règles d’agencement des mots selon une grammaire), la sémantique (étude des significations) et la pragmatique (étude d’une langue telle qu’elle est réellement utilisée dans la vie sociale). Le linguiste analyse une langue à différents niveaux : les sons, les mots, la phrase, le texte, la conversation, etc. Quel que soit le niveau d’analyse auquel un lin- guiste travaille, il s’attache à isoler les unités (dans des corpus de langues parlées ou écrites) de la langue étudiée et à trouver les règles de constitution et d’assemblage de ces unités. Le travail du linguiste permet donc de décrire une langue comme un système de signes et de règles dont il faut préciser le fonctionnement.

Tous les linguistes ne se rattachent pas aux sciences cognitives. L’objectif principal des linguistes qui se rattachent aux sciences cognitives est de comprendre comment les con- naissances linguistiques sont représentées dans l’esprit, comment elles sont acquises, perçues et utilisées et comment elles sont reliées aux autres représentations mentales

1.4 La linguistique

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18

C h a p i t r e 1 – La psychologie cognitive présentation générale

et aux autres aspects de la cognition. Ces linguistes cherchent également à comprendre en quoi les contraintes du système cognitif expliquent la structure des langues.

Les contributions de la linguistique sont précieuses aux sciences cognitives pour deux raisons. D’abord, les résultats des recherches en linguistique guident les chercheurs en sciences cognitives. En effet, la connaissance du matériel linguistique renseigne sur les contraintes inhérentes au système symbolique (i.e., le type de connaissances) sur lequel opère un système de traitement de l’information (humain ou informatique).

La deuxième raison pour laquelle les découvertes des linguistes intéressent les sciences cognitives tient au fait que l’étude de la formation et de l’utilisation des langues révèle très fréquemment certains aspects de la cognition. Certains chercheurs ont avancé que les structures des langues ne font qu’exprimer les structures de l’esprit. Sans aller jusqu’à cette position extrême, difficile à tester empiriquement, la linguistique offre un ensemble de phénomènes langagiers propres à révéler les caractéristiques de la cogni- tion. Dans le Chapitre 8 de cet ouvrage, nous verrons comment les découvertes de la linguistique ont orienté les travaux des psychologues cognitivistes cherchant à isoler les processus cognitifs impliqués dans la compréhension et la production écrites et ora- les du langage.

Presque toutes les disciplines intellectuelles ont des racines philosophiques. La psychologie et les sciences cognitives ne font pas exception. La nature de la pensée et de l’esprit est au cœur même de tous les systèmes philosophiques. Les débats actuels sur la relation entre, par exemple, esprit et matière, langage et pensée, perception et réa- lité, inné et acquis sont classiques en philosophie.

Non seulement la philosophie a exercé un rôle important dans l’histoire des sciences cognitives et de la psychologie en particulier (e.g., philosophie représentationnelle de l’esprit de Descartes, vision computationnelle de l’activité cognitive de Hobbes), mais aussi elle continue d’avoir un rôle important dans l’activité des psychologues cognitivis- tes. De manière générale, la philosophie permet aux scientifiques de clarifier leur objet d’étude et les méthodes à utiliser.

Pour accomplir sa tâche, le philosophe de la cognition travaille à trois niveaux : épisté- mologie, ontologie et philosophie des sciences. Au niveau de la philosophie des sciences, le philosophe tente de définir l’entreprise des sciences cognitives et d’en obtenir une vision synoptique. Au niveau ontologique, le philosophe s’enquiert de la nature des structures abstraites étudiées par les sciences cognitives et les relations entre ces struc- tures et les concepts ordinaires ou le monde. Enfin, dans une perspective épistémologi- que, le philosophe cherche à évaluer la validité et la cohérence des cadres conceptuels pour rendre compte de l’activité cognitive. À ce titre, les philosophes interviennent sou- vent pour guider les autres chercheurs en sciences cognitives dans leurs entreprises de théorisation.

Le rôle de la philosophie est important en sciences cognitives, mais aussi controversé (comme il l’a été et l’est toujours dans les sciences plus anciennes). Selon une position extrême, le philosophe est celui à qui revient le jugement dernier des découvertes des

1.5 La philosophie

(9)

Les racines de la psychologie cognitive contemporaine

19

psychologues, car il a la distance et le recul par rapport à la discipline et aux autres dis- ciplines scientifiques. Selon une autre position extrême, les psychologues, comme les autres scientifiques, peuvent vivre leur vie sans la tutelle des philosophes. Certains iro- nisent et avancent que « le philosophe n’est pas celui que vous consultez lorsque vous voulez savoir comment votre réfrigérateur produit du froid » !

Entre ces deux positions extrêmes, l’intérêt de la collaboration entre philosophes et psychologues, et chercheurs en sciences cognitives de manière plus générale, est multi- ple. Cet intérêt tient notamment au fait que les sciences cognitives rassemblent des chercheurs de différents horizons conceptuels et méthodologiques. Ces chercheurs ont des lexiques différents pour parler des mêmes choses ou un même lexique renvoyant à des choses différentes. En bref, les philosophes peuvent aider les chercheurs en scien- ces cognitives à unifier les contributions respectives des différents horizons sur le fonc- tionnement et la structure de l’esprit.

Bien souvent encore, les sciences cognitives apparaissent comme une juxtaposi- tion de contributions, un ensemble de disciplines qui, dans le meilleur des cas, se côtoient. La première étape dans l’histoire des sciences cognitives a été de réaliser que les chercheurs de disciplines différentes avaient des intérêts communs et posaient les mêmes questions fondamentales relatives à la nature de l’esprit. Peut-être une seconde étape consistera-t-elle en l’acceptation que le but (i.e., dégager la structure et le fonction- nement de cette fonction du vivant qu’on appelle cognition) lui aussi est commun et en l’intégration des différentes approches en une seule. Cette acceptation donnera une image ordonnée des contraintes du système cognitif qu’il importe de spécifier. Il est aujourd’hui difficile de savoir si cette intégration se fera par une communauté concep- tuelle, par la référence à un cadre théorique computationnel unique ou simplement par l’établissement d’un corpus de faits relatifs à la cognition humaine et dont il convient de rendre compte à travers un formalisme ou un autre.

Il ne faut jamais négliger l’histoire de sa propre discipline, même s’il faut veiller à ne pas faire de cette histoire une prison intellectuelle empêchant le progrès. La con- naissance de cette histoire devrait nous permettre d’éviter les erreurs du passé. Si la vérité est une série d’erreurs rectifiées, comme disait Gaston Bachelard, l’étude de l’his- toire d’une discipline nous permet de retracer le cheminement des erreurs successives et de les dépasser. L’histoire de la psychologie cognitive ne fait pas exception, bien qu’elle soit courte. Cette histoire nous

• renseigne sur la manière dont nos prédécesseurs ont tenté de conceptualiser l’esprit,

1.6 Vers une intégration ?

2 Les racines de la psychologie cognitive

contemporaine

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20

C h a p i t r e 1 – La psychologie cognitive présentation générale

• fournit des informations sur les méthodes utilisées pour étudier le fonctionne- ment de l’esprit,

• aide à ne pas commettre les mêmes erreurs que nos prédécesseurs relativement à la nature de la cognition humaine.

Bien que depuis toujours, les hommes aient été fascinés par le fonctionnement de leur esprit, l’approche scientifique de l’esprit est très récente. Malgré quelques propositions relativement spéculatives, aussi bien chez les philosophes de l’antiquité grecque que chez les empiristes britanniques par exemple, la psychologie scientifique a un peu plus de cent ans (ce qui est peu comparé à d’autres disciplines). Elle a néanmoins déjà eu le temps de connaître des cadres conceptuels dont les générations successives de psycho- logues ont cherché à dépasser les limites.

L’histoire de la psychologie cognitive peut être décrite comme une suite de croyances, principes et conceptions relatifs à la cognition humaine et à son fonctionnement.

Comme chaque conception d’un objet gouverne les méthodes d’étude de cet objet, cha- que école s’est aussi caractérisée par la mise au point d’une méthode privilégiée d’étude de la cognition humaine. Notre objectif n’est pas ici de retracer en détail l’histoire de notre discipline (voir Parot & Richelle, 1992, pour une présentation détaillée en fran- çais). Aussi, nous nous contentons de rappeler les principes généraux relatifs à chacun des courants suivants : le structuralisme, l’associationnisme, le béhaviorisme, le gestal- tisme et le fonctionnalisme, et enfin le cognitivisme (Figure 1.2).

Le premier laboratoire de psychologie scientifique fut créé à Leipzig en 1879 par Wundt. Selon cet auteur, la compréhension de l’esprit devrait nécessairement passer par une meilleure connaissance des éléments qui le constituent. La liste de ces éléments devrait permettre de connaître la structure de l’esprit. Cette psychologie est parfois nommée psychologie structuraliste.

La méthode privilégiée pour révéler cette structure de la vie mentale était l’introspec- tion. L’introspection consiste à rapporter tous les éléments présents dans la conscience au moment d’accomplir une tâche. Ceci peut signifier à la fois ce à quoi nous pensons pendant une tâche et comment nous pensons que nous sommes en train d’accomplir cette tâche ou autre chose.

2.1 Psychologie structuraliste

Figure 1.2

Chronologie des grands courants de la psychologie.

1870

Structuralisme Associationisme

Gestaltisme

Béhaviorisme

Cognitivisme 2000 1900

1879

(11)

Les racines de la psychologie cognitive contemporaine

21

L’introspection est une méthode difficile à mettre en œuvre et nécessite un entraîne- ment assidu. Aussi, pour Wundt, l’un des éléments les plus importants de la formation de ses étudiants consistait à les rendre capables d’introspection. L’introspection com- porte de nombreux inconvénients (e.g., elle perturbe le déroulement normal d’une tâche, les sujets peuvent raconter n’importe quoi). Ces inconvénients seront l’objet d’importantes critiques dans les mouvements qui ont suivi la psychologie structura- liste.

À l’époque, où, en Europe, Wundt installait la psychologie comme discipline aca- démique, aux Etats-Unis, Ebbinghaus conduisait déjà des expérimentations systémati- ques sur la vie mentale. Ces expérimentations avaient pour but d’analyser le stockage et la récupération des informations en mémoire.

Comme nous le verrons plus en détail dans le Chapitre 3, Ebbinghaus était lui-même le sujet de ses expériences. Il apprenait des listes de syllabes sans signification et mesurait le nombre d’essais qu’il lui fallait pour apprendre une liste par cœur, le nombre de syl- labes rappelées après un certain délai ou encore le nombre de fois qu’il lui fallait réap- prendre une liste pour la savoir à nouveau par cœur, après un certain temps.

Les expériences sur la mémoire qu’Ebbinghaus a conduites sur lui-même l’ont conduit à découvrir qu’un matériel est d’autant mieux retenu qu’il a été associé à un autre matériel. L’établissement de relations entre les différentes informations à stocker en mémoire est dès lors apparu comme un facteur critique. Ces relations sont d’autant mieux établies que les événements à relier sont contigus (i.e., surviennent dans le même espace et pratiquement simultanément). Cette psychologie est appelée psychologie associationniste car elle fondait la vie mentale sur les associations. La méthode privilé- giée de cette psychologie était l’apprentissage de listes de syllabes sans signification.

Cette méthode a été étudiée pendant très longtemps en psychologie cognitive, si bien que certains ont pu dire que « la psychologie cognitive a pendant très longtemps été presqu’exclusivement une psychologie de la syllabe sans signification ».

Le béhaviorisme a certainement été l’école qui a contribué à faire de la psycho- logie une discipline scientifique respectable. L’œuvre des béhavioristes a d’abord con- sisté à critiquer vivement l’utilisation de l’introspection. Elle a aussi consisté à élever les standards de la recherche en psychologie au même niveau (ou presque) que les stan- dards utilisés dans les autres sciences expérimentales.

La critique formulée par les béhavioristes à l’égard de l’introspection se situe à deux niveaux. La première critique provient de leur postulat fondamental relatif aux proces- sus cognitifs. Selon les béhavioristes, les processus mentaux sont opaques et non acces- sibles à la conscience. Il n’est donc pas possible de les étudier. Il est encore moins possible de les étudier directement (par l’introspection par exemple).

2.2 Psychologie associationniste

2.3 Psychologie béhavioriste

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22

C h a p i t r e 1 – La psychologie cognitive présentation générale

La deuxième critique de l’introspection formulée par les béhavioristes tient à la méthode elle-même. Les béhavioristes avaient raison en avançant que l’introspection ne permet pas d’obtenir des données sur lesquelles tout le monde peut se mettre d’accord et qui sont aisément reproductibles. Le premier problème est un problème de validité, le second un problème de fiabilité. Or, toute approche scientifique d’un phénomène doit être valide et fiable. C’est-à-dire que les phénomènes mis en évidence doivent être aisé- ment identifiables par l’investigateur et doivent pouvoir être répliqués par n’importe qui se mettant dans les mêmes conditions d’observation. L’introspection ne permet pas d’observer des phénomènes valides et fiables.

Cette critique négative à l’encontre de l’introspection s’est accompagnée d’une critique méthodologique constructive. Les béhavioristes ont insisté sur la nécessité d’utiliser des méthodes scientifiques de collecte des données. Si la psychologie veut être une science au même titre que les autres, elles doit satisfaire aux standards méthodologi- ques des autres sciences, en dépit d’un objet d’étude présentant des particularités (cha- que science a un objet particulier). Les béhavioristes ont donc nettement insisté pour que la communauté des psychologues soit formée aux standards scientifiques des autres sciences. Ceci a beaucoup contribué à faire changer les pratiques de la recherche en psychologie. Aujourd’hui, aucun chercheur en psychologie ne prétendrait expliquer un phénomène sans avoir de données empiriques en accord avec cette explication.

Cette louable médaille avait toutefois son revers. En effet, pour les psychologues béha- vioristes, seuls, les comportements observables peuvent constituer des données objec- tives que plusieurs expérimentateurs sont en mesure de répliquer. La psychologie behavioriste est souvent décrite comme une psychologie des observables. Les béhavio- ristes ont insisté sur le fait que les comportements à étudier sont des comportements publiquement observables, mesurables et contrôlables.

Dans une telle perspective, un certain nombre de notions devait être écarté du champs d’étude de la psychologie, comme la conscience ou les états mentaux internes. Seules subsistaient comme objet d’étude valide les relations entre stimulus et réponse (i.e., les observables). Le comportement humain intéressant à étudier était dès lors la réaction de l’organisme à des stimulations de l’environnement (e.g., conditionnement pavlovien ou skinnérien). Dans une telle perspective, il était pertinent de savoir, par exemple, si un organisme apprend mieux avec un renforcement positif ou négatif. Plusieurs géné- rations de psychologues ont été formés à faire apprendre des animaux (e.g., rats devant apprendre un chemin dans un labyrinthe). Ceci n’a pas manqué de conduire certains collègues (certes un peu ironiques) à appeler cette psychologie « la psychologie de rats dans un labyrinthe » !

Au moment où le béhaviorisme constituait l’establishment dans la vie académi- que américaine, en Europe, des psychologues comme Kofka, Kohler ou Wertheimer considéraient que la conscience devait être un sujet essentiel en psychologie. Ces psy- chologues se sont rassemblés autour d’un mouvement appelé le Gestaltisme. Le Gestal- tisme**, ou psychologie de la forme, a trouvé son plein développement en Allemagne

2.4 Psychologies gestaltiste et fonctionnaliste

(13)

Les racines de la psychologie cognitive contemporaine

23

dans les années 30-40. Outre l’intérêt pour la conscience, les Gestaltistes étaient aussi très fascinés par les phénomènes perceptifs (voir Chapitre 2) et la résolution de problè- mes (voir Chapitre 7). Moins orientés vers des recherches empiriques, ils s’attachaient surtout à découvrir les principes (e.g., groupement par proximité ; groupement par similarité) qui gouvernent la vie mentale. C’est à eux que l’on doit le fameux « le tout n’est pas réductible à la somme des parties ».

Les Gestaltistes n’ont pas été les seuls à être en marge du béhaviorisme, mouvement pourtant très dominant jusque dans les années suivant la seconde guerre mondiale. Les psychologues fonctionnalistes, à la suite de gens comme James ou Baldwin, ont mis en avant l’idée que l’étude de la vie mentale devait passer par la mise en évidence des opé- rations mentales et pas seulement des contenus et des éléments de la pensée. Les fonc- tionnalistes ont même avancé l’idée que les opérations mentales sont les médiateurs entre l’environnement et le comportement. Cette idée est largement acceptée par les psychologues cognitivistes contemporains. En fait, sans poser de médiateurs, les rela- tions stimulus-réponse (S-R), tant chéries des béhavioristes, ne permettent pas à elles seules des prédictions précises. Et quand elles le permettent, ces prédictions concernent un contexte expérimental tellement restreint que ceci ne présente aucun intérêt pour la connaissance du comportement humain.

Le cognitivisme est un point de convergence de multiple événements (Gardner, 1985). De manière simplifiée, il existe deux grandes familles d’événements, une externe à la psychologie, l’autre interne. Les raisons externes à la psychologie tiennent aux avancées conceptuelles et technologiques. En effet, la découverte de l’ordinateur a per- mis à la psychologie de faire des bonds importants. L’ordinateur est aujourd’hui quoti- diennement utilisé par les psychologues de la cognition humaine pour diverses tâches : contrôle et passation des expériences en laboratoire, analyses statistiques des données, modélisations informatiques des activités cognitives, etc. Quant aux avancées concep- tuelles, elles émanent de différentes disciplines connexes à la psychologie (comme la théorie de l’information en cybernétique ou encore la théorie de la grammaire généra- tive de Chomsky). Ces avancées ont conduit les psychologues à considérer l’être humain comme un organisme dont la tâche principale est de traiter des informations.

Cette perspective a ouvert une voie de recherche sur la cognition humaine extraordi- nairement fructueuse.

Les raisons internes qui ont donné naissance au cognitivisme tiennent à la position du cognitivisme par rapport au béhaviorisme. Le cognitivisme est né à la fois du béhavio- risme et contre lui. Il est né du béhaviorisme en épousant ses standards scientifiques.

En effet, le cognitivisme a gardé du béhaviorisme l’idée qu’il faut étudier la cognition humaine de manière objective et rigoureuse. Ceci signifie que le caractère scientifique des méthodes d’étude de la cognition assure la mise en évidence de phénomènes repro- ductibles. Ceci explique aussi en partie la très forte nature empirique de notre discipline qui, encore aujourd’hui, met davantage l’accent sur l’étude empirique des phénomènes que sur leur modélisation théorique.

2.5 Psychologie cognitiviste

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C h a p i t r e 1 – La psychologie cognitive présentation générale

Le cognitivisme est aussi né contre le béhaviorisme. En effet, à partir des années 50-60, les psychologues cognitivistes ont fondé leur approche de la cognition en rejetant le pos- tulat béhavioriste selon lequel les états mentaux internes (i.e., processus) n’existent pas et ne devraient donc pas être l’objet d’étude de notre discipline. Ils ont rejeté l’idée que la discipline ne devait se focaliser que sur les relations Stimulus-Réponse (i.e., relations S-R). Pour les cognitivistes, la cognition humaine ne recouvre pas que ces relations ; la cognition humaine comprend des processus. L’objectif de notre discipline, selon le cognitivisme, est la découverte des processus cognitifs impliqués dans une tâche.

Pour découvrir les processus cognitifs, les psychologues cognitivistes contemporains ne se limitent pas à une méthode privilégiée (e.g., apprentissage de liste de syllabes, introspection). Ils utilisent toutes les méthodes qui leur permettront d’expliquer les per- formances d’un sujet dans une tâche par la suite des processus cognitifs mis en œuvre.

Pour découvrir cette suite de processus, le psychologue cognitiviste manipule la struc- ture de l’environnement et des tâches (consignes, caractéristiques des stimuli) et ana- lyse les conséquences de ces manipulations sur les performances des sujets. Ces conséquences servent de base aux inférences conduites par le psychologue relative- ment aux processus cognitifs et aux représentations mentales. En d’autres termes, le psychologue cognitiviste propose des tâches aux sujets. Il manipule certaines caracté- ristiques de ces tâches (e.g., demander aux sujets de répondre vite vs. prendre leur temps ; donner des problèmes difficiles vs. faciles à résoudre). Il observe les consé- quences de ces manipulations sur le comportement des sujets. Divers indices de ces comportements sont mesurés par le psychologue (le temps de réaction, le pourcentage d’erreurs, les protocoles verbaux, etc.). À partir de ces performances, le psychologue cognitiviste infère les processus mis en œuvre.

La psychologie cognitive est une science expérimentale au même titre que les autres sciences expérimentales. Elle met en évidence des phénomènes et elle tente de les expliquer. Pour mettre en évidence des phénomènes, elle a recours à différentes méthodes d’observation. Pour les expliquer, elle met au point différents types de modè- les. Dans cette partie, nous examinons d’abord les méthodes d’observation utilisées pour étudier la cognition humaine, puis les types de modèle. Enfin, nous examinons les mesures utilisées en psychologie cognitive.

Supposons que vous êtes psychologue cognitiviste et que vous vous intéressez à la mémoire humaine. Vous voudriez savoir comment on fait pour mémoriser une liste de courses par exemple. L’un des problèmes est qu’il est difficile de savoir comment la mémoire fonctionne en étudiant comment les gens mémorisent leur liste de courses. En effet, d’abord, tout le monde ne s’y prend pas de la même manière. Ensuite, il n’est pas

3 Observation et explication en psychologie cognitive

3.1 Les méthodes d’observation en psychologie cognitive

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Observation et explication en psychologie cognitive

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sûr que, lorsque les gens mémorisent une liste de courses, ils mémorisent et retiennent de la même manière que lorsqu’ils mémorisent un cours d’histoire par exemple. Par ailleurs, certains prendront beaucoup de temps pour mémoriser leur liste, d’autres choisiront de la mémoriser rapidement (quitte à oublier un item ou deux sur la liste et revenir du supermarché plus ou moins contents). Enfin, comment allez-vous étudier ce comportement ? Aller chez les gens chaque fois qu’ils cherchent à mémoriser leur liste de courses ? Leur donner votre numéro de téléphone pour qu’ils vous appellent et vous demandent de vous rendre chez eux car ils s’apprêtent à mémoriser leur liste de courses ? Vraisemblablement pas.

Cet exemple illustre le problème central de la psychologie cognitive. La cognition humaine est une fonction vivante qui est mise en œuvre dans la vie de tous les jours.

Ceci signifie que n’importe lequel des processus qu’un psychologue veut étudier est rarement mobilisé de manière isolée. Il est sollicité avec d’autres processus. Or, pour bien connaître les caractéristiques d’un processus, il faudrait pouvoir l’isoler et l’étudier spécifiquement. C’est ce que tentent de faire les psychologues cognitivistes lorsqu’ils étudient la cognition humaine en laboratoire. Ils cherchent à mettre au point des tâches qui mobilisent des processus spécifiques (isolément et/ou en combinaison avec d’autres processus). L’étude en laboratoire permet au psychologue d’être certain de ce qui se passe, de contrôler les situations dans lesquelles sont mis en œuvre les processus étu- diés. Ceci est une condition nécessaire pour comprendre finement les processus cogni- tifs. Pour étudier comment les sujets mémorisent une liste de courses, le psychologue cognitiviste que vous êtes va préférer demander aux sujets de venir au laboratoire. Là, vous leur donnerez des listes d’items (qui peuvent être des listes de courses) à appren- dre dans des conditions extrêmement bien contrôlées.

L’étude en laboratoire pose cependant des problèmes. En effet, les découvertes que fait le psychologue cognitiviste lorsqu’il étudie un processus en laboratoire risquent de n’être valides que dans les conditions du laboratoire. Reprenons l’exemple de la mémo- risation de la liste de courses. Vous décidez d’étudier comment les sujets mémorisent une liste d’items en les faisant venir à votre laboratoire et en leur demandant d’appren- dre une liste de mots. Vos sujets doivent apprendre une liste de 30 mots. Vous donnez 10 minutes à la moitié de vos sujets et 15 minutes à l’autre moitié. Puis, vous regardez le nombre de mots correctement rappelés. Vous vous apercevez que les sujets qui avaient 15 minutes pour apprendre rappellent correctement plus de mots que les sujets qui n’avaient que dix minutes. Vous êtes fier de votre découverte et vous concluez que la mémoire dépend de la durée de stockage.

Un autre psychologue vous sourira peut-être (ou se contentera de vous écouter poli- ment) et vous dira que (a) votre découverte est un peu banale et (b) votre conclusion n’est peut-être valable qu’en laboratoire lorsque les sujets apprennent des listes d’items pendant 10 ou 15 minutes. En effet, votre découverte pourrait être jugée assez triviale.

Êtes-vous sûr que votre expérience était nécessaire pour savoir que, plus on prend du temps, meilleures sont les chances de mémorisation ? Par ailleurs, votre découverte pourrait n’être limitée qu’à votre contexte expérimental. Cet autre psychologue pour- rait vous citer les cas nombreux où les sujets stockent des informations rapidement, alors que d’autres sujets ont besoin de beaucoup de temps. Il pourrait aussi souligner qu’apprendre une liste de mots n’est franchement pas l’activité de mémorisation la plus

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passionnante. Pour certaines autres activités beaucoup plus intéressantes, le temps de stockage n’est pas forcément nécessaire à une bonne mémorisation. Bref, cet autre psy- chologue pourrait vous dire combien votre étude en laboratoire est certes bien contrô- lée et bien conduite, mais limitée par rapport aux activités de mémorisation auxquelles nous nous livrons toute la journée.

L’une des tensions que doit résoudre tout psychologue cognitiviste dans ses recherches est exactement celle qu’illustre l’exemple de la liste de course. D’une part, le psycholo- gue cognitiviste veut, comme tout scientifique, connaître précisément et objectivement les processus qu’il étudie. Pour cela, il les isole en laboratoire et en étudie les caractéris- tiques de manière détaillée et systématique. D’autre part, son souci de rigueur peut le conduire à étudier des choses triviales qui ne sont pas valides en dehors du laboratoire.

En d’autres termes, il risque d’étudier autre chose que la cognition humaine ou des aspects inintéressants et peu généraux de cette cognition.

L’objectif pour un psychologue cognitiviste est de conduire des recherches sur des phé- nomènes intéressants qu’il peut étudier en laboratoire de manière rigoureuse et qui pré- sentent les propriétés essentielles de la cognition humaine, telle qu’elle est mobilisée dans la vie quotidienne. Dans cet ouvrage, nous verrons que lorsqu’ils étudient la réso- lution de problème par exemple, les psychologues cognitivistes demandent à leurs sujets de résoudre des problèmes qui sont, à première vue, très artificiels (comme le pro- blème du collier bon marché au début de ce chapitre) et que les sujets ne résolvent jamais dans leur vie quotidienne. Pourtant, une analyse conceptuelle révèle que ces pro- blèmes comportent les mêmes propriétés que la plupart des problèmes que nous résol- vons quotidiennement. Nous verrons comment les découvertes faites à partir de l’analyse des performances des sujets résolvant de tels problèmes en laboratoire se généralisent aisément aux problèmes résolus quotidiennement. En résumé, les psycho- logues cognitivistes doivent donc faire preuve d’ingéniosité dans leurs recherches pour mettre au point des tâches qui présentent la double caractéristique suivante :

• les tâches et les performances à ces tâches peuvent être analysées sans ambi- guïté en laboratoire ;

• les tâches comportent les mêmes caractéristiques (ou une partie de ces caracté- ristiques) que les tâches que les sujets accomplissent quotidiennement.

Quelle que soit la tâche utilisée, comme dans toute science expérimentale, la psycholo- gie cognitive cherche à atteindre son objectif en recourant à trois types d’observation : l’observation naturelle, l’observation corrélationnelle et l’observation expérimentale.

3.1.1 L’observation naturelle

L’observation naturelle consiste à observer et enregistrer certains aspects du comportement et de l’environnement. Lorsqu’un anthropologue étudie les comporte- ments alimentaires d’une tribu de Nouvelle-Zélande et qu’il note tout ce qu’il voit sans aucune sélection, il utilise l’observation naturelle. Peuvent faire l’objet de nos enre- gistrements aussi bien des événements (e.g., objets qui tombent ; interaction entre des personnes) que des caractéristiques de l’environnement (e.g., combien de voitures ; pré- sence vs. absence de jeux).

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Observation et explication en psychologie cognitive

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L’observation naturelle est moins rigoureuse que les autres méthodes. Néanmoins, il s’agit d’une méthode qui donne aux faits un statut scientifique. En effet, l’observation est objective (i.e., non uniquement présente dans l’œil de l’observateur) et peut être répétée par un autre observateur. L’intérêt de l’observation naturelle est que l’informa- tion collectée est très riche. Une richesse d’information est souvent nécessaire pour ren- dre compte de comportements complexes. Il faut en effet avoir d’abord et avant tout une bonne description du comportement à expliquer. Une bonne description du com- portement signifie savoir exactement dans quelles conditions il apparaît et avec quelle intensité et quelle fréquence il se manifeste. Bien décrire pour bien expliquer est sou- vent avancé comme condition minimale pour faire de la bonne science.

Outre la richesse des informations collectées, la méthode d’observation naturelle est nécessairement utilisée lorsqu’il est impossible de répondre à une question de recher- che avec une autre méthode. Dans les sciences du comportement, ce type de question est assez fréquent, surtout au début d’une recherche. Ainsi, par exemple, si un cher- cheur veut savoir en quoi l’environnement de l’enfant participe au développement de sa motricité (e.g., existence vs. absence d’obstacles, d’escaliers dans une maison), ce cher- cheur est bien obligé de collecter un maximum d’informations sur cet environnement.

En dépit de la richesse des informations fournies par l’observation naturelle et en dépit du fait que certaines activités ne peuvent être étudiées qu’avec cette méthode, l’obser- vation naturelle comporte certains inconvénients. Pour ne prendre que quelques exem- ples,

• il est difficile d’enregistrer de manière fiable ce qui se passe exactement et tout ce qui se passe ;

• un événement important peut aussi avoir lieu en l’absence de l’observateur ;

• les informations fournies ne donnent aucune certitude sur ce qui a entraîné le comportement qui nous intéresse ;

• l’observation peut être biaisée par des caractéristiques personnelles de l’obser- vateur.

Ces limites sont dépassées par les deux autres types d’observation.

3.1.2 Observation corrélationnelle

L’observation corrélationnelle consiste en une analyse systématique des événe- ments qui tendent à survenir ensemble dans un environnement particulier. Les rela- tions corrélationnelles dépendent du caractère systématique et répété des variations entre deux ou plusieurs événements (co-variations). Par exemple, les enfants de cadres réussissent mieux à l’école que les enfants d’ouvriers. Les deux événements, être enfant de cadre et réussite scolaire, tendent à apparaître souvent ensemble. L’analyse statisti- que dite corrélationnelle fournit une mesure du lien entre les deux événements (ou variables).

Là encore, la méthode d’observation corrélationnelle est utilisée lorsqu’il est impossible d’utiliser l’observation expérimentale. Dans l’exemple de la corrélation entre catégorie sociale et réussite scolaire, il est impossible de prendre au hasard un groupe d’enfants, de les éduquer dans un milieu ouvrier ou autre et d’évaluer leurs performances scolai- res. L’étude du développement est souvent de nature corrélationnelle, même si les cher-

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C h a p i t r e 1 – La psychologie cognitive présentation générale

cheurs veillent à contrôler autant de variables qu’ils le peuvent. Par exemple encore, si un chercheur veut étudier le développement de l’intelligence spatiale et voir comment l’âge affecte cette habileté, il lui est impossible de prendre un enfant particulier, de l’affecter aléatoirement à un groupe d’âge et de mesurer son intelligence spatiale.

L’enfant vient à l’expérimentateur avec son âge au moment de l’expérience. La méthode d’observation corrélationnelle est une méthode souvent utilisée par les psychologues, car elle suggère une première idée sur les causes des comportements.

L’un des problèmes de la méthode d’observation corrélationnelle est qu’elle comporte une restriction sur le type d’inférence possible. C’est-à-dire que ce n’est pas parce que deux événements ont tendance à systématiquement apparaître ensemble que l’un est la cause de l’autre. Ils peuvent être tous les deux provoqués par une cause commune.

L’exemple classique est celui de la corrélation entre le nombre d’écoles dans une ville et le nombre d’alcooliques. L’école n’est pas la cause de l’alcoolisme. Le nombre d’écoles et d’alcooliques sont associés au nombre d’habitants : plus il y a d’habitants dans un endroit, plus la probabilité de rencontrer un alcoolique et une école est forte. En résumé, corrélation n’est pas synonyme de causalité.

3.1.3 La méthode expérimentale

Dans toute science, l’objectif est d’identifier la ou les cause(s) du phénomène ana- lysé. Pour cela, un certain nombre de conditions doit être rempli. Ainsi, le phénomène doit être bien décrit. Les chercheurs doivent savoir de quoi il s’agit : comment se mani- feste le phénomène, dans quelles conditions il apparaît, etc. Le phénomène doit égale- ment être public, c’est-à-dire reproductible par n’importe quel autre chercheur. Un phénomène qui serait de nature exclusivement privée et qui ne pourrait être répliqué ne peut pas faire l’objet d’une étude scientifique. L’histoire des sciences est intéressante en ce sens qu’elle pourrait être caractérisée, entre autres, par la capacité des chercheurs à développer les conditions techniques ou technologiques propres à mettre en évidence des phénomènes pertinents et à les analyser systématiquement.

La méthode expérimentale est la méthode qui permet d’étudier les causes des phénomè- nes. En psychologie cognitive, c’est la méthode par excellence qui permet d’examiner les différentes causes possibles d’un comportement (i.e., des performances). Elle le fait grâce à deux opérations : la manipulation et le contrôle. La manipulation consiste à tes- ter la relation systématique entre deux variables. L’une de ces variables est manipulée et s’appelle variable indépendante ; l’autre est mesurée et s’appelle variable dépendante.

Par exemple, un psychologue cherchera à savoir si le fait de produire des images men- tales améliore la mémoire (i.e., est la cause des performances mnésiques d’un sujet). Ce psychologue testera (au moins) deux groupes de sujets. Il va demander à l’un des deux groupes de produire des images avec le matériel à mémoriser, tandis qu’il ne le deman- dera pas à l’autre groupe. Il comparera alors les performances des sujets dans les deux groupes. En termes généraux, la méthode expérimentale consiste à modifier certains aspects de l’environnement (e.g., consignes données aux sujets, type de matériel, etc.) et à analyser les conséquences de ces modifications sur le comportement des sujets.

L’autre opération cruciale de la méthode expérimentale est le contrôle des variables dites confondues. Deux variables sont confondues lorsqu’elles peuvent être toutes les deux la cause du comportement analysé. Par exemple, dans le cas de l’effet des images

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Observation et explication en psychologie cognitive

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mentales sur la mémoire, supposons que l’expérimentateur veuille tester 40 sujets dans chaque groupe. Il décide d’affecter les 20 premiers sujets qui veulent passer l’expé- rience dans le groupe « image mentale » et les 20 derniers sujets dans le groupe « non image ». Supposons qu’il observe que le groupe « image mentale » a de meilleures per- formances. Notre psychologue ne saura pas si la mémoire a été meilleure à cause du fait de faire des images ou parce que les 20 premiers sujets étaient les plus motivés (ou les plus anxieux) à avoir de bonnes performances et montrer une bonne image d’eux- mêmes à un psychologue. Les deux variables, image mentale et ordre de passation sont donc confondues. Pour dissocier deux variables, il existe plusieurs procédures. L’une d’entre elle consiste à affecter les sujets aléatoirement dans les conditions expérimenta- les. C’est-à-dire que les sujets peuvent par hasard se retrouver dans l’une ou l’autre con- dition. Il existe bien d’autres méthodes de contrôle utilisables lorsque l’aléatorisation ou la manipulation directe ne peuvent être prises en compte (voir Abdi, 1987). Comme nous le verrons dans les chapitres qui suivent, les psychologues cognitivistes sont sou- vent amenés à utiliser plusieurs techniques de contrôle en même temps.

En résumé, par la méthode expérimentale, le psychologue peut conclure avec confiance que les paramètres (ou les variables) qu’il a manipulés sont la cause du comportement.

Ceci est possible car il s’est assuré de contrôler les autres causes potentielles.

Pour expliquer les phénomènes de la cognition humaine, les psychologues met- tent au point des théories. Les théories ne sont pas toutes équivalente aux niveaux du détail et de la précision des explications qu’elles proposent ou au niveau du nombre de phénomènes expliqués. Certaines théories fournissent des explications précises des phénomènes ; d’autres sont plus vagues. Certaines théories expliquent un ensemble res- treint de phénomènes ; d’autres expliquent un nombre important de phénomènes.

Ainsi, certains psychologues mettent au point des théories dont l’objectif est d’expli- quer la cognition en général (e.g., théorie ACT-R de John Anderson, 1993). D’autres expliquent seulement pourquoi les tables de multiplication comprenant des opérandes de grandes tailles (e.g., 8 × 7) sont plus difficiles que celles comprenant des opérandes de petite taille (e.g., 2 × 3 ; e.g., Ashcraft, 1987).

Il est possible de distinguer trois niveaux de théorisation : le niveau des cadres concep- tuels, le niveau des théories et le niveau des modèles. Le niveau des cadres conceptuels est le niveau le plus général de théorisation. Un cadre conceptuel est un ensemble d’idées ou de postulats qui guident la recherche théorique et empirique. Un cadre con- ceptuel n’est ni vrai ni faux. Il peut être utile ou pas dans la mesure où il fournit des pis- tes d’étude. Par exemple, Lemaire et Siegler (1995) ont proposé un cadre conceptuel pour analyser les stratégies que les sujets utilisent dans une tâche cognitive. Ce cadre conceptuel permet de faire la distinction entre

• le type de stratégie que les sujets utilisent,

• le type de problème sur lequel chaque stratégie est utilisée,

• la vitesse (et la précision) avec laquelle une stratégie est exécutée,

• la manière dont chaque stratégie est sélectionnée.

3.2 Théories et modèles en psychologie cognitive

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C h a p i t r e 1 – La psychologie cognitive présentation générale

Ce cadre conceptuel n’est ni faux ni vrai. Il est seulement utile pour savoir quels aspects stratégiques étudier dans un (ou plusieurs) domaine(s) particulier(s) de la cognition.

Le deuxième niveau de théorisation est le niveau des théories. Une théorie est un ensemble de postulats expliquant un phénomène ou un ensemble de phénomènes. Par exemple, en 1992, Just et Carpenter ont proposé d’expliquer les performances linguis- tiques des sujets par une théorie postulant que ces performances varient en fonction de la quantité de ressources mobilisées pour accomplir une tâche. Une théorie est testable empiriquement. Ceci signifie qu’il est possible de dire dans quelles conditions la théorie est vraie ou fausse. Pour cela, il faut collecter des données et confronter les données aux prédictions dérivées de la théorie.

Le troisième niveau de théorisation est le niveau des modèles. Généralement, un modèle est plus restreint qu’une théorie. Un modèle peut être une instanciation particulière d’une théorie. Par exemple, Lovett et Anderson (1996) ont publié un modèle d’un ana- logue de la tâche des jarres (voir Chapitre 7). Ce modèle est une instanciation particu- lière de la théorie ACT-R (Anderson, 1993 ; voir Chapitre 5). Plus limité que la théorie, le modèle est plus précis. Un modèle dresse la liste complète et détaillée des processus censés intervenir dans une tâche. Un modèle est un modèle de traitement lorsqu’il cher- che à décrire précisément la manière avec laquelle on accomplit une tâche cognitive. Là encore, les modèles diffèrent selon qu’ils rendent compte d’un ensemble restreint ou plus vaste de phénomènes, des performances à une tâche cognitive ou à plusieurs tâches.

Un aspect fondamental sur lequel diffèrent les modèles de traitement est leur caractère computationnel ou non. Certains modèles sont dits computationnels, d’autres sont dits non-computationnels. Un modèle computationnel est un modèle implémenté sur ordi- nateur. Ce type de modèle est en général testé à la fois empiriquement (i.e., avec des données expérimentales) et à l’aide de simulations informatiques. C’est-à-dire que le chercheur fait réaliser à l’ordinateur la même tâche qu’au sujet. Ensuite, il compare les patrons de performances. Si ces patrons sont proches, le modèle est conçu comme une bonne approximation de la manière dont le sujet accomplit la tâche. Bien sûr, les patrons de performances peuvent être les mêmes et la manière d’aboutir à ces patrons différente. C’est pourquoi, un modèle computationnel est testé de multiple manières (e.g., il cherche à reproduire plusieurs effets expérimentaux, à reproduire des effets de même taille que ceux obtenus avec des humains).

Un modèle non computationnel est une description verbale de la manière d’accomplir une tâche. Chaque fois que cela est possible, il est préférable d’expliquer un phénomène avec un modèle computationnel. Les explications sont en général plus précises et détaillées. De plus, un modèle computationnel peut produire des prédictions expéri- mentales nouvelles que des données pourront tenter de falsifier (voir Cleeremans &

French, 1996 ; Content & Frauenfelder, 1996, pour des discussions plus détaillées).

Dans cet ouvrage, nous aurons amplement l’occasion de présenter les deux catégories de modèles et d’illustrer leurs points de force et de faiblesse. Nous aurons aussi l’occa- sion d’aborder un autre type de modèles, les modèles mathématiques qui sont des expressions formelles (non forcément implémentées sur ordinateur) des relations entre variables (e.g., loi de puissance ; e.g., Newell & Rosenbloom, 1981 ; Dulaney, Reder, Stas- zewski, & Ritter, 1998).

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Observation et explication en psychologie cognitive

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3.3.1 Quelles questions ? Quelles mesures ?

Les psychologues cognitivistes cherchent à déterminer comment les sujets accomplissent les tâches cognitives auxquelles ils sont soumis. Dans cette perspective, ils essaient de décrire le plus précisément possible les opérations mentales (ou proces- sus) qui interviennent entre un stimulus et une réponse (i.e., entre une situation et une consigne données et le comportement). Les stimuli proposés (depuis l’apparition d’une simple lumière jusqu’à un problème énoncé sous une forme verbale ou mathématique) et les réponses (entre la simple détection d’une lumière jusqu’à la découverte de la solu- tion d’un problème) sont divers et variés.

Vouloir mettre à jour les processus cognitifs conduit les psychologues à se poser plusieurs questions. Par exemple, combien de processus une activité met-elle en jeu ? Comment fonctionnent ces processus ? Quelles règles décrivent le déroulement des processus ? Quelle est la durée de chaque processus ? Quelles sont les variables qui influencent le déclenchement et le déroulement de ces processus ? Même si l’objectif général des psychologues cognitivistes reste identique (i.e., découvrir par quelle suite d’opérations un sujet accomplit une tâche), la réponse à ces questions varie selon le type d’activité cognitive.

Selon la question de recherche posée et le domaine étudié, le type de tâches utilisées et l’analyse des données sont différents. Ainsi, vous pourriez être intéressé par la rapidité avec laquelle les sujets réagissent à un stimulus sensoriel (e.g., enlever son doigt d’une source de chaleur, freiner brusquement derrière une voiture qui vient de piler). Ainsi encore, vous pourriez chercher à savoir comment un sujet résout un problème ou prend une décision (e.g., jouer ou non à la loterie, acheter telle maison plutôt que telle autre, résoudre une équation différentielle). Dans le premier exemple, il est pertinent d’analyser le temps que met un sujet pour accomplir la tâche (i.e., temps de détection ou de réaction). Dans le second exemple, le choix et les stratégies de résolution permettent de savoir comment un sujet résout un problème ou prend une décision.

Pour analyser les processus mis en œuvre dans des tâches cognitives, les psychologues cognitivistes ont traditionnellement utilisé trois grandes familles de mesures (variables dépendantes) : les taux d’erreurs commises par les sujets, les temps de résolution et les protocoles verbaux. De plus en plus, les psychologues commencent à utiliser les techni- ques d’imagerie cérébrale (voir Chapitre 10). Chacune de ces mesures a fait l’objet d’analyses relativement précises et est utilisée différemment selon

• les processus étudiés,

• les activités cognitives analysées,

• le type de question posée.

Par exemple, les psychologues intéressés par les processus impliqués dans la compréhen- sion du langage utilisent plutôt des temps de latence et les taux d’erreurs. Les psycholo- gues intéressés par la résolution de problèmes utilisent les protocoles verbaux en plus des temps de latence et des taux d’erreur. Les psychologues intéressés par les bases neurona- les des activités cognitives utilisent davantage le niveau d’activation des aires cérébrales.

3.3 Mesures utilisées en psychologie cognitive

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