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Academic year: 2022

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HURLER AVEC LES CHIENS

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Brigitte Piquetpellorce

HURLER

AVEC LES CHIENS

Avec la collaboration de Yveline Brière

et

Danielle Pampuzac

H A C H E T T E / C A R R E R E

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@ Hachette Livre (Hachette Pratiques) / Carrère, 1995.

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À Brigitte Bardot, Mary Brégeault, Catie Brulfer et Jacqueline Faucher.

Et Tiphaine, Marie, Lucie, Margaux et Louis pour l'espoir.

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« La vraie bonté de l'homme ne peut se manifester en toute pureté et en toute liberté qu'à l'égard de ceux qui ne représentent aucune force. Le véritable test moral de l'humanité (le plus radical, qui se situe à un niveau si profond qu'il échappe à notre regard), ce sont les rela- tions avec ceux qui sont à sa merci : les animaux.

Et c'est ici que s'est produite la faillite fondamentale de l'homme, si fondamentale que toutes les autres en décou- lent. »

MILAN KUNDERA

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I

L'ÉVEIL D'UNE CONSCIENCE

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1.

Vendy

Depuis une semaine, Andrée Sanchez ne sort plus. Cloîtrée dans son petit appartement de Saint-Marcel, près de Narbonne, dans l'Aude, elle ne peut plus se déplacer... Vendredi dernier, on lui a volé sa seule compagne, son seul sou- tien : Vendy, sa chienne.

Le Parisien 8 mars 1991 Mme Sanchez avait environ vingt ans lorsqu'elle est devenue aveugle. Pendant quelque vingt autres années, interminables, plongée dans le monde de la nuit des non-voyants, elle a connu ce quotidien plein d'em- bûches dans lequel, à l'aide d'une canne blanche tâton- nante, il faut essayer de vivre auprès de ceux qui voient normalement. Jusqu'au jour où, en 1985, l'Ecole des chiens-guides de Vincennes lui a fourni Vendy, une femelle labrador à poils clairs, douce, obéissante et gentille, éduquée en vraie professionnelle.

Vendy, en effet, est un chien dressé pour accompa- gner les aveugles. Sélectionnée dans une portée de chiots, elle a été placée pendant un an dans une famille d'accueil qui lui a enseigné la sociabilité. Quand elle a eu un an, elle est allée au Centre des chiens-guides

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où elle a reçu une formation spécifique afin d'être don- née à un non-voyant par une association pour aveugles.

C'est ainsi qu'elle arrive chez Mme Sanchez, dans une maison de village de deux étages, en bordure de la nationale. Il n'y a pas de jardin. L'appartement est au premier. Il faut descendre quatre marches pour sortir la chienne sur le carré de terre qui entoure l'arbre le plus proche ou sur l'espace qui sert de parking aux voitures le long du trottoir. Ce n'est pas le grand confort. Simplement un monde de petites habitudes répétitives et sans surprise.

Sans surprise ? Voire... Ce matin du 1 er mars 1991, la maîtresse de Vendy, comme chaque jour entre 7 h 45 et 8 h 15, descend sa chienne à laquelle elle ne met pas de harnais pour une aussi courte promenade. Elle s'étonne soudain de ressentir une secousse inattendue sur la laisse qui pend, maintenant, légère, au bout de son bras. Elle pense que le mousqueton, mal fixé, s'est décroché. Il pleut. Vendy va se dépêcher de faire ses besoins et revenir. Elle l'appelle. Se penche pour la caresser. Tâtonne. Sa main ne touche que le vide. Pas de Vendy. Il faut se rendre à l'évidence. Cette chienne, qui pas une seule fois n'a désobéi depuis six ans, n'a pas pu s'enfuir. Elle a été volée.

Mme Sanchez s'affole, appelle à l'aide. Des voitures passent. Il y a beaucoup de circulation. Personne ne lui prête attention. Et seule, comme elle peut, elle remonte dans son appartement pour téléphoner aux gardes municipaux. Elle est très connue à Saint-Marcel. Une femme avec un chien d'aveugle ne passe pas inaper- çue ! On lui adresse la parole, on caresse son chien, c'est parfois irritant mais, au moins, lorsqu'il arrive quelque chose, les secours s'organisent vite : battues dans les vignes, recherches auprès des gardes des vil- lages et des mairies dureront toute la journée. Pas de Vendy. Elle s'est volatilisée.

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Le lendemain matin, de plus en plus désemparée, Mme Sanchez téléphone à Sylvie Fabre, présidente de la filiale SPA de l'Aude. La veille, en désespoir de cause, elle a prévenu la presse. Des appels lui sont déjà parvenus, dont celui d'une femme qui prétend avoir ramené une chienne qui pourrait être Vendy à la SNPA de Narbonne. Sylvie Fabre m'appelle pour me deman- der d'aller la récupérer. Après contrôle, cette infor- mation, comme bien d'autres, se révélera erronée.

Quant à moi, me voilà lancée à la recherche de Vendy. Scandalisée, une fois de plus, par ce dont les êtres humains sont capables. À cette époque, je suis encore marionnettiste. J'ai quitté Paris depuis 1976 pour habiter l'Aude, puis Tahiti où je suis restée cinq ans, et de nouveau l'Aude en 1987. Depuis, parallèle- ment à mon métier, je me consacre de plus en plus, en bénévole de la SPA, à la répression des trafics d'ani- maux.

Chaque jour des animaux domestiques de toutes races et de tous âges sont volés, revendus ou tués, tor- turés dans des laboratoires expérimentaux de vivisec- tion. Mais le vol d'un chien d'aveugle, je n'avais pas encore connu ce cas ! Ces chiens, une fois éduqués, valent jusqu'à soixante mille francs. Tatoués, ils sont placés par des associations qui les connaissent. Il est donc impossible de les revendre en douce, à un autre aveugle. Reste la possibilité d'une vente à un labora- toire. Les labradors sont très demandés par la recherche. Ce sont en plus des chiens dociles qui se laissent emmener facilement. Pourtant, j'imagine mal un laboratoire prendre le risque de racheter un animal aussi rapidement identifiable qu'une chienne d'aveugle tatouée !

Je me raccroche à cet espoir et, pour rendre Vendy encore plus reconnaissable et faire cesser toute velléité de revente, je m'efforce de mobiliser la presse régio- nale et nationale. Un article paraît dans L'Indépendant

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et la propriétaire de la chienne reçoit une multitude d'appels téléphoniques qui la réconfortent un peu.

D'isolée, elle devient, brusquement, une sorte de vedette, au centre d'un réseau de solidarité.

Je me rends chez elle pour l'aider à remplir une plainte contre X que je porterai au procureur de la République afin qu'il ordonne une ouverture d'infor- mation et mette les gendarmes sur cette affaire. Elle habite un coquet appartement, impeccablement tenu, joue du piano et exécute de jolis ouvrages au crochet, avec des couleurs vives qui me stupéfient. Je devrais dire elle exécutait, car aujourd'hui il lui semble, me dit-elle, qu'elle a « perdu la vue une seconde fois ». Et elle me montre tristement le lit de camp, désormais vide, sur lequel dormait sa chienne. La veille sur mes conseils, elle s'est rendue avec des amis à la gendar- merie de Ginestas pour déposer plainte. Elle n'y a pas été très bien reçue, mais elle ne perd pas l'espoir de retrouver cette compagne autour de laquelle sa vie s'était si bien organisée.

Je réussis à lui obtenir une interview sur Radio-Nar- bonne, pendant les informations. Le lendemain, je télé- phone au directeur de l'École des chiens-guides, afin qu'il établisse une attestation du prix élevé de Vendy que je joindrai à ma lettre au procureur. Déjà au cou- rant de l'affaire, le directeur est bouleversé car il reste très attaché aux chiens qu'il a formés.

Plainte et avis de recherche lancés par les médias ne suffisent pas. Vendy reste introuvable. Il faut passer à l'action très vite. Une des pistes possibles sont les camps de gitans de la région. Tous les gitans ne sont pas des voleurs de chiens, mais cette fois l'enquête mène chez eux. D'ailleurs, le mari d'une amie non- voyante de Mme Sanchez s'est déjà rendu, accom- pagné d'un gendarme, chez un gitan qui demeure à Coursan. Celui-ci détiendrait un chien correspondant au signalement de notre disparue. Lorsqu'ils arrivent,

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ils découvrent un pauvre animal attaché qui ne cesse de pleurer. Il ressemble à Vendy mais ce n'est pas elle.

L'homme dit l'avoir « ramassé » il y a trois jours. Il ne sera pas inquiété pour autant.

Je décide d'aller, avec les bénévoles de la SPA locale, à la cité des Platanes, un camp permanent mis à la disposition des gitans par la ville de Narbonne. Et je me rends chez le responsable de leur Mouvement catholique. En fait, il est un peu le chef de tribu, la référence morale. Lorsque nous arrivons, cet énorme bonhomme, très sympathique, nous propose d'entrer chez lui prendre un verre avec sa famille réunie. Je lui raconte notre histoire en prenant des précautions afin d'éviter tout malentendu. Nous n'accusons personne, bien évidemment, mais je sais qu'il y a, dans son camp, un certain nombre d'individus, dont je lui fournis les noms, qui se livrent au trafic de chiens. La conversa- tion, chaleureuse, sera interminable ! Bien sûr, les gens du camp sont d'une honnêteté irréprochable... Bien sûr, il nous aidera pour Vendy dont nous lui laissons la photo, en promettant quand même une récompense de cinq mille francs à qui la retrouvera. Juste avant notre départ, après s'être étendu sur les enfants qui ne veulent pas aller à l'école et les difficultés d'intégra- tion, il nous avouera que, parfois, certains éléments sont incontrôlables !

Avant de rentrer chez moi, je dépose la plainte de Mme Sanchez chez le procureur et j'en informe Me Ferré, avocat au siège de la SPA à Paris qui lancera un appel à témoin. Tout le monde se mobilise. Ce jour- là, grâce à Dany Saval, alors vice-présidente de la SPA, nous obtenons une annonce sur FR3 Régions, à 19 h 30. Je téléphone à Jean-Marc Aubert, un vrai jour- naliste d'investigation avec lequel j'avais travaillé sur une affaire de vol de chevaux. Je lui demande de faire un article dans l'édition de l'Hérault du Midi-Libre, car il est très fréquent qu'un animal volé soit immédiate-

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ment transféré dans un autre département. À partir de ce moment-là, les articles se multiplient : dans La Dépêche, Le Midi-Libre, Libération... En même temps que les médias, le téléphone se déchaîne. Les appels arrivent de toute la France, cette fois. Un immense élan de solidarité et d'indignation nous permet de recueillir nouveaux témoignages et nouvelles plaintes, et d'affir- mer dans la presse que le trafic des chiens existe, hélas, bel et bien.

Je téléphone de nouveau à la gendarmerie de Gines- tas pour signaler d'autres cas. Celui de Mme Lefort, une habitante de Moussan qui, dans son jardin, a sur- pris un gitan essayant d'attirer son chien avec un mor- ceau de viande. Et celui d'une dame de Narbonne qui a vécu une mésaventure similaire. Le signalement de l'homme, les deux fois, semblerait être le même. Les gendarmes de Ginestas me renvoient sur les gendarmes de Narbonne qui « notent ». En désespoir de cause, je contacte les douanes allemandes, belges et suisses, et je leur communique le numéro de tatouage de la chienne. J'appelle même une radiesthésiste de Tou- louse qui a téléphoné à Mme Sanchez. Je découvre alors que beaucoup de personnes, lorsqu'elles sont dés- emparées et ne savent plus à qui s'adresser, consultent des radiesthésistes. C'est souvent le cas lors de la dis- parition d'animaux familiers dont, il faut bien le dire, il n'est pas encore fait grand cas en France.

Cette radiesthésiste a besoin d'objets ayant appar- tenus à Vendy pour la retrouver. Nous lui envoyons son lit de camp et son harnais. Et, avec quelques amis, nous tentons toute la soirée de localiser un gitan qui correspondrait au signalement de l'homme que des témoins ont aperçu. Rien, pas de trace. Mais tous les gitans de la région sont maintenant alertés. La dispa- rition de Vendy ne peut plus passer inaperçue et une forte récompense sera versée à celui qui la ramènera.

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Les appels téléphoniques se multiplient. Les gens croient voir la chienne partout, y compris à Rodez. La radiesthésiste, quant à elle, ne la voit pas et nous cer- tifie qu'elle est morte. Elle nous indique un endroit précis, à Saint-Marcel, et nous passons la matinée à chercher le corps. La description du lieu est exacte : poteau télégraphique, numéro de la départementale, cuve... mais pas de Vendy. Rappelée, la radiesthésiste nous affirme alors que le corps se trouve, cette fois, à 3,6 km de Saint-Marcel, juste après la citerne d'eau, près d'un bouquet d'arbres calcinés. Nous nous y ren- dons. Toujours rien.

En fin de matinée, Jean-Marc Aubert me téléphone.

Il veut voir Mme Sanchez pour faire un autre article et nous nous donnons rendez-vous à 14 heures chez elle. Je passe par Canet, Ventenac et je prends la petite route qui conduit à Saint-Marcel, le long du canal. Peu de voitures empruntent cet itinéraire. Je croise un four- gon de gitans.

Le journaliste m'attend devant la maison, nous mon- tons ensemble, nous sonnons. Mme Sanchez nous tombe dans les bras. Elle est en larmes. Des jeunes filles qui se promenaient dans les vignes, à côté, ont retrouvé Vendy et viennent de la lui ramener, complè- tement groggy mais bien vivante, au bout de onze jours de disparition, et à la veille de ses sept ans.

Qu'a-t-elle subi ? A-t-elle été assommée, comme c'est le cas pour beaucoup de chiens kidnappés, ou droguée avec des somnifères. Où l'a-t-on cachée ? Les coussinets de ses pattes ne sont pas usés et elle n'est pas crottée alors qu'il a plu tous les jours.

Quel sort aurait-elle connu si sa personnalité n'avait pas permis de faire ce battage autour d'elle ? Quoi qu'il en soit, Vendy, comme tous les chiens volés que l'on parvient à retrouver, se remettra très mal du trauma- tisme provoqué par l'enlèvement. Elle a maigri de

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treize kilos, fait une forte dépression constatée par le vétérinaire, puis des crises d'eczéma.

On ne répétera jamais assez que le chien est l'un des animaux les plus sensibles qui soient. Capable de tout comprendre et de nous aimer jusqu'à en mourir. Et, lorsque Vendy, en cet après-midi du 12 mars, dans une espèce d'état comateux, fit des fêtes de somnambule à sa maîtresse, nous nous mîmes, tous, à pleurer.

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2.

Enfance, adolescence et marionnettes

J'ai choisi d'ouvrir ce livre en racontant d'abord l'enlèvement de Vendy parce que ce drame est exem- plaire, à bien des égards. Entre autres quant à nos pos- sibilités d'intervention contre les trafics d'animaux.

Le cas de cette chienne a été simple à résoudre car l'animal était tatoué et « repérable », donc difficilement négociable. Son sauvetage confirme néanmoins qu'une action est souvent possible pendant les quelques jours qui suivent la disparition. Nous avons donc raison de ne pas renoncer. Même si, pour être mené à bien, notre travail exige l'aide de la SPA, de la justice, des médias... et beaucoup de temps.

Quelle nécessité me poussait vers un combat qui n'avait rien à voir avec mon métier de marionnettiste que j'adorais ? À grignoter de plus en plus sur le temps que je lui consacrais ? À envahir, bien au-delà du rai- sonnable, mes quelques heures de liberté ? Et, enfin, à m'investir à un point tel que je serai amenée, un an plus tard, le 1er janvier 1992, à plier définitivement mon castelet, à ranger mes marionnettes et à m'enga- ger, comme salariée, à la SPA, pour créer une cellule anti-trafic ?

Depuis ma plus petite enfance, j'ai aimé me donner sans compter à l'extérieur. Sans doute parce que,

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malgré de longs moments d'accalmie, tout n'était pas facile à la maison.

Je suis née le 10 septembre 1948, à Argenteuil. Mon père est chauffeur de bus à la RATP. Ma mère travaille comme secrétaire. Je suis une enfant désirée, cependant mes parents auraient préféré un garçon.

Maman est d'un milieu rural. Mon père est le fils d'un aristocrate déshérité parce qu'il a épousé une ouvrière d'usine qui mourra jeune. Mon père n'a alors que quatorze ans. Il ne lui reste plus qu'à se débrouiller tout seul. Je crois qu'il a beaucoup souffert. Je le trou- vais beau, décontracté. Avec le temps, il est devenu inquiet, pessimiste ; mais ce qui nous rapproche, c'est son amour des enfants et des animaux. Je mettrai long- temps à m'en rendre compte et à réaliser que je lui ressemble beaucoup.

J'ai quatre ans et demi lorsque naît Patrick, mon petit frère. Onze ans pour la naissance de Gilles. Dix-sept pour celle de Philippe. Et dix-huit pour Corinne.

Mes parents avaient entre eux des problèmes assez sérieux. Je voulais protéger ma mère. Je l'adorais. Mon père, alors chauffeur d'autocars, sillonnait les routes d'Europe, et s'absentait souvent. Sauf pendant les quelques mois qui ont suivi la naissance de mes frères et sœur, ma mère a toujours travaillé à l'extérieur. La charge des enfants et de la maison, tenue de façon impeccable, expliquent probablement les problèmes nerveux dont elle souffrait. Je l'ai souvent vue pleurer.

Alors, je me sentais responsable d'elle. Responsable du monde entier, d'ailleurs. Ce qui n'est pas facile à vivre ! Je suis devenue très tôt adulte.

Le climat oppressant qui règne à la maison s'accentue avec la naissance de mon petit frère Patrick. D'un carac- tère turbulent, il fait beaucoup de bêtises. Des bêtises d'enfant, certes, mais que maman supporte de moins en moins bien. Ses colères deviennent de plus en plus fré- quentes. Elles m'effraient d'autant plus que, comme

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c'est généralement le cas pour les gens soupe au lait, une fois la colère passée, elle n'en parle jamais.

On ne discute pas des vrais problèmes à la maison.

Ni avec ma mère, ni avec mon père, pourtant gentil et patient. Il joue avec nous mais reste distant, comme s'il avait sa propre vie en dehors de la nôtre. C'est ainsi que je me suis peu à peu renfermée. Que j'ai pris l'habitude de serrer les dents et de me taire. Que ce soit dans ma famille ou avec mes camarades de classe.

J'écoute les difficultés des autres et j'essaie de les aider a les résoudre. En revanche, je ne me raconte pas. « Bri- gitte est une petite fille très gentille, disait ma mère, propre, obéissante, serviable... » Il m'apparaît maintenant qu'en effet, comme beaucoup d'aînées, j'ai été une petite fille « trop gentille ».

Je crois que mes parents, comme tant d'autres couples, n'étaient pas faits pour s'entendre et qu'ils auraient dû divorcer bien avant. J'ai trente ans lorsqu'ils s y décident enfin. Ma mère garde ses deux plus jeunes enfants, qui ont alors treize et quatorze ans. Mes parents sont restés en bons termes. Ils s'aimaient, malgré les difficultés. C'est, sans doute, cette entente impossible, malgré leur amour, qui rendait ma mère aussi irascible lorsque nous étions enfants. J'ai, aujourd'hui encore, beaucoup de difficulté à m'entendre avec des personnes qui ont un tel caractère. Ma mère raconte que j'étais une petite fille boudeuse. « Responsable de tout », je prenais simplement tout à cœur. Et je continue.

Déjà, je suis à la fois secrète et apparemment extra- vertie. J'aime m'enfermer dans ma chambre où j'aligne mes poupées pour jouer à la maîtresse d'école. Je n'ai jamais joué aux jeux des autres fillettes. Je ne me sou- viens d'aucune poupée en particulier, mais seulement de Jean-Jacques, un gros nounours de quelque cinquante centimètres, au poil bien ras, bien usé, avec lequel je dors. Sortie de cet univers, j'aime au contraire les jeux de garçon. Et, si je ne me souviens d'aucune de mes

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poupées, je n'ai pas oublié en revanche un petit vélo bleu que j'avais reçu pour Noël. Un vrai bonheur. Un moyen de dépenser mon énergie. Comme les patins à roulettes. Je suis un véritable casse-cou. Je prends tous les risques. Mais, là encore, en responsable. Raison- nable, je ne fais pas de bêtise.

Ma mère, une belle femme élégante, aurait sans doute aimé jouer à la poupée avec moi, me mettre de jolies robes, me coiffer. Mais je suis un véritable garçon manqué et je ne me sens à l'aise qu'en pantalon.

Je dois avoir onze ans lorsque mon père ramène une chienne noire à la maison. Dora, un labrador croisé.

Nous habitons alors un joli pavillon à Bezons dans la banlieue parisienne. Maman vient de mettre Gilles au monde et papa déploie beaucoup d'efforts pour la convaincre de garder Dora.

À cette époque, l'animal n'occupe pas encore la place qu'il a dans la société actuelle. La télévision ne lui consacrait aucune émission comme Trente Millions d'amis, par exemple. Et il y avait très peu de chiens, de chats ou de cages d'oiseaux à Bezons. Mon père a déjà fait plusieurs tentatives malheureuses pour que nous adoptions un animal. Dont une avec un jeune ber- ger allemand. Je me souviens encore de son odeur de chiot, très particulière. Il ressemblait à un gros nou- nours aux poils doux qui faisait pipi partout dans la cuisine. Nous avons passé, mon frère et moi, une partie de la journée à le câliner et à jouer à la balle avec lui.

Le soir, ma mère nous annonçait qu'elle ne le garderait pas. Trop de travail.

Pourtant, elle accepte Dora à condition qu'elle soit attachée et qu'elle ne court surtout pas dans notre bout de jardin fleuri « qui lui donne déjà assez de mal comme ça ». Mon père a construit dans le jardin une espèce de cabane à trois côtés pour ranger ses outils et nos bicyclettes. Ce lieu devient la maison de Dora. Ma

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mère s'occupe de tenir propre cet endroit et d'apporter a manger à la chienne. Leurs rapports s'arrêtent là.

Moi, je vais lui faire des câlins, ce qui ne plaît pas trop a maman qui prétend qu'une chienne attachée devient méchante. Sottement, j'ai laissé faire. Je n'osais pas la détacher. Ni aller la voir trop souvent. J'étais une bonne petite fille « obéissante » !

Et puis, un jour, en rentrant de l'école, nous décou- vrons une portée de chiots pendus aux mamelles de Dora. Un vrai miracle ! La porte de notre jardin reste parfois ouverte, lorsque nous allons jouer dans la rue bordée de pavillons. Un chien a dû entrer.

Malheureusement, ce petit miracle est de courte durée. Notre mère prie papa de la débarrasser de Dora et de sa portée de chiots. Quelques jours plus tard, toujours en rentrant de l'école, c'est l'envers du miracle. Dora et ses chiots ont disparu. Je m'enferme dans ma chambre pour pleurer. Et là, mes souvenirs se brouillent. Je me suis sans doute efforcée de ne plus trop repenser à cette étrange peine qui a dû, à mon insu, déterminer beaucoup de choses de ma vie d'adulte. Mais, à cette époque, nous n'avons plus reparlé de Dora. Mes parents en avaient décidé ainsi.

Une décision de parents ne se discute pas.

Vers treize ans, mon caractère change. Moi, le chef de ma classe et de ma bande, qui aime tellement la vie en groupe à l'extérieur, je deviens timide au point que, parfois, lorsque je prends le métro, je descends de la rame si quelqu'un me regarde. Aujourd'hui, je ne par- viens à me souvenir d'aucun fait marquant qui aurait déclenché ce phénomène. Simplement, à la maison, la tension atteint alors son paroxysme. Je me replie sur moi-même. Et je me mets à écrire. Des poèmes, pour commencer.

Je me sens de plus en plus différente de mes copines de classe. Elles deviennent frivoles, se maquillent et

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