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Cher. Pont de Sauldre. Cher. Sauldre. Canal. Romorantin

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Romorantin projet de part et d’autre de la Sauldre

Sauldre

Canal Romorantin-Villefranche

Pont de Sauldre

Canal

chemin vers Amboise par Montrichard Cher

Cher

Cher

Feuillet 336 v-b [920 r]

du Codex Atlanticus

(2)

Les projets de canalisation français de Léonard

Pascal Brioist et Romano Nanni

E

N JANVIER 1518, François Ier alloua “ 4000 livres d’or pour faire la rivière de Sauldre navigable depuis Romorantin jusqu’au lieu où elle tombe en la rivière du Cher ”1. Il n’est pas du tout impossible que cette manne ait été destinée à couvrir les besoins d’un projet pris en charge techniquement par Léonard de Vinci. De fait, la tâche de Léonard à Romorantin était dou- ble : construire un ensemble palatial parfait jouxté de quartiers pour la Cour mais aussi faire respirer économiquement la ville grâce à un réseau de canaux la désenclavant. Dans le Milanais, déjà, Léonard avait pu se rendre compte de l’immense intérêt écono- mique de rivières canalisées parcourues de péniches chargées de produits et de denrées. Ainsi calculait-il alors qu’une “ barque ” de 42 “ brasses ” de long sur 7 de large coûtait 25 ducats mais en rapportait 125 000 par an2.

Penser la ville nouvelle de Romorantin comme un grand qua- drilatère traversé par un axe aquatique, parcouru de canaux se- condaires et entouré de fossés sur lesquels se concentrait l’activité proto-industrielle était peut-être une réminiscence des situations qu’il avait connues de l’autre côté des Alpes, à Milan par exemple ou encore à Bologne. Cependant, le projet était sans doute bien plus ample que cela dans la mesure où il s’ancrait dans un grand dessein royal, dont participe par exemple de façon complètement contemporaine la construction du Havre de Grâce en Norman- die. Il ne s’agissait de rien moins que d’un dessein visant à donner au centre de la France la dimension d’une région à forte activité économique digne d’accueillir la Cour. L’histoire commença ce- pendant en Italie.

Les prémices italiennes, un bref parcours

Les intérês pour l’hydraulique de Léonard de Vinci sont bien connus. Ils ont beaucoup à voir avec la tentative d’une systémati- sation théorique partant du corpus d’Archimède, qui n’est jamais chez le Toscan tellement éloignée d’un souci d’applications prati- ques et concrètes3. L’ingénieur trouve en Italie du nord, plus qu’en Toscane, un régime hydrographique largement modelé par les nécessités fonctionnelles des transports et des échanges par voies

1 Recette Générale des Finances en Languedoil et en Guienne, Paris, Archives Nation- ales, K.K. 389, ff. 260 et 273, document cité par Carlo Pedretti en Leonardo da Vinci:

the Royal Palace at Romorantin, Cambridge ( Massachusetts ), 1972, p. 130.

2 Cf. Codex Atlanticus ( Milan, Biblioteca Ambrosiana ), f. 361 r-b ( actuellement 1007 )

3 Cf. Marshall Clagett, Leonardo da Vinci and the Medieval Archimedes, dans «Phy- sis», XI ( 1969 ), pp. 100-151.

navigables. En fait, le territoire septentrional était doté depuis plus de deux siècles d’un réseau de canaux voués à relier aisément Mi- lan et les pré Alpes, par exemple grâce au Naviglio Grande ( grand canal ) qui tirait ses eaux du Ticin. D’autres voies d’eau furent pro- gressivement ouvertes : la liaison entre l’Adda et la région méri- dionale se trouvant autour de Lodi, une autre liaison entre Novare et la vallée médiane du Ticin, et une autre encore entre les fleuves Dora et Sesia, qui courraient en dessous d’Ivrea ( le Naviglio d’Ivrea cité par Léonard ).

L’intérêt de Léonard pour l’eau et les fleuves lombards – et en particulier pour l’Adda – se développe sur un arc chronologique de plus d’un quart de siècle. Né dans les années 1490 à Milan, il fut interrompu par ses études sur la déviation de l’Arno, dans les an- nées 1504-1505 et après cet épisode par ses travaux d’assèchement des marais pontins. Les recherches du maître sur l’Adda renvoient également à l’élaboration de systèmes de mesure de l’action éro- sive de l’eau, tels ceux mis au point à propos des “ bouches d’eau ” du canal ou tels ce compteur d’eau projeté et construit pour Ber- nardo Rucellai. Dans certains de ses célèbres projets d’urbanisme, Léonard fait usage de ses réflexions sur la fonction de l’eau et sur les régimes hydrauliques. Il y a recourt d’une part dans les croquis du Manuscrit B ( 1485-1487 ) concernant une cité organisée sur deux niveaux ( cette fameuse “ cité idéale ” en la définition de laquelle la critique historique ne croit plus guère aujourd’hui ), d’autre part dans les études qu’il consacre au Palais Royal de Ro- morantin sur les rives de la Sauldre en 1517-1518.

Arrêtons-nous donc quelque instants sur les relations qu’entre- tenait Vinci avec la Lombardie4. A la fin des années du Manuscrit B, Léonard avait imaginé de pouvoir alimenter les canaux venant arroser sa cité à deux niveaux en dérivant l’eau nécessaire depuis l’Adda. Des années plus tard, dans le Manuscrit H ( 1493-1494 ), Léonard s’occupe du Canal de la Martesana, essayant de calcu- ler les estimations de coûts ( ce fut un échec ) d’une excavation nécessaire à un canal long de trente milles et large de 18 brasses.

On a souvent pensé que ces pages et d’autres passages qui leur sont liés dans le même Manuscrit H ainsi que dans le Manuscrit Forster, pouvaient être mis en relation avec le Canal de la Marte- sana. Ce canal, avant 1471, avait été rendu navigable entre Trezzo d’Adda et Milan : mais, à la date des mises au point de Léonard, il ne devait pas encore être relié par le canal interne à San Marco

4 Cf. l’efficace synthèse de Pietro Cesare Marani, L’Adda nelle carte e nei disegni di Leonardo, dans L’Adda trasparente confine, par A. B. Mazzotta, G. L. Daccò, Oggiono, 2005, pp. 187-205.

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puisque ceci fut réalisé en 1496 sous la direction du questorem Gas- conum. Léonard aurait du par conséquent prolonger le “ Naviglio ” afin d’atteindre les fossés du Château des Sforza et le parc ducal.

La critique la plus récente tend de surcroît à exclure l’hypothèse d’une activité de Léonard concernant à cette date le canal de la Martesana. Un autre dessin du Manuscrit H évoque un canal qui court dans une galerie, que l’on met fréquemment en relation avec le Canal de Paderno d’Adda. On l’a récemment plutôt identifié aux projets léonardiens de canaux souterrains urbains liés à l’idée de ville idéale5.

Léonard se pencha à diverses reprises sur des questions relatives à l’Adda, à la Martesana et aux lacs lombards : depuis les problèmes liés à la récupération des eaux d’irrigation tirées de l’Adda et de ses canaux jusqu’aux études sur le perfectionnement d’écluses flu- viales en passant par des idées d’agrandissement de la Villa Melzi avec façade donnant sur des canaux.

Les paysages de l’Adda furent ainsi l’objet tardif de visions d’amé- nagement du territoire, dignes développement de cette ébauche que l’on découvre sur la célèbre vue de Montevettolini et de Monsummano, dans la vallée de l’Arno, réalisée en 1473.

La question de la participation de Léonard au débat sur l’Adda et aux projets de rendre navigable son cours supérieur par la créa- tion d’un nouveau canal, celui de Paderno d’Adda, mérite une mention particulière. Le canal de la Martesana a été réalisé trop en aval du fleuve pour être véritablement utile et le tronçon du fleuve situé plus au nord était resté impropre à la navigation. L’idée de contrôler le cours turbulent de l’Adda par un nouveau canal commença probablement à être caressée par Léonard à la suite de ses études sur la déviation de l’Arno. Toute une série de dessins du Codex Atlanticus des années 1508-1513 dans lesquels Léonard fait référence aux intentions du Roi de France, qui à cette époque était Louis XII, pourrait avoir été à l’origine du projet, ensuite promu et financé par François Ier entre 1516 et 1520, de rendre l’Adda navigable par le creusement du canal de Paderno d’Adda.

Carlo Pagnani a rendu compte en détail de ces divers projets et des réalisations connexes dans son Decretum super flumine Abduae reddendo navigabilii, publié en 1520. On a rédigé récemment un index raisonné de tous ces dessins léonardiens. Il s’agit de relevés des territoires et de l’aire hydrographique concernée, de calculs et de projets d’excavations, de prédispositions accessoires et de tra-

5 Cf. Gianni Beltrame, Leonardo, i navigli milanesi e i disegni Windsor RL 12399 e Ms H f 80 r, dans «Raccolta Vinciana», XIII ( 1987 ), pp. 271-289.

vaux de chantier, d’études de problèmes particuliers comme celui de l’écluse aux “ Te Corni ” destinés à compenser les décalages de niveau entre les voies d’eau ou encore de l’écluse destinée à faire glisser les embarcations depuis l’Adda jusqu’au nouveau canal. La critique a retenu par le passé que ces feuillets et d’autres du même genre indiquaient une implication directe de Léonard dans le pro- jet final du canal de Paderno, présenté officiellement au respon- sable des approvisionnements Giovanni Azzone Regna le 14 no- vembre 1519. Cependant, des vérifications récentes ont retenu qu’il s’agissait là d’une hypothèse bien improbable dans la mesure où le nom de Léonard ne figure jamais parmi les individus que la com- mission des ingénieurs a chargé, avec Carlo Pagnani, de contrôler les travaux6. De plus, le rapport de Pagnani ne mentionne jamais Léonard non plus que ses idées, même si la première hypothèse de la commission concernant le tracé du canal ait été assez identique à celle avancée par ce dernier. Les noms et les toponymes qui ap- paraissent dans les feuillets mentionnés – comme celui du “ canal de brivio ” ou du moulin de Travaglia, évoquent en outre diverses autres questions, comme celles relatives à l’exploitation des canaux milanais pour des ateliers proto-industriels utilisant l’énergie hy- draulique, auxquels Léonard d’intéressait beaucoup par ailleurs.

Pour une évaluation attendue de la présence française de Léo- nard – question qu’il faudra affronter comme celle d’un épisode important de circulation non seulement d’idées architectoniques mais encore de connaissances techniques – il faudra dans le fu- tur parcourir de nouveau en détail les questions que nous venons d’évoquer, notamment celle, complexe, des études sur l’Arno et de l’hydraulique de la Toscane, afin de vérifier les affinités et les dif- férences qu’impliquent l’application de la réflexion à des régions hydrographiques diverses et l’appel à des traditions techniques lo- cales. Dans cette perspective, il nous faut à présent resituer dans son contexte français le travail de Léonard sur les canaux. [R.N.]

Les canaux en France au temps de Léonard

Au moment où Léonard de Vinci arriva dans le royaume de Fran- ce, la navigation fluviale n’était pas encore très élaborée. La Bour- gogne et la péninsule italienne se trouvaient, dans ce domaine, bien plus en avance. L’aménagement de voies navigables relevait alors de maîtres d’eau au service des corporations marchandes.

6 Cf. Gianni Beltrame in Carlo Pagnani, Decretum super flumine Abduae reddendo navigabili. La storia del primo naviglio di Paderno d’Adda ( 1516-1520 ), par G. Beltrame, P. Margaroli, Milano, 2003, pp. 65-69 et passim.

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Il avait pour enjeu le transport de masse en région de plaine, procédé vital pour les grands projets économiques. La difficulté était cependant encore de concilier la navigation et les barra- ges nécessaires aux moulins, qui faisaient obstacle au passage des bateaux. De tels ouvrages créaient en effet des étendues d’eau calme, voire stagnante en leur amont, et des cours d’eau tumul- tueux en leur aval. Les meuniers français eurent dès le XIVème siècle l’obligation, de ménager des pertuis dans leurs barrages.

On constata vite que l’ouverture de ces portes éclusières produi- sait un courant d’eau durable vers l’aval susceptible d’accélérer la circulation des navires dans tout le bief ( zone comprise entre deux moulins ) : cette technique dite de navigation par éclusée fit du transport fluvial un moyen rapide pour véhiculer des pondé- reux. Dans cette perspective, en 1415, Charles VI signa des lettres patentes pour autoriser les prévôts des marchands à entretenir la rivière Ourcq. En 1455 l’Eure fut équipée de portes éclusières entre Nogent et Chartres. Il ne semble cependant pas qu’il y ait eu en quelque endroit du royaume que ce soit de ces écluses à sas dessinées par Léonard. L’évolution entre porte éclusière et écluse à sas qui permettait à plusieurs bateaux de transiter simultané- ment et surtout de passer des dénivelés de plusieurs mètres grâce à des échelles d’écluses ne se fit en effet qu’à la fin du XVème siècle en Italie du Nord.

Vers 1500, la couronne de France avait cependant besoin de puis- sants réseaux de canaux, ceci en raison de la situation géographi- que du Pays. En effet, le transport par voie de terre était coûteux et mal aisé et la navigation commerciale depuis la Méditerranée jusqu’aux rivages atlantiques exigeait le contournement de l’Es- pagne, ce qui pouvait être dangereux en temps de guerre. L’idée que les réseaux hydrographiques de la Loire, de la Garonne et du Rhône pouvaient être interconnectés avait de quoi séduire.

Une première hypothèse suggérait de relier le réseau Rhône- Saône au réseau Loire-Cher-Allier, sachant qu’au Nord de Lyon, il n’y avait que quelques dizaines de kilomètres entre la haute Loire et la Sâone. Pour raccourcir le trajet, on pouvait imaginer de relier la Loire à la Sauldre, affluent du Cher aux alentours de Romorantin. Des constructions d’écluses avaient d’ailleurs déjà été entreprises sur le Cher à Vierzon en 15107.

7 Cf. Paul Gauchery, Le livre d’heures de Jehan Lallement le jeune, Seigneur de Marmagne, dans «Mémoires de la Société des antiquaires du Centre», XXXII ( 1910 ), pp. 342-346. Ce texte, cité par Carlo Pedretti en Leonardo da Vinci: the Royal Palace at Romorantin, Cambridge ( Massachusetts ), 1972, p. 319, fait réfé- rence à des écluses montées “ de la façon que l’ingénieulx de Milan a baillé ”.

Carlo Pedretti doute, probablement avec raison, que ce Milanais soit Léonard

La levée au bord de la Saudre

La levée au bord de la Saudre

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Néanmoins, de grosses difficultés étaient à l’horizon. Tout d’abord, le seul chemin possible si l’on voulait que les eaux de la Saône soient au dessus de celles de la Loire passait par les Monts du Beaujolais, au Nord de Lyon, ce qui n’était guère facile. Ensuite, en cet endroit, la Saône n’était guère navigable, ce qui supposait de la canaliser, de même qu’il aurait fallu canaliser la haute Loire dont le régime est faible et fort irrégulier. Les dépenses envisagées étaient donc considérables.

Une seconde hypothèse était plus économique : joindre la Ga- ronne à l’Aude en utilisant l’Ariège ce qui permettait de relier Bordeaux, Toulouse et Narbonne par un “ canal des deux mers ”.

Il semble que dans un premier temps, François Ier aie surtout considéré le premier projet, celui pour lequel Léonard avait sans doute été originellement engagé. La résidence du Roi en bord de Loire, les intérêts économiques en jeu et la desserte de régions très peuplées expliquaient bien sûr cette préférence.

Dans un second temps, cependant, après la mort du Toscan, le monarque pencha plutôt pour le projet meridiono-occidental. En 1539, en effet, il s’offrit les services de deux experts topographes, Nicolas Bachelier et Arnaud Casanove qui suggérèrent d’utiliser l’Aude depuis Narbonne puis de creuser entre Carcassonne et la Garonne un canal passant par Villefranche et Montgiscard et enfin de doubler la Garonne par un canal de rive gauche entre Toulouse et Bordeaux large de près de 10 mètres. Ils avaient retenu de Léo- nard la solution des écluses à sas et proposaient de compenser le dénivelé entre Toulouse et Bordeaux par un système de trois éclu- ses. Toutefois, ils restèrent prudemment muets sur les techniques à envisager entre Toulouse, Carcassonne et Narbonne8. A vrai dire, ils commirent une énorme erreur d’évaluation de la pente de la Ga- ronne qui les aurait empêchés de réaliser leur grand oeuvre. Quoi qu’il en soit, le projet fut abandonné en raison de sa démesure et de l’incompétence des deux ingénieurs qui devint de plus en plus claire avec le temps. Pourtant, François Ier donna ailleurs des auto- risations de grands travaux, ainsi, Adam de Craponne entreprit-il avec succès, à la fin du règne, vers 1545, le creusement d’un canal reliant la Basse-Durance au Rhône. Sous Henri II, ce même Adam de Craponne redonna d’ailleurs vie au projet Saône-Loire en pro- posant de surmonter les problèmes précédents en reliant bien au dessus de Lyon un affluent minuscule de la Loire, la Bourbince, et

et propose de l’identifier à Bartolomeo della Valle, un expert ayant écrit sur les canaux de Lombardie vers 1509.

8 William Barclay Parsons, Engineers and Engineering in the Renaissance, New York, 1939, 2ème édition, Cambridge ( Massachusetts ), 1968, pp. 437-439.

un affluent de la Saône, la Dheune, au travers du Charollais. Les difficultés financières de la couronne et les problèmes techniques vinrent cependant à bout de ce second projet.

On peut, face à tous ces renoncements, s’étonner que François Ier aie voulu croire si fort aux idées de Léonard. Deux ensembles de raison l’y poussaient pourtant. D’abord, il y avait la confiance que plaçait le Roi et son entourage dans les capacités du maître de l’Arno et la réputation de ce dernier d’être capable de réaliser des excavatrices géantes. A preuve de cela, rappelons qu’en 1518, le Grand Amiral de France Guillaume Gouffier de Bonnivet, avait déjà contacté Léonard, lors d’une fête, pour lui proposer de tra- vailler sur la réalisation d’un port de commerce et de guerre : le Havre de Grâce ( l’actuel Havre ), impliquant levées et creusements de fossés monumentaux9. Ensuite, entrait en jeu tout le contexte économique du Val de Loire et l’héritage des projets de Louis XI et Louis XII pour leur bonne ville de Tours.

Au XVème siècle, en effet Louis XI avait tenté de faire de sa ville une capitale commerciale en important des denrées et des tissus de luxe venus d’orient. Les grands marchands-financiers Pierre Doriole, Jean de Beaune, Jean Quétier et Pierre Briçonnet fu- rent chargés de donner vie à l’axe Méditerranée/Angleterre pas- sant par Tours et Rouen. L’installation de l’industrie de la soie par Louis XI dans sa capitale en 1470 était perçue comme l’un des moteurs du grand dessein commercial du Roi. Sous Louis XII, l’industrie armurière florissante renforça le pôle économique des bords de Loire10. Toutefois, vers 1515 de nombreux blocages subsis- taient : l’activité des 70 ateliers soyeux ne pouvait être concurren- tielle dans la mesure où les soies grèges, le matériau de base, étaient achetées en Espagne ou sur le marché de Lyon aux Italiens qui fixaient les prix. Les grandes familles tourangelles, concurrencées par les compagnies italiennes, avaient de surcroît renoncé à un

9 D’après une lettre conservée aujourd’hui au Public Record Office, il est clair que Gouffier de Bonnivet joua un rôle important dans l’invitation de Léonard à la cour de François Ier en mars 1516. Les liens du Grand Amiral de France avec l’ingénieur toscan étaient donc étroits ( Cf. Bonnivet à Palvoisin, ambassadeur de France à Rome, dans Letters and Papers, Foreign and Domestic, Henry VIII, vol. 2, mars 1516. L’auteur de cet article tient à remercier Carlo Pedretti pour lui avoir communiqué copie de ce document ). D’après Agatino D’Arrigo, Leonardo da Vinci e il regime della spiaggia di Cesenatico, Roma, 1940, pp. 48-61, le plan du port du Havre est fondé sur les mêmes principes que ceux à l’œuvre dans les dessins de Léonard du port de Cesenatico ( Ms L, f. 66 v, daté de 1502 ). Selon Carlo Pe- dretti, le projet pour le Havre de Gouffier aurait inspiré son descendant, V. Hau- tier, en 1673 qui écrivait que Léonard était impliqué dans les premiers travaux.

Sur les origines du Havre de Grâce et le rôle de Gouffier de Bonnivet, voir aussi Stéphane De Merval, Documents relatifs à la fondation du Havre, Rouen, 1875.

10 Cf. Simon Painsonneau, Fabrication et commerce des armures. L’armurerie touran- gelle au XVe siècle, Paris, 2004.

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grand négoce qu’elle sentaient perdu d’avance et avaient jugé que les finances de l’Etat leur rapporteraient plus. Enfin, la croissance urbaine se trouvait handicapée par le cours de la Loire et les efforts pour endiguer le fleuve majestueux s’avéraient vains11. L’idée de refonder une ville où loger toute la cour sur une rivière canalisée, au cœur d’un réseau de voies navigables reliant l’axe rhodanien à l’axe ligérien revêtait par conséquent de nombreux attraits. Les manuscrits de Léonard nous permettent-ils de préciser la nature exacte de sa vision des choses ? [P.B.]

Le projet proprement dit

L’essentiel de ce que nous savons des projets de canaux de Léonard à Romorantin tient en fait sur deux feuillets : d’une part le feuillet 336 v-b [920 r] du Codex Atlanticus, d’autre part le feuillet 270 v du Codex Arundel12.

Deux schémas de la page du Codex Atlanticus nous apprennent que Léonard envisageait au moins trois projets, l’un très limité ( de trois ou quatre kilomètres ) rattachant depuis le village de Pont- de-Sauldre la Sauldre au Cher un autre, rattachant les deux rivières par un canal joignant Villefranche et un point situé en amont de Romorantin et un dernier, plus ambitieux, permettant de joindre Lyon et Tours en passant par Montrichard, Romorantin, Blois et Amboise. La première entreprise visait sans doute à éviter un pas- sage peu commodément navigable de la Sauldre13. Le canal serait passé au pied d’une colline et aurait plus ou moins correspondu au tracé actuel d’un petit tronçon du canal du Berry14. Il pouvait déboucher sur un port en aval du pont de Selles-sur-Cher, alors difficile à passer en raison de ses moulins. Ce court tracé pourrait avoir fait l’objet de ces travaux engagés vers 1518 pour lesquels François Ier a versé 4000 livres.

Le deuxième plan est beaucoup plus clair puisque Léonard le schématise effectivement sur le feuillet 336 v-b [920 r] du Codex Atlanticus. Une petite enquête de terrain combinée à l’observa-

11 Bernard Chevalier, Tours, ville royale ( 1356-1520 ). Origine et développement d’une capitale à la fin du Moyen Age, Louvain et Paris, 1975.

12 L’analyse fine de ces feuillets a été réalisée la première fois par Carlo Pedretti, Leonardo da Vinci: the Royal Palace at Romorantin, Cambridge ( Massachusetts ), 1972, au chapitre intitulé The New City, pp. 89-99.

13 Une note de Melzi précise ici sur le même feuillet : “ De Romorantin jusqu’à Pont de Sauldre la rivière s’appelle la Sauldre et de là jusqu’à Tours, elle s’appelle le Cher ”. Clairement, l’apprenti milanais est associé au travail du maître.

14 Il est intéressant de noter que sur ce schéma, Léonard fait figurer sous forme d’un rectangle le parc ( “ barcho ” ) où il prévoir de construire le palais de François Ier, cette parcelle correspondant au “ grand jardin ” du cadastre du XIXème siècle.

tion attentive de la carte Cassini semble indiquer qu’il a étudié de près les possibilités de creusement car le petit tronçon de ce canal orthogonal à la Sauldre correspond au cours d’un petit ruisseau qui existe toujours et qui pointe sur Villefranche : le Mabon15. La troisième entreprise s’avère plus mystérieuse. Sur le dessin de Léonard, où apparaissent la Loire ( sur laquelle sont pointés Blois, Amboise et Tours ) et le Cher ( avec Montrichard ), un trait épais indique un canal qui rectifie le cour de la Sauldre, la liant à la Loire au niveau de Blois d’un côté et la prolongeant jusqu’à un autre tronçon de celle-ci dans la direction de Briare. Le trait court ensuite vers le bas de la feuille et pointe vers le nom de la ville de Lyon. Autrement dit, l’idée de l’ingénieur était ici de raccourcir le chemin fluvial entre Briare et Blois en coupant au dessus des colli- nes du Sancerrois le large méandre de la Loire grâce à une Sauldre canalisée. La façon dont Léonard compte rendre navigable la Loire jusqu’à Lyon n’est malheureusement pas précisée.

Les dessins sont par ailleurs accompagnés d’indications rédigées.

L’une d’entre-elles suggère une expérimentation sur le tracé du canal entre Romorantin et Blois : “ Fais un canal large d’une brasse et profond aussi d’une brasse afin de tester le niveau de ce canal qui mène de la Loire à Romorantin ”. Un autre passage, corres- pondant au deuxième projet, détaille un calcul de dénivelé entre le Cher au niveau de Villefranche et la Sauldre à Romorantin :

Un trébuchet est de quatre brasses, et un mile compte 3000 brasses.

Chaque brasse se divise en 12 pouces ; et l’eau des canaux a un dé- nivelé de 2 pouces pour chaque centaine de trébuchets ; par consé- quent il faut 14 pouces de dénivelé pour 2800 brasses de flux dans les canaux ; il en suit que 15 pouces de dénivelé donnent le mo- mentum adéquat pour les courants desdits canaux, c’est-à-dire une brasse et demi par mile. On peut en conclure que l’eau prise dans la rivière de Villefranche et conduite à Romorantin devra avoir […].

Lorsqu’une rivière, en raison de son niveau peu élevé ne pourra couler dans l’autre, il sera nécessaire de construire des écluses de manière à ce qu’elle acquière le dénivelé suffisant pour tomber dans le cours d’eau qui était auparavant le plus haut des deux.

Le feuillet 270 v du Codex Arundel confirme l’importance pour

15 L’auteur de ce chapitre de l’article souhaite ici remercier Martine Vallon, di- rectrice du Musée de Sologne, pour être allée sur le terrain et lui avoir commu- niqué ses réflexions ainsi que pour les longues conversations qu’il a eu avec elle sur diverses hypothèses de localisation des canaux de Sologne. Les interprétations formulées ici sont le fruit de ce travail collectif.

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Léonard du canal entre Villefranche et Romorantin mais il ouvre également d’autres perspectives. A côté de la représentation en plan d’un palais double prolongé par son quartier aristocratique et de quatre croquis évoquant un édifice octogonal, on découvre en effet un nouveau schéma de réseau hydrographique ainsi que des annotations assez précises sur l’usage des canaux prévus. Le schéma montre de nouveau la Loire, le Cher, et la Sauldre ( avec Romo- rantin ) mais cette fois le cartographe fait apparaître le Beuvron au dessus duquel on peut lire les lettres m et n qu’il commente ainsi :

Si la rivière m n [ le Beuvron ], un affluent de la Loire, était dérivée vers la rivière de Romorantin [ la Sauldre ], ses eaux boueuses enri- chiraient les terres qu’elles irrigueraient et rendraient le pays fertile, de telle sorte qu’il fournirait de quoi nourrir ses habitants tout en servant de canal navigable propice au commerce.

Des pointillés entre le Beuvron et la Sauldre précisent l’idée : il faudrait rattacher les deux affluents en aval de Romorantin afin, non seulement, de densifier les possibilités de circulation mais en- core, comme le dit le texte, d’amender les terres de cette partie de la Sologne.

Le texte d’accompagnement est cependant plus explicite sur la mise en relation au niveau de Villefranche du Cher et de la Saul- dre, et suggère et de déplacer les habitants du village en question à Romorantin :

La rivière de Villefranche pourra être conduite à Romorantin ainsi que les personnes qui vivent là ; et le bois de charpente qui forme leurs maisons pourra être transporté par péniches à Romorantin, et le niveau de la rivière pourra être élevé grâce à des écluses de telle sorte que l’eau sera conduite à Romorantin en pente douce.

Léonard ajoute que grâce aux écluses qu’il imagine, probablement des écluses à sas permettant de rattraper 15 mètres du lit du Cher au plateau, son canal de dérivation fournira une précieuse énergie hydraulique16 :

On peut amener l’eau en surplomb de Romorantin de telle sorte qu’elle pourra faire fonctionner plusieurs moulins dans sa descente.

16 Léonard dessine de telles écluses à sas avec leur “ serraglio mobile ”, c’est- à-dire leur petit volet à serrure à loqueteau actionnée depuis la berge par un système de leviers au f. 88 r-b [240 r] du Codex Atlanticus. Ces écluses innovent également par leurs portes busquées.

Une autre phrase en regard du plan de ville/palais indique la dis- position de ces engins :

La rivière qui partage la ville ne devrait pas recevoir l’eau boueuse, cette eau devrait être au contraire conduite par des fossés à l’exté- rieur de la cité où elle actionnerait 4 moulins à l’entrée et 4 autres à la sortie. Cela peut être obtenu en élevant le niveau d’eau par des barrages au dessus de Romorantin.

L’usage des moulins que prévoit Léonard n’est pas explicité mais on peut rappeler que depuis le XIVème siècle au moins, le travail de la laine était traditionnel à Romorantin17 ; il est dès lors possible d’imaginer des moulins à foulons ou même des roues actionnant des machines telles que celles dessinées par Léonard pour les cor- porations de Florence18. Cela est d’autant plus vraisemblable qu’en 1517-1518, François Ier multiplie les ordonnances visant à interdire l’importation des draps “ de Perpignan et de Catalogne ” pour favoriser la manufacture française19. Un peu plus loin, en tout cas, l’ingénieur décrit dans le détail les pertuis de moulins qui lui per- mettront de réaliser des effets de chasse d’eau pour nettoyer la ville :

Comment la rivière dans sa course dégrade-t-elle le lit du courant?

Par la 9e du 3 : ce qui est plus lent consume son lit plus fort, et par conséquent les eaux les plus lentes laissent derrière elles plus de ce qui cause leur turbidité. Donc, quand les rivières sont en crues vous devez ouvrir les portes éclusières des moulins afin de laver le cours de la rivière. Il faut plusieurs portes éclusières pour chaque moulin de manière à ce qu’en les ouvrant toutes ensemble vous puissiez produire un plus grand impetus et qu’ainsi vous puissiez nettoyer tout le lit. Et il faut que les écluses soient à vannes mobiles [serraglio mobile] comme celles que j’ai dessinées pour le Frioul, qui étaient faites de telle sorte que quand vous les ouvriez, l’eau jaillissait d’elles depuis le fond. Et en dessous des deux sites des moulins il faudrait qu’il y ait l’une de ces écluses, c’est-à-dire une écluse à vanne mobile sous chacun des moulins.

Comme à Milan, c’est en terme de flux que le Toscan pense son

17 Cf. Julien Hayem, La draperie à Romorantin sous l’Ancien Régime, Paris, 1924.

18 Sur les machines textiles de Léonard, voir Graham Hollister-Short, The lite- rature relating to Leonardo da Vinci’s work on textile machines, dans «Le Journal de la Renaissance», V ( 2007 ), pp.77-117.

19 On consultera à ce propos avec profit le Catalogue des Ordonnances de François Ier, par l’Académie des Sciences Morales et Politiques, Paris, 1889, t. I, p.142.

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La Vallée du Mabon

La levée au bord de la Saudre

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projet urbanistique. Contrôler les flux d’eau boueuse et d’eau vive est à ses yeux essentiel, aussi essentiel que de contrôler les flux démographiques qui permettront de peupler la ville :

Le cours de la rivière ne devra pas pas- ser par les fossés qui sont dans la vil- le, afin que lorsque la rivière devient boueuse, elle ne déverse pas les terres dont elles est chargée au fond des dits fossés. L’eau, par conséquent, sera dis- tribuée dans les fossés par le moyen de portes éclusières de telle sorte qu’elle pourra servir à actionner des moulins et à nettoyer la boue de la ville ou tout autre détritus20.

De même que les écuries du palais doi- vent être automatiquement nettoyées, la ville royale doit être un exemple de propreté, une exigence absolue en une région où l’eau stagnante et corrompue est immédiatement synonyme de peste.

Léonard peut néanmoins, comme à Mi- lan, compter sur l’expérience des maîtres des eaux locaux. En effet, comme en témoignent les archives départementa- les du Cher comme les Archives muni- cipales de Romorantin, la Sologne de la fin du Moyen-Âge était déjà une zone d’étangs très entretenus. Les experts du pays (qu’on appelait des “ bessons ”) sa- vaient aménager tout un réseau de rigoles de très faible pente et jouer des systèmes de bondes permettant de vider les plan d’eau pour les curer régulièrement.

Le projet léonardien, extraordinairement cohérent, est donc le fruit d’une adapta-

20 Carlo Pedretti note que Léonard pourrait avoir employé le système d’écluses qui apparaît dans le Codex Arundel ( f. 264 v ) et qui est exactement le système qu’il a imaginé pour la rivière Adda dans le Codex Atlanticus, f. 41 v-b [117 r] ou 33 v-a [90 v].

tion aux conditions locales, d’une observation scrupuleuse des terrains et d’une connaissance précise du territoire. Il articule comme dans le Milanais une entreprise urbanistique hygiéniste et une planification du développement de la région fondé sur la maîtrise de l’eau. [P.B.]

Codex Arundel, f. 270 v

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