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Le Passé sous silence

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Le Passé sous silence

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DU MÊME AUTEUR AUX MÊMES ÉDITIONS

Coco Belles-Nattes, roman Mesures d'urgence, essai

(Grand Prix de l'Humour noir, 1986) Le Pont de la Révolte

AUX ÉDITIONS VERTICALES

Journal intime et inutile d'une vie banale

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Daniel Prévost

Le Passé sous silence

roman

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En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement

le présent ouvrage sans l'autorisation de l'éditeur ou du Centre français d'exploitation du droit de copie.

© by Éditions Denoël, 1998 9, rue du Cherche-Midi, 75006 Paris

ISBN 2.207.24754.6 B 24754.0

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Toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé serait une pure coïncidence.

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Pour Na Djidda.

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En oubliant le passé, on se condamne à le revivre.

Ce jour-là, je reçus une très mauvaise nouvelle. Je ne pouvais pas prévoir... Je trouvai l'enveloppe dans la boîte aux lettres scellée au portail. Je regagnai la salle à manger.

L'écriture, je la connaissais. J'ouvris délicatement l'enve- loppe, en sortis...

Je blêmis. Mes mains se mirent à trembler. Mon cœur à cogner. Je ne pouvais détacher mes yeux des mots que je venais de découvrir. Je m'assis et appelai Hanna. Elle descendit du premier étage et lut. Elle dit simplement :

« C'est scandaleux de t'écrire des choses pareilles... » J'ai longtemps gardé en moi ce texte que j'ai lu et relu des dizaines de fois et sur lequel je reviens sans cesse. Je me dois de prévenir le monde : qu'il se méfie de moi, je ne suis pas une personne fréquentable, car je suis issu d'une racine pourrie.

Ces quatre mots, ma mère me les a écrits sur une carte postale qu'elle m'a adressée pour mon anniversaire.

Je venais d'avoir cinquante-six ans.

Elle ne me pardonnait pas de m'être révolté contre son

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mutisme qui m'étouffait depuis ma naissance — naissance dont elle ne voulait pas me parler — et qui m'avait forcé à rompre la loi du silence après une douloureuse enquête dont je sortis meurtri.

Après cinquante-trois années d'étouffement de la parole, j'osais enfin parler et dire qui j'étais, moi, DENIS, fils d'Algérien, fruit des amours de Louise Drancourt et de Mohand Aït-Salem, jeune montagnard du Djurjura. Je l'avais même écrit dans un roman que j'avais intitulé : Saint-Denis-la-Révolte.

Je savais que la suite des événements serait douloureuse mais je ne pouvais plus contrôler la marche de l'Histoire, mon histoire.

Notre histoire, à ma mère et à moi... Cette histoire dont je haïssais désormais chaque épisode découvert, puisque jamais je ne pourrais porter le nom d'Aït-Salem.

Je m'appelais Denis Forestier, un nom imposé par le destin...

Lorsque j'étais allé en Algérie où j'avais retrouvé ma vieille tante Na Djidda et les cousins, proches ou éloignés, j'avais compris, pris conscience que mon destin — et celui de ma mère — commençait là-bas. Il lui était inutile désormais de le nier, et moi, je savais que je ne pouvais me taire plus longtemps, tant était grande la violence du choc émotionnel et culturel.

Je me trouvais tout à coup déraciné, une moitié du cœur en Algérie, àTaghzout, en Grande Kabylie, qui me connais- sait vieillissant, l'autre moitié dans cette France qui m'avait vu naître et grandir.

Je ne serais plus jamais le même.

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Louise avait tué la moitié de ma vie.

Mais ce n'est qu'à mon retour d'Algérie que je m'en rendis compte.

Avec douleur.

Avec souffrance.

Plus jamais le temps, passé et vécu sans l'Algérie et les Algériens, ne reviendrait. Je fus pris de vertige à la pensée que j'avais vécu près de cinquante années de mon existence, privé de tout contact charnel avec les miens, ce contact qui m'avait tant manqué sans que je puisse me l'énoncer, et qui me manquerait encore et toujours puisqu'il m'avait été volé sans même m'avoir été donné.

Bien que j'eusse, en de tardifs efforts, renoué avec les cousins de ma génération, je me retrouvais amer, avec cette partie de ma vie ratée, avortée, non vécue. C'était cela le plus déchirant : ne pas avoir vécu avec ceux qui étaient des miens, des proches dont je savais qu'ils avaient existé.

Je ne les avais jamais rencontrés, je ne les rencontrerais jamais. C'était le point le plus aigu de mon désespoir.

Il surgissait en moi, ce désespoir, à la tombée de la nuit, me rappelant les soirs de là-bas en Kabylie, chez Rachid, Nacer, Larbi et tous les autres. Je revoyais les visages aimés si fort et je pleurais comme un petit enfant, secoué de sanglots que je ne pouvais maîtriser malgré la douce voix d'Hanna qui essayait de me consoler. « Denis, calme-toi, tu les as revus, tu as revu ta tante Na Djidda, nous y retour- nerons, calme-toi... »

Mes enfants aussi tentaient de m'apaiser. « On est là, papa, tout va bien... Tu vas les revoir... »

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Moi, le père autoritaire en apparence, je sanglotais devant eux, comme un enfant.

Devant eux, j'avais quatre ans, cinq ans, dans un torrent de larmes désespérées.

J'essayais de noyer dans l'alcool mon désespoir.

Mais il était violent, fort, tenace, fidèle. Chaque soir, il revenait. Je ne pouvais y échapper. Je le laissais s'installer en moi et m'abandonnais à lui, faisant défiler dans ma pauvre tête tout le village, la rue principale, la petite place, la djemâa, la rivière, les maisons des cousins et tou- jours ces visages aimés... celui de Na Djidda, la sœur de mon père, dernier maillon de la chaîne qui me rattachait à lui.

Souvent, afin de revivre les moments de bonheur partagé avec eux, je projetais la cassette vidéo du film que j'avais tourné là-bas. J'y revoyais tous les visages : Da Youssef, racontant, au soleil couchant, dans la cour de la maison d'Amirouche l'instituteur, comment nous nous étions retrouvés après cinquante années de séparation imposée et la bagarre au pont de la Révolte entre mon père algérien et mon oncle normand, cette bagarre qui avait décidé de mon destin. Il était heureux et fier de m'avoir ramené au bled. Nous étions un petit groupe à l'écouter : Amirouche, sa femme, et Taos, leur petite fille de trois mois, Mabrouk, le frère d'Amirouche, était là aussi, Na Djidda, Janine la femme de Da Youssef, Hanna ma femme et nos enfants, Guillaume et Jérôme, Bachir qui ne nous quittait pas et le petit Zaïdi. Quand Da Youssef avait achevé le récit de nos retrouvailles, tout le monde applaudissait.

Chaque fois que je regardais ce film, ma gorge se nouait en

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voyant Da Youssef descendre la rue du village en s'appuyant sur sa canne, quand nous longions le petit cimetière de Taghzout. Le soleil était rouge en cette fin du jour. C'était une promenade paisible. Nous suivions Da Youssef. Notre groupe, auquel s'étaient joints les jeunes gens du village, était devenu cortège. Parfois, j'arrêtais le film avant la fin, désespéré.

Le passé perdu, non vécu, tapait dans ma tête.

Avec des sanglots de rage, des sanglots de colère, des sanglots d'impuissance.

J'avais été bafoué, floué, trahi, trompé.

Je découvrais l'incommensurable gâchis commis à mon insu et continuais, jour après jour, à mesurer en moi l'inconcevable étendue des dégâts.

Je n'ai pas de mots pour dire l'indicible, l'incompré- hensible.

Louise non plus. Ses non-dit étaient à présent inutiles.

Il lui restait l'indicible.

Je dois pourtant essayer de dire et écrire pour nous deux.

Et même si je nous raconte tous les deux, jamais plus les Algériens ne seront absents de mes mots, de mes phrases, de mes écrits.

Jamais plus occultés.

Jamais plus étouffés.

Comme je le fus.

Je leur donnerai vie avec ce qui me reste de la mienne.

Comme nous aurions dû vivre ensemble si mon histoire avait bien commencé.

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Mais ce fut le contraire.

Et c'est pourquoi j'écris.

A qui dois-je m'adresser ? À toi qui me mis au monde ?

À toi qui me tenais la main à l'hôpital pendant que tu dormais — j'étais à tes côtés dans un berceau ?

« On n'a qu'à lui enlever pendant qu'elle dort et le déposer à l'Assistance publique », avait proposé ma marraine normande, outrée que le fils de sa sœur soit un

« petit bicot ».

À qui dois-je m'adresser pour crier mon dégoût de ces années passées à cacher une ignominie dont le coupable est l'homme qui partage ta vie et qui est entré dans la mienne quand j'avais dix ans ?

À cet homme qui me reconnut à l'état civil comme son propre fils et me donna son nom et qui tenta, à plusieurs reprises, de salir celle qui devint plus tard ma femme ?

À cet homme qui dut bien ricaner de ma faiblesse à me taire, à ne pas faire de scandale afin de te protéger, fragile créature, mère douloureuse, et de jouer devant nos enfants, en une suite pénible de tableaux mensongers, obligés, l'apparence d'une famille authentique alors qu'à chacun des instants de notre vie soufflait un vent empoisonné dont sa présence était la cause, ajoutée au silence criminel de Louise.

À cet homme à qui je tentai, dans un moment de naïveté, de parler de mon véritable père afin qu'il sache à

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quel point cela importait pour moi, cet homme à qui je confiai que mon père était un Algérien et qui me déclara :

« Oui, en fait, c'était un Mohamed quelconque », et qui ajouta : « Mais alors, s'il y a eu viol... »

Cette phrase suinte en moi comme une plaie : un Algérien ne pouvait pas aimer, il ne pouvait être qu'un violeur !

Je me souviens que j'eus le courage de lui répondre qu'ils s'aimaient, ma mère et lui, mais que c'était la famille normande...

Il faudra bien évoquer cet homme qui partage la vie de Louise et qui saccagea une partie de la mienne, traitant de

« fantasmes » mes tentatives désespérées pour découvrir

« ma » vérité.

« Pourquoi tu veux retrouver ton père? » m'avait-il demandé avant mon voyage en Algérie. « À quoi ça sert?

Moi non plus je n'ai pas connu mon père et je ne m'en porte pas plus mal ! »

J'étais las des dialogues inutiles avec lui, avec elle.

Je lui avais répondu : « Raymond, savoir que l'on a un père algérien, ce n'est pas comme apprendre que l'on a un père breton. Je ne suis pas ancré à la terre ferme et je ne viens pas de la lande bretonne. Je sais qu'une part de moi est ailleurs, au-delà des mers... Je veux savoir... »

Il ne m'aida pas.

Il refusa de comprendre ma démarche et lorsqu'il devina mes tentatives pour retrouver mon algérianité, il commença son travail de sape, par jalousie, par vengeance.

Il pensait que je lui devais toute mon éducation, que, sans lui, je n'aurais jamais rien fait de ma vie, sans lui qui m'avait

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donné son nom quand j'avais dix ans. Sa mémoire sélective oubliait les actes hideux dont il s'était rendu coupable envers Hanna et moi.

À ce moment de mon histoire, les préoccupations majeures des hommes politiques de la France étaient le chômage et l'immigration.

Alors, à chaque visite de Louise et de Raymond au cours de notre fausse vie familiale, celui-ci ne laissait passer aucune occasion de nous inonder d'un discours politique fleuve où il était question en vrac de l'Europe, du chômage, de l'anglais à bannir, des étrangers et... des immigrés.

« Il y en a trop ! On ne peut pas tous les garder, les Maghrébins, il faut les renvoyer chez eux... »

Il m'épiait, cherchait à m'atteindre.

Peut-être voulait-il me renvoyer chez moi ? Je me taisais.

À qui demander des comptes ?

Au fantôme du parrain qui répondit à une vieille tante, s'émerveillant de me voir, petit enfant à blouse grise d'écolier, avec de « si beaux cheveux bouclés » : « Normal, c'est un bicot... » ?

À qui demander des comptes à présent que je sais ? À personne. À tout le monde.

À toi, Louise.

En revenant sans cesse à la question : pourquoi ?

Pourquoi t'es-tu réfugiée dans cette innommable injure qui m'obsède et qui te déshonore ?

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Parce que tu sais que je sais tout et que la boucle est bouclée, bouclée comme mes cheveux ?

Bouclée depuis mon voyage en Kabylie.

Tu as tenté, en un dernier baroud d'honneur, de sauver les apparences en te réfugiant derrière l'injure écrite qui ne s'effacera jamais de ma mémoire, avec son odeur de fumier qui me colle au cœur.

Tu as pensé l'impensable, réfléchi longuement, pesé chaque mot de cette injure que tu as souhaité m'offrir en cadeau d'anniversaire.

Il y a de cela cinquante-six ans, je naissais, « petit lardon, issu d'une racine pourrie »...

La carte postale représentait les jardins du Palais-Royal.

Une indication de l'éditeur mentionnait : le Paris du Temps jadis.

Était-ce le Temps où tu aimais ton fils ?

Ce fut ma première grande blessure. J'étais souillé.

Je n'ai pas le souvenir d'avoir ressenti une douleur aussi vive que celle que j'éprouvai à la lecture de ces mots.

Aucune injure au monde inventée par l'Homme pour mépriser son prochain, l'avilir, l'anéantir, aucune injure n'aurait pu me faire plus de mal.

Tu avais frappé juste et fort.

En une parfaite syntaxe.

En écrivant ces mots, te souvint-il une seconde, une seule fugitive seconde, que c'était à ton enfant que tu t'adressais ? Cet enfant que tu portas neuf mois dans ton ventre, entre cris et hurlements autour de toi, autour de nous, de nous deux, seuls contre les autres. Ton enfant,

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rejeté par la famille aryenne, cet enfant dont la grand-mère maternelle refusa la naissance. « Elle n'a pas voulu le voir pendant deux ans », dis-tu à l'une de tes amies, cet enfant que tu confias aux soins d'une « nourrice », dans un pavillon de banlieue.

Je n'ai aucun souvenir de cette période mais je sais à présent que cette absence de toi m'a laissé des réflexes d'angoisse dont je ne peux me défaire : chaque matin, au réveil, mon premier mouvement est de tendre la jambe dans le lit, afin de sentir la présence d'Hanna. Si Hanna s'est levée avant moi, alors je saute du lit et l'appelle...

Ma détresse ne se calme qu'avec sa voix.

Tu es venue me voir, sans doute, le samedi ou le dimanche, pendant ces deux années, dans cette lointaine banlieue.

Tu as pris le métro, le car, l'autobus... Tu as apporté du linge à ton bébé, ton petit enfant, des jouets en peluche, des couches...

« Il m'a donné à peine cinquante francs pour acheter des couches », as-tu crié dans le téléphone. « Il », c'est le père, la racine pourrie dont je suis « issu ».

De cette période, il me reste une photographie sépia : on y voit un jardin potager; je suis debout, cheveux bouclés, tu es agenouillée près de moi, il y a des nuages dans le ciel, tu me tiens la main...

Je te souris.

Papa n'est pas avec toi, il a dû avoir un empêchement.

Il viendra me voir, avec toi, à la prochaine visite, c'est sûr.

Tout semblait si bien commencer.

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Daniel Prévost

Le Passé sous silence

]e me dois de prévenir le monde : qu'il se méfie de moi, je ne suis pas une personne fréquentable, car je suis «issu d'une racine pourrie ».

Ces quatre mots, ma mère me les a écrits sur une carte postale qu'elle m'a adressée pour mon anniversaire.

Je venais d'avoir cinquante-six ans.

Pour Denis, fils de Kabyle, le choc de ces quatre mots sera terrible, destructeur, entraînant dans la tourmente sa femme et ses enfants.

Avec un sens aigu du tragi-comique (en rire plutôt que d'en désespérer), Daniel Prévost nous raconte, en une saga familiale nourrie de contes cruels et d'actes bar- bares, le refus d'une mère à dire le nom du père.

Après Coco Belles-Nattes et Le Pont de la Révolte, Le Passé sous silence est le troisième roman de Daniel Prévost, comédien et romancier.

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