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Analyse comparée entre le dessin d'enfant et le dessin d'adolescent : dans quelle mesure le dessin d'enfant peut-il servir de tremplin à la créativité de l'adolescent ?

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Academic year: 2021

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Haute Ecole pédagogique du canton de Vaud, P12 Lausanne, le 27 juin 2012 Master of Sciences en enseignement pour le degré secondaire I et diplôme d’enseignement pour le degré du secondaire I

Analyse comparée entre le dessin

d’enfant et le dessin d’adolescent

Dans quelle mesure le dessin d’enfant peut-il servir de tremplin à la créativité de l’adolescent ?

Véronique Gollut Place de la Fontaine 5 1868 Collombey

veronique.gollut@schulen.zuerich.ch

Marie Boucheteil Av. Edouard Rod 3 1007 Lausanne marie@boucheteil.ch

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Table des matières

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L’ADOLESCENT ET SES BESOINS PRIMAIRES) 0!

L’ENFANT ET SON RAPPORT AU DESSIN (OU AUX RACINES DU DESSIN)) 1!

LES EXIGENCES DE L’ADOLESCENT FACE AU DESSIN) 23!

LES REPRESENTATIONS DE L’ADOLESCENT FACE AU DESSIN : UNE QUESTION D’EDUCATION, DE

CULTURE, DE PERSONNALITE ?) 24!

LE PROCESSUS CREATIF ET L’ACTE CREATEUR OU DIFFERENTES PERCEPTIONS DE L’ACTE

CREATEUR) 56!

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HYPOTHESES) 32!

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CADRE GENERAL DE REALISATION) 33!

RECHERCHE1 :RÉINTERPRÉTATION DE SON PROPRE DESSIN D’ENFANT! "#!

RECHERCHE3! #"!

ANALYSE DES ANALYSES) 46!

RECHERCHE4! $"! RECHERCHE5! $%! (%"(9':!%") 06! $.;.$,"(,:)9!##.$+!$,:) 03! BIBLIOGRAPHIE) 03! SITOGRAPHIE) 0*! $,7,$(!,7,"#:) 0<! +"",=,:) 04!

-QUESTIONNAIRES I,II ET III DE LA RECHERCHE 3) 04!

-PLANCHE I: RESULTATS DE LA RECHERCHE 1) 04!

-PLANCHE II: RESULTATS DE LA RECHERCHE 2) 04!

-PLANCHE III A VI: RESULTATS DE LA RECHERCHE 3) 04!

-PLANCHE VII: RESULTATS DE LA RECHERCHE 4) 04!

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Introduction

Nous avons toujours ressenti une certaine fascination pour le dessin enfantin, tout comme certains artistes qui s’en sont servis pour leur travail personnel. Le livre de l’illustrateur Leonardo Ericcailcane “Potente di Fuoco“, (violence du feu) en est un exemple flagrant. L’auteur retrouve ses premiers dessins d’enfant, datant d’il y a vingt ans, et les redessine à sa manière. Ces créatures et compositions fantastiques provenant de l’imaginaire enfantin sont alors confrontées avec leur nouvelle interprétation. La présentation de ces dessins sur une double page laisse apparaître leurs similitudes et leurs différences. Le sujet, lorsqu’il est identifiable reste le même, sa mise en forme diffère. En traduisant ses dessins, l’auteur en explique leur sens caché dans un registre plus facilement compréhensible.

Les illustrations de Potente di Fuoco nous fascinent puisqu’elles représentent la fusion improbable entre l’univers fantastique du dessin enfantin et l’habileté technique de l’artiste. De ce fait, l’artiste se sert des caractéristiques du dessin d’enfant comme outil pour sa propre création.

L’imagination sans limite de l’enfant est pour nous une source d’inspiration inépuisable. En tant qu’artistes, nous sommes nostalgiques de ces dessins qui traduisent d’après nous une puissance expressive qui s’atténue à l’âge adulte. Cette liberté et cette sincérité que nous considérons comme les caractéristiques du dessin enfantin semble disparaître au profit d’une volonté d’imiter le réel.

Il arrive souvent que nos élèves manifestent leur insatisfaction face à un dessin ne correspondant pas au résultat attendu. La valeur plastique et esthétique du dessin semble parfois prendre le dessus sur sa valeur narrative et expressive. Si l’enfant est un dessinateur-né, il semblerait que bon nombre de personnes abandonnent dès l’adolescence ce moyen d’expression au profit d’autres occupations. À se demander si les artistes ne sont pas les seuls à poursuivre cette activité. Il n’y a pourtant pas besoin d’être un artiste pour posséder un style graphique. Même si le dessin d’adulte semble inexistant, chacun d’entre nous continue à dessiner. Que ce soit sur un coin de nappe ou sur un calepin de téléphone, ces griffonnages souvent abstraits et réalisés de façon automatique demeurent des compositions expressives.

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Sachant que le dessin d’enfant suscite la curiosité de bon nombre de personnes cherchant à le traduire et à s’en inspirer, nous souhaitons tester les réactions des adolescents face au dessin enfantin. Nous sommes convaincues du potentiel créatif de nos élèves, mais nous observons parfois des blocages qui se manifestent pendant nos cours. En soumettant un dessin d’enfant à nos élèves, nous espérons que l’adolescent saura anticiper et utiliser les maladresses du dessin d’enfant et son univers foisonnant, afin que celui-ci lui serve de tremplin pour sa propre créativité. Nous inspirant de la démarche mise en images dans le livre Potente di

Fuoco, nous allons proposer à des adolescents de réinterpréter un dessin d’enfant et de tester

leurs capacités de réappropriation.

Afin de mieux cerner l’adolescent, nous avons besoin de comprendre comment celui-ci se construit, quels sont ses besoins et quel est son rapport à l’art en général et au dessin en particulier. Pour tisser des liens entre la pratique du dessin chez l’enfant et la pratique du dessin chez l’adolescent, nous passons en revue les différents stades du développement de l’enfant et de l’adolescent. Toutefois, nous ne pouvons passer à côté de la question du bagage culturel et des représentations que chacun se fait de l’art dans un cadre scolaire et familial. Dans notre pratique, nous ne mettons pas assez l’accent sur le processus créatif. C’est pourquoi nous reviendrons sur le concept de créativité.

Notre travail, grâce à une collection de dessins d’enfants revisités, interroge le regard que l’adulte et l’adolescent portent sur le dessin enfantin. On a coutume de dire que dès l’âge de douze ans, l’adolescent se désintéresse du dessin. Nos investigations nous permettront aussi de comparer les différentes productions des personnes testées à travers les âges.

Pour finir, nous tenons à préciser qu’il a été difficile de trouver de la littérature sur l’adolescent et son potentiel créatif, spécialement sur le dessin. Par contre, il existe une littérature foisonnante sur le jeune enfant et la nécessité de créer ou sur l’enfant et son dessin. Le concept d’adolescent est relativement récent. Il est abordé dans des ouvrages de psychologie ou de psychanalyse. Ceux qui proposent un lien avec la créativité ou l’expression de soi chez l’adolescent se concentrent sur ceux qui sont en difficultés. Enfin, quelques ouvrages reflètent la créativité dans un sens plus global.

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Cadre théorique

L’adolescent et ses besoins primaires

Les arts visuels font partie des rares disciplines scolaires mobilisant l’inventivité. Pour avancer dans nos recherches, il convient d’observer de plus près ce moment fragile qu’est l’adolescence et d’explorer le rapport qu’entretient l’adolescent avec la créativité et l’expression artistique, la crise d’adolescence ayant tendance à détourner le futur adulte de sa naïveté d’enfant.

Avant d’aller plus loin, nous tenons à préciser que toutes les informations qui suivront, concernant les adolescents, proviennent de sources diverses, telles que les différents ouvrages et les sites que nous citerons tout au long du cadre théorique ou qui se trouvent dans nos références littéraires.

Le terme adolescence vient du verbe « adolescere » qui signifie grandir. Cette phase représente le passage de l’enfance à l’âge adulte, de la dépendance à l’autonomie : l’individu change psychiquement et physiquement, de plus, il change de statut social. L’adolescence est une période qui se situe généralement entre 12 ans (à la puberté) et 18 ans. Les besoins primaires de l’adolescent sont identiques à ceux de l’enfant et du préadolescent. Il a besoin d’être informé et rassuré sur ce qu’il rencontrera dans sa vie d’adulte. Il a besoin de se créer une identité et de devenir autonome, de se sentir impliqué dans les décisions qui le concernent. Un dilemme d’identité entre conformité et recherche de personnalité s’installe souvent à cette période de la vie. Cette dernière est caractérisée par le changement et l’accès à de nouvelles potentialités. Selon Jean Piaget, c’est aussi le passage de la pensée concrète à la pensée formelle, le passage des représentations présexuées aux représentations sexuelles. Selon les psychanalystes, c’est l’intégration de la complémentarité des sexes. Le jeune développe également de nouveaux potentiels puisque sa force physique augmente et qu’il a accès à la sexualité. Ces nouvelles énergies qui font peur aux adultes permettent par exemple à l’adolescent de s’épanouir à travers le sport ou l’expression artistique.

Le préadolescent a besoin de nouveaux repères et commence à les chercher, il a besoin de nouveaux modèles puisés hors du cercle familial et de ses valeurs. On parle de début de phase

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d’autonomisation : l’autonomie est la capacité de se donner des normes (par soi-même), c’est-à-dire des règles de vie qui sont intériorisées, qui font partie de soi. Elle implique plus d’indépendance, des prises de décisions. C’est également la phase de recherche de soi, de l’expression de son intimité. L’individu participe activement à la construction de son propre univers social. Il va en apprendre les codes et développer des aptitudes pour s’insérer socialement. Il va ensuite faire le tri entre les valeurs transmises par sa famille depuis son enfance et ce qu’il aura expérimenté à l’extérieur du cocon familial, dans le monde professionnel ou à l’école. L’enfant passe irrémédiablement par la crise d’adolescence. Crise signifie : remise en questions, conflits personnels et interpersonnels, chocs qui mènent à une autre étape, moments décisifs. Or, l’humain n’a jamais eu autant besoin de conformité, dans le sens d’appartenance à un groupe, à une norme, que pendant son adolescence. Le groupe le rassure et les autres membres du groupe lui ressemblent, le comprennent. Le groupe lui permet également de se distancer des repères familiaux, de devenir indépendant. Le groupe se construit et fonctionne comme une petite structure autonome. Il a ses propres valeurs, ses propres règles. Il est un lieu d’échanges qui permet au jeune d’acquérir une reconnaissance sociale et de se forger une certaine estime de soi.

L’adolescent doit sentir qu’il a un rôle important à jouer dans la vie à travers différentes manières de s’impliquer. C’est sans doute à partir de cet âge, que le besoin d’inventer et d’expérimenter volontairement les choses, que le besoin de création et non plus d’imitation se fera plus fortement sentir. Cela n’empêche pas que l’adolescent ait toujours besoin d’un guide pour pouvoir s’appuyer sur celui-ci. On passe de la compréhension du monde par l’identification de sa propre personne à travers le cercle restreint familial, à l’identification et l’établissement de son propre rôle dans une société. Le développement de l’identité se définit par le développement de ses goûts et de ses affinités, de la reconnaissance de son image corporelle et de l’image de soi, du choix sexuel et de son identité professionnelle, sociale et politique.

En psychologie, on distingue habituellement trois phases de comportement social que traverse un adolescent entre 12 et 20 ans. Durant ce laps de temps, le jeune adolescent va développer une manière de raisonner plus déductive, posant des hypothèses et répondant par l'abstrait. Dans une première phase d’opposition, selon une définition tirée du site des infirmiers en psychiatrie, l’adolescent connaît « un effondrement total de tout l'acquis moral et social de la période de latence. C'est un mouvement régressif au cours duquel l'adolescent

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est imprévisible, refuse tout ordre établi et perçoit une très forte attirance pour la provocation. Il est pris entre une incapacité à domestiquer ses désirs et la recherche du plaisir dans la transgression de l'interdit. » L’adolescent cherche une prise de conscience de soi. La transformation de son corps le déstabilise. Son corps n’est plus le même, il lui devient étranger. Il est en quête d’identité et doit ré-habiter son corps. Dans une seconde phase, l’adolescent affirme son moi et revendique son indépendance et sa liberté. Typiquement, il repense la société et élabore de nouveaux systèmes. C’est à cet âge que l’on refait le monde, que l’on rêve de grands idéaux et que l’on passe son temps à discuter. On retient alors les termes : mégalomanie, affabulation, idéalisation, générosité et égoïsme. Puis, s’ensuit une phase d’insertion dans laquelle l’adolescent se réconcilie et tend à accepter le monde tel qu’il est. Il construit gentiment son indépendance affective et économique et peut commencer à envisager sa vie d’adulte. Il doit déjà envisager son insertion professionnelle qui est une formation visant la conjonction simultanée de trois types d’acquisitions. Selon Fabre1, les fondements pour l’entrée dans la profession sont l’acquisition d’une technique, d’attitudes

correctes face une tâche à accomplir et une attitude au travail (ponctualité, persévérance,

soin) et l’acquisition de l’image de soi afin d’être mieux face à soi-même et face à autrui. Devenir adulte, c’est aussi s’accepter, se connaître. Et pour se connaître, il faut tout d’abord se reconnaître et parvenir à se libérer.

Dans le processus artistique, qui fait appel à toutes ces acquisitions, l’adolescent cherche à comprendre comment fonctionne le monde afin de s’y insérer en tant que personne responsable, à la différence de l’enfant qui cherche à le représenter et à prouver qu’il en fait partie.

L’enfant et son rapport au dessin (ou aux racines du dessin)

Pour comprendre avec et dans quel rapport on construit une image, il est essentiel de rappeler certaines étapes importantes du développement de l’enfant. Car on construit son image

1 Christine Fabre est Maître de conférence en Sciences de l’Education et responsable de la Formation des

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comme on construit une image, un dessin : tous deux sont visibles et reflètent notre être. Le dessin peut livrer bien plus de choses que les mots ne sauraient dévoiler. Il ne s’agit pas de répéter les bienfaits du dessin utilisé à des fins thérapeutiques ou d’analyser des dessins à la manière du test psychologique Dessine-moi un arbre, mais plutôt de rappeler tout simplement certains stades du développement psychosocial, du passage de l’enfant à celui de l’adulte. Grâce à ce rappel, nous comprendrons peut-être mieux la liberté que certains jeunes ont pu s’autoriser lors de notre expérience, ou les contraintes desquelles ces mêmes personnes étaient encore prisonnières. Il nous semble évident que la pratique du dessin par l’enfant est variable d’une famille à l’autre. Cela dit, nous nous attacherons ici à des choses basiques, propres à chaque être humain. Le dessin est un langage et la construction identitaire d’une personne passe aussi par le dessin. Mais le dessin d’enfant n’est pas un dessin d’adolescent et il n’a pas la même fonction. Par un rappel du développement de l’enfant, nous tâcherons de comprendre et d’expliquer les rapports que celui-ci tisse avec sa pratique du dessin.

L’enfant, tout comme le préadolescent (9-12 ans) a besoin d’être attaché à des êtres stables, de pouvoir poser des repères. Ce n’est que lorsque ses besoins de sécurité sont satisfaits que l’enfant peut s’éloigner de la figure qui le sécurise pour explorer ce qu’il ne connaît pas. Cela est valable dans tous les domaines, de même que le rapport que l’on a à sa propre création, par extension, au dessin personnel. Depuis la naissance jusqu’à l’âge de 12 ans, le dessin d’enfant subit une forte évolution marquée par différents stades et reliée au développement psychomoteur de celui-ci. Ces stades prennent en compte l’âge de l’enfant ainsi que les caractéristiques de ses productions. Différentes classifications par stade ont été proposées pour montrer l’évolution du dessin enfantin. Luquet, philosophe et anthropologue, est l’un des premiers à s’y intéresser. Il y consacra une grande partie de sa vie d’ailleurs. Luquet définit cinq stades, s’intéressant aux figures tracées, à leurs signes et à leurs structures. Les deux derniers stades vont retenir particulièrement notre attention puisqu’ils concernent plus directement les acteurs de notre recherche. Les âges que nous noterons en guise de repère sont approximatifs car ils peuvent varier d’un enfant à l’autre.

Jusqu’à l’âge de deux ans, l’enfant passe tout d’abord par l’étape du gribouillage. Le dessin est une simple conséquence du geste. Le geste laisse une trace sur une surface qui garde la marque, qu’il s’agisse d’un mur ou d’une feuille de papier. S’ensuit un lien de cause à effet entre le geste et la trace que l’enfant essaie de reproduire. La répétition et le caractère ludique de ce geste conduit à une maîtrise de celui-ci. Dès lors, les tracés de l’enfant deviennent

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intentionnels. L’enfant ne cherche pas à représenter quelque chose, il n’a pas d’intention représentative, il dessine par plaisir.

Au stade suivant, l’enfant alors âgé de deux à trois ans identifie dans son dessin une ressemblance hasardeuse entre son tracé et un objet réel. Dès lors, il se pense capable de figurer les choses tout comme les grandes personnes le font, et décide de reproduire cet objet. Le geste devient contrôlé et l’enfant commence à commenter ses productions. Il communique à l’avance ce qu’il va faire. Luquet nomme ce stade le réalisme fortuit.

Peu à peu, la figure tétard apparaît dans une période que l’on nomme le réalisme manqué. L’enfant a des intentions représentatives, mais n’obtient pas toujours le succès escompté. Il doit à la fois contrôler son geste encore maladroit et en même temps se concentrer sur ce qu’il souhaite signifier. Il sait de quoi sont composés les objets et dessinent uniquement ce à quoi il songe : l’enfant a besoin de verbaliser ce qu’il dessine pour marquer ses intentions. Il arrive que l’enfant soit focalisé sur un détail, mais il oublie de le mettre en relation avec d’autres éléments dessinés. Petit à petit, ses difficultés s’atténuent. Lorsque l’enfant souhaite représenter quelque chose et que cela échoue, il fait un choix : soit il renonce, soit il fait une correction en ajoutant au dessin un détail significatif.

À partir de quatre ans, une fois les obstacles surmontés, l’enfant peut réaliser son dessin de façon réaliste (réalisme intellectuel). Les relations entre les objets deviennent cette fois significatives. Mais ceci n’implique pas la fin du caractère fortuit de ses productions. On peut encore apercevoir dans certains dessins une mixité entre des éléments dont la forme est intentionnelle et certains dont la forme n’est pas volontaire. Malgré ses intentions réalistes, l’enfant a besoin de faire figurer ce qu’il sait. L’objet apparaît de manière à ce qu’on puisse le reconnaître. En accumulant les détails figurant sur son dessin, l’enfant n’accentue pas son réalisme, mais augmente la quantité d’informations qu’il souhaite donner. Plus un dessin veut dire de choses, plus il est intéressant pour l’enfant. On remarque que le dessin donne à l’enfant la fonction de communiquer et d’informer : il est son premier système (ou schéma) narratif. C’est d’ailleurs pour cela qu’il est comparé au récit dans sa dimension narrative et informative.

À partir de six ans, la production des dessins d’enfant témoigne de son habilité gestuelle et de ses connaissances techniques. En tenant à faire figurer dans son dessin ce qu’il sait, l’enfant va à l’encontre du réalisme visuel. Par ce que nomme Luquet le phénomène de transparence,

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l’enfant rend visibles des objets qui, dans un dessin réaliste, devraient être cachés. Les parois des maisons laissent voir par transparence ce qui se passe à l’intérieur. Une autre caractéristique propre à ce stade du dessin enfantin est celle des points de vue multiples. L’exemple le plus courant est celui de la représentation du visage de face et de profil repris par Picasso. L’enfant ajoute au dessin ce qu’il a à disposition dans son répertoire de formes. Aussi, lorsqu’il dessine un poisson, celui- ci est représenté de profil comme il l’a toujours fait, et son visage est dessiné de face comme celui d’un personnage, les nageoires sont représentées comme si elles étaient vues de dessus. L’enfant pour synthétiser crée des combinaisons. Il choisit le meilleur point de vue pour représenter chacun des éléments qu’il souhaite signifier. Si ces assemblages extravagants participent à la qualité fantastique de son dessin pour l’adulte, le conflit entre perception et connaissance conduira l’enfant au réalisme visuel.

Ce qui marque la différence des capacités psychomotrices entre l’enfant et l’adulte est un degré de conscience affiné à partir de dix ans. Ce stade, entre neuf et douze ans, est défini par certains auteurs du développement comme la « soumission à la perspective » ou le « dépérissement du dessin par la confrontation avec le réalisme ». Il symbolise en réalité le souhait de l’enfant de se conformer aux critères d’adultes. Pour faire ce choix, l’enfant a dû renoncer à ce besoin de synthétiser. Désormais, il n’y a qu’un seul point de vue. Alors que le réalisme de l’enfant (réalisme intellectuel) doit représenter tout ce que l’enfant sait sur la nature de l’objet dessiné, le réalisme de l’adulte (réalisme visuel) est une imitation de la réalité. Plus de transparence non plus, puisque l’enfant dessine ce qu’il voit. Contrairement au réalisme intellectuel qui présente une juxtaposition d’objets sous différents points de vue, le réalisme visuel présente une unité dans l’espace et les objets qui l’occupent. À partir de là, pour dessiner ce que l’on voit, il faut oublier ce que l’on sait.

C’est à partir de cet âge, loin de tous gestes primitifs que le pré-ado manifeste le besoin de justesse et de précision dans le geste. Comme l’enfant copie peu d’après nature, l’adolescent n’exprime que très peu sa vie fantasmatique dans le dessin. Un changement relatif au dessin s’opère, une période complexe débute. On le voit dans les cours d’art visuel, dès l’âge de 12 ans, l’enfant se désintéresse du dessin et investit d’autres activités plus conformes à ses besoins. Le souci de signifier propre au réalisme intellectuel est remplacé par le langage verbal et par l’action. Pour se sentir valorisé dans les arts visuels, l’adolescent a besoin de ne plus dessiner “comme un bébé“.

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Les exigences de l’adolescent face au dessin

L’adolescent devient alors extrêmement exigeant pour ce qui est de rendre conforme son intention initiatrice. « La nécessité de l’entraînement pour progresser est reconnue. La technique (qu’elle requière un investissement moteur important ou mobilise la motricité fine) suscite l’intérêt et même séduit tout autant qu’elle décourage – voir inhibe en cas d’échec – lorsque qu’elle s’avère encore au-delà des possibilités psychomotrices et intellectuelles du jeune. » (Fabre, 1989, p. 152) Cette tendance s’accentue avec le temps. Fabre explique aussi par ce phénomène un découragement du jeune pour le dessin quand survient l’apprentissage de la perspective linéaire. La maîtrise exigée du dessin se compare de plus en plus facilement avec le réalisme, besoin auquel l’adolescent tend. Le réalisme visuel correspond à la mort du dessin d’enfant et à l’émergence du dessin d’ado ou d’adulte.

Pour résumer, on remarque que les raisons qui poussent l’enfant à dessiner sont bien différentes de celles de l’adolescent. L’enfant se réalise en tant que personne à travers le dessin, alors que l’adolescent quand il dessine, utilise, comme source d’inspiration, un langage extérieur qui permet de définir sa personne. Quand dessiner pour l’enfant constitue une des activités essentielles de son développement, l’ado, lui, abandonne ce moyen d’expression. Nous verrons les raisons qui poussent certains adolescents à ne plus pratiquer le dessin ainsi que les satisfactions qu’y trouvent ceux qui persévèrent dans cette voie. Le dessin lui-même ne donne plus de satisfaction pour le développement de soi, mais la satisfaction que le jeune en tire valide chez l’ado le fait de continuer à dessiner ou pas. Il nous est paru essentiel de soulever quelques sources de blocages comme les intérêts et besoins personnels de l’ado, le besoin de s’exprimer, le jugement, l’inhibition et le narcissisme, puis de comparer la situation de l’ado à celle de l’enfant.

Nous avons vu chez l’enfant que l’importance du dessin se trouvait spécialement dans l’acte, alors qu’elle se trouve, plus tard, essentiellement dans la représentation. À moins que l’enfant se fasse injustement rabaisser, il continuera de dessiner. Sa satisfaction est assouvie par l’acte même d’accomplir un dessin, par le faire. L’univers de l’enfant est suffisamment solide pour que le regard extérieur n’influence que très peu l’enfant. La grande personne porte rarement un regard critique sur le contenu d’un dessin d’enfant alors que, plus l’enfant grandit plus l’adulte se permet de donner son avis, de juger son travail ou le choix des sujets représentés. L’adolescent puise son inspiration dans des facteurs extérieurs et a besoin du

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regard approbateur de ses pairs ou de l’adulte pour se construire.

Quand on s’exprime au moyen du dessin, cela suppose qu’il soit partagé et validé, qu’il prenne donc de la valeur aux yeux d’un tiers. Or, une peur ou un frein que l’on trouve régulièrement dans l’accomplissement du dessin des enfants à partir de 12 ans est le résultat. En outre, plusieurs études démontrent que plus l’enfant grandit, plus il a une image très critique et pessimiste de lui-même. (Morissette, 2002). L’idée de résultat avec tout ce que cela implique est inscrite dans la tête des gens ; un dessin est perceptible d’un seul coup d’œil, il dévoile une personne, une personnalité et un savoir-faire plus ou moins maitrisé. Il se lit dans un laps de temps très bref et celui qui l’a vu porte déjà son propre jugement. Le jugement peut être perçu comme une sentence, par soi et/ou par un tiers. Qui dit estime de soi d’un être qui vit en société, dit aussi jugement. Cet être devra être jugé positivement par celle-ci pour être reconnu et accepté. Il en va de même pour un travail. La question du jugement est inévitable lorsque l’on parle de dessin, chose visible et directement descriptible par d’autres tiers.

Comme le rappelle Mireille Cifali dans « Les Fonctions du jugement », lorsqu’on juge, « on ne se réfère pas à ses valeurs ou références, mais à des normes que la société s'est données pour que les hommes puissent vivre ensemble ». Cela va peut-être au-delà de la production artistique mise en question dans notre mémoire, mais le jugement est sans doute une des raisons qui pousse ou décourage les adolescents à poursuivre la pratique du dessin. Le jugement est une opinion qui décide de la valeur de quelque chose. Pour décider de la valeur de quelque chose, il doit forcément exister des références préalables qui seront utilisées pour un jugement… une sorte de comparaison. Toute comparaison implique un pont entre deux choses, un regard extérieur qui cherche la différence. Cela peut être pris comme une opinion mais aussi comme un verdict. Une personnalité plus ou moins apte à résoudre des problèmes, à accepter une critique, à appliquer des changements poursuivra alors la voie du dessin. Le dessin est alors, dans la plupart des cas, pratiqué par une personne qui aura une touche singulière, originale, voire extraordinaire, qui sera alors reconnue d’un tiers ou admise du monde professionnel car elle prendra le risque alors de ne pas être comprise par ses pairs ou par l’adulte (l’enseignant) qui estimera l’œuvre par une critique ou une approbation. L’auteur et son œuvre sont intimement liés : par le jugement, on donne indirectement un statut à une personne, tout comme la personne se créera au travers du jugement personnel de son œuvre.

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identité : identité liée à l’image que l’on a de soi, mais aussi à la manière dont les autres nous perçoivent. Créer, c’est s’exposer, se mettre en danger. Le souci de plaire aux autres est trop présent. Suivant l’âge et le degré de confiance en soi, il peut être alors omniprésent et empêcher une expression personnelle, libre. Grandir, c’est développer une personnalité et développer son propre langage. Ce langage doit être suffisamment clair pour qu’il soit compréhensible par nos pairs et suffisamment personnel pour exprimer le caractère individuel de chacun.

Entre personnalisation et inspiration, entre facteurs intérieurs et facteurs extérieurs, l’adolescent cherche un équilibre pour créer. L’inspiration, l’adolescent va la chercher par l’observation du monde réel ou dans son environnement imprégné d’une culture propre à son âge, aussi diversifiée soit-elle. N’oublions pas qu’à la base, et on peut le voir soit dans les productions d’enfants, soit dans les peintures primitives, l’expression plastique s’oriente autour de symboles simples et universels (cosmogoniques). C’est ensuite qu’elle tendra vers une direction abstraite ou figurative. L’adolescent fait le choix et suit la direction du figuratif car il ne tend pas, entre autre, à exposer sa sensibilité ou a besoin de poser des repères plus terriens. Il est intéressant de noter que Greig, en comparant les grands mouvements artistiques, démontre l’incompatibilité entre création expressionniste et réalisme absolu, qu’il y a un répondant à un imaginaire tendant vers l’abstraction, alors que l’autre se rapprocherait de la représentation photographique. (Greig, 2001, p. 206). Dans sa radicalité, cette observation oppose diamétralement, dans différentes pratiques artistiques, la représentation du réalisme de celle de l’expressionisme pur. La source d’inspiration intérieure la plus pure serait ici l’expression, tandis que la source d’inspiration extérieur, le réalisme. Cela peut expliquer dans quel dilemme peut se trouver une personne devant l’envie d’exprimer ses sentiments librement et l’envie de représenter le monde réel qui l’entoure. Nous sommes d’accord sur le fait que ce dilemme n’est pas véritablement conscient ou problématique, mais qu’il peut susciter un sentiment de confusion.

Comme tout un chacun, le jeune puise son inspiration dans diverses sources. On travaille à partir de modèles qui correspondent à nos goûts pour les réinterpréter plus personnellement. Ils se nourrissent de la culture populaire et s’identifient à celle-ci. Prenons maintenant l’exemple de l’univers manga qui inspire actuellement de nombreux jeunes; ils s’inspirent de ce langage très codifié rendu par un esthétisme particulier ou un graphisme très stylisé. Pour l’ado, le dessin se doit de correspondre à certains critères et codes de cette culture manga. Le

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dessin d’adolescent peut alors sembler souvent impersonnel. Mais le respect de ces critères lui donne des repères et valide l’appartenance à une culture précise. Dans un contexte plus général, nous sommes là au cœur des phénomènes de groupe ou de tribu. Ceux qui n’ont pas perdu le goût du dessin représenteront cette culture à laquelle ils adhèrent à travers un langage plastique. L’adolescent, par le dessin aussi, s’immerge, se projette même dans cet univers qu’il prend pour modèle. Le dessin devient alors un langage d’évasion. Comme l’écriture d’ailleurs, il permet d’inventer un monde de représentation qui va au-delà des frontières physiques, un monde fictif qui est plus difficile à atteindre avec d’autres formes de langages. Plus on grandit, plus l’éventail des moyens d’expressions, plus ou moins complexes, s’élargit. Alors que l’enfant limitait les siens à bouger, dessiner et babiller, l’adolescent ne pratiquant plus le dessin l’exprimera à travers d’autres langages. Il a ouvert son champ des possibles avec des moyens de transmettre de plus en plus élaborés. Il se crée dans l’écriture, la poésie, la musique, la danse ou tout autre forme d’activité. Il découvre de nouvelles formes d’expressions qui se manifestent en groupe ou de manière plus individuelle.

Les représentations de l’adolescent face au dessin : une question d’éducation, de culture, de personnalité ?

Alors que l’enfant montre le besoin de faire figurer sur son dessin ce qu’il sait, l’ado, lui, s’il n’y arrive pas, abandonne souvent le dessin en prétendant que c’est trop difficile. Il est plus difficile, en effet, de représenter ce que l’on sait quand notre perception est plus affinée, quand on a conscience des différents systèmes de représentations, de la complexité des phénomènes spatiaux ou de lumière pour ne parler que du dessin. De plus, l’adolescent est un être très exigeant avec lui-même. Il est compréhensible de baisser les bras ou de devoir faire des choix devant la difficulté, face à un but paraissant impossible à atteindre. En dessin, pourtant, ces fameuses règles de représentation du réalisme qui font buter les adolescents ne sont qu’une partie infime du spectre de l’illustration.

L’adolescent remarque que sa perception utilitaire et affective des choses ne suffit plus à contenter ce qu’il entend par beau dessin ou dessin réaliste. Cela exige de lui qu’il se

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surpasse, qu’il aille au-delà de ses capacités du moment. Nous avons vu précédemment que le jeune enfant avait besoin de coucher sur le papier tout ce qu’il savait.

Dans « Education esthétique, luxe ou nécessité ? », Porcher écrit : « Notre apprentissage est façonné par l’éducation immédiate de la vie courante, le regard va aux utilités et non aux apparences ». Ou plus loin, « (…) dans la perception courante, nous percevons mal, trop vite, trop superficiellement. Nous nous contentons de signaux qui nous indiquent les objets dont nous avons besoin, nous ne nous attardons pas à détailler les apparences. » (Porcher, 1973, p. 26) L’homme ou l’ado est ainsi réduit dans son dessin à son environnement, environnement qui se définit par ce qui lui est utile. On comprend ainsi mieux les bonshommes bâtonnets qui remplissent et contentent les dessins des ados qui revendiquent ne pas être Picasso. Le savoir et l’âge du jeune enfant justifient ce qu’il dessine et comment il dessine, alors que pour l’adolescent, avec toutes les connaissances qu’il a acquises, sa manière de dessiner ne légitimerait pas, à ses yeux, son mode d’expression.

Pour mettre en lien cette perspective utilitariste à notre question de recherche, il est intéressant d’observer comment les personnes qui n’ont pas reçu d’éducation esthétique décrivent une œuvre ou une image. Ces personnes perçoivent les éléments qui composent l’image d’une manière auto-centrique, utilitaire et réaliste. (Porcher, 1973, p. 37-38) Auto-centrique, dans le sens où l’observateur s’immiscera dans le tableau et aura une nette tendance à se comparer ou se projeter au milieu des acteurs figurants sur le tableau. Utilitaires car l’image que renvoient les objets du tableau est plus importante que la représentation de l’objet dans sa fonction : la cheminée de travers sur un toit empêcherait la bonne évacuation de la fumée ou, il serait impossible de chausser des échasses d’une telle dimension. Et, enfin, réaliste, parce que l’observateur a de la peine à admettre la qualité anecdotique de l’objet. L’ado pourrait avancer : « Le violon de Braque n’est pas un violon et Braque est un artiste qui se moque des gens parce qu’il est incompréhensible, illisible, trop abstrait. » Le dessin réaliste rassure. Ces personnes préfèrent alors l’illusionnisme, qui est incontestable, à la transposition. Pour reprendre l’exercice utilisé dans l’une de nos recherches, nous pourrions traduire : si un nid était construit sur un plongeoir, à condition aussi d’accepter l’idée de plongeoir qui est symbolisé par une simple ligne noire, alors il serait impossible d’utiliser le plongeoir et les oisillons risqueraient de tomber dans l’eau au moindre coup de vent.

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En ce qui concerne notre question de recherche, face à sa perception des choses et face à l’image, l’adolescent ne voit pas l’intérêt de dessiner ou répéter les “erreurs“ ou les maladresses de représentation d’un enfant. Cette vision est sans doute liée à un manque d’éducation artistique ou esthétique. Malgré un apprentissage obligatoire des arts visuels à l’école, il est intéressant de relever un nombre toujours important de personnes ayant cette vision simpliste des choses. Ce manque de connaissances empêche d’attribuer de la valeur à des images pourvues de codes que l’on ne connaît pas ou que l’on ne reconnaît pas. Le jugement de l’ado face au dessin d’enfant est d’autant plus critique car, ayant déjà passé par là, il croit en connaître les codes. Contrairement à l’artiste, l’adolescent ne saura apprécier la stylisation de l’œuvre et jugera cette oeuvre comme étant pauvre. Nous essayerons de distinguer dans nos différentes recherches s’il y a différence entre adolescent cultivé ou non. Par le mot cultivé, nous entendons l’accès à la culture en dehors de l’école, dans ce que Bourdieu nommait le capital culturel.

Nous avons abordé plusieurs fois la question de l’adolescent face au réalisme visuel, indiquant que cette période était souvent synonyme de capitulation. L’adolescent est confronté à une autre perception de l’espace qu’il ne maîtrise pas. Il remarque que le modèle qu’il suivait et croyait juste jusqu’à ce jour est biaisé. La taille des objets qu’il dessinait jusqu’à ce jour correspondait à une vision de type médiéval où les objets avaient une dimension affective. Leur espace graphique est un espace affectif : les avenues d’une ville ne disparaissent pas dans le lointain, mais exposent un point de vue unique, une ville est composée de rangées d’immeubles occupant uniquement un plan ou un seul un pan de maison est représenté avec, au centre, le sujet principal du dessin. L’espace sert uniquement de décor. « Pour la majorité, la représentation de l’espace est une source d’insatisfaction, leur production graphique ne parvenant pas à répondre à leur besoin de réalisme pourtant on ne peut plus normal à leur âge. » (Fabre, 1991, p. 178) L’adolescent se trouve devant de nouvelles difficultés. Et paradoxalement, c’est à cet âge que l’ado est animé d’un besoin compulsif de respecter les limites et fixer les contours. (Ce qui est, entre nous soit dit, paradoxal à son besoin de transgresser.)

Nous relevions la perspective médiévale (ou hiérarchique) dont font usage instinctivement la plupart des enfants. Alors qu’il a fallu des siècles à l’homme pour trouver un système spatial telle que la perspective linéaire de la Renaissance, il est défendable que ces nouveaux codes graphiques, où toutes les lignes convergent vers un lointain alors que l’enfant vient à peine de savoir tirer des parallèles, paraissent insurmontables. Greig aussi soulève ce choc des

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représentations auquel est confronté l’adolescent. (Greig, 2000, p. 149) L’enfant jusqu’à aujourd’hui était le centre de son dessin, représenté dans un monde restreint à trois bandes en ciel et terre. L’enfant a mis une dizaine d’années à mettre en place un système que l’imaginaire traditionnel approuve, pour s’entendre dire qu’il existe des codes de représentations qui imitent l’infini. Des codes qui rendent possible la représentation d’une troisième dimension en deux dimensions. L’adolescent a de quoi résister. Il comprend que c’est l’apprentissage de toute une vie. Il se trouve lui-même à un âge où il s’oriente professionnellement. De nouveau, il n’a pas choisi le métier d’artiste. Face au poids de ce qu’il sait, le jeune bâcle. Pour illustrer ces propos, nous reprendrons un extrait des carnets de notes de Leonardo da Vinci s’adressant à ses élèves: « Quand vous vous promenez, observez, notez et examinez les circonstances et les comportements des hommes en train de se parler, de se quereller (…) et faites en un croquis en quelques traits dans un carnet que vous devriez toujours avoir avec vous. » « Le jeune devra d’abord apprendre la perspective, puis les proportions. Il peut alors copier un grand maître, pour s’habituer aux formes précises. Ensuite, d’après nature, pour confirmer par la pratique ce qu’il a appris. Ensuite, contempler longuement les œuvres des différents maîtres. Puis, prendre l’habitude de mettre son art en pratique et travailler. » (Vinci, cité par Gardner, 1980, p. 146) Cette citation montre l’exigence du métier et ce qui définit un artiste au travers de son regard, au travers de sa pratique.

Pour pouvoir s’exprimer par le dessin, l’acquisition d’un minimum de techniques est nécessaire. Nous avions vu que l’acquisition de techniques suppose aussi de devoir se plier à des codes communs. L’utilisation de ces codes comme seul critère de réussite dans le dessin est un leurre, mais un leurre bien ancré. Il est aussi vrai que la plupart des personnes menant une activité artistique ont acquis ces notions de base telles que des idées de proportions, de profondeurs, de représentation de la matière ou de lumière. Après tout, il y a bien des gens qui évoluent dans le monde de la bande dessinée, pour ne citer qu’eux, et qui n’appliquent pas ces critères.

« Il ne faut pas oublier que l’enfant est gêné par ses propres maladresses, par ses méconnaissances des outils et des matériaux. Ne pas lui venir en aide à ce propos serait de trahir son désir d’expression et de progrès. Ce qui se rapporte ici aux enfants se rapporte tout à fait à la plupart des êtres humains tout âge confondu. Encore faut-il que le jeune soit demandeur. » (Best, 1973, cité par C. Fabre, 1989, p. 75). Pourtant, c’est à cet âge que l’adolescent montre une vraie fascination pour l’anatomie qu’il relie à son corps en mutation.

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C’est à cet âge qu’il a grand besoin de s’exprimer. Son affect doit être suffisamment investi pour poursuivre l’acte de dessiner. Maintenant, il serait judicieux de rappeler le lien très étroit entre l’affectif et la motricité, en ceci que l’adolescent construira son espace, de manière stable ou instable, mais toujours en fonction de son parcours émotionnel.

« Toutes les recherches actuelles en psychomotricité, convergent vers la même constatation : le développement psychomoteur de l’enfant est étroitement solidaire de son développement mental affectif et social. Autrement dit, la façon dont le corps s’actualise et se manifeste dans la motricité volontaire, la bonne adaptation des automatismes qui la sous-tendent, la dépense tonique régissant le tout, sont profondément liées à la représentation mentale, aux différents niveaux : mémoire, jugement, raisonnement, attention, et à leur apparition dans le langage. » (Coste, 1975, cité par C. Fabre, 1989, p. 143)

On sait maintenant que l’adolescent dessine pour des raisons premières qui sont affectives. Par conséquent, toutes les perturbations qu’il aura subies ou subit encore se retrouveront dans sa représentation graphique et influenceront sa perception. A fortiori, son développement intellectuel, tout comme son bagage émotionnel, déteindront sur le sujet de ses dessins et sa manière de dessiner. Dans sa création artistique, l’adolescent ou l’adulte se montre soucieux de l’importance de verbaliser et d’avoir conscience du processus de création utilisé. Il est pleinement conscient que la compréhension du monde dans lequel on vit (et la maîtrise de sa représentation) lui permettra ensuite d’apporter plus facilement une interprétation personnelle. Mais comme le relève Fabre, le jeune doit être encore animé de l’envie de créer et disposer des possibilités pour pouvoir le faire. « Le processus de création nécessite deux préalables : l’intention initiatrice et la démarche de la concrétiser, par la perception, le geste, l’outil, la technique, sur le support choisi. (…) C’est la possibilité d’agir, c’est-à-dire le dynamisme psycho-moteur qui permet ce passage de l’intention à la chose créée. » (Fabre, 1989, p. 145).

Le processus créatif et l’acte créateur ou différentes perceptions de l’acte créateur

Une des idées faussement répandue est de considérer que l’enfant, lorsqu’il dessine, est très créatif. Nous ne prétendons pas que l’enfant n’est pas créatif dans un contexte plus général,

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mais que le caractère fantastique du dessin d’enfant est dû à des « maladresses » plutôt qu’à une volonté de la part de l’enfant de créer un mode onirique ou décousu. Précédemment, nous avons évoqué la portée que pouvait avoir l’éducation ou l’intérêt de l’observateur. À plusieurs reprises, nous avons évoqué le regard ou le jugement que l’on porte sur un dessin et la perception différente qu’on en a suivant l’âge. Il est intéressant de noter qu’un dessin d’enfant est perçu par l’enfant qui l’a réalisé ou d’autres enfants de son âge comme étant un dessin réaliste. Sans prendre en compte l’âge de l’auteur, l’adolescent trouvera ce même dessin tout simplement raté. Alors, que l’adulte ou l’artiste, pour des raisons affectives ou stylistiques, appréciera le dessin pour d’autres qualités.

Comment est perçue la créativité de l’enfant ? À la fin du 18ème siècle, on commence à s’intéresser à l’enfant, à envisager l’idée de l’enfant artiste se créant sans cesse lui-même grâce à ses propres capacités. Certains progressistes défendaient l’idée que l’école devait servir l’expression libre du langage de l’enfant. Jusque là, notre société contemporaine a parfaitement intégré et compris les avantages de ce modèle de pensée. Au Congrès international de la réforme pédagogique au début du XXème siècle, Bergson décrète que

créativité signifie ce que l’enfant crée lui-même, ce qui lui a été imposé ne faisant pas partie

de celle-ci. Ces termes ne devraient plus être compris seulement dans un cadre artistique, mais dans d’autres branches de l’éducation, notamment avec la poésie et l’écriture. Bergson prodiguait la Création de soi par soi. Le développement d’un être implique sa métamorphose: Sur son chemin de vie, cette personne a passé par beaucoup d’étapes inévitables pour devenir ce qu’elle est, mais elle se retrouve aujourd’hui transformée. Nous pourrions illustrer brièvement cela par le papillon qui ne se reconnaît plus en chenille. Dans un aspect plus philosophique des choses, il y a là l’idée de changement complet de nature ou d’état. L’enfant selon Bergson ne se développe pas selon des étapes ou des âges, mais selon des états auxquels ils donneraient lui-même des pulsions. Bergson nomme ces pulsions “élan vital“ : où le moment vécu est au centre de ce développement et donne cette pulsion pour grandir pour se créer soi. D’où sa réflexion, qu’il ne sert à rien d’influencer de manière autoritaire ou d’imposer quelque chose à un enfant pour l’éduquer. Il écrit d’ailleurs : « Wie kann das eine werden, was es noch nicht ist, und wie kann das andere geworden sein, was es nicht war ? » ou Comment peut devenir quelqu’un qui n’est pas encore et, comment peut être devenu l’autre qui n’a pas été ? Dans notre recherche, nous ne confrontons pas l’enfant à l’ado, mais nous observons le rapport dans l’autre direction, de l’ado à l’enfant. (Oelkers,

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2009, p. 1-13) À en croire Bergson, ce concept d’une création de soi perpétuelle efface toute chance de face à face (face à face entre l’enfant et l’ado). Ce serait une erreur de comparer un ado à ce qu’il a été, dans le sens où il n’y se reconnaîtra pas car il n’est plus. Dans cette perspective, il serait néanmoins intéressant d’observer non pas le lien entre un dessin d’enfant et celui d’un adolescent, mais le regard que l’un pose sur l’autre. Et étant donné que chaque expérience nous nourrit, on ne perçoit jamais deux fois la même chose. Notre regard est changé par nos expériences, il est donc impossible de se répéter, de réinterpréter quelque chose en copiant.

Winnicott, lui, décrit la créativité comme étant une chose qui s’actionne plutôt inconsciemment que consciemment. Elle transparaît et reflète la particularité de chacun et trahit ainsi les capacités de chacun à concevoir et réaliser quelque chose de cohérent et nouveau. La capacité de créer en dit long sur la personne et dévoile ses capacités cognitives et métacognitives. Il parle de créativité comme la manière dont se construit une personne. Ce n’est curieusement pas le premier psychanalyste qui le fait, d’où l’importance de considérer ce mot “créativité“ comme synonyme de qualité de vie. À plusieurs reprises, nous avons vu que les termes créer et se créer sont étroitement liés et que, par extension, exister et se développer prenait sens uniquement dans la réaction (erleben) du moment présent. On développe sa créativité non seulement dans la création d’images, mais aussi dans le plaisir de penser, de se projeter ou en allant de l’avant à la recherche de solutions. De nouveau, comme le relevait Best, la volonté est un premier facteur pour créer. Un deuxième facteur qui motive cette volonté est le plaisir ou l’idée de jeu qui permet de créer. Certes, les pulsions instinctives nous poussent aussi à aller de l’avant, mais il arrive un stade où l’homme peut se sentir freiné dans son besoin de grandir.

Nous revenons sur l’idée de jeu. Dans un article sur “Les écrivains et la rêverie“, Freud compare l’activité de l’écrivain avec celle de l’enfant en train de jouer. Nous pourrions ici rattacher l’écrivain créateur à chaque personne créatrice. « L’écrivain créateur réagit de la même façon que l’enfant qui joue. Il crée un monde de fantasmes qu’il prend très au sérieux, c’est-à-dire qu’il y investit une grande part d’émotions, tout en les séparant nettement de la réalité. L’enfant, par contre, aime à rattacher les objets et les situations qu’il imagine aux réalités tangibles et visibles du monde extérieur. » (Freud cité par Storr, 1974, p. 166) Cela suppose deux choses. Partant du postulat que l’enfant apprend en jouant et en investissant une

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grande part de son affect et de ses émotions, nous pouvons supposer que le jeu, dans son sens le plus large et par tout ce qu’il implique, rend créatif. Nommée autrement, la créativité chez l’adulte sera animée par le fantasme. Et, si l’on n’a pas la volonté de jouer ou de créer, cela montre logiquement un désintérêt total pour le jeu ou l’exercice qui a été proposé. Cette volonté sera mesurée par l’implication du jeune dans l’exercice. Dans la réalisation d’un dessin, se prendre au jeu implique le mouvement et donc invite l’exploration ou la recherche d’idées. Intéressant sera alors d’observer si les participants de notre recherche non impliqués ont réussi à susciter des liens malgré tout intéressants à observer. Et, sur quoi et par quoi ont su rebondir les participants qui se sont engagés ?

Pourtant, nous avons mené notre recherche dans un cadre scolaire, auprès d’élèves qui n’ont pas la prétention d’être à l’école pour créer, encore moins pour être créatifs. Cette conception ne tient sans doute qu’à notre système scolaire, mais elle reste néanmoins bien ancrée : l’élève n’a pas un rôle de chercheur et d’inventeur, il n’est pas libre et doit se soumettre à un contrôle didactique. “On devrait laisser agir les enfants comme des artistes qui ne se laissent pas perturber et suivent leur intuition, leur fantaisie étant l’outil fondamental de l’apprentissage.“ (Sully cité par Oelkers, 2009, p. 7) Sully, philosophe anglais, fut le premier à clamer l’enfant comme artiste. Ces réformateurs défendaient également l’idée qu’un enfant, s’il est assailli de modèles à suivre est freiné dans son épanouissement. Il lui est difficile, voir impossible de créer si une forme lui est imposée. Il est justifiable de se demander comment interroger et faire un pont entre la création artistique de l’enfant et celle de l’adolescent, sans imposer de forme qui pourrait servir de modèle ou empêcher l’ado d’exploiter sa créativité ; réponse à notre question de recherche. Quel modèle choisir qui ne serait perçu par l’adolescent, non pas comme marche à suivre, rigide, mais comme tremplin, comme inspiration?

Franz Cizek, autre grand réformateur de la pédagogie de la première moitié du XXème siècle, enseignant en arts visuels et aussi artiste, enseignait à ses élèves qu’il n’y avait pas de méthode pour représenter la nature telle qu’elle est car l’art n’est pas la nature. Il oppose ici le naturel et l’artificiel. Il empêchait ainsi ses élèves d’essayer d’imiter la nature. Ce qui importait aux yeux de Cizek était que ses élèves réfléchissent à leur production par l’échange verbal. Il favorise une démarche non pas esthétique ou machinale mais conceptuelle : l’élève grandit grâce à ses réflexions sur le moment. Chaque enfant est créatif à ses yeux et seules les circonstances peuvent empêcher son expression créatrice. Il était également contre l’idée d’évaluer la créativité ou le talent artistique, ce qui sonnerait sa perte. Ses élèves participaient

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à son enseignement jusqu’à l’âge de quatorze ans maximum. En dessus de cet âge, l’application de ses méthodes devenait problématique. Les raisons ne sont pas décrites, mais on pourrait sans doute tirer des parallèles semblables à nos précédentes réflexions. Lui-même décrivait les enfants comme étant beaucoup plus créatifs que la plupart des adultes.

Depuis un siècle, cette pensée a marqué son influence sur nos méthodes de pédagogie ou dans le monde artistique par la voix de pédagogues tel que Freinet, Dewey ou Stern. Toutes ces personnes promeuvent le non-interventionnisme, mais la plupart ont fixé leur attention spécialement sur le jeune enfant. Ces méthodes proposées ont néanmoins montré leurs limites car l’élève est vite conduit à une stagnation de son expression. En laissant à l’adolescent une liberté totale, il réclamera de lui-même l’enseignement de techniques diverses. Cette pédagogie de la “non-erreur“ possible, incite par contre certains à se lancer ou à pratiquer le dessin ou la peinture.

L’activité créatrice est-elle synonyme de créativité, de création ou de pulsion créatrice ? Parce que le sens du mot créateur est proche de celui de créatif, il convient de mieux différencier ces deux termes : la créativité désigne l’aptitude de création, le pouvoir d’invention. Anzieu, définit la créativité comme « un ensemble de prédispositions de caractère qui peuvent se cultiver et se trouvent sinon chez tous du moins chez beaucoup. Tandis que la création est l’invention ou la composition d’une œuvre répondant à deux critères : apporter du nouveau et en voir la valeur reconnue par un public ». (Anzieu, 1981, cité par Guy Aznar) Il distingue ainsi la différence entre l’attitude de réinterpréter (expression imaginaire) et l’action de produire, de créer quelque chose de nouveau. Dans notre cas, nous exigerons que l’individu soit créatif et non créateur. Créateur est un métier : nos élèves, eux, devront réagir sur quelque chose et non pas inventer. « Travail du rêve, travail du deuil, travail de la création ont en commun qu’ils constituent des phases de crise pour l’appareil psychique et comme dans toute crise il y a un bouleversement intérieur, (…) une mise en question des structures acquises, une régression à des sources inemployées et c’est la fabrication hâtive d’un nouvel équilibre, le dépassement créateur. » (Anzieu, cité par Guy Aznar) Par là, on souligne le rôle essentiel d’une remise en question et d’une mise en ordre de choses connues dans le processus créatif. Curieusement, les phases de création sont très semblables à la recherche de soi, au développement adolescent. La dimension du nouveau ne peut apparaitre sans essayer, oser, dépasser ces schémas connus pour aller vers l’inconnu.

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L’acte créatif mérite d’être analysé au travers de plusieurs approches. Cela interroge aussi la façon dont perçoit cet acte la personne soumise à la réalisation d’une œuvre. Selon Legendre, mathématicien français, il s’agit de « la capacité de l’individu à faire quelque chose, à créer, produire des idées neuves et réalisables, à combiner et réorganiser des éléments. » Il conclut : « (...) Le tout inventé sera d’autant plus étonnant que les parties seront familières. » (Barbone cite Legendre, Revue Prisme, 11/2011, p. 5) Il ajoute à la définition d’Anzieu un paradoxe, qui est le connu amène vers l’inconnu. L’inconnu n’est donc pas totalement in-connu. Aussi, d’après Magistretti, professeur à l’Université de Lausanne, être créatif signifierait s’appuyer sur ses connaissances, et en même temps réussir à les abandonner. Toutefois, il faut parvenir à oublier les normes, imposées entre autres par les apprentissages, et laisser place au hasard. Le fait d’utiliser ou pas ces hasards détermine le devenir d’un individu (et de son œuvre). Magistretti se demande si l’acte créatif se mesure à son produit qui serait, lui, une reconnaissance sociale. Pour lui, la créativité est dépendante, elle est très étroitement liée à la personne : il n’y a pas de recettes pour être ou devenir créatif sinon d’instaurer un climat favorable pour encourager l’enfant ou l’adolescent. Il décrit le processus créatif comme étant un processus hasardeux, paradoxe où il faut savoir ignorer ce que l’on sait : Notre cerveau met de l’ordre dans nos acquis, mais de manière implicite. Il y a une grosse part d’inconscient où « il faut utiliser le savoir sans le savoir ». (Revue Prisme, 2011, p. 6-7) Créer, avoir de nouvelles idées, agit lorsque le cerveau est au repos ou que l’on s’ennuie ou dans une perspective plus constructive, lorsque l’on cherche à comprendre, mais en tâtonnant. Le hasard apparaît dans ces deux procédés pour faire émerger nos savoirs. En quelque sorte, on ne crée rien, mais on recrée ou on réinterprète. Magistretti soulève ici la capacité à se sentir suffisamment libre pour pouvoir faire place au hasard et être créatif. Mais, l’idée d’oublier les normes pour pouvoir créer se discute : On ne crée pas quelque chose de solide sur rien. Tous s’accordent au moins sur le fait qu’être créatif est un apprentissage qui demande le développement de certains acquis dont une certaine confiance en soi.

De même, tous ces postulats confluent vers l’idée que l’on ne peut pas demander à quelqu’un, “faible“ ou pas, de devoir créer. En terme d’exigence, il est dur de mesurer la richesse de l’acte créatif. Etant le miroir de nos ressources, elle pourra paraître médiocre pour l’enseignant, alors que le simple fait pour l’élève d’avoir produit ou même découvert quelque chose le satisfera.

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Notre démarche

Avant d’exposer nos diverses expériences, il nous semble important de revenir sur ce qui a motivé notre recherche. Rappelons que nous enseignons les arts visuels et que les propos qui vont être énoncés sont basés sur nos constats et notre ressenti.

En cours d’arts visuels, nous avons le sentiment que nos élèves sont souvent démotivés et insatisfaits. Nous déplorons également dans leurs productions un manque de créativité que nous cherchons sans cesse à stimuler pour leur redonner goût à la création. On a coutume de dire que dès l’âge de douze ans, les adolescents se désintéressent du dessin au profit d’autres domaines comme le sport ou l’écriture. Malgré le besoin très fort d’expression que nous ressentons chez nos élèves, ceux-ci semblent parfois complètement démunis devant une feuille blanche. Ils manifestent souvent du mécontentement et portent sur leurs productions un jugement sévère. Alors que la discipline des arts visuels devrait servir à cultiver l’estime de soi, celle-ci suscite parfois l’effet inverse. Effectivement, nous entendons en effet souvent les réactions suivantes : « De toute façon, je ne sais pas dessiner. », « Mon dessin est moche. » qui aboutissent au constat suivant : « Je suis nul. ». Les adolescents semblent accorder une grande importance au résultat final d’un dessin. Ils manifestent des attentes qui doivent être satisfaites. Dès lors, il serait intéressant de s’interroger sur les qualités qu’un dessin devrait réunir pour les contenter. S’agit-il d’un dessin donnant l’illusion du réel, d’un dessin reconnu par ses pairs, d’un mélange des deux ?

La dimension spectaculaire d’un dessin réaliste séduit les adolescents comme bon nombre de personnes. Toutefois, la mise en oeuvre de celui-ci requiert des capacités d’observation et des habiletés techniques qui ne sont, pour la plupart des adolescents, pas encore acquises. Il est donc difficile d’arriver au résultat espéré. C’est à ce moment-là que le regard des autres va jouer un rôle. Un dessin réaliste étant perceptible d’un seul coup d’œil, il va inévitablement induire le jugement des autres mais surtout de soi. La crainte du jugement est d’après nous une des raisons qui pourrait pousser les adolescents à rejeter le dessin.

Nous arrivons aisément à reconnaître un dessin d’enfant de par ses maladresses, son trait peu sûr, mais existerait-il un dessin d’adolescent ? Nous avons évoqué notre ressenti face à leur fascination pour le dessin réaliste, nous souhaitons maintenant réfléchir au contenu de leurs

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dessins. Dans les productions des adolescents, il semblerait que le sujet prend une importance non négligeable. Parmi les motifs récurrents, nous retrouvons les marques à la mode, les stars en vogue et les codes de langage adolescent. Les productions parfois impersonnelles de nos élèves traduisent d’après nous un besoin d’appartenance propre à l’adolescence. En d’autres termes, pour que le dessin ait de l’importance, il faut qu’il soit reconnu par les pairs. De ce fait, ce ne serait pas vraiment le réalisme qui intéresse l’adolescent, mais plutôt le sujet qui pour être identifiable par les pairs devrait être représenté de façon réaliste. En tant qu’enseignantes en arts visuels, nous pensons que ce besoin d’appartenance et ce souci de reconnaissance peuvent parfois représenter une entrave à la créativité. Toutefois, nous refusons de réduire l’adolescent à l’idée fortement répandue d’être conformiste. La rédaction d’un journal intime, bien qu’il s’agisse d’une activité secrète, ne démontre-t-elle pas un besoin urgent et personnel de s’exprimer ? Ce besoin d’expression ne pourrait-il pas aussi être exploité à travers le dessin, malgré ce soit disant “désintérêt“ évoqué plus haut?

Nous sommes convaincues du potentiel créatif de nos élèves, mais nous regrettons les blocages et le manque de confiance que ceux-ci manifestent pendant nos cours. Cette période de l’adolescence composée de doutes s’oppose à celle de l’enfance qu’on associe volontiers à la liberté, au laisser aller. Dans le dessin d’enfant, la maladresse technique et le regard des autres ne semblent pas être un obstacle. Cet imaginaire débordant doublé d’une liberté de trait ne laisse pas indifférent et provoque souvent une certaine fascination.

L’intérêt pour le dessin d’enfant ne date pas d’hier. Dans son livre “L’invention du dessin d’enfant“ Emmanuel Pernoud, professeur d’histoire de l’art contemporain à Paris, raconte comment les artistes se sont appropriés les œuvres des enfants et le regard qu’ils portent sur le monde. (Pernoud, 2003)

Dès 1900, le dessin d’enfant suscite une attention particulière. On le commente, on cherche à le reproduire, on l’expose dans des galeries d’art. Certains artistes de la fin du XIXe siècle comme Gauguin, Bonnard et Vallotton cherchent à reproduire le naturel enfantin. Des années plus tard, les artistes Matisse et Picasso s’intéressent à son tracé, à sa ligne tremblante traduisant à la fois une maladresse et une sensibilité. Au Blaue Reiter, Kandinsky et Klee

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affirment leurs affinités créatrices avec le dessin enfantin. Kandinsky évoque la force inconsciente qui émane de l’enfant et qui s’exprime dans ses dessins par le regard naïf qu’il pose sur le monde. Selon lui, un adulte initié ayant bénéficié d’une formation académique produira des dessins corrects mais dénués de vie, tandis qu’un individu sans formation artistique réalisera un dessin vivant mais manquera de technique. Kandinsky se méfie de l’emprise pédagogique sur le dessin enfantin. Il a lui-même collectionné des dessins d’enfant et en a prélevé des motifs pour créer ses propres peintures. De son côté, Klee associe le dessin enfantin à la pureté, la naïveté et la primitivité de l’homme. Ses dessins subissent un bouleversement stylistique lorsqu’il découvre les productions graphiques de son fils alors âgé de quatre ans. Nous reconnaissons cette influence dans l’univers poétique et féerique de ses oeuvres. Ce qui rassemble Klee et Matisse dans l’intérêt qu’ils portent pour le dessin enfantin, c’est l’usage de la ligne. Matisse déclare : « Il faut regarder toute sa vie avec des yeux d’enfants. » Il précise qu’il faut garder cette fraîcheur et cette naïveté au contact des objets. Selon lui, il faut faire cohabiter la perception de l’enfant et la maîtrise des objets. Matisse prétend que les enfants ne sont pas des artistes puisqu’ils ne savent pas ce qu’ils font. Il insiste sur le fait que le résultat est le fruit d’un long travail de préparation, que la créativité va de pair avec la difficulté. Voir les choses comme si on les voyait pour la première fois, demande un effort que seul un artiste ayant la maîtrise des objets peut réaliser. Sa fascination pour le dessin d’enfant a eu une influence sur son style. Cette inspiration se manifeste dans certaines de ses œuvres par l’absence de modelé, la simplicité des moyens, l’utilisation d’aquarelle et l’insertion de l’écriture dans l’image. Comme dans les dessins d’enfant, cette écriture au style particulier est utilisée pour désigner un objet présenté ou pour poser sa signature. Certaines œuvres de l’artiste présentent une combinaison entre le dessin d’enfant et des inspirations byzantines et égyptiennes. Matisse, Klee, et Mirõ se sont tous les trois intéressés au dessin d’enfant par l’intermédiaire de leurs propres enfants. Dans les Demoiselles d’Avignon, Picasso peint un nez de profil et un visage de face. Cette façon de représenter les objets rappelle dans l’évolution du dessin enfantin le stade du réalisme intellectuel. Dans son dessin, l’enfant a besoin de faire figurer ce qu’il sait. L’objet apparaît de manière à ce qu’on puisse le reconnaître. Tout comme Kandinsky, Picasso se méfie de l’emprise de la pédagogie sur le dessin. La perception du dessin d’enfant est selon lui non scolaire et échappe au réalisme visuel imposé par l’école. Contrairement à Matisse qui critique l’enfant par sa non maîtrise de l’objet, Picasso considère celui qui ne sait pas comme le maître de celui qui sait. L’enfant n’échappe pas aux clichés. L’enfance associée à la naïveté, la liberté et la résistance aux codes est également présentée comme l’âge des

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