L'infirmier en psychiatrie face au suicide de patients
Texte intégral
(2) Travail de Bachelor . Juillet 2015 . Andreia Morais & Jérôme Arellano . . « Coping with a patient’s suicide m ay be one of the most difficult tasks for nurses and other psychiatric clinicians » (Midence, Gregory, & Stanley, 1996, cité dans Collins, 2003, p. 159). . 2 .
(3) Travail de Bachelor . Juillet 2015 . Andreia Morais & Jérôme Arellano . Remerciements Monsieur Blaise Guinchard, professeur HES à la Haute École de la Santé La Source, pour son suivi en tant que directeur de notre travail et sa disponibilité. Madame Karine Daerendinger, infirmière et praticienne-‐formatrice en psychiatrie à la Fondation de Nant, pour l’attention portée à notre thématique, ainsi que d’être experte à notre soutenance. Messieurs Didier Camus et Jonas Spycher, infirmiers en psychiatrie, pour leurs bons conseils et pistes de réflexions. Les documentalistes de la Haute École de la Santé La Source pour leur patience et le temps accordé pour répondre à nos demandes. Mesdames Céline Arellano et Corinne Spycher pour les relectures et corrections amenées à notre travail. A l’un et à l’autre. . . 3 .
(4) Travail de Bachelor . Juillet 2015 . Andreia Morais & Jérôme Arellano . Résumé But . A travers cette revue partielle de littérature, nous souhaitons explorer les différents types d’impacts que peuvent induire le décès par suicide d’un patient dans un contexte de psychiatrie, au sein des membres d’une équipe soignante. Nous désirons également amener des pistes de réflexions concernant la mise en place d’interventions pour faire face à cet évènement. Dans le but de nous aider à explorer plus en profondeur cette problématique, nous nous sommes basés sur trois concepts théoriques : les émotions, le déni, ainsi que le coping et les mécanismes de défense. Notre question de recherche est la suivante : « Suite à une tentative ou à un suicide de patient hospitalisé en psychiatrie, quels sont les impacts pour les infirmiers 1 et quelles interventions mettre en place pour y faire face ? ». . Méthodologie . A l’aide de descripteurs et de mots-‐clés prédéfinis, nous avons mené nos recherches sur diverses bases de données telles que Cumulative Index to Nursing and Allied Health Literature (CINAHL), PubMed (Medline), PsycINFO (Ovid), la Banque de Données en Santé Publique (BDSP) et Science Direct. . Discussion . La totalité de nos articles abordent un aspect qui nous permet d’apporter une réponse à notre question de recherche. Nos articles mettent en avant deux types d’impacts que les professionnels peuvent ressentir à la suite d’un suicide de patient : émotionnel et professionnel. Afin de faire face à cela, les soignants mentionnent les moyens de soutien qu’ils ont reçus et ceux qu’ils ont perçus comme étant les plus aidants. Nous avons identifié un certain nombre de recommandations pour la pratique que nous avons mises en évidence selon trois catégories distinctes : individuelles, institutionnelles et formation. . Conclusion . Le suicide est un évènement marquant au sein d'un parcours professionnel pouvant avoir des répercussions pour les infirmiers. Elles peuvent être d'ordre émotionnel et/ou professionnel et impliquer des changements dans la prise en soins des patients. Ceci démontre l'importance d'offrir divers moyens de soutien aux soignants de manière à ce qu’ils continuent à prodiguer des soins de qualité. . Mots-‐clés . Suicide2, psychiatrie, infirmier, impact Nous souhaitons également mettre en avant que la rédaction et les conclusions de ce travail n’engagent que notre responsabilité et en aucun cas celle de la Haute École de la Santé La Source. . 1 Peut également se lire au féminin. 2. Nous entendons par suicide : tentative(s) de suicide, comportement suicidaire et idée(s) suicidaire(s). 4 .
(5) Travail de Bachelor . Juillet 2015 . Andreia Morais & Jérôme Arellano . Table des matières 1 Introduction ................................................................................................................. 6 2 Problématique et question de recherche ...................................................................... 7 2.1 Concepts théoriques ............................................................................................................................................... 9 2.1.1 Les émotions ............................................................................................................................................................ 9 2.1.2 Le deuil .................................................................................................................................................................... 10 2.1.3 Le coping et les mécanismes de défense ................................................................................................... 11 3 Méthodologie ............................................................................................................ 12 4 Résultats .................................................................................................................... 14 5 Analyse critique des articles ....................................................................................... 15 5.1 Nurses’ experiences of patient suicide and suicide attempts in an acute unit .......................... 15 5.2 Les réactions des professionnels en santé mentale au décès par suicide d’un patient ......... 16 5.3 The Impact of Patient Suicide on the Professional Reactions and Practices of Mental Health Caregivers and Social Workers ....................................................................................................................... 17 5.4 Effects of Suicidal Behavior on a Psychiatric Unit Nursing Team ................................................... 18 5.5 Serious untoward incidents and their aftermath in acute inpatient psychiatry : The Tompkins Acute Ward Study ........................................................................................................................... 19 5.6 Patient Suicide in Institutions : Emotional Responses and Traumatic Impact on Swiss Mental Health Professionals ............................................................................................................................ 20 6 Comparaison des résultats ......................................................................................... 21 7 Discussion et perspectives .......................................................................................... 26 7.1 Impacts sur les infirmiers ................................................................................................................................. 26 7.1.1 Impacts émotionnels ......................................................................................................................................... 26 7.1.2 Impacts professionnels .................................................................................................................................... 26 7.1.3 Facteurs prédicteurs ......................................................................................................................................... 28 7.2 Moyens de soutien ............................................................................................................................................... 28 7.2.1 Soutiens personnels ........................................................................................................................................... 28 7.2.2 Soutiens professionnels au sein de l’institution .................................................................................... 29 7.3 Recommandations ................................................................................................................................................ 29 7.3.1 Individuelles .......................................................................................................................................................... 29 7.3.2 Institutionnelles .................................................................................................................................................. 30 7.3.3 Formation .............................................................................................................................................................. 30 7.4 Perspectives de recherches .............................................................................................................................. 31 7.5 Limites de la revue de littérature .................................................................................................................. 31 8 Conclusion ................................................................................................................. 31 9 Liste de références ..................................................................................................... 33 10 Bibliographie .............................................................................................................. 35 11 Annexes ..................................................................................................................... 37 . . 5 .
(6) Travail de Bachelor . 1. Juillet 2015 . Andreia Morais & Jérôme Arellano . Introduction Je garde en souvenir la culpabilité ressentie par les soignants après le décès du patient et les nombreuses questions concernant le fait de n'avoir rien vu. « Vous aviez bien perçu sa douleur », m'a dit le chef de service. A cet instant, un autre travail d'aide a commencé pour moi, celui du cadre qui permet à l'équipe d'exprimer son ressenti, chose que ce patient n'a pas pu faire suffisamment tôt (Anonyme, 2010, p.24). . Lorsque nous avons débuté l’élaboration de notre travail de Bachelor, nous nous sommes rendus compte qu'une expérience vécue en stage nous avait particulièrement marqués, à savoir celle dans le domaine de psychiatrie. Tout au long de ces stages, nous avons rencontré des patients ayant divers troubles psychiatriques ainsi que des comportements pouvant être à risque pour leur santé. La thématique du suicide en lien avec la santé mentale est une problématique qui a souvent été abordée sur le terrain. En effet, de nombreux patients que nous avons pris en charge présentaient un comportement suicidaire. Face à cela, nous nous sommes parfois sentis impuissants. En allant chercher, au sein de nos équipes, des pistes de réflexion ainsi que des réponses afin de diminuer ce sentiment, nous avons perçu que ce ressenti était également partagé par certains infirmiers diplômés. Bien que les soignants aient répondu à une partie de notre questionnement, nous n'avons toutefois pas eu l'occasion d'en approfondir la totalité. C’est pourquoi nous avons décidé, pour notre travail de fin d’études, de porter notre réflexion sur la survenue du suicide dans les soins. Selon Delevault (2005) : Soigner, ce n'est pas seulement prodiguer des soins à une personne malade. C'est avant tout s'engager émotionnellement, au sein d'une équipe, dans une relation qui touche à l'intimité. Cette proximité physique et psychologique peut entraîner le personnel dans une dérive, le plus souvent inconsciente, de ses sentiments et de son comportement, face à ces situations stressantes que sont la souffrance, l'agonie et la mort d'un malade. (p.27) Les infirmiers en psychiatrie sont, par conséquent, amenés à prendre en charge au quotidien des situations complexes et épuisantes, auxquelles ils font face grâce à leur engagement professionnel et au préjudice, parfois, de leur équilibre psychologique. En effet, il est difficile pour un soignant de ne pas être touché face à un patient désirant mettre fin à ses jours. Nous avons constaté que divers outils et méthodes existent afin de prévenir et/ou de détecter le suicide chez les patients. En revanche, il ne nous a jamais été évoqué l'existence de moyens pour aider les soignants à faire face au décès par suicide d’un patient. Néanmoins, les professionnels développent des capacités d’adaptation et de résistance dans le but d’affronter les situations complexes. Pour ce faire, ils utilisent leurs ressources émotionnelles, au risque de s’épuiser (Delevault, 2005). Pour notre revue partielle de littérature, nous souhaitons nous intéresser à la façon dont les infirmiers en psychiatrie vivent le passage à l'acte d'un patient, ainsi que les dispositifs mis en place afin qu’ils puissent surmonter cet évènement. Pour y parvenir, nous allons, dans un premier temps, argumenter l’importance de notre question de recherche dans la pratique infirmière, en exposant la problématique ainsi que les concepts qui vont guider nos réflexions. Puis, nous développerons le processus méthodologique qui nous a permis de sélectionner les articles scientifiques. Suite au regard critique que nous avons porté sur les études retenues pour leur analyse, nous présenterons les six travaux sous forme de tableau pour en comparer les résultats et mettre en avant les recommandations pour la pratique. Finalement, nous terminerons par la discussion et la conclusion qui nous permettront de mettre en lumière des perspectives futures concernant cette thématique. . 6 .
(7) Travail de Bachelor . 2. Juillet 2015 . Andreia Morais & Jérôme Arellano . Problématique et question de recherche . Selon l’Organisation Mondiale de la Santé [OMS] (2014), « chaque année, plus de 800'000 personnes se suicident dans le monde, soit une personne toutes les 40 secondes » (p. 11). Le suicide est défini par l’OMS (2001) comme étant « un acte délibéré accompli par une personne qui en connaît parfaitement ou en espère, l’issue fatale » (p. 37). Les tentatives de suicide sont nettement plus nombreuses que l’aboutissement de l’acte en lui-‐même, à savoir, selon l’Office Fédéral de la Santé Publique [OFSP], environ sept fois supérieures au suicide. Malgré l’évolution des représentations du suicide dans la société, cette thématique reste encore un sujet tabou, discriminatoire, voire même illégale dans certains pays. Les taux obtenus dans les recherches peuvent, par conséquent, être sous-‐ estimés du fait qu’il « n’est pas rare que le suicide soit classé […] dans les catégories « accidents » ou « autres causes de décès » » (OMS, 2014, p. 7). Sur le plan national, environ 1100 personnes décèdent de suicide par an, à savoir « en 2009, 1105 personnes (827 hommes et 278 femmes) » (Observatoire de la santé [OBSAN], 2012, p. 68). En Suisse, le suicide est mis en avant comme étant la deuxième cause de mortalité pour la population âgée de 15 à 44 ans, et comme étant la troisième cause de décès pour la classe d’âge de 45 à 64 ans. En se référant aux données ci-‐dessus, le taux de suicide en Suisse est considéré parmi les plus élevés d’Europe (OBSAN, 2012, p. 70). Ces chiffres soulignent l’importance de cette thématique dans notre société et le relèvent comme étant une problématique actuelle. En effet, ce n’est qu’en septembre 2014 que l’OMS édite le premier rapport mondial concernant le suicide, évoquant l’importance de sa prévention. Le suicide est un processus complexe qui fait appel à divers facteurs de risque. Le facteur ayant la plus grande influence sur ce processus est celui d’avoir précédemment commis une ou des tentatives. En effet, une personne ayant déjà essayé de se donner la mort sans que cela n’aboutisse y est particulièrement plus vulnérable et cela pendant de nombreuses années. Selon, l’OBSAN (2012), 10 à 15% des personnes ayant déjà commis une ou plusieurs tentatives de suicide finissent par se donner la mort. La présence d’un trouble psychique est un autre facteur majeur de passage à l’acte. A savoir que, chez plus de 90% des personnes décédées par suicide, une maladie psychique y était reportée (OFSP, 2005, p. 18). De plus, dans son rapport « La santé psychique en Suisse » (2012), l’OSBAN nous informe qu’il est fortement envisageable qu’une personne sur six souffre d’un trouble psychique en Suisse. Outre les conséquences directes d’un suicide, d’autres y sont indirectement liées et sont tout aussi importantes à relever. Selon l’OBSAN (2012), « en moyenne, quatre et six personnes membres de la famille et personnes proches sont touchées » (pp. 68-‐69). Le décès d’un être de façon si brutale peut avoir un impact traumatisant sur l’entourage mais aussi sur les professionnels de la santé qui l’accompagnaient et qui avaient noué un lien thérapeutique avec celui-‐ci. En effet, Camus, Cucchia, Jaques et Ros (2001) précisent que le suicide « est alors souvent source de désarrois et peut être ressenti chez les soignants comme un échec, une trahison […] » (p. 8). Toutes ces informations nous amènent à dire que l’infirmier peut être mené, un jour ou l’autre, à prendre en soins des patients ayant des idées suicidaires, ayant fait une, voire plusieurs tentatives de suicide, ou s’étant donné la mort après avoir eu recours au système de soins. Ces patients peuvent se trouver dans chaque service. Néanmoins, au vu des informations de la littérature et de nos . 7 .
(8) Travail de Bachelor . Juillet 2015 . Andreia Morais & Jérôme Arellano . expériences de stage, nous constatons qu’ils peuvent être davantage présents dans un contexte de psychiatrie. En effet, selon l’article de Klein (2012) : Le suicide d’un patient est l’accident majeur en psychiatrie hospitalière. Il est sans cesse présent à l’esprit du psychiatre puisque 40% des personnes hospitalisées expriment leur intention de mettre fin à leurs jours au moment de l’admission ou sont hospitalisées dans les heures qui suivent une tentative de suicide. (p. 85) Pour ce travail, nous avons choisi de nous centrer uniquement sur les suicides de patients en psychiatrie. Nous sommes néanmoins conscients de l’importance de cette même thématique dans tout autre contexte de soins. Ceci pourrait faire l’objet d’un autre travail de Bachelor. Les infirmiers en psychiatrie ont un rôle primordial dans la prévention du suicide. En effet, ils « sont en mesure de dépister les personnes présentant un risque suicidaire et d’intervenir auprès d’elles […] » (Ordre des infirmières et infirmiers du Québec [OIIQ], 2007, p. 20). De plus, les infirmiers « [sont] de très importants membres de l’équipe de santé mentale puisqu’ [ils s’occupent] des patients 24h par jour […] [ils travaillent] en première ligne de soins » [traduction libre] (Sun, n.d., cité dans Sun, Long, Boore & Tsao, 2005, p. 453). Lors de nos deux stages, nous avons ainsi pu observer des professionnels évaluer ce risque et mettre en place des interventions dans le but d’éviter le passage à l’acte. Quel que soit le service ou les circonstances du décès du patient, celui-‐ci reste un évènement difficile pour les équipes. Toutefois, en comparaison à une mort survenant suite à un problème de santé, une personne mettant fin à ses jours de manière brutale par un geste auto-‐ agressif la rend encore plus difficile à accepter. Effectivement, selon Pommereau, Delorme, Bonnemaison et Bouthier (1994), « on conçoit qu’après un suicide survenu en institution, les mécanismes de défenses mis en jeu par les soignants soient beaucoup plus intenses que lors de n’importe quel autre mode de décès » (p. 92). Suite à ces réflexions et à nos lectures, nous nous sommes questionnés à propos des ressentis de l’infirmier, lorsque la prévention mise en place échoue. « La mort est considérée comme une conséquence inévitable et malheureuse de la maladie médicale, mais comme un échec thérapeutique lorsqu’un patient se suicide » [traduction libre] (Collins, 2003, p. 159). Lorsque nous avons débuté nos recherches, nous souhaitions nous intéresser à la détection et à la prévention du suicide chez les patients bipolaires en milieu psychiatrique. Cependant, suite aux résultats de nos recherches et en interrogeant quelques professionnels du terrain concernant la difficulté de prendre en charge des patients dits suicidaires, ce n’est pas uniquement la prévention ni l’évaluation du risque suicidaire qui ont été soulignées comme difficiles. En effet, ces derniers partagent avec nous la part de non-‐maîtrise qu’ils ressentent lors de ces prises en charge, l’impuissance face à quelqu’un qui veut se donner la mort. Selon eux, si la personne souhaite vraiment passer à l’acte, quoi que l’infirmier mette en place, elle le fera, dans le but d’abréger sa souffrance. Ces sentiments se mélangent alors à toutes sortes d’émotions qui peuvent parfois être difficiles à identifier et à en donner sens. Elles ont pour conséquences la mise en place de contre-‐ attitudes, de mécanismes de défenses ou au contraire d’une envie absolue de rassurer le patient et d’avoir l’impression de tout porter sur soi. Suite à ces interviews, nous nous sommes posé différentes questions qui relèvent de la clinique infirmière. Quelles sont les répercussions personnelles du suicide d’un patient sur les soignants ? . 8 .
(9) Travail de Bachelor . Juillet 2015 . Andreia Morais & Jérôme Arellano . Quelles sont les conséquences pour la pratique de soins des soignants lorsqu’un patient se suicide ? Comment continuer à soigner quelqu’un qui a essayé de mettre fin à ses jours ? Qu’en est-‐il, pour l’équipe de soins, après le suicide d’un patient ? Quels sont les moyens individuels et institutionnels mis en place suite au suicide d’un patient ? En nous référant au Code déontologique du Conseil international des infirmières, le volet l’infirmière et la pratique met en avant le fait qu’il est judicieux de « suivre de près et améliorer l’état de santé personnel des [infirmiers] afin de maintenir au plus haut niveau leurs capacités à exercer leur profession » (Conseil international des infirmières, 2012, p. 7). Toutes ces réflexions nous ont finalement menés à notre question de recherche : « Suite à une tentative ou à un suicide de patient hospitalisé en psychiatrie, quels sont les impacts pour les infirmiers et quelles interventions mettre en place pour y faire face ? » . 2.1. Concepts théoriques . Nous avons retenus trois concepts théoriques qui sont centraux dans notre problématique. 2.1.1 Les émotions Daniel Goleman (1997) décrit les émotions comme étant : A la fois un sentiment et les pensées, les états psychologiques et biologiques particuliers, ainsi que la gamme de tendances à l’action qu’elle suscite. Il existe des centaines d’émotions, avec leurs combinaisons, variantes et mutations. Leurs nuances sont en fait si nombreuses que nous n’avons pas assez de mots pour les désigner. (p. 424) De part cela, nous comprenons alors la complexité de définir ce concept. Selon Ekman et Friesen (1971), il existe sept émotions dites universelles : la joie, la colère, la tristesse, le dégoût, le mépris, la surprise et la peur. Il est également possible de catégoriser les émotions en cinq dimensions, comme l’a amené Klaus Scherer (1999, cité dans Mikolajczak, Quoidbach, Kotsou, Nélis, 2014, p. 14). La première dimension fait référence aux pensées suscitées par la situation. La deuxième renvoie aux modifications biologiques pouvant recouvrir trois types de manifestations : neuronales, physiologiques et neuro-‐ végétatives. Vient ensuite la dimension des tendances à l’action ; l’émotion implique une impulsion. La quatrième fait référence aux modifications expressives et comportementales, notamment au niveau du visage. Puis, la cinquième renvoie à l’expérience subjective, au ressenti. Les émotions servent à exprimer un sentiment, qu’il soit bon ou mauvais. Dans la pratique infirmière, il est du rôle des soignants de savoir détecter les émotions chez les patients et de les accueillir. En revanche, les professionnels ne partagent pas ou que rarement leurs émotions, de peur « de se sentir mal à l’aise, voire […] de passer pour un être faible » (Phaneuf, 2012, p. 1). Les émotions sont « vues comme des facteurs qui troublent le jugement, font commettre des actes inconsidérés ou affectent négativement les prises de décision […] » (Kotsou, 2012, p. 9). Cependant, il est nécessaire d’identifier ses propres émotions afin de pouvoir au mieux les réguler et/ou les utiliser (Mikolajczak et al., 2014). Catherine Bassal (2012) parle alors de compétences émotionnelles. Elles « permettent à une personne d’identifier, d’exprimer, de comprendre, de réguler et d’utiliser ses émotions pour s’adapter à l’environnement dans lequel elle évolue. Ces compétences relèvent de l’intelligence émotionnelle, c’est-‐à-‐dire de la capacité à utiliser et à contrôler ses émotions et celles des autres » 9 .
(10) Travail de Bachelor . Juillet 2015 . Andreia Morais & Jérôme Arellano . (Bassal, 2012, pp. 24-‐25). Cette capacité est essentielle aux infirmiers, notamment dans le domaine de la psychiatrie où les soignants sont en permanence confrontés aux émotions des patients ainsi qu’aux leurs. En effet, durant nos stages dans ce contexte, il nous a souvent été demandé d’identifier et de travailler sur nos propres émotions. Elles sont considérées comme un outil de travail précieux et indispensable aux infirmiers travaillant dans un service de soins psychiatriques. On ne peut pas travailler sans émotions, ce n’est pas possible et puis c’est justement les émotions, pour moi, qui sont un moteur dans ma fonction. […] Même si elles sont négatives, comme la colère, la tristesse ou la peur, elles sont quand même un moteur pour le soin. (Cudré, 2008, p. 30) 2.1.2 Le deuil Bien que la notion de deuil ne fasse pas uniquement référence à la mort d’une personne, c’est cet aspect que nous allons traiter dans notre travail. Le deuil peut alors être défini comme étant « la perte par décès d’une personne proche […]. Cette personne et cette séparation vont entraîner une souffrance et un processus biopsychosocial de changement qui exige une adaptation » (Bourgeois, 2003, p. 1). Chaque personne vit son deuil de manière personnelle et met en place des mécanismes de défenses. Un individu confronté à l’approche de la mort d’un patient va les mettre en place dans le but de se défendre contre toutes les émotions qu’il va ressentir (Ruszniewski, 2014). En effet, de Broca (2010) nous dit que « la mise en place des mécanismes de défense débute dès l’annonce du décès mais suit un parcours très variable selon les individus, selon ses structures de défenses antérieures, selon sa personnalité, selon ses convictions culturelles et religieuses » (p. 11). La personne en deuil passe par différentes phases qui sont en lien avec ce qu’elle ressent. La littérature sur le sujet nous parle de cinq ou sept étapes, selon les auteurs. Nous avons choisi de nous baser sur les écrits d’Elisabeth Kübler-‐Ross, pionnière dans ce domaine. Dans son ouvrage Les Derniers Instants de la Vie (1996), l’auteure décrit cinq étapes traversées par les personnes endeuillées : le déni, la colère, le marchandage, la dépression et l’acceptation. Ces étapes ne sont pas chronologiques, elles peuvent apparaître chez chaque personne dans un ordre différent. De même que chaque phase peut durer plus ou moins longtemps ou peut être plus ou moins intense. Lorsqu’une personne ne parvient pas à surmonter une étape, le deuil n’est plus normal mais compliqué. « Les complications du deuil se manifestent essentiellement dans trois directions : la dépression chronique, la prise inconsidérée de risques et la dégradation de la santé » (De Montagny, 2002, p. 19). Lorsqu’il s’agit de suicide, le deuil est d’autant plus difficile à surmonter. « Il commence par un état de choc intense et écrasant car le suicide est une mort violente. Ce choc est encore aggravé lorsque le suicide est inattendu […]. L’endeuillé […] est alors dans un état d’abattement, d’écrasement, d’incapacité » (Hanus, 2009, p. 22). Du côté des soignants, la perte d’un patient n’est pas égale à celle d’un proche. Toutefois, le processus de deuil est identique. Selon Phaneuf (2014), le décès de patient peut être vécu comme un échec de sa mission principale, à savoir celle de prendre soin. « Les réactions peuvent aboutir à un dénigrement complet de sa fonction de soignant, à des rapports tendus entre soignants et au maximum au burn out » (Oncoprof.net, 2010). Pour faire face à cela, de nombreux éléments devront être mis en place tels que des stratégies de coping. . 10 .
(11) Travail de Bachelor . Juillet 2015 . Andreia Morais & Jérôme Arellano . 2.1.3 Le coping et les mécanismes de défense Le coping est un terme anglais qui se traduirait par « faire face à ». C’est en 1933 que Freud et en 1965 que Hans définissent ce concept comme étant un mécanisme de défense qui diminue le stress éprouvé (cités dans Piquemal-‐Vieu, 2001). Le coping a émergé au sein du concept des mécanismes de défense. Ces derniers sont des mécanismes mentaux involontaires, inconscients et automatiques mis en place pour atténuer les tensions internes et externes dans des situations de crise ou d’angoisse. Ils sont également perçus selon, Callahan et Chabrol (2004), comme étant « orientés vers les conflits internes et liés à la psychopathologie […] » (p. 3). Selon Ruszniewski (2014), « toute situation d’angoisse, d’impuissance, de malaise, d’incapacité à répondre à ses propres espérances ou à l’attente d’autrui, engendre en chacun de nous des mécanismes psychiques qui, s’instaurant à notre issu, revêtent une fonction adaptative et nous préservent d’une réalité vécue comme intolérable parce que trop douloureuse » (p. 15). Si le soignant est capable de reconnaître et de décrire le processus de ses mécanismes, cela va l’aider à identifier ses propres défenses et à prendre conscience que ce sont des réponses légitimes, pouvant faire référence à ses propres blessures personnelles ou professionnelles vécues dans le passé. En effet, pour pouvoir accompagner au mieux le patient, l’infirmier devrait être capable d’accepter et de déterminer ses propres limites, ce qui réduirait les chances qu’elles interfèrent dans la prise en soins. Si les équipes parviennent à identifier tous ces mécanismes lorsqu’un événement stressant, tel qu’un suicide, survient dans un service, peut-‐être comprendrons-‐nous mieux toute la difficulté d’une relation soignant-‐soigné (Ruszniewski, 2014). Bien que le concept de coping prenne racine dans celui des mécanismes de défense, certains critères les opposent. En effet, les processus de coping sont considérés comme étant « conscients, volontaires, flexibles, comportementaux, orientés vers l’adaptation positive à la réalité externe et liés à la santé mentale et au bien-‐être » (Callahan & Chabrol, 2004, p. 3). C’est en 1978 que Lazarus et Launier les définissent à leur tour comme étant l’ensemble des processus mis en place entre soi et un événement que l’on perçoit comme étant menaçant, dans le but de diminuer l’impact que celui-‐ci peut avoir sur notre bien être tant psychique que physique (cité dans Paulhan & Bourgeois, 2008). Avant de continuer à décrire les étapes importantes pour comprendre ce concept, il nous semble essentiel de faire le point sur un élément clé, grâce auquel les stratégies de coping vont être mises en place : le stress. En effet, tout au long de notre vie, nous sommes tous, en tant qu'individu, amenés à vivre des situations stressantes, menaçantes, ou du moins que nous percevons comme telles. C’est à ce moment, en se rendant compte des événements que nous vivons, que nous essayons habituellement de nous adapter en mettant en place des stratégies pour diminuer ces tensions. Piquemal-‐Vieu (2001) fait l’hypothèse que tout professionnel travaillant dans le domaine de la santé va être confronté, en lien avec son travail, à toutes sortes d’obstacles et de difficultés. Pour maîtriser ou fuir ces situations, ce dernier va développer des stratégies dans le but de maintenir son adaptation psychosociale. En effet, il semble primordial de prévenir les résultats négatifs liés à la perte de l’adaptation psychosociale de l’infirmier sur son bien-‐être mais aussi, et c’est ce que nous évoquerons davantage dans ce travail, à la qualité des soins qu’il va prodiguer. La mise en place d’interventions pour diminuer la tension dépend non seulement de facteurs externes, mais aussi de la personnalité de l’individu vivant le stress en question et de sa capacité à développer des stratégies d’apaisement. Certaines stratégies sont dites positives, tel que le support . 11 .
(12) Travail de Bachelor . Juillet 2015 . Andreia Morais & Jérôme Arellano . social, alors que d’autres, à l’instar du retrait ou encore du refus, sont perçues comme étant négatives. Le coping dit négatif ne signifie pas d’office qu’il soit inutile voire menaçant. En effet, Piquemal-‐Vieu (2001) dit dans son article que : […] le sujet peut être amené́ à gérer les moments de crise intense par des stratégies de coping socialement perçues négatives qui peuvent se révéler efficaces à ce moment-‐là̀ et sur du court terme comme l’indiquent certains travaux de recherche. La crise passée, l'éloignement des sentiments d’impuissance et des menaces, permettent alors de faire appel à des stratégies de coping socialement perçues positives. (p. 89) Il nous semblait essentiel, lors de ces explications, de s’intéresser tant au concept concernant les mécanismes de défense qu’aux processus menant aux stratégies de coping. Bien que ces concepts aient des similitudes et des divergences qui sont mises en avant par la littérature, il semblerait qu’ « étudier ou présenter les uns indépendamment des autres ne parait plus adéquat » (Callahan & Chabrol, 2004, p. 7). . 3. Méthodologie . Dans cette partie de notre travail, nous présentons nos stratégies de recherche issues des sources qui nous ont permis d’élaborer notre problématique, ainsi que les bases de données que nous avons employées afin de trouver nos articles scientifiques. Notre question de recherche a été mise en lien avec les quatre concepts centraux, à savoir la personne, la santé, l’environnement et le soin. Ceci nous a permis de cibler nos recherches pour répondre à notre question : • la personne : est caractérisée par les membres infirmiers d’une équipe soignante. • l’environnement : correspond au milieu hospitalier psychiatrique. • le soin et la santé : est l’identification et la prise de conscience des différents niveaux d’impacts qu’un suicide de patient peut avoir ainsi que les moyens de soutien à mettre en place. Afin de réaliser notre problématique, nous avons consulté, dans un premier temps, des livres, des revues, et d’autres documents concernant la thématique du suicide, au Centre de Documentation [CEDOC] de la Haute École de la Santé La Source. Dans le but d’enrichir et de démontrer l’importance de notre sujet, nous avons fait des recherches statistiques sur des sites internet tels que l’OMS, l’OBSAN ou l’OFSP. Pour confirmer que notre sujet est une préoccupation actuelle du terrain, nous avons eu contact avec des infirmiers travaillant dans le milieu de la psychiatrie. Dans un deuxième temps, en vue de répondre à notre question clinique, nous avons élaboré une liste de mots-‐clés que nous avons traduits en anglais, puis que nous avons recherchés dans les thésaurus des bases de données, à savoir : Medical Subjects Headings [MeSh] pour PubMed (Medline) et Cinhal Headings pour Cumulative Index to Nursing and Allied Health Literature [CINAHL]. Afin de rechercher nos articles scientifiques, nous sommes essentiellement allés sur les deux bases de données citées, en préférant tout de même CINAHL étant donné que les articles scientifiques y sont principalement dédiés à la discipline des sciences infirmières. Ce n’est que plus tard que nous avons pris connaissance d’une troisième base de données : PsycINFO (Ovid), dans laquelle nous avons également entrepris quelques recherches, sans résultats concluants. Dans le but d’étayer nos recherches, nous les avons également menées sur la Banque de Données en Santé Publique [BDSP], Science Direct, ainsi que sur le moteur de recherche Google Scholar. Nous avons, par ailleurs, feuilleté la bibliographie de chacun des articles retenus afin de ne pas manquer certains d’entre eux . 12 .
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