0 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 24 août 2013 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 12 mars 2014 623 Il s’agit d’un homme de 62 ans pré
sen tant une maladie coronarienne ayant nécessité la pose d’un stent sur l’artère coronaire droite en automne 2010. Suite à cette procédure, un traitement par Plavix (75 mg/jour), Aspirine (100 mg/jour), Zestril (5 mg/jour) et Crestor (10 mg/jour) lui a été prescrit. L’évolution est favorable sur le plan cardiologique, avec disparition totale des douleurs, et un chan
gement d’hygiène de vie a permis une perte pondérale rapide d’une dizaine de kilos. Le moral du patient a également été affecté par cet événement et son cardiologue lui a conseillé une prise en charge en médecine générale.
Le bilan initial ne montre rien de particulier hormis une tension artérielle (TA) limite qui nécessite une augmentation de la dose de Zestril (10 mg/jour) en décembre 2010. Le patient présente un important stress socio
professionnel en lien avec son travail ainsi que des problèmes familiaux en relation avec ses enfants. Au mois de mars de l’année suivante, il se plaint de douleurs épigastri
ques irradiant dans le dos, accompagnées de diarrhées, et prenant parfois la forme de crampes. Ces douleurs sont majorées par la prise alimentaire, surtout le matin, et aug
mentent également en cas de contrariété.
Le patient est alors mis au bénéfice d’un traitement d’oméprazole 40 mg au vu de ses antécédents de hernie hiatale. Devant l’absence de résolution complète des symp
tômes sous ce traitement, il bénéficie d’une gastroscopie et d’une colonoscopie au mois de mars 2011, qui ne montrent aucune lé
sion particulière hormis une bulbite érosive.
Une IRM abdominale est également effec
tuée en raison de la découverte d’une lésion hyperéchogène dans le lobe hépatique gauche par le gastroentérologue, mettant en évidence de nombreuses lésions intrahé
patiques mesurant approximativement 1 cm, marquées par un hyposignal en T1 et T2, et interprétées comme des hémoangiomes multiples.
Le patient pense alors qu’il fait une allergie au sel de céleri et essaye de l’éviter dans son alimentation. Au mois de mai, le Zestril est à nouveau augmenté (20 mg/jour) en raison d’une TA toujours insuffisamment contrôlée.
Parallèlement à ces symptômes, la for
mule sanguine montre une hyperéosino
philie (valeur absolue 1530, soit 25,5% de 6000 leucocytes) depuis le mois de mars 2011, confirmée aux mois de mai et juin sui
vants (valeurs absolues : 728 et 1740 éosi
nophiles, respectivement). A ce moment, le patient présente toujours des douleurs épi
gastriques survenant environ une heure et demie après les repas ; il signale également des épisodes de selles défaites accompa
gnés d’une «intolérance digestive» à des aliments contenant du gluten. Il mentionne aussi une alternance de «diarrhées et de selles molles».
L’examen clinique révèle une douleur à la palpation du creux épigastrique et de la fosse iliaque droite, sans péritonisme.
Un bilan parasitaire complet est alors ef
fectué, en raison de séjours fréquents au Maroc, avec une recherche de parasites dans les selles répétée à trois reprises, et des sérologies parasitaires qui sont effectuées à Bâle. Un traitement par SpasmoCanu
lase est prescrit une à trois fois par jour.
L’avis d’un infectiologue est alors demandé.
Celuici propose de rechercher une bothrio
céphalose et une anguillulose, deux diag
nostics rapidement écartés après le retour des résultats négatifs de l’examen direct et de la culture des selles.
Une cause médicamenteuse est évoquée mais le traitement du patient n’est pas mo
difié. D’anciens résultats d’analyses datant de 2005 ne montrent pas d’hyperéosino
philie à ce momentlà. Un CTscan abdominal est également effectué en juillet 2011, afin d’exclure une pathologie rétropéritonéale,
qui ne montre pas de lésions. Les douleurs épigastriques étant en augmentation, une nouvelle gastroscopie est programmée d’en
tente avec le gastroentérologue afin d’ef
fectuer des biopsies pour exclure une gastroentérite à éosinophiles ; ce bilan se révèlera à nouveau négatif (les biopsies n’avaient pas été effectuées lors de la pre
mière gastroscopie en raison de la double antiagrégation).
Au mois d’août, le patient séjourne en Europe de l’Est et les symptômes semblent diminuer après différentes modifications de l’alimentation, en particulier la consomma
tion de vin sans manger de pain.
Au mois de septembre, d’entente avec le gastroentérologue, le patient est adressé en immunologie au CHUV pour avis. Il s’y rendra en décembre et l’examen pratiqué à ce momentlà montrera une normalisation de l’hyperéosinophilie (valeur absolue : 266).
A noter que le traitement de Plavix avait été arrêté en novembre 2011, une année après la pose du stent.
Le bilan allergologique conclut à une hyperallergie aux céréales (blé et seigle notamment), avec manifestations d’allergie alimentaire, une rhinoconjonctivite saison
nière avec syndrome oral croisé (allergie aux pollens de bouleau, de graminées et d’armoise et réactivité croisée pour le céleri).
Le patient décrit alors également un asthme bénin et une hypersensibilité aux squames de chat. Une vasculite est exclue sur la base de l’examen clinique, de même qu’une parasitose au vu du bilan déjà effectué. Un syndrome de Widal a été également écar
té. Le spécialiste consulté conclut donc à une hyperéosinophilie secondaire à une al
lergie médicamenteuse liée au Plavix.
questions au spécialiste Ce type de réaction (hyperéosinophi
lie et troubles digestifs) estil connu pour le Plavix ?
Devant l’absence d’infiltrats à éosinophi
les dans les biopsies obtenues lors des exa
mens endoscopiques, une association cau
sale entre éosinophilie et troubles digestifs ne peut pas être formellement établie dans ce cas précis. En outre, l’origine médica
menteuse de l’éosinophilie et des troubles
Hyperéosinophilie inexpliquée : en faire trop ou pas assez ?
court-circuit
P. Bovier J. D. Seebach T. Harr
Dr Patrick Bovier
FMH Médecine interne générale 32, avenue Alexandre Vinet 1004 Lausanne
Pr Jörg D. Seebach Dr Thomas Harr
Service d’immunologie et d’allergologie Département de médecine interne HUG, 1211 Genève 14
Coordination rédactionnelle Dr Pierre-Alain Plan
Rev Med Suisse 2014 ; 10 : 623-4
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Bibliographie
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digestifs reste peu claire, sous réserve des allergies alimentaires concomitantes.
Toutefois, des troubles digestifs tels que dyspepsie, gastrite, ulcération, diarrhée ou hémorragie sont fréquents sous bithérapie d’aspirine et clopidogrel (2530%). D’un autre côté, une éosinophilie sous clopido
grel ne survient qu’occasionnellement. Le site web de Swissmedic indique une fré
quence d’éosinophilie de 0,11%. Dans une eHealthMe real world study ayant suivi 8814 patients entre 2001 et 2013, seuls quatre cas d’éosinophilie associée à une urticaire ont été rapportés (0,05%).
Sur Pubmed, on ne trouve que trois étu
des de cas cliniques publiées : une patiente japonaise avec une pneumonie à éosino
philes,1 une patiente coréenne avec un syndrome d’hypersensibilité sous forme de DRESS (drug reaction (or rash) with eosi- nophilia and systemic symptoms),2 et une patiente chinoise avec une gastroentérite à éosinophiles.3 Cette dernière avait déve
loppé des douleurs épigastriques 29 mois après le début du traitement, associées à une éosinophilie de 8220/mm3 et de mul
tiples infiltrations d’éosinophiles de la mu
queuse duodénale, iléale et cæcale ont été retrouvées. Le clopidogrel a été arrêté, avec résolution complète des symptômes en trois jours. Deux autres cas de gastroentérite à éosinophiles se trouvent dans la base de données de l’OMS.
En résumé, l’utilisation massive du clopi
dogrel chez des millions de patients depuis 1998 est fréquemment associée à des troubles digestifs, mais l’éosinophilie sem
ble plutôt rare et l’association causale entre éosinophilie et troubles digestifs reste ra
rissime.
Comment procéder devant une éosi
nophilie inexpliquée et persistante ? Une anamnèse rigoureuse et un examen clinique du patient sont primordiaux ; il faut également tenir compte de la sévérité de l’éosinophilie (légère : 5001500/mm3, mo
dérée : 15005000/mm3, sévère : L 5000/
mm3).
Il est important d’explorer les pistes aller
gologiques et de voyage à la recherche d’un risque pour une parasitose, surtout une hel
minthiase. En outre, une anamnèse médica
menteuse précise, suivie par des tentatives d’arrêt du traitement et des tests cutanés permettent de confirmer ou d’écarter une origine médicamenteuse. Les hémopathies malignes, les néoplasies solides et les ma
ladies systémiques immunomédiées sont à considérer dans un second temps. En
cas d’aggravation de l’état général, le diag
nostic différentiel d’un syndrome d’activation des macrophages doit être évoqué. En cas de fièvre et/ou en présence d’un souffle cardiaque nouveau, il faut absolument ex
clure une endocardite.
Les caractéristiques des atteintes orga
niques peuvent aiguiller le diagnostic.
Manifestations cutanées
Un eczéma peut signaler une dermatite atopique ou un stade parabulleux d’une pemphigoïde bulleuse. En cas d’apparition d’un prurigo nodulaire ou d’une urticaire avec plaques, il faut considérer une dermatite
«NirWestfried» ou un syndrome de Wells.
Une éruption maculopapuleuse prononcée sous traitement suggère une origine médi
camenteuse alors qu’une hyperpigmenta
tion de la peau et des muqueuses évoque une mastocytose systémique ou une insuf
fisance surrénalienne (maladie d’Addison).
Manifestations pulmonaires En cas de symptômes obstructifs, il faut penser à un asthme bronchique, et en cas de persistance ou d’aggravation des symp
tômes, des maladies rares doivent être envisagées, comme la maladie de Churg
Strauss ou l’aspergillose bronchopulmonaire allergique.
Manifestations digestives
En cas de diarrhées ou de crampes abdo
minales, il faut évoquer une infestation para
sitaire, surtout s’il existe une urticaire asso
ciée ou une gastroentérite à éosinophiles.
Quel délai fautil attendre avant d’en
treprendre des investigations plus complètes ?
Devant une éosinophilie légère et sans évidence en faveur d’une atteinte organique, une attitude observationnelle peut être adop
tée. Une éosinophilie modérée ou sévère, audelà de 1500/mm3, nécessite en revan
che des investigations approfondies qui
seront strictement orientées par l’anam
nèse, la clinique et les examens complé
mentaires.46
Qu’auraitil fallu faire si tout le bilan, y compris allergologique, était revenu négatif ?
Dans ce cas de figure, une hyperéosino
philie primaire ou intrinsèque dans le cadre d’une maladie myéloproliférative doit être recherchée avec l’aide d’un hématolo gue.4,5
Quelles peuvent être les conséquen
ces d’une hyperéosinophilie prolon
gée ?
Les conséquences d’un taux d’éosinophi
les sanguins audelà de 1500/mm3 sont di
rectement liées à l’infiltration tissulaire. La sécrétion de leur contenu toxique peut cau
ser des dégâts non seulement sous forme d’inflammation mais aussi de fibrose. Les organes cibles principaux sont le cœur, les poumons, la peau, le tube digestif et le sys
tème nerveux central et périphérique.6
Soumettez un cas
Interrogez le spécialiste de votre choix. Posezlui des questions directement en lien avec un problème de médecine de premier recours auquel vous avez été confronté.
Des informations complémentaires concernant la rubrique sont disponibles sur le site de la Revue Médicale Suisse (http://rms.meghyg.ch/courtcircuit.pdf) Envoi des textes à : redac@revmed.ch (avec mention «rubrique courtcircuit»)
Comité de lecture : Dr Gilbert Abetel, Orbe ; Dr Patrick Bovier, Lausanne ; Dr Vincent Guggi, Payerne ; Dr Philippe Hungerbühler, YverdonlesBains ; Dr Ivan Nemitz, EstavayerleLac ; Dr PierreAlain Plan, Grandson
Remerciements
Nous remercions les Drs P. Jandus et M. Stelle pour leur aide précieuse lors de la révision du manuscrit.
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