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L’utilité du tutorat pour de jeunes enseignants : la preuve par 20 ans d’expérience

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61 | 2009

Former à accueillir les élèves en situation de handicap

L’utilité du tutorat pour de jeunes enseignants : la preuve par 20 ans d’expérience

The usefulness of the mentoring system for young teachers: the evidence of a 20 years’ experience

La utilidad del tutorado para jóvenes docentes: la prueba por 20 años de experiencia

Die Nützlichkeit des Tutorats für junge Lehrer: der Beweis durch eine zwanzigjährige Erfahrung

Sébastien Chaliès, Solange Cartaut, Guillaume Escalie et Marc Durand

Édition électronique

URL : http://journals.openedition.org/rechercheformation/534 DOI : 10.4000/rechercheformation.534

ISSN : 1968-3936 Éditeur

ENS Éditions Édition imprimée

Date de publication : 1 juin 2009 Pagination : 85-129

ISBN : 978-2-7342-1164-8 ISSN : 0988-1824

Référence électronique

Sébastien Chaliès, Solange Cartaut, Guillaume Escalie et Marc Durand, « L’utilité du tutorat pour de jeunes enseignants : la preuve par 20 ans d’expérience », Recherche et formation [En ligne], 61 | 2009, mis en ligne le 01 juin 2013, consulté le 24 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/

rechercheformation/534 ; DOI : 10.4000/rechercheformation.534

© Tous droits réservés

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85 de Sébastien CHALIÈS*, Solange CARTAUT**,

Guillaume ESCALIÉ*, Marc DURAND***

L’UTILITÉ DU TUTORAT POUR DE JEUNES ENSEIGNANTS : LA PREUVE PAR 20 ANS D’EXPÉRIENCE

Résumé Justifié par le dynamisme des politiques de formation des enseignants et par la multiplicité des publications sur ce sujet, cet article actualise la pré- cédente revue de littérature publiée dans cette revue (Chaliès & Durand, 2000). La première partie revient sur le caractère « discuté » de l’utilité du tutorat et l’envisage à partir des résultats des recherches récentes. La deuxième partie présente les formations innovantes conçues pour asseoir l’utilité de la situation de tutorat. La troisième partie montre enfin la nécessité de concevoir cette situation de formation comme insérée dans la problématique de l’alternance. En conclusion, cet article relève que la formation des tuteurs reste une priorité.

* - Sébastien Chaliès, Guillaume Escalié, IUFM de Toulouse, ERTe DATIEF (IUFM de Nice).

** - Solange Cartaut, IUFM de Nice, ERTe DATIEF (IUFM de Nice).

*** - Marc Durand, université de Genève, faculté de Psychologie et Sciences de l’éducation, équipe CRAFT.

Mots clés :formation des enseignants, tutorat, alternance, enseignement.

Cet article a pour objectif d’actualiser la recension publiée en 2000 dans cette même revue, sous le titre «L’utilité discutée du tutorat en formation initiale des enseignants » (Chaliès & Durand, 2000). Ce travail se justifie en raison, d’une part, de l’évolution des politiques de formation des enseignants dans les pays occidentaux, et d’autre part, de la dynamique de production et de la créativité des recherches sur ce sujet.

Au plan politique, tous les pays occidentaux se sont engagés dans des réformes importantes portant à la fois sur leurs systèmes scolaires et la formation des ensei- gnants. Bien que présentant des spécificités locales, des mouvements communs se

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dessinent qui concernent notamment la façon d’assurer en formation initiale, une alternance efficace entre la formation en institut et/ou université et celle sur le ter- rain, pendant ou accompagnant les pratiques d’enseignement. Ces politiques se développent à partir des constats que le travail des enseignants devient de plus en plus complexe, est exercé dans des conditions de plus en plus difficiles, et fait l’ob- jet d’attentes de plus en plus exigeantes de la part des citoyens. L’Union Européenne pour ne citer qu’un exemple, propose de rendre convergentes ces politiques et for- mule des recommandations aux états (Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européens, 2007), basées sur le constat que la qualité de la forma- tion des enseignants est le déterminant intrascolaire le plus nettement relié aux résul- tats des élèves. Parmi ces recommandations, figure celle de faire bénéficier les enseignants « tout au long de leur carrière d’un parrainage et de conseils de la part d’enseignants experts et d’autres professionnels capables d’assurer cette tâche » (p. 14). Ces recommandations trouvent des concrétisations variées dans les poli- tiques locales qui s’efforcent d’articuler les composantes universitaire et pratique de la formation (Étienne et al., 2009 ; Perrenoud et al., 2008). Et l’un des points nodaux de cette articulation consiste évidemment en un tutorat efficace.

Parallèlement à ce dynamisme institutionnel, la multiplicité des travaux scientifiques rend utile une synthèse actualisée des recherches qui se caractérisent aujourd’hui par : a). une augmentation notable du nombre des publications sur le tutorat en général, en formation des enseignants en particulier ; b). le développement de modèles plus « collaboratifs » aux dépens des modèles « traditionnels » (Mullen, 2000) ; c). une tendance à réaliser des recherches et à développer des probléma- tiques telles par exemple les « communautés d’apprentissage professionnel » (professional learning communities) (Vescio, Ross & Adams, 2008) ou les « commu- nautés de pratiques » (communities of practice) (Sim, 2006 ; Wenger, 1998) qui renouvellent les rapports entre chercheurs et praticiens et participent indirectement à la rénovation des situations de formation.

Afin de rendre possible l’articulation de ce texte avec notre précédent écrit, nous avons fait le choix de conserver les principes adoptés pour réaliser cette recension de la littérature scientifique nationale et internationale et construire en suivant une synthèse accessible. Sans nous y attarder, rappelons toutefois que nous avons fait le choix d’utiliser un vocabulaire unifié pour rendre les choses plus accessibles en pre- mière approche. Ainsi, nous entendrons par tutorat l’ensemble des activités réalisées conjointement par des formateurs de terrain (conseillers pédagogiques ou tuteurs) et/ou d’université (superviseurs universitaires) et des enseignants ou étudiants en for- mation, et ayant trait explicitement à la formation de ces derniers. Cette notion recouvre l’activité dénommée en langue anglaise « mentoring », « conference », 86

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« conversation », « supervision », « tutoring », et en français « conseil pédago- gique », « tutorat » ou « supervision ». D’un point de vue méthodologique, nous avons réitéré la démarche de recherche et de synthèse adoptée pour réaliser notre précédente revue de littérature : nous avons ainsi interrogé les banques de données à l’aide des mêmes mots clés (mentoring, supervision, teacher education, tutorat, for- mation de terrain, etc.), et remonté la littérature à partir des références proposées dans les articles et ouvrages les plus récents. Pour réaliser cette synthèse, les recherches publiées depuis la précédente revue ont été privilégiées. Lorsqu’elles per- mettaient de donner du sens à certaines avancées dans le domaine, certaines publi- cations plus anciennes ont toutefois été exploitées et citées. En accord avec nos choix initiaux, cette recension ne vise pas une description de l’évolution des postulats et des conceptions théoriques d’emprunt dans les disciplines scientifiques de référence (Sciences de l’éducation, Psychologie, Sociologie, Psychologie sociale, Anthropologie, Éthnométhodologie, Éthnologie, Sociolinguistique…). Elle vise plus modestement la présentation des principaux résultats et de leurs conséquences en termes d’aménagements de la situation de tutorat.

Le texte est organisé en trois parties. La première est une sorte de trait d’union avec les perspectives tracées à l’issue de la première revue de littérature ; le caractère

« discuté » de l’utilité du tutorat constitue donc le point de départ de nos propos et est envisagé à partir de résultats de recherches récentes. La deuxième partie présente les principaux aménagements mis en œuvre au cours de ces dix dernières années pour dépasser ce constat et asseoir l’utilité de la situation de tutorat. La troisième par- tie ouvre le champ de la réflexion en montrant la nécessité de concevoir cette situa- tion de formation professionnelle comme insérée dans une problématique plus large, celle de l’alternance.

L’UTILITÉ « DISCUTÉE » DE LA SITUATION DE TUTORAT

Comme nous avions pu déjà le relever, l’utilité de l’entretien post-leçon est discutée.

De nombreux chercheurs mettent encore en avant le caractère problématique de cette séquence de formation confrontant les acteurs, et plus particulièrement les tuteurs (T), à des dilemmes permanents et essentiels : 1). aider ou évaluer les ensei- gnants en formation (EF) ; 2). transmettre aux EF le métier ou les faire réfléchir sur le métier, ou encore ; 3). aider les EF à enseigner ou les aider à apprendre à enseigner (Chaliès & Durand, 2000). Le caractère discutable de l’utilité du tutorat est relevé par de nombreux auteurs au cours de ces dix dernières années. Cependant, dans leur grande majorité, cette évaluation porte sur la situation usuelle de tutorat communé- ment appelée « modèle traditionnel de tutorat » (traditional mentoring) (Paris &

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Gespass, 2001 ; Weiss & Weiss, 2001). Plus précisément, ces travaux ne question- nent plus qu’une seule de deux composantes de la situation de tutorat : l’entretien post-leçon mené par l’EF et le T. L’expérience pratique de l’EF, c’est-à-dire la réali- sation de sa leçon sous l’observation du T, n’est en effet que rarement l’objet des études questionnant l’utilité de la situation traditionnelle de tutorat.

Aider ou évaluer les EF

Une grande majorité des recherches montrent que les T privilégient l’aide à l’éva- luation des EF (voir plus largement sur cette problématique d’évaluation-conseil : Bedin & Jorro, 2007). Pour ce faire, les T préfèrent remplir une fonction de

« conseillers », voire « d’amis critiques » (critical friends) (Kwan & Lopez-Real, 2005), et multiplient les efforts pour ne pas être trop directifs et se limiter à des sug- gestions indirectes (Strong & Baron, 2004 ; Violet, 2005). Pour la plupart d’entre eux, les EF ont principalement besoin d’aide pour parvenir à utiliser leurs connais- sances académiques et disciplinaires lors de leur pratique professionnelle (De Jong, 2000) et s’adapter à la « réalité du travail » (workplace reality) (Hébert & Worthy, 2001). D’autres notent la nécessité de privilégier le soutien émotionnel des EF (Allen, Day & Lentz, 2005 ; Awaya et al., 2003 ; Ria & Chaliès, 2003) afin de les aider à faire face au « drame émotionnel de la classe » (Intrator, 2006), de les accompa- gner dans leur insertion professionnelle (Achinstein, 2006 ; Blaya & Baudrit, 2006 ; Kelchtermans & Ballett, 2002 ; Maynard, 2000 ; Pérez Roux, 2007 ; Wood, 2005) et finalement éviter qu’ils n’abandonnent (Darling-Hammond, 1994 ; Scherff, 2008 ; Siebert, Clark, Kilbridge & Peterson, 2006 ; Smith & Ingersoll, 2004). La valorisation de cette relation d’aide entre T et EF (Heung-Ling, 2003 ; Trohel, Chaliès & Saury, 2004) n’est toutefois pas sans conséquence sur le processus d’évaluation qui, iné- luctablement, perd en objectivité (Young et al., 2005). En préférant se positionner comme des « partenaires à égalité » (equal partners) (Kwan & Lopez-Real, 2005) dans leurs relations avec les EF, les T font en effet preuve de complaisance et d’in- dulgence à leurs égards. Cette attitude aboutit généralement à l’instauration d’une

« communauté de compassion » (community of compassion) et non « d’enquête » (community of inquiry) (Darling-Hammond, 2001) et, in fine, fait dire à certains auteurs que le processus d’évaluation est toujours faussé (Bullough & Draper, 2004).

Transmettre le métier aux EF ou les faire réfléchir sur le métier

Certains auteurs discutent de l’impact de la situation de tutorat sur le développement de la pratique réflexive des EF (Parson & Stephenson, 2005). Ils notent la participa- tion de cette situation au développement de « praticiens réflexifs » (Leshem, 2008 ; 88

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Vinatier, 2006 ; Ward & McCotter, 2004) ou « praticiens réflexifs professionnels » (Collins, 2004) notamment lorsque les T recourent à des démonstrations ancrées sur une analyse conjointe de problèmes professionnels (Feiman-Nemser, 2001 ; Hascher, Cocard & Moser, 2004). Pour cela, ils médiatisent leurs interactions avec les EF par des outils d’observation et d’évaluation (Yee Fan Tang & Wai Kwan Chow, 2007) tels que des enregistrements audio-vidéo de séquences de classe (Maclean &

White, 2007) ou de mises en récit écrites du vécu sous la forme de journal de bord ou de portfolio (Hermann-Wilmarth, 2005 ; Kaminski, 2003 ; Vanhulle, 2005) qui limitent les interprétations divergentes à propos des événements de la leçon (Fairbanks, Freedman & Kahn, 2000). Ce développement de la pratique réflexive des EF par la mise en œuvre d’un « compagnonnage réflexif » (Beckers, 2004) ou d’une « résolution de problèmes de la communauté » (community problem solving) (Cheong, 2005) est d’autant plus important qu’il contribue à l’acquisition de com- pétences d’auto-évaluation (Harrison, Lawson & Wortley, 2005 ; Yee Fan Tang &

Wai Kwan Chow, 2007) et alimente plus ou moins directement le développement professionnel (Corley & Thorne, 2005 ; Gomez, 2004 ; Hennissen et al., 2008 ; Kohler, Henning & Usma-Wilches, 2008 ; Loughran, 2006).

D’autres études, par contre, mettent en avant des constats plus mitigés.

L’accompagnement réflexif des EF par les T est alors considéré comme peu efficace (Stanulis & Russel, 2000), notamment lorsque sont questionnées ses retombées sur la pratique effective de classe des EF (Bertone et al., 2006). Valorisant leur soutien émotionnel et affirmant l’exemplarité de leur propre style d’enseignement (Parker- Katz & Bay, 2008), les T s’engagent en effet le plus souvent dans une pratique réflexive « à la place » des EF plutôt « qu’à leurs côtés » (Loughran & Berry, 2005).

Éprouvant des sentiments de culpabilité ou de compassion à leur égard (Bullough &

Draper, 2004 ; Hastings, 2004 ; Young et al., 2005) ainsi qu’à celui des élèves (Forbes, 2004 ; Parker-Katz & Bay, 2008), et devant faire face à des sollicitations urgentes se rapportant notamment à des problèmes de gestion de classe (Parker- Katz & Bay, 2008), les T privilégient la prescription aux EF de solutions prêtes à l’em- ploi (Orland-Barak & Klein, 2005) à un engagement réflexif s’inscrivant dans la durée afin d’aboutir à terme à la construction par ces derniers de leurs propres solu- tions (Orland-Barak, 2005 ; Weiss & Weiss, 2001). En d’autres termes, les T inter- agissent avec les EF de façon beaucoup plus modélisante, prescriptive et contrôlée qu’ils ne le pensent (Beck & Kosnik, 2000 ; Orland-Barak & Klein, 2005) et laissent peu de place à une réflexion constructive professionnellement pour les EF (Bullough, 2005). Ce type de relation peu propice à la construction de « l’identité enseignante » des EF (Smagorinsky et al., 2004) aboutit généralement à des échanges stériles mar- qués par une incompréhension réciproque (Clark, 2006 ; Yayli, 2008) et des occa- sions de formation ratées (Carver & Katz, 2004). Cette valorisation de la

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transmission sur l’aide à la réflexion est d’autant plus significative que les T, par manque de formation, ne savent pas réellement comment s’y prendre pour stimuler et entretenir la réflexion des EF (Crasborn et al., 2008). Ils rencontrent, en effet, des difficultés, par exemple, pour alterner des interventions porteuses d’informations, d’opinions et de conseils et d’autres se tenant plus en retrait lors desquelles ils inci- tent plutôt les EF à se questionner sur ce qui s’est passé ou sur ce qui aurait pu être réalisé. Outre le manque de formation, la difficulté des T à accompagner efficace- ment la réflexion des EF est aussi nourrie par le fait que ces derniers résistent à l’idée d’un engagement dans une formation nécessitant du temps (Kyriacou et al., 2007).

Confrontés à de multiples difficultés, les EF s’investissent plutôt dans la recherche de solutions à court terme. Ils s’engagent dans des réflexions rapides aboutissant le plus souvent à de fausses interprétations rendant nécessaire l’implication immédiate des T dans la discussion (Davis, 2006 ; Shoham, Penso & Shiloah, 2003).

Aider les EF à enseigner

ou les aider à apprendre à enseigner

Les T rencontrent des difficultés pour se positionner entre une aide à l’activité d’ensei- gnement des EF par une « immersion dans la pratique » et une aide à leur apprentis- sage du métier enseignant par la valorisation de « réflexion sur l’action » (Tillema, 2000). Ils sont en effet tiraillés entre des interventions ayant pour objet, respectivement l’enseignement et focalisées sur l’apprentissage des élèves et le conseil, et centrées sur l’apprentissage des EF (Paris & Gespass, 2001). Alors qu’ils ont pour préoccupation d’aider ces derniers à se former comme enseignants (Hasting, 2004), les T valorisent néanmoins le plus souvent une aide à l’enseignement (Yee Fan Tang, 2003). Cet inves- tissement est d’autant plus marqué qu’ils se sentent responsables de la qualité de l’en- seignement délivré par les EF à leurs élèves (Carver & Katz, 2004), et in fine, culpabilisent lorsque celui-ci n’est pas réellement approprié (Young et al., 2005). Pour répondre dans l’urgence aux besoins des EF, les T préfèrent donc généralement leur prescrire des solutions prêtes à l’emploi à partir de ce qu’ils font eux-mêmes dans des circonstances d’enseignement similaires (Franke & Dalhgren, 1996; Parker-Katz &

Bay, 2008; Toll et al., 2004). Par voie de conséquence, ils s’engagent peu dans une analyse du vécu des EF par le questionnement de leurs préoccupations, connaissances et autres croyances (Smith, 2005) ou encore dans une construction d’une « réflexion anticipatrice » (anticipatory reflection) les préparant à faire face à la complexité de leurs prochaines expériences professionnelles (Loughran, Brown & Doecke, 2001). En s’appuyant sur leur expérience d’enseignant, les T parviennent à délivrer des conseils facilement exploitables par les EF pour répondre à leurs difficultés. Jugés efficaces en contexte de classe, ces conseils incitent en retour les EF à être encore plus ouverts et demandeurs de ce type d’aide auprès des T (Roehrig et al., 2008) qui finalement s’en 90

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satisfont et se privent de nombreuses opportunités de formation à l’enseignement (Carver & Katz, 2004). Face à ce constat, de nombreuses études appellent à une for- mation spécifique des T afin qu’ils construisent avec les EF un environnement approprié de formation (Van Huizen, Van Oers & Wubbels, 2005) au sein duquel l’objet de dis- cussion ne se limiterait plus exclusivement à leur seule activité d’enseignant (Swennen, Jorg & Korthagen, 2004) mais questionnerait cette dernière au regard de celle des élèves (Edwards & Protheroe, 2003; Penso, 2002). En transformant la relation de conseil en une véritable collaboration (Freese, 2006), cette formation permettrait d’ac- compagner les T dans la construction avec les EF d’un « enseignement créatif » (crea- tive teaching) assimilable à un cocktail de confiance, de partage, d’engagement émotionnel, de soutien, de défi, de conseil, de réflexion ou encore d’évaluation (Grainger, Barnes & Scoffham, 2004; Yee Fan Tang, 2003; Zanting & Verloop, 2001).

Outre l’optimisation de l’aide à l’activité des EF en classe par, notamment, l’explicita- tion des raisons justifiant la délivrance de tel ou tel conseil (Lunenberg & Korthagen, 2003; Meijer, Zanting & Verloop, 2002), cette formation aiderait, d’autre part, les T à aborder bon nombre de dimensions du métier d’enseignant encore peu explorées telles que l’identité (Rippon & Martin, 2006), la diversité et l’équité (Achinstein & Athanases, 2005) ou encore l’éthique et la morale (Mullen, 2001).

VERS UNE UTILITÉ « ÉPROUVÉE » DE LA SITUATION DE TUTORAT

La participation de la situation traditionnelle de tutorat à la formation professionnelle des EF est donc encore aujourd’hui, discutée. En permettant le soutien émotionnel des EF (Clarke & Jarvis-Selinger, 2005), leur accompagnement dans leur confronta- tion avec la « réalité du travail » (Hebert & Worthy, 2001), la construction de leur identité d’enseignant (Durand, 2000 ; Wang, Strong & Odell, 2004 ; Williams, Prestage & Bedward, 2001), l’acquisition de connaissances professionnelles (Bertone et al., 2003 ; Chaliès et al., 2004 ; Hascher et al., 2004 ; Ponte et al., 2004 ; Zanting, Verloop & Vermunt, 2003) ou encore le développement de leur pratique réflexive (Parson & Stephenson, 2005 ; Ward & McCotter, 2004), elle apparaît comme une composante essentielle de la formation. Cependant, son impact sur la formation, sans être complètement réfuté, est discuté. Ainsi le manque d’objectivité des T (Arredondo & Rucinski, 1998 ; Stanulis & Russel, 2000), leur difficulté à extraire la formation de l’urgence des difficultés rencontrées afin de l’inscrire dans la durée (Orland-Barak, 2005) ou encore leur appropriation de la réflexion menée avec les EF (Loughran & Berry, 2005) ayant plus ou moins volontairement adopté une posture prescriptive (tell me show me) (Bullough, 2005) invitent à relativiser la participation possible de la situation traditionnelle de tutorat à la formation des EF.

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Ce constat est d’autant plus significatif que les T, tout comme les EF et les supervi- seurs universitaires (SU), rencontrent plus globalement des difficultés pour s’inscrire de façon cohérente dans les dispositifs de formation par alternance marqués d’une

« association manquée » (loose coupling) (Pajak, 2001) entre les « deux mondes lar- gement séparés » (Beck & Kosnik, 2002) que sont l’université et l’établissement sco- laire (Christie et al., 2004).

Pour répondre à ces critiques, de nombreuses études notent la nécessité de renou- veler le modèle traditionnel de tutorat en insistant notamment sur l’importance de la mise en œuvre d’une « communauté hautement interactive » (highly interactive lear- ning community) (Paris & Gespass, 2001) ou d’un « modèle collaboratif du tutorat » (collaborative mentoring model) (Mullen, 2000) entre les EF, les T et les SU. Il appa- raît, en effet, fondamental d’impliquer ces différents acteurs dans un processus de

« supervison co-constructive » (Paris & Gespass, 2001), c’est-à-dire dans une véri- table collaboration (Christie et al., 2004 ; Levin & Rock, 2003 ; Stanulis & Russell, 2000). Cette modalité de relation est intéressante en ce sens qu’elle offre la possibi- lité aux T et aux SU, d’une part, d’associer leurs compétences (Cochran-Smith &

Lytle, 1999), de négocier le travail à mener communément à partir de leurs préoc- cupations, de leurs attentes et de leurs possibilités (Awaya et al., 2003 ; Paris &

Gespass, 2001) et, d’autre part, de se développer professionnellement (Beattie, 2002 ; Grisham, Ferguson & Brink, 2004) en s’engageant pleinement, tant lors des temps de pratique réflexive (Weiss & Weiss, 2001) que des temps de pratique pro- fessionnelle (Burbank & Kauchak, 2003). Outre la structure du modèle de tutorat adopté par tel ou tel programme de formation des enseignants, c’est donc bien davantage le processus de collaboration qu’il est susceptible de favoriser entre les différents acteurs qui est ici noté comme premier. La situation de tutorat apparaît, en effet, d’autant plus formatrice pour les EF qu’elle les place dans une collaboration avec les T, les SU voire leurs pairs (Feiman Nemser, 2001). En permettant un enga- gement des différents acteurs comme « co-penseurs » (co-thinkers) (Feiman-Nemser, 2001), mais aussi un apprentissage en contexte (Eick, Ware & Williams, 2003), une focalisation sur l’enseignement et pas seulement sa planification (Eick et al., 2003), ou encore le développement de lignes de pensée productives centrées sur l’activité des élèves et pas seulement sur celle de l’enseignant (Feiman-Nemser, 2001), la situation collaborative de tutorat permet finalement de mieux faire accéder au métier tout en encourageant l’expression personnelle de chacun.

Trois orientations principales sont proposées pour aménager la situation tradition- nelle de tutorat. Elles visent à renforcer : 1). la collaboration au sein de chaque dyade constituée d’un EF et d’un T ; 2). la collaboration de différents EF avec un même T, voire plus largement, 3). une véritable culture de collaboration entre les EF, 92

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les T mais aussi les autres acteurs impliqués dans l’école pensée alors comme une

« communauté d’apprentissage professionnel » (professional learning communitie) (pour une revue, cf. Vescio, Ross & Adams, 2008).

Renforcer la collaboration au sein de la dyade EF – T

De nombreux programmes de formation sont centrés sur une optimisation de la rela- tion dyadique entre les EF et les T. Des aménagements instituant le «co-mentoring » (Kochan & Trimble, 2000), le «collaborative co-mentoring » (Kochran & Kunkel, 1998), le «synergistic co-mentoring » (Mullen & Lick, 1999), le « co-teaching » (Eick et al., 2003 ; Chaliès et al., 2008 ; Roth & Tobin, 2001), le « collaborative mento- ring » (Giebelhaus & Bowman, 2002), l’« effective mentoring » (Rippon & Martin, 2006) ou encore le «coaching mentoring » (Veenman et al., 2001) sont ainsi pro- posés pour aider les EF et les T à dépasser la relation de formation institutionnelle- ment établie et construire un « tutorat mutuel » (mutual mentoring) (Stanulis & Russell, 2000). En s’inscrivant dans une relation de collaboration (Kochan & Trimble, 2000), les EF et les T créent un « espace créatif et démocratique » au cœur duquel la confiance, le partage, l’entraide (Jipson & Paley, 2000) et une réelle volonté de com- prendre l’autre (Scantlebury, Gallo-Fox & Wassell, 2008) sont les maîtres mots. En s’appuyant sur cette égalité dans leurs relations (Awaya et al., 2003), ils tendent pro- gressivement à construire et à s’investir dans « un voyage partagé dans le monde réel de l’enseignement » (Leshem, 2008).

Tel que le précise Feiman-Nemser (2001), en décrivant sous forme d’étude de cas le travail de Peter Frazer, un T expérimenté, huit principes fondamentaux sont à res- pecter afin que la situation de « collaborative mentoring » ait, quel que soit le modèle adopté, de véritables retombées sur la formation des EF. Le rôle du T doit avant tout être clairement défini afin qu’il puisse aider l’EF à accéder au métier d’en- seignant tout en encourageant son expression personnelle. Il est, d’autre part, de sa responsabilité de trouver des pistes de formation en cherchant à se positionner avec l’EF comme des « enseignants-chercheurs coopérant ». Il doit ensuite, à partir des situations observées et/ou vécues sur le terrain circonscrire et signifier les problèmes clés rencontrés par l’EF tout en lui indiquant des repères de progression. Il doit aussi chercher à apprécier le point de vue de l’EF en engageant des « consultations pro- ductives » afin de faire vivre une pensée collective. Il doit faire vivre une conversa- tion neutre en centrant les échanges sur l’activité des élèves au regard de celle menée par l’EF ou encore chercher à alimenter l’appropriation des connaissances théo- riques par l’EF en les reliant à des exemples puisés dans la pratique. Il est aussi attendu de lui qu’il livre ses propres façons d’enseigner, notamment sous forme d’exemples démontrés, afin que l’EF puisse « s’y appuyer dessus » pour s’approprier

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le métier. Enfin, il doit aussi parvenir à constamment alimenter l’enthousiasme de l’EF pour le métier d’enseignant.

Les retombées de la mise en œuvre de situations de tutorat plus collaboratives sur la formation des EF sont nombreuses. Épaulés par les T, les EF s’impliquent davantage tant lors de leur pratique professionnelle en prenant plus de risques (Stanulis &

Russell, 2000) que lors des entretiens post-leçon au cours desquels les demandes effectives d’aide sont rendues possibles (Eick et al., 2003). Plus précisément, les mul- tiples possibilités de travail collectif tel que par exemple le co-enseignement (Chaliès, Flavier & Bertone, 2007 ; Eick et al., 2003) ou les observations réciproques (Penso, 2002), tendent à créer un climat favorable de formation (Giebelhaus & Bowman, 2002) caractérisé notamment par une aide des T adaptée aux besoins des EF. Tout en les soutenant moralement (Awaya et al., 2003) tels de vrais « supporters » (Rippon & Martin, 2006), les T construisent en effet, en collaboration avec les EF, des objets de réflexion directement dépendants des difficultés observées et/ou vécues lors de la leçon (Ottesen, 2007 ; Weiss & Weiss, 2001) et participent à leur construc- tion professionnelle (Awaya et al., 2003 ; Beattie, 2002 ; Chaliès et al., 2008). Outre les retombées sur la formation des EF, certaines études notent l’impact de ce type de situation de tutorat sur le développement professionnel des T. En acceptant de se créer des opportunités de formation en étant ouverts aux remarques et autres pro- positions des EF, ces derniers tombent dans une sorte d’excitation intellectuelle qui alimente une introspection critique (Johnson, 2003), renouvelant leur façon de pen- ser et de faire le métier (Burbank & Kauchnak, 2003 ; Clark, 2006 ; Grisham et al., 2004 ; Stanulis & Russell, 2000 ; Weiss & Weiss, 2001). C’est donc finalement

« apprendre à enseigner à enseigner » (learning about teaching about teaching) qu’offre la situation de collaborative mentoring (Loughran & Berry, 2005).

Renforcer la collaboration entre différents EF et un même T Un certain nombre de programmes de formation visent une optimisation de la rela- tion entre différents EF et un T. Des aménagements instituant le «peer teaching » (Bullough et al., 2003 ; Manouchehri, 2002 ; Walsh & Elmslie, 2005), le « peer men- toring » (Dennison, 2000 ; Forbes, 2004), le « peer coaching » (Jenkins & Vael, 2004), le «collaborative learning » (Veenman et al., 2002) ou le « collaborative peer learning » (Webb & Mastergeorge, 2003) sont ainsi proposés.

Le point commun à ces différents programmes est de chercher à transposer au sein de la formation des EF les « méthodes d’apprentissage coopératif » (cooperative learning method) (Johnson & Johnson, 1999) définies comme « l’usage de petits groupes de formation dans lesquels plusieurs élèves travaillent ensemble en vue de 94

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maximiser leur apprentissage et celui des autres » (Veenman et al., 2002, p. 87). En plus de l’aide traditionnelle trouvée dans leurs « interactions verticales » avec les T, les EF s’enrichissent, en effet, au cours « d’interactions horizontales » menées avec leurs pairs (Hatano & Inagaki, 1994 cité par Fei-Ching & Huo-Ming, 2004) consi- dérés comme des « partenaires critiques issus du groupe de pairs » (Parsons &

Stephenson, 2005). Plus précisément, ces programmes s’appuient sur le postulat selon lequel une collaboration entre différents EF aidés par un T permet de mieux comprendre leur propre enseignement (Nokes et al., 2008 ; Parsons & Stephenson, 2005). En travaillant ensemble à partir de préoccupations partagées, les EF peuvent en effet plus facilement s’entraider et se soutenir mutuellement comme de véritables

« partenaires dans un mariage » (partners in a marriage) (Eick, 2002) tant lors de leur « réflexion professionnelle collaborative » (Glazer, Abbott & Harris, 2004), de leurs « conversations entre pairs » sur la pratique professionnelle (Manouchehri, 2002), que pendant cette dernière (Bullough et al., 2003 ; Veeman et al., 2002).

Malgré le constat de certaines limites, comme par exemple, une implication superfi- cielle des EF dans le travail réflexif lorsque ce dernier n’est que peu relatif à leurs propres préoccupations et attentes (Parsons & Stephenson, 2005) ou encore l’appro- priation de connaissances différentes selon les rôles tenus dans le collectif (Jenkins &

Veal, 2002), les intérêts de ce type d’aménagement de la situation de tutorat sont mul- tiples. Les premiers sont relatifs au développement de la pratique réflexive des EF. Ces derniers s’entraident en effet davantage pour parvenir à problématiser les situations de classe vécues et/ou observées et envisager des actions à mener pour y répondre (Manouchehri, 2002 ; Talvitie, Peltokallio & Männistö, 2000). Pour y parvenir, ils se positionnent comme de véritables chercheurs (Leshem & Trafford, 2006) au sein d’un

« groupe d’enquête collaborative » (Hamre & Oyler, 2004). En ce sens, ils se posent des questions précises, persistent dans la recherche de solutions envisageables et par- tagent des conseils détaillés et situés qu’ils tentent ensuite d’appliquer consciencieuse- ment (Webb & Mastergeorge, 2003). En parallèle avec le développement de leur pratique réflexive (Aufschnaiter, 2003), l’activité professionnelle de classe des EF est aussi optimisée. Par la combinaison des forces qu’il autorise, le travail collaboratif des EF en classe facilite en effet la construction d’un environnement beaucoup plus édu- catif tant pour eux (Parsons & Stephenson, 2005) que pour leurs élèves (Bullough et al., 2003 ; Forbes, 2004). Moins passifs et assistés dans leurs interactions avec les T (Bullough et al., 2003 ; Fei-Ching & Huo-Ming, 2004), les EF s’impliquent davantage en classe en s’autorisant plus de prises de risque et de pratiques innovantes auprès de leurs élèves (Forbes, 2004) en s’appuyant sur la présence rassurante de leurs pairs (Eick 2002). Cet accroissement de leur investissement a pour conséquence une opti- misation de leur capacité à gérer au quotidien dans leur classe la délicate articulation des buts académiques poursuivis et des contraintes sociales rencontrées in situ

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(Veenman et al., 2002). Plus précisément, les EF parviennent progressivement à construire des connaissances professionnelles adaptées (Jenkins & Vael, 2004 ; Manouchehri, 2002) leur permettant de choisir avec pertinence les contenus à ensei- gner tout en parvenant à gérer les différents comportements d’élèves et la sécurité dans la classe (Forbes, 2004). Enfin, certaines études notent qu’au-delà de l’optimi- sation de leur réflexion ou de leurs actions professionnelles, les dispositifs de forma- tion valorisant la relation entre différents EF et T participent à la construction de leur identité professionnelle (MacLean & White, 2007).

Renforcer la collaboration

entre les différents acteurs impliqués dans l’école

Un certain nombre de recherches pointent toutefois l’insuffisance des seuls aména- gements permettant de renforcer la collaboration soit au sein de chaque dyade entre un EF et son T, soit entre différents EF avec un même T (Harrison, Dymoke & Pell, 2006 ; Hebert & Worthy, 2001 ; Worthy, 2005). Pour améliorer ce point, les auteurs mettent en avant la nécessité d’instituer une culture de collaboration entre les diffé- rents acteurs impliqués dans les établissements scolaires pensés alors comme une

« communauté professionnelle d’apprentissage » (professional learning community) (Bezzina & Testa, 2005 ; Cochran-Smith & Lytle, 1999 ; Imants, 2002 ; Vescio et al., 2008), une « communauté d’enseignants professionnels » (teachers’ professional community) (Bryk, Campburn & Louis, 1999 ; Scribner et al., 1999), une « commu- nauté d’apprentissage » (community of learners) (Kochan & Kunkel, 1998 ; Shulman

& Sherin, 2004), un « environnement d’apprentissage » (learning environment) (Beattie & Thiessen, 1997) ou encore un « environnement stimulant » (supportive environment) (Mule, 2006).

D’un point de vue général, l’idée est ici de considérer les établissements scolaires comme des « communautés de pratiques » (Norman & Feiman-Nemser, 2005 ; Sim, 2006 ; Wenger, 1998) support au développement professionnel des enseignants et à l’apprentissage des élèves (Bezzina, 2002 ; King & Newmann, 2000 ; Vescio et al., 2008). Dans la plupart des pays occidentaux, les restructurations successives du contrôle institutionnel des établissements ont en effet progressivement abouti à une plus grande autonomie de ces derniers (Bezzina & Testa, 2005 ; Huysman, 2000 ; Imants, 2002 ; Imants, Sleegers & Witziers, 2001 ; Little, 1999). Parmi l’ensemble des nouvelles responsabilités qui leur sont allouées celle relative à la formation en situation des enseignants s’est accrue (Kwakman, 2003). Les établissements se sont donc organisés pour accompagner ce développement professionnel (Borko, Elliott &

Uchiyama, 2002) en initiant, encourageant et renforçant une véritable « culture de collaboration » (Beattie, 2002) entre leurs différents acteurs : enseignants expéri- 96

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mentés et novices, élèves, personnel administratif et médico-social, intervenants exté- rieurs et parents.

Bien pensé et mené, cet aménagement permet d’inscrire l’ensemble des acteurs de l’établissement, et plus particulièrement les enseignants, dans une « communauté d’apprentissage » (Shulman & Sherin, 2004) où le développement professionnel de chacun est stimulé et supporté (Arnaud & Vanwildemeersch, 2007 ; Kwakman, 2003). La collaboration et la collégialité entre les enseignants favorisent en effet la co-construction d’environnements d’apprentissage au sein desquels est encouragé l’engagement envers soi, les autres et plus largement l’ensemble de la communauté éducative (Beattie, 2002 ; Haymore Sandholtz, 2000). Dans ces établissements pen- sés comme des « organisations apprenantes » (Krecic & Grmek, 2008), les ensei- gnants développent finalement leurs connaissances, leurs habiletés et leurs dispositions tout en œuvrant pour la construction d’une communauté professionnelle partagée aboutissant in fine au renforcement de la cohérence d’ensemble des ensei- gnements dispensés aux élèves (Borko et al., 2002).

Certaines études notent plus précisément les intérêts d’une plus grande collégialité et collaboration au sein des établissements pour la formation des EF (Harrison et al., 2006 ; Rippon & Martin, 2006 ; Spindler & Biott, 2000). La construction d’un envi- ronnement favorisant l’apprentissage (Beattie & Thiessen, 1997) au sein de l’établis- sement leur offre en effet des opportunités d’apprentissage (Clément &

Vanenberghe, 2001) en leur autorisant notamment une certaine prise de risque dans leurs façons d’enseigner et en alimentant leur pratique réflexive (Harrison et al., 2006). Ce type d’environnement permet aux EF d’adapter plus facilement leurs attentes professionnelles aux réalités du contexte scolaire, d’avoir plus facilement accès aux conséquences de leurs actions, d’être plus efficaces dans la mise en œuvre des stratégies permettant de gérer les comportements d’élèves ou d’entrer avec plus de facilité dans la culture sociale et politique de leur établissement (Hebert & Worthy, 2001 ; Kelchtermans & Ballet, 2002). La dimension collective de l’action éducative au sein de ce type d’établissement permet, d’autre part, une diversification de la for- mation professionnelle des EF. Elle les confronte, en effet, nécessairement à une grande multiplicité de pratiques enseignantes et favorise leur développement profes- sionnel (Phillion & Connely, 2004 ; Wood & Benett, 2000).

Quelques études émettent toutefois des réserves quant au développement profes- sionnel des enseignants expérimentés et/ou en formation investis dans des établis- sements prônant une culture de collaboration. Cette dernière est, en effet, encore peu commune et développée dans l’organisation réelle des établissements (Kwakman, 2003 ; Scribner, 1999 ; Wenger & Snyder, 2000). Le manque de temps au quotidien

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pour s’engager dans des projets collectifs et/ou de ressources notamment budgé- taires pour les concrétiser avec les élèves, nourrit ainsi à terme une certaine « désillu- sion » (Beattie, 2002 ; Shulman, 2004). Le travail collaboratif est, d’autre part, émaillé par des « luttes de pouvoirs » limitant les opportunités d’interaction et d’en- traide entre les différentes catégories d’acteurs tels que, par exemple, les enseignants et le personnel scolaire péri éducatif (Rueda & Monzo, 2002), voire le personnel de direction (Clément & Vandenberghe, 2001 ; Smith & Lev Ari, 2005). Enfin, le travail collaboratif peut être associé pour certains enseignants non pas à une source de développement professionnel mais à une contrainte, notamment lorsqu’il tend à réduire leur autonomie dans leur travail au quotidien avec leurs élèves (Clément &

Vandenberghe, 2000).

ASSEOIR L’UTILITÉ DE LA SITUATION DE TUTORAT

Améliorer le tutorat implique de concevoir l’alternance…

De nombreux auteurs notent le caractère nécessaire mais insuffisant du seul aména- gement de la pratique de tutorat pour accroître l’efficacité de la formation profes- sionnelle initiale des enseignants (Cochran-Smith & Zeichner, 2005 ; Metzler &

Tjeerdsma Blankenship, 2008). Pour la plupart d’entre eux, il convient en effet de penser ce dispositif tout en interrogeant la problématique plus large de l’alternance entre, d’une part, les temps de formation menés à l’université, et d’autre part, les temps de pratique et/ou de formation professionnelle (dont la situation de tutorat) réalisés dans les établissements scolaires (voir, par exemple, pour une revue géné- rale, Merhan, Ronveaux & Vanhulle, 2007 ou Wideen, Mayer-Smith & Moon, 1998). Ceci implique de conceptualiser non pas le tutorat mais la situation de tuto- rat, c’est-à-dire une activité située dans un contexte particulier, conçu pour être for- matif : l’alternance.

En apparence, les programmes de formation proposés aux EF prennent en effet appui sur une alternance effective entre l’université (ou le centre de formation) et les établissements scolaires. Cependant, une analyse détaillée du contenu et des retom- bées de ces programmes, laisse apparaître une « cassure » entre, d’une part, le pro- gramme de formation des enseignants élaboré et mis en œuvre à l’université, et d’autre part, « l’organisation des savoirs dans les écoles » (Cochran-Smith, 2003 ; Schepens, Aelterman & Van Keer, 2007). Ainsi, même si l’optimisation de l’alter- nance entre les différentes temporalités de la formation est relevée comme une néces- sité (Brisard & Malet, 2003 ; Korthagen, Loughran & Lunenberg, 2005 ; Maandag et al., 2007 ; Perrenoud, 2001), les programmes de formation sont encore largement 98

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vécus par les EF comme une « collection de cours pour la plupart sans relations » (Darling Hammond, 2006). Tel que le précisait déjà Ben-Peretz (1995, p. 546), ces programmes s’appuient encore le plus souvent sur une « vision fragmentée des savoirs entre les cours et les expériences de terrain », et placent finalement les EF dans l’incapacité de tisser des liens entre les apports théoriques délivrés à l’univer- sité et les expériences pratiques vécues en établissements scolaires (Cope & Stephen, 2001 ; Darling Hammond, 2006 ; Hahn, 2007 ; Korthagen, Loughran & Russell, 2006). Une des raisons la plus souvent avancée pour interpréter ce constat est rela- tive à la nature du partenariat entre l’université et les établissements scolaires d’ac- cueil des EF. Institutionnellement préétabli et contraint (Hargreaves, 1994), il est dépendant de contingences locales (Christie et al., 2004 ; Lunenberg, Snoek &

Swennen, 2000 ; Zeichner, 2006). Le plus souvent informel, construit dans le temps à partir de la bonne volonté des différents partenaires impliqués dans la formation (Christie et al., 2004), il laisse finalement libre cours à une multiplicité de pratiques de formation notamment dans les établissements scolaires. Ainsi, même si ceux-ci ne sont pas structurellement adaptés au travail de formation des EF (Wenger & Snyder, 2000), ils proposent de plus en plus régulièrement leurs propres aménagements et contenus de formation sans en référer aux universités avec lesquelles ils devraient collaborer (Lunenberg et al., 2000). Cette dispersion de la formation dans différents lieux porteurs de cultures différentes (Zeichner, 2006) aboutit souvent à une forme de « collusion » entre rôles et responsabilités de chacun des acteurs, source de désta- bilisation chez les EF (Bullough et al., 2004b). Selon les contextes, ces derniers finis- sent en effet par entretenir un rapport quasi-exclusif de formation soit avec les T et/ou avec les autres formateurs potentiels de leur établissement scolaire (Larose et al., 2000) soit avec les SU de l’université (Smith & Lev-Ari, 2005).

Face à ce constat, de nombreux auteurs pointent la nécessité de proposer un modèle alternatif (Wilson, 2006) afin de « redéfinir le partenariat école-université » (Haymore Sandholtz, 2002). L’hypothèse est que l’optimisation de la formation nécessite la mise en place d’une « nouvelle forme d’apprentissage professionnel » telle que SU et T travaillent de paire dans un groupe facilitant le partenariat (Mullen, 2000) afin d’étayer en continu le développement professionnel des EF. La consé- quence première d’un tel aménagement de la formation est un renforcement effectif de la collaboration entre les différents formateurs (Burbank & Kauchchak, 2003 ; Stanulis & Russell, 2000 ; Zheng & Webb, 2000), mais son initiation et sa mise en œuvre restent coûteuses et problématiques (Korthagen, Loughran & Russell, 2006 ; Mullen, 2000). Il s’agit d’un déplacement du « centre de gravité de la formation des enseignants » (Zeichner, 2006) opéré en faisant tomber les barrières traditionnelle- ment érigées par chacune des institutions (Furlong et al., 1996 ; Johnston et al., 1996a ; Johnston & Kirschner, 1996 ; Zeichner, 2006) afin d’aboutir à la construc- tion d’une « communauté d’apprentissage à l’intérieur de la communauté de

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pratique » (Sim, 2006). Tel que le développe Wenger (1998) dans son texte intro- duisant le concept de « communauté de pratique », trois intérêts principaux ressor- tent d’une telle construction en termes de formation professionnelle.

Le premier est relatif à la nature de « l’engagement » des acteurs dans la formation.

Les relations entre les EF, T et SU ne répondent plus alors seulement en effet à une logique descendante depuis l’université vers les établissements (Bullough et al., 2004b) au sein desquels les T et les EF ne parviennent que partiellement à saisir ce qui est attendu d’eux (Christie et al., 2004). L’engagement de chacun des acteurs répond davantage à des processus de négociation de significations (Sim, 2006) ren- dant possibles apprentissage et développement professionnels.

Nommé « imagination », le deuxième intérêt est directement relatif aux possibilités offertes quant aux mises en relation entre les composantes dites « théorique » et

« pratique » de la formation. Penser la formation des EF en termes de « communauté d’apprentissage » implique en effet que les formateurs portent un regard nouveau sur la théorie. Cette dernière ne peut plus seulement être associée à un moyen per- mettant hors contexte professionnel d’assister les EF dans la construction de leurs compétences professionnelles. Elle est aussi et surtout à considérer comme une édu- cation à la complexité de la pratique de classe effective (Deng, 2004). Les proposi- tions des auteurs pour parvenir à cette fin sont nombreuses. Qu’elles s’attardent sur

« les cognitions interactives » entre les EF, les T et les SU (Schepens et al., 2007), sur

« le travail clinique de supervision intensif et extensif qui relie théorie et pratique » (Darling Hammond, 2006) ou encore sur « la cognition située dans laquelle il est assumé que l’apprentissage est incorporé dans les activités quotidiennes » (Kwakman, 2003), elles répondent toutes au principe commun d’un rapprochement des temps de réflexion et d’apports théoriques au vécu professionnel des EF (Korthagen et al., 2006 ; Walkington, 2005).

Nommé « alignement », le dernier intérêt est relatif à la possible constitution d’une

« communauté d’apprentissage à l’intérieur de la communauté de pratique » (Sim, 2006). L’idée défendue est alors de tendre vers « la coordination de l’énergie et de l’activité pour contribuer à des entreprises plus vastes » (Wenger, 1997, cité par Sim, 2006). Dit autrement, l’atténuation d’une distribution stricte et le plus souvent exclu- sivement administrative des responsabilités accompagnée d’une collaboration plus effective dans le travail réalisé sur chacun des objets de formation, permet la consti- tution et la mise en œuvre au quotidien d’un projet de formation effectivement par- tagé et porté par les EF, T et SU (Haymore Sandholtz, 2002 ; Korthagen et al., 2006 ; Zheng & Webb, 2000).

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Même si quelques études récentes constatent un manque d’évidences empiriques quant aux conséquences de tels aménagements sur la formation des EF (Schepens et al., 2007), notamment pour des raisons méthodologiques (Schepens, 2005 ; Teitel, 2001), certains résultats probants peuvent toutefois être mis en avant. Ils étayent pour la plupart, le point de vue de Zeichner (2002) selon lequel une optimisation de l’alternance entre les temps de formation à l’université et les temps de pratique et/ou de formation dans les établissements scolaires aboutit nécessairement à la création d’un environnement de formation plus «collaboratif » (Mullen, 2000) et « interac- tif » (Paris & Gespass, 2001) où les EF, les T, les SU (Gilles & Wilson, 2004 ; Grisham et al., 2004 ; Haymore Sandholtz, 2002) et les élèves (Schepens et al., 2007) se développent professionnellement ou scolairement. En permettant à chacun d’entre eux de négocier le travail à accomplir à partir de ses propres préoccupations, attentes et possibilités (Awaya et al., 2003 ; Clavier, 2001), ce type d’environnement valorise, en effet, l’implication dans une « communauté de pratique réflexive » (Allard et al., 2007 ; Glazer et al., 2004 ; Korthagen et al., 2006) nourrie par les controverses et divergences entre points de vue professionnels (Talvitie et al., 2000).

Outre le travail en collaboration lors des rencontres, chacun des formateurs cherche dans ce type d’environnement de formation à faire le lien entre les différents temps de formation et les temps de pratique professionnelle (Astier, 2006). Ainsi, par exemple, alors que les T mènent un travail de contextualisation des connaissances délivrées à l’université (Davis, 2006), les SU cherchent à intégrer les expériences professionnelles vécues par les EF dans leurs apports théoriques (Tigchelaar &

Korthagen, 2004). Qualifiable de « sain et stimulant » (Zeichner, 2002), ce type d’environnement permet, de plus, d’accroître la confiance, le partage et l’entraide entre les différents acteurs (Jipson & Paley, 2000). Épaulés par les T mais aussi les SU, les EF ont une pratique professionnelle plus risquée (Burbank & Kauchak, 2003) en s’autorisant davantage de prises d’initiatives (Bullough et al., 2003) à partir des différents apports théoriques reçus à l’Université (Smith & Lev-Ari, 2005). Outre la diversité des expériences ainsi vécues, les EF sont aussi amenés à exploiter ces expé- riences comme objets de réflexion lors des échanges de formation consécutifs (Ottesen, 2007 ; Parsons & Stephenson, 2005 ; Rhine & Bryant, 2007 ; Roth & Tobin, 2001 ; Walkington, 2005) afin d’étayer la construction d’une pensée profession- nelle complexe (Davis, 2006), de leurs connaissances et compétences profession- nelles (Good et al., 2006 ; Husu, Toom & Patrikainen, 2008 ; Le Cornu & Ewing, 2008 ; Schepens et al., 2007) et, in fine, de leur identité (Walkington, 2005).

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Des pistes pour optimiser l’alternance

Si les initiatives locales pour optimiser la formation par alternance sont multiples, les pistes explorées de façon systématique restent à ce jour, assez peu nombreuses, notamment en Europe. La principale est celle des « Écoles de développement pro- fessionnel » (Professional Development Schools) (PDS) conçues et mises en place en Amérique du Nord à partir du second rapport du consortium universitaire du Holmes Group (1986, 1990) préconisant une restructuration de la formation des enseignants afin de promouvoir la profession (Darling-Hammond, 1994). La finalité de ce «PDS movement » (Goodlad, 1990 ; Holmes Group, 1990 ; Rice, 2002) était initialement de rendre possible une collaboration organique entre plusieurs établis- sements d’un même ou de différents districts scolaires et une ou plusieurs universités, et de créer une nouvelle institution pensée comme une organisation apprenante (Harrys & Van Tassell, 2005 ; Ross, 1995). Le nombre de PDS s’est dans les pre- mières années rapidement accru (100 en 1994, plus de 1 000 en 1998 implantées dans 47 états des États-Unis selon Abdal-Haqq, 1998), tout en conservant inchan- gée la visée initiale d’amélioration de la formation des EF en prenant en compte leur développement professionnel au sein d’une « communauté digne de confiance » (trustworthy community) (Darling-Hammond, 1994, 1996 ; Ross, 1995), un accom- pagnement de la formation professionnelle continue des enseignants en poste (Sandholtz, 2002) et un accroissement de la qualité de l’enseignement pour tous les publics scolaires par l’application des réformes éducatives (Zeichner, 1992).

La mise en place des PDS a contribué à l’aménagement de leurs situations d’ensei- gnement et à l’accroissement de l’attention portée à leur sélection et à leur affecta- tion dans des classes adaptées (Miller & Silvernail, 1994), à limiter les obstacles potentiels à leurs apprentissages, à améliorer l’adéquation au regard du public concerné et aux méthodes d’enseignement adoptées dans l’établissement d’accueil (Castle, Fox & O’Hanlan Souder, 2006) et enfin à faciliter leur travail au sein des équipes éducatives (Abdal-Haqq, 1998 pour une revue ; Reynolds, Ross & Rakow, 2002 ; Snow-Gerono, 2005). Par ailleurs, elle a contribué à la formation reçue par les EF : contrairement aux plans de formation traditionnels, cette formation est en effet assurée conjointement par les différents formateurs, par exemple, les enseigne- ments dits « théoriques » sont proposés communément par les « professors and expe- rienced teachers » (soit SU et T) en établissement scolaire ou à l’université et se placent toujours dans une perspective d’exploitation par les EF en situation de pra- tique professionnelle (Darling-Hammond, 1994). Réciproquement, les activités de supervision et de conseil sont conduites par des T et des SU impliqués quasi quoti- diennement dans l’établissement (Grisham et al., 1999). La multiplication des moments d’échange et surtout leur inscription dans une histoire collective de forma- 102

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tion permettent un suivi de l’activité de formation et/ou d’enseignement des EF par le collectif de formateurs (Rodgers & Keil, 2007), et plus largement, le positionne- ment des différents acteurs comme des « enquêteurs » (inquirers) (Darling- Hammond, 1994 ; Mule, 2006 ; Yendol-Silva & Dana, 2004), des praticiens réflexifs (Weiss & Weiss, 2001), des « générateurs de connaissance » (knowledge genera- tors) (Dana & Yendol-Silva, 2003), ou des « co-apprenants, chercheurs et réforma- teurs » (co-learners, researchers and reformers) (Zeichner, 1992).

Des études notent plus particulièrement que les PDS invitent les T à s’investir dans de nouveaux rôles et tâches inhérents aux situations de conseil (Yendol-Silva & Dana, 2001) dans lesquelles ils sont appelés à s’impliquer. Leur formation continue sur la

« place de travail » (workplace) (Sandholtz, 2002) réalisée par les SU est d’ailleurs l’un des fondements des PDS (Holmes Group, 1990). Ancrée sur les postulats de

« l’approche de l’enseignant enquêteur » (teacher inquiry movement), la finalité de cette formation est de placer ces enseignants chevronnés dans un processus volon- taire d’apprentissage (Dana & Yendol-Silva, 2003) alimenté par un étayage collec- tif, scientifique et systématique de leur travail quotidien d’enseignant et de leur activité de formateur (Grisham et al., 2004 ; Sanholtz, 2002).

Certaines études discutent néanmoins l’impact des PDS sur l’optimisation de la for- mation des EF (Castle et al., 2006 ; Education Commission of States, 2003 ; Reynolds et al., 2002 ; Ridley et al., 2005). Soumise à des critiques relatives notamment au coût et à l’impact réel des PDS, l’idée initiale selon laquelle ces dernières pourraient alimenter des changements durables en éducation et en formation est cependant lar- gement débattue (Bullough et al., 1997 ; Darling-Hammond, 2006). Parmi ces cri- tiques, celle relative à la gouvernance des PDS est particulièrement relayée. La volonté initialement affichée d’une prise de décisions conjointe et partagée entre les différents acteurs est en effet régulièrement contrariée par les résistances de chacune des institutions (université et établissement scolaire) à partager les responsabilités qui leur sont traditionnellement attribuées (Bullough, et al., 1997 ; Kochan & Kunkel, 1998 ; Teitel, 1998). Cette difficulté est d’autant plus marquée qu’il existe une bar- rière culturelle entre les universités et les établissements scolaires ne pouvant s’es- tomper qu’avec le temps (Kochan & Kunkel, 1998 ; Peters, 2002 ; Ross, 1995).

Plusieurs études soulignent le rôle déterminant de certaines personnes (key indivi- duals) (Rice, 2002) : cadres administratifs, enseignants (Bullough, et al., 1997 ; Ross, 1995 ; Teitel, 1997), ou collectifs (Yendol-Silva & Dana, 2001 et Yendol-Silva &

Dana, 2004) comme les « équipes managériales » (management team), Sandholtz, 2002 ; Teitel, 2001), en charge d’instaurer une vision commune (Hess, 2000) pro- pice à la coordination du partenariat, de développer et de redéfinir les objectifs com- muns (Sandholtz, 2002) et d’établir une communication efficace entre les membres

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du PDS (Rice, 2002). Outre les difficultés relatives à la mise en œuvre d’une gou- vernance partagée, certaines études notent aussi la forte prégnance des contin- gences locales économiques (Clark, 1997 ; Rice, 2002) politiques (Darling-Hammond, 1994 ; Yendol-Silva & Dana, 2004) et/ou sociales (Bullough, et al., 1997 ; Teitel, 1998) sur l’efficacité des PDS.

En parallèle avec la mise en place des PDS, d’autres programmes innovants de déve- loppement professionnel sont utilisés pour optimiser la formation par alternance et par-là même la situation de tutorat (DeMulder & Rigsby, 2003). Ceux-ci concernent la construction et l’exploitation d’outils valorisant les technologies de l’information et de la communication (Charlier, Deale & Deschryver, 2002 ; Garcia & Roblin, 2008 ; Ryan, & Scott, 2008 ; Taylor, 2004) tels que par exemple le portfolio (Chetcuti, 2007 ; Weiss, 2000 ; Wray, 2007 ; Zeichner & Hutchinson, 2004), « l’écriture inter- active de journaux » (the interactive journal writing) (Cros, 2006 ; Maloney &

Campbell-Evans, 2002), « les journaux réflexifs » (the reflective journal) (Chitpin, 2006 ; Trumbull & Fluet, 2008), les vidéos de classe (Borko et al., 2008 ; Rosaen et al., 2008), la vidéoscopie (Maubant et al., 2005), la vidéocommunication (Bourdeau, 2002) ou encore le conseil en ligne (Grosjean, 2006 ; Nault, 2004).

Parmi ces innovations, l’approche de la formation des enseignants qualifiée de

« basée sur la recherche » (research based approach in teacher education) (Kynäslahti et al., 2006) est la plus conséquente. Qu’ils soient proposés sous la forme de recherche-action (Price & Valli, 2005 ; Valli, 2000), de recherche collaborative en partenariat (collaborative research partnership) (Butler et al., 2004) ou de recherche coopérative (Dugal & Léziard, 2004), les programmes de formation ont alors pour finalité le travail collaboratif des différents acteurs autour d’objets de recherche par- tagés. Il est au passage intéressant de noter que cet élan visant à placer les « ensei- gnants comme chercheurs » (teachers as researchers) (Desgagné et al., 2001 ; Maaranen & Krokfors, 2007 ; Sumsion & Patterson, 2004 ; Yendol-Silva & Dana, 2004) a été d’autant plus significatif lors de ces vingt dernières années qu’il a pro- voqué dans le monde de la recherche en éducation une bascule depuis des recherches sur les enseignants vers des recherches par les enseignants (Korthagen et al., 2005).

Lorsque ces programmes de recherche – action, ou plus largement de « recherche – formation – terrain professionnel » (Jorro, 2007), réunissent les conditions minimales à leur réussite, c’est-à-dire un ancrage dans le plan de formation des EF (Reis-Jorge, 2005), une réalisation au sein de l’établissement scolaire (DeMulder & Rigsby, 2003) et une articulation avérée aux problématiques d’enseignement (Butler et al., 2004 ; Thornley, Parker, Read & Eason, 2004), leurs effets sur les EF, T et SU sont notables.

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Le principal est un renforcement de la collaboration (Beck & Kosnik, 2000 ; Butler et al., 2004 ; Carroll, 2005) notamment par la constitution de réseaux collaboratifs (Angelides, Stylianou & Leigh, 2007) entre les acteurs de la triade. Les autres retom- bées notables sont le développement de la réflexion sur la pratique effective de classe (Beck & Kosnik, 2000 ; Burbank & Kauchak, 2003 ; Dana & Yendol-Silva, 2003 ; Loughran & Berry, 2005 ; Smith & Sela, 2005), l’augmentation de la construction des connaissances professionnelles (Angelides et al., 2007 ; Butler et al., 2004 ; Whitehead & Fitzgerald, 2007), la facilitation de l’utilisation des apports théoriques (Good et al., 2006 ; Kynäslahti et al., 2006) et la clarification des statuts et des responsabilités de chacun (Burbank & Kauchak, 2003 ; Robinson & McMillan, 2006). Certaines limites sont aussi relevées. La principale est relative au décalage entre les cultures propres à l’université et aux établissements scolaires (Holmesland

& Hostmark Tarrou, 2001) : d’un côté, les SU ayant l’obligation de produire des recherches de qualité répondant aux standards de la communauté scientifique (Shulz

& Hall, 2004), sont en difficulté pour se saisir d’objets de recherche aussi complexes que l’enseignement ou l’apprentissage (Neapolitan, 2004) ; de l’autre, les T et les EF débordés par les préoccupations du quotidien (Burbank & Kauchak, 2003 ; Valli, 2000) ne participent qu’assez peu à l’activité de recherche (Lunenberg & Willemse, 2006 ; Loughran, 2007). Finalement, c’est pour certains auteurs dans un équilibre précaire entre « rêve et réalité » (Yogev & Yogev, 2006) que se réalisent bon nombre de ces programmes de recherche-action.

CONCLUSION : LA NÉCESSITE DE FORMATION DES TUTEURS Il serait malheureusement aisé de paraphraser la plupart des constats et propositions que nous avions faits en guise de conclusion de notre précédente publication. Même si nous nous sommes ici davantage attardés sur la richesse des dispositifs mis en œuvre pour optimiser la situation de tutorat et améliorer la formation des EF, il n’en reste pas moins que toutes ces innovations n’ont d’utilité et d’efficacité que si les acteurs eux-mêmes, et plus particulièrement les formateurs, parviennent à se les approprier et à en tirer bénéfice. En ce sens, le constat qui était alors le nôtre d’une nécessaire amélioration de la formation des T est encore à ce jour d’actualité.

Garante d’une certaine efficacité dans les situations de tutorat (Crasborn et al., 2008 ; Dugal & Amade-Escot, 2004 ; Orland, 2001 ; Stanulis, Fallona & Pearson, 2002 ; Williams & Prestage, 2002), la formation des T reste néanmoins encore facul- tative et superficielle dans bon nombre de pays (Korthagen et al., 2005 ; Norman &

Feiman Nemser, 2005). Le plus souvent peu informés et mal préparés (Clarke, 2003 ; Stotsky, 2006), ces derniers se trouvent « égarés dans le transfert » (Orland Barak, 2005) entre leur métier d’enseignant et celui de formateur (Bullough, 2005 ; Troger,

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2003). Ils ne parviennent que rarement à s’extraire de leur statut d’enseignant expé- rimenté (Smith, 2005 ; Twombly et al., 2006) et à répondre à la diversité des rôles qui leur sont attribués (Sanders, Dowson & Sinclair, 2005). Ce constat fait dire à cer- tains auteurs qu’il existe « un point aveugle entre les connaissances sur la formation des enseignants et les pratiques actuelles de nombreux formateurs » (Lunenberg, Korthagen & Swennen, 2007).

En écho avec ce constat, certains auteurs décrivent les principaux besoins de forma- tion des T. Ils notent que ces derniers ne peuvent se satisfaire de leur expérience d’en- seignant expérimenté (Smith, 2005) ou d’une rapide actualisation de leurs connaissances scientifiques à l’université (Koster et al., 2005). La formation devrait leur permettre de se construire des compétences de conseil et de coaching (Clarke, 2003 ; Veenman et al., 2001) afin qu’ils soient plus efficaces auprès des EF lors des situations d’observation de leur leçon ou en suivant de conseil (Orland, 2001). Plus largement, c’est toute une nouvelle génération (Twombly et al., 2006) de T qu’il fau- drait former afin qu’ils soient capables d’articuler théorie et pratique (Lunenberg et al., 2007), de comprendre les besoins des EF (Koster et al., 2005), d’alimenter leur pratique réflexive (Hudson, 2004), ou encore de s’engager à leurs côtés dans une démarche active de recherche de solutions aux problèmes rencontrés (Lunenberg et al., 2007 ; Smith, 2003).

Cette recommandation unanime dans la littérature scientifique quant à la nécessité d’une formation des T interpelle d’autant plus qu’elle se positionne comme à contre- courant des dynamiques institutionnelles actuelles mais aussi des pratiques dans de nombreux pays. Souvent en effet, on remet au goût du jour le principe tant décrié d’un simple « report de statut » (report statut) assimilant tout bon enseignant à un tuteur efficace (Koerner, 1992 ; Little, 1990). Cette politique (également dictée par des considérations économiques) apparaît comme d’autant plus paradoxale qu’elle tend à isoler l’activité des T de la formation initiale proprement dite et à accentuer la dichotomie entre université et établissements scolaires pourtant considérée comme une source majeure de difficulté et d’inefficacité (Brisard & Malet, 2003 ; Korthagen et al., 2005 ; Maandag et al., 2007). Or, comme nous avons pu le préciser, c’est jus- tement dans le cadre d’un renforcement du lien entre ces deux entités que la forma- tion des EF, des T mais aussi des SU devrait être pensée (Bullough, 2005 ; Cochran- Smith, 2003 ; Scherff & Kaplan, 2006 ; Twombly et al., 2006). Nombreuses sont en effet les études qui soulignent la nécessaire articulation de la formation profession- nelle de chacun de ces acteurs avec l’instauration d’une communauté professionnelle des tuteurs (professional mentor community) (Carvez & Catz, 2004) ou d’un travail d’équipe collaboratif (Coronel et al., 2003 ; Paquay, 2005). La mise en œuvre de cette collaboration collégiale (Bullough, 2005) permettrait en effet de rompre l’isole- 106

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ment des T et des SU confrontés au quotidien à la complexité de leur activité (Strong

& Baron, 2004 ; Wang & Odell, 2007), de mutualiser leurs expériences et leurs res- sources (Feiman-Nemser, 2001) et de les faire tendre vers un objectif commun : l’op- timisation de la formation des EF (Bullough & Draper, 2004).

Ce rapprochement souhaité des établissements scolaires et de l’université permettrait une optimisation de la formation des T et notamment : une meilleure explicitation du cahier des charges de la formation des EF (Carver & Katz, 2004 ; Williams &

Prestage, 2002), une analyse de leur pratique à partir de leurs récits professionnels (Crasborn et al., 2008 ; Zeek, Foote & Walker, 2001), des apports théoriques extraits de la recherche (Thies-Sprinthall, 1986) voire une implication dans des tra- vaux de recherche (Smith, 2003 ; Twombly et al., 2006). Réciproquement, les besoins de formation des SU pourraient être en partie satisfaits par une plus grande collaboration avec les T et les EF (Murray, 2005). Etre en capacité d’interroger le métier dans ses dimensions génériques (Stotsky, 2006), être capable d’interagir avec les T et les EF en démontrant des compétences réflexives et organisationnelles (Koster et al., 2005), de s’impliquer et d’accompagner les T et les EF dans des démarches actives de recherche (Zeichner, 2005), sont autant de compétences qui dépassent le cadre d’une seule maîtrise de savoirs disciplinaires (Stotsky, 2006) et dont la construction pourrait être alimentée par la constitution d’un véritable collectif de for- mation.

Cette revue de littérature montre l’enjeu fondamental que représente la situation de tutorat, et son optimisation pour la formation initiale des EF. C’est ici le challenge d’un positionnement de la formation des EN comme trait d’union entre université et établissements scolaires (Cochran-Smith, 2004 ; Imig & Imig, 2006), qu’il semble fal- loir viser afin que les enseignants formés aujourd’hui puissent pleinement concourir demain à l’efficacité du système éducatif.

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Note de l’éditeur

Cette note de synthèse précède le prochain numéro (62) de Recherche et Formation consacré à l’accompagnement, au conseil et autres pratiques sociales se situant dans cette mouvance.

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