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Gouvernance et régulation au 21ème siècle : quelques propos iconoclastes

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Gouvernance et régulation au 21ème siècle : quelques propos iconoclastes

BOISSON DE CHAZOURNES, Laurence

BOISSON DE CHAZOURNES, Laurence. Gouvernance et régulation au 21ème siècle : quelques propos iconoclastes. In: Société internationale en mutation : quels acteurs pour une nouvelle gouvernance ?. Bruxelles : Bruylant, 2005. p. 19-40

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:8318

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GOUVERNANCE ET RÉGULATION AU 21ème SIÈCLE:

QUELQUES PROPOS ICONOCLASTES

Laurence BOISSON DE CHAZOURNES

Introduction : Décrypter la régulation internationale ...

Le «changement du droit »'. .. perpétuel questionnement de l'existentialisme juridique. L'« idéal-type» - selon l'expression de Max Weber - de la norme est bel et bien une quête illimitée et démontre que la règle de droit est inéluctablement tributaire des mutations sociales.

Nombreuses sont les stratégies discursives pour tenter d'objectiver ou de qualifier ces mutations: modernité du droit', post-modernité du droit', droit de l'aléatoire'.

Ce changement - qu'il soit mythe ou réalité - a trait à la rupture épistémologique qui caractérise les modes et les processus de production de la normativité internationale. Le concept de régulation de par sa nature sui generis traduit cette rupture épistémologique dans l'ontologie (c'est-à-dire la pensée) du droit international.

La rupture induite par la régulation se situe tant au plan « struc- turel » qu'au plan « structural » de la normativité. Sur le plan structurel, la régulation est porteuse de règles, de normes qui ne revêtent pas la

« texture formelle » du droit international classique. Ici, le monopole des sources formelles du droit international telles qu'énumérées par l'article 38 du Statut de la Cour Internationale de Justice n'est point de mise'.

Sur le plan structural, la régulation induit de nouveaux para- digmes substantiels de la règle de droit. Autrement dit, la règle de droit classique connait des transformations dans son contenu. Comme l'expli- que, le Professeur Chevallier: « Le droit a perdu les attributs de systé- malicité, généralité et stabilité [. . .] L'ordonnancement juridiqlle a subi

1 Voir P. Weil, Le droit international en quête de son identité, Cours général de droit international public, RCADI, vol. 237, 1996.

2 A. J. Arnaud, Entre modernité et mondialisa/ion: cinq leçons d 'histoire de la philoso- phie du droit et de l'Etal, LODJ, Paris, 1998.

3 J. Chevallier, Vers un droit post-moderne? Les transformations de la régulation juridi- que, Revue du Droit Public, n. 3, 1998, pp. 659-ô90.

4 B. Oppetit, L'hypothèse du déclin du droit, Droits, n. 4, 1986, p. 527.

5 L. Boisson de Chazoumes, Mondialisation et règlement des différends, International LAw Forum du Droit International, Revue de l'Association de droÎl international.

1998, pp. 14-15.

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de redoutables secousses en raison de la prolifération anarchique des règles qui a rendu flou les contours de l'ordre juridique, sape sa cohésion et perturbe sa structure. La production du droit semble être désormais, moins régie par une lOgique déductive, procédant par voie de concrétisation croissante, que résulter d'initiatives prises par des décideurs multiples [ ... } »'.

La régulation est ainsi porteuse de règles, de normes qui revêtent une « texture ouverte» symbolisée par le concept d' « internormativité».

L'internormativité illustre tout d'abord, cette idée d'une régulation comme passerelle entre différents corpus de nonnes du droit interna- tional (droit économique, droit de l'environnement, droit de la paix, droit du développement, droit social, droit de la santé, droit de la propriété intellectuelle, etc.) et bat en brèche la vision pyramidale et euclidienne de la « pureté », ou de la « systématicité» des sous-systémes de nonnes du droit international. La régulation est dans ce contexte, l'outil par excellence d'une alchimie juridique entre différents pans du droit inter- national qui peut conduire à plus de cohérence et de « soutien mutuel » dans le droit international public'.

L'internonnativité témoigne ensuite du rôle de la régulation comme instrument de connexion entre les nonnes issues de différents sous-systèmes du système social: nonnes juridiques, nonnes politiques, nonnes technologiques, nonnes culturelles, nonnes commerciales, nor- mes scientifiques, normes religieuses, normes financières, etc. En d'au- tres termes, la démarche « régulatoire » a pour fonction téléologique et axiologique de conférer à chaque norme issue du tissu sociétal (nomos en grec), une légitimité dans le processus de création, de modulation, d'application et d'interprétation du droit. Le tissu juridique est alors en symbiose avec le reste du tissu social dans sa globalité. L'on évoque à ce propos la métaphore du « droit soluble »'.

La réalité de la rupture épistémologique issue de la régulation ne doit pas voiler les « obstacles épistémologiques » auxquels est confron-

6 J. Chevallier, op. cil., p. 668.

7 H. Kclsen, Théorie pItre du droit, LGDJ, Paris, 1999.

8 De plus en plus d'instruments internationaux sont demandeurs de ce soutien mutuel, de cette mise en cohérence du droit international. Voir par exemple, Preambule du Proto- cole de Carthagène sur la prevention des risques biotechnoJogiques relatif à la Conven- tion sur la diversité biologique (( Estimant que les accords sur le commerce et l'envi- ronnement devraient se soutenir mutuellement en vue de J'avènement d'un développe- ment durable [ ... ] ~~); voir également, paragraphe 6 de la Déclaration de Doba de la Conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce (<< Nous sommes convaincus que les objectifs consistant à maintenir ct à préserver un système commer- cial multilatéral ouvert et non. discriminatoire, et à œuvrer en faveur de la protection de l'environnement et de la promotion du développement durable peuvent ct doivent se renforcer mutuellement ~)).

9 J. Carbonnier, Flexible droit: Pour une sociologie du droit sans rigueur, LGDJ, Paris, 1995,p.181.

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tée l'acceptabilité per se du concept de régulation dans l'ordre juridique international. Ses obstacles se présument ut singuli dans l'idée de l'obli- gatoriété du droit. On peut dès lors parler d'un obstacle épistémologique d'ordre « fonctionnel }). Autrement dit, la juridicité de la régulation serait réfutée principalement du fait de sa nature «molle », de son caractère

« consensuel }) et de sa stratégie « incitatrice })IO. Sans se risquer dans les chemins hasardeux ou dans les méandres labyrinthiques des théories jus naturalistes et jus positivistes sur le fondement du droit, le critère de l'obligatoriété de la règle Comme fondement de la juridicité doit être prima facie rejetée. Le Professeur Abi-Saab, l'énonce très clairement:

« [ ... ) juridicité ne signifie pas nécessairement obligatoriété et pertinence ou effet juridique ne se réduit pas seulement à effet obligatoire »".

L'autre obstacle épistémologique est d'ordre «notionnel )}. Le droit international se complait difficilement du flou véhiculé par le concept de régulation juridique. Aussi, les négateurs de l'autonomie et de la juridicité d'un tel concept utilisent-ils une autre sémantique pour

« habiller )} la régulation: « non-droit », « infra-droit )} et « méta-droit ».

L'hypothèse du non-droit a pour effet de nier toute juridicité au concept de régulation juridique. Cette dernière ne pourrait en aucun cas répondre à la catégorisation traditionnelle des sources formelles du droit international et du fait de ce « défaut ou handicap formel », la régulation est tout sauf du droit tel qu'entendu par la théorie normativiste. Pire la régulation serait un « non-concept }}12. Cette hypothèse méconnaît bien évidemment la complexité et la multiplicité des activités, des relations, des faits et des situations qui sont régies par le biais de la technique régulatoire et l'efficacité qui en résulte pour ses destinataires. En outre, le non-droit n'exclut pas et n'est pas antinomique au «droit» lui- même 13.

10 Comme l'explique P. Weil, «[ ... ] la nonne devient en effet glissante: au lieu de dicter des conduites, ene se contente d'énoncer de vagues obligations de comporte- ment: ses destinataires doivent « mettre en œuvre de la façon la plus efficace ), agir au mieux pour », etc. Aussi le caractère contraignant de la règle s'amenuise-t-il : la pres- cription et la prohibition impératives cèdent la place à ta 'simple incitation, qui se moule elle-même dans des techniques prenant l'apparence de la concertation et de la contractualisation ». Voir P. Weil, Le droit international économique: Mythe ou réali- té, in Aspects du droit international économique, SFDI, Colloque d'Orléags, Peclone, Paris, 1972, p. 15.

Il G. Abi-Saab, Eloge du droit assourdi. Quelques réflexions sur le rôle de la soft law en droit internatÎonal contemporain, in Nouveaux itinéraires en droit .-Hommage à Fran- çois Rigaux, Bruxelles, Bruylant, 1993, p. 63. .

12 G. Timsit, Archipel de la nonne, PUF, Paris, 1997, p. 166.

J 3 Débats sur le contrôle de "exécution des obligations des Etats dans les Organisations internah"onales économiques, Intervention du Président Bellet, in Aspects du droit in- ternationa/ économique, SFDI, Colloque d'Orléans, op. cil.) p. 181 : « Ne soyons pas victimes des catégories et des COficepts" Soyons plutôt empiristes et factualistcs ["".] le non-droit est tout ce qui vit à l'abri du droit. Par conséquent c'est la face libre du droit, mais c'est quand même du droit. On pourrait faire des variantes infinies là-dessus" Le non-droit est une sorte d'asymptote vers laquelle on peut se diriger sans jamais

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L'hypothèse de l'infra-droit comme qualificatif de la régulation juridique conduit à une conception limitée de celle-ci. En effet dans cette hypothèse, la régulation serait tout simplement le résultat d'un processus de « co-détennination »14 de la règle de droit prédétenninée dans une source formelle. En d'autres termes, la régulation aurait pour fonction de combler les lacunes du droit initialement existant et partant de rétablir l'équilibre" ou alors de générer des normes de comportement lorsque la règle prédéterminée autorise ses destinataires à procéder de la sorte. Cela reviendrait à nier la réalité du phénomène régulatoire qui prend appui parfois sur un substrat sui generis qui s'inscrit totalement en dehors de la logique conventionnelle ou coutumière du droit international.

L 'hypothèse du méta-droitl' vient achever le sacrifice de la régu- lation juridique sur l'autel des dieux protecteurs de la normativité inter- nationale traditionnelle. Quel blasphème que de considérer qu'une norme produite en dehors de la sphère étatique puisse produire des effets juridi- ques et être somme toute du « droit» ! Quel sacrilège que d'oser penser que d'autres acteurs, autres que les acteurs étatiques pourraient bénéfi- cier d'un locus standi dans l'Olympe du système juridique internatio- nal17 ! La régulation juridique est décidément transgresseuse. Toutefois, une approche «post-réaliste »18 du droit international s'impose à toute analyse in concreto de la normativité internationale. La mondialisation et le lot de complexité et d'interdépendance qu'elle entraîne avec elle met fin au modèle linéaire de la pensèe du droit international et consacre l'avènement d'un modèle circulaire ou récursif en vertu duquel une pluralité d'acteurs se succède aux commandes du navire affréteur du

J'atteindre [ ... ] la réalitê est faite d'une infinité de nuances [ ... ] la formation de la cou- tume jusqu'à l'élaboration d'une règle impérative, écrite, contraignante, qui sera suivie d'un appel au juge et ensuite de l'appel à la fonnule exécutoire, il y a tout un monde, monde que nous ne devons pas sacrifier dans une querelle de mots [ ... ] il Y a toutes les nuances d'un arc-en-ciel ['0'] )).

14 G. Tirnsit, Les noms de la Loi, PUF, Paris, 1991, p. 105. Selon l'auteur, « [ ... ] en droit international, les puissances dominantes - celles qui ont le pouvoir de prédétennination - n'ont pas intérêt à accepter l'introduction des notions « à contenu variable» qui par le fait même de leur indétennination - l'insuffisance de la prédétermination qu'elles assurent - laissent place à un large spectre d'interprétations possibles et imaginables ».

15 L'une des définitions souvent usitées de la régulation sociale a trait à la fonction d'équilibre qu'elle joue dans le processus social. Voir Dictionnaire Encyclopédique de Théorie et de Sociologie du Droit, LGDJ, 1988, p. 349.

16 E. Lauterpacht, The Juridical and the Meta-Juridical in International Law, in Theory of International Law at the Threshold of the 215t Century, Essays in Honour of Krzysz- tofSkubiszewski, Kluwer Law International, 1996, p. 215.

17 Voir J. Chevallier, op. cit., p. 665: « Concentrant entre ses mains le pouvoir de contrainte, l'Etat entend être la source exclusive du droit, tout comme le seul détenteur de la force matérielle; et l'ordre juridique étatique va imposer progressivement sa su- prématie, en se substituant; ou du moins en se superposant, aux ordres juridiques pré- existants et en devenant le seul cadre juridique de référence pour l'ensemble de la col- lectivité ».

18 M. Koskenniemi, International Law in a post-realist era, Australian Yearbook of International Law, vol. 16, 1995, p. 10.

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processus normatif. La régulation présente alors l'image d'un rhizome et traduit l'existence de « poches d'autonomie normative»" qui n'ont point besoin de l'onction étatique pour exister et produire des effets juridiques.

La régulation est donc bel et bien à l'origine de réseaux d'acteurs nou- veaux sur la scéne internationale et témoigne de l 'hétéronomie de l'ordre juridique international. Comme l'explique le Professeur Koskenniemi :

« People live in States, but we also live as men and women, as acade- mics and workers, Serbs and eroats. Modem sociology insists that inasmuch as our identities are no longer determined by homogenous national backgrounds, we have come to live with parlly conflicting, partly overlapping fonctional identities. lncreasing individualisation of our life-choices has offered us the possibility of choosing to participate in professional, sporting and other societies overlapping national boun- daries and forming "interlocking communities" with interesls, values and consent not reducible to those of any formai State. While States and sovereignty remain in the centre of the international, they are also constanlly challenged by communitarian c/aims and cosmopolitan views.

These challenges are not simply directed at the policies of existing States but put into question the very form of the Slate as the territorial or spatial locus for the deployment oflegislative reason »20.

En réalité, au-delà du non-droit, de l'infra-droÎt et du méta-droit, la régulation juridique se glisse dans les interstices de la lex lata et de la lex feranda. Aussi, pourrait-on parler à son sujet de « normativité glis-

sante »". Du fait de ce statut hybride et intermédiaire, la problématique

de la régulation conduit à achopper sur la question de savoir si l'on est en présence de quelque chose qui n'est pas encore juridique ou est à l'état naissant, ou si c'est déjà une forme de droit". La régulation est un concept à géomérrie variable et ne saurait faire l'objet d'une systémati- sation absolue. Plus qu'une notion ou un simple concept, la régulation juridique est un « phénomène» véritable dans l'ordre juridique interna- tional. Ce phénomène interpelle en lui-même de nombreux acteurs et de nombreuses maniéres «de faire et de voir» le droit. D'où l'intérêt de distinguer entre la phénoménologie « actorielle » et la phénoménologie matérielle - ou substantielle - de la régulation juridique".

19 J. Chevallier, op. cit., p. 674.

20 M. Koskenniemi, op. cit., p. 10.

21 P. Weil, op. cit., p.15

22 Debats sur le contrôle de "exécution des obligations des Etats dans les Organisations internationales économiques, lntervention du Président Bellet, op. cil., p. 189. 1

23 La dimension ratione personae et ratione maleriae de la régulation s'imbriquent \ forcément. Toutefois, pour des raisons pédagogiques. nous préférons les distinguer dans cet article.

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1 - PHÉNOMÉNOLOGIE «ACTORIELLE» DE LA RÉGULA- TION JURIDIQUE DANS L'ORDRE INTERNATIONAL

La régulation joue une fonction « correctrice» voire « compen- satrice ». En effet, les canaux traditionnels de production de la règle de droit international obéissent à une logique ra/ione /emporis qui s'acco- mmode mal avec les besoins des divers acteurs sur la scène interna- tionale. La fonction correctrice ou compensatrice de la régulation a pour intérêt de permettre aux divers acteurs étatiques et non étatiques d'anti- ciper ex ante sur la réglementation de certaines activités ou de compléter ou d'adapter ex pas/les règles déjà définies dans des instruments formels tels que les traités ou conventions internationales. Comme il a été si bien dit: "Norms of inlernational law have addressees. These inc/ude States bul also individuals, physical or moral persans. II is Ihe right of the latter ta knolV and estimate the impact of international norms on their daily life'~4.

En reprenant les mots du Professeur Abi-Saab, l'on est amené à rejeter: «une vision monolithique du droit comme instrument de contrainle hiérarchique, pour le concevoir également, de plus en plus, comme un moyen de réalisation d'un projet de société portagé parmi ses sujets, un droit négocié et directif, voulu el agréé plutôt qu'imposé, dans des sociétés démocratiques, de plus en plus complexes et segmentées »".

La phénoménologie actorielle de la régulation renvoie à deux idées majeures: celle de la pluralité des canaux de production normative et celle du locus standi des acteurs non étatiques dans les fora de règlement des différends.

A - Pluralité des canaux de production normative

La régulation est à l'origine de la multiplication des foyers de droit dans l'ordre international. Telle un «Prométhée », la régulation défie l'État. L'idée d'un droit plural ou d'un droit pluriel dans le système international avait déjà été envisagée par Santi Romano". D'autres acteurs de la société internationale, qu'on leur reconnaisse ou non les attributs d'une subjectivité internationale, participent à la pratique inter- nationale" et à la formulation de normes à l'échelle internationale. Si les

24 C. Harding, Statist assumptions, nonnative individualism and new forms of persona).

ity: evolving a philosophy of international Jaw for the twenty first centul)', Non-Slale Actors and International Law, vol. l, n02, 2001. pp. 107-125.

25 G. Abi-Saab, op. cil., p. 60.

26 S. Romano, L 'ordre juridique, Dalloz, Paris, 2002.

27 Le juge Ammoun, dans son opinion individuelle jointe à l'Avis de 1971 sur le Sud- ouest africain, ouvre des perspectives larges en ce domaine quand il met en exergue le

!"Ô1e que la pratique des acteurs non étatiques (peuples et populations autochtones) peut Jouer dans l'éclosion de nonnes du droit international. Il s'est danandé notamment si certains actes internatÎonaux ou universels auraient vu le jour sans une lutte héroïque des peuples aspirant du plus profond d'eux-mêmes à la liberté et à l'indépendance. Se-

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, principaux façonneurs de la normativité internationale sont les sujets de droit international ayant qualité pour accomplir des actes produisant des effets de droit dans l'ordre international, on ne doit toutefois pas sous- estimer l'apport d'acteurs non étatiques au façonnement de la pratique internationale et du droit international."

Le contexte de la mondialisation, en particulier, fait une large place aux opérateurs économiques" et à leur initiative dans le développe- ment d'usages et de pratiques. Le processus de globalisation conduit à l'apparition d'un «droit global », qui prend la forme de relations juridi- ques dont le traitement dépasse le cadre national et qui est conçu et appliqué largement en dehors de la logique classique des traités. Ce droit est notamment formé d'usages du commerce international connus sous le nom de lex mercatorio. En font également partie les principes dégagés par les instances arbitrales. Son autonomie par rapport aux modes clas- . siques de formation des règles internationales ne fait pas de doute, même

si un processus d'uniformisation de ces usages peut avoir cours dans le cadre de certaines organisations, telle UNIDROfP'. En matière de droit du commerce international et notamment dans le domaine des investisse- ments, les comportements des sociétés privées contribuent à forger cer- taines règles. Les enceintes de règlement des différends peuvent consa- crer leur application. Ainsi, dans l'affaire Aminoil, le tribunal arbitral a-t- il pris en compte le comportement des entreprises pétrolières" pour tenter d'identifier les règles applicables en matière d'indemnisation en cas de nationalisation. D'autres pratiques commerciales sont créatrices de droit, telles la pratique contractuelle des entreprises et celle du recours à l'arbitrage. Ces pratiques ont progressivement été entérinées par le

Ion le Juge Ammoun: (~S'il est une 'pratique générale' pouvant. de façon incon- testable, créer le droit aux termes de l'article 38, paragraphe 1 b), du Statut de la Cour, c'est bien celle que constitue l'action consciente des peuples eux-mêmes tu/Jant avec détermination. Sans ces peuples~ principalement d'Asie et d'Afrique., qui ont af- flué, depuis la Deuxième guerre mondiale, dans l'ONU aurait-on enregistré ce nombre imposant de déclarations ct de résolutions qui ont traduit dans le droit et imposé aux rapports internationaux rénovés les grands principes qu'ils avaient contribué à consa- crer? », CIl, Conséquences juridiques pour les EtalS de la présence continue de l'Afri- que du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (/970) du Conseil de sécurité. Avis consultatif du 21 juin 1971, Recueil/971, p. 74 .

28 J. Chevallier, op. cil., p. 673: ( Le droit [ ... ] est fondé sur une conception moniste:

un seul foyer de droit, l'Etat, conçu comme la source exclusive de la normativité juri- dique [ ... ] malgré ses prétentions totalisantes et sa recherche de l'exclusivité, l'ordre juridique étatique n'est jamais parvenu à ramener à lui et à condenser l'intégralité des phénomènes juridiques; il s'est toujours trouvé pris à revers et court-circuité par des nonnes se fonnant en d'autres lieux et échappant au moins en partie à sa médiation »).

29 Sur la place des nombreux acteurs dans le débat sur les aspeçts sociaux de la mondia- Hsation, voir la contribution de P. Jean-Baptiste au présent ouvrage.

30 Voir 1. Chevallier, Mondialisation du droit ou droit de la mondialisation, in Le droit saisi par la mondialisation, Ol.-A Morand dir., Bruxelles. Bruylaotl Helbing& Lich- tenhahn, 2001, pp. 44-48.

31 Pour le t«te de la sentence, voir JDI, 1982, pp. 903-904.

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biais de législations nationales favorables à l'arbitrage commercial international". De même, dans la sphère de la régulation d'Internet, les comportements d'acteurs non étatiques façonnent la normativité en ce domaine". La notion de lex eleclronica couvre les différents canaux et relais normatifs encadrant les relations des participants à la communica- tion électronique. Dans le cyberespace, les règles de conduite sont issues de diverses instances jouissant d'une reconnaissance d'une grande partie de la communauté des usagers et des acteurs. Les communautés et autres groupes d'acteurs forgent certains comportements « qui, en raison de leur caractère répété et réitéré, parviennent à constituer des guides nor- matifs assortis d'un degré de contrainte pratiquement aussi considérable que celui associé aux règles de droit »".

Il existe un ensemble d'organismes de normalisation spécifiques à Internet. Ainsi l'Internet Society (lSOC) est une organisation non gou- vernementale chargée d'assurer la coopération et la coordination interna- tionales entourant la technologie et les programmes d'Internet. Elle est composée d'entreprises, d'organisations gouvernementales et de fonda- tions qui ont créé l'Internet et les technologies qui y sont afférentes.

Même si cette organisation n'a pas pour vocation d'élaborer des régle- mentations, elle n'en a pas moins, par l'intermédiaire de son Président, publié des lignes directrices relatives à la conduite sur l'Internet et l'utilisation du réseau. Dans les faits, les différentes entités exerçant un certain degré de contrôle sur les espaces électroniques ont développé leurs propres règles d'adhésion, de fonctionnement et de règlement des différends" .

Les travaux des comités d'experts dont l'établissement n'est pas le fruit d'une décision interétatique sont évocateurs de la génération de régulation par des acteurs non étatiques. Ainsi en est-il des travaux de l'Organisation internationale de normalisation (ISO), d'associations pro- fessionnelles et scientifiques comme l'Association médicale mondiale et du Comité international des organisations des sciences médicales", ou encore d'organisations à but philanthropique qui prennent des positions et adoptent des textes.

Les ONG peuvent également rencontrer des succès dans le champ nonnatif. Ainsi en est-il de leurs initiatives pour convaincre les

32 Voir L'influence internationale du droit français, Conseil d'Etat, 2001, Paris, La Documentation française, p. 44.

33 Sur la régulation d'Internet, et plus largement du domaine de l'infonnation, voir la contribution de M. de Bellet au présent ouvrage. .

34 P. Trudel, La Lex Electronica, in Le droit saisi par la mondialisation, op. cit., p. 236.

35 Ibid., p. 257.

36 Pour une analyse de leur rôle dans I~ domaine de la bioéthique, voir L. Boisson de Chazou~es. S. Maljea.n-Dubois, Normes 'parajuridiques', système concurrent ou com- plémentaire. Le rôle des ONG internationales et de la sofi law. in NormalivUé el bio- médecine, Brigitte Feuillet-Le Mintier diT., Paris. Economica., 2003, pp. 213-223.

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États d'adopter des traités internationaux, tetie la Convention d'Ottawa sur l'élioùnation des DÙnes antipersonnelles. L'échec des négociations sur l'Accord multilatéral sur les investissements (AMI) porte leur mar- que. De même, les ONG pèsent d'un poids certain sur l'avenir des négo-' ciations de DohaJ7 Le développement des communications internatio- nales, grâce notamment à l'utilisation de l'Internet, donne aux ONG la capacité d'agir efficacement au niveau mondial, d'exercer des pressions sur les États, qui ne peuvent pas se désintéresser de l'image qu'ils pré- sentent au monde". La société civile joue un rôle important de « chien de garde» par la surveillance des actions et des comportements d'autres acteurs (secteur privé et gouvernements) au niveau international. Elle aide égale-ment dans le contrôle (aussi dénommé, monitoring) du respect des enga-gements pris par les différentes entités ou encore dans la prévention de la violation par un État de ses obligations internationales".

Le rôle des ONG dans la oùse en œuvre des traités interna- tionaux, tout particulièrement en matière de droits de l'homme, est lui aussi significatif. Par leur action, les ONG peuvent infléchir l'application et l'interprétation des normes internationales". L'évolution qu'a connue le principe de non-intervention à la lunùère des exigences de respect des droits de l'homme, notamment avec l'invocation d'un principe d'ingé- rence humanitaire, est en partie due à l'action menée par les ONG sur le terrain politique, diplomatique et opérationnel.

Enfin, les organisations internationales, traditionnellement vues comme des fora interétatiques, jouent également un rôle important dans le développement de la régulation juridique internationale. Elles adoptent des résolutions, des codes et autres instruments de régulation et ce par le truchement de leurs organes, qu'ils soient ou non à composition poli- tique. L'exemple des Politiques et Standards Opérationnels de la Banque Mondiale est intéressant à cet égard". Les organisations internationales

37 L. Boisson de Chazoumes, M.M. Mbengue, La Déclaration de Doha de la Conférence Ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce et sa portée dans les relations commerœ/cnvironnement, RGD/P, 2002, n° 4, pp. 855-892.

38 c.-A. Morand, la Souveraineté, un concept dépassé à l'heure de la mondialisation?

in L 'ordrejun'dique international. un système en quête d'équité el d'universalité. Li- ber Am/corom Ahi-Saab, édité par L. Boisson de Chazoumes et V. Gowll~d-Debbas,

La Haye, Martinus NijhoffPub1ishers, 2001, p. 171.

39 Voir par exemple Nations Unies, Commission Economique pour l'Europe, Décision 117- Examen du respect des dispositions (procédure de non-respect) adoptée à la Pre- mière Réunion des Parties de la Convention d'Aarhus SUT l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement, 21-23 octobre 2003, disponible sur: http://www.unece.org/env/pp/

documentslmop 1/.-;e.mp. pp.2.add.8.f. pdf 40 C.A. Morand, op. cil., p. 171.

41 L. Boisson de Chazournes, «Policy Guidance and Compliance: The World Bank operalional Siondards », in Commitment and Compliance : The Rofe of Non-Binding Norms in the Inlernational Legal System, edited by Dinah Shelton, Oxford, 2000, pp.

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jouent aussi un rôle dans le contrôle et la consolidation des règles et des engagements. Elles peuvent ainsi influencer l'interprétation du droit en même temps que son développement. Enfin, elles promeuvent un dialo- gue et une coopération avec les acteurs non étatiques, ce par le biais de partenariats avec le secteur privé et les ONOu et de consultations.

L'arène internationale est de ce fait ouverte aux acteurs non étatiques et dêmontre que la régulation est le fruit d'une « délibération» collective et donne lieu à un droit négocié.

Le Pacte Mondial (Global Compact) est un exemple marquant à cet égard". Lancé en juillet 2000 par le Secrétaire Général des Nations Unies Koti Annan, le Global Compact demande aux entreprises

« d'adopter, de soutenir et de voter» une série de principes ayant trait aux droits de l'homme, aux nonnes du travail et à l'environnement. Dans cette optique, le projet Global Compact réunit des entreprises, divers organismes des Nations Unies, l'Organisation internationale du travail, des ONG et autres afin de constituer des partenariats et de bâtir une éco- nomie mondiale plus équitable et plus favorable à l'intégration. Plus de 1.200 sociétés ont déjà rejoint l'initiative Global Compact à travers le monde. Les neuf principes du Global Compact sont inspirés de docu- ments qui font l'objet d'un consensus universel : la Déclaration univer- selle des droits de l'homme (1948) ; la Déclaration de l'Organisation internationale du travail (OIT) sur les principes et les droits fondamen- taux au travail (1998) ; la Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement (1992). Certaines entreprises comme Nestlé ont ainsi décidé d'adopter une série de principes tels les « Principes de conduite des affaires du Groupe Nestlé» (Corporate Business Principles)". Le phénomène régulatoire prouve ainsi que la stratégie « dialogique »45 peut asseoir la légitimité et l'effectivité de la nonne internationale.

En d'autres tennes : « la force de la règle de droit ne provient plus de ce qu'elle énonce comme ordre obligatoire, auquel tQ.us sont tenus de se soumettre; elle dépend désormais du consensus dont elle est entourée.

Ce consensus suppose que les destinataires soient partie prenante à son élaboration: la concertation préalable, la participation à la définition de la règle devient la caution de son bien-fondé [. . .) »".

Ce caractère « négocié » et «dialogique» de la régulation inter- nationale implique un recours plus fréquent à l'expertise". Il est intéres- sant de remarquer par exemple que les comités de l'Organisation mon- .

42 Voir par exemple les partenariats mis en place par la Banque mondiàl~ ou l'UNICEF.

43 Voir la contribution de Fr. Hagner sur ce thème au présent ouvrage.

44 Disponible sur http://www.nestlc.comINRlTdonlyreslD9EC2A97-170F45E3-895E 8AB2858E2739/0/CorpoTateF.pdf

45 G. Timsit, Thèmes et systèmu de droit, PUF, Paris, 1986, p. 120.

46 J. Chevallier, op. cit., p. 675.

47 «[ ... ] la production de la nonne juridique s'abrite alors derrière le savoir. qui est censé garantir sa légitimité et son bien-fondé », ibid., p. 676.

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r ,

1

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dia le du commerce (OMC) peuvent bénéficier d'avis d'experts Sur des questions techniques. Ce n'est pas une procédure obligatoire mais un ins- trument laissé à la discrétion des comités. L'usage qui en est fait fluctue en fonction de ces derniers. Ainsi, par exemple, le Comité du commerce et de l'environnement (CCE) de l'OMC"est très ouvert aux experts de la société civile, et cela contrairement à d'autres comités. Quand les experts sont invités au CCE, ils peuvent faire des interventions orales ct donner leur opinion. Dans le domaine du règlement des différends, les groupes spéciaux et l'Organe d'appel sont habilités à requérir des avis d'experts".

Cette procédure est pour l'heure, il est vrai, largement discrétionnaire, les organes de règlement des différends étant les seuls juges de l'oppor- tunité à demander et prendre en compte ces avis.

Une question importante tient à la qualification d'expert à rOMe. Tant au niveau des comités que celui des groupes spéciaux et de l'Organe d'appel, les critères de sélection des experts demeurent flous.

C'est le cas de l'Annexe II de l'Accord sur les obstacles techniques au commerce (OTC) portant sur les groupes d'experts techniques. Il est simplement dit que « La participation aux travaux des groupes d'experts techniques sera limitée à des personnes ayant des compétences et une expérience professionnelle reconnues dans le domaine considéré »". En outre, il y a un risque d'asymétrie dans la communication de l'informa- tion. Les experts de l'industrie peuvent manipuler et traiter l'infonnation à des fins privées.

L'expertise est nécessaire pour une organisation ou un secteur

. qui intervient dans la régulation de questions techniques ou spécifiques.

Souvent, les négociateurs gouvernementaux n'ont pas le niveau de connaissance spécialisée requis. Certains auteurs insistent sur l'idée de

« légitimité fonctionnelle ou technique». Dans ce contexte, la dimension politique est mise à l'écart pour privilégier « l'objectivité» de l'opinion scientifique des experts. La légitimité de la norme découle non pas d'un système de représentation mais de la perception que l'on a de l'efficacité et de la valeur de cette norme. Néanmoins, cette légitiruité basée stricte- ment sur la rationalité est mise à l'épreuve. En effet, quand l'expertise est trop spécifique et trop ciblée, les extemalités ne sont pas prises en compte alors qu'elles pourraient avoir un impact sérieux sur la vie des personnes. Les débats relatifs aux relations., 'commerce et ènvironne- ment' ou 'commerce et santé' sont intéressants à cet égard.

48 Voir j'article 13:2 du Mémorandum d'Accord sur les règles el procédures régissant le règlement des différends.

49 Paragraphe 2 de l'Annexe Il de l'Accord OTe.

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B -Locus Stand; des acteurs uou étatiques dans les fora de règlement des différends internationaux

La régulation génère de la participation publique. Les acteurs non étatiques tendent à bénéficier d'Wl droit de cité dans maints espaces internationaux. La sphère du règlement des différends intcrnationaux est une belle illustration de cctte tendance. Deux types de locus standis se révèlent : wl locus standi « peu formalisé)} et wl locus standi «procé- duralisé » voire « formalisé ».

Le locus standi «peu formalisé» renvoie au phénomène de l'amicus curiae. Certains systèmes juridiques autorisent des personnes non parties à un litige à apporter dans le cadre de la procédure judiciaire, des informations sur des points de droit, voire des éléments factuels. Les amici curiae ont Wle longue histoire dans certains systèmes juridiques alors qu'ils sont inexistants dans d'autres, ou qu'ils sont apparus récem- ment. Ils ont évolué en droit romain, se sont développés avec la Com- mon Law et ont été vers les États-Unis où ils se sont épanouis. On les trouve donc principalement dans l'ordre juridique américain, dans un dé- veloppement moindre dans les systèmes de Common Law, apparaissant récemment dans les ordres juridiques continentaux, comme en France.

L'idée est de permettre aux organisations ou aux personnes qui ont wl intérêt dans un différend, d'intervenir et de donner leur point de vue. Ce mécanisme a plusieurs avantages, qui sont liés aux apports des amici curiae dans la résolution d'Wl litige. Il s'agit notamment des infor- mations (factuelles ou juridiques) que peuvent fournir les amici curiae et de leur impact sur la légitimité de la solution d'Wl différend (car tous les intérêts pourraient être pris en considération). C'est en partie au nom de la « valeur ajoutée» que pourraient créer les amici curiae que ces der- niers se sont vus ouvrir les portes du système de règlement des diffé- rends de l'OMO'. C'est au nom de la légitimité et in specie de 1'« intérêt public» que les amici cunae ont été admis dans d'autres foras tels que

50 Voir Etats-Unis - Prohibition de l'importation de crevettes el de produits à base de creveltes, rapport de l'Organe d'appel, 12 octobre 1998, Doc. WT/DS58/ABIR, par.

104: «( [ ••• ] Le pouvoir conféré à un groupe spécial comprend la possibilité de décider

de ne pas demander de tels renseignements ou avis du tout ( ... ] un groupe spécial a aussi le pouvoir d1accepler ou de rejeter tout renseignement ou avis qu'il pourrait avoir demandé et reçu, ou d'en disposer d'une autre façon appropriée. Un groupe spécial a en particulier la possibilité et le pouvoir de détenniner si des renseignements et des avis sont nécessaires dans une affaire donnée, d'évaluer l'admissibilité et la perlÎnence des renseignements ou avis reçus et de décider quelle importance il convient d'accor- der à ces renseignements ou avis ou de conclure qu'aucune importance ne devrait être 3C<:ordée à ce qui a été reçu ». 'Voir sur la question, L. Boisson de Chazoumes, M. M.

Mbengue, L'Amicus Curiae devant l'Organe de règlement des différends, in Droit de

"Organisation mondiale du commerce el protection de l'environnement, S. Ma1jean- Dubois dir., Bruylant, Bruxelles, 2003, pp. 400-442.

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31

les tribunaux établis en vertu du Chapitre 11 de l'Accord de libre- échange Nord-américain (ALENA)".

Le locus standi plus « formalisé » est bien illustré par la procé- dure du Panel d'inspection de la Banque Mondiale". Cette procédure a créé pour des groupes d'individus et collectivités relevant de la juri- diction de pays emprunteurs, une voie d'accès auprès de la Banque mondiale, et notamment auprès de son organe décisionnel, le Conseil d'administration. La procédure du Panel d'inspection engage donc les particuliers au cœur même du processus de décision international.

Le développement est maintenant conçu avant tout comme un problème sociétal, qui exige que l'on porte une attention soutenue aux aspects institutionnels et régulatoires. Ces changements témoignent de l'émergence d'une nouvelle vision du développement: un développement qui ne doit plus être « vertical }) (connu aussi sous la formule anglaise du

« trickle-down effect »), mais distributif et participatif. Si la croissance économique est encore conçue comme le fer de lance du développement, son rôle doit être associé à une prise en compte des besoins des différentes composantes des populations concernées.

Ces idées ont essaimé au sein de la Banque mondiale, au gré notamment des grandes conférences internationales réunies sous les aus- pices des Nations Unies au cours des années 1990. Ces conférences ont aussi montré que les acteurs étaient de plus en plus nombreux sur la

51 Voir Decision on Petitionsfrom Third Persans to Intervene as« Amici Cun"ae »,15 janvier 2001, disponible sur http://www.naftalaw.org/methanex/Methanex-Amicus.

Decision.JXlf Dans cette affaire qui mettait en cause la protection de l'environnement, trois organismes ont demandé à présenter des mémoires désintéressés: l'International Institute for Sustainable DeveJopment (lSSD), Communities for a Bener Environment et Earth Island Institute. La société Methanex réclamait un milliard de dollars aux Etats-Unis, du fait que les autorités califomiennes avaient interdit, pour des raisons de protection de l'environnement contre la pollution, l'utilisation d'un additif à l'essence appelé MTBE, que cette société fabriquait, ce qui diminuait donc ses bénéfices. Le tri- bunal arl>itral était saisi d'une demande d'autorisation de soumission de mémoires d'amicus curiae. Les ONG demandaient un accès total à la procédure, cc qui impli- quait quatre requêtes différentes: la possibilité de soumettre des communications écri- tes, la possibilité d'assister aux audiences, la possibilité. de présenter des plaidoiries orales, la possibilité d'avoir accès à tous les documents échangés entTe les parties au différend, mémoires, contre-mémoires, annexes, preuves, etc. Une telle demande était sans précédent dans un arbitrage en matière d'investissement entre un Etat et un inves- tisseur privé. Les arguments des ONG étaient multiples mais ils ont particulièrement insisté sur l'importance de l'affaire en termes d'intérêt général

« (

the Îmmense public importance of the case »), La société commerciale, évidemment, était réticente au fait que d'autres parties privées interviennent dans le litige, puisqu'elle se plaignait de me- sures de protection de J'environnement qui diminuaient ses bénéfices. alors que les ONG environnementales souhaitaient au contraire défendre ces mesures. Nulle sur- prise que les Etats-Unis aient été favorables à l'admission des mémoires des intéressés, car c'est là leur politique constante. alors que le Mexique, suivant en cela les prises de position des pays en développement, y était hostile,

52 L Boisson de Chazoumes, Le Panel d'inspection de la Banque Mondiale: A propos de la complexification de l'espace public international, RGD/P. 2001. nOI, pp. 145-

162.

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scène internationale. Certes, les États restent les sujets primaires et pre- miers de l'ordre juridique contemporain; toutefois, d'autres entités ont investi l'arène internationale, qu'i! s'agisse des organisations interna- tionales (créées par les États, mais qui s'émancipent dans une plus ou moins grande mesure de leur tutelle, selon les activités qu'elles exercent), des organisations non gouvernementales, des entreprises du secteur privé ou encore des individus.

Les projets de construction d'ouvrages hydroélectriques de Narmada en Inde" et d'Arun Valley au Népal", pour lesquels un finance- ment de la Banque mondiale avait été sollicité, et les contestations auxquelles ils ont donné lieu, ont bien montré que l'institution financière ne pouvait pas échapper à un débat avec des acteurs avec qui jusqu'alors elle n'avait pas établi de relations, telles les ONG et les populations locales. Les concepts de participation populaire, de transparence ont progressivement trouvé droit de cité dans le cadre des activités de préparation el de mise en œuvre des activités financées par la Banque mondiale, permettant aux groupes concernés de faire entendre leur voix lors de la phase d'élaboration, et même d'être parties prenantes dans l'exécution des projets. L'une des réponses apportées aux doléances de ceux qui voulaient voir la Banque plus engagée auprès des acteurs non étatiques a ainsi consisté en la mise sur pied du Panel d'inspection de la Banque mondiale. Cette procédure de recours offre une voie d'accès aux particuliers en faisant valoir que leurs intérêts sont lésés par la conduite d'une activité opérationnelle de l'organisation financière. Celle-ci peut alors décider de corriger son attitude.

Ces différents éléments montrent combien le phénoméne de la régulation internationale s'oriente vers une « démarche inclusive}) c'est- à-dire une démarche qui vise à « entourer le droit du consensus qui lui est nécessaire »", tant au travers de l'élaboration de nouvelles pratiques que par l'ouverture des procédures mises en place.

II - PHÉNOMÉNOLOGIE «MATÉRIELLE}) DE LA RÉGULA- TION DANS L'ORDRE INTERNATIONAL

La régulation juridique est une force centripète et centrifuge dans l'ordre juridique international. Elle n'opère pas à la manière du droit classique. Alors que ce dernier présente des attributs de rigueur, de précision, d'impérativité et de stabilité, la régulation, elle, est marquée

53 Voir sur ce point B. Morse & T.R. Berger, Sardor Sarovar: The Report of the Inde- pendant Review (1992) et T.R. Berger The World Bank's Independent Review of ln·

dia's Sardor Sarovar ProjoclS, 9 American University Journal of International Law &

Policy 1, pp. 33-48.

54 Cf. A. Umana Quesada (ed.), The Wor/d Bank Inspection Panel: the Firsl Four Years (/994-/998), World Bank Publications, Washington D.C., 1998.

55 J. Chevallier, op. Cil., p. 686,

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33

par la souplesse et l'efficacité. Souplesse en ce sens que les normes issues de la régulation se caractérisent principalement par leur aspect volontaire et non obligatoire. C'est le cas des principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales qui sont définis comme étant des recommandations n'ayant pas de caractère obligatoire adressées aux entreprises multinationales par· les gouvernements des pays adhérents". TI en est de même des codes de conduite d'origine privée dont l'originalité tient aussi au fait qu'ils sont d'observation volontaire. Efficacité, étant donné que la régulation est animée par le souci d'adaptabilité constante au dynamisme et à l'évolution des faits sociaux. La régulation est par là différente du droit classique qui a pour préoccupation fondamentale, la sécurité et la prévisibilité des relations juridiques.

À travers la régulation, les canaux traditionnels d'élaboration et de juridicisation des règles et normes internationales sont en certains do- maines remis en question. On dénote une sorte de malaise instrumental, voire un essoufflement de la matrice conventionnelle et coutumière,

«dus à une défiance à l'égard des engagements traditionnels » (binding commitments). Tel est le cas, par exemple, dans le domaine de la bioéthique. De nouveaux défis tels ceux posés par les développements technologiques, et les nouveaux équilibres (commerce/environnement;

commerce/santé) à instaurer posent de nouvelles exigences en matière de production normative. Celles-ci ont pour nom « techniCité >} du contenu des nonnes et« flexibilité}> des processus d'adaptation de la nonne.

A - Technicité du contenu des normes

La complexité des situations et des relations se développant dans l'ordre international, explique que la régulation soit demandeuse et porteuse de techillcité. La règle juridique ne peut être lue en « isolation clinique » du reste du système normatif dans son ensemble et doit dès lors s'imprégner de plus de «savoir» : «[. . .} la spécificité de la norme juridique par rapport à d'autres dispositifs normatifs est d'autant moins évidente qu'elle tend de plus en plus à prendre appui sur eux. La rela- tion entre normes techniques et normes juridiques avait, par exemple, été conçue en termes d'opposition dichotomique { .. .] tandis que la juridicisation des standards techniques est indispensable pour leur donner leur plein effet, la technicisation de la norme juridique contribue à conforter son efficacité {. . .] >}".

Il a pu ainsi être observé à propos du droit de la bioéthique que le « droit subit ici la concurrence d'autres systèmes normatifs èmanant, non des pouvoirs publics, mais de la communauté scientifique et mèdi-

56 Voir OCDE, Principes directeurs de l'OCDE à J'intention des entreprises multina- tionales, DAFFElIMElWPG (2000)15/FINAL, p. 9.

57 J. Chevallier, op. ci/., p. 679.

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cale »". Certaines déclarations de l'Association médicale mondiale ont été reprises par des résolutions de l'OMS et de l'UNESCO. En outre, des lois nationales et des juridictions nationales ont pu faire référence aux instruments élaborés par des ONG ou ont repris certains principes normatifs émanant, non de pouvoirs publics, mais de la communauté scientifique et médicale". Dans le domaine de la bioéthique notamment, les organisations non gouvernementales bénéficient d'une légitimité, de type « substantiel ». Sur un plan d'expertise, elles sont à même de pou- voir traite! de questions techniques et complexes. Les deux organisations non gouvernementales les plus actives dans ce. domaine sont l' Asso- ciation médicale mondiale et le Comité international des organisations des sciences médicales".

Il faut, en outre, souligner le rôle précurseur" de la « soft law » des ONG qui reçoit, ensuite, le sceau de la légitimité internationale lors- que qu'elle est reprise par les résolutions des organisations interna- tionales. Il arrive que certaines déclarations d'ONG soient reprises par les organes d'organisations internationales. Ce processus donne aux principes énoncés au travers des déclarations des ONG un certain statut et contribue à clarifier leur légitimité. Il Y a là un véritable effet de sédimentation entre les sources de «soft law », On peut citer, à titre d'exemple, la Déclaration d'Helsinki de 1964 élaborée par l'Association médicale mondiale et relative aux expérimentations médicales sur l'homme, ou encore la Déclaration de Manille de 1981 adoptée par le Conseil des organisations internationales des sciences médicales et relative aux recherches biomédicales. Celle-ci a été reprise par l'OMS.

L'utilisation qui est faite à l'OMC de standards développés dans d'autres fora est également intéressante. Les standards internationaux sont créés par différents acteurs: organisations internationales, ONG, associations professionnelles, etc, Non contraignants à leur origine, ils peuvent acquérir un statut formel par la référence qui y est faite au sein

d'autres organisations internationales. À l'OMC, les Accords sur les

mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS) et sur les obstacles techni- ques au commerce (OTC) se réfèrent explicitement et implicitement aux standards développés par la Commission du Codex A1imentarius, l'Office international des épizooties (maintenant dénommé Organisation

58 S. Maijean-Dubois, Bioéthique et droit international, AFD/, 2000, p. 84.

59 L. Boisson de Chazournes, S. Maljean-Dubois, op. cit.) p. 218.

60 Pour un descriptif complet de leurs fonctions et statut, Cf. S. MaJjean-Dubois, op. cil., pp. 86 et 87 ; Dictionnaire Permanent Bioéthique et Biotechnologies, Feuillets 21 (1 el"

octobre 1999), pp. 1590 et s. ainsi que C. 8yk" De l'éthique médicale à la bioéthique:

le rôle des organisations non gouvernementales, Les Petites Affiches, 21 mai 1997, nO 61, pp. 33-36.

61 Rapport d'A. Claeys, Clonage thérapeutique, thérapie cellulaire et utilisation théra- peuthique des cellules embryonnaires. 24 février 2000) AN, n° 2198 (1 J ème législatu- re), Sénat n' 238 (1999-2000) pp. 23.

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