• Aucun résultat trouvé

LA COMPRÉHENSION COMME ÉVÉNEMENT

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "LA COMPRÉHENSION COMME ÉVÉNEMENT"

Copied!
20
0
0

Texte intégral

(1)

LA COMPRÉHENSION COMME ÉVÉNEMENT

Pierre SÈVE, IUFMde Clermont-Ferrand

Littérature:artde lutteetderâle ou bien raclure de littoral Michel Leiris,Glossaire,

j'y

serre mesgloses.

xzMmwtwttwmmmÊtMwmyJimszgx ssctbx a«23s?srî3imr

Résumé : Plutôtque de partir deconceptions a

priori

de la littérature, nous avons préféré tenterd'écouterce que les enfants en train de lire peuvent nous apprendre de leur lecture du littéraire. En nous appuyant sur trois démarches, nous souhaitons montrer commentdejeunes enfants ontpu entrer dans la pra¬

tiquedel'interprétation, etcomment,cefaisant, ils ont élaborédes notions qui décrivent habituellement l'espace littéraire. Sous le couvert deleur expérience, nous voudrions avancer notre thèse : enseigner le littéraire, c'est enseigner à interpréter. Etc'estl'expérience qualifiantedela compréhensionqui permetde ressaisirrétrospectivement lesoutils élaboréscomme autantdeconcepts fonda¬

teursdelalittérature.

,Sr^m»ent3*^SSgtfS0!***323<3S^^

1.L'ADULTE, L'ENFANT ET LE TEXTELITTÉRAIRE...

Quel quesoitlestatutque l'on attribueousupposeautextelittéraire,nous posons cet élément pour une définition provisoire : c'est un texte qui ne se réduitpasaux moyensqu'il emploie;c'estdoncuntexte devantlequell'adulte n'a pasàseposerenarbitre dusens. Lemaitre

-

qui dispose, certes,de plus decompétences que desenfants en apprentissage de la lecture

-

n'a cepen¬

dant pas meilleurdroitqu'eux pouren élaborer le sens, pour en arrêter les effets. II n'est pas ledestinataire formellement visé parles textes de littérature de jeunesse, iln'occupe doncpasfacilementlaposition du«lecteuridéal »,tel que peut ledéfinir Umberto Eco(1). IIn'anil'âge ni lacultureni la langue des enfants,ilnesauraitdoncanticiperleursréactionsdevantuntexte polysémique ni «semettreàleur place»devantune

uvre

quidéjoueleshabitudes et metà distanceleslieux communs.

1.1.Une

pédagogie traditionnelle réductrice

Pourtant, une pratique de questionnement répandue dénie au texte sa dimensionlittéraire. Leplus souvent, ontrouve

-

dans l'ordre

-

desquestions qui vérifient une maitrisedu contenu sémantique,puis des questionsqui propo-

LA COMPRÉHENSION COMME ÉVÉNEMENT

Pierre SÈVE, IUFMde Clermont-Ferrand

Littérature:artde lutteetderâle ou bien raclure de littoral Michel Leiris,Glossaire,

j'y

serre mesgloses.

xzMmwtwttwmmmÊtMwmyJimszgx ssctbx a«23s?srî3imr

Résumé : Plutôtque de partir deconceptions a

priori

de la littérature, nous avons préféré tenterd'écouterce que les enfants en train de lire peuvent nous apprendre de leur lecture du littéraire. En nous appuyant sur trois démarches, nous souhaitons montrer commentdejeunes enfants ontpu entrer dans la pra¬

tiquedel'interprétation, etcomment,cefaisant, ils ont élaborédes notions qui décrivent habituellement l'espace littéraire. Sous le couvert deleur expérience, nous voudrions avancer notre thèse : enseigner le littéraire, c'est enseigner à interpréter. Etc'estl'expérience qualifiantedela compréhensionqui permetde ressaisirrétrospectivement lesoutils élaboréscomme autantdeconcepts fonda¬

teursdelalittérature.

,Sr^m»ent3*^SSgtfS0!***323<3S^^

1.L'ADULTE, L'ENFANT ET LE TEXTELITTÉRAIRE...

Quel quesoitlestatutque l'on attribueousupposeautextelittéraire,nous posons cet élément pour une définition provisoire : c'est un texte qui ne se réduitpasaux moyensqu'il emploie;c'estdoncuntexte devantlequell'adulte n'a pasàseposerenarbitre dusens. Lemaitre

-

qui dispose, certes,de plus decompétences que desenfants en apprentissage de la lecture

-

n'a cepen¬

dant pas meilleurdroitqu'eux pouren élaborer le sens, pour en arrêter les effets. II n'est pas ledestinataire formellement visé parles textes de littérature de jeunesse, iln'occupe doncpasfacilementlaposition du«lecteuridéal »,tel que peut ledéfinir Umberto Eco(1). IIn'anil'âge ni lacultureni la langue des enfants,ilnesauraitdoncanticiperleursréactionsdevantuntexte polysémique ni «semettreàleur place»devantune

uvre

quidéjoueleshabitudes et metà distanceleslieux communs.

1.1.Une

pédagogie traditionnelle réductrice

Pourtant, une pratique de questionnement répandue dénie au texte sa dimensionlittéraire. Leplus souvent, ontrouve

-

dans l'ordre

-

desquestions qui vérifient une maitrisedu contenu sémantique,puis des questionsqui propo-

(2)

REPÈRES13/1996 P.SÈVE

sentunereformulation, parfoisdesquestionsquidemandent deporterun juge¬

ment sur le texte, ou plus rarement de

justifier

telle ou telle expression...

Exceptionnellement, il faut rendre compte du choix dutexte enquestion.Ainsi, dans lapratique des commentaires obligés comme dans leur contenu, l'enfant lecteur est détourné de sa propre lecture : il estsommé departager celle du maitre. IIlui estdemandé de construirelemêmeréfèrent, depercevoirlemême discours, de partagerles mêmes valeurs, voire les mêmes gouts. Du même coup, lasituationde lecture tourneàlavirtuosité.Cequi, dansletextelittéraire, venait compliquer ou déjouer l'anticipation d'une banalité ne s'offre plus à la compréhension inventive de chacun, mais cela devientunobstacleà surmon¬

ter

ou àréduire pourrétablir comme unetransparence...au moins dansla rela¬

tion

avec

l'adulte(2).

Le

texte

littéraire

n'est

plus

qu'un prétexte

à des apprentissageslinguistiquesvariés, etpour reprendreuneexpression habituelle, sonchoix dépendde l'identificationparl'adultedecequ'ilpourray«exploiter».

1.2.«

Compréhension fonctionnelle

»

et

«

compréhension littéraire

»

Au contraire, parce

qu'il

sepose comme objet problématique, sinon opaque, letextelittéraireseprêteàundispositif didactique différent, quipro¬

posed'enracinerles savoirs dansd'authentiques interrogations,et qui mette la lecture au service du lecteur. On a parfois usé d'une opposition entre« écrits fonctionnels»etécrits quine le seraient pas.L'expressionaseslimites:ilparait clairqueleterme neconvientpas,tant estinconcevableunécrit qui ne préten¬

draitàaucune fonction. Cependant, selon lafonction qu'on prêteraà l'activité lexique,deuxsituations de lecturesedistinguentbeletbien.

Dans uncas, la lecturedu textea pour fonctiond'amener le lecteur dans unétat pré-définipar l'auteurou pré-supposé parlelecteur. Lacompréhension se décrit alors comme un résultat : celui que poursuit l'auteur, celui qu'es¬

comptele lecteur. C'estun résultatà obtenirdesdifférentsprocessus cognitifs que lapsychologietente dedécrire,et du bon usagedesmultiples représenta¬

tions sollicitées. Avoircompris, c'est avoir acquis une lectureopératoire, une maitrise.

Dansl'autre cas, lasituationestdétachéedetoute urgence,ellen'estcom¬

mandée par aucune nécessité pratiqueou sociale ; le texte

fait

ses proposi¬

tions à un

lecteur

qui en dispose. Lacompréhension n'est alors rien d'autre quelelibreexercice des mêmesprocessuscognitifs,pourlasatisfactiondulec¬

teur.Avoir compris, c'estavoirtrouvédansl'activité ce qui répond àl'aspiration soulevéeparl'activitéelle-même.

Autrementdit : danslepremiercas, lelecteur achèvesalecturequandil a obtenu dutextetoutel'information nécessaireet toutesles instructions néces¬

sairespourtraiter cetteinformation ; c'est la priseen compte d'exigences cir¬

constancielles quidétermineleprogrammede lecture et qui permetd'en fixerla fin. Dans le second cas, lelecteurachèvesa lecturequand sont satisfaitesles exigences dont était porteur le geste qui inaugurait sa lecture ; la finalité ne relèveplus de paramètres extérieursà l'activité lexique elle-même, mais seule-

REPÈRES13/1996 P.SÈVE

sentunereformulation, parfoisdesquestionsquidemandent deporterun juge¬

ment sur le texte, ou plus rarement de

justifier

telle ou telle expression...

Exceptionnellement, il faut rendre compte du choix dutexte enquestion.Ainsi, dans lapratique des commentaires obligés comme dans leur contenu, l'enfant lecteur est détourné de sa propre lecture : il estsommé departager celle du maitre. IIlui estdemandé de construirelemêmeréfèrent, depercevoirlemême discours, de partagerles mêmes valeurs, voire les mêmes gouts. Du même coup, lasituationde lecture tourneàlavirtuosité.Cequi, dansletextelittéraire, venait compliquer ou déjouer l'anticipation d'une banalité ne s'offre plus à la compréhension inventive de chacun, mais cela devientunobstacleà surmon¬

ter

ou àréduire pourrétablir comme unetransparence...au moins dansla rela¬

tion

avec

l'adulte(2).

Le

texte

littéraire

n'est

plus

qu'un prétexte

à des apprentissageslinguistiquesvariés, etpour reprendreuneexpression habituelle, sonchoix dépendde l'identificationparl'adultedecequ'ilpourray«exploiter».

1.2.«

Compréhension fonctionnelle

»

et

«

compréhension littéraire

»

Au contraire, parce

qu'il

sepose comme objet problématique, sinon opaque, letextelittéraireseprêteàundispositif didactique différent, quipro¬

posed'enracinerles savoirs dansd'authentiques interrogations,et qui mette la lecture au service du lecteur. On a parfois usé d'une opposition entre« écrits fonctionnels»etécrits quine le seraient pas.L'expressionaseslimites:ilparait clairqueleterme neconvientpas,tant estinconcevableunécrit qui ne préten¬

draitàaucune fonction. Cependant, selon lafonction qu'on prêteraà l'activité lexique,deuxsituations de lecturesedistinguentbeletbien.

Dans uncas, la lecturedu textea pour fonctiond'amener le lecteur dans unétat pré-définipar l'auteurou pré-supposé parlelecteur. Lacompréhension se décrit alors comme un résultat : celui que poursuit l'auteur, celui qu'es¬

comptele lecteur. C'estun résultatà obtenirdesdifférentsprocessus cognitifs que lapsychologietente dedécrire,et du bon usagedesmultiples représenta¬

tions sollicitées. Avoircompris, c'est avoir acquis une lectureopératoire, une maitrise.

Dansl'autre cas, lasituationestdétachéedetoute urgence,ellen'estcom¬

mandée par aucune nécessité pratiqueou sociale ; le texte

fait

ses proposi¬

tions à un

lecteur

qui en dispose. Lacompréhension n'est alors rien d'autre quelelibreexercice des mêmesprocessuscognitifs,pourlasatisfactiondulec¬

teur.Avoir compris, c'estavoirtrouvédansl'activité ce qui répond àl'aspiration soulevéeparl'activitéelle-même.

Autrementdit : danslepremiercas, lelecteur achèvesalecturequandil a obtenu dutextetoutel'information nécessaireet toutesles instructions néces¬

sairespourtraiter cetteinformation ; c'est la priseen compte d'exigences cir¬

constancielles quidétermineleprogrammede lecture et qui permetd'en fixerla fin. Dans le second cas, lelecteurachèvesa lecturequand sont satisfaitesles exigences dont était porteur le geste qui inaugurait sa lecture ; la finalité ne relèveplus de paramètres extérieursà l'activité lexique elle-même, mais seule-

(3)

ment du degré de satisfaction dulecteur, desacuriosité, desademande dedis¬

traction... Dans le premiercas, la lectures'achève à lafin du texte, au « point final »...Dans lesecondcas,lalectures'achèvequand

l'attente

dulecteurse trouve comblée

-

ou alorsdéfinitivementdéçue

-

après un nombre indéfini de relectures.

1.3.

Pour inventer une autre pédagogie

Souvent, la pratique traditionnelle du questionnement telle que nous la décrivions réduità unusageutilitaireetinstitutionnel lafréquentation destextes d'imagination, de fiction, d'expression, d'invention... Sepose donc cetteques¬

tion :lalecture«littéraire»commenousladéfinissonsest-elle possible en classe ? Maiscette question en recouvre deuxautres : Est-il possiblequ'une classe s'engage sur des voies aussi aventureuses, si peu contrôlables ? Et d'abord, pareille pratique de lecture n'est-elle pas une affaire privée? C'est le paradoxe detoutenseignement collectif. Sansdoute l'espace scolairen'est pas propiceà l'exercice d'une liberté strictement individuelle, maisl'artifice scolaire permet peut-être de fonder une pratiqueautonome. De même que les enfants explorentcollectivement les stratégies possibles pour identifier les mots, de mêmequ'ils s'échangent mutuellementdesmanièresde faire poury parvenir, on peut espérer quedespratiquesd'interprétations peuvent aussis'élaborer en commun et faireécole.Voilà entoutcasnotrepari.

C'estsurtrois exemples quenousvoudrionsmontrercomment des enfants engroupespeuvent entrer dansuntravail d'interprétation, comment, danscette activité collective, émergent et travaillent les principesqu'ils auront ensuite à s'approprier intimement.Etdecette description, nous aimerions déduireles élé¬

mentsd'une pratiqueautre.

II s'agit, d'abord, d'une classe de

CR

qui, en juin, aabordé lalecture du livreJojolamâche, d'Olivier Douzou(3). Danscette histoire en cinq épisodes, un narrateur nous conte l'aventure d'une vache cosmique qui sedélite peu à peu :elle perdsescornes(qui, àvoirl'illustration, deviennentla lune),saqueue (quidevientétoilefilante), lestâchesde sarobe(quideviennentnuages),sespis et mamelles(quideviennent rayonset orbedu soleillevant)... Enfin, elledisparait toutentière pourne pluslaisservoirdans lavoie lactée queles objets célestes quiperpétuentsamémoire.

Ailleurs, au moisdedécembre,uneclassedeC.E.1 s'essaieàlalectureet àl'écriture d'« histoiresderêve»àpartirdeleurdécouverte del'albumTurêves, Lili!, d'Aristophane Boulon et Christiane Renauld (4). Dans ce texte comme danslesautresdu mêmegenre, lenarrateurnousmontred'abordunepetitefille en buteauxdifficultés delavie

-

enl'occurrencelacolèred'unemèreirritéepar unvasebrisé. Lafillettesetrouve condamnéeàgarderlachambre. Mais bientôt elle s'en évade, rencontre de curieuses et improbables créatures, fantastiques paysages et consolantes inventions, avant que le narrateur nous ramène au

« réel»:cen'étaitqu'unrêve.

ment du degré de satisfaction dulecteur, desacuriosité, desademande dedis¬

traction... Dans le premiercas, la lectures'achève à lafin du texte, au « point final »...Dans lesecondcas,lalectures'achèvequand

l'attente

dulecteurse trouve comblée

-

ou alorsdéfinitivementdéçue

-

après un nombre indéfini de relectures.

1.3.

Pour inventer une autre pédagogie

Souvent, la pratique traditionnelle du questionnement telle que nous la décrivions réduità unusageutilitaireetinstitutionnel lafréquentation destextes d'imagination, de fiction, d'expression, d'invention... Sepose donc cetteques¬

tion :lalecture«littéraire»commenousladéfinissonsest-elle possible en classe ? Maiscette question en recouvre deuxautres : Est-il possiblequ'une classe s'engage sur des voies aussi aventureuses, si peu contrôlables ? Et d'abord, pareille pratique de lecture n'est-elle pas une affaire privée? C'est le paradoxe detoutenseignement collectif. Sansdoute l'espace scolairen'est pas propiceà l'exercice d'une liberté strictement individuelle, maisl'artifice scolaire permet peut-être de fonder une pratiqueautonome. De même que les enfants explorentcollectivement les stratégies possibles pour identifier les mots, de mêmequ'ils s'échangent mutuellementdesmanièresde faire poury parvenir, on peut espérer quedespratiquesd'interprétations peuvent aussis'élaborer en commun et faireécole.Voilà entoutcasnotrepari.

C'estsurtrois exemples quenousvoudrionsmontrercomment des enfants engroupespeuvent entrer dansuntravail d'interprétation, comment, danscette activité collective, émergent et travaillent les principesqu'ils auront ensuite à s'approprier intimement.Etdecette description, nous aimerions déduireles élé¬

mentsd'une pratiqueautre.

II s'agit, d'abord, d'une classe de

CR

qui, en juin, aabordé lalecture du livreJojolamâche, d'Olivier Douzou(3). Danscette histoire en cinq épisodes, un narrateur nous conte l'aventure d'une vache cosmique qui sedélite peu à peu :elle perdsescornes(qui, àvoirl'illustration, deviennentla lune),saqueue (quidevientétoilefilante), lestâchesde sarobe(quideviennentnuages),sespis et mamelles(quideviennent rayonset orbedu soleillevant)... Enfin, elledisparait toutentière pourne pluslaisservoirdans lavoie lactée queles objets célestes quiperpétuentsamémoire.

Ailleurs, au moisdedécembre,uneclassedeC.E.1 s'essaieàlalectureet àl'écriture d'« histoiresderêve»àpartirdeleurdécouverte del'albumTurêves, Lili!, d'Aristophane Boulon et Christiane Renauld (4). Dans ce texte comme danslesautresdu mêmegenre, lenarrateurnousmontred'abordunepetitefille en buteauxdifficultés delavie

-

enl'occurrencelacolèred'unemèreirritéepar unvasebrisé. Lafillettesetrouve condamnéeàgarderlachambre. Mais bientôt elle s'en évade, rencontre de curieuses et improbables créatures, fantastiques paysages et consolantes inventions, avant que le narrateur nous ramène au

« réel»:cen'étaitqu'unrêve.

(4)

REPÈRES13/1996 P.SÈVE

Dans notretroisième exemple, uneclasse deC.E.2 explore enjanvierl'al¬

bum Le Voyaged'Oregon, deRascalet LouisJoos(5):c'estl'histoired'unnain répondantaunomdeDuke, clown triste qui s'exhibe dansuncirque.Sondestin ycroise celuid'unours acrobateetmalheureuxqui aspireàretrouversesmon¬

tagnes originelles. Ils s'entendent pour rejoindre ensemble ces horizons loin¬

tains,

l'ours

Oregon pour recommencer une vie sauvage, et Duke pour, peut-être, « retrouver Blanche-Neige», risquer larencontre ou alors risquer de seperdre(6).

2. LE

TRAVAIL

INTERPRÉTATIF DES ENFANTS 2.1.

Faire émerger un problème de lecture

Letexte qui peut engagerà unelecture«littéraire»metàdistanceles lieux communs, disions-nous, il déjoueles habitudes, même de jeunes lecteurs qui enont peu. Le point de départ deleurinterrogation estdonc régulièrement un

écart

(7). C'est luiqui peut fairede lalecture unproblèmede réception, qui va permettreàlaclassed'expliciterladifficultéde compréhensionouladivergence d'interprétation qui sans cela courttoujours le risque de passer inaperçue.

Cependant, plusieurs casseprésentent.

Quand

l'écart

apparaît immédiatement,enréférenceaux usagesfamiliers des enfants, lequestionnementinaugural se conçoit dès l'abord, il installetout desuite l'ensemble dutexte commeunesomme d'indices, comme réceptacle desenspossibles.Àpropos de Jojolamâche,lesélèvesont émisd'embléesur le nomde l'héroïnede multiples hypothèsesqui ouvraient bien àlacomplexité del'uvre. Le maitre leuradonc proposé immédiatement l'ensemble du texte, etles aconviésày fairejouer ce questionnement danstoutesacomplexité.

Quand, au contraire, l'écart sedévoile et seprécise au fil des pages, quand c'estletexteluquis'écartedeceluiqu'on avait anticipé, l'ensemble des mots apparaît commeunterritoireàexplorer avantqu'on en dresseleszones, qu'on en mesure les effets. Dansce second cas, chaque indice est d'abord traité selon l'ordre linéaire avant d'être retraité, lors d'une relecture, selon une perspective d'ensemble... Dans lerécit de rêve, c'est l'émergence d'épisodes non vraisemblables dans un contexte réaliste qui a ouvert l'interrogation des enfants : letexte leur avait été présenté enquatre fragments successifs, où la conventionfictionnelle nejouaitpasde lamême manière; ilsavaientlud'abord lascène réalistedanslachambre, puis lascèneoù l'onirismeest porté par des imagesconvenuesde voyage et deseuil,puislesscènesoùl'onirismesort dela vraisemblance, puis enfinlascèneduréveil. Delectureenrelectures,lesmêmes détailsontpuseprêteràdes compréhensions différentes.

Enfin, parfois, le

texte

ne

parait

pas

immédiatement s'écarter

des usages les plus habituels, l'effet est plus diffus. Dans letravail sur Le Voyage d'Oregon, c'estunretour constant, explicite et structuré àl'anticipation inaugu¬

ralequi a permis de prendre conscience d'un écart(ou plutôtd'un ensemble cohérent d'écarts) et d'en construirelacompréhension. La classe est alléejus¬

qu'àconstitueruntableauoùfiguraientcestrois catégories:on enest sûr, ou

REPÈRES13/1996 P.SÈVE

Dans notretroisième exemple, uneclasse deC.E.2 explore enjanvierl'al¬

bum Le Voyaged'Oregon, deRascalet LouisJoos(5):c'estl'histoired'unnain répondantaunomdeDuke, clown triste qui s'exhibe dansuncirque.Sondestin ycroise celuid'unours acrobateetmalheureuxqui aspireàretrouversesmon¬

tagnes originelles. Ils s'entendent pour rejoindre ensemble ces horizons loin¬

tains,

l'ours

Oregon pour recommencer une vie sauvage, et Duke pour, peut-être, « retrouver Blanche-Neige», risquer larencontre ou alors risquer de seperdre(6).

2. LE

TRAVAIL

INTERPRÉTATIF DES ENFANTS 2.1.

Faire émerger un problème de lecture

Letexte qui peut engagerà unelecture«littéraire»metàdistanceles lieux communs, disions-nous, il déjoueles habitudes, même de jeunes lecteurs qui enont peu. Le point de départ deleurinterrogation estdonc régulièrement un

écart

(7). C'est luiqui peut fairede lalecture unproblèmede réception, qui va permettreàlaclassed'expliciterladifficultéde compréhensionouladivergence d'interprétation qui sans cela courttoujours le risque de passer inaperçue.

Cependant, plusieurs casseprésentent.

Quand

l'écart

apparaît immédiatement,enréférenceaux usagesfamiliers des enfants, lequestionnementinaugural se conçoit dès l'abord, il installetout desuite l'ensemble dutexte commeunesomme d'indices, comme réceptacle desenspossibles.Àpropos de Jojolamâche,lesélèvesont émisd'embléesur le nomde l'héroïnede multiples hypothèsesqui ouvraient bien àlacomplexité del'uvre. Le maitre leuradonc proposé immédiatement l'ensemble du texte, etles aconviésày fairejouer ce questionnement danstoutesacomplexité.

Quand, au contraire, l'écart sedévoile et seprécise au fil des pages, quand c'estletexteluquis'écartedeceluiqu'on avait anticipé, l'ensemble des mots apparaît commeunterritoireàexplorer avantqu'on en dresseleszones, qu'on en mesure les effets. Dansce second cas, chaque indice est d'abord traité selon l'ordre linéaire avant d'être retraité, lors d'une relecture, selon une perspective d'ensemble... Dans lerécit de rêve, c'est l'émergence d'épisodes non vraisemblables dans un contexte réaliste qui a ouvert l'interrogation des enfants : letexte leur avait été présenté enquatre fragments successifs, où la conventionfictionnelle nejouaitpasde lamême manière; ilsavaientlud'abord lascène réalistedanslachambre, puis lascèneoù l'onirismeest porté par des imagesconvenuesde voyage et deseuil,puislesscènesoùl'onirismesort dela vraisemblance, puis enfinlascèneduréveil. Delectureenrelectures,lesmêmes détailsontpuseprêteràdes compréhensions différentes.

Enfin, parfois, le

texte

ne

parait

pas

immédiatement s'écarter

des usages les plus habituels, l'effet est plus diffus. Dans letravail sur Le Voyage d'Oregon, c'estunretour constant, explicite et structuré àl'anticipation inaugu¬

ralequi a permis de prendre conscience d'un écart(ou plutôtd'un ensemble cohérent d'écarts) et d'en construirelacompréhension. La classe est alléejus¬

qu'àconstitueruntableauoùfiguraientcestrois catégories:on enest sûr, ou

(5)

bienon

s'y attend

oubienonn'en est pas

sûr

:lesquestionsqu'onsepose.

À chaque découverted'un nouveau segmentdu livre, lesremarques précédem¬

ment inscrites étaient reclassées, ouéliminées :cette contrainte formelle aété un puissant stimulant,quicombinait l'exigenced'un bilan provisoire avec le tra¬

vail d'unerelecture.

2.2.

Comment

les

enfants prennent en compte

la

complexité

Pour les enfants, tout se tient, et ils glissent, sans s'arrêter jamais, d'une hypothèseàl'autre, d'unaspect du texteàl'autre...Voici unextrait del'enregis¬

trementde laseconde séancesur Jojolamâche:

M: Pourquoi est-ce qu'elles'appelleJojo la Mâche ? Qu'est-ce qu'on avaitdithier?

El : Ellesepartageait...

E2:

Onnesait pas trop...

E3

: Çaseraitsonprénometsonnom.

M: C'est-à-dire ?Qu'est-ce qui seraitsonprénom ?Qu'est-cequiserait sonnom?

E3:

Moi, c'est Patrick, elle c'est Jojo... Et le nom de famille,

c'est

La Mâche.

E1: Commesatêtedisparaitjamais,ellemâcheraitsonpropre corps...

E2

: Maisalors, ellen'aurait pasdenom...

M: Qu'est-ce quetuveuxdirelà?Pourquoielle n'auraitpasde nom? E2: Ben,sic'estqu'elle mangesoncorps,çaserait passonnom...

E1 : Ça pourraitêtre son surnom. Comme ça. Elle se mâche, alors, on l'appelle JojolaMâche.

E3:

Maissur l'image, dansle livre, elles'appelle que Jojo... Cen'estpas

son nom...

E2:

Etcomment qu'elle feraitpour manger son corps?

E4: Maisc'estdansunehistoire! Onracontepas toujours des chosesqui sontvraies,maisdes chosesqui fontrire...

On peut constaterici trois tentatives pour rendre compte de l'écart que constitue pour les enfants cette dénomination incongrue d'une vache de légende...

2.2.1.

Lecture du réfèrent,

de la

règle fictionnelle, de l'intention

Le premiermouvement est de poser un parallélisme entrel'écart dans le texte etunebizarreriedu réfèrent,commesi letexte proposait unsimulacrelin¬

guistiquedel'objetreprésenté. Les enfantssuiventlàuneillusiontrès répandue, selon laquellelelangageseraituninstrumentquasitransparent pour restituerle

«réel».

Ici,defaçon subtile, deuxaccèsàlaconstructionduréfèrentse combi¬

nent. Un enfant (E3) applique directement les codes de la dénomination tels qu'ils fonctionnent dans notre société, et savache sera comme un humain, dotée de nom etprénom. Un autreenfant(E1) suppose un mondefictifàcôté de notre monde habituel: lepoidsdesmotsluiimposeraundestin.Etilsollicite bienon

s'y attend

oubienonn'en est pas

sûr

:lesquestionsqu'onsepose.

À chaque découverted'un nouveau segmentdu livre, lesremarques précédem¬

ment inscrites étaient reclassées, ouéliminées :cette contrainte formelle aété un puissant stimulant,quicombinait l'exigenced'un bilan provisoire avec le tra¬

vail d'unerelecture.

2.2.

Comment

les

enfants prennent en compte

la

complexité

Pour les enfants, tout se tient, et ils glissent, sans s'arrêter jamais, d'une hypothèseàl'autre, d'unaspect du texteàl'autre...Voici unextrait del'enregis¬

trementde laseconde séancesur Jojolamâche:

M: Pourquoi est-ce qu'elles'appelleJojo la Mâche ? Qu'est-ce qu'on avaitdithier?

El : Ellesepartageait...

E2:

Onnesait pas trop...

E3

: Çaseraitsonprénometsonnom.

M: C'est-à-dire ?Qu'est-ce qui seraitsonprénom ?Qu'est-cequiserait sonnom?

E3:

Moi, c'est Patrick, elle c'est Jojo... Et le nom de famille,

c'est

La Mâche.

E1: Commesatêtedisparaitjamais,ellemâcheraitsonpropre corps...

E2

: Maisalors, ellen'aurait pasdenom...

M: Qu'est-ce quetuveuxdirelà?Pourquoielle n'auraitpasde nom? E2: Ben,sic'estqu'elle mangesoncorps,çaserait passonnom...

E1 : Ça pourraitêtre son surnom. Comme ça. Elle se mâche, alors, on l'appelle JojolaMâche.

E3:

Maissur l'image, dansle livre, elles'appelle que Jojo... Cen'estpas

son nom...

E2:

Etcomment qu'elle feraitpour manger son corps?

E4: Maisc'estdansunehistoire! Onracontepas toujours des chosesqui sontvraies,maisdes chosesqui fontrire...

On peut constaterici trois tentatives pour rendre compte de l'écart que constitue pour les enfants cette dénomination incongrue d'une vache de légende...

2.2.1.

Lecture du réfèrent,

de la

règle fictionnelle, de l'intention

Le premiermouvement est de poser un parallélisme entrel'écart dans le texte etunebizarreriedu réfèrent,commesi letexte proposait unsimulacrelin¬

guistiquedel'objetreprésenté. Les enfantssuiventlàuneillusiontrès répandue, selon laquellelelangageseraituninstrumentquasitransparent pour restituerle

«réel».

Ici,defaçon subtile, deuxaccèsàlaconstructionduréfèrentse combi¬

nent. Un enfant (E3) applique directement les codes de la dénomination tels qu'ils fonctionnent dans notre société, et savache sera comme un humain, dotée de nom etprénom. Un autreenfant(E1) suppose un mondefictifàcôté de notre monde habituel: lepoidsdesmotsluiimposeraundestin.Etilsollicite

(6)

REPÈRES13/1996 P.SÈVE

aprèscoupun usagepour justifiersonhypothèse: héroïque, la vachepossède nomet surnom. Ailleurs,lorsd'un épisode du Voyaged'Oregon, laclasse butera surladifficulté généalogique posée parcette formule du livre:« Je n'avais rien à ajouter. Nous étions dela mêmefamille », dans laquelle le nous associe le clown nain en rupture de société et un noiraméricain. Le mot de famille sera d'abord prisdanssonsensleplushabituel aux enfants- celui quileurdonnela définition la plus simple de leurpropre identité. II s'engagera donc, conformé¬

ment à l'illusion d'un langage transparent, une discussion autourdu statut généalogique des personnages, oùl'ingéniosité génétique s'entremêleravaine¬

mentàlafantaisie narrative.

Dans le mêmetemps, on voits'amorcer naturellement un second mouve¬

ment: l'écart constaté renvoie viteàlaquestiondu

statut

dumondeposé

et

delarègle

fictionnelle

qui organisele rapportentrecemondeposé et le nôtre.

Puisque décidémentil n'ya pas detransparence, puisqu'on ne peut se fierà unelanguequisedérobeàl'évidence desreferentsconnus, puisqu'il est loisible de« raconter des histoires», l'écart posecette question: lafiction est-elle dans lacontinuité de notre réalité ou bienen ruptureavec elle? Lesenfantstraitent alors le langage comme un instrument de représentation, lequel a ses contraintes etses défaillances, comme il peut avoirses bonheurs (un surnom quiseraitcommeun prédicatI). C'esttoutl'espaced'unescèneque lelangage peutouvrir. Lorsdeladiscussionsur lagénéalogiedunoiret du naindu Voyage d'Oregon, aprèsquelesenfantsaurontété sensiblesàlathématiquedel'exclu¬

sion, et surtout, après qu'ils auront pris en compte lavaleur conclusive de la prétention,ilspercevrontlavaleurmétaphoriquedumot de«famille». Ici, àpro¬

pos deJcyolamâchelasolutiondeE4prend acte de l'arbitraire souverain dela fiction et de l'imagination:Onracontepas toujours des choses quisontvraies...

Mais, comme on voit dans la suite de cette simple réplique, la question susciteuntroisième mouvement,oùellesedéporte viteverscelled'uneinten¬

tionnalité:...maisdes chosesquifontrire... L'opacité du langages'abolitalors dans l'intelligence de cette visée langagière : tout s'explique si l'auteur est un comique.

2.2.2.

Interactions entre

les

trois mouvements interprétatifs

Parfois l'un de ces mouvements

interprétatifs

setrouve particulière¬

ment sollicité : dans une« histoire derêve », lesouci d'une règlefictionnelle trouve un développement à la mesurede son importanceproblématique dans l'uvre. Onpourracependant remarquercommentE3traduit l'effetentermede réfèrenttextuel.

E1 : Desciseauxqui dansent, çapeutpas êtrepourde vrai, c'est seule¬

ment dans les histoires

E2

: C'estunpeumystérieux... Et puis, il estbizarre,le château...

E3: Çaseraitunpaysmagique...

E4 : Ouais...C'estunehistoire imaginaire.

M: Etqu'est-cequeçapourrait êtred'autre encore?

REPÈRES13/1996 P.SÈVE

aprèscoupun usagepour justifiersonhypothèse: héroïque, la vachepossède nomet surnom. Ailleurs,lorsd'un épisode du Voyaged'Oregon, laclasse butera surladifficulté généalogique posée parcette formule du livre:« Je n'avais rien à ajouter. Nous étions dela mêmefamille », dans laquelle le nous associe le clown nain en rupture de société et un noiraméricain. Le mot de famille sera d'abord prisdanssonsensleplushabituel aux enfants- celui quileurdonnela définition la plus simple de leurpropre identité. II s'engagera donc, conformé¬

ment à l'illusion d'un langage transparent, une discussion autourdu statut généalogique des personnages, oùl'ingéniosité génétique s'entremêleravaine¬

mentàlafantaisie narrative.

Dans le mêmetemps, on voits'amorcer naturellement un second mouve¬

ment: l'écart constaté renvoie viteàlaquestiondu

statut

dumondeposé

et

delarègle

fictionnelle

qui organisele rapportentrecemondeposé et le nôtre.

Puisque décidémentil n'ya pas detransparence, puisqu'on ne peut se fierà unelanguequisedérobeàl'évidence desreferentsconnus, puisqu'il est loisible de« raconter des histoires», l'écart posecette question: lafiction est-elle dans lacontinuité de notre réalité ou bienen ruptureavec elle? Lesenfantstraitent alors le langage comme un instrument de représentation, lequel a ses contraintes etses défaillances, comme il peut avoirses bonheurs (un surnom quiseraitcommeun prédicatI). C'esttoutl'espaced'unescèneque lelangage peutouvrir. Lorsdeladiscussionsur lagénéalogiedunoiret du naindu Voyage d'Oregon, aprèsquelesenfantsaurontété sensiblesàlathématiquedel'exclu¬

sion, et surtout, après qu'ils auront pris en compte lavaleur conclusive de la prétention,ilspercevrontlavaleurmétaphoriquedumot de«famille». Ici, àpro¬

pos deJcyolamâchelasolutiondeE4prend acte de l'arbitraire souverain dela fiction et de l'imagination:Onracontepas toujours des choses quisontvraies...

Mais, comme on voit dans la suite de cette simple réplique, la question susciteuntroisième mouvement,oùellesedéporte viteverscelled'uneinten¬

tionnalité:...maisdes chosesquifontrire... L'opacité du langages'abolitalors dans l'intelligence de cette visée langagière : tout s'explique si l'auteur est un comique.

2.2.2.

Interactions entre

les

trois mouvements interprétatifs

Parfois l'un de ces mouvements

interprétatifs

setrouve particulière¬

ment sollicité : dans une« histoire derêve », lesouci d'une règlefictionnelle trouve un développement à la mesurede son importanceproblématique dans l'uvre. Onpourracependant remarquercommentE3traduit l'effetentermede réfèrenttextuel.

E1 : Desciseauxqui dansent, çapeutpas êtrepourde vrai, c'est seule¬

ment dans les histoires

E2

: C'estunpeumystérieux... Et puis, il estbizarre,le château...

E3: Çaseraitunpaysmagique...

E4 : Ouais...C'estunehistoire imaginaire.

M: Etqu'est-cequeçapourrait êtred'autre encore?

(7)

Lesenfantsfournissent alorscette liste quel'adulte écrit sous leurdictée, et quiapermisparlasuitede donner formeàleurshypothèseset àleurs argu¬

ments :

unconte merveilleux, où il yadesfées, un pays magique,

unehistoire imaginaire, des rêves,

despensées(scilicet:d'unpersonnage).

Parfois aucontraire, etc'estprobablementleplus souvent, les

trois

mou¬

vementsinterprétatifsneselaissentpasdémêler.Ainsi,devant notrehistoire de clown et d'ours, plusieurs interrogations s'entrecroisent. Elle constitue aux yeux des enfants un triple écart. D'abord, du point de vue d'une construction référentielle, c'estun voyagequi se déroule auxÉtats-Unis, et qui multiplie les allusionsà l'univers américain :autantd'énigmes. Ensuite, lanarrationà la pre¬

mièrepersonne amène àuneforte identification au personnagenarrateur. Orle destin de ce personnage reste finalement incertain : la dernière image nous laissemillequestions,ellenouslemontres'éloignant dansunpaysagedeneige blafard, avec, derrière lui, laseule tachede couleur de l'illustration, d'un rouge éclatant... Comme s'il abandonnait... et quoi, au juste ? Est-ce son nez,

-

sa fonction

-,

declownquigit-là? Etretrouve-t-il BlancheNeige,commeilenavait annoncél'espoir? Retoume-t-ilàsonpointdedépart?Va-t-ilmourir, commele lit l'adulte maisnon pas l'enfant, va-t-il s'absorber dans l'insaisissable horizon de cette lecture même? Lediscours del'auteur semble indécidable... Enfin, la présenced'un animal parlant paraitposerclairementungenre denarration non vraisemblable, qui relèverait plutôt du genre merveilleux. Mais le narrateur fait cette remarque qui brouillelerepère:«Un soir,Oregonm'aparlé.Commedans les livrespour enfants... »Ce propos, à valeurapparemment métadiscursive, a plongélesjeunes lecteursdans unegrandeperplexité, prochedu vertige:était- ceou non un livrepourenfants? étaient-ilseux-mêmes,eux les lecteurs de ce livre, des enfants ? Orcette question du

statut fictionnel

paraissait d'autant plus urgente que delaréponse semblaitdépendrelapossibilité des retrouvailles avec Blanche Neige, personnage prochedes

c

d'enfants autant que des c declowns, ou encoreen dépendaitlecréditàporteràce monde, sinon étrange,dumoinsétranger.

Danstousnosexemples, commeici,ils'agit toujours pour comprendre, de construire un réfèrenttextuel, en suivant une règlefictionnelle, dans une inten¬

tion perceptible, quand bien même sedissimulerait-elle (8). Ce n'est donc pas sans artifice qu'on séparerait ces trois aspects. Et s'il arriveque l'un permette de fédérerlesautres,

-

comme pournotre« histoirederêve»l'élaboration dela règle fictionnelle

-,

les enfants connaissent plutôt de longues périodes de latence, pendant lesquelles ils ont lesentimentjuste mais pénible que toutes leurs hypothèses sont labiles, que toutes sont réversibles, que toutes sont connexes. II convient doncdetrouveruneissueàcette situation : l'effortd'in¬

terprétationnes'arrêtepas àunepriseencomptede lacomplexitéduproblème de lecture, il estaussi recherchedans letexteou conquêteàtraverslui d'une cohérence menacée... IIdoit permettredeclarifierla lecturede chacun,et peut- être ménager des possibilités d'accord qui restaure la concorde du lectorat.

Lesenfantsfournissent alorscette liste quel'adulte écrit sous leurdictée, et quiapermisparlasuitede donner formeàleurshypothèseset àleurs argu¬

ments :

unconte merveilleux, où il yadesfées, un pays magique,

unehistoire imaginaire, des rêves,

despensées(scilicet:d'unpersonnage).

Parfois aucontraire, etc'estprobablementleplus souvent, les

trois

mou¬

vementsinterprétatifsneselaissentpasdémêler.Ainsi,devant notrehistoire de clown et d'ours, plusieurs interrogations s'entrecroisent. Elle constitue aux yeux des enfants un triple écart. D'abord, du point de vue d'une construction référentielle, c'estun voyagequi se déroule auxÉtats-Unis, et qui multiplie les allusionsà l'univers américain :autantd'énigmes. Ensuite, lanarrationà la pre¬

mièrepersonne amène àuneforte identification au personnagenarrateur. Orle destin de ce personnage reste finalement incertain : la dernière image nous laissemillequestions,ellenouslemontres'éloignant dansunpaysagedeneige blafard, avec, derrière lui, laseule tachede couleur de l'illustration, d'un rouge éclatant... Comme s'il abandonnait... et quoi, au juste ? Est-ce son nez,

-

sa fonction

-,

declownquigit-là? Etretrouve-t-il BlancheNeige,commeilenavait annoncél'espoir? Retoume-t-ilàsonpointdedépart?Va-t-ilmourir, commele lit l'adulte maisnon pas l'enfant, va-t-il s'absorber dans l'insaisissable horizon de cette lecture même? Lediscours del'auteur semble indécidable... Enfin, la présenced'un animal parlant paraitposerclairementungenre denarration non vraisemblable, qui relèverait plutôt du genre merveilleux. Mais le narrateur fait cette remarque qui brouillelerepère:«Un soir,Oregonm'aparlé.Commedans les livrespour enfants... »Ce propos, à valeurapparemment métadiscursive, a plongélesjeunes lecteursdans unegrandeperplexité, prochedu vertige:était- ceou non un livrepourenfants? étaient-ilseux-mêmes,eux les lecteurs de ce livre, des enfants ? Orcette question du

statut fictionnel

paraissait d'autant plus urgente que delaréponse semblaitdépendrelapossibilité des retrouvailles avec Blanche Neige, personnage prochedes

c

d'enfants autant que des c declowns, ou encoreen dépendaitlecréditàporteràce monde, sinon étrange,dumoinsétranger.

Danstousnosexemples, commeici,ils'agit toujours pour comprendre, de construire un réfèrenttextuel, en suivant une règlefictionnelle, dans une inten¬

tion perceptible, quand bien même sedissimulerait-elle (8). Ce n'est donc pas sans artifice qu'on séparerait ces trois aspects. Et s'il arriveque l'un permette de fédérerlesautres,

-

comme pournotre« histoirederêve»l'élaboration dela règle fictionnelle

-,

les enfants connaissent plutôt de longues périodes de latence, pendant lesquelles ils ont lesentimentjuste mais pénible que toutes leurs hypothèses sont labiles, que toutes sont réversibles, que toutes sont connexes. II convient doncdetrouveruneissueàcette situation : l'effortd'in¬

terprétationnes'arrêtepas àunepriseencomptede lacomplexitéduproblème de lecture, il estaussi recherchedans letexteou conquêteàtraverslui d'une cohérence menacée... IIdoit permettredeclarifierla lecturede chacun,et peut- être ménager des possibilités d'accord qui restaure la concorde du lectorat.

(8)

REPÈRES13/1996 P.SÈVE

Concrètement, il nous apparaît lors de séances où chaque enfant tente de convaincre de la légitimité de sa propre compréhension. Bref, il se manifeste quandlesenfantsargumentent

2.3.

Comment les enfants argumentent

:

les différents recours

àla

bibliothèque

Semettred'accordsuruntexte,pourlesenfantscomme pourlesadultes, c'estsurtoutsemettred'accordsur lesrelations quecetexte entretient avecles autrestextes, réels ou possibles... L'intertextualité est fe domaine sur lequel prennent appuibeaucoup desarguments.

2.3.1.Le

retour au texte singulier

Bienentendu, lesenfants manipulent lesunités isolables etdécontextuali- sables qui structurent habituellement leurlecture des écrits narratifs. À propos du Voyaged'Oregon, et dela probabilitéd'unerencontreentreDukeetBlanche Neige, c'est la notion de personnage qui leur sert de fil conducteur pour un retourautexte. Plus précisément, laquestion d'une issue positive ou négative les conduit à revenir.sur les indices qui avaient formé leur lecture d'un pro¬

gramme narratifpourlepersonnageduclown. Deuxpositions sont confrontées.

Certainsélèvestenaientà unefinheureuse,ilsvoulaientvoir confirmer leur désir d'un monde merveilleux. D'autres préféraient nettement conserver les conven¬

tions de vraisemblance misesen place parlesmultiples « realia ». Du premier côté, on tira argumentde l'intertexte sollicité, argument dont voici le principe:

l'allusion intertextuelle vautcomme

instruction

de lecture.Ainsi lafiction à liresuivraitlesmêmesconventionsque lafictioncitée:

E: Et ben!C'est unnain, alors,

il

doitvoir Blanche Neige! M: Ah!,tupensesàBlancheNeigeetlesseptnains... C'estça? E: Ouais.

M: Oui, c'estbien possible... Après tout...Mais on nenousditjamaisqu'il adéjà vuBlancheNeige...Onnenousditjamais quec'estundessept nains...

E: Maisc'estécrit:« Peut-êtreje retrouverai BlancheNeige »!Retrouver, c'estbienqu'ill'avaitdéjà vue!

Del'autre côté, on retournaauxindications d'une situationd'exclusion, aux marquesd'une enfance manquée, àtout ce qui posait l'ours comme un possible objettransitionnel réparateur : ce voyage devint à leurs yeux quête d'une réconciliation avec soi-mêmeet avec la nature... Et puisquele vrai but n'en semblait plus d'authentiques retrouvailles avec un personnagede conte, puisquecette Blanche Neige-làn'avaitdevaleur que métonymique, larencontre n'avaitpas eu lieud'être...

E: QuandDukeestdem'ère lerideaupi s'agit du rideau decoulisse der¬

rièrelequelleclown observaitlenuméro de l'ours],//ditqu'ilretrouvait l'enfance, etqu'iln'avait plus peur... Après,

il

dit qu'il veutretrouver BlancheNeige... Maison saitbienqu'elle existe pas, BlancheNeige...

REPÈRES13/1996 P.SÈVE

Concrètement, il nous apparaît lors de séances où chaque enfant tente de convaincre de la légitimité de sa propre compréhension. Bref, il se manifeste quandlesenfantsargumentent

2.3.

Comment les enfants argumentent

:

les différents recours

àla

bibliothèque

Semettred'accordsuruntexte,pourlesenfantscomme pourlesadultes, c'estsurtoutsemettred'accordsur lesrelations quecetexte entretient avecles autrestextes, réels ou possibles... L'intertextualité est fe domaine sur lequel prennent appuibeaucoup desarguments.

2.3.1.Le

retour au texte singulier

Bienentendu, lesenfants manipulent lesunités isolables etdécontextuali- sables qui structurent habituellement leurlecture des écrits narratifs. À propos du Voyaged'Oregon, et dela probabilitéd'unerencontreentreDukeetBlanche Neige, c'est la notion de personnage qui leur sert de fil conducteur pour un retourautexte. Plus précisément, laquestion d'une issue positive ou négative les conduit à revenir.sur les indices qui avaient formé leur lecture d'un pro¬

gramme narratifpourlepersonnageduclown. Deuxpositions sont confrontées.

Certainsélèvestenaientà unefinheureuse,ilsvoulaientvoir confirmer leur désir d'un monde merveilleux. D'autres préféraient nettement conserver les conven¬

tions de vraisemblance misesen place parlesmultiples « realia ». Du premier côté, on tira argumentde l'intertexte sollicité, argument dont voici le principe:

l'allusion intertextuelle vautcomme

instruction

de lecture.Ainsi lafiction à liresuivraitlesmêmesconventionsque lafictioncitée:

E: Et ben!C'est unnain, alors,

il

doitvoir Blanche Neige! M: Ah!,tupensesàBlancheNeigeetlesseptnains... C'estça? E: Ouais.

M: Oui, c'estbien possible... Après tout...Mais on nenousditjamaisqu'il adéjà vuBlancheNeige...Onnenousditjamais quec'estundessept nains...

E: Maisc'estécrit:« Peut-êtreje retrouverai BlancheNeige »!Retrouver, c'estbienqu'ill'avaitdéjà vue!

Del'autre côté, on retournaauxindications d'une situationd'exclusion, aux marquesd'une enfance manquée, àtout ce qui posait l'ours comme un possible objettransitionnel réparateur : ce voyage devint à leurs yeux quête d'une réconciliation avec soi-mêmeet avec la nature... Et puisquele vrai but n'en semblait plus d'authentiques retrouvailles avec un personnagede conte, puisquecette Blanche Neige-làn'avaitdevaleur que métonymique, larencontre n'avaitpas eu lieud'être...

E: QuandDukeestdem'ère lerideaupi s'agit du rideau decoulisse der¬

rièrelequelleclown observaitlenuméro de l'ours],//ditqu'ilretrouvait l'enfance, etqu'iln'avait plus peur... Après,

il

dit qu'il veutretrouver BlancheNeige... Maison saitbienqu'elle existe pas, BlancheNeige...

(9)

Etluiaussi,

il

le sait... C'est juste commeça,pourdirequ'ilretrouverait l'enfance... IIpartira la têtelibre...

M: Tuperds tonidée... Tudisaisqu'ildisaitçacommeça...?

E: Oui, alors, quand

il dit

quec'est commedansleslivrespourenfants, peut-être que c'estpas vrai, qu'ilapas vraiment entendul'ourspar¬

ler...IIajustecompris...Maisilafaitcommes'ilretrouvait l'enfance...

Le textetrouve alors sa valeurde ne pas seconfondre avec les réseaux que sa lecture active. C'est son originalité que les enfants sont amenés à apprécier.

2.3.2. La

catégorie du genre

À propos du récit de rêve, le terrain d'affrontement fut, bien sûr, la construction delafiction. Leprincipe est dejouer aveclelecteur: non seule¬

mentleprogramme narratifdu personnage principal sembletrès implicite, mais l'instruction de lecture efficace n'intervient qu'à lafin du récit. Seule une pure

«descriptiond'actions»peut marquerunenchaînemententreépisodes réalistes etoniriqueet nepas détruireledifficile équilibre de cetypede récit:lanarration doitêtrefocaliséeparlerêveurafinqu'ellepuissenous rapporterlecontenu de sesimageriesintimes, mais elledoitrestermenée à latroisième personnepour queresteacceptablelebrusquepassage àunefocalisation externe, quicorres¬

pondaubrutalretourau réelde lafindu livre. Lesindicesdecette conduite de récitqu'on peut prendre dans letexte n'étaient pasfacilement repérables par des enfantsdecetâge.Certainsenfants, prisdans lalinéaritéde leur lecture,en tenaientpour une simple« histoire d'aventures». Lesautres, sensibles àl'effet global,pourunrécit derêve. Les premiersn'eurentpasd'autre argumentqu'une priseaupied delalettre des informations données, en mêmetempsqu'ils justi¬

fiaient, sur le modetautologique, l'invraisemblance parle genredefiction invo¬

quée. Ainsi, alors que l'illustration montre anneau, cheval et château sans marquesparticulières:

E: Onvoit bien quec'estun anneaumagiquequ'elletourne[àsondoigt].

C'estpourçaqu'il

y

aun chevalmagiquequil'emmène.

E: Etaprèsy'aunchâteaumagique...

Ceà quoi lesseconds retournèrent un argumentasilentio selon la même logiqued'une lecture référentielle:

E: Maissiçan'avaitpasétéunrêve, lechevall'aurait ramenée chezelle.

Elleyaurait pas étécommeça, toutdesuite.

Maistrès vite, les enfants eurentrecours à lacomparaison avec

d'autres

livres(9),situésaucoin lecture. Etaprèsuneactivité longuedetri, de confronta¬

tion,ilsélaborentcette fiche:

Dansles histoiresde rêve: -Onvoit des chosesimpossibles.

-Lepersonnage s'endort. IIest transporté. II fait des rencontres. Puisil tombe, et il estdans laréalité.

- Onretrouve des objetsoudesmots dans la réalité et dans lerêve.

Etluiaussi,

il

le sait... C'est juste commeça,pourdirequ'ilretrouverait l'enfance... IIpartira la têtelibre...

M: Tuperds tonidée... Tudisaisqu'ildisaitçacommeça...?

E: Oui, alors, quand

il dit

quec'est commedansleslivrespourenfants, peut-être que c'estpas vrai, qu'ilapas vraiment entendul'ourspar¬

ler...IIajustecompris...Maisilafaitcommes'ilretrouvait l'enfance...

Le textetrouve alors sa valeurde ne pas seconfondre avec les réseaux que sa lecture active. C'est son originalité que les enfants sont amenés à apprécier.

2.3.2. La

catégorie du genre

À propos du récit de rêve, le terrain d'affrontement fut, bien sûr, la construction delafiction. Leprincipe est dejouer aveclelecteur: non seule¬

mentleprogramme narratifdu personnage principal sembletrès implicite, mais l'instruction de lecture efficace n'intervient qu'à lafin du récit. Seule une pure

«descriptiond'actions»peut marquerunenchaînemententreépisodes réalistes etoniriqueet nepas détruireledifficile équilibre de cetypede récit:lanarration doitêtrefocaliséeparlerêveurafinqu'ellepuissenous rapporterlecontenu de sesimageriesintimes, mais elledoitrestermenée à latroisième personnepour queresteacceptablelebrusquepassage àunefocalisation externe, quicorres¬

pondaubrutalretourau réelde lafindu livre. Lesindicesdecette conduite de récitqu'on peut prendre dans letexte n'étaient pasfacilement repérables par des enfantsdecetâge.Certainsenfants, prisdans lalinéaritéde leur lecture,en tenaientpour une simple« histoire d'aventures». Lesautres, sensibles àl'effet global,pourunrécit derêve. Les premiersn'eurentpasd'autre argumentqu'une priseaupied delalettre des informations données, en mêmetempsqu'ils justi¬

fiaient, sur le modetautologique, l'invraisemblance parle genredefiction invo¬

quée. Ainsi, alors que l'illustration montre anneau, cheval et château sans marquesparticulières:

E: Onvoit bien quec'estun anneaumagiquequ'elletourne[àsondoigt].

C'estpourçaqu'il

y

aun chevalmagiquequil'emmène.

E: Etaprèsy'aunchâteaumagique...

Ceà quoi lesseconds retournèrent un argumentasilentio selon la même logiqued'une lecture référentielle:

E: Maissiçan'avaitpasétéunrêve, lechevall'aurait ramenée chezelle.

Elleyaurait pas étécommeça, toutdesuite.

Maistrès vite, les enfants eurentrecours à lacomparaison avec

d'autres

livres(9),situésaucoin lecture. Etaprèsuneactivité longuedetri, de confronta¬

tion,ilsélaborentcette fiche:

Dansles histoiresde rêve: -Onvoit des chosesimpossibles.

-Lepersonnage s'endort. IIest transporté. II fait des rencontres. Puisil tombe, et il estdans laréalité.

- Onretrouve des objetsoudesmots dans la réalité et dans lerêve.

(10)

REPÈRESN"13/1996 P.SÈVE

Cette activité a comme absorbé la divergence d'interprétation : letexte s'est effacé derrière cequi pouvait paraitre son modèle. L'écartsinguliers'est dissout dans ce concertde livres qui enmanifestaienttousunsimilaire. Pourles enfants,c'était ungenrequiémergeait,qu'ils accouchaient.Ilsont décidé de l'appeler«histoire derêve»,dénominationque nous avonsrepriseici.

2.3.3.

La régulation des savoirs

Jojo la mâche, ne présente pas de personnage facile àconstruire : Jojo perd sesmembres page après page; un personnagecollectif, toujours désigné parONdansletextemaisjamais représentédansl'illustration,tenteinlassable¬

ment, en fidèle compagnon, de restaurer l'intégrité de la bête, avant de se résoudreà enadmirerlesrestesdanslecielnocturne.Lelivreadonc ouvertdes chemins plus complexes, souvent plus souterrains. Entre autres interrogations, deux positionsse sont dessinées : certains enfants, forts d'une expérience de lecture précédente, ont malgré tout cherché une

clef

du côté des person¬

nages,danslarelationentreJojoet ON:

E: Mais onn 'apasvuceuxquicherchaientlescornes.

M: Ah, oui!Tuveuxdire qu'on nesaitpas quiacherchélescornes...

E: ÇapeutêtreOlivierDouzou...

E: Lesgens delaferme...

E: C'estunpeu commedans Max etles Maximonstres (10)... IIyades choses qu'on voit pas... Pourtant, ils devaienty tenir: elleétait pas contente,Jojo!

Lesautresse sont alignés surl'attitude de ce personnage collectif comme s'ilss'identifiaientà un relaispourleurlecture. Ilssesont attachés auxdiverses représentations duciel quiétaientàleurportéeouqu'ilsont sollicitées:consul¬

tations de documentaires, et séquence d'observation pour mieux comprendre planètes, étoiles,nuages...

Dansle même temps, les enfants ont cherché commentrendre compte deladisparition,

-

ou transformation

-,

ils ont porté leur attentionàcettefor¬

mule:« Elleétait trèsvieille, notreJojo,elleétaitlàdepuis deslustres, depuisla nuit des temps. » Ils ont doncfréquenté des histoires où il est question de vieillards qui disparaissent, ou seulement des histoires de mort et de transfor¬

mation(11).Pour arriveràceconstat:

E: Quandquelqu'un estmort,ilsregardent toujours dansleciel...!

Les enfantsont pu alors approcherl'intention de l'duvre : installer une communion autour d'une grandeimagemythique.Àlaquestiondesavoircequi pouvait rapprocherlerécit étiologiqueMono/e Cyclope(12)deJojolamâche, lesenfants répondent:

E:

Y'a quelqu'und'autre qui construit une maisonpourMono. Son nom, c'est ON. [...]Dans cette maison, Mono fait des clins

d'il

la nuit:

c'estunphare.

[...]

La nuit, Monofaitsigne,comme Jojo...

Le

recours

à la

bibliothèque

parait donc bien un outil puissant pour rendrecomptedulivreàlire.Cependant,ilneconcourt pas nécessairementà un effet constant ni même toujours prévisible. Parfois, il permet de soulignerune singularité originale, parfois au contraire, il ancre la valeur du livredans son exemplarité etsapertinencepour illustrerun genre, parfoisilpermet seulement

REPÈRESN"13/1996 P.SÈVE

Cette activité a comme absorbé la divergence d'interprétation : letexte s'est effacé derrière cequi pouvait paraitre son modèle. L'écartsinguliers'est dissout dans ce concertde livres qui enmanifestaienttousunsimilaire. Pourles enfants,c'était ungenrequiémergeait,qu'ils accouchaient.Ilsont décidé de l'appeler«histoire derêve»,dénominationque nous avonsrepriseici.

2.3.3.

La régulation des savoirs

Jojo la mâche, ne présente pas de personnage facile àconstruire : Jojo perd sesmembres page après page; un personnagecollectif, toujours désigné parONdansletextemaisjamais représentédansl'illustration,tenteinlassable¬

ment, en fidèle compagnon, de restaurer l'intégrité de la bête, avant de se résoudreà enadmirerlesrestesdanslecielnocturne.Lelivreadonc ouvertdes chemins plus complexes, souvent plus souterrains. Entre autres interrogations, deux positionsse sont dessinées : certains enfants, forts d'une expérience de lecture précédente, ont malgré tout cherché une

clef

du côté des person¬

nages,danslarelationentreJojoet ON:

E: Mais onn 'apasvuceuxquicherchaientlescornes.

M: Ah, oui!Tuveuxdire qu'on nesaitpas quiacherchélescornes...

E: ÇapeutêtreOlivierDouzou...

E: Lesgens delaferme...

E: C'estunpeu commedans Max etles Maximonstres (10)... IIyades choses qu'on voit pas... Pourtant, ils devaienty tenir: elleétait pas contente,Jojo!

Lesautresse sont alignés surl'attitude de ce personnage collectif comme s'ilss'identifiaientà un relaispourleurlecture. Ilssesont attachés auxdiverses représentations duciel quiétaientàleurportéeouqu'ilsont sollicitées:consul¬

tations de documentaires, et séquence d'observation pour mieux comprendre planètes, étoiles,nuages...

Dansle même temps, les enfants ont cherché commentrendre compte deladisparition,

-

ou transformation

-,

ils ont porté leur attentionàcettefor¬

mule:« Elleétait trèsvieille, notreJojo,elleétaitlàdepuis deslustres, depuisla nuit des temps. » Ils ont doncfréquenté des histoires où il est question de vieillards qui disparaissent, ou seulement des histoires de mort et de transfor¬

mation(11).Pour arriveràceconstat:

E: Quandquelqu'un estmort,ilsregardent toujours dansleciel...!

Les enfantsont pu alors approcherl'intention de l'duvre : installer une communion autour d'une grandeimagemythique.Àlaquestiondesavoircequi pouvait rapprocherlerécit étiologiqueMono/e Cyclope(12)deJojolamâche, lesenfants répondent:

E:

Y'a quelqu'und'autre qui construit une maisonpourMono. Son nom, c'est ON. [...]Dans cette maison, Mono fait des clins

d'il

la nuit:

c'estunphare.

[...]

La nuit, Monofaitsigne,comme Jojo...

Le

recours

à la

bibliothèque

parait donc bien un outil puissant pour rendrecomptedulivreàlire.Cependant,ilneconcourt pas nécessairementà un effet constant ni même toujours prévisible. Parfois, il permet de soulignerune singularité originale, parfois au contraire, il ancre la valeur du livredans son exemplarité etsapertinencepour illustrerun genre, parfoisilpermet seulement

(11)

de situer la représentation proposéeparmi celles dont on dispose par ailleurs.

Aussi, lorsqu'on propose auxélèves unemiseen réseauavec d'autres

uvres,

on élargitl'objetde leur lecture, on leurdonne peut-êtrela possibilitéd'yaccé¬

der autrement, on ne leurfournit sûrement pas un instrument de lecture uni¬

voque... Car là encore, ce qui s'offreà la lecture, c'est la construction d'un savoir référentiel, ou bien l'élaborationd'uneconvention fictionnelle, ou encore des viséesdiscursives singularisées.

2.4. La

force des arguments

Tous les arguments ne sont pas également convaincants. Parfois l'en¬

semblede laclassearrêteune signification massivement partagée,mais parfois aucunargumentn'aétédécisif. Pourqu'il lesoit ilfaut, ici comme ailleurs,qu'il soit accordé avec lesprésupposés et préjugés culturels des interlocuteurs.

Ainsi, l'argument associant nanismeetBlancheNeigeétait-il recevable pourles enfants alors même que l'adulte cachaitfort peu sa réticence... II faut encore qu'il ait la plus grande puissance possible, qu'il permetted'embrasser en une seule perspective convergente le plus grand nombre d'interrogations. Ainsi fonctionna l'argument tiré de l'enfance manquée de notreclown: ildonnaitjusti¬

ficationaucaractèreimplicite du butde Duke, à larèglefictionnelle complexe, à l'implicitation delaclôturenarrative.

2.4.1.

La motivation linguistique

Maispour êtreparé,sitôténoncé,d'unesorted'évidence,ilfaut quel'argu¬

menttoucheà la motivation des expressions dutexte. Etles enfants se mon¬

trent volontiers sensibles à une sorte de surmotivation dans la langue.

À propos de la dernièreimage du Voyage d'Oregon, àla fin de la séance une petite fille déclara:

E:

Moi, je voispas Blanche Neige... Mais

il y

a de la neige, et elle est blanche...

Aussitôt une sorte d'unanimité s'est soudée. La classe avait retrouvé sa concorde,unterraind'entente objectif:leconflitd'interprétation étaitachevé.

Àpropos del'«histoirederêve»,l'albumproposeunensemble de motsou d'objetsutiliséstantdans la scèneoniriquequedanslesscènes réalistes.C'est la reconnaissance dece trait, la recherche detous ces éléments de parallé¬

lisme qui assirentdéfinitivementlacompréhension partous dela structurefic¬

tionnelle du livre. Les enfantsse sontmême engagés dans des recherches au delàduproposobviedulivre : ilsont recherchédesassonances,et deténues connotations.

E: Danslerêve, Murmure, il s'appelle commeçaparcequ'ilchante. Mais jelisaussi:«là-bas le soleilbrille, iln'yapasdemurs. »Oui, maisil

y

aMurmure!

ou encore

E: Moi,j'ai trouvé... « Lili est en prison. II fait sombre, il fait froid », ça, c'est quand elle est surson lit, et qu'elle pleure. « Les ombres et la de situer la représentation proposéeparmi celles dont on dispose par ailleurs.

Aussi, lorsqu'on propose auxélèves unemiseen réseauavec d'autres

uvres,

on élargitl'objetde leur lecture, on leurdonne peut-êtrela possibilitéd'yaccé¬

der autrement, on ne leurfournit sûrement pas un instrument de lecture uni¬

voque... Car là encore, ce qui s'offreà la lecture, c'est la construction d'un savoir référentiel, ou bien l'élaborationd'uneconvention fictionnelle, ou encore des viséesdiscursives singularisées.

2.4. La

force des arguments

Tous les arguments ne sont pas également convaincants. Parfois l'en¬

semblede laclassearrêteune signification massivement partagée,mais parfois aucunargumentn'aétédécisif. Pourqu'il lesoit ilfaut, ici comme ailleurs,qu'il soit accordé avec lesprésupposés et préjugés culturels des interlocuteurs.

Ainsi, l'argument associant nanismeetBlancheNeigeétait-il recevable pourles enfants alors même que l'adulte cachaitfort peu sa réticence... II faut encore qu'il ait la plus grande puissance possible, qu'il permetted'embrasser en une seule perspective convergente le plus grand nombre d'interrogations. Ainsi fonctionna l'argument tiré de l'enfance manquée de notreclown: ildonnaitjusti¬

ficationaucaractèreimplicite du butde Duke, à larèglefictionnelle complexe, à l'implicitation delaclôturenarrative.

2.4.1.

La motivation linguistique

Maispour êtreparé,sitôténoncé,d'unesorted'évidence,ilfaut quel'argu¬

menttoucheà la motivation des expressions dutexte. Etles enfants se mon¬

trent volontiers sensibles à une sorte de surmotivation dans la langue.

À propos de la dernièreimage du Voyage d'Oregon, àla fin de la séance une petite fille déclara:

E:

Moi, je voispas Blanche Neige... Mais

il y

a de la neige, et elle est blanche...

Aussitôt une sorte d'unanimité s'est soudée. La classe avait retrouvé sa concorde,unterraind'entente objectif:leconflitd'interprétation étaitachevé.

Àpropos del'«histoirederêve»,l'albumproposeunensemble de motsou d'objetsutiliséstantdans la scèneoniriquequedanslesscènes réalistes.C'est la reconnaissance dece trait, la recherche detous ces éléments de parallé¬

lisme qui assirentdéfinitivementlacompréhension partous dela structurefic¬

tionnelle du livre. Les enfantsse sontmême engagés dans des recherches au delàduproposobviedulivre : ilsont recherchédesassonances,et deténues connotations.

E: Danslerêve, Murmure, il s'appelle commeçaparcequ'ilchante. Mais jelisaussi:«là-bas le soleilbrille, iln'yapasdemurs. »Oui, maisil

y

aMurmure!

ou encore

E: Moi,j'ai trouvé... « Lili est en prison. II fait sombre, il fait froid », ça, c'est quand elle est surson lit, et qu'elle pleure. « Les ombres et la

Références

Documents relatifs

Mais parce que une confusion historique d’évènements, Husserl devint connu comme « le père de la phénoménologie » simplement parce qu’il utilisa le

Si l’on considère l’actualité du projet de la revue au prisme de cette question, on peut dire que le projet éditorial est toujours pertinent… Pourtant, le contexte institutionnel

Aussi proposons nous de réfléchir sur l'engagement politique comme événement, dans la perspective d'une théorie de l'action, au sens où l'engagement politique peut se définir

À cet effet, nous nous attarderons successivement sur le couple invariant vs variante, sur la notion de pertinence définie co(n)textuellement ainsi que sur celle de saillance. Les

Comme si l’enfant à savoir lire d’un dessin que c’est la girafe, d’un autre que c’est guenon qui est à dire n’apprenait pas seulement que le G dont les deux

A l’aide des documents, proposez une explication quand au fait que l’on observe peu de grenouilles hybrides entre les différentes populations, puis expliquez comment cela

Accordingly, the present investigation was dedicated to: (i) the development of an instrumented small scale casting giving low cooling rate to generate

C'est une association qui se donne pour mission d'appareiller les handicapés (essentiellement les amputés des membres inférieurs) dans les pays du Tiers monde (en