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Impression 4D : Une cécité de confort et/ou une approche systémique empêchée ?

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Academic year: 2021

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Impression 4D : Une cécité de confort et/ou une

approche systémique empêchée ?

4D Printing: Comfort blindness and/or a systemic approach prohibited?

Frédéric Demoly1, Jean-Claude André2

1 ICB UMR 6303 CNRS, Université de Bourgogne Franche-Comté, UTBM, Rue du Château - 90010 Belfort Cedex – France, Frederic.demoly@utbm.fr

2 LRGP – UMR7274 CNRS-UL, 1, rue Grandville, 54000 Nancy – France, jean-claude.andre@univ-morraine.fr

RÉSUMÉ. En ajoutant de possibles changements temporels de forme et/ou de fonctionnalité à la fabrication additive, l’impression 4D apporte des potentiels nouveaux à ce domaine jeune encore en pleine expansion. Si des promesses transgressives sont associées à cette technologie à fort potentiel de croissance en recherche académique, les applications ciblées sont loin d’être atteintes. Sur la base de ce bilan, il apparait que des domaines proches, en situation de possible porosité disciplinaire, peuvent, avec un peu de créativité, faire quitter les travaux fortement autocentrés actuels pour tenter de ressourcer l’impression 4D, pour autant que la prise de risque en recherche interdisciplinaire soit mieux soutenue. Une proposition de « feuille de route » probablement améliorable est proposée : elle concerne d’une part, un axe scientifique où l’activité 4D recherchée s’appuie sur des couplages originaux entre matériaux (dont les méta-matériaux) et procédés, des fabrications hybrides multi-matériaux, un axe organisationnel où l’interdisciplinarité et la prise de risque seraient privilégiées.

ABSTRACT. By adding possible temporal changes of form and/or functionality to additive manufacturing, 4D printing brings new potentials to this still expanding new field. While there is transgressive promise associated with this technology with high growth potential in academic research, targeted applications are far from being achieved. On the basis of this assessment, it appears that related fields, in a situation of possible disciplinary porosity, can, with some creativity, move away from the current highly self-centered work to try to re-invigorate 4D printing, provided that the risk-taking in interdisciplinary research is better supported. A proposal for a "roadmap" that is likely to be improved is proposed: it concerns on the one hand, a scientific axis where the 4D activity researched relies on original couplings between materials (including meta-materials) and processes, hybrid multi-material fabrications, and on the other hand, an organizational axis where interdisciplinarity and risk-taking would be privileged.

MOTS-CLÉS. Fabrication additive, impression 3D/4D, créativité, interdisciplinarité, rupture technologique, applications industrielles.

KEYWORDS. Additive manufacturing, 3D/4D printing, creativity, interdisciplinarity, technological breakthrough, industrial applications.

« La caresse transcende le sensible. Non pas qu‟elle aille au-delà du senti, plus loin que les sens, qu‟elle se saisisse d‟une nourriture sublime, tout en conservant, dans sa relation avec ce senti ultime, une intention de faim, qui va sur la nourriture qui se promet et se donne à cette faim, la creuse, comme si la caresse se nourrissait de sa propre faim. La caresse consiste à ne se saisir de rien, à solliciter ce qui s‟échappe sans cesse de sa forme vers un avenir à solliciter, ce qui se dérobe comme s‟il n‟était pas encore. Ce n‟est pas une intentionnalité de dévoilement, mais de recherche : marche à l‟invisible » (Levinas, 1990).

Introduction

« Par quoi croyez-vous qu‟Edison commence ? Par la fin, bien évidemment. Il met avec application la charrue avant les bœufs. Pourquoi se lancer en effet dans une entreprise difficile si personne n‟y croit » (Akrich, Callon et Latour, 1988). Quand l‟opinion est assez mûre, Edison lève le voile sur ses inventions, qui sont alors co-construites, adaptées, puis adoptées… De plus en plus, dans les réponses aux appels à propositions, les chercheurs jouent sur la promesse, parce que le

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d‟abord d‟être considéré et financé pour réaliser des systèmes technologiques qui n‟existent pas encore, de maîtriser le comportement individuel des futurs utilisateurs, de tenir compte de l‟interaction des technologies avec des systèmes naturels et artificiels complexes, etc. (Hanson, 2010). Mais qu‟en est-il pour l‟impression 4D, présentée schématiquement sur la figure 1 ? C‟est tout l‟enjeu de cet article jouant entre connaissances scientifiques et techniques et environnement de la recherche et du transfert à la société, en allant des sciences « dures » aux sciences plus douces (et réciproquement) !

Figure 1. Impression 4D

Un domaine nouveau correspond à l‟application d‟une certaine vision sensible du monde à un futur scientifique et/ou technologique, noyau de création de voies de recherches inscrites souvent dans des « grammaires » que d‟aucuns appellent paradigmes, qui s‟appuient sur des intuitions primordiales qui font sens. Après cette gratuité originelle de l‟idée heureuse, réel acte d‟expression d‟une liberté libérée, se créent des voies d‟accomplissement visant une certaine « rentabilité », à l‟intérieur de la morphologie des cultures et des organisations d‟encadrements scientifiques. C‟est à ce stade que le nouveau s‟intègre dans des savoirs acquis exploités et développés par des communautés scientifiques, techniques et économiques. L‟utilitarisme recherché par certains qui en sont issus exerce alors des influences (promesses, savoirs nouveaux, publications, etc.) jusqu‟à la manifestation évidente de la dévitalisation du domaine, alors qu‟un corps constitué de détenteurs de savoirs préalablement acceptés empêche un possible « dépôt de bilan » de la singularité validée initialement, avec une absence de volonté de soutenir des remises en causes, de favoriser la divergence ou la transgression et la prise de risques. « Entre expansion initiale et régression finale, la force créatrice s‟abolit dans l‟immobilisme critique ; la puissance conquérante dans l‟espace déliquescent ; et l‟esprit de domination dans la décomposition spirituelle » (Colosimo, 2018)…

Or, les chercheurs du monde académique vivent entre pairs et sont, pour l‟essentiel, financés sur programmes. Avec un tel pilotage formaté, il est sans doute difficile d‟inculquer une culture de la remise en cause. « Et pour cause, l‟évolution de leur carrière se construit sur le nombre de publications scientifiques qu‟ils réalisent et le classement des journaux scientifiques publiant » (Nguyen, 2020). Or, entreprendre et s‟engager dans des secteurs trop peu connus, aller vers du disruptif ou même simplement sortir de sa discipline sont autant d‟investissements qui empêchent ou retardent le chercheur dans la rédaction d‟articles, piliers de la carrière et du rayonnement quantitatif. Personne ne choisit volontairement d‟échouer.

« Pour produire du nouveau, il faut certes « douter de… ». Mais aussi pouvoir « se douter que… », c‟est-à-dire accepter, au moins provisoirement, une connaissance mal étayée, fragile et provisoire. Par-delà le doute, c‟est le risque de la pensée qu‟il faut assumer » (Lévy-Leblond, 2020).

La créativité est une façon de penser. Il n‟y a pas d‟intitulé de poste dans le monde académique, ni un rôle au sommet de la hiérarchie parce qu‟elle devrait, pour être effective, être intégrée dans la culture des unités de recherche, valable pour l‟ensemble des personnels. Il ne peut y avoir en local de prétendu responsable des idées à mettre en œuvre parce qu‟il n‟y aurait pas appropriation aisée de ces dernières. Dans les faits, un climat propice à l‟échange d‟idées n‟existe pratiquement pas, ce qui peut conduire à se déresponsabiliser et de rester pour des raisons de confort (mais de bonne qualité

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scientifique) dans la réponse à des appels d‟offre convenus, où la rupture n‟est pas recherchée (Lovric et Schneider, 2020). Par habitude, les chercheurs ne se sentent ainsi plus trop concernés par des opérations risquées, bien que l‟idée leur plaise. Ils changent probablement d‟avis lorsqu‟ils rentrent dans les détails, étudient les avantages et les faiblesses à court terme d‟opérations en rupture. Le principal obstacle n‟est peut-être pas dans l‟émergence d‟idées, mais plutôt de conviction de l‟intérêt de l‟engagement dans ces idées pour les concrétiser. Pour Yves Michaud, cité par Atlantico (2020) « [L‟] industrialisation de la science entraîne une bureaucratisation des programmes (la lutte pour les financements avec la question permanente des feed-back et de l'évaluation), pas mal de rigidité, mais aussi des phénomènes plus complexes. La communication permanente entre chercheurs et la compétition produisent des déplacements rapides vers les secteurs prometteurs ». Pour Jean-Michel Besnier, cité dans la même référence : « Voyez […] le constat déprimant qui établit que l‟effort de recherche consenti par nos sociétés croît tandis que la recherche de productivité décroît – constat, en d‟autres termes, que la production des idées par nos chercheurs n‟offre plus le retour sur investissement que l‟on en espérait » (voir également Bloom et al, 2020).

Alors, les questions suivantes doivent être posées : Comment amener les chercheurs à faire émerger et à soutenir de nouvelles idées, en sachant qu‟elles pourraient échouer ? Comment soutenir, en temps de crise et/ou d‟indécision de possibles bifurcations ? Des sorties des déterminismes ordinaires et des explorations de la complexité du monde ? A-t-on encore le droit de se tromper ? Et surtout, l‟erreur sert-elle à quelque chose ? Peut-on sortir des biais « d‟homophilie » avec des évaluations plus favorables pour les tenants d‟une théorie ou d‟une école de pensée proches de celle des évaluateurs ? (AFIS, 2020). Alors, comment sortir de la conception d'objets fictionnels, devenue une fin en soi ? Etc. Comme le souligne Mercier (2020) : « Et n‟est-ce pas aussi une des missions du chercheur d‟élever le niveau global de curiosité, de surprendre et de transmettre un désir de science, une vocation » ?

« Un type d‟argument qui vous avertit que, si vous franchissez une première étape, vous vous retrouvez entraîné dans une suite de conséquences desquelles vous serez incapable de vous dégager et que, à la fin, vous roulerez de plus en plus vite, vers quelque résultat final désastreux » (Walton, 1992).

Peut-on appliquer ces considérations un peu morbides et fortement négatives à l‟impression 4D, issue en 2013 de la « vieille » fabrication additive (premier brevet en 1984 par André, Le Méhauté et de Witte…) ? Cette base réflexive est partiellement engagée par André (2020 b). Selon Tibbits (2013) « Une révolution sans précédent est en cours. Il s'agit de la capacité de programmer des matériaux biologiques et physiques afin qu'ils changent de forme, changent de propriétés […]. L'idée derrière l‟impression 4D est de réaliser l'impression 3D avec des matériaux multiples, afin de pouvoir y mettre plusieurs matériaux, et d'y ajouter une nouvelle capacité : la transformation. Dès qu'elles sortent, les pièces peuvent se transformer d'une forme à une autre, directement, toutes seules. C'est comme de la robotique sans fils ni moteurs. Vous imprimez cette pièce, et elle peut se transformer en autre chose ». Qui n‟en a pas rêvé après avoir le film « Terminator » ? Tibbits (2013 a) définit ainsi un objectif nouveau à l‟impression 3D avec, en anticipation, son inclusion dans le contexte d‟Industrie 4.0 (Jardim-Goncalves, Romero et Grilo, 2017 ; André, 2019), avec l‟expression d‟un besoin nouveau, parce que l‟on ajoute un degré de liberté à la fabrication 3D.

REMARQUE : fabrication additive

La fabrication additive naît avec un principe de transformation localisée de la matière : l‟élément minimal permettant la description de cette transformation (liquide/solide ; poudre/solide ; etc.) est, par analogie au pixel, appelé voxel. Quand une surface a été façonnée,

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Or, avec l‟Industrie 4.0, concept introduit en 2013 par Kagermann, Wahlster et Helbig, c'est tout le paradigme de la stratégie industrielle qui est transformé par le numérique, y compris sa logique de performance économique et les mécanismes de création de valeur qui la sous-tendent. En réduisant le coût de la complexité portée par la composante numérique d'un produit ou d'une machine à base standardisée, la fabrication additive 3D s'inscrit déjà dans cette logique. Mais, avec une opportunité complémentaire, qui est de disposer de possibilités originales liées à l'évolution résolue dans le temps et dans l‟espace de la forme et de la fonctionnalité des objets créés, l'impression 4D peut disposer d‟atouts spécifiques pour mieux coopérer avec les autres briques élémentaires de l'Industrie 4.0. Pour rappel, ce sont, hors Intelligence Artificielle, la robotique (souple) et l'Internet des objets (IoT). Le développement de l'axe spécifique constitué par l'impression 4D peut donc être un élément stratégique important d'intégration dans le progrès technique associé au concept d'Industrie 4.0. Par conception, la fabrication 4D génère une inséparabilité technologique lorsqu'il s'agit de produire une pièce en 3D dans l'imprimante, rendue active par des stimuli, plutôt que par des activités organisées en différentes étapes successives. Il s'agit donc d'une intégration perturbatrice majeure qui peut révolutionner le domaine 4.0, si elle peut satisfaire aux spécifications industrielles.

D‟une part, l‟impression 4D est récente et le nombre de publications (quelques centaines) encore accessible à une lecture (au moins partielle) de la part des auteurs. Il est donc possible, à partir de connaissances acquises en impression 3D, d‟être un observateur de l‟évolution d‟un domaine émergent à fort contenu technologique. D‟autre part, Tibbits en 2013 a placé avec détermination sur l‟échiquier scientifique l‟impression 4D comme une promesse importante avec des potentialités d‟applications nombreuses en réparation médicales (prothèses et orthèses), dans les transports, dans la domotique, la robotique, etc., domaines applicatifs et/ou contributifs au concept d‟Industrie 4.0.

Les auteurs, impliqués dans des recherches sur les thèmes 3D/4D ne vivent pas comme des ascètes hors du monde et intellectuellement radicaux, mais ont juste souhaité être des observateurs attentifs, curieux et responsable d‟un domaine émergent dans lequel ils investissent beaucoup de leur temps. En ce sens, ils sont juges et parties prenante dans cette opération ! C‟est probable, leur exigence de douter, de se remettre en cause de manière aussi professionnelle que possible peut entrainer des rejets de la part de leur communauté scientifique considérant qu‟il ne s‟agit que d‟« extravagantes suppositions » (ce que dénonçait déjà Descartes dans un cadre plus philosophique pour les réfuter (Descartes, 1990)). Cette situation d‟alerte, alors que tous les voyants sont apparemment au vert sur la 4D, impose une discipline la plus exigeante possible, avec le risque que les propositions soient considérées comme cruelles parce qu‟elles font sortir l‟impression 4D de ses domaines actuels de confort. Toutefois, il existe des voies de ressourcement et le risque d‟angoisse de l‟anéantissement autour du sujet est limité à l‟obligation de penser de manière moins suiviste, mais plus agile et plus responsable les recherches du domaine…

« L‟Histoire alimente l‟Histoire » (Battu, 2018) et il est peut être tôt pour que la clarté logique du développement de l‟impression 4D sorte d‟un certain flou, celui-ci ne pouvant apparaître qu‟avec le plus recul possible. Mais, sept ans, c‟est court… Cependant, nous avons pris le risque de tenter de tracer des liens qui unissent le passé récent au présent et de lancer des mises en garde sur les difficultés d‟activités associées à des promesses déjà extraordinaires en 2013. Sur ces constats, il nous a paru intéressant d‟examiner comment on peut passer d‟une idée apparemment pertinente et surtout spectaculaire à un devenir, le plus légitime possible, avec ses réussites et ses échecs. C‟est tout l‟enjeu de cet article, qui ne doit pas être considéré comme une fin en soi, mais comme une ouverture sur un monde qui est encore à découvrir.

« La condition éleucratique […] serait accordée, toute nationalité confondue, à ceux qui assument de considérer comme, au-dessus de toute forme de sacralité, la liberté de penser, la leur et celle des autres » (Ménissier, 2020).

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1. Impression 4D

« Il y a, à l‟intérieur des institutions de l‟enseignement supérieur et de la recherche, une inévitable compétition pour des ressources matérielles et humaines limitées. Dans cette compétition, chacun tend à mettre son programme en valeur en présentant de simples espérances dans des promesses, voire, comme des résultats, et en jetant la suspicion sur les programmes concurrents » (Sperber, 1996).

L‟histoire des grandes ruptures technologiques montre qu‟au-delà de la découverte de nouveaux procédés, ce sont bien davantage les changements que celles-ci ont induits, par contamination croisée, à la fois dans les modes de production/consommation, les relations de travail, les moyens de transport et de communication, qui ont déterminé ces révolutions (cf. électricité, électronique, internet, GPS, etc.). Toutefois, après 36 ans depuis le premier brevet, l‟innovation liée à la fabrication additive n‟a pas reconfiguré le marché dans sa globalité, mais a changé des règles et des découpages obligeant des industriels à se réinventer (Zerbib et Mamavi, 2020). L‟envie d‟apporter sa petite pierre pour changer le monde nous tenaille tous parce que cela correspond à une valeur ajoutée personnelle, au témoignage d‟une réalisation et c‟est un sens au temps de présence sur Terre.

« Excité par son projet, sa première démarche pratique [celle du bricoleur] est pourtant rétrospective : il doit se retourner vers un ensemble déjà constitué, formé d‟outils et de matériaux ; en faire ou en refaire l‟inventaire ; enfin et surtout engager avec lui une sorte de dialogue, pour répertorier, avant de choisir entre elles, les réponses possibles que l‟ensemble peut offrir au problème qu‟il lui pose. Tous ces objets hétéroclites constituent son trésor, il les interroge pour comprendre ce que chacun d‟eux pourrait « signifier », contribuant ainsi à définir un ensemble à réaliser, mais qui ne différera finalement de l‟ensemble instrumental que par la disposition interne des parties » (Lévi-Strauss, 1990). C‟est, dans une logique de bricolage savant, un peu comme cela que la créativité se développe au quotidien, même si, par ailleurs, des ruptures scientifiques majeures conduisent à des transformations d‟importance (ex. transistor, éclairage électrique, etc.).

Avec l‟impression 4D (comme en 1984 avec la 3D), il s„agit, en principe, d‟ordonnancer de manière originale des acquis stabilisés associant fabrication additive et matériaux adaptatifs. Léonard de Vinci, au XVIe siècle aurait écrit : « Prenez vos leçons dans la nature, c‟est là qu‟est notre futur… » ! Le bio-mimétisme et la bio-inspiration sont une approche consistant à étudier la nature sous toutes ses formes (Bœuf, 2014) et l‟impression 4D peut être considérée comme un domaine qui peut en être issu. L‟écaille de la pomme pin est un modèle exemplaire pour associer une démarche de bio-inspiration à l‟impression 4D. Il s‟agit d‟un actionneur hygro-morphe dont la réponse est déclenchée par une variation d‟humidité et donc de teneur en eau au sein des tissus (Le Duigou, Beaugrand et Castro, 2017 ; Le Duigou et al, 2019 ; Momeni et Ni, 2018). D‟autres idées issues du fonctionnement des pattes du gecko s‟en rapprochent (Wang et Lee, 2017) ou bien du déplacement des animaux comme les serpents grâce à plusieurs modes de reptation (Boyer, Mauny et Porez, 2019), etc.

Dans la mesure où les pièces 4D admettent une complexité géométrique et une fonctionnalité inédites, certaines étapes d‟assemblage peuvent être supprimées, des gains de place peuvent être atteints dans les objets actifs réalisés, tout en réduisant la complexité de l‟amont de la chaîne de valeur puisque les intrants sont essentiellement des poudres, des bobines de fil fusibles ou des fluides. Alors, avec l‟impression 4D, avec des options issues du bio-mimétisme, on dispose d‟une réelle opportunité d‟accomplissement, qui n‟en est qu‟à ces débuts avec un chiffre d‟affaire annuel mondial inférieur à 100 Millions € (à comparer aux 80 Milliards €/an du seul secteur français de la mécanique). Mais, on n‟en est pas encore à la démonstration d‟une rupture technologique, plutôt à un enjeu à éclairer de ce domaine récent qui est encore de « découvrir » à quoi il peut réellement

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servir. En réalisant un bilan, on peut commencer à examiner si l‟impression 4D est effectivement porteuse de ruptures sociétales.

1.1. De la matière à l’objet 4D – La place de l’imprimante

« L‟ordre n‟est qu‟un cas particulier et aléatoire du désordre » (Schiffter, 2019).

« Les modèles embryonnaires sont lacunaires et dysfonctionnels. Ils tendent ainsi à rassurer les acteurs installés, qui continuent de juger leur offre plus pertinente. Or, cela n‟a évidemment qu‟un temps. Lorsque les modèles alternatifs deviennent plus matures et engagent une dynamique de massification, les opérateurs ont beau saisir le danger réel, il est trop tard » (Zerbid et Mamavi, 2020). Alors, dans ce paragraphe, il a paru important d‟essayer de mettre en correspondance promesses scientifiques et exploitations futures par les entreprises du potentiel 4D. Cependant, l‟innovation dans ces dernières intervient dans un processus complexe, cumulatif et culturel associé à l'accumulation de compétences (Dosi, 1988 ; Patel et Pavitt, 1997 ; Pavitt, 2005). Elle diffère considérablement d'un secteur à l'autre en termes de degré d'opportunité technologique et de cumul, de bases de connaissances et de barrières technologiques à l'entrée (Marsili, 2000) avec des hétérogénéités considérables (Dachs et Palcic, 2020). Pour qu‟il y ait disruption, il faut aller au-delà des promesses et des présentations spectaculaires pour attirer les entreprises dans le changement.

1.1.1. Une question de définition

En utilisant une impression 3D, Ge et al (2016) montrent sur la figure 2 comment il est possible de faire évoluer la forme d‟un objet 3D en fonction de la stimulation (thermique) qu‟il reçoit.

Figure 2. L’anisotropie du matériau crée une courbure lors du changement de la température - Des morphologies complexes (ici une fleur) sont générées avec des évolutions dans les formes des objets

Cette figure résulte d‟une utilisation d‟un procédé 3D, de matériaux thermosensibles et d‟une stimulation. Sur cette base, la figure 3 encadre ce que l‟on entend par impression 4D. Elle présente le principe général associé au passage par un procédé classique de fabrication additive : il faut tout d‟abord que l‟on puisse concevoir et construire un objet et dans une deuxième phase être capable de faire évoluer sa forme à partir d‟un stimulus spécifique. Il y a donc dans cette opération couplage matériaux-procédés-fonctionnalité. En dehors des méthodes présentées dans ce document, les technologies de fabrication 3D commencent à se stabiliser (André, 2017) avec leurs avantages et leurs défauts. Pour atteindre un objectif applicatif réel, la mutualisation interdisciplinaire est nécessaire, mais a également ses propres limites.

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Figure 3. Couplage Procédés –Matériaux en impression 4D

Par définition, l‟impression 4D résulte de l‟utilisation d‟un processus de fabrication additive avec un ou plusieurs matériaux, dont au moins un est stimulable. Elle sera appelée Impression 4D homogène dans la suite de ce document. Avec des matériaux homogènes, il est envisagé de jouer sur la forme pour réaliser des actionneurs intégrés (Zolfagharian et al, 2019 ; Momeni et al, 2017) et l‟investir la robotique souple (Zolfagharian, Kaynak et Kouzani, 2020), la fonctionnalité par exemple pour des vêtements ou des changements de couleur pour des applications militaires, etc.

Par exemple, pour compléter le propos, Airbus développerait des fibres de carbone programmables comme économiseurs de carburant et purificateurs d‟air ambiant (Rander, 2020). Pour Garcia (2020), la robotique est limitée par les matériaux « durs » utilisés ; la robotique « douce » devrait résoudre ce problème en utilisant certains matériaux souples stimulables. De même, dans l'industrie textile, l'impression 4D permettrait de fabriquer des vêtements qui s'adaptent à la forme et au mouvement du corps. Par exemple, cité par Garcia (2020), l'armée américaine testerait des vêtements qui peuvent modifier leur couleur selon l'environnement ou réguler la transpiration des personnes en fonction de la température extérieure. Le besoin croissant d'objets souples ou flexibles dans diverses applications, telles que les emballages pliants, les éoliennes adaptables, etc., alimente l'émergence de l'impression 4D, l'impression de différents matériaux qui forment une anisotropie matérielle et qui permettent à l'objet de modifier la structure en se pliant, s'allongeant, se tordant et s'ondulant le long de ses axes (Future Bridge, 2020).

Même s‟il est encore difficile de savoir quels sont les domaines applicatifs essentiels, plusieurs études donnent des indications sur la répartition des activités. Pour Market Analysis Report (2017), en Chine, les efforts principaux concerneraient les applications militaires, l‟espace, l‟aéronautique, l‟automobile, les textiles « intelligents » et la santé. Pour Market Intellica (2019), quatre quarts approximatifs dessinent le paysage de la 4D : l‟espace, l‟aéronautique, l‟automobile et des divers.

REMARQUE : Bio-printing

Le bio-printing est une forme d‟impression 4D dans laquelle les matériaux sont, au moins en partie, constitués de matière vivante. Ce thème qui a sa propre destinée (André, 2020 ; Danzo et André, 2020) ne sera pas abordé dans cet article.

1.1.2. Veille active et démarche entreprise

Il résulte des actions des hommes quelque chose d‟autre que ce qu‟ils ont projeté et atteint, que ce qu‟ils savent et veulent immédiatement. Ils réalisent leurs intérêts, mais il se produit en même temps quelque autre chose qui y est cachée, dont leur conscience ne se rendait pas compte et qui n‟entrait pas dans leurs vues » (Hegel, 2003).

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Une veille peut être catégorisée (Peguiron, 2008 ; Raymond, 2000) en fonction des éléments suivants :

– Domaine d‟application : veille économique, scientifiques, technologique ;

– Objet d‟observation : veille concurrentielle, sectorielle, technologique, client, fournisseur, brevet, produit, image, tendances, etc. ;

– Entreprise qui en a la charge ;

– Moyens utilisés : contacts humains, open source, prospective, web (Angelovska et Mavrikiou, 2013), etc. ;

– Finalité : veille stratégique, tactique ou opérationnelle ;

– Caractéristiques temporelles : veille continue, ponctuelle, anticipative, prospective, conjoncturelle.

La veille créative (Sadok, Benabdallah et Lesca, 2003) se fonde sur l‟observation de signaux faibles, mais passés. Elle a pu, depuis 2013 être menée sur ce sujet par les auteurs, compte tenu du nombre modeste (mais en forte augmentation) d‟informations issues de la littérature grise et des publications scientifiques publiées. La veille prospective (Antoine, 1992), par son travail d‟imagination des opportunités et des menaces possibles pouvant porter à moyen ou long terme sur la légitimité des actions de recherche (Dorow et al, 2015), s‟appuyant sur les acquis fait l‟objet de la présente publication.

Les réflexions associées à cette mise en situation du thème émergent concernant l‟impression 4D permet d‟envisager des éventualités qui, par rapport à la prospective, peuvent être considérées comme décalées, voire transgressives. De la sorte, nous avons essayé d‟imaginer de nouvelles idées sans contrainte, tout en s‟appuyant sur l‟existant (Barbieri-Masini, 2000) sans chercher comme Ju et al (2020) à représenter et à modéliser l'incertitude et à structurer l‟imagination (Grosul et Feist, 2014). En ce sens, de nouveaux processus d‟innovation, en identifiant des verrous et des problèmes non résolus, de besoins en rapport avec des solutions qui leur sont proposés (ou pas), ainsi que des voies d‟exploration possibles, seront proposés. Dans notre approche d‟utilisation des connaissances scientifiques existantes ou en cours pour l‟application, l‟innovation a été considérée comme un processus débouchant sur l‟intégration couronnée de succès d‟une création ou d‟une invention sur un marché ou dans une organisation (Alter, 2000).

1.1.3. Emergence des recherches et bilans économiques

En comparaison avec la technologie « mère », l‟impression 3D (30 milliards €/an), le marché mondial actuel de l‟impression 4D est encore modeste comme l‟attestent les données rassemblées dans le tableau 1. Cependant, il est important de noter que pour les auteurs cités dans ce tableau, les taux de croissance sont sensiblement deux fois plus importants que celui de la fabrication additive « traditionnelle ».

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Marché mondial (Millions US$)

Valeur en Millions US$ (Année)

Taux d’augmentation

annuel (%) Référence

62 (2019) 488 (2025) 42 Mordor Intelligence (2020)

Environ 60 (2019) 540 (2025) 43 Market and Market (2017) 65 (2019) Environ 450 (2025) Environ 40 Market Analysis Report (2019)

52 (2018) 440 (2026) 31 VMR (2019) 420 (2026) PMR (2020) 250 (2028) 26 NKWR (2019) 240 (2028) 28 Market Screener (2019) 420 (2026) Market Watch (2020) 12 (2015) 33 VSR (2019)

40 Research and Market (2016) 35 (2019) 200 (2025) ou 100 2025) 33 ou 20 Future Bridge (2020)

Tableau 1. Estimation des marches de l’impression 4D et son évolution temporelle

A l‟évidence, en dehors d‟un intérêt lié à quelques applications encore très modestes en termes économiques, citées plus haut, on est très loin d‟un succès effectif ; mais avec de tels taux de croissance de 40% comme ceux estimés par des officines citées en référence, on pourrait arriver à 12 milliards €/an dans 10 ans ! Il s‟agit d‟un marché supérieur à celui qu‟avait en 2000 la fabrication additive ! Le regard sur le sujet est donc fondé.

D‟un point de vue scientifique, on dispose de données par les publications évaluées par les pairs issues du site du CNRS. Les résultats quantitatifs bruts font l‟objet de la figure 4 avec, comme seul mot clé utilisé, « 4D printing ». Il y a une corrélation des données avec une évolution exponentielle avec un taux de doublement impressionnant de l‟ordre de 17 mois !

Figure 4. Evolution exponentielle du nombre de publications annuelles sur le thème 4D Printing

1.2. Contraintes et limites de l’impression 4D

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Les auteurs s‟accordent sur l‟association rappelée sur le figure 2 entre une méthode d‟impression 3D, de matériaux adaptatifs et d‟une stimulation pour agir sur la forme et/ou la fonctionnalité des objets créés. Comme on va le montrer ci-après, chaque contributeur au domaine apporte ses propres contraintes conduisant en final à la réalisation de dispositfs dont l‟opérationnalité est questionnée. Il s‟agit ici d‟aider à comprendre la réalité des questions posées et des réponses de la science pour permettre ultérieurement de centrer les débats de fond sur la hiérarchisation des arguments en présence et, autant que faire se peut, les choix les plus pertinents pour valoriser la technologie. L‟aspect scientifique ou technique des observations relève des sciences, de épistémologie et de la conduite des projets, mais également des sciences humaines et sociales, notamment l‟économie et la sociologie.

1.2.1. Matériaux classiques utilisés en impression 4D homogène

« L‟exigence d‟un savoir en transformation, amélioration et croissances continues, n‟a rien d‟utopique » (Chalmers, 1990).

Les matériaux doivent disposer d‟un module d'élasticité faible ou décroissant pour participer à la déformation. Ils font partie des familles suivantes : polymères, colloïdes, mousses, émulsions et matière granulaire. Plusieurs modes de stimulation peuvent être évoqués permettant de produire un objet 3D par fabrication additive et des modifications de forme induite par une stimulation (cf. par exemple, Ryan, Down et Banks, 2020).

REMARQUE : fonctionnalité

S‟il existe de nombreux travaux sur les changements de fonctionnalité, en particulier sur les changements de couleur, ceux-ci pour des raisons de linéarité des réflexions ne sont pas considérés ici (cf. cependant, Piedrahita-Bello et al, 2020). Toutefois, une grande partie des commentaires présentés dans cet article peuvent leur être appliqués.

1.2.1.1. Polymères actifs - Muscles photochimiques

Une approche concerne l‟effet de la lumière sur une structure polymérique (Nakano, 2010 ; Yoshino et al, 2010 ; Yu et al, 2003 ; Kuksenok et Balzs, 2013 ; Khim et al, 2014 ; Yu et al, 2015 ; Khoo et al, 2015; Fang et al, 2017 ; Jin et al, 2018) : l‟irradiation induit des rotations internes dans le matériau, ce qui contribue à changer la géométrie de la zone irradiée conduisant à des déformations qui dépendent du flux reçu ; celles-ci peuvent être réversibles si l‟on dispose de matériaux photochromes (transformation provisoire, réversible). L‟ensemble des processus en dehors de la photo-dégradation est représenté sur la figure 5.

Courbure Torsion Pliage Expansion/contraction or Stimulus Stimulus Stimulus Stimulus

Changement de propriétés chimiques Changement d’état

Stimulus Stimulus

Couleur 1 Cooutleur 2 Solide Liquide

(11)

Parmi les exemples, la déformation importante de polymères contenant des groupes azo-benzène (cf. Mahimwalla et al, 2012) est à noter (cf. figure 6). Ces groupements, par irradiation passent de configurations Trans à Cis selon la longueur d‟onde utilisée (voir également De Simone, Gidoni et Novelli, 2015 ; Rosales et al, 2015 ; Liu et al, 2017 ; Boydston et al, 2018 ; Zhang et al, 2019).

Figure 6. Effet de l’irradiation sur un film de polymère contenant des groupes azo-benzène : (a) avant irradiation ; (b) aussitôt après selon Mahimwalla et al (2013)

La figure 7 aimablement fournie par Qi Ge (extraite de Ge et al, 2016) illustre une transformation réversible d‟un polymère qui se déforme avec la température. D‟autres travaux peuvent répondre à ce principe de transformation (Ercole, Davis et Evans, 2010 ; Cheng et al, 2010 ; Ilic-Slovanovic et al, 2011 ; Petr et al, 2015 ; Zhang et al, 2015 ; Gao et al, 2016 ; Patel et al, 2017).

Figure 7. Déformations d’un film de polymère induites par la lumière

1.2.1.2. Polymères actifs - Effets thermiques sur des polymères

Pour Zhao, Qi et Xie (2015), il est possible de disposer de matériaux polymériques dont la forme peut dépendre soit de la température, soit de transformations photochimiques. Il s‟agit pour ces auteurs de trouver des réactions réversibles affectant l‟espace entre molécules ou macromolécules (cf. figure 8) (voir également Zare et al, 2019 ; Xin et al, 2019 ; Goo, Hong et Park, 2020).

Figure 8. Systèmes réversibles avec changement de volume

Un exemple explicatif est donné sur la figure 9 illustrant le changement de forme (voir également Zhao, Qi et Xie (2015) sur l‟analyse et la description de différents matériaux actifs).

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Figure 9. Principe des déformations réversibles induites thermiquement

Des encres réalisées à base d‟hydrogels sont capables de déformations induites par l‟humidité et par la température (André, 2017). Le Duigou et al (2016) ont utilisé des particules de bois comme charge dans un polymère. Orientées dans le cisaillement d‟extrusion de ce polymère fusible, elles gardent la mémoire de leur orientation en dessous du point de gel du matériau et peuvent voir leur forme évoluer en présence d‟humidité (ou d‟un chauffage). Enfin, d‟un point de vue optimisation Zhang et al (2011) ont ajouté au matériau sensible (hydrogel) à la chaleur et à la lumière, le poly-(N-isopropylacrylamide) (pNIPAM), des charges en nanotubes de carbone qui facilitent le transfert de chaleur dans la masse du matériau et l‟absorption de lumière en surface. Han et al (2012) ont exploité des transformations induites par le pH, etc.

1.2.1.3. Polymères actifs - Effets de gonflement dans des polymères

D‟autres phénomènes physiques peuvent être exploités pour voir changer de forme un objet 3D réalisé dans un matériau sensible à un environnement : pH, présence d‟un solvant, etc. (Bakar et Djaider, 2007 ; Liu et al, 2017, Shiblee et al, 2018). Le gonflement des réseaux de polymères réticulés en présence d‟un solvant est un phénomène bien connu (cf. par exemple Ancla, 2010 ; Bounouira, 2015). Dans ce dernier cas, présenté figure 10, on peut observer des modifications très sensibles de la forme d‟un objet 3D.

Figure 10. Changements de forme en présence d’un solvant

Avec certains solvants, les tronçons de chaîne entre deux points de réticulation se déplient comme dans le cas des chaînes linéaires, mais ce mouvement est limité par l‟existence des ponts. Le phénomène se limite donc à un gonflement, d‟autant plus prononcé que le taux de réticulation est faible.

REMARQUE : hydrogel

Le terme d‟hydrogel définit des matériaux dotés d‟une composante liquide et d‟une composante solide. Ils sont composés de chaines de polymères assemblés via le processus de réticulation et peuvent contiennir des liquides comme de l‟eau. Les hydrogels peuvent être utilisés en fabrication additive et voir leur forme évoluer en présence d‟un solvant.

(13)

Ces quelques lignes illustrent une assez grande richesse de matériaux essentiellement organiques sensibles à un environnement : d‟un stimulus appliqué peut résulter un changement de forme.

1.2.1.4. Polymères électro-actifs

Les polymères électro-actifs, ou EAP, sont des polymères qui présentent un changement de taille ou de forme lorsqu‟ils sont stimulés par un champ électrique. Les applications les plus courantes de ce type de matériaux sont les actionneurs et les capteurs. Une propriété caractéristique typique d‟un EAP est qu‟il subira une grande quantité de déformations tout en maintenant des forces importantes (Bar-Cohen, 2004 ; Lendlein, 2010 ; Hu et al, 2012 ; Hager et al, 2015 ; Lendlein et Gould, 2019 ; Duduta et al, 2019 ; Hisour, 2020)). A la fin des années 90, il a été démontré que certains EAP pouvaient présenter une réduction de taille considérable allant jusqu‟à 380% de la taille initiale, ce qui est beaucoup plus que tout actionneur en céramique. L‟une des applications les plus courantes des EAP est la robotique souple dans le développement de muscles artificiels (Maziz et al, 2017). L‟EAP possédant une caractéristique de transformation réversible, peut avoir plusieurs configurations, mais est généralement divisé en deux classes principales: diélectrique (Du et al, 2015) et ionique. Une difficulté est hélas à noter ; si les caractéristiques de ces matériaux sont remarquables, il n‟existe pas à notre connaissance de fabrication de ces polymères par fabrication additive.

1.2.2. Entre objet 3D et stimulations

« Dans la littérature, [le créatif] est souvent vu comme un observateur curieux, facilement distrait, intuitif, judicieux, maniant l‟humour, alerte, présomptueux, mais il est aussi difficilement gérable, car il a un esprit indépendant et un comportement imprévisible » (Bourcier et Van Andel, 2017).

Avec des d'objets 3D contenant massivement de la matière qui peuvent être activés par différents stimuli (pH, chaleur, lumière, champ électromagnétique, etc. – cf. André, 2020 a), il faut réaliser une pièce en fabrication additive avec des matériaux actifs, suivie d'une stimulation localisée dans l'espace et dans le temps pour faire évoluer la forme 3D d'un objet. Plusieurs méthodes (cf. figure 11) peuvent être retenues en termes de mouvements réversibles avec différents stimuli externes à l'objet 3D (cf. par exemple Ge et Dunn, 2013 ; Sossou et al, 2019 ; 2019 a ; André, 2017) :

– Polymères sensibles à l'humidité, à la chaleur : soit le polymère absorbe de l'eau, soit il en perd, sa densité change avec un éventuel rétrécissement (gonflement/dégonflement). Il existe également des systèmes réversibles sensibles à la chaleur (polymères à mémoire de forme) avec des changements de densité ;

– Les « muscles » photochimiques : l'irradiation induit des rotations internes dans le matériau (exemple classique de l'azo-benzène et de ses dérivés), ce qui contribue à modifier la géométrie de la zone irradiée, entraînant des déformations qui dépendent du flux lumineux reçu ; celles-ci peuvent être réversibles si des matériaux photochromiques sont disponibles (transformation réversible ; bistabilité).. ;

– Avec les systèmes multi-matériaux, il est possible de jouer sur la différence de comportement des matériaux avec une stimulation pour produire des effets de type « bimétal » ou bilame ;

– Avec des matériaux chargés, un champ électromagnétique peut induire une orientation de la charge conduisant à une déformation souhaitée de l'objet 3D ;

(14)

Figure 11. Les différents modes de stimulation selon Ahmed, Musbah et Atiyah (2020) et Zhang, Demir et Gu (2019)

Le tableau 2 issu des considérations présentées dans André (2020 a) et dans Momeni et Ni (2020) rappelle les intérêts et les limitations des procédés 4D massifs homogènes. La connaissance de ces résultats synthétiques présentés dans ce tableau servira ensuite à prendre en considération des aspects prospectifs au §3 concernant les développements scientifiques et technologiques de l‟impression 4D.

Impression 4D Commentaires (cf. André, 2020 a)

Attractivité - Procédé 3D permettant en une seule étape de fabriquer un objet et de disposer ensuite de modes d’actuation plus ou moins homogènes à l’intérieur de l’objet massif

- Utilisation de modes de stimulation externes pour faire évoluer la forme (cf. figure 5) et/ou la fonctionnalité de l’objet

- Grand nombre de modes de stimulation (mécanique, chauffage, humidité, pH, lumière et autres champs électromagnétiques)

- Champ d’application envisagé très vaste (en termes de formes ou de fonctionnalités) - Aspect spectaculaire évident

Limitations - Choix limité de matériaux actifs, à très forts coefficients de déformation, essentiellement des polymères qui doivent être suffisamment élastiques pour permettre la déformation et, par conséquence, à propriétés mécaniques modestes

- Difficulté de localiser la stimulation sur l’objet - Anisotropie de la stimulation

- Taille du dispositif de stimulation relativement à celle de l’objet 4D

- Temps de réponse long suite à une stimulation, incompatible avec des usages industriels (plusieurs minutes)

- Energie de la stimulation susceptible d’endommager l’objet - Anisotropies liées au mode de fabrication par additivité - Tenue dans le temps

- Modélisation des déformations volumiques difficile (Sossou et al, 2019)

Tableau 2. Attractivités et limitations actuelles de l’impression 4D

Soit on se contente d‟un environnement global qui évolue (température, humidité, etc.) et auquel cas, il n‟y a pas de dispositif à implanter, soit on souhaite faire évoluer localement la forme de l‟objet. Dans ce cas, le dispositif de stimulation doit impérativement être en mesure d‟intervenir dans des zones précises de l‟espace. Ce que l‟on montre dans André (2020), c‟est qu‟il est peu réaliste d‟utiliser des modes de chauffage localisés (transfert de chaleur dans l‟objet) ou d‟excitation lumineuse (absorption non aisément localisée sur les zones actives, chauffage lié à des transitions non radiatives, effets d‟ombre, etc.). Ce que l‟on montre donc, c‟est qu‟il est difficilement envisageable d‟utiliser des modes de stimulation tels qu‟envisagés dans les publications pour

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réaliser des dispositifs d‟utilisation industrielle courante. Cette considération introduit bien le paragraphe suivant sur d‟autres limites.

1.3. Limites et contraintes

« C‟est donc une chose toute avérée, que l‟origine des plus grands et des plus durables sociétés, ne vient point d‟une réciproque bienveillance que les hommes se portent, mais d‟une crainte mutuelle qu‟ils ont les uns des autres » (Hobbes, 1993).

Les entreprises devraient faire preuve d‟audace en matière d‟innovation, quitte parfois à essuyer quelques échecs ne mettant pas en cause leur survie. Ce qui a été montré dans André (2017) pour l‟impression 3D, c‟est que le processus conduisant au développement et à l‟introduction d‟une technologie perturbante peut être difficile pour différentes (bonnes) raisons, alors qu‟elles doivent, selon les décisions passées de l‟entreprise, ses activités habituelles, ses ressources accumulées et sa culture, « se moderniser tout en restant ancrées dans la tradition » (Celhay et Cusin, 2011). Entre l‟introduction d‟un procédé valide et sa mise en œuvre industrielle, il faut du temps. Pour l‟impression 3D, il aura fallu plus de 20 ans environ. Il n‟y a aucune raison que cette durée soit très différente pour la 4D, introduite en 2013, pour autant qu‟elle dispose des mêmes types d‟atouts que celle qui a été à son origine. Il est donc important de rappeler, outre les nombreux avantages de la fabrication additive que l‟on retrouve dans de nombreux ouvrages et publications (cf. Berchon, 2020 ; Weller, Kleer et Piller, 2015 ; Frigant, 2020 ; Rafiee et al, 2020), que l‟impression 3D qui est encore en développement (20% environ de croissance annuelle des nombres de publications.) Elle reste une technologie attractive, mais encore fragile.

La figure 12 issue en partie de Kanu et al (2019) met en évidence l‟ensemble des sous-thèmes à maîtriser pour une impression 4D optimisée.

Figure 12. Sous-thèmes concernés en impression 4D à maîtriser

1.3.1. De l’impression 3D à la 4D

« Une forme d‟activité subsiste parmi nous qui, sur le plan technique, permet assez bien de concevoir ce que, sur le plan de la spéculation, peut être une science que nous préférons appeler « première » plutôt que primitive : c‟est celle communément désignée par le terme de bricolage » (Lévi-Strauss, 1990).

« Par essence, la fabrication additive génère de l‟inséparabilité technologique dès lorsqu‟il s‟agit de produire une pièce au sein de l‟imprimante, plutôt que par activités organisées en différents stades successifs » (Frigant, 2020). Comme le domaine 4D exploré ici prend sa source et son devenir par l‟usage de la fabrication additive, il nous a paru utile de rassembler quelques éléments associés à ce domaine relativement stabilisé dans le tableau 3 (avec des ouvertures sur l‟impression 4D).

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Impression 3D Impression 4D Commentaires Cadre général (André,

2017)

Cadre général (Pei et Loh, 2018)

3 devenant 4 degrés de liberté… Personnalisation Personnalisation Frigant, 2020

Utilisation en conditions extrêmes (ex. spatial)

Utilisation en conditions extrêmes (ex. spatial)

Chen et al, 2019 ; Rander, 2020 ; Garcia, 2020 Simplification des

assemblages

Simplification des assemblages Cf. robotique souple (Rafsanjani, Bertoldi et Studart, 2020 ; Jiang et al, 2020)

Débats sur les aspects financiers et écologiques

Débats sur les aspects financiers et écologiques

Cf. André, 2020 Inhomogénéité du

processus de fabrication

Inhomogénéité du processus Notion de fabrication additive avec des anisotropies (André, 2017)

Conception numérique Modélisation et conception plus complexes des déformations et donc de la conception

Kanu et al, 2019

Cyber-sécurité et copies Cyber-sécurité et copies Chan et al, 2018 ; Schwab, 2017 Voxels identiques Voxels identiques Temps perdu dans la fabrication Structures fermées

impossibles à réaliser

Structures fermées impossibles à réaliser

Besoin de fabrication 3D volumique (cf. Zyla et al, 2020 ; Stevenson, 2020)

Peu de machines « multi-matériaux »

Peu de machines « multi-matériaux »

Situation qui peut être critique en 4D pour réaliser des bilames ou des systèmes complexes (cf. figure 13). Des progrès existent (Hirsch, Charlet et Amstad, 2020)

Pas d’orientation des voxels (sauf FDM)

Pas d’orientation des voxels (sauf FDM)

Difficulté en 4D d’exploiter la position spatiale des voxels

Tableau 3. Quelques éléments critiques associés à la fabrication 3D pour la 4D

(A) 1 : Structure segmentée ; 2 : Bilame ; 3 : Sandwich ; 4 : Renforcée fibres ; 5 : Régulière ; 6 : Gradient ; 7 : spécifique ; 8 : Aléatoire

(B)

(C)

Figure 13. Intérêts d’une fabrication multi-matériaux pour l’impression 4D (A) : Approche numérique (cf. Jian, 2020) – (B) : Déformations d’une structure 2D (cf. par exemple Tibbits, 2014) - (C) approche continue

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Comme le montre cette figure, la présence de matériaux à comportements différents pour la même stimulation peut entrainer des déformations spatiales répondant aux critères de la définition de l‟impression 4D. Le développement de machines 3D multi-matériaux dédiées est donc important, voire essentiel, pour celui de la 4D. La modélisation et la simulation avec des voxels pour une distribution donnée lorsque les matériaux actifs sont exposés à un stimulus reste complexe et devra être engagée si l‟on veut rentrer dans des solutions à des problèmes inverses. Pour Kanu et al (2019), il est important de modifier l'approche actuelle de modélisation et de simulation basée sur les voxels (qui n‟en est qu‟à ses tout débuts) pour réaliser de manière efficace des objets 4D, en particulier bio-inspirés (cf. la démarche de Teoh et al, 2017 ; Sossou et al, 2018 ; 2019). La figure 14, issue de cette dernière référence illustre ce que peut apporter une modélisation sur une poutre.

Figure 14. Déformation d’un actionneur à base d’hydrogel

L'impression 4D peut en fait être abordée dans la conception sous différents points de vue, tels que la conception du système, la conception du produit/de la pièce et la conception des matériaux. Dans ce document, le domaine de la connaissance sera limité à la conception de produit/pièce, bien que chaque échelle de conception mérite d'être étudiée. En fait, les artefacts introduits par les questions d'impression 4D peuvent être considérés comme un réseau de contraintes interdépendantes. L'ontologie envisagée (appelée HERMES) développée par Dimassi et al (2020) permettra une aide à la décision multi-vues et une conception assistée par la connaissance en ce qui concerne la conception pour l'impression 4D. À titre d'exemple, les objectifs d'utilisation potentiels peuvent être répartis entre la planification de la séquence de transformation, la sélection intelligente des matériaux, la distribution intelligente des matériaux, la planification des processus de gestion de l'environnement, pour n'en citer que quelques-uns, et nécessiteront des interfaces de programmation d'applications spécifiques liées aux acteurs concernés. En conséquence, ce cadre (illustré à la figure 15) place l'ontologie HERMES comme un silo sémantique central et hermétique où de multiples raisonnements et requêtes basés sur des règles peuvent être effectués par de multiples acteurs (c'est-à-dire l'architecte du produit, le concepteur du produit, l'expert en matériaux, le planificateur de processus) ayant des préoccupations diverses dans le processus de conception. Mais, on l‟aura compris, il ne s‟agit que d‟une étape.

Figure 15. Cadre de construction et d'utilisation s’appuyant sur l'ontologie HERMES (API pour « Application Programming Interface » ou en français « Interface deProgrammation d’Application »)

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REMARQUE : Re-design

En fabrication additive, en profitant du potentiel de la technologie, il est possible de reconcevoir des formes d‟objets pour se rapprocher des fonctionnalités souhaitées (tenue mécanique, transferts de matière et de chaleur améliorés, gains en poids, etc.) (Exemples, Fillingim et al, 2020 ; 4D_Additive, 2020). Ce type d‟opération engagé depuis plusieurs années n‟a pas encore atteint sa phase de routine. Gageons qu‟elle pourra être utilisée comme base de travail pour des logiciels de relation forme - dépôt localisé de matériaux différents - fonctionnalités souhaitées-stimulation. Sinon, on laissera une large part de la destinée 4D à l‟improvisation, ce qui ne relève pas trop du vocabulaire industriel sur ce point !

Pour revenir à la pomme de pin (Le Digou et Castro, 2020), deux phénomènes sont à l‟œuvre : l‟orientation des fibres et une structure de bicouche définissant une architecture particulière d‟une part et le transfert de l‟humidité dans le matériau d‟autre part sont responsables des effets d‟ouverture des lamelles de la pomme de pin. Avec des machines 3D actuelles, seule une partie de ce besoin est couverte.

Par ailleurs, nous avons rappelé les faiblesses liées aux matériaux actifs qui doivent être suffisamment élastiques pour qu‟ils puissent se déformer, avec des modules d‟Young modestes (André, 2020) et des difficultés d‟implantation et/ou de problèmes physiques liés à la stimulation. Et pourtant, comme on le montre ci-après, il existe une remise en cause modeste de ces difficultés dans les publications sur le sujet.

1.3.2. Bilan bibliographique

« L'herbe ne pousse jamais sur la route où tout le monde passe » (Proverbe africain).

« Une discipline scientifique se caractérise ainsi par une autolimitation volontaire par rapport au projet philosophique et donc par une efficacité heuristique et une légitimité épistémologique autre » (Wissmann, 2010).

Une fois installés une discipline, une méthodologie, un procédé, etc., se constituent des groupes d‟acteurs ayant des visions communes (sociétés savantes, réseaux d‟acteurs, etc.). D‟un point de vue historique, l‟exemple de Thomas Edison peut être rappelé, imposant un point de vue sur l‟utilisation du courant continu (Corazza, 2015). Cette situation qui a pu répondre à des besoins sociétaux a été mise à mal difficilement par Tesla, imposant l‟usage du courant alternatif. Mais il a fallu aller au-delà de corporatismes, d‟habitudes et d‟absence de volonté de prendre des risques, ce qui correspond toujours à une démarche difficile surtout si l‟on ne dispose pas de motivations profondes ou de solutions alternatives crédibles…

Au stade de l‟idée, presque rien n‟a été engagé et tout est encore possible en termes de développements. Pour aller un peu plus loin, il va falloir modéliser et/ou réaliser des preuves de concepts qui ont généralement l‟avantage de faire émerger des questions scientifiques, techniques, épistémologiques, etc. Une dynamique inhérente à la recherche (interdisciplinaire ou pas) consiste à se laisser porter par sa curiosité ou à s‟engager sur des demandes spontanées ou stimulées vers des questions nouvelles ou des objets nouveaux, cela d'autant plus qu'en science, l'innovation devrait être un critère majeur de réussite. Avec les modes de gestion de la recherche académique, les conservatismes l‟emportent souvent sur le créatif et la prise de risque…

Les processus d‟innovation incrémentale conduisent cependant parfois vers des objets ou des questionnements qui dépassent ceux définis par les structures cognitives et institutionnelles qui organisent la recherche, c'est-à-dire les disciplines. Alors, l‟innovateur qui est parti d‟une idée, qui l‟a explorée et approfondie peut s‟appuyer sur un certain nombre d'hypothèses, sur les éléments de

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sa perception de la réalité avec une projection vers son possible usage. C‟est à partir de cette étape qu‟il pourra peut-être réaliser une preuve de concept, ce qui peut lui permettre de proposer une ébauche d‟utilisations, si possible mirifiques (convaincre par la promesse)… Si un cahier des charges fonctionnel peut être réalisé, des travaux de recherche et de R&D peuvent permettre, après de nombreux efforts, de traiter de la complication du système pour arriver à un vrai démonstrateur (démarche algorithmique). Mais, comment aller au-delà de l‟idée créatrice, de la disruption associée, de la preuve de concept pour atteindre des applications concrètes situées en dehors de l‟accepté ?

A partir de la lecture des titres (et de nombreux résumés) des différents articles associés aux termes « 4D printing » issus de la base CNRS, il a été possible de réaliser la figure 16. Plusieurs mots clés ont été retenus, correspondant à : 1- matériaux organiques et leurs stimulations ; 2- Matériaux inorganiques et leurs stimulations ; 3- Articles de synthèse ; 4- Modélisations ; 5- Divers ; 6- Applications et 7 : Procédés (dont les origamis 4D).

Figure 16. Thématiques couvertes dans les publications en impression 4D (1 : 63% ; 2 : 2% ; 3 : 16% ; 4 : 2% ; 5 : 3% ; 6 : 7% ; 7 : 7%)

REMARQUE : Les applications traitent (hors bio-printing) de robotique souple, de chaussures 4D, d‟applications en termes de capteurs et de délivrance de médicaments, de construction mécanique et d‟optique.

Ce qui est très important à souligner, c‟est la très grande unité des travaux centrés sur les stimulations de matériaux organiques purs (polymères) et chargés (en particulier avec des nanoparticules et des fibres), ce qui correspond à 63% des activités publiées. Mais si l‟on retire 16% de publications de synthèse (pour un domaine en émergence où le nombre de publications se chiffre en quelques centaines), ce pourcentage devient 79% du total. Et quand on a retiré les documents divers et les applications, ce chiffre est encore plus élevé…

Ce constat conduit à l‟implication prépondérante d‟un domaine scientifique dominant constituant un ensemble de travaux dont l‟applicabilité des résultats reste modeste et qui donc peut poser question (mais qui respecte la définition de l‟impression 4D avec des matériaux adaptatifs avec des machines 3D)… Est-ce dû au fait que le couplage impression 3D – matière programmable ou stimulable ne peut se réaliser que sur ce type d‟exemple ? Ou bien se situe-t-on dans l‟exploitation du vieux principe dit du réverbère ?

Il existe quelques travaux sur des matériaux inorganiques qui se rapprochent en termes de performances mécaniques et de temps de réponse de ce qu‟on peut exiger de la part de systèmes (actionneurs) réalisés par des voies classiques… Or, ceux-ci ne représentent que quelques % du total… Cette voie est-elle à privilégier, ou d‟autres, exploitant d‟autres paradigmes (qui seront discutés plus loin), d‟autres visions (Impression 4D hétérogène par exemple : Jeong et al, 2019 ; Li et al, 2019 ; Zolfagharian, Kaynak et Kouzani, 2020 ; Ding et al, 2017) ou exploitaion des propriétés

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favoriser une réelle créativité qui semble absente par un certain conservatisme et par des habitudes perpétuées ? Au fond, cette direction principale est-elle satisfaisante ?

Encadré 1 : Métaux et impression 4D

Ma et al, 2017 ; Kadic al, 2019 ; Lohmuller et al, 2019 ; Ambrosi, Webster et Pumera, 2020 ; Evans et al, 2020, etc. ont réalisé des impressions 4D de métaux à partir de machines spécialisées. C‟est une des premières démonstrations d‟utilisation de métal avec la publication de Lohmuller et al (2019). Dufaud, Marchal et Corbel, (2002) d‟une part, Khim et al (2014) d‟autre part avaient cependant déjà réalisé des impressions multi-matériaux pour l‟un, avec des nanoparticules piézo-électriques pour le second.

Ces matériaux disposent de propriétés mécaniques satisfaisantes pour les applications, mais leur mise en forme est plus difficile (machines 3D plus coûteuses) et les processus de stimulation sont plus délicats à mettre en œuvre.

Voilà donc une tension qu‟il faudrait guérir. « Nous fabriquons nos représentations dérisoires de ce monde mais toutes les structures que nous pouvons concevoir se situent dans nos représentations » (Hacking, 2001)… L'idée d'un domaine autonome et porteur de futur résiste difficilement à l'examen, mais ne peut s'effacer que devant l'idée non moins aporétique d'une science évanescente et ouverte aux quatre vents… (Utopie réaliste vs dystopie morbide ?).

2. Pour sortir de l’impasse

« La route en lacets qui monte. Belle image du progrès. Mais pourtant elle ne me semble pas bonne. Ce que je vois de faux, en cette image, c‟est cette route tracée d‟avance et qui monte toujours ; cela veut dire que l‟empire des sots et des violents nous pousse encore vers une plus grande perfection, quelles que soient les apparences ; et qu‟en bref l‟humanité marche à son destin par tous moyens, et souvent fouettés et humiliés, mais avançant toujours. Le bon et le méchant, le sage et le fou poussent dans le même sens, qu‟ils le veuillent ou non, qu‟ils le sachent ou non. Je reconnais ici le grand jeu des dieux supérieurs, qui font que tout serve leurs desseins. Mais grand merci. Je n‟aimerais point cette mécanique, si j‟y croyais […]. Pour moi, je ne puis croire à un progrès fatal ; je ne m‟y fierais point » (Alain, 1962).

La fabrication additive est attrayante pour la recherche (en particulier après l'expiration des brevets de base). A l‟évidence existent des problèmes importants d'organisation, d'intégration et d'impact réaliste de cette recherche. Pour Gao et al (2015), la raison principale tient à une recherche fragmentée dans laquelle les mécanismes d'intégration sont absents. Ce chapitre discute de ces éléments, applicables à l‟impression 4D dans les paragraphes qui suivent. Il s‟agit ici d‟imaginer les mécanismes capables d‟engendrer des solutions aux problèmes évoqués au paragraphe précédent. Plusieurs voies sont envisagées, l‟une tirant son orientation sur des aspects scientifiques et technologiques, l‟autre plus organisationnelle associée à des façons possibles de gérer les recherches émergentes.

Une définition complète de l'innovation pourrait être : « processus de traduction d'une idée ou d'une invention en un bien ou un service qui crée de la valeur avec des clients acceptant de la payer ». Pour qu'une idée soit qualifiée d'innovation, elle doit pouvoir être reproduite à un coût économique et répondre à un/des besoin(s) spécifique(s). « L'innovation implique l'application délibérée d'informations, d'imagination et d'initiatives pour tirer des ressources des valeurs plus grandes ou différentes, y compris tous les processus par lesquels de nouvelles idées sont générées et converties en produits utiles » (Mamasioulas, Mourtzis et Chryssolouris, 2020). Une innovation

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technologique disruptive est alors une innovation technologique qui finit par renverser (au moins une partie de) la technologie dominante ou le statuquo sur le marché. Pour l‟instant, avec l‟impression 4D, percée qui repousse des limites de la science et de la technologie pour sa mise en œuvre en fabrication, si la voie peut être au moins partiellement tracée, les clients ne sont pas encore atteints… on n‟en est pas au développement et encore moins à la fabrication (Vielhaber et Stoffels, 2014).

La figure 17 proposée par Mamasioulas, Mourtzis et Chryssolouris (2020) représente une classification des types d'innovation de l'industrie manufacturière. Les domaines où l‟impression 4D a une place sont indiqués par une couleur plus ou moins foncée selon son importance. Comme cette figure l‟illustre, il y a une grande place potentielle pour le développement de cette technologie (qui n‟a pas encore donné tout ce qu‟elle pouvait)…

Figure 17. Classification des innovations en fabrication et place de l’impression 4D (couleurs)

Sur cette figure, on se situe dans la « théorie de la longue traîne » (Anderson, 2008) où l‟on rend accessible des informations peu « marketées » rentrant dans des processus de dé-massification…

REMARQUE : Compétences et maîtrise des technologies de fabrication

L'utilisation d'une pluralité de technologies dans le secteur manufacturier est pratiquement obligatoire. C'est pourquoi le développement d'un nouveau processus comme l‟impression 4D doit s‟intégrer dans un ensemble de technologies disponibles (par exemple, les automates industriels, la mécatronique, les systèmes de fabrication flexibles, l‟impression 3D, l'optoélectronique, etc.). Selon la taille des entreprises concernées et du potentiel humain, il est nécessaire de disposer de compétences couvrant tout le champ des outils disponibles, ce qui peut être difficile à gérer, surtout avec des technologies instables, en cours d‟émergence…

2.1. Aspects scientifiques et technologiques

2.1.1. Domaines scientifiques connexes

La gamme des systèmes déformables est large, sans qu'une voie spécifique soit aujourd'hui privilégiée. Cependant, un certain nombre de problèmes scientifiques et technologiques restent à résoudre, soit à l‟intérieur du concept strict d‟impression 4D, soit en cherchant dans des domaines proches pour examiner si la porosité existante entre domaines technologiques peut permettre d‟envisager des suites plus favorables au développement applicatif promis. Or, dans les domaines de la robotique souple et de l‟actuation se développent depuis plusieurs années des travaux proches de

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Origamis

Cette expression d‟Extrême Orient s‟invite ici parce que l‟on peut donner une forme à trois dimensions à une structure initiale qui est plate sur laquelle on peut imprimer des matières actives (passage de 2D à 4D). Pour des entités de taille au moins centimétrique, il est possible de positionner un actionneur classique à certains plis ; leur rotation permet le mouvement des plans et par suite le déplacement de l‟origami qui peut, par une commande adaptée, devenir un robot-origami (Nisser et al, 2016, Ackerman, 2016).

La figure 18 dont le principe est issu de Ge et al (2014) reprend la même idée avec des systèmes thermomécaniques. Dans leur publication les temps de relaxation sont de l‟ordre de 0.4 seconde. Sur un design adapté, il y a possibilité d‟atteindre des formes plus complexes pour autant que l‟objet puisse se décrire sur un plan avant d‟être plié (Abtan, 2019 ; Zaghloul et Bone, 2020 ; Callens, Tümer et Zadpoor, 2019).

Figure 18. Principe de fonctionnement d’un origami thermomécanique

REMARQUE : Kirigamis (Jian et al, 2019 ; Aharoni et al, 2018)

Il s‟agit d‟une extension en 2D des origamis avec des changements selon des directions privilégiées imposés par une stimulation conduisant par exemple avec des matériaux élastiques au passage d‟une plaque à un cône.

Méta-matériaux

La complexité structurelle des méta-matériaux est en principe illimitée, mais la plupart des conceptions comprennent des architectures périodiques qui conduisent à des matériaux présentant des caractéristiques spatialement homogènes (Coulais et al, 2016). Le flambage, qui était autrefois considéré comme le « summum » de l'échec de conception, a été exploité au cours des dernières années pour développer des méta-matériaux mécaniques aux fonctionnalités avancées permettant de créer des structures tridimensionnelles à propriétés exploitables en impression 4D (Janbaz et al, 2019 ; Cui, Smith et Liu, 2010 ; Cui et al, 2014 ; Buriak et al, 2016 ; Coulais et al, 2016 ; Krödel et al, 2017 ; Jayashankar et al, 2019 ; Hahn et al, 2020). La figure 19 (Novak, Vesenjak et Ren, 2016 ; Ion et al (2016 ; 2018 ; 2018 a) illustre sur ces bases la possibilité de réaliser des structures souples qui peuvent être mises en mouvement en utilisant des actionneurs mécaniques externes ou internes. Ces structures peuvent être réalisées en impression 3D. Ainsi, contrairement à l‟impression 4D homogène, on utilise des structures filaires ou des mousses (et non un matériau en volume) avec des actuations externes (rappelons cependant que les matériaux doivent être suffisamment souples pour envisager la déformation, mais peuvent n‟être que « passifs »).

Figure

Figure 1. Impression 4D
Figure 2. L’anisotropie du matériau crée une courbure lors du changement de la température - Des  morphologies complexes (ici une fleur) sont générées avec des évolutions dans les formes des objets
Figure 3. Couplage Procédés –Matériaux en impression 4D
Tableau 1. Estimation des marches de l’impression 4D et son évolution temporelle
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Références

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