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Article p.46 du Vol.32 n°339 (2013)

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Quels sont les enjeux philoso- phiques, éthiques et prospectifs de la biologie de synthèse ? Pour les dé- terminer, il convient de procéder par étapes et de souligner cinq questions fondamentales.

Premier point, il n’est pas certain que la biologie de synthèse soit aujourd’hui une discipline à part entière. Elle dispose, certes, de réfé- rences fondamentales par rapport à la chimie de synthèse, aux nano- technologies et au génie génétique.

On peut la considérer comme une sorte de super chimie, une super nanotechnologie ou encore, en réfé- rence à l’informatique, à des nou- veaux langages de programmation du vivant, des « bio-progiciels » open source. La biologie de synthèse est donc pluridisciplinaire.

Deuxième point, produire du vivant correspondrait à synthétiser une

« machine vivante ». Deux situations se présentent : soit l’homme pro- duit « artificiellement » la vie, soit il produit une vie « artificielle ». Dans le premier cas, on utilise des pro- cessus biologiques préexistants, domestiqués en quelque sorte, à l’intérieur d’un système limité dans l’espace, une sorte de cellule rudi- mentaire. Dans le second, on réa- liserait une synthèse complète de la vie à partir de produits chimiques indépendants. En fait, produire du vivant par la biologie de synthèse n’appartiendrait à aucun de ces deux cas mais alternativement à l’un ou à l’autre. Il n’y a donc pas pour l’heure de véritable création de vie de novo.

Troisième point, même si l’on par- venait à créer une vie synthétique, une « machine vivante», on se heur-

terait à un problème de fond. Comme l’ont fait remarquer depuis long- temps philosophes et ingénieurs, une machine produit autre chose elle-même et elle est produite par autre chose qu’elle-même. Alors que le vivant est, comme le propose le biologiste et philosophe chilien Francisco Varela, « autopoïétique », c’est-à-dire qu’il participe à un pro- cessus permanent de production de lui-même par lui-même (1). Un pro- cessus très différent de celui d’une machine. Cette situation conduit à un dilemme, souligné par le géné- ticien français Antoine Danchin (2). On pourrait l’énoncer de la manière suivante : soit le système synthétique évolue, et dans ce cas il doit se recon- figurer en détruisant ses propres modules pour accroître leur variété et leur diversité, soit ce système n’évolue pas et vieillit sans descen- dance. Dans ce cas, il doit être reconstruit périodiquement de l’ex- térieur. Une machine « vraiment vivante » devrait échapper aux plans de ses créateurs. En évoluant, elle devrait s’inventer elle-même. Le

« rêve » des biologistes de synthèse est la synthèse d’un système vivant capable d’échapper au programme de ses créateurs. D’où la grande uti- lité de cette approche qui permet de redéfinir la vie et ce que l’on appelle un être vivant.

Quatrième point, la biologie de syn- thèse apparaît encore limitée dans ses approches et ses applications. En effet, la programmation de la bio- logie de synthèse est encore très liée à l’ADN, aux protéines et aux acides aminés. On peut prédire que, dans un avenir proche, la biologie de syn-

thèse s’éloignera de sa démarche traditionnelle. Les biologistes savent aujourd’hui qu’existe non seulement le génome, mais aussi et surtout l’épi- génome, la possibilité de modulation de l’expression des gènes par des fac- teurs cellulaires internes ou par des influences provenant de l’environ- nement. Si les scientifiques espèrent fabriquer une cellule vivante rudi- mentaire par biologie de synthèse, il leur faudra tenir compte non seu- lement du programme, mais aussi de

« l’épiprogramme ».

Cinquième point, la biologie de synthèse pourrait conduire à une vie synthétique encore plus complexe.

Aujourd’hui, elle se concentre sur des microcellules artificielles dans lesquelles on fait entrer des compo- sants empruntés au vivant actuel.

Mais demain, la biologie de synthèse pourrait conduire à la modification et donc à la reprogrammation d’organismes vivants entiers. Il est aujourd’hui possible de cloner, à par- tir d’une cellule, un organisme vivant complet, à savoir une souris dotée de toutes les caractéristiques de l’ani- mal normal. Cette expérience a été réalisée au mois de juillet 2009 par une équipe de chercheurs de l’Université de Pékin (3,4). La rela- tion avec la biologie de synthèse repose sur la possibilité d’introduire dans ces cellules souches pluri- potentes induites un nouveau pro- gramme entièrement fabriqué par l’homme. On pourrait ainsi produire des êtres chimériques, bénéficiant de caractéristiques inconnues dans la nature, ou des colonies d’organismes vivants, fonctionnant comme un organisme entier.

(1) Varela FG et al.(1974) Biosystems5, 187-96

(2)tinyurl.com/bio-synthetique

(3)Zhao XY et al.(2009) Nature461, 86-90

(4)Kang L et al.(2009) Cell Stem Cell 5, 135-8

Et l’homme créa la vie, J. de Rosnay, éditions LLL

l’auteur

Joël De Rosnay Conseiller de la présidente d’Universcience, président exécutif de Biotics International, membre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques et du Global Brain Institute

L’AVENIR DE LA BIOLOGIE DE SYNTHÈSE

46 > BIOFUTUR 339JANVIER 2013

©J.-D.CHOPIN

46_zoom_339 17/12/12 12:47 Page 46

Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur biofutur.revuesonline.com

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