• Aucun résultat trouvé

ET LA CHRISTIANISATION DE LA TRADITION GRECQUE D’INTERPRÉTATION DES RÊVES

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "ET LA CHRISTIANISATION DE LA TRADITION GRECQUE D’INTERPRÉTATION DES RÊVES"

Copied!
18
0
0

Texte intégral

(1)

ET LA CHRISTIANISATION DE LA TRADITION GRECQUE D’INTERPRÉTATION DES RÊVES

Le traité byzantin d’interprétation des rêves qui nous est parvenu sous le pseudo- nyme d’Achmet, fils de Sèreim

1

, est comparable, par son importance et son volume, à l’Oneirocriticon d’Artémidore de Daldis. Les deux ouvrages, que huit siècles séparent, sont les seuls monuments notables qui subsistent de la longue tradition grecque d’interprétation des rêves, en dehors de quelques « clés des songes » : ces brefs manuels alphabétiques, versifiés pour la plupart, fonctionnent comme des dictionnaires, selon un mode d’interprétation relativement mécanique, et, malgré leur apparente diversité, ils s’avèrent répétitifs et très dépendants les uns des autres

2

. L’ouvrage d’Artémidore et celui d’Achmet se détachent donc, dans le paysage de l’interprétation grecque des rêves, par leur organisation, qui se veut systématique, par les milliers de rêves qu’ils rapportent et interprètent, par leur volonté affichée d’être la somme des connaissances en la matière.

Dans les aléas de leur transmission, les deux traités n’ont pas connu le même destin. Artémidore, oublié dans les premiers siècles de l’empire byzantin, était ignoré de l’Occident médiéval, alors qu’il avait été traduit en arabe, avant 873

3

. L’Oneirocriticon d’Achmet, au contraire, semble avoir connu une large diffusion

1. Cf. Achmetis Oneirocriticon (Drexl 1925). L’édition, depuis longtemps épuisée, est désormais accessible par le TLG. Toutes les références renvoient à cette édition (chapitres, pages, lignes). Les traductions en français sont personnelles ; elles proviennent de la traduction annotée de l’ensemble de l’ouvrage, menée par mes soins, qui sera prochainement publiée.

2. De la trentaine de manuels d’onirocritique grecs recensés par Bouché-Leclercq 1879, 277, n. [*], il ne faut sans doute retenir que quatre ou cinq ouvrages alphabétiques. L’approche de ces ouvrages a été profondément renouvelée ces dernières décennies. Giulio Guidorizzi (cf. Guidorizzi 1977 et 1980, 7-26) montre que la plupart des manuscrits qui nous sont parvenus sous des pseudonymes différents sont, en fait, des rédactions secondaires et des adaptations d’un canevas, qui serait l’Oneirocriticon attribué au prophète Daniel. Voir aussi Oberhelman 1980 et Brackertz 1993.

3. C’est le célèbre Hunayn b. Ishāq qui a traduit l’ouvrage. Cette traduction arabe a été éditée en 1964

par T. Fahd. Cf. aussi Fahd 1966.

(2)

chez les Byzantins comme en Occident : il a été traduit en latin dès le XII

e

 siècle

4

, puis en langues vernaculaires, et abondamment copié au Moyen Âge et à la Renais- sance. Curieusement, la situation s’est ensuite renversée : Artémidore, traduit pour la première fois en latin en 1539, est sorti de l’ombre à l’époque moderne

5

. Freud le considérait comme « la plus haute autorité en matière d’interprétation des songes » et il lui a consacré plusieurs pages de sa Traumdeutung

6

. L’œuvre est bien connue, elle a été étudiée par des hellénistes, historiens, psychanalystes et philosophes de renom.

En revanche, le traité d’Achmet, pourtant édité en 1603, a quasiment sombré dans l’oubli et n’a été étudié que par quelques spécialistes

7

. Pourtant, il mériterait d’être mieux connu : c’est une œuvre singulière, qui, dans la perspective encyclopédique bien caractéristique du X

e

 siècle, se donne comme une somme des connaissances acquises dans la science des rêves. De fait, il apparaît comme la synthèse de la tradition grecque, désormais christianisée en profondeur, et des apports de l’oni- rocritique musulmane.

Identité de l’auteur et datation de l’Oneirocriticon

L’identité des interprètes de rêves est mal connue : les ouvrages d’onirocritique qui nous sont parvenus ont presque toujours donné lieu à des attributions fantaisistes.

C’est une caractéristique du genre : tous les manuels d’interprétation d’époque byzantine circulaient sous un nom fictif, qui conférait sans doute une autorité plus

4. Il a même donné lieu alors à deux traductions : celle de Leo Tuscus, faite en 1176 à Constantinople et utilisée par F. Drexl dans son édition d’Achmet, n’est, en fait, pas la première. Une partie de l’ouvrage avait été traduite, dès 1165, par un certain Pascalis Romanus, pour figurer dans son Liber Thesauri Occulti (cf. Collin-Roset 1963). Ce traducteur, qui semble bien souvent plus habile que son successeur, intègre de larges extraits d’Artémidore et d’Achmet, dans une compilation où il ne cite pas ses sources. L’ouvrage, inachevé, a été complété ensuite avec la traduction de Leo Tuscus. La première traduction intégrale reste donc celle de Leo Tuscus, qui a dû connaître une grande faveur puisqu’elle est transmise par de nombreux manuscrits. C’est par son intermédiaire qu’Achmet a été connu, traduit et diffusé en Occident.

5. Il a fait l’objet de deux éditions critiques, en 1864 (cf. Hercher 1864) et en 1963 (cf. Pack 1963) ; il a été traduit en français en 1975 par A.-J. Festugière, puis en 1998 par J.-Y. Boriaud. Une équipe de l’Université Paul Valéry à Montpellier travaille actuellement à une nouvelle traduction. Les références à Artémidore seront données d’après l’édition Pack 1963 et la traduction d’A.-J. Festugière.

6. Freud mentionne aussi Achmet, en note, dans le chapitre I de la Traumdeutung (Freud 2003, 29, note j), mais sans jamais le citer : il n’est donc pas sûr qu’il ait eu connaissance de l’ouvrage.

7. Depuis la première édition due à N. Rigault (cf. Rigault 1603), les érudits se sont sporadiquement

intéressés à ce texte, qui a enfin fait l’objet d’une édition critique en 1925 (cf. Drexl 1925). Dans les

dernières décennies, l’Oneirocriticon a été traduit en allemand (cf. Brackertz 1986) et en américain

(cf. Oberhelman 1991). Gilbert Dagron a abordé la question de l’origine du traité et en a analysé

certains aspects à diverses reprises (cf. Dagron 1985, repris et remanié dans Dagron 2007, 228-230,

et Dagron 1991). Les liens d’Achmet avec l’onirocritique arabe ont été explorés par Mavroudi 2002.

(3)

grande aux interprétations proposées

8

. Artémidore de Daldis fait exception, puisque son nom n’est pas un pseudonyme ; mais on sait peu de choses de lui, sinon qu’il a vécu au II

siècle de notre ère, en Asie Mineure. De l’auteur de l’Oneirocriticon attribué à Achmet, de la date de rédaction de l’ouvrage, on ne sait rien, et il faut se résigner à l’incertitude, puisque le texte lui-même ne nous apporte pas d’élément décisif.

La datation de l’ouvrage est approximative, mais elle a pu être précisée depuis l’édition de Drexl. La fourchette qu’il proposait était très large : de 833, date de la mort du calife Mamoun, à 1176, date de la première traduction latine par Leo Tuscus.

Depuis, quelques éléments nouveaux sont intervenus, qui permettent d’affiner cette datation : l’ouvrage était déjà bien connu au XI

e

 siècle, ce qui suppose qu’il a été rédigé au IX

e

ou X

siècle

9

. Le X

siècle paraît la date la plus probable.

Sous la dynastie macédonienne, l’intérêt pour les rêves et leur interprétation s’affiche ouvertement

10

. On en trouve des échos dans les milieux proches de la cour

11

. Pour affiner la datation, les récits de rêves qui semblent faire allusion à des événements historiques ne peuvent être considérés comme un critère fiable : il faut les prendre avec prudence, car les rêves rapportés dans les manuels d’interprétation se donnent comme des rêves typiques et restent donc intemporels

12

. En revanche, le vocabulaire employé dans les récits est un critère plus pertinent : un certain nombre de mots rares, utilisés dans l’Oneirocriticon, se retrouvent dans des œuvres du X

e

 siècle, notamment chez Constantin VII Porphyrogénète. Ainsi, dans le De

8. Le plus souvent, les manuels sont attribués à des autorités en matière religieuse, voire politique : ainsi, à côté du mage perse Astrampsychos, on trouve les signatures fantaisistes du prophète Daniel, des patriarches iconodoules Nicéphore et Germain, de l’empereur Manuel II Paléologue. Certains manuscrits mentionnent même Athanase d’Alexandrie ou Grégoire de Nazianze.

9. Un abrégé d’Achmet figure dans un manuscrit du XI

e

 siècle, qui contient trois Oneirocritica. Ce manuscrit a été décrit par Rochefort 1950, 11-12, puis analysé par Gigli 1978. En outre, deux notes marginales provenant d’Achmet ont été identifiées dans un manuscrit d’Artémidore du XI

e

 siècle par son dernier éditeur (cf. Pack 1963, VII). Enfin, le nom de Sirim est mentionné à la même époque dans un florilège qui reproduit un bref passage du chapitre 2 (cf. Sargologos 1990, 833-839).

10. On sait que Léon VI, qui s’intéressait à l’oniromancie, a modifié la législation sur la divination et que Constantin VII estimait que les empereurs en campagne devaient emporter avec eux un manuel d’interprétation des rêves.

11. Par exemple, chez Théodore Daphnopatès (cf. Darrouzès & Westerink 1978, 155-169). Une approche similaire du rêve et de la démarche d’interprétation est à l’œuvre dans la lettre adressée par ce haut fonctionnaire impérial, éparque de la ville, à l’empereur Romain II (959-963). L’empereur, qui a fait un songe obscur (lettre 15), le soumet à la sagacité de l’éparque. Dans sa réponse, Théodore propose une interprétation de ce rêve (lettre 16) : les convergences avec Achmet sont multiples, autant dans les considérations générales sur l’origine divine des songes que dans l’analyse des symboles oniriques.

12. Les rêves concernant l’empereur ou l’Augusta sont nombreux, mais il serait hasardeux d’affirmer que

les rêves de conspiration ou d’usurpation (ch. 11 ; 13 ; 45) renvoient à des événements contemporains

précis.

(4)

ceremoniis, on trouve, à plusieurs reprises, les mêmes termes que chez Achmet, pour désigner, par exemple, les bijoux ou les vêtements. La même attention est portée par les deux compilateurs aux représentations symboliques du pouvoir : Achmet accorde une large place aux rêves de couronnes, de diadèmes, de pierres et de perles – autant d’éléments qui mettent l’accent sur la valeur rituelle de la pompe impériale – comme dans l’ouvrage attribué à l’empereur. Enfin, par sa volonté de regrouper systématiquement et de mettre en forme des traditions diverses, l’Oneirocriticon semble bien relever de ce goût de la compilation si caractéristique des règnes de Léon VI et Constantin VII.

Ainsi, la forme même du traité, avec sa prétention encyclopédique, l’importance accordée au cérémonial de la cour impériale, la présence de tournures et traits de langue que l’on peut retrouver dans diverses sources contemporaines, conduisent à penser que l’œuvre a été composée vers le milieu du X

e

 siècle, pour les Grands de l’empire, peut-être par un grand dignitaire, tout au moins par quelqu’un qui connaissait bien la langue de ceux qui gravitaient autour de l’empereur.

Quel est donc ce mystérieux compilateur, qui se présente comme un simple traducteur ? On ne peut avancer que des hypothèses. La seule certitude est que le nom d’Achmet, fils de Sèreim, onirocrite du calife Mamoûn, est un pseudonyme : il est la transcription grecque du nom du père fondateur de l’onirocritique musul- mane, Mohammed Ibn Sîrîn. Cet érudit, ascète et lettré bien connu

13

, est mort en 728 et n’a donc pu être l’onirocrite du calife Mamoun, qui a régné un siècle plus tard (813-833). Bien qu’Ibn Sîrîn n’ait rien écrit, puisqu’on ne connaît de lui que trois interprétations rapportées par ses successeurs, il est considéré dès le IX

siècle comme le fondateur de la science des rêves qui s’élabore dans le monde musulman, et on lui attribue dès lors divers ouvrages, dont un livre d’interprétation des rêves

14

. Il n’est donc pas surprenant, vu l’engouement des Byzantins pour les sciences divinatoires arabes, que ce nom ait été choisi par le rédacteur, en dépit des invraisemblances chronologiques. Le prestige des devins, onirocrites et astrologues arabes dans la capitale de l’empire suffirait à expliquer cette fiction

15

. En outre, dans le monde musulman, les onirocrites étaient honorés et vivaient dans l’entourage des Grands.

Ils avaient une réputation de sérieux et de compétence qui faisait d’eux une bonne garantie. Dès lors, on comprend que l’auteur ait pu choisir un nom qui, à défaut de lui procurer une notoriété personnelle, assurait le succès de son ouvrage dans les milieux de la cour, auprès des Grands, à qui l’ouvrage était probablement destiné.

13. Il est constamment cité dans les ouvrages de ses successeurs à partir du IX

siècle et figure dans le catalogue de la bibliothèque de Bagdad au X

e

 siècle (cf. Dodge 1970).

14. Cf. Fahd 1966, 312 et 355 sq.

15. Cf. Dagron 1985, 49 sq. : au XI

e

 siècle, Michel Psellos se plaint de voir la capitale envahie par des

charlatans, d’autant plus en vogue qu’ils ne sont pas grecs.

(5)

Néanmoins, il n’est pas sûr que l’Oneirocriticon ait circulé dès le départ sous le nom d’Achmet : ce nom ne figure pas dans tous les manuscrits

16

, et il est concurrencé par l’attribution à l’astrologue arabe du IX

e

 siècle Abû Ma’sar al-Falakî, connu en Occident sous le nom d’Albumasar ou Apomasar

17

. Il est probable qu’il s’agissait, à l’origine, d’un ouvrage anonyme que l’on aurait essayé d’attribuer. Si le nom d’Achmet finit par s’imposer, c’est sans doute parce que le rédacteur du traité, quand il prend la parole dans le prologue, parle à la première personne : il reste dans l’anonymat, mais l’ouvrage est émaillé de récits de consultations qui mettent en scène l’onirocrite Ibn Sîrîn. Dans l’une d’elles, au chapitre 19, le récit est fait à la première personne. L’auteur, qui parle à la première personne dans le prologue, peut être aisément identifié au « je » de la consultation, et de ce fait, il ne serait pas étonnant que certains copistes aient attribué ce traité anonyme à l’interprète musulman qui intervenait nommément dans le corps de l’ouvrage.

Qu’on suppose le nom d’Achmet, fils de Sèreim, onirocrite du calife Mamoun

18

, apposé par les copistes ou donné par le rédacteur lui-même, ce pseudonyme inscrit d’entrée de jeu l’ouvrage dans la tradition musulmane d’interprétation des rêves, si bien qu’il a souvent été considéré comme la traduction grecque d’un ouvrage arabe, adapté au monde chrétien

19

. Pourtant, les nombreuses références scriptu- raires et allusions à des dogmes et rituels chrétiens laissent penser que l’auteur de l’ouvrage est bien un Grec chrétien

20

, sans doute bilingue, comme beaucoup de ses

16. Il faut noter que la plupart d’entre eux sont acéphales, ce qui a non seulement contribué à rendre douteuse l’attribution de l’ouvrage, mais a posé aussi la question de l’authenticité du prologue, qui se trouve dans la traduction latine de Leo Tuscus, mais est absent de la plupart des manuscrits grecs. Le premier éditeur, Nicolas Rigault, l’attribuait au traducteur latin. C’est seulement en 1855 qu’il a été authentifié et édité par R. Hercher (cf. Hercher 1855).

17. C’est ce nom qui est retenu à la Renaissance par le deuxième traducteur latin, Johannes Leunclavius (Johann Löwenklau), dont la traduction est publiée en 1577, sous le titre Apomasaris apotelesmata, sive de significatis et eventis insomniorum ex Indorum, Persarum, Ægyptiorumque disciplina…

liber (cf. Leunclavius 1577). Les traductions française (D.-du-Val 1581) et allemande (1607) qui en découlent conservent cette attribution. C’est en fait Nicolas Rigault, son premier éditeur, qui, en 1603, attribue l’ouvrage à Achmet, tout en précisant dans son adresse au lecteur qu’il ne sait pas grand-chose de lui (« paucula quaedam hic de Achmete dicere habemus »). Il reproduit néanmoins, avec quelques amendements, la traduction de Leunclavius face au texte grec.

18. Le nom de Sirim figure, avec des variations graphiques, dans dix des douze manuscrits qui portent un nom.

19. Les érudits du XVII

e

au XIX

e

 siècle étaient partagés sur la question. Le contenu de ces discussions jusqu’à la fin du XIX

e

 siècle est récapitulé par Ruelle 1894.

20. C’est ce qu’avançait déjà Franz Drexl, dans l’introduction de son édition (cf. Drexl 1925, VI-VII).

La question a été reprise plus récemment par Maria Mavroudi, qui s’est attachée à la comparaison

entre l’Oneirocriticon d’Achmet et un certain nombre de traités arabes. Cette analyse lui permet de

confirmer l’importance des emprunts – notamment dans l’organisation de l’ouvrage –, les principes

théoriques et un certain nombre d’interprétations. Elle en conclut qu’il s’agit d’une traduction

(6)

contemporains, notamment ceux qui s’intéressaient au développement des sciences arabes

21

. Il réunit ainsi les éléments divers mais souvent convergents d’une culture en plein renouvellement, sans se soucier de rendre crédibles les diverses fictions dont il use pour les présenter à ses lecteurs. Bien plus, le rédacteur semble avoir pris plaisir à brouiller les pistes, dans la présentation et l’organisation de son ouvrage.

Une savante mise en scène : quatre onirocrites au service de leur maître Une des singularités de l’ouvrage est sa présentation à quatre voix, inhabituelle dans les traités d’onirocritique, qu’ils soient grecs ou arabes

22

: le traité ne se donne pas comme la synthèse, mais comme la somme de tout le savoir accumulé dans l’antique pratique de l’interprétation des rêves par les peuples les plus réputés en la matière, indiens, perses et égyptiens.

La volonté affichée de rassembler toutes les connaissances acquises au fil des siècles n’est pas nouvelle : Artémidore affirmait déjà, dans sa préface, avoir lu tous les ouvrages de ses prédécesseurs et avoir fréquenté, pendant de longues années, les onirocrites « en Grèce, aux villes et aux panégyries, et en Asie, et en Italie, et dans les plus importantes et populeuses des villes »

23

. La prétention des deux onirocrites est commune : l’expert en interprétation, quand il rédige son ouvrage, se doit de transmettre un savoir ancestral dont la validité est confirmée par les expériences accumulées, par la réalisation effective des issues pronostiquées. L’onirocritique, même quand elle est fondée sur des principes théoriques et une classification des visions oniriques, reste une science empirique. Cependant, Artémidore part de l’expérience pour généraliser, opérer des classifications complexes entre les différentes catégories de rêves, avant d’annoncer une organisation qu’il veut méthodique

24

. Achmet, lui, ne se propose pas de faire le point des connaissances acquises, mais seulement de transmettre les traditions les plus réputées – dont les Grecs sont curieusement absents. L’onirocrite ne propose pas un ouvrage raisonné, mais une

adaptée, souvent maladroitement, au monde chrétien (cf. Mavroudi 2002, 236). Pourtant, la présence d’un fonds provenant d’Artémidore et de la tradition grecque postérieure semble exclure l’hypothèse d’une simple adaptation. C’est à cette conclusion que se tient Gilbert Dagron, dans la version révisée de son article de 1985 (cf. Dagron 2007, 228 sq.).

21. Cf. Dagron 1994, 234-238.

22. En revanche, d’après le catalogue de la bibliothèque de Bagdad (cf. Dodge 1970, 732-735), divers ouvrages étaient attribués aux Perses, Indiens, Grecs et Arabes. Un traité de l’astrologue du IX

e

 siècle Abû Ma’sar al-Falakî s’appuyait sur des sources indiennes, perses et égyptiennes, ce qui explique peut-être qu’on lui ait attribué l’Oneirocriticon.

23. Dédicace, Festugière 1975, 16 ; Pack 1963, 2 (lignes 17-20).

24. I, 3. Tentative impossible, puisqu’il lui faut, dans les deux derniers livres, revenir sur la question

et intégrer des récits de rêves et des interprétations qui sont restés en dehors de la classification

initiale.

(7)

compilation : quatre voix se font donc entendre au début de l’ouvrage, celles de quatre spécialistes en la matière

25

.

La première voix est celle du rédacteur anonyme qui annonce que l’ouvrage a été écrit pour répondre au désir de son maître (δεσπότης), lui aussi anonyme.

Comme Artémidore, l’interprète insiste sur l’ampleur de la tâche accomplie. Les premiers mots sont révélateurs : « J’ai beaucoup peiné… ». On reconnaît le topos, déjà à l’œuvre chez Artémidore, mais avec une nuance : il s’agit ici de rechercher non la vérité, mais l’exactitude, l’acribie – le terme ἀκρίβεια est répété trois fois dans les cinq premières lignes de l’ouvrage. Cette exigence de rigueur et d’efficacité consiste à rassembler la tradition. Le rédacteur s’est donc efforcé de rechercher, collectionner les meilleures interprétations des Indiens, Perses et Égyptiens et d’en proposer un florilège ordonné : « Cueillant chez chacun d’eux, chapitre par chapitre (ἐκλεξάμενος κεφαλαιωδῶς), j’ai exposé les explications et solutions des trois, dans chaque chapitre » (1 [p. 1,8-10]). Après avoir loué « la douceur, la profondeur, le charme et le pouvoir de la présente sagesse, qui permet de connaître par avance la réalisation de l’avenir », le compilateur laisse la parole à ceux « qui, examinant avec exactitude et subtilité la vérité, ont exposé et consigné par écrit la présente interprétation » (1 [p. 1, 4-6]).

La modestie de ce compilateur anonyme est étonnante, et on comprend que ce prologue ait suscité bien des interrogations. Mais, à peine l’exigence d’exactitude est-elle posée que, dès le deuxième chapitre, la confusion s’installe, et la fiction qui vient d’être mise en place s’écroule.

Quand Syrbacham, l’onirocrite du roi des Indiens, puis Baram, l’onirocrite du roi des Perses Saanisan, enfin Tarphan, l’onirocrite de Pharaon, prennent la parole dans les trois premiers chapitres, le travestissement devient évident. Les noms des interprètes, d’abord, sèment le doute : ils sont, d’évidence, fictifs

26

. Chacun des interprètes fait l’éloge de la science des rêves et affirme son dévouement à son maître. On resterait dans le lieu commun, si le texte ne basculait pas dès que la signature de l’onirocrite indien est apposée : la fiction brahmanique est immédia- tement abandonnée et, en quelques lignes, le lecteur passe de l’univers indien à

25. Cette mise en scène est illustrée par un manuscrit de Bologne (cod. Bol. B.U. gr. 3632, fol. 443 v

o

), qui donne à voir les quatre interprètes, distingués par leurs coiffes différentes et la mention de leur nom. Un personnage anonyme est également figuré, en arrière-plan – sans doute le commanditaire de l’ouvrage.

26. Le nom de Syrbacham semble provenir de l’ancien sanscrit, par l’intermédiaire du moyen-indien ;

il désignerait le Révérend Brahmane (cf. Dagron 1994, 237, n. 112). Le nom de Baram pourrait

être une transcription de Bahman, l’auxiliaire d’Ahura-Mazda au moment du jugement dans le

zoroastrisme, ou bien une référence au célèbre mage Balaam, d’autant qu’il y a un certain nombre

de points communs entre l’onirocrite perse et le mage mésopotamien. Le nom de Tarphan reste

obscur.

(8)

des références vétérotestamentaires, avec le prophète Daniel

27

, à des mentions ou citations des Évangiles

28

, et à l’invocation de la Trinité « sans principe et insépa- rable » (2 [p. 2,23]). L’origine divine du rêve est démontrée par une succession de références scripturaires, lesquelles permettent d’affirmer que le rêve est pour tous

« un avertissement divin ». Bien plus, c’est l’interprétation elle-même qui est garantie par l’intervention divine : « L’onirocrite doit être quelqu’un de perspicace et érudit, éprouvant sans cesse la crainte de Dieu. C’est grâce à cela surtout que l’analyse est sûre, car elle est dispensée par la grâce de Dieu » (2 [p. 2,18-19]). Le patronage de Daniel, la garantie divine suffisent à valider l’art de l’onirocrite. Compétence et habileté sont néanmoins requises, et Syrbacham mentionne les distinctions subtiles que doit savoir faire l’interprète. Mais il le fait très rapidement (2 [p. 2,10-15]) et se contente de signaler, en s’inscrivant dans le prolongement d’Artémidore et en se démarquant des clés des songes alphabétiques, qu’il n’y a pas d’interprétation mécanique d’un même symbole onirique, qu’il faut tenir compte de la condition du rêveur et du moment du rêve. Ce qui aurait pu être l’exposé théorique attendu au début de l’ouvrage est ainsi confié non au rédacteur, mais à l’onirocrite indien et est très vite abandonné

29

.

L’auteur a donc glissé du monde indien à l’univers chrétien en quelques lignes.

Sa désinvolture est telle qu’il ne se soucie aucunement de convaincre que l’autorité indienne est authentique. Non seulement ce chapitre, mais aussi les deux suivants apparaissent comme un jeu dont nul lecteur ne peut être dupe. Les interventions des onirocrites perse et égyptien restent d’ailleurs bien conventionnelles. Baram se pose en rival des mages perses et critique l’astrologie, qu’il a lui-même pratiquée, pour faire l’éloge de l’onirocritique : recommandant « l’amour des seigneurs des astres » (3 [p. 3,10]), il ne remet pas en cause la validité de l’astrologie, mais affirme, de façon très pragmatique, la supériorité de l’onirocritique, moins sujette à contes- tation que l’art des astrologues. La présentation que fait Tarphan de l’onirocritique

27. Il faut rappeler que le plus ancien des ouvrages alphabétiques connus lui était depuis longtemps attribué.

28. Mt 1, 20 et Jn 14, 23 : « … comme il est écrit quelque part dans les saints Évangiles “auprès de celui qui m’aime, nous viendrons, mon père et moi, et chez lui, nous ferons notre demeure” » (2 [p. 2,2-3]).

Cette citation de Jean, approximative et sortie de son contexte, permet d’affirmer la présence divine dans le rêve : l’accès à la vision prophétique est dès lors donné à tous les hommes et non à quelques élus (2 [p. 2,1]).

29. Les considérations théoriques sont reprises et développées au dernier chapitre (301 [p. 240,6-

241,25]). Il faut néanmoins signaler que quatre manuscrits les donnent en tête de l’ouvrage : il

s’agit sans doute d’une modification tardive, car ce chapitre a les apparences d’une conclusion, ce

que souligne la formule répétée à deux reprises « comme il a déjà été dit » (p. 240,8 et 240,16). Sans

doute les copistes cherchaient-ils à assurer la continuité avec les principes ébauchés par Syrbacham

(2 [p. 2,10-16]) qui ne sont développés qu’à la fin. Ils retrouvaient ainsi un schéma plus classique,

celui d’Artémidore et de la plupart des onirocritiques arabes.

(9)

égyptienne est encore moins individualisée : comme dans le prologue et les deux chapitres précédents, l’interprète insiste sur le lien de dépendance qui l’unit à son maître, Pharaon : sa science s’est élaborée pour répondre à l’impérieuse attente de son maître. Sans en expliquer les raisons, l’onirocrite se contente de vanter sa perspicacité et ses compétences. Il insiste cependant sur l’antiquité de la science de l’interprétation, et conclut : « Tout ce qu’il est donné aux hommes de contempler, je l’expose et l’interprète » (3 [p. 3,23-24]).

Le prologue et les trois chapitres introductifs sont donc des variations sur deux thèmes. Le rêve, garanti par la divinité, quelle qu’elle soit, est porteur de sens.

L’amour de la divinité et la perspicacité sont nécessaires à l’interprète, mais ne sont pas suffisants, et l’insistance sur les recherches accomplies est commune aux quatre onirocrites. Ainsi, l’enquête préalable et systématique auprès des divers dépositaires de la science des rêves qu’avait annoncée le prologue semble très vite suspecte, et la suite du traité ne dément pas l’impression initiale.

La confusion des voix

Dans tout l’ouvrage, on trouve bien peu d’interprétations susceptibles d’être attri- buées précisément à une des trois sources convoquées. S’agissant des Indiens, les convergences avec les traditions d’interprétation sont peu nombreuses et portent essentiellement sur des rêves typiques de sang, poils, urine (103 [p. 61,2] ; 43 [p. 28,1] ; 45 [p. 29,4]), qui figurent dans la plupart des traditions

30

. En outre, mis à part un chapitre consacré aux éléphants, où apparaît une référence explicite à l’Inde (269 [p. 221,6]), on ne trouve pas de réalité typiquement indienne. Il en est pratiquement de même pour les Perses. En dehors de quelques allusions aux cultes zoroastriens, il y a peu de références précises à un monde que les Grecs connaissaient pourtant mieux : c’est seulement dans les rêves de vêtements qu’on voit surgir un détail caractéristique, les chemises à manches perses (227 [p. 179,3]). Pour les Égyptiens, excepté la mention de Pharaon, on ne trouve que deux allusions précises à des réalités spécifiques : une interprétation de l’eau du Nil (196 [p. 152,16-26]), associée, sans grande surprise, à la puissance et à la richesse, et, quelques lignes plus loin (196 [p. 153,1]), le rêve qui donne à voir une mystérieuse « aiguière de Cléopâtre », présageant une richesse acquise grâce à une femme. Bref, il n’y a là rien de bien caractéristique, et la distinction entre les trois sources semble très artificielle. Seules quelques touches d’exotisme tentent de sauver la fiction.

L’organisation du traité introduit le même doute : alors que le prologue laissait entendre que les trois sources seraient présentées successivement, les distinctions

30. Cf. Esnoul 1959, 209 sq.

(10)

annoncées s’estompent très vite. Les Indiens sont nettement dominants, dès le départ, sur les questions religieuses : cinq chapitres (8 à 12) leur sont attribués sans interruption. À partir du chapitre 29, les interprétations perses et égyptiennes sont regroupées, données « d’une même voix » (ὁμοίως, ὁμοφώνως), et il n’y a plus que deux chapitres pour chaque sujet. Bien souvent ensuite, ce sont les trois sources qui se mêlent, même sur des sujets où l’on aurait pu attendre des distinctions, comme les vêtements (ch. 219), la monnaie, les parures (ch. 255 et 256), les animaux (ch. 288-300).

Des contaminations entre les trois sources apparaissent peu à peu. Au départ, les interprétations des questions religieuses qui ouvrent l’ouvrage sont clairement différenciées. L’interprète indien, qui, on l’a vu, est le porte-parole des chrétiens, donne une image précise des dogmes et pratiques du christianisme. Les chapitres perses mentionnent certains rituels du zoroastrisme, tels le culte des astres, la prosternation devant le feu. Toutefois, le chapitre 132, qui est commun aux Indiens et aux Perses, évoque des rituels d’ensevelissement prohibés par la religion perse, ce qui rend suspect l’ensemble des interprétations des rêves de mort. Quant à la religion égyptienne, elle est à peine esquissée dans le chapitre 14. L’Oneirocriticon nous donne donc une représentation très approximative de tout ce qui n’est pas chrétien.

On pourrait multiplier les exemples sur la plupart des sujets qui devraient donner lieu à des divergences notables : la sexualité, les édifices, les modes d’alimentation.

D’évidence, le rédacteur présente comme provenant des Indiens, Perses et Égyptiens un matériau composite, qui semble puisé pour l’essentiel aux traditions grecque et arabe : les sources mentionnées s’avèrent fictives, tandis que les sources réelles ne sont pas mentionnées.

Pourquoi cette fiction ? La touche d’exotisme apportée par les références approximatives à d’antiques traditions vise peut-être à donner plus d’autorité aux interprétations proposées, comme semblent le faire les attributions fantaisistes des manuels d’onirocritique. La construction est pourtant tellement artificielle qu’on comprend mal qui pourrait se laisser prendre à ce jeu. Il est plus difficile encore d’expliquer pourquoi les Indiens sont les porte-parole des chrétiens, pourquoi les convergences entre les traditions byzantine et arabe sont surtout sensibles dans les rubriques indiennes-chrétiennes.

Faute de pouvoir apporter des réponses assurées à ces questions, il reste, en

tentant d’assigner la place respective des sources réelles, à analyser les modalités

du renouvellement de la tradition grecque. C’est dans l’Oneirocriticon attribué à

Achmet que semblent s’opérer conjointement la christianisation en profondeur

de la tradition grecque et l’intégration des apports de l’onirocritique musulmane.

(11)

La christianisation de la tradition grecque

L’apport de l’onirocritique musulmane

31

ne peut dissimuler le profond ancrage de l’ouvrage dans la tradition grecque, renouvelée par les premiers manuels byzantins.

Cet enracinement n’est pas gommé par la coloration musulmane, donnée par le prologue et surtout par les consultations en direct : ces treize chapitres semblent relever du jeu de travestissement déjà évoqué et donnent lieu à une véritable mise en scène. Le rêveur est souvent un Grand, le calife en personne (ch. 46) ou l’un de ses dignitaires (ch. 20 ; 36 ; 144 ; 153). Parfois, le rêveur envoie à sa place un substitut (ch. 20 ; 46 ; 176), mais l’interprète n’est pas dupe du subterfuge. Dans tous les cas, il explique brillamment le rêve, et la conclusion, qui rapporte l’issue des événements, confirme sa perspicacité. L’un des récits (ch. 199) présente une mise en scène plus raffinée : c’est une double consultation, qui se déroule devant un auditoire perplexe puis émerveillé, car le maître a interprété différemment deux rêves semblables, en tenant compte de la saison dans laquelle se déroulait le rêve. Bien sûr, le pronostic a été confirmé par la réalité. À trois reprises (ch. 96 ; 139 ; 153), c’est l’heure du songe qui est déterminante. Il faut noter que ce sont les seuls cas où ces facteurs sont pris en compte : il n’est pas question ailleurs de l’heure ou de la saison où se déroule le rêve, contrairement aux principes énoncés au chapitre 301. Or, ce sont des critères sur lesquels insistent particulièrement les interprètes arabes. Ces récits de consultation semblent donc avoir pour fonction essentielle d’affirmer le lien avec la tradition musulmane. Au demeurant, ce lien reste ténu : même si certains de ces récits se retrouvent dans les traités arabes, les aberrations chronologiques et erreurs historiques (ch. 46 ; 144 ; 192) démentent l’authenticité de ces rêves, qui sont, pour l’essentiel, des rêves typiques, peu individualisés, même quand l’identité du rêveur est précisée, puisque la même vision est parfois attribuée à des personnages historiques différents (ch. 46) : ces anecdotes semblent bien appartenir à un fonds traditionnel, adapté suivant l’époque et les circonstances

32

.

La fiction et les travestissements multiples mis en place par le rédacteur du traité, dans un but qui nous échappe pour l’essentiel, sont, décidément, déconcertants et la recherche des sources réelles semble téméraire. Pourtant, une comparaison rigoureuse avec les sources que l’auteur ne cite jamais, c’est-à-dire les sources grecques, apporte quelques lumières.

31. Voir Mavroudi 2002, 168-236. La présence d’éléments provenant de l’onirocritique musulmane est indéniable. Il n’est pas très crédible, en revanche, que les rêves typiquement byzantins de prière, de moines, de croix ou de rois soient de simples adaptations d’interprétations arabes.

32. Six seulement des treize chapitres ont un équivalent dans la tradition arabe, cinq ont un vague

rapport avec elle, selon Mavroudi 2002, 391, qui reconnaît, sur ce point, que la comparaison avec

l’onirocritique arabe est, dans certains cas, frustrante.

(12)

La comparaison avec Artémidore, d’abord : certes, la volonté de scientificité affichée par l’onirocrite grec est absente chez Achmet. Tout au plus ce dernier affirme-t-il, comme son prédécesseur, qu’une interprétation mécanique du symbole onirique n’est pas possible et qu’il faut tenir compte de la situation et de la condition du rêveur. Le vide théorique de son ouvrage n’est pas compensé par ces quelques critères, brièvement mis en place aux chapitres 2 et 301.

En revanche, la volonté de présenter les interprétations selon un ordre rationnel est commune aux deux interprètes. Achmet ne précise pas, comme le fait Artémi- dore, les principes qu’il entend suivre et se contente d’évoquer un regroupement des sources « chapitre par chapitre ». Il n’en reste pas moins que l’organisation adoptée est relativement cohérente. Ce sont les chapitres religieux qui sont d’abord abordés. C’est le cas dans l’onirocritique musulmane, mais c’était aussi le cas, semble-t-il, dans la tradition grecque : Artémidore se justifie de se démarquer des

« Anciens » en reléguant ces questions à la fin du deuxième livre, quitte à encourir l’accusation d’impiété

33

. Le traité suit, après cette première partie, une progression relativement claire, proche de celle d’Artémidore : les divers aspects de la vie d’un individu sont analysés, avec les rêves concernant le corps et tout ce qui l’affecte (ch. 18-141). La particularité de la construction est ici que tous les actes importants de la vie de l’individu, tels le mariage, la mort, les relations sexuelles, sont intégrés à ces chapitres, alors qu’ils suivent les analyses du corps chez Artémidore. C’est bien le corps humain, microcosme symbolisant toutes les relations sociales, qui est la trame de cette deuxième partie. Après cette partie assez homogène, l’orga- nisation devient plus floue. Le regard s’élargit, comme au livre II d’Artémidore, au monde extérieur, aux phénomènes naturels, mais avec des retours en arrière (on aurait attendu les chapitres 149 et 150, sur les prêtres et les icônes, à la fin de la première partie). La quatrième partie rassemble les rêves concernant les éléments de la vie quotidienne, et l’importance accordée aux realia – lesquels occupent plus de soixante-dix chapitres – est remarquable. Enfin, la dernière partie concerne les rêves d’animaux, dont les interprétations sont regroupées, alors qu’Artémidore, après avoir longuement abordé ces visions dès le livre II, complétait ses analyses dans les livres suivants

34

.

Le fonctionnement de l’interprétation est, lui aussi, très proche de celui que met en œuvre Artémidore. Entre les principes d’interprétation énoncés aux chapitres 2 et 301 et ceux qui sont mis en pratique, le décalage est grand, on l’a vu : dans les centaines d’interprétations proposées, Achmet n’applique pas les critères nouveaux introduits par l’onirocritique arabe, qui insiste sur l’importance de la saison et de

33. I, 10 (Festugière 1975, 30 ; Pack 1963,19 [lignes 6-8]).

34. II, 11-22 (Pack 1963, 117-140) ; II, 66 ; III, 5, 6, 28, 49, 64-65 ; IV, 56.

(13)

l’heure du rêve ; il ne le fait que dans trois des consultations. En revanche, il suit constamment les recommandations d’Artémidore, lequel précisait que l’onirocrite doit savoir « qui est celui qui a vu le songe, quel est son métier, quelle a été sa naissance et ce qu’il a de fortune et quel est son état corporel et à quel âge il est arrivé »

35

. Pour chaque rêve, l’onirocrite envisage plusieurs catégories de rêveurs, dans un ordre quasi immuable : le plus souvent sont opposés le Basileus et l’homme du peuple, les dignitaires et les indigents, éventuellement les femmes ou les esclaves, quelquefois même les enfants.

Bien qu’il mette en pratique les distinctions préconisées par Artémidore, Achmet garde le silence sur les principes qui fondent la démarche interprétative. Comment l’onirocrite passe-t-il de la vision à l’explication ? Quelle est la nature du lien qui unit le signe au présage ? Artémidore s’efforçait de préciser les diverses modalités de fonctionnement de l’analogie, allant des associations les plus évidentes, métapho- riques et métonymiques, aux plus complexes, comme l’isopséphie, qui établit des équivalences entre deux réalités selon la valeur numérique des lettres. Achmet, lui, recourt à diverses formes d’association – analogies, dictons, formules proverbiales, coutumes, jeux de mots –, mais il se justifie rarement

36

. Son traité fonctionne en cela comme les manuels alphabétiques, où le lien symbolique qui unit le signe et le présage est donné comme évident.

Cette comparaison avec les manuels alphabétiques permet d’envisager plus précisément comment s’est opérée la transition entre la tradition grecque « païenne » et l’onirocritique byzantine. Malgré les difficultés de datation que l’on a déjà évo- quées, il semble que deux de ces ouvrages soient antérieurs à Achmet, ceux qui sont attribués à Daniel et à Nicéphore

37

. Le nombre des similitudes dans les associations symboliques, malgré le caractère rudimentaire des interprétations de ces clés des songes, saute aux yeux et laisse penser que le compilateur de l’Oneirocriticon connais- sait ces ouvrages et a puisé à ces sources, ou à des sources similaires aujourd’hui perdues

38

.

35. I, 9 (Festugière 1975, 30 ; Pack 1963, 18 [lignes 16-20]).

36. Il introduit parfois une explication, mais c’est le plus souvent pour renvoyer à un autre élément dont la symbolique a été analysée auparavant (ainsi pour les parties du corps, le feu, les vêtements).

Artémidore, lui, introduit parfois, à l’intérieur même des interprétations, des explications qui les justifient. Ainsi, à propos des analyses des bains (I, 64 [Festugière 1975, 69 sq. ; Pack 1963, 68,15- 69,9]), il explique ses divergences avec les anciens interprètes par l’évolution des coutumes : le bain, autrefois associé à la peine, l’est désormais au plaisir.

37. Daniel (cf. Drexl 1926) est traduit en latin dès le VII

e

 siècle : il est, d’évidence, le plus ancien.

Nicéphore dérive de Daniel : sur le canevas originel se seraient greffés des remaniements postérieurs, qui intègrent notamment des apports d’Achmet (cf. Guidorizzi 1980, 27-29 ; 47).

38. C’est surtout dans les rêves typiques (concernant le corps, les boissons, l’ivresse, le saut et le vol,

par exemple) que les convergences sont fréquentes.

(14)

La divergence la plus notable entre ces petits ouvrages et le traité d’Achmet est la façon dont s’opère le processus de christianisation du fonds traditionnel. Les clés des songes procèdent par strates et, dans leurs rédactions successives, intègrent les éléments nouveaux

39

. De ce fait, la christianisation de ces clés reste très super- ficielle. En revanche, l’imprégnation chrétienne de l’Oneirocriticon est profonde.

Les Indiens-chrétiens sont dominants dans les dix premiers chapitres consacrés aux sujets eschatologiques (ch. 5-14) : six chapitres indiens interprètent des rêves de résurrection, des visions de la géhenne, du paradis. De longues analyses sont consacrées au changement de foi (ch. 12) : le rêveur qui se convertit au judaïsme ou à l’islam, qui se prosterne devant des idoles ou devant le feu est menacé de perdition,

« parce que ce devant quoi on se prosterne, en dehors du Créateur, est mensonger et vain : c’est Dieu seul qui est digne de la prosternation » (ch. 169 [p. 132,7-8]).

L’obsession de la faute, du péché parcourt les rêves, mais le salut peut venir des visions oniriques : les rêves de reliques (ch. 126), les entretiens directs avec le Christ ou avec des icônes (ch. 11 et 150) conduisent le rêveur au repentir (ἐπιστροφή). Des substituts du Sauveur peuvent jouer le même rôle : un juge (ch. 15), un mort (ch. 131) ou un roi « car le roi est mis pour le Christ et jamais il ne proférera de mensonge » (126 [p. 75,25]). Le rêve devient ainsi un guide qui conduit à la pénitence (μετάνοια, μετάγνωσις) et donc à la rédemption

40

.

La christianisation des rêves est également rendue perceptible par l’abondance des références scripturaires, qui n’interviennent pas seulement dans les chapitres consacrés à la religion

41

, par la présence d’interprétations chrétiennes dans de nombreux rêves profanes. C’est surtout le cas dans les chapitres consacrés au corps et à ses maladies, mais aussi aux vêtements (ch. 156 et 216), aux bijoux. Les pierres précieuses indiquent les paroles divines, la connaissance de Dieu et la science des choses divines (θεογνωσία καὶ θεοσοφία, 245, 200, 22-23) : si un homme très croyant et pieux a rêvé qu’il portait une couronne de perles et de pierres, « il témoignera pour Christ et sera renommé » (245 [p. 201,7]). Celui qui achète des perles sera gardien de la foi orthodoxe (τῆς ὀρθοδόξου πίστεως, 256 [p. 211,20]). Ces visions

39. L’exemple de l’Oneirocriticon de Nicéphore est à cet égard très révélateur. G. Guidorizzi, dans son édition, a distingué les strates successives, qui s’ajoutent au fil des manuscrits : les rêves chrétiens, plus nombreux que dans Daniel, qui n’en contient que quatre, n’apparaissent que dans l’Appendice II (1 ; 2 ; 30 ; 34 ; 35 ; 106).

40. Je me permets de renvoyer à deux articles où j’ai déjà abordé l’analyse de ces rêves rédempteurs : cf. Bernardi 2000 et Bernardi 2002.

41. Ces références sont nettement plus nombreuses que celles que signale Drexl, comme le souligne

K. Brackertz dans les notes de sa traduction (cf. Brackertz 1986, 233-291). Dans quelques cas, ces

références apparaissent même dans des rubriques données comme perses et égyptiennes : ainsi une

formule de l’Évangile de Jean (Jn 7, 30 ; 8, 20 ; 13, 1) est reprise presque textuellement au chapitre

220 [p. 173,4] : « L’heure de son bonheur n’était pas encore venue ».

(15)

éclatantes, où pouvoir et foi sont étroitement associés, rappellent la splendeur de bien des mosaïques byzantines où s’affirme la sacralité du pouvoir impérial.

La lecture attentive de l’ensemble de l’ouvrage permet donc de cerner plus précisément ce qui fait sa singularité : la place importante accordée aux croyances religieuses et l’empreinte réelle du christianisme, perceptible malgré les travestisse- ments divers. Ce n’est pas l’appel à la garantie divine qui fait l’originalité du traité.

Il reprend sur ce point les antiques traditions orientales : le rêve est un don de la divinité, il accorde aux hommes pieux la connaissance de l’avenir, à condition qu’ils soient assistés par des interprètes fidèles et compétents. Mais Achmet gauchit très vite ce lieu commun : c’est paradoxalement en se déclarant fidèle aux traditions qu’il les renouvelle. Il prétend dresser l’inventaire des sources les plus vénérables et prestigieuses, mais parvient, presque subrepticement, à imposer une évidence : une science chrétienne de l’interprétation des rêves est possible et légitime. Tout homme, si humble, si mauvais soit-il, a la certitude de la présence divine auprès de lui ; le don de prophétie que constitue le rêve (2, 2, 1) n’est pas réservé à quelques élus, il offre à tous une chance de salut. Ainsi, par le jeu subtil du recours à des sources diverses, Achmet opère progressivement la fusion des héritages de ses différents prédécesseurs. La défiance de l’Église envers la divination par les rêves est ainsi contournée : c’est bien dans l’Oneirocriticon d’Achmet que l’interprétation chrétienne des rêves trouve un véritable statut.

Anne-Marie Bernardi Université de Provence, Aix-Marseille I UMR 6125

Références bibliographiques Sources (textes et traductions) Achmet

[Achmes] (Drexl 1925), Achmetis Oneirocriticon, F. Drexl (éd.), Leipzig, B.G. Teubner (BT).

Brackertz K. (1986), Das Traumbuch des Achmet ben Sirin, Munich, C.H. Beck.

Oberhelman S.M. (1991), The Oneirocriticon of Achmet. A Medieval Greek and Arabic

Treatise on the Interpretation of Dreams, Lubbock, Texas Tech University Press.

(16)

Apomazar

Apomasaris apotelesmata, sive de significatis et eventis insomniorum, ex Indorum, Persarum, Ægyptiorumque disciplina […] liber Jo. Leunclaio interprete (Leunclavius 1577), Francfort-sur-le-Main, A. Wechel.

[Denys-du-Val] (1581), Apomazar. Des significations et événemens des songes, selon la doctrine des Indiens, Perses et Égyptiens […], tourné du grec en latin par Jean Leunclaius et mis de nouveau en françoys, Paris, D.-du-Val.

Artémidore

Artemidori Daldiani & Achmetis Sereimi F. Oneirocritica. Astrampsychi & Nicephori versus etiam Oneirocritici. Nicolai Rigaultii ad Artemidorum Notae, Paris, C. Morel (Rigault 1603).

[Artémidore] (Hercher 1864), Artemidori Daldiani onirocriticon libri V, R. Hercher (éd.), Lipsiae, B.G. Teubner (BT).

[Artémidore] (Pack 1963), Artemidori Daldiani Onirocriticon Libri V, R.A. Pack (éd.), Leipzig, B.G. Teubner (BT).

Artémidore d’Ephèse (Fahd 1964), Le livre des songes, traduit du grec en arabe par Hunayn B. Ishāq, T. Fadh (éd.), Damas, Institut français de Damas (Publications de l’Institut français de Damas ; 82).

Boriaud J.-Y. (1998), Artémidore, La Cité des songes, Paris, Arléa (Poche – Retour aux grands textes ; 32).

Festugière A.-J. (1975), La cité des songes d’Artémidore, Paris, Librairie philosophique J. Vrin (Bibliothèque des textes philosophiques).

Daniel

Drexl F. (1926), « Das Traumbuch des Propheten Daniel nach dem cod. Vatic. Palat.

gr. 319 », ByZ, 26, p. 290-314.

Daphnopatès

Théodore Daphnopatès (Darrouzès & Westerink 1978), Correspondance, J. Darrouzès, L.G. Westerink (éd.), Paris, Éditions du CNRS (Le Monde byzantin).

Nicéphore

Pseudo-Niceforo (Guidorizzi 1980), Libro dei sogni, Testo critico, introduzione,

traduzione e commento, G. Guidorizzi (éd., trad.), Naples, M. D’Auria Editore –

Associazione di studi tardoantichi (Koinonia, Collana di studi e testi ; 5).

(17)

Pascalis Romanus

Collin-Roset S. (1963), « Le Liber Thesauri Occulti de Pascalis Romanus, un traité d’interprétation des songes du XII

e

 siècle », Archives d’histoire doctrinale & littéraire du Moyen Âge, 30, p. 118-198.

Études

Bouché-Leclercq H. (1879), Histoire de la divination dans l’Antiquité, t. I : Introduc- tion. Divination hellénique (Méthodes), Paris, E. Leroux (= Bruxelles, Culture et civilisation, 1963).

Brackertz K. (1993), Die Volks-Traumbücher des byzantinischen Mittelalters, Munich, Deutscher Taschenbuch Verlag (dtv Klassik : Literatur, Philosophie, Wissenschaft ; 2324).

Dagron G. (1985), « Rêver de Dieu et parler de soi. Le rêve et son interprétation d’après les sources byzantines », in I sogni nel Medioevo (Seminario internazionale, Roma, 2-4 ottobre 1983), T. Gregori (éd.), Rome, Edizioni dell’Ateneo (Lessico intellettuale europeo ; 35), p. 37-55.

Dagron G. (1991), « Judaïser », Travaux et mémoires du Centre de recherche d’histoire et de civilisation byzantines, 11, p. 359-380.

Dagron G. (1994), « Formes et fonctions du pluralisme linguistique à Byzance, IX

e

- XII

e

 siècles », Travaux et mémoires du Centre de recherche d’histoire et de civilisation byzantines, 12, p. 219-240.

Dagron G. (2007), Décrire et peindre. Essai sur le portrait iconique, Paris, Gallimard (Bibliothèque illustrée des Histoires).

Dodge B. (1970), The Fihrist of al-Nadîn. A Tenth-Century Survey of Muslim Culture, New York – Londres, Columbia University Press.

Esnoul A.-M. (1959), « Les songes et leur interprétation dans l’Inde », in Les songes et leur interprétation, S. Sauneron, M. Leibovoci, M. Vieira (éd.), Paris, Seuil (Sources orientales ; 2), p. 207-247.

Fahd T. (1966), La divination arabe. Études religieuses, sociologiques et folkloriques sur le milieu natif de l’Islam, Leyde, E.J. Brill (nouvelle édition : 1987, Paris, Sindbad [La Bibliothèque arabe : Hommes et société ; 17]).

Freud S. (2003), Œuvres complètes. Psychanalyse, IV, 1899-1900, L’interprétation du rêve, Paris, PUF.

Gigli D. (1978), « Gli onirocritici del cod. Paris. Suppl. gr. 690 », Prometheus, 4, p. 65-86 ;

173-188.

(18)

Guidorizzi G. (1977), « I prontuari oniromantici bizantini », Rendiconti dell’Istituto Lombardo, Accademia di Scienze e Lettere, 111, p. 135-155.

Hercher R. (1855), « Zu Achmet’s Oneirokritikon », Philologus, 10, p. 342-344.

Oberhelman S.M. (1980), « Prolegomena to the Byzantine Oneirokritica », Byzantion, 50, p. 487-503.

Mavroudi M. (2002), A Byzantine Book on dream interpretation. The Oneirocriticon of Achmet and Its Arabic Sources, Leyde – Boston – Cologne, E.J. Brill (The medieval Mediterranean ; 36).

Rochefort G. (1950), « Une anthologie grecque du XI

e

 siècle : le Parisinus Suppl. gr.

690 », Scriptorium, 4, p. 3-17.

Ruelle C.-E. (1894), « La clef des songes d’Achmet Abou-Mazar. Fragment inédit et bonnes variantes », REG, 7, p. 305-312.

Sargologos E. (1990), Un traité de vie spirituelle et morale du XI

e

 siècle : le florilège sacro- profane du manuscrit 6 de Patmos, Thessalonique, Asprovalta.

Vincent-Bernardi A.-M. (Bernardi 2000), « Rêver et prier à Byzance », in Prières méditerranéennes hier et aujourd’hui (Actes du colloque organisé par le Centre Paul-Albert Février [Université de Provence – CNRS] à Aix-en-Provence les 2 et 3 avril 1998), G. Dorival, D. Pralon (éd.), Aix-en-Provence, Presses de l’université de Provence, p. 249-256.

Vincent-Bernardi A.-M. (Bernardi 2002), « La didascalie onirique. Ambivalence du

rêve dans l’Antiquité tardive et l’empire byzantin », in Maestro e discepolo. Temi e

problemi della direzione spirituale tra VI secolo a.C. e VII secolo d.C., G. Filoramo

(éd.), Brescia, Morcelliana (Le Scienze umane ; 1), p. 127-139.

Références

Documents relatifs

Ce qui n'est pas de l'avis du Ministère public qui considère que les actes d'état civil produits ne sont pas probants au sens de l'article 47 du Code civil

Over the mean 5 years follow-up there was decline in all cognitive tests but this decline did not vary as a function of cortisol levels; the exception was among APOE e4 carriers where

In our model, the positive and normative implications of liquidity shocks (shocks that increase the demand for bank reserves) depend critically on the presence of funding frictions

C'est pourquoi, si vous décidez de faire analyser un de vos rêves, et si vous voulez que notre travail d'analyse soit le plus précis possible, il vous faudra remplir convenablement la

Pour Sigmund Freud et selon le principe du déterminisme psychique, le rêve, loin d'être un phénomène absurde ou magique, possède un sens : il est l'accomplissement d'un

Le rêve est alors considéré dans son contenu manifeste comme lien symbolique entre le moi et l'inconscient, donc comme potentialité d'unification de la psyché, c'est-à-dire d'accès

Ce préalable culturel et forcément partagé, ou référé à une théorie et consciemment choisi - comme l’interprétation des rêves freudienne, avec l’articulation entre

[r]