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Dépôts et cachettes : permanence et valeur dans la préhistoire paléolithique

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(1)

Dépôts et cachettes : permanence et valeur

dans la préhistoire paléolithique

Marc Groenen

*

On admet couramment que la vie au Paléolithique était dure ; nos manuels s’efforcent de perpétuer un sentiment de fatalité menaçante, au point qu’on en vient à se demander non seulement comment les chasseurs faisaient pour vivre, mais si l’on peut appeler cela vivre ! On y voit le chasseur traqué, au fil des pages, par le spectre de la famine. Son incompétence technique, dit- on, le contraint à peiner sans répit pour obtenir tout juste de quoi ne pas mourir de faim, sans que lui soient accordés sursis, excédent, ni loisir aucun pour «fabriquer la culture». Nonobstant tous ses efforts, le chasseur décroche la pire note en thermodynamique : moins d’énergie annuelle par tête que dans tout autre mode de production. Et dans les traités de développement économique, il se voit attribuer le rôle de mauvais exemple : l’économie dite «de subsistance», c’est lui (SAHLINS, 1972 : 37).

I

NTRODUCTION

S’il est un point qui ne semble guère devoir être remis en question pour les préhistoriens, c’est bien celui de l’indifférence des Paléolithiques vis-à-vis de la notion de valeur et leur non-attachement à l’espace. L’homme paléolithique a été dès le départ considéré comme un sauvage vivant dans des conditions précaires, perpétuellement en mouvement pour s’assurer une nourriture assurant au mieux sa survie. E. Rivière souligne que : les peuples anciens se déplaçaient en poursuivant les animaux auxquels ils faisaient la chasse (R

IVIÈRE

, 1887 : 280). Nul attachement au sol ne les fixe à un endroit, les hommes du Paléolithique sont des êtres inéluctablement errants : les populations primi- tives, les sauvages, que rien n’attache au sol, se déplacent facilement, vont et viennent continuellement (

DE

M

ORTILLET

, 1872 : 451). Cette vision d’un chasseur-cueilleur errant n’a pas été modifiée par la suite. Elle constitue la toile de fond des travaux de synthèse des décennies suivantes. L’observation de couches d’occupation épaisses dans les nom-

* Département Pré- et Protohistoire (C.P. 175), Université Libre de Bruxelles, Avenue F.D. Roosevelt 50, 1050 Bruxelles, Belgique.

(2)

breux sites en grotte dès le Moustérien ne modifie pas la vision d’un G. Goury (1927 : 91), par exemple, pour qui : il ne faudrait pas croire que le séjour dans les grottes ait rendu sédentaires les groupes d’individus. Ce nomadisme forcé, toujours de mise durant le Paléolithique supérieur, s’explique d’ailleurs tout naturellement, pour D. Peyrony, par la nécessaire quête d’une nourriture jamais gagnée d’avance : [l’homme] suivait dans leur migration les troupeaux dont il se nourrissait. C’est ainsi qu’il pouvait être amené sur les bords de l’Atlantique et y recueillir une partie des coquillages qui formaient ses bijoux (P

EYRONY

, 1948 : 81). Cette position se retrouve chez K. Lindner au travers de la distinction qu’il pose entre activité chasseresse inférieure caractéristique du Paléolithique inférieur - dans lequel l’auteur intègre les Moustériens – et activité chasseresse supérieure propre au Paléolithique supérieur et au Mésolithique : si, au cours des périodes les plus anciennes, le ravitaillement s’effectuait sans plan, ne comportant ni plantes, ni mesures de prévoyance, ni accumulation de réserves (L

INDNER

, 1950 : 46), les phases récentes enregistrent un progrès en ce que l’Homme commence à se libérer des hasards de l’approvisionnement en nourriture (L

INDNER

, 1950 : 47) en pratiquant une économie de réserves. Ce changement de mentalité n’entraîne cependant pas de modifications sur le nomadisme de ces populations : les Hommes du Paléolithique supérieur étaient, de façon encore plus accentuée que leurs prédécesseurs du Paléolithique inférieur, des nomades dans un sens très restreint, ... ils erraient certes, mais revenaient de temps à autre en certains points prometteurs de succès (L

INDNER

, 1950 : 48, moi qui souligne).

Il n’est peut-être pas inintéressant de s’interroger sur le présupposé qui sous-tend

cette évidence du nomadisme errant des populations paléolithiques. Certaines données

factuelles, en effet, auraient permis de plaider le contraire : la mise en évidence d’horizons

d’occupation - les «foyers» - très épais dans des grottes dès la fin du XIX

e

siècle aurait pu

suggérer l’idée d’une relative permanence de même d’ailleurs que la découverte d’habitats

en ossements de mammouth en Europe orientale. Comment imaginer que la construction

moustérienne de Molodova I ait pu servir de lieu de halte provisoire alors qu’elle n’a pas

exigé moins de 12 crânes, 15 défenses, 34 omoplates, 51 épiphyses et 5 mâchoires de cet

animal et qu’on y a récolté 32.000 silex taillés sur une surface d’environ 1200 m²

(D

ESBROSSE

& K

OZLOWSKI

, 1994 : 36). De la même manière, il eût pu paraître logique de

poser la stabilité des groupes gravettiens sur la base des habitats de Méziritch, de

Dobranitchevka et de Mézine A où, dans chacun des cas, 4 «cabanes» formées de 109,

100 et 116 mammouths différents dans chacun de ces sites ont respectivement livré

14.220, 7.000 et 113.126 pièces lithiques (D

ESBROSSE

& K

OZLOWSKI

, 1994 : 59) ! En

fait, la mobilité permanente des hommes du Paléolithique a été posée sur la seule base de

la dépendance de l’homme d’alors aux conditions naturelles : la chasse représentait au

Paléolithique et au Mésolithique la base de l’alimentation et devait donc influencer la

structure des civilisations de ces époques (L

INDNER

, 1950 : 24, moi qui souligne). La

relative clémence du climat favorise un couvert végétal qui attire les animaux ; ceux-ci, à

leur tour, entraînent la présence des hommes qui pourront s’en nourrir. À l’inverse, la

rigueur des conditions ne peut qu’obliger les hommes à suivre les animaux à la

recherche d’une nourriture plus riche. C’est donc la «Nature» qui dicte ses lois et ses

impératifs aux hommes et le niveau évolutif auquel ils sont parvenus ne leur per-

(3)

met pas d’en discuter la toute-puissance : le temps de la Nature scande la vie des hommes, moins fortement toutefois que les plantes et les animaux (...). Renouvellements constants des approvisionnements, conquêtes de territoires, alternances saisonnières de campements furent les raisons majeures du nomadisme fréquent des hommes de la nature (V

IALOU

, 1991 : 149). On le comprend, c’est le paradigme de la nature qui a guidé les préhistoriens dans leur parti pris sur le «nomadisme errant» des plus vieilles populations humaines ; on ne sera, dès lors, pas surpris de constater leur manque d’intérêt pour tout ce qui pourrait toucher - et le concept de dépôt est ici évidemment central - les notions de fixité et de permanence au Paléolithique.

D

ÉFINITIONS

Avant de considérer en détail les diverses catégories de cachettes et de dépôts, il importe de préciser le sens des termes utilisés. Trop souvent, en effet, les préhistoriens ont relaté ce type de découvertes en parlant indistinctement de «cachette», de «dépôt», d’«armoire», de «réserve» ...

La cachette est un endroit retiré, propice à cacher quelque chose ou quelqu’un (Grand Robert, II, s.v.). Il importe de remarquer que la notion de cachette est souvent liée à la notion de valeur : on cache évidemment ses économies. Le dépôt - lieu où l’on dépo- se certaines choses (Grand Robert, III, s.v.) - n’est, en revanche, pas directement lié à la notion de valeur : on parle aussi bien de dépôt de bagages, d’archives, de marchandises, et même, de dépôts d’ordures ou d’immondices. Il y a ici une notion de mise à l’écart, mais pas nécessairement celle de cacher. La réserve, enfin, est une quantité accumulée de manière qu’on puisse en disposer et la dépenser au moment opportun (Grand Robert, VIII, s.v.). À l’inverse de la notion de dépôt - qui laisse à disposition sans idée d’une limite temporelle -, celle de réserve implique le stockage effectué dans un but précis. Les réserves sont destinées à être utilisées à un moment donné. Cette différence apparaît bien lorsque l’on parle de «dépôt de valeurs» et «de réserve de nourriture» : le dépôt de valeurs reste à disposition, la réserve de nourriture est placée à un endroit en vue d’être consommée lorsque le besoin se fera sentir. Enfin, et tout comme c’était le cas pour le dépôt, la réserve n’est pas forcément liée à la notion de cacher ; les préhistoriens ne s’y sont pas trompés lorsqu’ils ont intuitivement parlé d’«armoire».

O

BJETS PERDUS

,

OBJETS OUBLIÉS

,

OBJETS CACHÉS

Il n’est, à vrai dire, pas toujours aisé de déterminer, avec les informations fournies par

les inventeurs, si les objets découverts ont réellement fait l’objet d’un dépôt intention-

nel, d’une cachette volontaire ou si, au contraire, comme ce pourrait être le cas pour les

instruments lithiques, ils ont été oubliés par le fait d’une banale négligence. Dans le

réseau de Ganties-Montespan, par exemple, H. Bégouën et N. Casteret (1923 : 544, n° 8

et 14) ont découvert un burin, un double grattoir et une spatule sur une anfractuosité de

la roche. L’expression est particulièrement malheureuse. L’anfractuosité est une cavité

plus ou moins profonde et irrégulière, un enfoncement de la roche, et il est donc logique

de considérer que l’objet se trouve dans l’anfractuosité, à moins qu’il ne se soit trouvé

(4)

sur un rebord ou sur une corniche rocheuse ? Rien ne permet de trancher ; or, la différence est significative puisque dans le premier cas la cachette ou le dépôt est l’interprétation la plus logique, tandis que le second suggère davantage un emplacement sur lequel des outils ont été déposés - et oubliés - en vue d’un quelconque usage. De nombreux instruments ont, en effet, été retrouvés sur des saillies rocheuses ; ils sont généralement bien visibles et leur statut reste incertain. Ainsi la lame posée à plat dans une niche de la grotte du Portel (V

ÉZIAN

, 1954-1955 : 20), le harpon posé sur un rebord de la paroi dans la grotte du Coléoptère (D

EWEZ

, 1975) ou les lames de silex collées sur la paroi au moyen d’une petite boulette d’argile (B

ÉGOUËN

& C

ASTERET

, 1923 : 542, n°

8) ou fichées dans les parois des grottes (B

ÉGOUËN

& C

LOTTES

, 1982), d’ailleurs inédites pour la plupart : faut-il y voir un dépôt intentionnel, des instruments déposés à l’endroit où ils devaient être utilisés et oubliés ou encore des objets à valeur cultuelle ? Bien que cette dernière hypothèse soit la plus probable, il faut bien avouer que dans l’état actuel des choses, nous manquons d’éléments pour répondre à la question.

La valeur rituelle de ces dépôts a d’ailleurs été proposée à plusieurs reprises. Dès 1867,

V. Brun signale que des objets comme des outils en pierre, une mâchoire ou une corne ont

été découverts à divers endroits de l’abri Plantade à Bruniquel et cachés par une dalle de

pierre. À certains endroits, le fouilleur a exhumé à la même place jusque trente

instruments en silex taillé, tant et si bien qu’il a pu se demander n’est-il pas permis de voir

là le résultat de la volonté directe de l’homme qui aurait formé ces dépôts partiels, soit

par une sorte de consécration à ses dieux pénates, soit que l’enfouissement de ces objets

fut nécessaire à leur conservation, soit enfin pour les cacher (B

RUN

, 1903² : 24). Il est

vrai que, comme l’ont signalé R. Bégouën et J. Clottes (1982 : 518-520), certains objets

précieux comme les propulseurs au faon à l’oiseau de Bédeilhac et du Mas d’Azil, par

exemple, semblent avoir été enfouis à l’écart des zones fréquentées. Mais, d’une part, cette

seule constatation ne suffit pas pour affirmer leur valeur d’ex-voto - il importe d’ailleurs

de remarquer que les auteurs restent mesurés - et d’autre part, la plupart de ces

découvertes ont fourni des instruments directement utilitaires tels que des blocs de

matière première ou des stocks de bois de cervidés ou des outils aménagés dont certains,

il conviendra de s’en rappeler, ont souvent servi durant un temps appréciable. Nous

pouvons donc d’ores et déjà tenir pour acquis qu’une explication unique ne suffira pas

pour rendre compte de ce type de découverte. En fait, l’interprétation d’un objet comme

ex-voto - posée le plus souvent, par les préhistoriens, pour des documents dissimulés, ce

qui ne répond d’ailleurs pas à la fonction de l’ex-voto présenté ouvertement et destiné à

accomplir un vœu ou à remercier pour une grâce obtenue - a fréquemment été proposée

pour des découvertes d’objets apparemment non utilitaires comme c’est le cas pour de

petits éléments glissés dans des fissures de la paroi dans certaines grottes. Un grand

coquillage fossile et une dent d’ours se trouvaient dans la Chapelle de la Lionne de la

grotte des Trois-Frères (B

ÉGOUËN

& C

LOTTES

, 1982 : 520) ; une dent d’animal (non

déterminé) a été glissée dans une fissure de la paroi dans la galerie des Chouettes de la

même grotte (B

ÉGOUËN

& C

LOTTES

, 1982 : 519) ; toujours dans la grotte des Trois-

Frères, un fémur d’oiseau était coincé dans une fissure sous une gravure d’hémione

(B

ÉGOUËN

& C

LOTTES

, 1982 : 520) ; enfin une vertèbre (de renne ?) a été retrouvée insérée

entre deux stalactites (V

ÉZIAN

, 1954-1955 : 20). Ces éléments ne sont cependant pas

(5)

décisifs : on pourrait aussi bien expliquer ces trouvailles comme des cachettes - d’un élément de parure, pour le coquillage et les dents et d’un objet utilitaire pour l’os d’oiseau (des os d’oiseau ont été utilisés comme récipient pour contenir de l’hématite ou des aiguilles). Même si la valeur fonctionnelle ne nous apparaît pas de façon évidente, comme dans le cas de la vertèbre du Portel, on ne peut pas l’exclure a priori : trop d’éléments de la vie quotidienne nous manquent encore pour pouvoir nous prononcer définitivement.

Mais cette interprétation a également été avancée pour certains objets manifestement disposés à l’écart, dans des endroits inaccessibles. Dans la grotte de Remouchamps (Province de Liège, Belgique), M. Dewez (1974 : 92-94) signale la présence de silex rougis par de l’hématite, de deux dents humaines dont l’une est percée au niveau des racines, d’une lame d’os découpée et gravée d’incisions et de 45 coquilles fossiles provenant du bassin Parisien dont certaines comportent des traces d’hématite. Ces documents ont été découverts à proximité l’un de l’autre, dans un lambeau en place, laissé intact par les fouilleurs anciens (sondage DD, plan pp. 12-13, fig. 5-6). Ils gisaient sous de gros blocs. L’auteur constate pourtant : il semble peu probable que nous ayons affaire à un dépôt, il devait être quasiment impossible pour des hommes préhistoriques de retrouver ces objets intacts, le déplacement de gros blocs calcaires sous lesquels ils gisaient ou dans les interstices desquels ils étaient glissés, devait nécessairement amener des frictions et des pressions qui, sur ces objets fragiles, risquaient d’être désastreuses (D

EWEZ

, 1974 : 96). Il n’est, en effet, pas impossible, comme le suggère l’auteur, qu’il se soit agi de présents offerts volontairement dissimulés (D

EWEZ

, 1974 : 97). Rien n’infirme absolument ce point de vue, mais étant donné la situation de ces objets dans la grotte - dans la salle d’entrée, à l’écart de la paroi et non disposés l’un contre l’autre -, n’est-il pas plus simple d’y voir des objets tombés accidentellement entre les blocs au cours des déplacements de l’homme préhistorique dans la grotte ?

R

ÉSERVES ET DÉPÔTS DANS LA PRÉHISTOIRE PALÉOLITHIQUE

Contrairement à ce que véhiculent encore trop souvent certains clichés sur l’homme pré- historique, celui-ci n’était ni un être imprévoyant ni une créature inorganisée. Il importe d’admettre, si l’on veut comprendre son mode de vie, que l’homme paléolithique occupait un territoire dont il avait une parfaite connaissance. Les fouilles archéologiques de gisements dans le bassin parisien, en cours depuis les années soixante ont démontré le retour régulier de groupes de chasseurs magdaléniens. Ceux-ci ne se déplaçaient pas au hasard : leurs mouvements étaient commandés par la présence, en des endroits bien connus d’eux, de matières premières indispensables à leur existence (A

UDOUZE

&

E

NLOE

, 1994 : 32). Des matières comme le silex, destinées à la fabrication d’outils ou

d’armes, les accompagnaient au cours de leurs déplacements : les instruments en pierre

retrouvés dans des sites de chasse en témoigne. À l’inverse, le nombre de bois de renne

mis au jour dans des gisements comme Verberie ou Pincevent est relativement faible ;

or, on sait que les chasseurs s’installaient à ces endroits pour chasser cet animal au

moment de son passage. On peut donc penser qu’ils quittaient le site en emportant ces

bois si précieux pour l’élaboration d’instruments souples et résistants. Et on ne s’éton-

nera donc pas de retrouver ces divers matériaux stockés dans des sites d’habitat. À

(6)

Isturitz (Pyrénées-Atlantiques), R. de Saint-Périer (1936 : 11) a découvert dans la Grande Salle deux lots de bois de renne et de cerf, les uns non travaillés, les autres avec des traces de sciage comme si une réserve de matière première avait été constituée là. Le premier dépôt se trouvait près de la paroi droite en bas et le second se trouvait dans la salle de gauche en montant (

DE

S

AINT

-P

ÉRIER

, 1936 : 11). Nous ne possédons malheureusement au sujet de ces réserves aucun renseignement supplémentaire : il n’a pas été précisé le nombre de bois de cervidé retrouvés ni l’endroit précis où ils se trouvaient. Au Mas d’Azil (Ariège), M. et S.-J. Péquart (1963 : 63-67 et 71-72, fig. 211- 212) ont exhumé dans la galerie du «Sanctuaire» au niveau de la Cheminée deux lots de bois de renne. Le premier avait été dissimulé sous la tablette rocheuse bordant l’accès à la cheminée, le second dans la cheminée. Certains de ces bois de renne avaient été découpés, d’autres étaient sciés longitudinalement (un exemple a été représenté dans P

ÉQUART

, 1961 : 190, fig. 65). Pour les inventeurs, cette trouvaille leur permet de considérer la Cheminée comme le lieu de dépôt propitiatoire de matière première industrielle. En effet, ces lots de ramures étaient placés là à l’abri des regards indiscrets sous la garde et le contrôle exclusif de ceux qui détenaient le monopole de sa répartition aux ayants droit (P

ÉQUART

, 1961 : 71). En outre, l’absence totale de déchets à cet endroit démontre que les activités manuelles étaient interdites sur l’étendue de ce secteur. Nous ne possédons évidemment pas le moindre élément factuel pour conforter une interprétation qui emprunte manifestement au modèle plus tardif de la redistribution des biens par le clergé. Le stockage de ces bois nous autorise, en revanche, à voir là des réserves de matières premières ramenées déjà sommairement préparées des sites de chasse, et destinées à être utilisées au fur et à mesure des besoins. Cette conclusion vaut d’ailleurs également pour l’amas de bois de renne découvert dans la grotte de droite de Spy, par A. Rucquoy, à la fin du siècle passé (1886-1887 : 324). Ce matériel a sans nul doute constitué une réserve de matière première exploitée en fonction des besoins, et il peut être mis en relation, comme le signale M. Otte (1979 : 201) avec l’abondance de l’industrie osseuse du niveau aurignacien. On pourrait, de même, peut-être voir une réserve de ce type dans le lot de bois de renne débités en série et enduits d’ocre dans une couche remaniée (niveau 2-3), attribuée par son inventeur au Badegoulien «C », de l’abri Lachaud en Dordogne (C

HEYNIER

, 1965 : 65).

A l’instar des bois de renne récoltés, rapidement aménagés pour en faciliter le trans-

port et emmenés dans l’habitat pour y être stockés, des rognons de silex ont été som-

mairement transformés en nucléus avant d’être apportés dans les habitats pour y être

exploités au fur et à mesure des besoins. À Étiolles (Essonne), Y. Taborin a pu montrer

qu’une série de 38 dalles pesant chacune plusieurs kilos avaient été amenées et dispo-

sées pour former un cercle d’environ 6 m de diamètre. Cette série de dalles, placée irré-

gulièrement, est interrompue vers le sud-est, et a été interprétée comme étant l’issue de

la tente (T

ABORIN

, 1974 : 13-16). Dans cette structure, l’auteur mentionne la présence de

nucléus entassés à la limite extérieure du cercle de dalles constituant peut-être une

réserve (T

ABORIN

, 1974 : 15). Étant donné le nombre et les dimensions exceptionnels des

nucléus, des lames et des éclats mis au jour, il est probable que le silex devait être récol-

té à proximité du site où il était apporté en vue d’y être débité. L’homme était, en effet,

tributaire de la matière première sans laquelle il se trouvait démuni, et il est donc logique

(7)

d’en retrouver régulièrement. Ainsi, des nucléus de silex ont encore été signalés dans la grotte des Trois-Frères (Ariège) où ils avaient été disposés dans des niches de la paroi à proximité d’un petit cheval gravé (B

ÉGOUËN

& C

LOTTES

, 1982 : 518, fig. 2) et à Montaut, dans les Landes, où Mascaraux a trouvé autour de plusieurs grosses pierres plates, qui paraissaient avoir servi de sièges, de très nombreux déchets de silex, ainsi qu’une réserve de rognons de silex, accompagnés de galets en quartzite, souvent fragmentés et portant à leurs extrémités des traces de percussion (M

ASCARAUX

, 1912 : 168-169).

Vers la fin du Paléolithique supérieur, les preuves archéologiques démontrent l’exis- tence d’exploitations minières intensives du silex chocolat en Pologne. Cette matière devait être particulièrement appréciée puisqu’elle a non seulement été exportée sur des distances parfois considérables, mais aussi été stockée en grande quantité. Dans le site éponyme de plein air de Swidry Wielkie I, au sud de Varsovie, L. Sawicki a découvert, en 1921, un dépôt de nucléus préformés en silex chocolat provenant des monts de la Sainte-Croix (S

AWICKI

, 1960 : 187 ; K

OZLOWSKI

, in L

EROI

-G

OURHAN

, 1988 : 1012-1013

; K

OZLOWSKI

, 1996 : 113). Ce sont également des nucléus préformés en silex chocolat qui ont été stockés dans les deux dépôts de Grzybowa Góra (sur la rivière Kamienna), datant du Brommien et du Swidérien : le premier fut mis au jour par S. Krukowski (cité par S

AWICKI

, 1960 : 187-188), le second par L. Sawicki en 1924 (S

AWICKI

, l.c. ; K

OZLOWSKI

, 1996 : 105-106).

Mais la matière première a également été stockée sous la forme déjà préparée de lames ou d’éclats bruts. De la grotte de Bédeilhac (Ariège) proviennent 24 éclats de silex. Ils ont été découverts par M. Martel et se trouvaient dans une niche de la paroi. Un travail de remontage lui a permis de reconstituer partiellement le nucléus d’origine. Ces éclats étaient répartis en 4 groupes comprenant un premier groupe de 10 éclats se raccordant entre eux (id., 243, fig. 6-7) ; un second groupe de 6 éclats se raccordant entre eux sont des éclats corticaux qui résultent du travail d’épannelage ; un troisième groupe comprend une lame (dimensions : 3,3 x 1,5 cm) et un éclat et un quatrième groupe de 6 éclats appartenant au même nucléus que les précédents, mais ne pouvant pas se raccorder. L’un des éclats était retouché sur un côté (M

ARTEL

, 1955 ; B

ÉGOUËN

&

C

LOTTES

, 1982 : 519-520).

De la couche VII de la grotte de Stânca Ripiceni dans le nord-est de la Roumanie pro-

vient une réserve composée d’une vingtaine de pièces. La plupart sont des éclats bruts,

mais l’inventeur note également la présence de quelques lames ; le tout se trouvait dis-

simulé dans un creux de la paroi (M

OROSAN

, 1938 : 28). En fait, ce type de trouvaille n’a

guère été répertorié. Quelques éclats non retouchés ne constituent pas, en effet, une

découverte spectaculaire ; il est donc vraisemblable que des éclats stockés dans un coin

de l’habitat aient simplement été ajoutés au reste des éclats découverts dans la couche

archéologique et traités comme déchets de débitage. Les réserves de lames brutes sont, à

vrai dire, beaucoup plus nombreuses, et on ne s’en étonnera pas : d’une part, ce type de

document a toujours reçu davantage d’attention de la part des préhistoriens, d’autre part,

il s’agit presque toujours de matériau importé. Il est d’ailleurs intéressant de constater

que celles-ci n’ont pas été rangées sous un bloc ou dans une niche mais elles ont, le plus

souvent, été dissimulées dans une fissure de la paroi rocheuse. Nous pourrions donc

(8)

aussi bien traiter ces découvertes comme des dépôts, d’autant que, comme nous venons de le voir, ces lames, généralement fort longues, sont réalisées dans un matériau étran- ger, au grain particulièrement fin. Au Tuc d’Audoubert (Ariège), H. Bégouën mentionne la découverte, faite par Nelson du musée de New York, d’une lame arquée retouchée d’une taille exceptionnelle pour les Pyrénées ; elle se trouvait dans une anfractuosité, immédiatement avant une chatière, quelques mètres avant deux animaux gravés sur la paroi. Elle mesure 15 cm en ligne droite et 16,5 cm suivant la courbure et a été réalisée dans un silex gris tacheté de blanc. Elle a été appointée à son extrémité distale. Le dessin semble indiquer une lame à crête (B

ÉGOUËN

, 1933 : 643 ; B

ÉGOUËN

& C

LOTTES

, 1982 : 520). De même, dans un couloir de jonction entre les grottes d’Enlène et des Trois- Frères, L. Bégouën a découvert, dans une étroite fente de rocher, un dépôt de 3 lames

«en paquet» fabriquées au départ de silex importé. Elles mesurent respectivement 15, 15,5 et 17,5 cm. en ligne droite. Deux sont en silex blond importé et une en silex bleuté se rapprochant, en plus clair, du silex de Charente et du Périgord. Une seule d’entre elles (15 cm, en silex blond) comporte les traces d’un travail (coup de burin avec quelques très fines retouches sur le bord opposé au biseau) (B

ÉGOUËN

, 1933 ; C

LOTTES

&

B

ÉGOUËN

, 1982). Enfin, à la Gare de Couze, P. Fitte et D. de Sonneville-Bordes ont mis au jour, dans une couche appartenant au Magdalénien VI, 12 très belles lames brutes de silex blond disposées verticalement (F

ITTE

&

DE

S

ONNEVILLE

-B

ORDES

, 1962 : 227).

Ces dépôts ne présentent d’ailleurs pas toujours ce caractère parcimonieux : certains gisements ont parfois donné des découvertes vraiment spectaculaires. À La Marche, les fouilleurs ont mis en évidence la présence de plusieurs cachettes contenant des lames parfois retouchées réalisées dans un matériau de grande qualité : Par endroits, des poches plus profondes de 0m30 à 0m70 sont de véritables cachettes à silex exclusive- ment destinées à conserver une seule ou plusieurs dizaines d’outils de choix (P

ÉRICARD

& L

WOFF

, 1940 : 158). Le matériau est blond, légèrement translucide, du type du jaspe de fontmaure. Les fouilleurs ont noté la présence de grattoirs sur lame de grande dimen- sion (20 cm) et de longues lames lancéolées. Une cachette localisée sur le plan de fouille (P

ÉRICARD

& L

WOFF

, 1940 : 162, fig. 3) de 0m70 ne contenait pas moins de 78 lames.

Enfin, il faut encore mentionner la découverte - d’ailleurs soigneusement publiée - d’une

réserve de lames provenant de Labastide (Hautes-Pyrénées). Cinq lames, très longues

pour la région, ont été mises au jour le 2 avril 1945 par le fils de R. Simonnet. Elles se

trouvaient à 1 m à droite et au-dessus d’une tache rouge de 25x20 cm peinte sur la paroi

droite du couloir central à 1m40 du sol dans une fissure horizontale colmatée d’argile

(Encadré I). L’extrémité pointue de l’une des lames dépassait quelque peu, ce qui valut

leur découverte. Les 2 premières appartiennent au même nucléus, les 3 autres à des

nucléus différents (G

LORY

& S

IMONNET

, 1946 ; G

LORY

et al., 1947). Ces lames ont été

faites dans un silex importé d’une région éloignée : il n’y a pas, en effet, de l’aveu même

des auteurs, de nodules jaspoïdes aussi importants dans les Pyrénées, ce qui pourrait

laisser penser qu’on aurait affaire à une cachette d’artisan ou une cachette de marchand

ambulant (G

LORY

et al., 1947 : 177). Elles ont été arrangées pour éviter leur dommage :

4 d’entre elles étaient disposées parallèlement, 1 se trouvait superposée obliquement sur

les autres. Elles présentent des traces d’aménagement et des traces d’utilisation. Une

argile brunâtre se trouve naturellement dans toute la fissure et l’homme préhistorique n’a

(9)

eu qu’à en recouvrir les lames afin de les dissimuler. Pour les auteurs, le fait qu’elles étaient dissimulées, leur longueur exceptionnelle ainsi que la rareté de la matière dans laquelle elles furent faites, leur enfouissement non loin d’une peinture - donc dans un lieu où se déroulaient des rites magiques - et la manière dont elles ont été appointées en couteau tranchant, peut laisser à penser que ces lames étaient des instruments cérémoniels probablement destinés à pratiquer des entailles et des incisions sur le corps humain (G

LORY

et al., 1947 : 178). L’occupation de la grotte date du Magdalénien IV, et il est vraisemblable que ce dépôt lui soit contemporain.

Encadré I. Description des lames de Labastide

- Dimensions : 18,6 cm en ligne droite et 19,0 cm selon la courbure. Elle est en silex ocre jaune moucheté de bleu et de blanc. L’une des extrémités est appointée en biseau et l’autre - dont la partie extrême est brisée - pourrait avoir été aménagée, pour les auteurs, en perçoir. Enfin, elle est finement retouchée sur le bord inférieur droit.

- Dimensions : 19,7 cm, large de 3,2 cm. Elle est en silex jaunâtre veiné de zones blanchâtres et ocrées, et est finement retouchée sur les deux bords de chaque extrémité.

L’une des extrémités est arrondie - elle a peut-être été aménagée en grattoir -, l’autre est brisée.

- Dimensions : 20,9 cm en ligne droite et 21 cm selon la courbure, large de 2,6 cm. Elle a été réalisée dans un silex jaspé bleuté avec des veines jaunes ocrées et des kystes blanchâtres.

Elle comprend de petites esquilles d’utilisation sur le bord gauche de l’extrémité distale.

- Dimensions : 17 cm en ligne droite, large de 2,8 cm en silex jaspoïde. Elle est marbrée transversalement de bandes ocrées, mauves et blanchâtres. Elle est finement retouchée sur le bord droit de l’extrémité distale. Elle est brisée aux deux extrémités.

- Dimensions : 17,9 cm en ligne droite, large de 2,7 cm en silex marron noir moucheté de points blanchâtres. Elle présente une des extrémités aménagée en perçoir, tandis que l’autre a été finement retouchée en un microburin. Le bord droit tout entier comporte de petites écailles qui démontrent son utilisation latérale.

Au Mas d’Azil (Ariège), L. Méroc signale la découverte, faite par Mandement en mai

1938, de 4 grandes lames et d’un harpon à deux rangs de barbelures reposant côte à côte

sur le sol dans un boyau exigu s’ouvrant sur la paroi gauche de la «Galerie des Silex », à

environ six mètres de l’entrée (Encadré II). Pour Méroc, les caractéristiques

morphologiques du harpon ne laissent pas la place au doute. Il s’agit d’un lot datant du

Magdalénien VIa de Breuil, et non, comme on aurait pu le penser en s’appuyant sur les

traces d’occupation de la Galerie du Silex, d’un matériel appartenant aux hommes du

Magdalénien IV (M

ÉROC

, 1949 : 237-244 ; B

ÉGOUËN

& C

LOTTES

, 1982 : 518). Enfin,

l’auteur estime que la matière première et la morphologie du matériel lithique indique

une possible provenance de Dordogne.

(10)

Encadré II. Description du matériel provenant du Mas d’Azil

- 1 lame à crêtes. Elle est entière et affecte une couleur bleue au talon et marron clair moucheté de blanc à l’extrémité distale. Les bords sont intacts (longueur : 23 cm) (fig. 1, n° 1).

- 1 lame. Le bulbe a été ôté, elle est donc incomplète. La pointe, tronquée, est intacte. Elle a été réalisée dans un jaspe de couleur bleue moucheté de blanc à la partie proximale, et marron semé de points blancs à la partie distale. La moitié proximale du bord droit est abattu, tandis qu’à droite on observe de nombreuses ébréchures d’utilisation. La moitié distale, en revanche, est absolument intacte, si bien que Méroc a pu penser que cette lame avait pu servir de couteau, la partie intacte ayant été emmanchée (longueur : 17,8 cm) (fig. 1, n° 2).

- 1 lame. Elle est faite dans un jaspe gris beige. Son bord gauche comporte quelques facettes de taille, mais aucune trace d’utilisation ; son bord droit, en revanche, est ébréché par l’usage, et ce particulièrement au niveau de l’extrémité distale (longueur : 18 cm) (fig. 1, n° 3).

- 1 lame. Elle a été extraite d’un nucléus de jaspe beige moiré de jaune et semé de taches bleutées. La partie apicale est manquante et le talon a été appointé par quelques enlèvements.

Elle a été brisée accidentellement à son tiers inférieur (longueur : 17,2 cm) (fig. 1, n° 4).

- 1 harpon à deux rangs de barbelures en bois de renne. Les barbelures, incomplètes pour la plupart, sont anguleuses (longueur : 22 cm) (fig. 1, n° 5).

Les bois de cervidé et le silex ne sont, en fait, pas les seules matières premières à avoir été stockées ; des dépôts parfois très importants d’ivoire et d’hématite ont également été repérés dans plusieurs gisements. Dans la Grande Galerie de la grotte du Pape à Brassempouy (Landes), E. Piette et J. de La Porterie (1897 : 167) nous apprennent qu’un amas de défenses de mammouth étaient stockés en fragments. Cet ivoire était en décomposition, et les auteurs signalent à ce propos : on peut le relever à la pelle (P

IETTE

&

DE

L

A

P

ORTERIE

, 1897 : 167). Ce dépôt gisait non loin d’une des statuettes féminines en ivoire («le Torse») et d’instruments en silex, dans l’assise inférieure de la grotte, que les analyses de H. Delporte permettent de situer au Périgordien supérieur (D

ELPORTE

, 1987 : 111-112 ; 1993 : 23-24). Le stockage de l’ivoire de mammouth n’est d’ailleurs pas propre au site de Brassempouy. A. Rucquoy a découvert, dans la grotte de Spy (Province de Namur, Belgique), dans la partie nord du couloir entre les deux salles, 7 défenses de mammouth entassées (R

UCQUOY

, 1886- 1887 : 324). De même, F. Daleau en a découvert dans la grot-te de Pair-non-Pair en Gironde. Dans le grand corridor, contre la paroi droite, il a exhumé une série de pièces en ivoire qui ont valu à cet endroit le nom de «Cavité aux ivoires» (fig. 2) (B

REUIL

&

C

HEYNIER

, 1963 : 60-62). Les carnets du fouilleur mentionnent la découverte d’un

«bandeau» en ivoire de 63 cm de long (fig. 3), de quelque 50 morceaux d’ivoire, mais aussi d’instruments en silex retouchés et de restes osseux d’animaux (Encadré III), dans la couche D’ supérieure ou KD’. Malheureusement, la stratigraphie reste incertaine et A.

Cheynier estime, sur la base de la présence abondante d’ivoire dans cette couche, que ce dépôt devait appartenir à la couche K, attribuée, par lui, à un «Proto-gravettien» (B

REUIL

& C

HEYNIER

, 1963 : 60). Quoi qu’il en soit, l’abondance de fragments d’ivoire bruts et

travaillés, stockés à cet endroit contre la paroi, permet de retenir la conclusion de

Cheynier selon laquelle la cachette aux ivoires était bien l’armoire des Aurignaciens

(11)

évolués de K (B

REUIL

& C

HEYNIER

, 1963 : 62). Par ailleurs, H. Breuil et H. Lantier (1959 : 306) ont rappelé que des amas de défenses et de molaires de mammouths avaient été groupées, dans un ordre voulu, dans les stations de plein air de Cannstatt en Allemagne, de Predmostí et de Dolní Vestonice en Moravie, et de Honci en Ukraine. Les renseignements fournis ne permettent malheureusement pas d’affirmer - même si cette interprétation est probable - la présence de dépôts dans ces cas précis.

Encadré III. Description du matériel recueilli dans la Cavité aux ivoires de Pair-non- Pair (Excursions 550-552 de F. Daleau)

- 1 bandeau semi-circulaire en ivoire (dimensions : 63 cm de long, 4,3 cm de diamètre) (fig. 3) - 1 ciseau en ivoire

- 1 fragment de défense (dimensions : 50 cm).

- 1 fragment de défense (dimensions : 56 cm).

- 1 morceau de défense (dimensions : 16 cm de long, 8 cm de large).

- plusieurs gros morceaux d’ivoire appartenant probablement à une même défense.

- plusieurs éclats d’ivoire.

- 40 silex retouchés dont 17 grattoirs et 1 fléchette.

- 1 grosse motte d’ocre rouge - 1 masse d’argile verte pétrie.

- de nombreux morceaux d’hématite.

- 300 restes osseux d’animaux comprenant des cervidés (31 %), des équidés (23 %), des bovidés (6 %), des hyènes (10 %), du rhinocéros (8 %), du mammouth (10 %), du renard (2 %), des rongeurs (4 %), des oiseaux (5 %).

Quant à l’hématite, étant donné l’usage abondant qui en a été fait durant tout le Paléolithique (G

ROENEN

, 1991), il aurait été surprenant de ne pas en découvrir dans quelque recoin de certains gisements. Plusieurs sites en ont, en effet, livré soit sous la forme pure d’hématite en poudre ou en morceaux, soit mélangée à de l’argile (ocre).

Toujours dans la grotte de Pair-non-Pair, François Daleau a repéré dans la couche D’

supérieure du Grand corridor - baptisée, par l’inventeur, «l’Avenue» - (B

REUIL

&

C

HEYNIER

, 1963 : 59-61 et 148, fig. 8 et 30) un véritable «magasin» d’ocre rouge. Il raconte en substance dans ces carnets : une très grande quantité d’argile rouge dont un bloc atteint la grosseur de deux poings. C’est probablement sur ce point que les hommes de Pair-non-Pair avaient mis leurs réserves (armoire) (Excursion 550, d’après B

REUIL

& C

HEYNIER

, 1963 : 59). De même, dans le site gravettien de plein air de Stadice, en Bohême, S. Vencl a découvert, dans un petit trou aménagé à cet effet, plus de dix kilos d’hématite. Le colorant était stocké sous la forme de poudre et de morceaux ; il provenait vraisemblablement des affleurements de basalte tout proches (V

ENCL

, 1991 : 161-163). Mais le dépôt de colorant le plus impressionnant est, sans conteste, celui des Longrais dans le Vaucluse. En 1966, B. Edeine a mis au jour un campement de plein air du Paléolithique supérieur avec un atelier de taille autour d’un foyer, un dépôt souterrain d’hématite de plusieurs mètres cubes et une dent de mammouth (B

ONIFAY

, 1967 : 317).

Malheureusement, pour remarquable que soit la découverte, on ne peut guère en tirer

d’informations positives. Tout d’abord en ce qui concerne l’attribution du gisement au

(12)

Paléolithique supérieur, aucune précision chronologique supplémentaires n’a été appor- tée, et la présence de quelques pièces moustériennes n’est pas faite pour nous aider.

L’inventeur, du reste, a lui-même attribué le campement et le dépôt d’hématite au Moustérien moyen (E

DEINE

, 1967 : 133-134). Ensuite, la brièveté des comptes rendus des fouilles et le manque d’illustration ne nous permet pas de vérifier la relation de cette cachette avec le campement. Enfin, l’absence complète d’informations sur la cachette elle-même achève de rendre cette trouvaille, pourtant exceptionnelle, inutilisable. La cachette était, de l’aveu même du fouilleur, souterraine : faut-il comprendre qu’une fosse avait été aménagée pour y placer l’hématite ? Le colorant était-il stocké sous la forme de poudre ou se présentait-il sous la forme de nodules ou de blocs ? Enfin, les auteurs utilisent le terme générique d’ocre ; or, on le sait (G

ROENEN

, 1991 : 12), l’ocre - c’est-à- dire le mélange d’argile et d’hématite pulvérulente, est rare au Paléolithique, et l’imprécision du terme rend la nature même de la matière colorante incertaine.

A vrai dire, les diverses matières premières ne possèdent pas le privilège exclusif d’avoir été mises à l’écart pour répondre aux futurs besoins ; les gisements ne sont pas rares dans lesquels ont été découverts des instruments lithiques ou osseux. Ils ont fré- quemment été déposés à l’écart, sous un bloc rocheux ou dans une fissure de la paroi rocheuse, et ne semblent pas avoir eu de valeur particulière aux yeux des Paléolithiques - la matière première est d’origine locale et les instruments présentent le plus souvent des marques d’usure ou de réaménagement démontrant leur utilisation. Il paraît donc plus légitime d’en parler comme d’une sorte de «trousse» conservée à l’abri, dans l’attente d’un usage futur. Au Cirque de la Patrie, une cachette importante d’instruments lithiques, datant du Gravettien, a été mise au jour sous un gros bloc rocheux. L’ensemble a été découvert par Roux-Devillas le 14 novembre 1955, et il comprend 10 burins, 4 grattoirs, 2 becs-canifs, 2 troncatures obliques, 1 perçoir (C

HEYNIER

, D

ANIEL

& V

IGNARD

, 1963 : 21 ; RN 4, cf. plan : 20). Les pièces étaient isolées, et on peut donc raisonnablement avancer l’hypothèse d’une réserve d’outils mise à l’abri en vue d’une utilisation ulté- rieure. Malheureusement, A. Cheynier n’a pas fourni d’autres détails sur la découverte : la localisation précise n’est pas connue, leur disposition n’a pas du tout été précisée et les pièces ne sont pas même décrites. Bien plus, on ne peut que sentir une certaine négli- gence de sa part puisque dans le corps de la monographie, l’auteur se borne à mention- ner la présence de lames, burins, grattoirs, coupoirs, coutelas (C

HEYNIER

, D

ANIEL

&

V

IGNARD

, 1963 : 105), sans en préciser le nombre. Enfin, les types d’instruments ne cor- respondent même plus à ceux mentionnés dans le journal de fouille. Cette attitude est malheureusement habituelle à l’époque ; ce type de découverte a dû être fréquente, mais les archéologues n’en ont que très rarement rendu compte dans leurs publications.

Ces «trousses» mises à l’abri sous un bloc ou dans une niche ne contiennent d’ailleurs

pas uniquement du matériel lithique. Comme on peut s’y attendre, elles doivent

comprendre un matériel varié destiné à répondre aux diverses activités des chasseurs. Lors

de ses fouilles à Laugerie-Haute en Dordogne, D. Peyrony (1933 : 553-557) a mis au jour,

dans la partie est de l’abri (couche K), à 50 cm de la paroi et à 3 m à gauche des dessins

pariétaux, une réserve d’objets usuels datée du Magdalénien V/VI. Les pièces ont été

décrites et leur emplacement précisé ; pourtant, quelques années plus tard, dans le travail

de synthèse consacré à ce gisement, l’auteur reprend la découverte en donnant, à cette

(13)

occasion, des renseignements qui ne concordent pas (P

EYRONY

& P

EYRONY

, 1938 : 68-74, fig. 52-53). Le matériel recensé comprend 4 longues pointes barbelées, 3 tridents ou fouënes, 1 baguette appointée en bois de renne ayant été utilisée et que l’inventeur a interprétée comme un poignard, 1 gros coin en bois de renne, 1 harpon à un rang de barbelures, 1 ou 2 baguettes demi-rondes et divers ustensiles en pierre (Encadré IV).

D’autres exemples de trousses mises en réserve existent encore ; elles ont en commun de contenir des objets parfois hétéroclites, mais toujours utilitaires. Au Fourneau du Diable en Dordogne, D. Peyrony a relevé la découverte de quatre ciseaux en bois de renne, rassem- blés en paquet, collés ensemble par de la terre durcie, dans la couche inférieure du Solutréen (P

EYRONY

, 1932 : 31, fig. 24). À Ganties-Montespan se trouvaient enfoncés avec forces dans des fissures voisines (T

ROMBE

& D

UBUC

, 1947 : 44) de la paroi, trois pointes d’épieu en os qui n’ont malheureusement pas résisté à leur extraction. Celles-ci devaient être longues de 10 à 12 cm, larges à la base de 5 à 6 cm et épaisses de 2 à 5 cm. Une fois encore, il nous semble légitime de considérer cette découverte comme une trousse de maté- riel utilitaire mise à l’écart dans l’attente de répondre aux besoins futurs. En effet, les ins- truments retrouvés conviennent particulièrement pour le travail de la gravure et du mode- lage qui caractérise, on le sait, la technique pratiquée dans ce réseau. D’autres dépôts ont encore été mis au jour quelques années plus tard. Dans leur publication d’ensemble, F.

Trombe et G. Dubuc (1947 : 44), rapportent la découverte d’une dizaine de silex compre- nant des lames, des grattoirs et des burins au-dessus de la rivière et à hauteur d’homme. Le détail n’est pas donné, pas plus d’ailleurs que leur description, mais il est signalé que ces instruments en silex présentent presque tous des arêtes vives. Dans la mesure où elles ont conservé une arête vive, ces pièces en silex n’ont dû être que peu utilisées, si même elles l’ont été. Pourtant, il est difficile de voir dans cette trouvaille autre chose qu’une simple réserve de matériel placée à disposition - ou, au mieux, un dépôt provisoire.

Même si les fouilles archéologiques étaient orientées dans des directions très diffé- rentes, on ne peut que se demander, à bien considérer les éléments fournis, si l’archéologue a toujours eu conscience de la présence d’un dépôt au moment où il en exhumait le matériel.

La recherche effrénée du fossile directeur semble, dans certains cas, avoir tellement guidé l’archéologue qu’il n’a guère relevé la présence de structures, sauf lorsqu’elles s’imposaient avec une évidence telle qu’il ne pouvait les ignorer. Or, en l’absence d’un contexte archéologique précis, il nous est difficile d’adhérer aux conclusions fournies par certains inventeurs. Ainsi à Saint-Marcel, dans l’Indre, J. Allain dit avoir découvert, dans un sol magdalénien avec foyer, 2 dépôts composés d’ustensiles comprenant, entre autres, 1 lampe, 1 poignard, 20 sagaies, des ciseaux, des bois de renne débités ou non ...

Le compte-rendu effectué par Patte (1949) ne dresse pas la liste exhaustive des objets

trouvés dans les dépôts, pas plus qu’il ne rend compte de la situation archéologique de la

découverte : où se trouvaient disposés les objets dans la grotte, comment étaient-ils

placés les uns par rapport aux autres, étaient-ils recouverts de sédiments ou protégés par

une quelconque structure ... , sont autant de questions essentielles pour pouvoir trancher

en faveur d’un dépôt, et pour lesquelles nous ne possédons aucune réponse. En outre, il

ne recense pas les types d’objets découverts dans chacun des deux dépôts, il ne précise

pas leur nombre et ne fournit aucune description. Pour une trouvaille aussi importante,

on ne peut que regretter de ne même pas pouvoir affirmer être en présence d’un dépôt !

(14)

Encadré IV. Description des pièces découvertes à Laugerie-Haute

- 1 pointe barbelée, dimensions : 30 cm de long, 59 barbelures (fig. 4, n° 1).

- 1 pointe barbelée, dimensions : 24 cm (fig. 4, n° 2).

- 1 pointe barbelée, dimensions : 22 cm (fig. 4, n° 3).

- 1 pointe barbelée, il n’en subsiste qu’un fragment : dimensions non précisées (fig. 4, n° 4).

- 1 trident, dimensions : 10 cm de long (fig. 5, n° 1).

- 1 trident, dimensions : 7,5 cm de long (fig. 5, n° 3).

- 1 trident, dimensions : 6,5 cm de long (fig. 5, n° 4).

- 1 baguette appointée en bois de renne qui pourrait avoir été utilisée comme poignard, dimensions : 23 cm (fig. 4, n° 5).

- 1 gros coin en bois de renne.

- 1 harpon à un rang de barbelures mentionné en 1933 (o.c., 554), mais comme provenant de ce niveau au pied des gravures (fig. 4, n° 7).

- 2 baguettes demi-rondes mentionnées en 1938 (o.c. : 68), mais dont une seule est signalée en 1933 (o.c. : 554), et comme provenant de ce niveau au pied des gravures (fig. 4, n° 8).

- 3 morceaux de grès rouge usagés, cités dans la publication de 1933 (o.c., 554) et non mentionnés dans la publication de 1938.

- 2 galets en quartzite dont un des côtés, aplati par frottement (...) paraissait avoir été employé à lisser la paroi rocheuse pour la régulariser, puis la graver1 (o.c., 1938 : 68).

- 1 boudin d’argile grise, mais en 1938, les auteurs signalent : des boudins dans une argile grise destinée vraisemblablement à des modelages (o.c., 1938 : 68).

- 1 fragment de lame à bords très usagés.

- 1 lamelle à dos abattu (fig. 5, n° 2).

- 1 grattoir sur bout de lame (non mentionné dans la publication de 1933).

- des écailles de calcaire détachées de la voûte avec traces de gravures et de couleur rouge, mentionnées dans la publication de 1933 (o.c. : 554) comme provenant de ce niveau, mais au pied des gravures.

Il faut cependant souligner que toutes les trouvailles de ce type n’ont pas été négligées à ce point. Quelques dépôts, comme ceux d’Erralla dont nous allons examiner le contenu, ont heureusement été soigneusement observés et consignés. Dans la grotte d’Erralla (Pays basque espagnol), J. Altuna, A. Baldeon et K. Mariezkurrena ont mis au jour deux dépôts situés à 3 m l’un de l’autre, gisant contre deux groupes de foyers, dans un niveau du Magdalénien inférieur daté, par le radiocarbone, à 15.740 ± 740 et 16.200 ± 240 B.P. Le premier se trouvait sous une pierre plate de couverture fragmentée par le poids des sédi- ments supportée par deux dalles fichées verticalement dans le sol. Il contenait un bois de mue de cerf ainsi que plusieurs fragments de merrain du même animal et trois fragments de sagaie en bois de cerf de section quadrangulaire ornés d’incisions. Le tout était étroite- ment associé à des restes osseux de cerf, d’isard et de bouquetin, à des coquilles de Patella vulgata et de Littorina littorea et à de grands morceaux de calcite bien cristallisés (Encadré V). Le second dépôt, quant à lui, se trouvait sous le rebord de la paroi rocheuse, et protégé par elle ; il comprenait également un bois de mue de cerf en relation immédiate avec une extrémité distale d’andouiller de cerf coupé dans le sens longitudinal, un fragment

1 On comprendra tout l’intérêt de cette constatation pour Peyrony si l’on veut bien se souvenir du fait que quelques mètres loin se trouvent des gravures pariétales qui se trouvent datées, par la même occasion.

(15)

de sagaie de section quadrangulaire, des restes osseux de bouquetin, de cerf et d’isard, ainsi que des coquilles appartenant aux mêmes espèces que celles du premier dépôt.

Comme dans celui-ci, se trouvait une grande druse de calcite (Encadré VI) (A

LTUNA

et al., 1984). Les auteurs interprètent ces accumulations de matériel comme des dépôts rituels. Selon eux, le groupe qui a séjourné dans la grotte chassait le bouquetin au moyen d’instruments en bois de cerf, ce qui le conduisit peut-être à «offrir» ces deux bois, matière première de son industrie osseuse, à côté des instruments terminés eux-mêmes et d’autres en voie de fabrication (o.c. : 10). Une fois encore, la valeur rituelle de ce type de découverte n’est pas appuyée par des arguments suffisamment probants : l’interprétation selon laquelle le matériel aurait été stocké pour être récupéré et réutilisé ensuite peut largement suffire à expliquer leur présence. L’isolement d’un matériel varié et sans relation utilitaire apparente ne saurait constituer un critère pertinent pour postuler l’existence de pratiques rituelles ou magiques. Tout au contraire, l’association d’objets diversifiés témoigne d’opérations pratiques spécialisées en accord avec la catégorie dans laquelle nous plaçons ce type de découverte. Ces «trousses », comme on peut s’y attendre, peuvent, en effet, contenir un matériel hétéroclite : il s’agit, en effet, de pièces adaptées à des besoins précis, déjà utilisées et dissimulées en vue de poursuivre ou de recommencer des opérations déterminées. C’est la raison pour laquelle elles ne contiennent pas toujours uniquement des outils ou des armes, comme nous pouvons nous en rendre compte avec le dépôt composé d’une sagaie bipointe et d’un bassin de rhinocéros parsemé de nombreuses traces d’utilisation, trouvés dans un diverticule contre la paroi, et adhérant à elle, de la grotte Walou en Province de Liège (Belgique) (D

EWEZ

, 1993 : 65).

Encadré V. Description du matériel trouvé dans le premier dépôt de la grotte d’Erralla

- 1 bois de mue de cerf avec l’andouiller de massacre, le surandouiller et la chevillure. Le

merrain était découpé au-dessus de la chevillure et brisé à ce niveau.

- 1 fragment de merrain de bois de cerf avec l’empaumure (2 épois). L’un des épois comporte des incisions à son extrémité et a été brisé à ce niveau ; l’autre a été scié longitudinalement.

- 1 fragment de sagaie en bois de cerf de section quadrangulaire (dimensions : 104 mm de long et 9 mm d’épaisseur), orné de traits longitudinaux et transversaux sur les deux faces et de courtes incisions obliques ou transversales sur les deux côtés (Altuna et al., 1984 : 7, fig.

3).

- 1 base de sagaie en bois de cerf, de section quadrangulaire, avec un biseau simple, décorée de 5 motifs en X (o.c. : 7, fig. 4).

- 1 base de sagaie en bois de cerf, de section quadrangulaire, avec un biseau couvert d’incisions courtes obliques.

- 1 fragment de merrain de cerf avec biseaux longitudinaux polis (dimensions : 120 x 13 mm).

- 1 fragment de merrain de cerf avec biseaux longitudinaux polis (dimensions : 160 x 32 mm).

- des restes osseux de bouquetin (171), d’isard (12) et de cerf (7).

- des coquilles de Patella vulgata (15) et de Littorina littorea (6).

- plusieurs morceaux de calcite.

(16)

Encadré VI. Description du matériel trouvé dans le second dépôt de la grotte d’Erralla

- 1 bois de mue de cerf entier (Altuna et al., 1984 : 8, fig. 5).

- 1 fragment de sagaie en bois de cerf, de section quadrangulaire (dimensions : 86 x 10 mm).

Les deux faces présentent des incisions longitudinales recoupées par un trait court transversal (o.c. : 8, fig. 6).

- 1 extrémité distale d’andouiller de cerf découpée dans le sens longitudinal, avec des incisions transversales à la base. Elle présente deux biseaux avec des stries longitudinales.

- des restes osseux de bouquetin (39), d’isard (2) et de cerf (2).

- des coquilles de Patella vulgata (4) et de Littorina littorea (2).

- 1 grande druse de calcite.

C’est peut-être dans la catégorie des réserves qu’il faudrait inclure des découvertes de

restes osseux d’animaux stockés. Il s’agit toujours de restes en connexion anatomique

comprenant une même partie d’animal en plusieurs exemplaires. Les conditions de

découverte montrent que ces restes ont été intentionnellement dissimulés, mais nous

n’avons aucune interprétation à proposer quant au sens de ce stockage. À Badegoule, en

Dordogne, A. Cheynier a trouvé 8 pattes de renne entières groupées sous un bloc

rocheux (bloc E) dans le niveau Solutréen III. Ces pattes ont évidemment été stockées

intentionnellement à cet endroit et, selon lui, il s’agirait de provisions de tendons,

indispensables aux travaux de couture (C

HEYNIER

, 1949 : 31 ; C

HEYNIER

, 1967 : 27). À

Avdeevo et à Kostienki, ce sont des pieds entiers de mammouths en connexion

anatomique qui ont été découverts dans des fosses (A

BRAMOVA

, 1995 : 42 et 49). Enfin,

à Gagarino en Russie, S.N. Zamiatnine signale la présence de vertèbres sacrées de

mammouth découvertes en connexion anatomique et cachées intentionnellement dans

une petite fosse près de la paroi de l’habitat. Il interprète sa découverte comme ayant eu

un rôle magique (A

BRAMOVA

, 1995 : 42). Des réserves de bois de renne femelle ont

également été découvertes et, de même que pour les restes osseux, nous ne sommes pas

en mesure de proposer une interprétation sur le sens de ces accumulations. On le sait, la

femelle du renne possède également des bois ; mais, contrairement à ceux des mâles,

leurs bois sont de petite dimension. En outre, ils sont particulièrement tendres et

n’offrent donc que peu d’intérêt pour la fabrication d’armes ou d’outils, leur fonction

reste donc, pour le moment, inexpliquée. Quoi qu’il en soit, les hommes du Paléolithique

leur ont découvert un usage puisqu’ils ont jugé bon de les stocker. Au Trou des Nutons

(Province de Namur, Belgique), E. Dupont (1872² : 151) rapporte la découverte de près

de 150 bois de renne de mue non utilisés, tandis que dans la grotte du Presle (Province

de Namur, Belgique), ce n’est pas moins de 400 fragments de bois de renne qui ont été

stockés. 41 perches ont conservé leur base : il s’agit donc de bois de chute. Parmi ces

perches, 35 appartiennent sans aucun doute à des femelles et 3 en proviennent

probablement. Ils ont été récoltés dans la partie amont du gisement, où ils se trouvaient

apparemment concentrés M. Dewez (1987 : 28). Ceci rappelle encore l’exemple du trou

des Blaireaux à Vaucelles où C. Bélier et P. Cattelain (1984) ont également mis au jour

une accumulation de bois de renne femelle.

(17)

Fait intéressant, certaines réserves ne comprennent pas seulement des outils ou des armes ; il en est également qui associent au matériel usuel des éléments de parure ou des objets d’art. Il faut d’ailleurs remarquer que plus les objets stockés sont nombreux, mieux ils sont dissimulés.

De même, le soin mis pour dissimuler le matériel semble directement en rapport avec la présence d’objets difficile à réaliser ou d’éléments d’origine étrangère. L’homme du Paléolithique a donc manifestement eu conscience de la valeur à accorder aux objets et de la nécessité de les protéger. Ce type de découverte s’inscrit donc davantage dans la catégorie des dépôts que dans celle des réserves ; il ne s’agit, en effet, pas tant d’ustensiles placés à proximité pour satisfaire aux besoins immédiats que d’objets déposés dans un emplacement protégé en vue d’une récupération future. À Farincourt, R. Joffroy et P. Mouton signalent la découverte, dans une fissure terminale de la 2

e

grotte de 0m50 à 0m15 marquée par un antérieur de loup (radius et cubitus en connexion trouvés avec un gros morceau d’ivoire brut 15 ans auparavant et 4 métacarpiens de loup dans la cachette), de quelques pièces dissimulées parmi lesquelles se trouvaient des instruments en os ou en bois de renne (Encadré VII). Cette trouvaille a été faite en 1951 ; et les objets ont d’abord été considérés comme appartenant au Magdalénien 0 à scalènes (J

OFFROY

& M

OUTON

, 1952 : 73-76) avant d’être réattribués au Magdalénien III (M

OUTON

& J

OFFROY

, 1956, pp. 204-207, fig. 72). À l’intérieur de la cachette, les objets gisaient pêle-mêle, la plupart en position verticale. La cachette était masquée par des blocs. Devant l’un d’eux, les auteurs ont retrouvé une dent humaine (canine supérieure).

Encadré VII. Description du matériel de Farincourt

- 1 gros morceau de grès ferrugineux de section cylindrique appointé par grattage aux deux extrémités (dimensions : 14 cm de long et 6 de diamètre).

- 1 tibia de grand échassier (grue ?) scié aux deux extrémités. Nombreux grattages et stries profondes sans signification apparente (dimensions : 17 cm de long).

- 1 baguette en bois de renne polie et à pointe mousse (« poussoir ») semblable à 5 pièces similaires recueillies en stratigraphie (dimensions : 9 cm de long).

- 1 burin.

- 1 esquille d’os appointée et polie sur toute sa surface. La pièce rappelle un coupe-papier. Alêne ou perçoir

? (dimensions : 7 cm de long).

- 1 grand fragment de bois de renne comprenant la base du merrain et l’andouiller d’oeil avec traces de sciage sans trace de perforation, interprété comme bâton de commandement au premier stade de sa fabrication (JOFFROY &MOUTON,1952 : 74).

- 1 bâton percé soigneusement poli terminé par une représentation de gland pénien réaliste. En haut du grand diamètre du trou, on observe une petite gouttière qui s’explique par l’usure d’une lanière. La pièce aurait donc été portée longtemps suspendue (dimensions : 19,8 cm de long et large de 7,4 cm au sommet) (fig. 6).

Un autre dépôt contenant des éléments de parure provient de la grotte d’Altamira dans les

Cantabres espagnoles. Il comprend une série d’objets trouvés, en 1926 par H. Obermaier,

dans un étroit passage d’une dizaine de mètres de long formé par des blocs calcaires tombés

du plafond. Il était rempli d’argile jaune dans laquelle l’inventeur a mis au jour quelques

pièces de matériel lithique - dont un éclat en cristal de roche -, une mandibule de renard, un

galet plat avec des traces de colorants rouge et noir, des crayons de matière colorante, de

grandes patelles ainsi que trois valves plates de Pecten percées (Encadré VIII)

(18)

(B

REUIL

& O

BERMAIER

, 1935 : 194-196, fig. 177). Ces objets se trouvaient ensemble et, comme le signalent les auteurs, il est impossible, pour un homme, de vivre à cet endroit ; les objets n’ont donc pu y être placés qu’intentionnellement au moment de l’occupation de la grotte, c’est-à-dire durant le Paléolithique (B

REUIL

& O

BERMAIER

, 1935 : 196).

Encadré VIII. Description du matériel découvert à Altamira

- 3 lames en silex.

- 1 éclat en quartz.

- 1 éclat en cristal de roche.

- plusieurs grandes patelles.

- 3 valves de Pecten jacobaeus percées à leur sommet pour la suspension.

- 1 galet plat avec des restes de colorants rouge et noir ainsi que des lignes gravées.

- des restes de crayons.

- 1 mandibule de Canis vulpes.

Des dépôts comprenant à la fois des instruments usuels et des œuvres d’art sont également connus dans la grotte de Bédeilhac en Ariège et dans le gisement de Fontalès dans le Tarn-et-Garonne. À Bédeilhac, M. Martel a dégagé le long de la paroi droite de la grande galerie, une niche dans laquelle se trouvaient trois lames en silex, deux pointes de sagaies à base en double biseau et un morceau de plaquette stalagmitique gravé d’un arrière- train de cheval (M

ARTEL

, 1955 : 240) (Encadré IX) (fig. 7-8).Les trois lames étaient encadrées par la plaquette gravée - disposée à l’avant de la niche - et par les deux pointes de sagaie disposées le long de la paroi (M

ARTEL

, 1955 : 240, fig. n° 3 A-4). Étant donné l’exiguïté de l’espace au sein duquel se trouvaient les objets dans la niche et le fait qu’ils étaient tous disposés de champ, on ne peut évidemment que retenir l’hypothèse du dépôt.

Encadré IX. Description du matériel découvert à Bédeilhac

- 1 fragment de plaquette stalagmitique posée de champ, portant dans le coin inférieur gauche d’une de ses faces la gravure d’un arrière-train d’équidé (fig. 8, n° 1).

- 1 lame en silex posée de champ (dimensions : 4,8 x 1,6 cm) (fig. 8, n° 2).

- 1 lame en silex posée de champ (dimensions : 4,5 x 1,7 cm) (fig. 8, n° 3).

- 1 lame en silex calcédonieux posée de champ (dimensions : 3,4 x 1 cm) (fig. 8, n° 4).

- 1 sagaie à base en double biseau inachevée (fig. 8, n° 5).

- 1 sagaie à base en double biseau cassée, réappointée et recassée (fig. 8, n° 6).

La même conclusion vaut d’ailleurs également pour le gisement de Fontalès où P.

Darasse a découvert un dépôt comprenant des instruments en silex et une pendeloque.

Les objets se trouvaient dans une petite cuvette aménagée dans une couche de sédiments

jaunes, à la base d’une couche noire du Magdalénien IV ou V. Celle-ci avait été remplie

d’un mélange de sédiments jaune et noir et était recouverte par trois galets dressés l’un

contre l’autre et formant une sorte de toit (D

ARASSE

, 1949 : 224). Nous sommes donc

incontestablement en présence d’un dépôt intentionnel aménagé par les hommes du

Magdalénien moyen qui ont creusé une cuvette dans la couche sous-jacente, y ont placé

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