Journal Identification = IPE Article Identification = 1821 Date: July 9, 2018 Time: 1:42 pm
Éditorial
L’Information psychiatrique 2018 ; 94 (6) : 431-4
La raison d’État a eu raison du secret médical
Michel David
Vice-président du SPH Rédacteur en chef adjoint del’Information psychiatrique
©M. David
En 2016, une collègue somaticienne exerc¸ant en prison écrivait un essai annonc¸ant la mort du secret médical [1]. Il est opportun de citer une collègue somaticienne, car contrairement à ce qu’en pensent certains, la psychiatrie ne s’est pas écartée de la médecine [2] et réflexion et prise en charge communes restent très partagées quand les moyens existent.
Sous le prétexte du péril imminent que représente la radicalisation, le coup de grâce vient d’être donné au secret médical. Sa mort était malheureusement déjà bien intériorisée par de nombreux soignants, médecins comme paramé- dicaux, sous prétexte que le secret médical en tant que tel n’existait plus, étant remplacé par le secret professionnel. Comment comprendre l’intériorisation de tels raccourcis, en faisant fi de l’histoire ?
En effet, avec la réforme du Code pénal effective en 1994, l’ancien article 378 a été remplacé par le 226-13, modifiant ainsi un énoncé mettant les médecins et autres professionnels de santé comme modèle du secret professionnel par une formule plus lapidaire évoquant la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire. L’oubli de l’histoire, évidemment regrettable, permet l’abandon de valeurs antiques pour se sou- mettre à la dictature de la transparence et à l’acquiescement aux directives politiques.
D’ailleurs, secret médical et indépendance professionnelle vont de pair.
Délaisser l’un, c’est renoncer à l’autre. Ce double mouvement est « en marche»et«en même temps». Ce n’est pas la première fois que j’évoque ce sujet dans notre revue. En 2015, j’écrivais que le secret médical semblait un concept ringard et dépassé [3] et qu’il tirait sa révérence en relation avec le projet de la loi de modernisation de notre système de santé [4].
Que se passe-t-il de nouveau maintenant ? La raison d’État devant le péril terroriste avance de manière insidieuse dans les textes ou de fac¸on plus gros- sière dans les pratiques. Elle contribue à faire vaciller les esprits déjà bien affaiblis par un lent et continu travail de sape.
Un décret sécuritaire
Le décret n◦2018-383 du 23 mai 2018 autorisant les traitements de données à caractère personnel relatifs au suivi des personnes en soins psychia- triques sans consentement [5] paraît presque anodin et les«non-initiés»se demandent bien pour quelles raisons il fait autant réagir les professionnels [6-8] et les usagers [9] dont certains comme le CRPA annoncent un recours en excès de pouvoir, enfin tous ceux qui sont vigilants, un peu lanceurs d’alerte. Certes, la lecture du décret montre qu’une information concernant les personnes relevant de soins psychiatriques sans consentement va faire l’objet d’un recensement dans un fichier accessible à de nombreuses auto- rités, mais les quelques curieux qui pousseront leur enquête pour savoir ce qui dérange autant apprendront des autorités qu’il s’agit simplement de clarifier une situation déjà existante depuis longtemps, mais plutôt mal coor- donnée. Ils découvriront aussi en poussant leur enquête que les raisons de l’amélioration de la coordination se trouvent dans la mesure 39 du plan national de prévention de la radicalisation présenté en février 2018 et qui prévoit «d’actualiser les dispositions existantes relatives à l’accès et à la
doi:10.1684/ipe.2018.1821
Correspondance :M. David
<michel.david.sph@gmail.com>
431
Pour citer cet article : David M. La raison d’État a eu raison du secret médical. L’Information psychiatrique 2018 ; 94 (6) : 431-4 doi:10.1684/ipe.2018.1821
Journal Identification = IPE Article Identification = 1821 Date: July 9, 2018 Time: 1:42 pm
M. David
conservation des données sensibles contenues dans l’application de ges- tion des personnes faisant l’objet d’une mesure de soins psychiatriques sans consentement (HOPSY)»[10].
Dans les semaines qui ont suivi l’annonce du plan, les ARS ont écrit aux directeurs d’établissements pour leur demander de communiquer directe- ment à la préfecture l’identité des patients qui font l’objet d’une mesure de soins sur décision du directeur d’établissement/SDDE (soins sur demande d’un tiers). Cette mesure était prévue par la loi, mais n’était pas d’usage courant, d’où la surprise des professionnels. Le non-usage d’une loi a plu- tôt tendance à faire considérer qu’elle est désuète ou inadaptée, à défaut d’avoir été abrogée. Que les préfets soient au courant des soins relevant de leur décision (SDRE) est évident, mais l’est beaucoup moins pour les soins sur demande d’un tiers. Pour quelles raisons les préfets devraient-ils être infor- més de l’hospitalisation d’une personne sur demande d’un tiers pour motif dépressif ? La réponse que l’on peut subodorer m’a d’ailleurs été apportée directement lors d’une réunion de mon hôpital avec la préfecture. Certes, ma question a dérangé ; certes, on me dit qu’on ne pourra traiter toutes les données, mais qu’il sera utile à la préfecture de croiser l’information que la personne fichée S est hospitalisée sans son consentement.
Donc sous prétexte de lutter contre des cas rares, il faut ficher toutes les personnes hospitalisées sans leur consentement soit 92 000 en 2015, selon l’Irdes [11]. À quand le tour pour les hospitalisations librement consenties ? Et le fichage peut durer plus de trois ans, alors qu’il aurait pour fonction de
«gérer»le temps de la mesure de soins sans consentement. La durée fixée, en s’appuyant dans le décret sur une étude de l’Irdes de 2016, paraît arbitraire, d’autant plus que l’étude de l’Irdes de 2017 précise que«la population prise en charge sans consentement se renouvelle de plus de la moitié chaque année.
En 2015, 64 000 patients ayant rec¸u des soins sans consentement n’en avaient pas eu l’année précédente, et 52 000 n’en avaient pas eu non plus les trois années précédentes»[11].
Un travail de sape auprès des hospitaliers
Les services préfectoraux, voire les services de la sécurité intérieure se mettent également en contact avec les hôpitaux, soit présentiellement, soit par écrit en essayant, sous prétexte du devoir citoyen qui s’impose à tous, d’obtenir des informations couvertes par le secret médical et ne faisant pas l’objet de dérogations légales. Il faut en effet rappeler qu’il existe un consen- sus entre les psychiatres, et les médecins en général, qu’il convient de prendre les dispositions nécessaires quand ils apprennent dans le cadre de leur pro- fession qu’une situation dangereuse est probable ou imminente.
Le motif de ce fichage est évidemment la dangerosité supposée des per- sonnes hospitalisées sans leur consentement. Il n’y a pas qu’en psychiatrie que des mesures de précaution sont prises face à des cas rares. Il en est ainsi des cages de verre dans les tribunaux auxquelles les avocats s’opposent frontalement [12].
Il existe aussi un paradoxe, mais qui n’est étonnant qu’en apparence. Il n’est pas fait état dans le décret de la nécessité d’informer l’usager qu’il va être fiché, alors que la CNIL a souhaité que cet«oubli»dans le projet de décret soit corrigé dans sa version définitive [13]. En outre, le décret n’autorise pas la personne concernée à faire valoir à un droit d’opposition à l’inscription dans ce fichier que préconise la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Les juristes nous diront si la hiérarchie des normes a été bien respectée. Indépendamment de cette nuance juridique, il incombera aux psychiatres d’informer au moment de l’admission, moment serein par définition, les personnes ainsi que les tiers demandeurs, de ce fichage. Il paraît
432 L’Information psychiatrique•vol. 94, n◦6, juin-juillet 2018
Journal Identification = IPE Article Identification = 1821 Date: July 9, 2018 Time: 1:42 pm
La raison d’État a eu raison du secret médical
évident que la démarche de demande d’hospitalisation, déjà souvent difficile pour les tiers, ne sera pas facilitée et que la confiance envers des hospitaliers, délateurs par obligation et automatisme, ne peut qu’être ébranlée.
Pour revenir aux « non-initiés », la lecture du décret peut leur faire se demander en quoi le secret médical pourrait être violé puisqu’aucune infor- mation clinique ou diagnostique n’est concernée, mais uniquement des informations «administratives». Il convient de faire appel aux juristes qui semblent un peu mieux entendus, quand ils disent la même chose que les médecins, mais ne sont pas suspects de vouloir conserver leur exorbitant pou- voir médical. Ainsi Virginie Gautron dans son rapport d’expert pour l’audition publique sur les auteurs de violences sexuelles, citant le Conseil national de l’ordre des médecins :«Le secret médical s’impose pour tout ce que le méde- cin a pu voir, entendre ou même deviné et déduire. Même les constatations négatives doivent être tues ? Il n’y a donc pas de différence entre le renseigne- ment administratif (nom, adresse...) et médical (diagnostic, traitement), entre la confidence et le traitement anodin»[14]. Cette situation permet de faire un lien entre la question posée à la juriste et la problématique de ce décret en fai- sant état d’une disposition peu connue : l’extension du suivi socio-judiciaire et donc de l’injonction de soins aux personnes condamnées pour terrorisme depuis la loi du 3 juin 2016 (article 421-8 du Code pénal) [15]. Infinie extension sécuritaire du«soin»psychiatrique.
Le présent éditorial n’a pas pour objet de détailler les motifs de l’opposition à ce texte qui fera l’objet probablement de recours, mais d’exprimer la veille permanente que nous devons faire pour maintenir l’outil de travail que repré- sentent le secret médical et l’indépendance professionnelle qui est pour les psychiatres l’équivalent de l’asepsie pour les chirurgiens. Il faut garder cet espace de confiance indispensable à notre mission thérapeutique et pour- suivre la réaction qui avait suivi durant l’été 2017 la déclaration du ministre de l’Intérieur qui souhaitait enrôler la psychiatrie, sans nuance, dans la lutte contre la radicalisation religieuse.
Bien sûr, la psychiatrie possède dans son patrimoine génétique avec la loi de 1838, un gène thérapeutique et un gène sécuritaire. Le premier devrait toujours être dominant. Actuellement, face à un danger qu’il ne s’agit pas de nier, il risque de devenir très récessif et l’autre dominant. Si tel était le cas, les terroristes auraient gagné.
Liens d’intérêts l’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.
Références
1.Lécu A. Le secret médical, vie et mort. Paris : Les éditions du Cerf, 2016.
2.Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux. Madame la ministre de la Santé s’est-elle (déjà ?) trop écartée de la psychiatrie ? Communiqué du 2 mai 2018.L’Information psychiatrique2018 ; 94 : 331-2.
3.David M. le secret médical en prison et ailleurs. Un concept dépassé et ringard ou un désordre des esprits ?L’Information psychiatrique2015 ; 91 : 662-70. doi : 10,168 4/ipe.2015.1392.
4.David M. le secret médical tire sa révérence en 2015.L’Information psychiatrique2015 ; 91 : 637-9. doi : 10,168 4/ipe.2015.1934.
5.Décret n◦2018-383 du 23 mai 2018 autorisant les traitements de données à caractère personnel relatifs au suivi des personnes en soins psychiatriques sans consentement. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000036936873.
6.ASPMP.Soins sans consentement :«Non au fichage des patients». Santé mentale.fr 26 mai 2018. https://www.santementale.fr/actualites/non-au- fichage-des-patients.html (consulté le 1/7/2018).
7.USP. Communiqué. Délation : nouvelle trahison de Mme Buzyn. 4 juin 2018. https://www.uspsy.fr/IMG/pdf/communique_de_l_usp_nouvelle_
trahison_de_mme_buzyn-2.pdf (consulté le 1/7/2018).
8.SPH. Communiqué. Casier psychiatrique et pressurisations sécuritaires. 6 juin 2018, https://sphweb.fr/blog/2018/06/07/communique-casier- psychiatrique/ (consulté le 1/7/2018).
9.Adesm, Fnapsy, Unafam. Communiqué.Un décret portant atteinte aux patients les plus vulnérables en psychiatrie. 4 juin 2018, unafam.org/
Un-decret-portant-atteinte-aux.html (consulté le 1/7/2018).
10.https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/contenu/piece-jointe/2018/02/2018-02-23-cipdr-radicalisation.pdf (consulté le 1/7/2018).
L’Information psychiatrique•vol. 94, n◦6, juin-juillet 2018 433
Journal Identification = IPE Article Identification = 1821 Date: July 9, 2018 Time: 1:42 pm
M. David
11.Irdes. Les soins sans consentement en psychiatrie : bilan après quatre années de mise en œuvre de la loi du 5 juillet 2011. Question d’économie de la santé 2017 ; 222. irdes.fr/recherche/questions-d-economie-de-la-sante/222-les-soins-sans-consentement-en-psychiatrie.pdf.
12.Conseil national des barreaux. Les avocats.Lettre ouverte du Conseil national des barreaux du 13 avril 2018.https://www.cnb.avocat.fr/fr/actualites/
cages-de-verre-lettre-ouverte-la-garde-des-sceaux (consulté le 1/7/2018).
13.CNIL.Délibération no2018-152 du 3 mai 2018 portant avis sur un projet de décret autorisant les traitements de données à caractère personnel relatifs au suivi des personnes en soins psychiatriques sans consentement. (Demande d’avis no18005564). NOR :CNIX1813904X.
14.Gautron V.Existe-t-il un bénéfice que les soins soient ordonnées pénalement et pour qui ? Quel bilan pour le dispositif d’injonction de soins ? Quelle est sa place par rapport à l’obligation de soins ?Paris : Audition Publique, 14-15 juin 2018, Auteurs de violences sexuelles : prévention, évaluation, prise en charge.
15.Guitz I.Quels sont les critères pertinents pour proposer une injonction de soin ? Du point de vue du juge, y a-t-il des critères pour proposer la levée de la mesure ?Paris : Audition Publique, 14-15 juin 2018, Auteurs de violences sexuelles : prévention, évaluation, prise en charge.
434 L’Information psychiatrique•vol. 94, n◦6, juin-juillet 2018