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Intelligence stratégique et géostratégie Collection dirigée par Viviane du Castel

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Academic year: 2022

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Où va le Kenya ?

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Intelligence stratégique et géostratégie

Collection dirigée par Viviane du Castel

La collection « Intelligence stratégique et géostratégie » vise à mieux comprendre les évolutions du monde découlant de la nouvelle donne géopolitique en construction. Le recours à l’Intelligence stratégique et à la géostratégie sont des incontournables du décryptage du monde.

Les éditions L’Harmattan ont souhaité éclairer les lecteurs sur les changements géostratégiques en créant cette collection « Intelligence stratégique et géostratégie ».

Celle-ci se donne pour objectif de présenter des analyses et des mises en relation d’événements internationaux, ainsi que des projections de la géographie et des composantes intrinsèques des Etats, face à un contexte spécifique, dans une perspective stratégique.

Du même auteur

Vent d’Irlande, Editions Tequi, 2007

La Lituanie au quotidien ,L’Harmattan , 2009

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Jean Bigot

Où va le Kenya ?

Un grand d’Afrique

entre tensions et développement

L’HARMATTAN

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© L'HARMATTAN, 2011

5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com

diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-56220-2

EAN : 9782296562202

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7 Avant propos

Il est un pays qui a fait rêver le monde depuis la sortie d’un film exceptionnel Out Of Africa. Le même pays vient à nouveau de tenir le monde en haleine pendant une-quasi guerre civile au cours de laquelle il a failli sombrer.

Issu d’une famille de cultivateurs exploitant sur les mêmes terres depuis 1641,j’ai eu le privilège de faire des études supérieures .En 1958 j’ai créé une exploitation horticole spécialisée dans la production de roses. En 2000 mes enfants ayant pris le relais ont voulu relever les défis de la mondialisation. L’entreprise familiale s’est implantée dans ce pays jeune qu’est le Kenya. Je passe beaucoup de temps à la ferme établie à Naivasha. Je retrouve avec bonheur les sensations des premiers temps de la création d’une entreprise. Je loue l’amour-propre de nos collaborateurs et j’apprécie leur fierté d’avoir vu naître et de voir grandir une exploitation.

Je n’avais jamais imaginé vivre de l’intérieur une guerre fratricide.

C’est une expérience inoubliable. Je n’avais jamais imaginé rencontrer tant de personnages passionnants et partager avec eux aussi intimement leurs réactions et aspirations. J’ai beaucoup écouté ces sages dont le discours est aux antipodes de celui des politiciens et des lobbyistes.

Décrire exclusivement l’enchaînement de haine et de violence risquerait de desservir le Kenya qui mérite mieux qu’une image lapidaire. C’est pourquoi, l’ouvrage se complète par des tableaux de la vie quotidienne qui révèlent des aspects traditionnels ou insolites d’un pays fascinant et complexe.

Après la tempête, le calme est revenu. Un référendum vient d’entériner une nouvelle constitution. C’était un test. Il s’est déroulé dans le calme. A l’approche d’une prochaine élection présidentielle, j’ai consigné les évènements vécus ces dernières années au seul titre de témoin. J’ai rassemblé un certain nombre de

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reportages et d’articles significatifs de la presse quotidienne pendant les évènements.

Si j’avais publié ce livre avant le référendum, je l’aurais intitulé

« Des larmes sur le Mont Kenya ». Après le vote de la nouvelle constitution des espoirs de réformes sérieuses sont prévisibles.

Aujourd’hui, les Kenyans attendent que la justice soit rendue en faveur des victimes des troubles postélectoraux. Un procès équitable devrait faire baisser les tensions.

Cette chronique prend quelques libertés avec la chronologie afin de mieux éclairer certains enchaînements. Les répétitions sont volontaires pour mieux traduire le climat à la fin de chacune des journées cruciales.

J’insiste surtout sur les signes d’apaisement malgré les accès de fièvre récurrents, malgré les non-dits et les ressentiments qui persistent, ces signes sont autant de promesses d’espérance.

Je ne prends position, ni pour, ni contre les protagonistes des évènements qui scandent la vie des Kenyans, mais je m’interroge.

Le monde entier a suivi avec angoisse la tragédie postélectorale de 2008. Bien avant que le monde ne découvre le drame, la presse locale entretenait hélas une campagne dont la violence laissait mal augurer de l’avenir. Les rivalités politiques ont parfois été instrumentalisées. La lecture des évènements par les médias étrangers était souvent simpliste quand ils prétendaient que les Kenyans se livraient à une guerre tribale. Il est vrai que dans le climat délétère, des extrémistes ont ravivé un tribalisme dépassé en exhumant les mânes des grands héros du passé.

La perception de la sensibilité des Kenyans est difficile à appréhender avec nos propres repères culturels. Les malentendus sérieux naissent surtout de la difficulté pour un occidental d’écouter patiemment ses interlocuteurs. Dix années de contacts m’ont permis de nourrir ma patience, condition indispensable pour commencer à comprendre la palabre.

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9 Le Kenya est toujours une destination mythique pour le voyageur qui va découvrir les lions, les éléphants, les girafes, les hippopotames et les rhinocéros dans un cadre d’une beauté exceptionnelle. Notre ferme n’est pas très éloignée des grandes savanes parcourues par les immenses troupeaux transhumants.

Nous avons lors de séjours en brousse découvert à loisir les populations locales, approché leurs coutumes et pris conscience de la faveur d’avoir pu recueillir des enseignements précieux d’une culture en voie d’extinction chez les Masaï.

Les récits rassemblés en début d’ouvrage éclairent quelques pistes d’un pays compliqué et multiracial et permettent de découvrir la Vallée heureuse et la cohabitation d’un monde moderne avec un monde traditionnel. Le dépaysement est parfois brutal. La leçon d’humilité est toujours merveilleuse.

L’enchainement de la violence aveugle, l’exode des réfugiés et leur détresse contrastent avec le temps des controverses et la légèreté d’une certaine classe politique.

Pour essayer de comprendre la tragédie qui a secoué le pays, il fallait remonter aux sources, ce sera l’occasion d’identifier les principales tribus dès leurs origines.

Après la période d’inquiétude la parole est donnée à la majorité silencieuse et alors les signes d’espoir se dessinent insensiblement.

Ils ne peuvent cacher que de grands efforts restent à accomplir pour assurer la dignité de tous les hommes.

L’agriculture raisonnée grâce à des pratiques de protection de l’environnement, de sauvegarde de l’eau et surtout de haut respect de l’homme, nous ont amené à nous engager dans l’économie solidaire et le commerce équitable. L’ouvrage aborde les valeurs d’avenir de cette coopération entre le Sud et le Nord en faveur du développement solidaire, sans dissimuler les polémiques créées par certaines ONG et organismes défenseurs des droits de l’homme. De plus, les partisans du commerce équitable veulent se démarquer totalement des promoteurs de l’aide internationale en reconnaissant la juste valeur du travail et en considérant que la

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charité est démotivante et humiliante. L’ouvrage éclaire donc de l’intérieur la vie d’une ferme équitable où le dialogue entre la direction et le personnel est permanent et direct. La croissance solidaire est au cœur de l’entreprise.

A travers les récits de la vie quotidienne, au gré même des controverses le lecteur est transporté dans des paysages admirables.

La lumière, les couleurs et le silence des grands espaces ajoutent à l’enchantement et au rêve.

J’aurais volontiers conclu sur ces images d’un Kenya apaisé quand j’ai senti à nouveau un grand mouvement d’inquiétude traverser le pays. Un mécontentement grandissant, un grondement d’abord assez sourd puis plus lancinant, un malaise enfin semblaient s’étendre dans la majorité silencieuse. J’ai attendu avec mes voisins de la colline, avec nos cadres, avec l’homme de la rue.

Nous ne pouvions nous douter qu’une bombe allait exploser sur le monde politique kenyan. Elle allait transformer le paysage des affaires publiques. Cet évènement majeur est à la source de la dernière partie de l’ouvrage. Les derniers paragraphes et les appendices abandonnent le caractère anonyme du début, ils sont plus personnalisés.

Les noms des témoins sont fictifs car je ne fais pas œuvre d’historien. Surtout, ils m’ont réclamé le respect de l’anonymat.

Des noms ont été exposés au public. Vous les retrouverez dans les dialogues et les palabres, dans les souvenirs de grands témoins, dans les récits de ceux qui quittent le navire alors qu’il traverse une tempête.

Le Kenya s’approche d’échéances électorales majeures. Fort de sa nouvelle constitution, inquiet de sa mise en application retardée faute de moyens, importuné et embarrassé par des scandales à répétition, l’homme de la rue se fait de plus en plus impatient et surtout demandeur de justice.

L’homme de la rue veut que son pays se transforme et d’abord que la corruption soit vivement combattue.

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Chapitre 1 : 2000-2005 Un milieu ingrat

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13 A Naivasha, une ferme du Rift

Depuis les faubourgs de Nairobi, la capitale congestionnée du Kenya, une heure de trajet sur une belle route permet de rejoindre la vallée du Rift, une gigantesque dépression qui relie l’Ethiopie à la Tanzanie. Depuis dix ans maintenant nous faisons régulièrement cette route en 4x4 pour rejoindre notre ferme de roses à Naivasha.

Les visiteurs qui franchissent notre grille, entrent dans un domaine vaste mais sans démesure. Tournant le dos au lac, ils s’enfoncent dans l’une des plus belles forêts d’euphorbes pour accéder à un petit hameau de maisons roses et jaunes. Implantées sur une butte dominant les serres en contrebas, les maisons aux toits de tuiles fauves sont orientées vers le lac. Le voyageur ne se lasse jamais d’admirer le cadre, c’est un modèle de l’Afrique en marche.

Il y a dix ans, il y avait seulement des cultures maraîchères, essentiellement des choux, sur ces terres au bord d’un grand lac situé à 2000 mètres d’altitude. Le lac est bordé par un cirque montagneux, constitué par les vestiges impressionnants de volcans anciens. Le ciel est le plus souvent tourmenté. Des troupeaux de moutons et de chèvres s’étirent le long des routes et des pistes gardés par des pasteurs Masaïs indifférents au trafic.

Il nous a fallu débroussailler, construire des routes, des canaux pour l’évacuation des eaux de pluie et de ruissellement et tout cela manuellement. Ce fut la plus belle occasion de faire l’apprentissage de l’homme africain. Pour défricher, nous devions abattre des euphorbes géantes, des acacias de grande ampleur et des milliers d’aloès et autres cactées coriaces.

Faire appel aux bulldozers était envisageable mais notre directeur pressenti a dévalisé la quincaillerie locale. Pelles, pioches, haches, scies et brouettes emplissaient notre premier hangar et chaque jour, une centaine d’hommes s’activaient. Spectacle d’un autre âge, la brousse disparaissait à vue d’œil, le sol était nivelé. Mais je n’avais rien vu encore. Le plus extraordinaire des tableaux m’attendait.

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Après avoir creusé près de dix kilomètres de canaux, nos hommes allaient creuser des réserves d’eau gigantesques. Plusieurs fois par jour, j’allais voir ce chantier titanesque. Par paliers successifs, la terre était évacuée à la surface. Alignés, les hommes creusaient toujours plus profond et d’autres pelletaient plus haut, rejetant la terre au-dessus de leurs têtes sur des paliers superposés. Le site ressemblait à une pyramide inversée, avec degrés réguliers. C’était impressionnant.

Nous avons encore des ouvriers de cette première heure. Lorsque nos pas se croisent, je sens dans leurs yeux, la fierté du bel ouvrage accompli. Avec enthousiasme, ils ont tout créé de leurs mains et c’est souvent d’eux-mêmes qu’ils ont planté arbres et arbustes pour embellir leur cadre de travail qu’ils entretiennent avec tout leur cœur.

Nous avons aujourd’hui plus de mille employés, de toutes tribus, des cadres africains et indiens de toutes religions. Nous vivons avec eux, au milieu d’eux. C’est cette découverte si riche que je souhaite aussi faire partager.

Ce sera l’occasion d’entrouvrir beaucoup de pistes secondaires et d’oser aborder la conception du bonheur au-delà des frontières de race et de culture.

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15 Malu

Du sommet de notre butte basaltique, la vue s’étend à 360° sur le paysage de savane arbustive qui recouvre la caldera de notre volcan. Derrière le lac qui miroite au sud, les cratères des vieux volcans forment un grand cercle de montagnes qui ferme l’horizon.

Au nord, une piste s’enfonce en brousse. La grande route passe à l’écart du village.

Depuis mes premiers séjours, la route kenyane me fascine : tout ce qui roule s’y donne rendez-vous du lever au coucher du soleil.

C’est une attraction à ne pas manquer. Un spectacle en particulier ne laisse personne indifférent aux abords de la ferme Delamere. De temps à autre, sur un vélo archaïque, coiffé d’un calot décoloré, une tête émerge derrière un chargement de huit cageots de plastique, de couleur violette, empilés les uns sur les autres sur un large porte-bagage. Régulièrement, les automobilistes ralentissent, soit d’inquiétude, soit pour admirer le spectacle d’équilibriste, digne d’un numéro de cirque à l’ancienne. Il n’est pas rare de voir des empilements de cinq et six cageots sur les bicyclettes des Kenyans, mais huit est plus exceptionnel et mérite même l’attention des locaux, surtout quand les caisses recèlent des poules affolées braillant de peur. Ce coursier si particulier a longtemps habité au village.

La route kenyane est un raccourci d’Afrique avec les troupeaux cheminant sur les bas-côtés, souvent sur de très longs parcours, dépassant ici et là les vaches isolées, attachées à leur piquet changé chaque jour d’emplacement. Après une pluie, le troupeau transhumant s’attarde pour profiter de l’herbe fraîche. La route c’est encore ces femmes qui semblent marcher sans fin, leurs enfants pressés contre leur dos et simplement maintenus par la traditionnelle couverture multicolore. Des attelages de deux ânes fouettés par un charretier debout à l’avant d’une charrette brinquebalante font la navette entre les points d’eau et les villages, croisant souvent un gamin qui pousse sa brouette rudimentaire chargée de trois ou quatre sacs de ciment, à moins qu’elle ne soit emplie d’une montagne de choux ou de sacs de charbon de bois.

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Le charretier des attelages, en équilibre sur le timon fouette sans relâche et crie pour s’ouvrir la voie. Je m’étonne toujours de savoir comment il peut maintenir sa balance quand je vois l’ensemble sauter d’ornière en ornière. Seuls quelques ânes sont domestiqués, la majorité est encore sauvage. Les ânes errants, très nombreux dans le Rift, sont une source de grand danger pour la circulation et des carcasses d’animaux encombrent régulièrement routes et autoroutes.

Autour de la ferme, des zèbres se mêlent souvent aux ânes, surtout en saison sèche. Leur comportement au milieu des 4x4 poussiéreux est encore plus imprévisible que celui des ânes. Le voyageur a vite compris qu’ici deux mondes se côtoient. Ce spectacle est permanent dès que l’on circule sur une route kenyane. Le pays semble en perpétuel mouvement.

Au mépris apparent de toute logique, le Kenyan capable de périodes prolongées d’inactivité est apte à alterner avec une hyperactivité débordante et osée dès qu’il s’agit de transport. Des autobus bondés slalomant, en dépit du bon sens élémentaire entre des camionnettes poussives, crachant une fumée noire avec leur entassement vertigineux de bidons et de sacs empiétant sur la chaussée constituent un autre élément de la fresque des routes.

Le tableau d’hommes voyageant couchés sur le toit des autobus, si fréquent voici dix ans a pratiquement disparu. Beaucoup regrettent ce qui était pour eux un défi ou une affirmation de virilité.

Après la route au spectacle si riche, si coloré et si bruyant, dès que nous empruntons une piste règne le silence. Les centres d’intérêt ne manquent pas là non plus. Il suffit d’oser et de s’enfoncer sur la moindre piste, la nature seule vaut toujours le détour dans le Rift.

Parfois une surprise de taille attend le voyageur. J’ai évoqué la piste du nord sur laquelle on surprend surtout des piétons.

La première fois que nous l’avons empruntée c’était pour une flânerie d’un dimanche après-midi. Sur des kilomètres, la scène déroule un décor d’aloès vermillon foncé, d’astéracées jaunes ou bleues et de lianes aux fleurs blanches. Un jardin au désert, tout simple mais séduisant.

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17 Deux embranchements s’offrent au voyageur, celui de gauche conduit à une petite clairière cultivée, celui de droite est plus sauvage et plus rocailleux. Il conduit rapidement dans une gorge profonde à la végétation luxuriante. Ici, il faut se frayer un chemin parmi les lianes et ne pas redouter les moustiques. Les parois du canyon alternent roches dures et roches friables auxquelles s’accrochent des broméliacées recouvertes de fleurs aux couleurs éclatantes. Les visiteurs sont rares ici. Pourtant la nature est fascinante, envoûtante.

Il faut s’enfoncer dans le canyon pour découvrir le lit asséché d’une très ancienne rivière. Spectacle banal et sans attrait particulier, si ce n’est que des hommes ont vécu ici aux temps préhistoriques. Parmi les amoncellements de cailloux roulés par le fleuve dont on soupçonne l’ampleur, des pierres noires sont éparpillées.

Il s’agit d’outils primitifs ayant été taillés dans l’obsidienne par les hommes qui ont vécu ici il y a cinq cent mille ans. Tellement habitués aux seules visites de sites où l’interactivité envahit l’espace, la majorité des visiteurs du Rift passe près de Kariandusi sans faire le détour. Ils ont fait un grand voyage mais ne font pas l’effort pour découvrir le plus grand gisement d’outillage acheuléen au monde. Ces haches, couteaux et autres marteaux de pierre taillée, sont sous la garde d’un conservateur passionné qui figure, vraisemblablement, parmi les plus esseulés des gardiens de musée au monde. Le site ne reçoit effectivement que quelques rares connaisseurs qui ont fait spécialement le voyage. Quel privilège de se retrouver en ce lieu !

Quelques semaines plus tard, nous avons décidé de découvrir l’autre embranchement de cette piste du nord. La première surprise, c’est une rivière au débit conséquent qui coule dans un vallon.

Spectacle assez saisissant dans un environnement si désertique.

Des gazelles s’abreuvent. Peu effarouchées par notre arrivée, elles relèvent rapidement la tête et poursuivent leur rafraîchissement.

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La piste gravit un éperon rocheux au delà duquel nous découvrons une piste d’atterrissage. De telles pistes, assez fréquentes au temps des Anglais, se font de plus en plus rares dans les fermes, mais ici, sur ce terrain mouvementé, il n’y a pas de culture possible. Alors pourquoi venir en avion ?

Une deuxième surprise nous attend. Un Italien a installé en ce lieu un hôtel de brousse qui accueille de très riches touristes, hommes d’affaires et diplomates venant de Nairobi directement en avion. Ici c’est l’Afrique profonde, virile, sauvage.

L’auberge est une survivance de l’époque coloniale. C’est un paradis hors du temps et hors du monde réel. Nous y sommes revenus à plusieurs reprises.

Je suis chaque fois étonné de retrouver ici des étrangers qui s’enorgueillissent d’avoir passé quelques heures seulement au Kenya. Ils pourront se vanter d’avoir « fait » le Kenya : illustration parfaite d’avoir sans être, d’avoir opposé à être. Je suis déconcerté et inquiet d’y croiser également des hommes politiques qui vont eux aussi tout ignorer des réalités de leur pays. Ils n’auront pas vu le spectacle de la grand-route, mais surtout ils n’auront pas voulu voir les exactions de policiers corrompus « arnaquant » impunément les conducteurs des transports en commun, car c’est aussi cela la route kenyane.

Si j’évoque dans ce cadre de rêve de Malu cette odieuse pratique connue de tous, ce n’est pas uniquement pour la fustiger. C’est pour dire déjà combien elle pénalise le développement et les investissements potentiels et combien elle ternit l’image du Kenya.

La corruption est une infamie et j’attends des journalistes européens qu’ils dénoncent aussi ce mal profond au lieu de se contenter de traiter des sujets politiquement corrects ou porteurs.

Depuis quelque temps, de grands hommes d’Etat osent attaquer de front la corruption. C’est une actualité qu’il faut souligner.

Tous les lieux et tous les évènements traités dans ces pages font partie de notre environnement proche dans un pays qui demeure un terrain d’aventure.

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Un soir, nous rentrions de Malu par une piste secondaire, encore plus primitive, plus rugueuse, une clairière se dessine.

Au fond, sous un bosquet d’acacias, un groupe de constructions disparates et vétustes apparait. Un berger allemand coure à notre rencontre furieux et menaçant. Ultime surprise, un homme à l’abondante chevelure poil de carotte, au visage marqué de taches de rousseur encadrant de petits yeux bleus très vifs nous accueille.

Il vit ici dans la solitude épaisse de la brousse, au milieu des fauves, avec son épouse. Ils sont originaires du Pays de Galles, je n’en saurai pas plus et d’ailleurs je n’attendais pas de grandes révélations. Ici, c’est la loi de la savane. Pour vivre, le couple façonne des collages et autres frivolités et gadgets en métal de récupération qui sont vendus aux visiteurs de Malu ou aux rares touristes égarés. J’ai aimé ces petits chefs-d’œuvre, ils traduisent l’âme de deux véritables amoureux du vrai Kenya.

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21 Onesmus et Pamela

Leur case était un peu en retrait de la piste du nord. Je les ai rencontrés la première fois occupés à désherber leur champ de maïs. Selon la coutume nous avons échangé des politesses. Cette rencontre restera gravée dans ma mémoire. Ces deux-là illustrent le Kenya en marche. Des poules et des canards couraient dans le terrain vague autour de la case. Deux enfants jouaient. Il m’est arrivé plusieurs fois de passer devant cette case et devant ce couple. Après les civilités de convenance, ils se tiennent toujours immobiles très droits sur le talus de latérite intensément rouge face au vaste ciel bleu et ardent.

Le sommet du volcan éteint de Longonot se dresse à l’horizon, masse fauve, à la fois imposante et vaporeuse. Un grand mimosa aux immenses branches horizontales toutes dorées se dresse au bord du profond canyon au fond duquel coule une petite rivière.

Les volcans et les mimosas incarneront dorénavant à jamais pour moi l’immensité des espaces du Rift. Observer ce spectacle coloré est toujours aussi émouvant qu’au jour où il s’est révélé pour la première fois.

L’enthousiasme pour ce cadre se double d’un sentiment d’attendrissement, car un jour j’ai retrouvé Onesmus et Pamela sur la ferme, ils ne m’avaient jamais demandé la moindre faveur.

Onesmus et Pamela sont maintenant parmi les plus anciens de nos employés. Ils ont commencé l’aventure avec nous. Ils symbolisent ce peuple de la frontière.

Entre l’expatrié et l’indigène une relation simple s’est nouée, un rapport particulier qui diverge toutefois avec les schémas habituels que nous connaissons en Europe. Je sens Onesmus et Pamela proches et pourtant lointains. Jamais je n’ai une réponse directe à mes questions et cependant notre communication ne connaît aucun obstacle apparent.

Il m’est encore difficile de dire que je comprends bien Onesmus, j’ai toujours l’impression qu’il m’écoute, qu’il m’entend mais son regard est évanescent.

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Onesmus est Africain, il n’est pas habitué au questionnement direct mais à la palabre. Même s’il semble s’être parfaitement habitué à mon comportement il donne toujours l’impression d’avoir un air un peu effaré, quasi innocent. Si je le juge avec mes yeux d’Européen, je dirais qu’Onesmus est un grand timide, et pourtant c’est un employé de valeur qui sait mener sa petite équipe. Tous ses subordonnés parlent anglais, mais j’observe que pour faire passer un message ou pour leur poser des questions, il s’adresse à eux en swahili. Onesmus est un sportif endiablé qui ne redoute pas l’effort intense, qui est aussi capable de prendre des risques.

Pamela sa femme, préposée au service du thé, tradition bien agréable héritée des Anglais, indispensable dans toute entreprise respectable, marche le plus souvent les yeux baissés, s’effaçant toujours devant nos hôtes, mais prompte à participer à un brin de conversation si l’occasion lui est offerte. Elle aime raconter les aventures de son grand-père quand le lion venait attaquer les troupeaux aux abords du village et que l’on faisait appel au Bwana, au fermier blanc pour l’abattre. C’est au cours de ces conversations familières que j’ai compris combien le vieil Africain était volubile pour parler du comportement des blancs au début de la colonie face à la faune et aux éléments. Pamela est née dans cet environnement grandiose, sauvage et hostile.

Pour elle et pour ses compatriotes l’affolement est plutôt l’affaire de l’homme blanc. Les noirs du Kenya n’ont d’ailleurs pas la même conception de la mort que nous. Pour eux la vie et la mort ne font qu’un. Une idée héritée des vieilles croyances païennes diront les uns, une idée attachée à leur foi qui met Dieu et le diable côte à côte, diront les autres.

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23 Symphonie équatoriale

Prominnah et Japhet, deux des nombreux petits maraîchers de notre secteur, suivent le sentier bordé d’une haie de Plumbago aux délicates inflorescences bleu pâle très nombreuses en ce début de saison des pluies. Les branches souples des arbustes se balancent agréablement au souffle d’un vent léger. A droite, sur le terrain communal, un pasteur Masaï appuyé sur son long bâton, surveille ses chèvres et ses moutons. La brume de chaleur enveloppe les sommets de la montagne alentour. Comme souvent au début d’après-midi les contrastes ont perdu de leur intensité et quelques nuages très hauts strient le ciel.

Des enfants courent derrière leurs cerceaux rudimentaires sur la piste en latérite. Sous un poivrier aux baies corallines pendantes, trois hommes discutent, leurs bicyclettes dépareillées appuyées au tronc globuleux de l’arbre majestueux.

C’est un tableau typique de ce pays des Hautes Terres du Rift. Tout est calme, serein, équilibré et pourtant en m’approchant du berger que venaient de rejoindre Prominnah et Japhet, je le vois l’œil aux aguets. Sans un mot il pointe son doigt vers l’horizon. Je ne vois d’abord que le plateau dénudé sans relief qui descend jusqu’au lac, recouvert de sable fin et parsemé de quelques agaves et aloès rabougris. Soudain le sable se met à danser, à tourbillonner.

D’abord vaporeux et plutôt gracile, le phénomène prend de l’ampleur. Une masse tournante s’élève dans le ciel. Je distingue parfaitement les vrilles enchevêtrées qui tournent autour d’une sorte de point central. La couleur de la tornade, d’abord blanchâtre, puis grisâtre, devient noire. Des débris divers filent vers le ciel mêlés au sable.

J’imagine le poids de sable et de terre qui s’élève dans les airs. Le tourbillon monte, monte à l’assaut des cirrus, ces flocons de nuages perchés à des kilomètres tout là-haut. J’arrête pour contempler le spectacle.

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Prominnah me décrit les dangers de ces twisters qui ont déjà emporté des moutons, des chèvres, des cases même et ont causé aussi des pertes de vies humaines. La plupart du temps c’est en avril, avant la saison des pluies que l’on voit s’élever ces trainées de sable, de branchages, d’objets insolites dans le ciel du Rift.

Souvent le tableau est féérique quand plusieurs tourbillons naissent sur le même terrain comme une chorégraphie orchestrée par un maître invisible. J’ai longtemps associé ces images à une symphonie équatoriale en jaune majeur, jusqu’à cet appel angoissé de Joyce. Elle assistait depuis la fenêtre de son bureau, à la ferme, à l’envol de l’une de nos serres accompagné, disait-elle, du bruit d’un avion tous réacteurs poussés à l’extrême survolant la scène.

C’était un twister plus fort que les autres qui venait d’emporter dans les airs et de laisser retomber cinq milles mètres carrés de serres.

A l’Equateur, le climat n’est pas tempéré et les phénomènes naturels y prennent une ampleur incomparable. Contrairement aux idées reçues, le milieu est plus souvent fait d’hostilité que de douceur. Dorénavant, je juge avec plus de recul la place de l’homme face à l’adversité. Le pasteur masaï, le jardinier kikuyu ou le paysan luo affrontent en permanence une nature hostile. Ils font face à des alternances de sécheresse et de pluies diluviennes.

L’observateur étranger ne rencontrera bien souvent que l’un ou l’autre de ces phénomènes.

A quelques mois d’intervalle dans le même village de Kilima Mbogo, la presse a montré des pâturages desséchés, des sols profondément craquelés, du maïs flétri, des cadavres d’animaux morts de famine puis des glissements de terrains meurtriers ayant emporté maisons, bêtes et gens. Certes, des accidents pourraient être évités, mais je n’ai jamais entendu encore aucun de mes interlocuteurs kenyans accuser les pouvoirs publics pour une catastrophe naturelle. Pour Loïse, le cadre urbanisé ou Muchini le garagiste de brousse les forces de la nature font partie d’un quotidien immuable.

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Vraisemblablement leurs parents et leurs grands-parents leur ont parlé du lac Naivasha qui s’est trouvé trois fois à sec au siècle dernier, aussi ils ne sont pas surpris quand ils voient quelques îles au milieu du lac.

Ces îles n’étaient pas présentes il y a dix ans. Le lobby écologiste qui a accompagné l’équipe de télévision venue faire un reportage sur la ferme aurait été bien avisé d’écouter les anciens ou de lire le sérieux rapport des géologues allemands, au lieu de nous tenir responsables de l’abaissement du niveau des eaux du lac.

Accuser les fermes horticoles et maraîchères de ruiner les richesses naturelles du Kenya, d’anéantir les réserves d’eau, par exemple, est dangereux à terme pour l’économie. Si le consommateur européen affolé par des émissions de télévision catastrophe arrête d’acheter des haricots kenyans, ce sont des milliers de petits agriculteurs dont les épouses et les grands enfants sont employés dans les fermes autour du lac qui vont devoir faire face au chômage, voire à la famine. Ce serait la pire catastrophe pour le Kenya.

Loïse et Muchini font partie de ces femmes et de ces hommes, si nombreux dans la région, dont la sensibilité est à fleur de peau.

Ils réalisent les progrès du Rift et craignent pour leurs compatriotes qui demain risquent de souffrir d’une désinformation orchestrée par des lobbies irresponsables.

Loïse et Muchini font face à la fatalité avec sérénité, mais ils croient aussi à une évolution née d’une meilleure éducation et à une accélération des transformations entrevues depuis quelques temps. A travers Loïse et Muchini transpire la sagesse africaine et perle l’espérance.

Les tornades balaieront toujours le Rift mais ne le détruiront jamais. Seules les idéologies sont dangereuses pour l’Afrique.

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27 La controverse du Mont Kenya

Mon voisin Franck est Hollandais. C’est le type même de l’aventurier moderne qui cultive aujourd’hui des roses au Kenya après avoir travaillé à la construction de routes en Australie et de barrages en Afrique du Sud.

Franck est aussi passionné de la montagne. Un dimanche par mois, il gravit le Mont Kenya et il en parle avec passion. Le sommet se voit de très loin, et à vrai dire sa masse est plus imposante que le Kilimanjaro. De plus, c’est une montagne sacrée pour les Masaï.

Pour eux c’est Ol Dyono Eibor, la montagne blanche.

Franck espère rester longtemps au Kenya pour explorer toujours plus à fond cette montagne mythique. Sa collection de photographies est déjà remarquable. Elle reflète fidèlement l’extrême grandeur de cette partie du Rift. Alors que la plupart des glaciers ont disparu, les flancs visibles du mont Kenya couverts d’une luxuriante forêt à leur base, ne laissent pas deviner la richesse et la variété des panoramas.

Avec Franck il faut quitter la route et suivre son périple pour découvrir les chutes de Gates, la Gorges Valley, les lacs Michaelson et Hall Tarns, le remarquable éperon du Temple qui ne sont que quelques uns des sites apparents sur le sentier de Mugi.

Franck a déjà fait l’ascension de trois faces du mont. Il lui reste à découvrir la route ouest, celle de la rivière Nyamindi, la plus difficile avec les pièges de ses tourbières quasi verticales.

« Sur cet itinéraire, je veux trouver le troupeau d’éléphants qui m’a été signalé. L’éléphant peut gravir la montagne aux alentours de 3000 mètres d’altitude. Ils semblaient très à l’aise quand je les ai vus aux abords du pic Mac-Millan. » Cees et Chris, les enfants de Franck sont dans un rêve. Ils nous parlent d’Annibal et de ses éléphants dans les Alpes. Du bonheur se lit dans leurs yeux alors que des images de singes arboricoles défilent. « Dans la forêt de bambous leur rencontre est toujours fascinante mais surtout j’ai eu

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la chance de voir de près le très rare singe de Cobus dont la longue queue blanche peut mesurer plusieurs mètres. »

Image fugace, souvenir inoubliable, lorsque le singe le plus élancé, le plus gracieux que vous puissiez rencontrer apparait sur l’écran.

Sans transition, Franck arrête l’image sur un petit troupeau de buffles qui grimpaient une pente craquelée par le gel. J’ai encore admiré les clichés d’un animal très rare, le Bongo. Cette antilope rouge châtaigne aux stries blanches, au pelage extrêmement brillant et aux longues oreilles est parmi les plus distinguées du Kenya. C’est un privilège rarissime de trouver le Bongo dans les savanes moins arborées des parcs animaliers fréquentés par les touristes.

Cette soirée de projection chez Franck s’est terminée sur un petit groupe d’ibis vert au bord d’un lac d’alpage. Toute la séduction du Kenya sur ces images idylliques.

J’ai appris par Franck que les Masaï habitaient, il y a peu encore, les flancs nord et ouest du mont. Ils ont été déplacés par les Anglais qui ont fait de leurs terres les plus belles plantations de thé au pied du mont.

Les trois cimes du mont Kenya ont reçu les noms de trois chefs Masaï : Batian, Neliau et Lenana. On parle ici avec respect du premier gouverneur du Masaïland, Hinde, qui a fait ce choix. Il a d’ailleurs laissé une forte impression sur la tribu Masai, encore aujourd’hui. Ses successeurs, les Grigg et Delamere qui n’étaient plus des découvreurs sont accusés d’avoir occupé les terres.

L’histoire de la terre nous rattrape à chaque instant au Kenya, même ici dans la paisible montagne.

En septembre 2010, dans son Manifeste des Pauvres, le Père Van der Hoff écrit encore « Au Kenya, on regroupe les Masaï dans des villages au prétexte de mieux les protéger, en réalité pour les contrôler, et parallèlement, on vend des milliers d’hectares à des multinationales…». Cette anomalie, cette aberration le fait enrager.

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29 Un soir au Country Club, il y avait une équipe d’hydrographes arrivés d’Allemagne. Nous les avons invités à partager un gâteau d’anniversaire dans la plus pure tradition locale. Ils avaient déposé sur leur table un véritable tapis de fleurs : des fleurons de lobelia, d’euphorbe, des lantanas, quelques inflorescences de séneçon géant, quelques branches de kniphofia et des glaïeuls de montagne mais surtout une brassée d’armoise qui embaumait l’atmosphère.

La moisson florale des étrangers ne laissait pas les locaux indifférents. Les serveurs et le cuisinier avaient délaissé leur travail pour admirer. L’équipe allemande rentrait du mont Kenya où les ingénieurs sont chargés d’étudier le régime de la Tana, l’une des plus grandes rivières du pays sur laquelle sept installations hydroélectriques ont été mises en place.

C’est ce soir-là que j’ai appris que la capitale Nairobi tire son nom d’un petit affluent de la Tana.

Gottfried, spécialiste des sols, nous montre une petite boîte remplie de cendre volcanique grisâtre, pulvérulente, la même cendre que nous avons découverte sur certaines parcelles de notre ferme. Avec Gottfried, nous évoquons la naissance du Rift, il y a 4 ou 5 millions d’années quand le mont était un volcan actif.

Alors, s’instaure un débat qui illustre parfaitement la polémique médiatique actuelle sur le réchauffement climatique. Gottfried est visiblement satisfait de constater que nous partagions ses doutes sur le rôle de l’homme moderne dans le phénomène observé. « Le mont Kenya a été recouvert d’une calotte glaciaire qui a érodé ses pentes. Nos contemporains sont affolés par la fonte des glaciers mais ici sur ce mont depuis 4.000 ans nous avons mesuré quatorze retraits successifs de glaciers. Nous avons étudié les sédiments des lacs et ils parlent. Les écologistes ne nous écoutent pas.

Nous sommes dans un vaste cycle de réchauffement. L’homme ne joue pas le rôle diabolique que l’on veut lui faire jouer. Ces affirmations sont corroborées par la paléobotanique qui montre par l’étude des pollens que les températures n’ont pas changé autant qu’annoncé par les instances internationales.

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Les précipitations varient d’une année à l’autre comme les spécialistes le constatent. Si les eaux de l’Océan Indien sont chaudes et si El Ninô est fort, alors les précipitations sont abondantes, sinon ce sera la sécheresse. Le mont Kenya est un obstacle majeur sur la route des vents dominants. Il joue, ici à Naivasha et tout autour de sa couronne un rôle capital. Il force l’air chaud à monter et est responsable de vos orages violents. »

Si j’avais connu Gottfried avant de creuser nos canaux d’évacuation des eaux de pluie nous n’aurions vraisemblablement pas commis l’erreur de les sous-dimensionner.

Nous évoquons encore notre projet de construire un barrage de retenue pour récupérer ces mêmes eaux de pluie. Après un très bref calcul, Gottfried parle de 50.000 mètres-cubes. C’est gigantesque.

C’est l’Afrique où tout est à une autre échelle.

Quelle belle soirée où le bon sens domine la discussion, où le doute est admis sur un sujet qui oppose souvent le monde développé du Nord au monde en développement du Sud. Les journalistes si avides de sensationnel auraient ce soir rencontré des scientifiques qui prennent beaucoup de précautions et se refusent à affirmer brutalement des certitudes. A quoi bon polémiquer sur un épiphénomène ?

Ce soir la nuit africaine bruisse, le ciel est particulièrement étoilé, à l’horizon le mont Longonot dresse sa silhouette noire, témoin du grand bouleversement qu’a connu cette région. Nous mesurons notre infinie petitesse face à cette nature puissante. Un dernier Masaï conduit son petit troupeau vers sa case. Cette image d’un monde primitif nous fait oublier notre belle humanité pensante. Je devine Gottfried et ses amis heureux ce soir, je partage leur bonheur. L’enchantement d’une soirée africaine est une béatitude incomparable.

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31 Un python sur la colline

En ce 17 février, par une belle fin d’après-midi, j’admirais la floraison des euphorbes géantes dans notre jardin sur la colline. Il n’avait pas plu depuis un mois. Les grappes dorées miroitaient au soleil dans une atmosphère légère, donnant au tableau un caractère édénique. Après la forte chaleur du jour le jardin embaumait. La scène est grandiose comme à l’accoutumée sous la lumière rasante du soir. Les montagnes aux alentours du Mont Longonot sont couvertes d’une remarquable végétation, qui, vue de la colline se décline en un somptueux dégradé de verts. Le voyageur y trouvera surtout des feuillus : oliviers bruns, pruniers sauvages, camphriers, Albizia et rhododendrons, auxquels se mêlent un conifère ressemblant à notre if, le Podocarpus.

Ce Kenya n’est pas non plus très visité, les agences pour touristes se contentant d’une courte escapade au bord du lac. Tout autour, la cendre volcanique affleure ici et là, striée de quelques dépôts argileux d’origine lacustre. Ici, on lit l’histoire de la terre à livre ouvert. Je rêve une fois de plus, au spectacle exceptionnel de cette éruption gigantesque ayant donné naissance à ces paysages qui dégagent une magie certaine.

Depuis la piste sauvage qui serpentait dans la savane en contrebas, cet amas de gros rochers en basalte noir planté d’euphorbes avait fière allure lorsque nous l’avons découvert. Cet amoncellement de blocs rocailleux, c’est une bulle volcanique dont les éléments se sont refroidis et solidifiés lors des derniers soubresauts du grand cataclysme. C’est là que nous avons bâti notre maison d’Afrique, une maison entourée d’un grand jardin.

Notre premier jardin se devait de faire la place belle aux bougainvilliers et à toutes ces espèces qui abondent dans les pépinières indigènes pour créer cette atmosphère équatoriale que l’on retrouve de Nairobi à Nakuru, de Mombasa à Arusha, et aussi chez tous les expatriés d’Afrique de l’Est de Mogadiscio à Dar es Salam.

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