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Faits et documents: les Néolithiques suisses ont-ils connu le pisé armé ?
PITTARD, Eugène
PITTARD, Eugène. Faits et documents: les Néolithiques suisses ont-ils connu le pisé armé ? Archives suisses d'anthropologie générale , 1915, vol. 1, no. 3, p. 188-191
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http://archive-ouverte.unige.ch/unige:106430
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Extrait des Archives suisses d'Anthropologie générale.
Tome I. No 3. Avril 1915.
FAITS ET DOCUMENTS
Les Néolithiques suisses ont-ils connu le pisé armé
?Je n'ai pas trouvé, jusqu'à présent, dans la littérature, qu'on ait signalé le foiL uivaut: les emplacem rlts .des stations lacustres de la période néolithique sont littéraleme1i.t couverts de pierres cassées.
Les grèves du lac, à gauche et à droite de ces stations - là naturelle- ment où elles sont caillouteuses - sont couvertes de galets plus ou moins arrondis et polis par le jeu des vagues.
On n'y rencontre guère de pierres brisées.
Pollr se rendre facilement compte de l'ob ervarion que nou av ns foire il suffit cte parcourir les rivages lacu tres après une forte tempête.
On consrarera que les «levées» qui ont éré formées à cc moment-li1, sont con titu e par de pierres arrondies: c'est la "levée de galets»
classique des bords de la mer et de rivages lacustres. uivez al r Je lit- toral et arrivez à l'emplacement de la station néolithique que vous voulez étudier. La levée de galets y existe naturellement, là comme ailleurs.
Mais ici, elle est constituée en partie .Par des galets brisés, dans une pro- portion qui est, par rapport aux galets intacts, considérable. On consta- tern encore que cette proportion est d'autant plus con idérable que parmi Je galets restés arrondis il en c t certainement une grande quan- tité ctui ont té utilisé c mme percuteur , marteaux casseurs d'os, etc. Dè lors, ils 11 appartiennent pas, dans la statistique au.· galets naturels du lac en cet endroit.
Cette question des galets cassés dans les stations néolithiques avait de quoi préoccuper les préhistoriens. Dernièrement, au cours de recherches sur les deux rives du lac de Neuchâtel, j'ai essayé d'éclaircir cette obser- vation.
A Treytel (rive neuchâteloise), avec M. Maeder, qui, depuis de nom- breuses années, fouille cette station néolithique, nous avons tenté une statistique.
Sur l'étendue du rivage bordant la tation (ce rivage est lui-même'uue partie de l'ancienne station) oous avons sans choi.· préalable, con ·idéré six carrés d'lln mètre de côté. Ce carrés, con trllits avec des échalas
FAITS ET DOCUMENTS 189 de vigne mesurés au préalable, étaient placés à des distances à peu près égales, de manière à représenter l'état moyen du rivage entier.
Nous avons alors, M. Maeder et moi, compté le mieux possible: d'un coté les galets naturels (arrondis), de l'autre les galets cassés. Voici le résultat obtenu:
Premier carré: 65 galets naturels, 1 5o cassés; deuxième carré: 45 galets naturels, 80 cassés; troisième carré: 47 galets naturels, r 54 cassés; qua- trième carré: 40 galets naturels, 61 ·cassés; cinquième carré: 27 galets naturels, 58 cassés; sixième carré: 38 galets naturels, 55 cassés.
Les différences numériques qu'on relève dans ces carrés proviennent de la différence de grosseur des pierres. En certains endroits, selon le dessin du rivage, les vagues de force moyenne ne peuvent plus charrier de grosses pierres, alors qu'elles en transportent encore facilement de plus petites.
En additionnant tous ces chiffres nous obtenons: galets naturels 262, galets cassés 5581• Il y a donc beaucoup plus de galets cassés sur la plage de cette station que de galets naturels. La proportion des premiers aux seconds est de 68,05 pour rno.
Peu importe d'ailleurs cette proportion. Le fait important à constater c'est qu'il existe sur les stations néolithiques des quantités de galets cassés.
Il faut essayer maiiltenant d'expliquer leur présence: ·
On considérait volo11Liers Y. ue les galets, abondants dans les stations lacustres, avaient pu servir à consolider les pieux sur lesquels les habi- tations avaient été édifiées.
Lors de la découverte de la hutte néolithique de Sclrnssenried (Wur-' temberg), on avait signalé la présence sur le plancher d'un tas important de cailloux, que Gross avait interprété comme représentant probable- ment un foyer (v. GRoss, Une hutte à l'époque de la pierre découverte à Schussenried (Wurtemberg), matériaux pour l'hist. primit. et nat. de l'homme, t. XIII, p. 1882-1883.
A propps de l'utilisation des galets pour la consolidation des pilotis, on peut faire, au sujet de la question qui nous intéresse, cette objection qu'une assez grande quantité des galets' cassés que nous avons exa!l'linés sont atteints par le feu. M. Maeder a compté qu'il y en avait environ 48 pour cent. S'ils avaient servi à consolider des pieux, ils n'auraient jamais été touchés par la flamme au moment de l'incendie des habitations la-
1 Il est évident que ces proportions doivent être très variables, les vagues ne choisissent pas ce q u'clles transportent.
Arch. suisses d'anthrop. gén. T. II. - N• 3. - 1917.
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FAITS ET DOCUMENTS
custres. Pour que ces pierres aient été brûlées il faut, de toute évi- dence qu'elles aient été placées au-dessus de l'eau, au-dessus du plancher des habitations.
Les stations néolithiques des divers lacs de la Suisse ne nous permet- tent pas de savoir si les habitations sur pilotis renfermaient, en un lieu quelconque, des galets. Mais la découverte de Schussenried est, à ce point de vue, précieuse. Il est peu problable que les Ncolithiques de Schussenried aient apporté ce tas de pierres pour l'utiliser comme foyer.
Pour construire un foyer, quelques grosses pierres auraient suffi : elles auraienl ùonné un foyer bien plus utilisable, parce que plus stable, qu'un tas de pierres. Et peut-être alors, par analogie, peut-on, appli- quer, à Schussenried, la supposition que je vais exprimer.
Nous savons que les parois des habitations lacustres étaient recou- vertes avec de l'argile. On a retrouvé des morceaux assez volumineux de cette argile où étaient encore imprimées les traces des c.l11yonnages.
N'est-il pas admissible de croire que les Néolithiques introduisaient dans leurs murailles, pour les consolider, et peut être spécialèment là où il n'y avait pas de clayonnages des galets? - principale ment des galets cassés? Ils auraient ainsi construit en pisé, comme on le fait encore abondamment de nos jours en beaucoup d'endroits.
Je constatai, dernièrement, qu'aux environs de Lyon, non seulement un grand nombre de murs de clôture et de constructions légères étaient faites en pisé, mais aussi beaucoup d'habitations composées d'un rez-de- chaussée et d'un étage. Là où le crépissage avait disparu on voyait saillir de nombreux galets au milieu de la pâte d'argile qui les emprisonnait.
Et comme nous parlions de ces galets cassés de Treytel avec M. Maeder, celui-ci m'apprit qu'un maçon, qui était venu visiter la station, lui avait dit que, dans la construction d'une muraille, les cailloux cassés sont pré- férables aux galets lisses. Ils offrent évidemment beaucoup plus de points d'adhérence.
Nous en arrivons donc à penser que les Néolithiques construisaient leurs murailles d'argile - toutes, ou certaines d'entre elles - en les << ar- mant» avec des galets. C'est aussi l'opinion de M. Maeder, qui connaît bien ies matériaux des habitations lacustres.
Les Néolithiques suisses - nous ne parlons que de ceux-là - auraient donc inventé le pisé (nous ne pouvons pas remonter plus haut dans le passé préhistorique). Il reste à savoir si ces murailles de pisé étaient armées uniquement avec des galets cassés ou aussi avec des galets natu- rels et quelle était la proportion des uns et des autres. Cette question, pour l'heure, est évidemment insoluble.
FAITS ET DOCUMENTS rgr
Il nous a semblé intéressant de signaler cette observation - même si l'hypothèse que fü•Us formulons ne devait pas être confirmée. Tout ce qui peut contribuer à nous faire connaître l'existence - ici l'existence matérielle - de nos ancêtres néolithiques suisses mérite d'être consigné.
