FACULTÉ 1)1! MÉDECINE ET DE PHARMACIE DE BORDEAUX
A.3ST3STÉE
1900-1901 K« 7
ESSAI DE DÉONTOLOGIE
RÉCLAME MÉDICAL Ju 1
THÈSE POUR LE DOCTORAT EN MÉDECINE
présentée et soutenue
publiquement le 23 Novembre 1900
Jean SOUG
Ancien externe des Hôpitaux
Né àSaint-Martin-de-Coux
(Charente-Inférieure), le 21 mai 1873.
Examinateurs de laThèse
MM. MORACHE, professeur...
Président.
MOUSSOUS, professeur...
RONDOT, agrégé ^ .luges.
RÉGIS, ch.decours.
Candidatrépondra auxquestions quilui
seront faites sur les diverses
parties de l'Enseignement
médical.
BOUDEAUX
MBK1MEH1E Y.
GADOUE'
17 hue poquelin-mol1èke 17
(ancienne hue montmÊjan)
1900
FACULTE DE MEDECINE ET DE PHARMACIE DE
BORDEAUX
M. de NABIAS Doyen. | M. PITRES Doyen honoraire.
PROFESSEURS MM. MICÉ
DUPUY j
Professeurs honoraires.
MOUSSOUS.' )
MM.
ri. . .
j PICOT.
Clinique interne /
PITRFS
. ( DEMONS.
Clmiqueexterne
j
LANELONGUE.Pathologieetthérapeu¬
tique générales VERGELY.
Thérapeutique ARNOZAN.
Médecineopératoire... MASSE.
Cliniqued'accouchements LEFOUR.
Anatomiepathologique COYNE.
Anatomie CANNIEU.
Anatomie générale et
histologie VIAULT.
Physiologie JOLYET.
Hygiène LAYET.
MM.
Médecinelégale MORACHE.
Physique BERGONIB.
Chimie
BLAREZ.
Histoirenaturelle GUILLAUD.
Pharmacie FIGUIER.
Matière médicale deNABIAS.
Médecineexpérimentale. FERRE.
Cliniqueophtalmologique BAUAL.
Cliniquedesmaladies chirurgicales
PIÉCHAUD.
BOURSIER.
A.MOUSSOUS Clinique gynécologique.
Clinique médicale des maladies des enfants.
Chimiebiologique DENIGES.
AGREGES EN EXERCICE :
sectionMM.de médecine (Pathologie interne et Médecine légale).
CASSAET.
AUCHÉ.
SABRAZES.
MM. Le DANTEC.
HOBBS.
Pathologieexterne
section ie chirurgie et accouchements
MM. CHAMBRERENT.
MM.DENUCE.
VILLAR.
BRAQUEHAYE CHAVANNAZ.
Accouchements
FIEUX.
Anatomie.
section des sciences anatom1ques et physiologiques
j MM. PRINCETEAU. ! Physiologie MM. PACHON.
' ' '
( N. I Histoire naturelle BEIELE.
Physique
section des sciences physiques
MM. SIGALAS. 1 Pharmacie M. BARTHE COURS COMPLEMENTAIRES
Cliniquedesmaladiescutanéeset
syphilitiques.
Clinique des maladies des voies urinaires Maladiesdu larynx,des oreilles etdunez
Maladies mentales Pathologie externe
Pathologieinterne Accouchements Chimie
Physiologie Embryologie Ophtalmologie
Hydrologieetminéralogie Pathologieexotique
MM dtjbreutlh.
pousson.
mou re.
régis. ,
denuce.
rondot.
CHAMBRELENT.
dupouy.
pachon.
n.
lagrange.
carles.
le dantec.
Le SecrétairedelaFaculté: LEMAIRE.
Pardélibérationdu 5 août1879,la Facultéaarrêté queles opinions émisesdans les Ihèsesqui i sont présentées doivent être considérées comme
propres à leurs auteurs, et qu'elle nenteiu
aurdonnerni approbation ni improbation.
A MON
GRAND-PÈRE, A MA GRAND'MÈRE
A MON PÈRE ET A
MA MÈRE
Hommage respectueuxde
reconnaissance
et de piété filiale.
ME1S ET AMICIS
A monPrésident de Thèse,
Monsieur le Docteur G.
MORACHE
Professeurde Médecinelégale àla
Faculté de Médecine de Bordeaux,
Commandeur delaLégiond'honneur,Officierde
l'Instruction publique, etc
Membrecorrespondant national del'Académiede
médecine.
Maintenant le départ!
Un
peud'hiver vient d'entrer dans mon
Ame... Vers le passé,
avant l'adieu! je voudrais revivre les jours
heureux vécus près des
maîtres qu'on n'oublie pas...
M. le professeur
Démons fut pour moi, toujours, le maître
aimable, indulgent,
dont l'exquise urbanité ajoute au charme
de grand artiste,
épris de refaire de la vie. Je n'ai point été,
certes, l'élève
modèle, mais
parceque je l'estime hautement il
voudrabien me pardonner.
M. le Dr Saint-Philippe,
qui préfère
«être aimé » qu'être
craint, m'a prodigué
d'excellents conseils; je les garde pieuse¬
ment, ils seront pour
moi
untrésor précieux dans la lutte de
demain.
Que MM. le professeur
Lefour, les professeurs agrégés Cha-
vannaz et Fieux reçoivent
également l'hommage de ma vive
gratitude.
M. leDr Bégouin,qui
m'est cher,
sesouviendra que la Saintonge
aussidoit avoir sa place
bien marquée à la Faculté.
En terminant, je dirai toute ma
profonde reconnaissance à
M. le professeur
Morache qui
aaccepté la présidence de cette
thèse pour « me prouver »
qu'il
atoujours cet esprit large et
libéral quivient de
féconder
encorela grande œuvre médicale.
am
Wmmm§m
■
ESSAI DE DÉONTOLOGIE
LA RÉCLAME MÉDICALE
PRÉFACE
LeCongrès de
déontologie fait songer tout de suite à l'im¬
mense « four politique » que
fut la conférence de La Haye. Des
hommesquipassentpour
grands, venus là d'un peu partout, ont
discuté gravement
de l'universelle fraternité. Ils ont entendu
beaucoupde discours,
de très beaux, pendant qu'à Moscou une
cloche française « sonnait pour
la paix des peuples ».
Le résultat : les Philippines et
Cuba devenues provinces amé¬
ricaines; l'Espagne ruinée;
la République sud-africaine englou¬
tie dans l'empire
britannique et
pourcontinuer, maintenant la
guerre deChine.
Cruelle ironie des choses !
LeCongrès de
déontologie ressemble à l'autre, à celui de La
Haye« comme un frère ».
Sans doute, il n'aura pas de lende¬
mainpareil. Aucun
bistouri n'effleurera d'épiderme. L'espérance
enestsûre, parce que la
science médicale n'est pas une Messa-
lineen haillons qui aime les
porte-faix.
Donc, là aussi, nos maîtres
ont parlé éloquemment sur la
— 12 —
confraternité et la solidarité. Ils ont dit, le geste beau, des cho¬
ses exquises. Comme de simples conseillers généraux, ils ont émis des vœux, —desaunes devœux. Etcesvœux, candidement
offerts au conseil supérieur et au ministre, seront étiquetéset
placés avec soin dans les oubliettes de l'instruction publique.
Ils auront lesort des roses:c'estleur destin. LeCongrès terminé,
heureux en somme, comme d'un devoir accompli, nos maîtres ont festoyé, bu duChampagne, applaudides ballerines, admiré
l'Exposition et le reste.
Etaprès les congratulations réciproques, le revoir, ils ont
repris, à regret un peu, le chemin de 1a, Faculté, pour ensuite
conter à leurs élèves les joies qu'ils ont goûtées dansCosmo¬
polis.
Et puis, au prochain Congrès, à nouveau, ils formeront des
vœux. Voilà.
L'ovule, cette fois encore, ne deviendra pas embryon. Il fau¬
dra attendre une fécondation nouvelle. Attendons.
* *
Et pourtant le mal est làqui progresse.
Le capital social que représente unjeunemédecin. — Capital considérable,—comme le rapportaitsijustement M.le D1'Lande,
est chaquejour menacé davantage.
Une
thérapeutique
énergique s'impose.D'autres, il y a
longtemps,
auraient dû, de par leur nom et leur autorité, faire entendred'énergiques
protestations. Ce leur était un devoir.Mais... Sentez-vous ce que ce mais veutdire?
Il fallait l'âme d'un Cyrano. D'autres, ce n'étaient que des de
Guiclie.
Pourtant une sanction est nécessaire.
Quelqu'un viendra, peut-être, qui saura faire enfin cesser ce
pouvoir sans contrôle dont la société investit de trop nombreux individuset que nosgouvernementstolèrent et,en quelque sorte, protègent. Il s'honoreragrandement.
— 13 —
« Lascience, a dit
M. Brunetière, dans sa réponse à quelques
intellectuels, afait
faillite à certaines de ses promesses les plus
séduisantes ».Il
pensait, sans doute, à la bêtise humaine. Cette
pauvreté
de l'Intellect, si adorable chez les autres, garde, dans
le progrès
indéfini,
sapureté ancestrale. Elle est vieille comme
leinonde.
Disparaît-elle
aveclui? Et ce siècle de lumière qui
devait élargir,
infiniment, l'intelligence et grandir l'esprit en
tuant,par son
rationalisme et son positivisme scientifique,l'idéal
fait de sentiment et de
foi,
adéfloré, mais à peine, la sottise, tant
il est vraique si tout se
transforme, ce qu'on est convenu d'ap¬
pelerle cœur
humain
nechange pas.
★
* ■¥•
S'il est incontestable :
Que se moquei'du inondeesttout l'art
d'en jouir
il faut avouer que bien
des
gens seservent avec grâce de ce
moyen. Ont-ils
raison? Les blâmerons-nous? C'est peut-être une
supériorité.
Nos intellectuels, en effet, ont trop
oublié depuis quelque
temps cette pensée
si vraie de Rabelais : « La science sans
conscience est la ruine de l'âme ».
La société moderne avec ses
heurtscontinuels, ses soubresauts a
été
pourun peu dans cette
démoralisation. Afin de ne pas
devenir
«l'Infortuné convive au
banquet de la vie »,
il faut lutter. Qu'importe les armes? La
hnjustifie tout. On n'a p>as
le temps souvent d'être bon et ver¬
tueux. Et puis, les louanges
posthumes sont choses antiques.
•Jeune, on ressemble déjà à ce
héros des légendes mongoles
venu au monde avec des cheveux
blancs. L'aristocratie du
cœur, la grandeur d'âme,
l'esprit de sacrifice, frissons de vie
trèsrares, gemmes serties pour un
écrin de musée! Mais comme
dans toute décadence : l'histrionismeet
l'hypocrisie. L'Exemple
s en va qui réconforte et
qu'on suit : partout l'Individualisme
égoïste et féroce. Il n'y a plus « temps d'acquérir ettempsde perdre; temps d'aimer et de haïr ».
Il paraitqu'à Rometoutsevendait.Que lestempssontchangés!
Maintenant tout s'achète. Posséder
beaucoup
parce que, commedisait certain « Maître », « on n'ajamais trop d'argent ». Faire du commerce, produire, sans cesse s'enrichir, peu importe
comment, mais vite. La production de la richesse, il n'y apas de plus noble emploi de l'activité humaine. L'industriel ou le
commerçant, voilà l'homme utile! Nos banquiers sont nos
grands hommes et nous sommes entrés dans le règne de l'ar¬
gent.
Eh bien ! dansons la ronde comme
jadis la tribu d'Israël,
toute la morale sociale est là.
★
* *
Et dans la ronde, où vont les professions libérales? Elles ont
évolué, mais à rebours. Elles furent un peu l'apanage d une
bourgeoisie respectable encore. Mais depuis que la vénalité et la concussion ont été élevées à la hauteurd'uneinstitution,—et
ce sont les chefs qui donnent l'exemple; depuis, surtout, l'invasion du cosmopolitisme, la bourgeoisie a pensé que la loi morale, sans gendarmes, n'était qu'une fiction de philosophe
hypocondriaque.
Affolée, maisjamais assouvie sous cetteformi¬dable poussée d'immoralité, elle s'est largement corrompue avant que de se laisser écraser par la chute de la vieille maison branlante.
Dans cette conquête de Plassans qu'est le pouvoir public,
elle a voulu rester maîtresse, afin de garderses privilèges. Elle
n'a même pas dû finir proprement.
La pressequi fut—ily a longtemps de cela —un sacerdoce,
a fait le reste. « Cette presse, surtout, cupide et abominable,
dure aux
petits, injurieuse aux solitaires, battant monnaie avec les malheurs publics, prête à soufflerlacontagion etladémence
pour décupler son tirage». Elle a mis du piment à cette cuisine
en nous faisant chaque jour un tableau clinique très suggestif
de« lalèpre
sociale
».Tout
y apassé. Le « fameux mur de la
vie privée » a
été abattu, et la magistrature, l'armée, la
médecine ont été
fouaillées. Elle est devenue également le
substratum du
mercantilisme
endonnant au commerce la
morale de la concurrence :
la réclame.
Et cette chose
blâmable
ensoi qu'est la réclame devient
vraiment abominable dans
notre corporation. Des médecins ne
craignentpas
de salir leur art en le vendant, comme un article
de bazar, — au
rabais.
Ce sont eux qui, en
acceptant toute sorte de combinaison
malpropre,
jettent le discrédit sur notre profession. Eux enfin
qui ontcréé ce
qu'André Couvreur appelle le « mal nécessaire »
le rastaqaouérisme
médical vivant de la seule réclame.
★
* *
C'est de cela que jeveux
parler. Je remuerai peut-être un peu
deboue où les microbes ne
manqueront point. Je chercherai à
faire del'antisepsie et pour
éviter le contage, après je propo¬
seraice que je crois être
la meilleure méthode préventive.
L
La
déontologie
nécessaireL'étudiant sort du lycée, n'ayant en somme connu de la vie que quelques joies, goûtées au hasard, très vite, parce que la puberté a tendu ses nerfs. Le voilà seul dans la grande ville. Il
a de bonnes dispositions. Avant de partir, sa mère lui donna d'excellents conseils et son
père, à l'écart, lui rappela que dans
le chemin par où il va les roses ont aussi des épines.
Il se sent fort quand même. Sa résolution est prise. Il tra¬
vaillera. Mais la classiquepelure
d'orange
surlaquelleil glisserase trouve bien vite sur son
passage. Il veut vivre, lire sans tour¬
ner la page. Et les bouquins qui attendaient le coupe-papier
restentLe sur la table, — petites choses dédaignées.
temps passe qui s'en moque. Les examens arrivent: crain¬
tes de la famille; ennuis d'échouer. Il travaille, fréquente les hôpitaux et sans trop d'effort subit honorablement sa thèse.
Les portes du temple sontouvertes.
11 n'a connu pendant cinq ou six ans d'autre inquiétude que celle des examens. Les phénomènes inhibitoires, chez lui, se sont arrêtés là : nul chagrin, nul souci du lendemain. Il a vu
beaucoup
de choses assimilées hâtivement. Il a appris à diag¬nostiquer tant bien que mal. Il a entendu les maîtres, en de belles cliniques, parler parfois des dangers qu'il court, livré à
ses seules ressources, combattant le mal dans sa clientèle et surtout les préjugés. Et il quitte la Faculté.
A-t-il appris àvivre? A-t-il appris à être médecin? A-t-ilcons¬
cience, vraiment, du rôle qu'il va remplir, ses illusions d'étu¬
diant tombées avec sescheveux?
Cruel réveil,
souvent, le beau rêve effacé! Comme le cœur
batvite près du
premier malade gravement atteint ! Comme tout
est changé! Le maître
n'a point dit cela. Il a gardé, trop gardé
les sages
conseils qu'il aurait du prodiguer. Il pensait, peut-être,
que ses
élèves comprendraient mieux, seuls, que la souffrance
créel'homme, développe sa
volonté et le rend plus fort dans la
lutte.
Pourtant ces conseils de nos
professeurs seraient pour nous,
leurs élèves — quiles
aimons
—le
«vacle mecum », « le livre
d'heures » oùpuiser un renouveau
d'énergie et de courage. Ce
n'estque dans
les grandes circonstances qu'ils tracent, d'une
voix émue, lebon
chemin. Comme ils sont écoutés, applaudis.
Ceschoseslà ne s'oublient pas.
Telle fut l'éloquente clinique du
professeur
Pinard
aulendemain de la condamnation de La
Porte.
« Chacun, a dit Tillaux,
apporte
aumouvement scientifique
de son époque une
part qui varie selon ses goûts, ses aptitudes,
la période de
la vie où il
setrouve et le but qu'il poursuit ». Nos
maîtres, en effet,
semblent surtout heureux que nous connais¬
sionslesrésultats de leurs travaux,
de leurs veilles. Ils restent
trop professeurs.
Ils font simplement l'aumône d'un peu de
science.
C'estqu'ils ont
oublié, alors qu'ils sont heureux, admirés et
enviés, leur début, leurs
premières craintes, leurs premières
défaillances, l'émotion du
premier
casembarrassant; et com¬
mentils se sont enhardis, comment
ils sont devenus forts.
Ils sont nombreux pourtant ceux
dont la haute valeur morale
pourrait servir
d'exemple. Mais l'exemple ne suffît pas.
Il fautencorequel'élève
soit
assezobservateur pour les juger
et pourassimiler le
meilleur d'eux-mêmes.
Ltpuis, disons-le
doucement, le maître reste, somme toute,
une double
personnalité. Il devient professeur en arrivant à
1hôpital, tant il est
vrai
quele tablier a tout changé.
Dehors,c'estle médecin
luttant
pourson existence, allant sans
cesse à plusd'espoir,à
plus de bonheur.
Dedans,c'est le maître aux
prises
avecla science, qui cherche
Souc
2
— 18 —
le pourquoi et le comment des choses, avec, autour, des élèves
quile comprennent.
Le médecin est resté dans le coupé, le professeur, seul, est entré dans l'amphithéâtre.
Il y a làvraiment une lacune profonde dans l'éducationmédi¬
cale,une fracture qui devrait guérir avec un cal solide.Souvent,
lejeune praticien se demande enface dudanger quelle doit être
saligne de conduite.
Fais ce que dois, advienne que pourra. Belle maxime, ma foi! mais combien difficile à pratiquer. C'estalors que les con¬
seils du maître porteraient leurs fruits. Le public qui juge,
parce qu'ignorant, pense à mal, et la faute deviendra peut-être
un crime. Et ce souvenir d'un conseil eût suffi pour éviter bien des chagrins.
Les tristes affaires qui, il y a quelques années, ont eu leur dénouement en cour d'assises, sont la meilleure preuve que la déontologie devrait être enseignée à la Faculté, — et même
indiquée avec le traitement pour chaque maladie.
Voici, àce sujet, la note si cruellementjuste, rédigée,en 1897,
par l'Association des médecins de la Gironde et qu'il me paraît
très utile de reproduire.
« Nous ne pouvons nous dissimuler que la corporation médi¬
cale traverse un moment difficile. Le public, en méfiance à son
égard, relève âprement ses moindres défaillances, et n'est pas loin de la rabaisser au niveau de celles où l'appât du gain est
le stimulant normal et suffisant.
»Or, le jour où l'on croirait qu'il n'est qu'un commerçant
comme les autres, mettant au-dessus de toute considération le désir intense de faire fortune, ce jour-là, le médecin, méprisé
et livré à toutes les roueries de la
concurrence, ne devrait plus compter sur l'estime qui fait saforce. Il deviendrait rapidement
la proie du marchandage et de l'avilissement.
» Et ce serait justice ! Car il n'est pasjuste de conserver le prestige acquispar plusieurs siècles d'honorabilité lorsqu'on a rompu avec la tradition.
«Autrefois — et naguère— laprofession médicaleétaitconsi-
dérée comme une
sorte de sacerdoce, en même temps que
l'exercice d'un art
bienfaisant. On voulait le médecin honnête
homme autant que
savant.
» Telon le trouve encore
assurément dans la grande majorité
des cas. Mais le
monde
commenceà croire que plusieurs, sur¬
tout dans la sphère
des grandes villes, ont jeté par-dessus les
moulinsle vieux bonnet
des ancêtres pour se livrer au sport
effréné delà fortune.
S'il
enest ainsi, quelques-uns réussiront,
sansdoute; mais
c'ombien resteront
enroute, meurtris, épuisés,
hors decombat ! Etl'onse
demande
avecanxiété ce que sera la
génération
prochaine, si quelque changement heureux n'est
survenu ».
Quefaire enprésence
d'une telle perspective?
D'abordopérer une
sélection dans le recrutement du person¬
nel, et lui donner une
préparation morale plus complète.
Pour cela,il faudrait rendre
l'obtention du diplôme plus dif¬
ficile par des épreuves ou
des mesures éliminant tout sujet
notoirement médiocre, et
l'empêchant d'arriver au but, de
guerre lasse, comme on
le voit aujourd'hui, malgré un nombre
indéterminé d'ajournements.
Il faudrait assurer l'enseignement
des droits et des devoirs
dumédecin, afin d'élever autant que
possible le niveau moral
desjeunespraticiens.
11faudraitn'ouvrir lacarrièrequ'après unexamen
profession¬
nel, comme celaexiste chez
quelques nations voisines, et comme
laFaculté de Bordeaux le demandepour
les pharmaciens. Cet
examenporterait
notamment
surles lois concernant l'exercice
de la médecine et sur un Code de
déontologie dont ,1e texte
serait préalablement
adopté
pourtout le territoire français.
Dans notre pensée, cet examen,
indépendant du doctorat, et
donnantseul licence depratique,
devrait être passé devant un
jury composé, en majeure
partie, de médecins pris en dehors
du corps enseignant.
Pour ces motifs, l'Association
des médecins de la Gironde
émet les vœux suivants :
1° Que, dans chaque
Faculté,
onenseigne la déontologie en
même2° temps que la législation sur l'exercice de la médecine; Que l'étudiant qui aura échoué un nombre déterminé de fois aux examens, ouquiaura subiunecondamnation
infamante,
ne soit pas admis à poursuivre ses études médicales ;
3° Que le titre universitaire de docteur ne donne pas droità exercer la médecine ; mais quecedroitsoitconféré auxdocteurs
en médecine de nationalité française et n'ayant encouru aucune
condamnation, par un jury professionnel composé d'un certain
nombre de médecins pris en dehors du corps enseignant et présidé par un professeur de la Faculté. L'examen devant ce jurymédicaledevra porteret surdesquestions depratique, sur lalégislation
sur la
déontologie.
Excellents vœux, certes, mais combien stériles! Comme il ya loin de la coupe aux lèvres ! Le conseil supérieur de l'Instruc¬
tion publique n'a point le temps de s'occuper de ces petites choses.
Et le gouvernement et les chambres? Paralysie partout. Nous
verrons, disent-ils. Mot fatal !
pour les hommes politiques, le
verbe voir n'a pas de futur. Mais attendre et pâtir en ont un. Ils sont nombreux ceux qui le savent ; ceux qui, partant, désirent
une sanction.
Où, à l'heure actuelle, le jeune médecin peut-il trouver la règle, le code,voire même le conseil pour se guider dans la vie professionnelle ?
La question
déontologique,
une fois résolue, fleuriront la con¬fraternité et la solidarité. Au lieu de voir en nos confrères des rivaux et souvent des ennemis, nous donnerions l'exemple de la
considération et de l'indulgence
réciproques.
Et nous pourrionslutter contre ceux
qui s'efforcent d'amoindrir la haute valeur morale du corps médical.
Nous formerions une collectivité puissante etrésolue, quisou¬
tiendrait ses droits, ses nobles et justes revendications et ferait
disparaître cette réclame éhontée dont nous
Souffrons, cette chose abominable qui est véritablement, à tous égards, un
danger social.
Il
La réclame médicale
« Nous avons le devoir, dit M.
le professeur Grasset dans son
rapport au
congrès de déontologie, de respecter la dignité pro¬
fessionnelle, non seulement
chez
nosconfrères, mais en nous-
mêmes : c'est un de nos devoirs
vis-à-vis des autres médecins.
Delà, la condamnation
de tout
cequi ressemble à de la réclame
ou peut faire soupçonner
de la vénalité.
» Je crois, pour ma
part,
que, pourrester sur un terrain
préciset
suffisamment large, il
nefaut pas proscrire que la
réclame payée dans
le journal extra-médical ou par voie
d'affiche.
» La seule règle
d'interdiction doit
reposersur la preuve que
laréclame aété payée.
» Tout aussi regrettables sont
les catalogues
quenous avons
tous reçus, encore récemment,
de certains fabricants d'appareils
orthopédiques ouautres,
qui
nouspromettaient un chèque pour
tousles appareils que nous
leur ferions vendre ».
« La réclame, ajoute André
Couvreur dans le Mal nécessaire,
est déjà une chose
blâmable
ensoi,
en cesens qu'elle est une
des manifestations de la puissance du
capital, qu'elle tue les
petits. On comprend
cependant
sonemploi dans le commerce,
dans l'industrie, car elle aide au
développement du travail et
peut, à ce titre, être
considérée
comme uneforce utile au bien
général, mais où elle est
vraiment abominable, c'est dans notre
profession.
» Voyez à quelle infamie
mène la réclame médicale dans les
basses classes de la société où elle est
d'autant plus efficace
22
qu'elle est slupide et par conséquent plus à la portée de l'intel¬
ligencegénérale! Combien de ces pauvres diables atteintsd'une maladie qu'une médication raisonnable pourrait enrayer, sinon guérir,etqui vont sejeter tête basse dans les pièges tendus par
un tas de forbans qui placent leurs amorces à la quatrième
page des journaux! Et quelles amorces encore! Imaginezles choses les plus inférieures, les plus saugrenues. Il semblerait que le monde s'y laisse d'autant plus prendre qu'elles sont plus
bêtes. J'en connais un — et il fonde une école, celui-là —qui prétend guérir le cancer avec la levure de bière. Je l'ai vu
vendre à de malheureux domestiques, pourvingt francs, lamoi¬
tié de leur gain du mois, un flacon de cette levure qu'on peut
se procurer pour six sous chez un brasseur. Il assurait lagué-
rison avec dix flacons. Certains en achetaient deux ou trois, puis, lassés,11e constatantpasd'amélioration,comprenaientenfin la supercherie; d'autres allaientjusqu'au bout, et leurdernier
hoquet de vie s'éteignait dans le dernier verre de levure! J'en connais un autre, fils d'Israël, d'ailleurs, qui, sans études spé¬
ciales, s'est imaginé de monter une clinique chirurgicale.
Croyez-vous qu'il y va pratiquer des avortements? Pas du tout.
Il est bien trop fort. Il ne fait que de la grande chirurgie. Sa
réclame dans les journaux lui amène du monde et il opère beaucoup, beaucoup ».
La réclame maintenantest l'œuvre féconde. Elle promet tout.
Les grandsjournaux la recherchent et on ne peut les lire sans trouver en bonne place l'annonce prometteuse. Elle n'est plus
discrètement cachée parmi les demandeset offres d'emploi. Elle devient, cyniquement, « chronique médicale ».
Acôté del'étalage des spécialitéspharmaceutiques quine sont
en somme que du codex, sauce maitre-d'hôtel, on trouve des
réclames à faire douter parfois de la Faculté. Le mensonge, la duperie, le voldisparaissent derrièreune mise en scène savante,
une sorte de paravent fait de belles formules, de phrases ultra- médicales, que les lecteurs ne comprennentpas. Celaal'aird'un conseil, d'un peudecharité. Cela a l'air si honnêteque le public
n'hésite pas. Et puis, ily a les lettreslégalisées, par milliers, les
guérisons
miraculeuses, les nombreuses années de succès, toute
lalyre.
Et elles augmentent, sans cesse,
les panacées qui doivent faire
de lasanté,de la
vie. Et des malheureux, parce qu'ils souffrent,
nese lassent pas
d'être trompés.
Siceux qui
exploitent
cesproduits se contentaient de les ven¬
dre comme on
vend de la tisane de Champagne, en faisant
« mousser » lamarque
de fabrique, il n'y aurait que peu de chose
à dire. C'est, après tout,
du haut commerce. Mais voilà. On
trouvetoujours auprès
quelque signature de médecin vraie ou
fausse, quelque
approbation' de société savante, le nécessaire
enfin, pourcapter
la confiance.
Le titre de la réclame
surtout est soigné.
Il doit éveiller l'attention,
avoir
unecachet d'originalité. On
lit, sans
arrière-pensée, et c'est au bout qu'est le venin.
Poitrinaire!! Qu'est ceci? —
C'est le titre de la réclame? Six
ans sans se coucher!
Clair
commele jour ! Tous les autres
remèdesavaientéchoué!
Miracle! Jeune dans sa vieillesse ! Spec¬
tacleremarquable !
Honneur
aumérite ! Un paquet de vieux fers
à cheval ! Momie d'une reine
!
J'aicueilli celle-ci qui ne manque
point de saveur :
«Unhasard
providentiel vient de faire découvrir, dans un vieux
»couvent de Jérusalem, un
manuscrit renfermant les recettes
» deces merveilleux remèdesdestempliers,
ayant obtenu jadis ces
»guérisonspresque
miraculeuses (dans les maladie de poitrine,
» de l'estomac, de la vessie,
du
cœur,de la peau ; la goutte, les
» rhumatismes, l'anémie, la
chorose, etc., etc.) qui font encore
» l'étonnementdes savants de ce
siècle. Ni poisons, ni produits
» nuisibles n'entrent dansla
composition de
cesremèdes si sim-
» pies, qu'ils
permettent à chacun d'être son propre médecin et
» celui desafamille ».
J'oubliais le plus drôle,
les photographies avant et après le
traitement.
Il y a aussi les
notices, les brochures donnant une description
clinique des maladies.
Elles sont curieuses parfois, pas banales
souvent. Le mot de la fin surtout est
de bon goût :
«Communi-
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quercette brochure, c'estfaire œuvre d'humanité. » Etça prend
toujours! Combien essayent qui n'osent avouer et qui, las,
retournent sagement auprès de celui qu'ils n'auraient pas dû abandonner!
Ce n'est pas tout. 11 est des réclames bien plus immorales et celles-ci atteignent fortement le corps médical. Des praticiens,
pour favoriser la vente d'une spécialité, en attestent la pureté, l'efficacité et même n'hésitent pas à laisser ajouter leur photo¬
graphie à la notice explicative. Telle revue de médicaments
nouveaux contient simplement une vaste réclame faite d'une
cinquantaine de lettres de médecins tant français qu'étrangers,
recommandant un sirop.
Il y a égalementla catégorie des « spécialistes ». Comme de
simples voyageurs en épicerie, ils vont dans les grandes villes,
se faisant annoncer par la voie des journaux, des affiches, des prospectus, etc. Ils reçoivent à l'hôtel les clients de passage.
L'un fait « les maladies des femmes », l'autre « les maladies
nerveuses ». J'en sais un, voyageur « en épilepsie », qui donne
comme traitement un flacon d'arséniate d'or contre unbleu de
cinquante francs.
C'est le « betit gommerce ». —Cinquantefrancs,vous trouvez
ça cher? Moi« ch'y berds ».
Cinquante francs, quelle misère! Quant « c'est au prix de dix
années d'études qu'on est arrivé à découvrir la nature d'une maladie et à lui opposer un traitement efficace, pratique, peu
coûteux, permettant aux malades de se soigner eux-mêmes sans
interrompre leur travail. »
La consultation à grand orchestre,gratuite, souvent attire du monde. Mais c'est lanote quiest colossale chez le pharmacien,
le seul qui puisse délivrer les remèdes prescrits.
Il y a le médecin-pharmacien qui possède une clinique près
de l'officine.L'art necoûte rien, mais l'ordonnance est « salée ».
Il y a le médecin quine prescrit que des spécialités, à l'aide
de carnets à souche, et lorsque le carnet est vide, le chèque
tombe. Et ainsi est organisé le vol en dehors de toute sanction
criminelle, le symptôme reposant sur ce qu'il y a de plus misé¬
rableau monde : l'exploitation de la maladie.
— SS¬
II y a des
grands maîtres auxquels le Figaro et le Gaulois
consacrentun
enlrefilet aimable lorsqu'ils ont opéré heureuse¬
mentdes
personnalités politiques ou des artistes connus.
EmileZola a tracé de
l'un d'eux, dans Fécondité, ce magis¬
tral portrait : «
A l'Hôpital, Gaude régnait, sur ses trois salles
de femmes, en maître tout
puissant et glorifié. C'était un prati¬
ciendepremier
ordre,
uneadmirable intelligence, gaie et bru¬
tale, servie par une
main d'une décision, d'une adresse sans
pareilles.
Il vivait dans l'orgueil de son art, sans scrupule évi¬
demment, mais incapable
de bas calculs, d'actions louches de
coquin; et,
s'il battait monnaie, s'il avait ses rabatteurs, toute
lineindustrie à grosbénéfices,
toute
uneexploitation de riches
clientes, il était heureux
d'en tirer plus encore de vaniteux ta¬
pageque
d'argent. Il pratiquait au plein jour de la publicité, il
auraitconvié tout Paris autourde sa
table d'opération. Des pein¬
tures, des gravures, des
dessins l'avaient popularisé, le grand
tablier blancnoué surla poitrine, les
poignets nus,beau comme
undieu qui tranche et
dispose de la vie. Il était le seul à ouvrir
unventre, à regarder, puis à
recoudre,
aveccelte ampleur ma¬
gistrale... S'il y
avait
erreurde diagnostic, s'il se trouvait en
présence d'un organe
sain, il enlevait tout de même quelque
chose, ne voulant pas
recoudre
sansavoir coupé. Et d'un bout
àl'autredeParis,sessuccès
opératoires répandaient, célébraient
cette maîtrise prodigieuse
qu'il avait acquise et qui faisait de lui
l'idole couverte d'or, le châtreur
souverain de toutes les détra¬
quées millionnaires ».
Cette peinture est-elle exacte ou porte-t¬
elle l'empreinted'une
féconde imagination? Je ne le dirais pas.
Mais est-ce ce Gaude qui
offrait
auxassistants après l'opération,
dans sa maison de santé,du Champagne pour en
faire apprécier
la marque!
Etencore, tout à fait en
bas, la série des systèmes, des
méthodes, des instituts, des
maisons de secours qui ne sont
que des antichambres de
pharmacies, des officines louches ou
1on gâche aussi de la
vie, qui ont leurs rabatteurs, leur vile
réclame, ornement de Vespasiennes;
les
«maisons de confiance
etde discrétion» où « l'on trafique sur
les mères stériles comme
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on spécule sur les mères trop fécondes, où l'on joint à laspé¬
cialité des mort-nés la vente d'une drogue infaillible contre la stérilité chronique, supprimant ou donnant des enfants selon le désir des clientes »; les guérisseurs trappistes ou bénédictins exploitant le cléricalisme.
Et enfin, comme dernier cri, les rayons X : « Cabinet d'élec¬
tricité médicale, rayon X?? Le docteur Z.spécialiste.prati¬
cien pour maladies de femmes et maladies nerveuses, informe
sa clientèle de A... et de la région, que, pour éviter des fati¬
gues aux malades, il vient de créer une succursale de sa clini¬
que de B... à A..., pour l'application des nouvelles méthodes
sans opération et par correspondance. Installation particulière
pour damesen couches à toute époque ».
11 y a bien d'autres ignominies, de plus grandes encore. 11 vaut mieux les cacher.
Ainsi sontles choses. Et il est pénible de penser que notre profession, qui peut être si noble, si bienfaisante, soit en même
temps, par la faute de quelques brebis galeuses, susceptible de
tant de mépris et de honte.
Certes, une loi existe qui interdit ces infâmes associations.
Mais comment prouver l'abomination, commentse trouver dans la coulisse pour surprendre les bandits juste au moment où ils
se partagent le fruit du vol?