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LA VILLE DE KITION (CHYPRE) DU X e AU IV e SIÈCLES AV. J.-C. : QUESTIONS DE TOPOGRAPHIE URBAINE

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SIÈCLES AV. J.-C. : QUESTIONS DE

TOPOGRAPHIE URBAINE

Sabine Fourrier

To cite this version:

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LA VILLE DE KITION (CHYPRE) DU X

e

AU IV

e

SIÈCLES AV. J.-C. :

QUESTIONS DE TOPOGRAPHIE URBAINE

Sabine FOURRIER*

Il a fallu attendre les premières fouilles systématiques entreprises à Larnaca par V. Karageorghis, à partir de la fin des années cinquante, pour découvrir que Kition avait une préhistoire, que le site, considéré jusqu’alors comme une fondation tyrienne, premier jalon dans l’expansion phénicienne en Méditerranée occidentale, avait été un centre urbain majeur de la fin du Bronze Récent1. Enrichie, l’histoire de la ville devenait donc plus complexe : peut-être

nommée, dès les XIIIe-XIIe s. av. J.-C., dans des tablettes d’Ougarit, Kition existait déjà, et de

façon monumentale, avant la « colonie » tyrienne dont porte témoignage un maigre corpus de documents, d’interprétation parfois difficile2. Par ailleurs, évalué à l’échelle de Chypre et des

découvertes archéologiques des dernières décennies dans d’autres régions de l’île, le matériel recueilli dans les niveaux pré-archïques de la ville est loin d’être majoritairement de type phénicien, ni même plus « phénicisé » que celui d’autres villes contemporaines3 : rien n’indique

une présence phénicienne à Kition avant l’époque archaïque, et encore moins une colonisation. Comment donc caractériser la ville de Kition et son développement, au cours de l’Âge du Fer, selon quels modèles urbains ? quelle est l’exemplarité, ou l’originalité, du site en regard des fondations coloniales attestées en Occident ? Les données archéologiques rassemblées, même si un certain nombre d’entre elles attendent encore d’être publiées, permettent de dresser un premier bilan qui, s’il ne peut qu’être provisoire, offre toutefois des éléments de réponse. Grâce à l’utilisation d’outils de spatialisation (Système d’Information Géographique), les différentes phases du développement urbain apparaissent4 : elles mettent en évidence l’évolution d’une ville

dont bien des traits sont, certes, phéniciens, mais dont l’image d’ensemble est avant tout celle d’un royaume chypriote de l’Âge du Fer – presque – comme les autres.

Kition est bien une ville neuve, mais une ville neuve du Bronze Récent. Ses constructions monumentales témoignent de la mise en œuvre d’un programme urbain ambitieux : l’extension du rempart vers le sud suggère que la ville avait, à cette époque, une étendue tout à fait exceptionnelle, dont il est peu probable qu’elle ait été entièrement occupée de constructions5. C’est d’emblée une

ville, et non pas le développement de villages ou d’habitats dispersés préexistants. À la fin du

* HiSoMA-UMR 5189/Université Lyon2, Maison de l’Orient et de la Méditerranée-Jean Pouilloux 1 Voir Karageorghis 1976 ; Nicolaou 1976 ; Yon 2006.

2 Respectivement Yon 2004a, n° 15 et 32, 101, 129.

3 Il est éclairant, à cet égard, que Bikai (P.) définisse les différents faciès chronologiques des importations phéniciennes

à Chypre sous la forme d’« horizons », rattachés aux sites où ils sont les mieux représentés : le « Kition horizon » n’est qu’un parmi d’autres (Bikai 1987, p. 50-70).

4 Le programme d’étude topographique de Kition a commencé en 2008, dans le cadre de la mission archéologique de

Kition (co-financée par le Ministère des Affaires Étrangères et le CNRS/Université Lyon2). La base de données et les cartes ont été réalisées par Anne Flammin (Université Lyon2), avec l’aide de Séverine Sanz (Maison de l’Orient et de la Méditerranée-Jean Pouilloux, Lyon) et d’Anna Cannavò. Je remercie vivement le Département des Antiquités de Chypre et ses directeurs successifs, Flourentzos (P.) et Hadjicosti (M.), qui nous ont autorisés à examiner le matériel d’un bon nombre de tombes. Jusqu’à présent, les travaux ont essentiellement porté sur les nécropoles (plus de 400 tombes ont été inventoriées, fig. 1). Les résultats obtenus permettent de compléter, et de corriger sur un certain nombre de points qui demandaient une mise à jour, le remarquable travail de Nicolaou 1976.

5 Iacovou 2007 a justement relevé l’incongruité de la superficie de Kition, démesurée par rapport à celle des autres sites

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Bronze Récent, alors que tous les sites voisins sont abandonnés, Kition continue d’être occupée. À l’échelle régionale, elle devient la seule ville que des découvertes archéologiques documentent pour le début de l’Âge du Fer ; à l’échelle chypriote, alors que des déplacements topographiques mineurs (abandon d’Enkomi et fondation de Salamine, par exemple) ou plus importants (abandon des sites de Kalavasos, Maroni ou Alassa et fondation d’Amathonte, par exemple) signent la mise en place d’une nouvelle organisation territoriale au XIe s. av. J.-C., Kition est le seul site, avec

Palaepaphos, à être habité sans solution de continuité et à demeurer le centre urbain de la région6.

Cette continuité topographique marque d’ailleurs aussi l’histoire récente du site, recouvert par la ville moderne de Larnaca (fig. 1).

Fig 1. Localisation des nécropoles de Kition à l’Âge du Fer (XIe -IVe s. av. J.-C.).

L’histoire de la ville, au cours de l’Âge du Fer, peut se résumer en trois grandes phases. - Le premier Âge du Fer (XIe-Xe s. av. J.-C.) (fig. 2) :

La partie nord de la ville, où se trouvait le complexe monumental de Kathari, paraît abandonnée7. Non loin de là, à Bamboula, les fouilles françaises ont mis au jour un établissement de

type domestique ou commercial, installé à proximité du rempart du Bronze Récent, dont ne subsiste que l’emprise au sol, taillée dans le rocher (Yon, Caubet 1985). Cet établissement, comme celui que le Département des Antiquités a fouillé à proximité de l’église de la Chrysopolitissa (Area I), semble abandonné au tout début du Chypro-Géométrique I (Georgiadou 2012, pp. 324-326). Des

6 Iacovou 1999.

7 Cet abandon est daté des environs de 1000 av. J.-C. par Karageorghis, Demas 1985, ce qui est peut-être trop haut

(voir Georgiadou 2012, pp. 323-324). L’hypothèse même d’un abandon a été remise en question par Smith 2009.

Mission archéologique de Kition et Salamine

0 250 500 mètres

Kathari

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La ville de Kition (Chypre) du Xe au IVe siècles av. J.-C. : questions de topographie urbaine

tombes, isolées (Agios Prodromos), ou formant de petites séries (Pervolia), documentent cependant l’ensemble de la période8. Kition est-elle, pour autant, toujours une ville ? ou bien s’agit-il d’une

période d’éclatement de l’habitat en différents noyaux ? La dispersion des tombes, leur petit nombre, l’absence de nette distinction sociale (le matériel est partout le même, d’une tombe à l’autre, d’une nécropole à l’autre) pourraient indiquer une période de « désurbanisation ». Deux faits sont toutefois remarquables. Tout d’abord, toutes les tombes du premier Âge du Fer sont localisées dans des zones qui serviront à des inhumations postérieures, notamment à l’époque classique, lorsque le développement urbain de Kition est à son apogée (comparer les figs. 1 et 2). Par ailleurs, aucune de ces tombes n’est localisée dans la zone de la ville du Bronze Récent9, qui sera la zone de la ville,

abritant des monuments à caractère collectif (notamment des sanctuaires), à partir du VIIIe s. av.

J.-C. Il y a donc, pour la première fois dans l’histoire du site, une stricte séparation entre la ville des morts et la ville des vivants, peut-être matérialisée par le rempart du Bronze Récent, toujours en usage, du moins pour certaines parties de son tracé. Et il y a une permanence, tout au long de l’Âge du Fer, du statut des ensembles topographiques : contrairement au modèle grec du synœcisme, la ville ne se développe pas en gagnant des zones publiques sur des zones privées, des nécropoles qui seraient désaffectées. Quelles que soient l’extension de Kition à cette époque et la densité de son occupation, le site obéit à un modèle urbain, il ne devient pas progressivement une ville.

Fig 2. Localisation des tombes du début de l’Âge du Fer (XI e-Xe s. av. J.-C.). 8 Pour le lieu-dit Agios Prodromos, voir Georgiou 2003.

9 À l’exception d’une inhumation d’enfant (probablement un fœtus) en jarre, découverte à Bamboula (Yon, Caubet

1985, p. 29). Mais la mort des jeunes enfants suscite souvent, dans l’ensemble de la Méditerranée antique, un traitement particulier, et les cas d’inhumation au sein de l’habitat sont fréquents.

Kathari

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- Les périodes chypro-géométrique III et chypro-archaïque I (IXe-VIIIe s. av. J.-C.) (fig. 3) :

C’est une période que marque un fort développement urbain : le sanctuaire du Bronze Récent de Kathari est réoccupé ; un nouveau sanctuaire est établi à Bamboula10. Ces développements sont traditionnellement mis en

rapport avec l’arrivée et l’installation sur le site de populations phéniciennes, avec la fondation d’une colonie11. Il

n’existe pas de nécropole distincte, de type phénicien, pas d’établissement séparé, distinct de la ville « indigène »12.

Fig 3. Localisation des tombes du Chypro-Géométrique III – Chypro-Archaïque I (IXe- VIIIe s. av. J.-C.).

Une nouveauté est l’apparition de tombes construites, signalant l’émergence d’une nette distinction sociale (fig. 4). Il faut toutefois relativiser l’importance de l’innovation : à la même époque, ailleurs, sont également attestées des tombes construites, qui, sur certains sites comme Salamine, constituent de véritables nécropoles « royales ». Pour le moment, seule une tombe de ce type est sûrement attestée à Kition13. Elle a été découverte dans une zone où aucune tombe antérieure n’est attestée et à

l’intérieur du tracé supposé du rempart du Bronze Récent. Le matériel recueilli est exclusivement de

10 Caubet, Fourrier, Yon, 2015.

11 On parle ainsi de niveaux « pré-phéniciens » et de niveaux « phéniciens » à Kition, comme si l’on pouvait

placer dans le temps un moment de rupture, qui serait celui de la colonisation : voir les titres des publications de Karageorghis, Demas 1985 et Karageorghis 2005.

12 Voir également les remarques de Hadjisavvas 2000 et 2007.

13 La tombe construite transformée en église (Phanéroméni, point situé le plus au sud sur la fig. 4) est de datation

difficile, mais elle pourrait être contemporaine de la tombe de la rue du roi Constantin : Nicolaou 1976, pp. 200-201, n° 55. Pour la tombe de la rue du roi Constantin, voir désormais Hadjisavvas 2014, pp. 1-33. Les autres tombes construites, découvertes près de la ville, datent de la période classique, ce que confirment les récentes découvertes du Département des Antiquités dans cette zone.

Kathari

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La ville de Kition (Chypre) du Xe au IVe siècles av. J.-C. : questions de topographie urbaine

type phénicien14. Mais le mort a été inhumé et non pas incinéré, et le type architectural de la tombe,

comme les pratiques funéraires qu’elle révèle (exécution d’équidés dans le dromos), ont des parallèles contemporains ailleurs à Chypre, notamment dans la nécropole « royale » de Salamine.

Fig 4. Localisation des tombes construites (IXe -VIIIe s. av. J.-C. et époque classique).

- De la seconde moitié du VIe s. à l’abolition du royaume (fin du IVe s. av. J.-C.) (fig. 5)

Cette période coïncide avec l’apogée de la ville de Kition. Dès le début du Ve s. av. J.-C., des

dynasties de rois, portant des noms phéniciens, sont attestées par des sources primaires (inscriptions et monnayage). Le royaume étend son emprise sur les ressources agricoles et minières d’Idalion puis, pour un court laps de temps, de Tamassos. À Kition même, cette emprise sur le territoire se marque par la fondation de sanctuaires péri-urbains, dont deux, celui d’Artémis Paralia et celui de

Batsalos, sont certainement liés à l’exploitation du sel du Lac Salé. Des remaniements importants

touchent le vieux centre urbain, notamment à Bamboula : le port de guerre est aménagé, le vieux sanctuaire est recouvert par une terrasse, un dispositif complexe d’égouts est mis en place15.

14 Hadjisavvas 2007, pp. 188-190 ; Hadjisavvas 2014, pp. 1-33.

15 Yon 2006, pp. 96-103 pour les sanctuaires, pp. 131-138 pour les néoria du port de guerre.

Kathari

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Fig 5. Localisation des tombes du Chypro-Archaïque II – Chypro-Classique (VIe -IVe s. av. J.-C.).

Un même souci d’urbanisme est sensible dans l’aménagement des nécropoles16. Toutes les

nécropoles anciennes sont réutilisées et de nouvelles nécropoles sont installées, plus à l’ouest, dans la région d’Agios Georgios. Il s’agit, cette fois, de véritables nécropoles, de villes des morts : les tombes sont alignées, selon un espacement régulier qui vise à économiser l’espace. Les tombes suivent toutes le même plan : elles sont creusées dans le rocher friable, avec un plafond en voûte. Elles possèdent un dromos à marches, et une ou plusieurs chambres rectangulaires. Les morts, toujours inhumés, jamais incinérés, sont placés dans des sarcophages-coffres de gypse ou de bois. Les tombes servent toutes à des inhumations multiples, parfois fort nombreuses (des cadavres sont alors posés sur le couvercle de sarcophages occupés), ce qui peut indiquer des regroupements familiaux. La découverte de tombes vides, mais non pas pillées, offre un autre argument en faveur de l’existence de plans d’urbanisme.

Le matériel funéraire est également homogène, voire stéréotypé, et il est, désormais, entièrement phénicisé. Une illustration de ce phénomène est fournie par la forme des vases à boire qui, à l’exception de certaines importations attiques, sont tous dépourvus d’anses, conformément à la tradition orientale17. C’est attendu pour les bols hémisphériques, dont la forme est d’origine

levantine ; c’est exceptionnel et typique de Kition pour les bols peu profonds, à épaule marquée, de fabrique White Painted IV ou V, de tradition chypriote, qui sont systématiquement munis, ailleurs, d’anses horizontales (comparer les fig. 6a et 6b).

16 Hadjisavvas 2007, pp. 191-192. 17 Voir Fourrier 2009, pp. 131-132.

Tombes construites d’époque classique Tombes construites d’époque archaïque

Kathari

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La ville de Kition (Chypre) du Xe au IVe siècles av. J.-C. : questions de topographie urbaine

Fig 6 a. Bol White Painted IV provenant d’Amathonte (© École française d’Athènes, Ph. Collet). b. Bol White Painted IV provenant de Kition.

Dernier signe, enfin, d’un réaménagement urbain : une nécropole de tombes construites, réservée à l’élite, est implantée juste à l’ouest de la ville proprement dite18 (fig. 4). Il ne s’agit

donc pas du développement d’une nécropole « royale » antérieure, qui devait être située plus au sud. Mais on remarquera qu’il en va de même dans d’autres sites chypriotes : la nécropole « royale » de Salamine, explorée par V. Karageorghis, ne renfermait pas de tombes classiques : ces dernières devaient se trouver ailleurs, peut-être non loin d’Enkomi, où a été dégagé un cénotaphe, traditionnellement attribué à Nicocréon.

Il ressort clairement de cet aperçu que Kition échappe aux modèles connus de colonies phéniciennes. On ne perçoit pas d’établissement phénicien, distinct de la ville « indigène », on ne voit pas de nécropole séparée. Certes, des changements se produisent, au cours du VIIIe s. av.

J.-C., qui font que la civilisation matérielle de Kition se transforme en une civilisation, non pas phénicienne, mais phénicisée. S’il fallait chercher un parallèle, ce n’est pas parmi les fondations phéniciennes d’Occident, mais à Chypre même, et au Bronze Récent, que j’irais le chercher19. À la fin

du Bronze Récent, les mouvements de population qui touchent la Méditerranée orientale conduisent à l’hellénisation, linguistique, de l’île. De même, l’installation de populations phéniciennes à Kition

18 Certaines tombes étaient connues anciennement, telle la tombe Cobham de la rue Dédale (Nicolaou 1976, p. 183,

n° 26). Un sarcophage anthropoïde de marbre importé a été récemment découvert dans la même rue (Georgiou 2009).

19 Voir les remarques de Iacovou 2008. Pour un résumé de l’état des recherches concernant le Bronze Récent

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conduit à la phénicisation, linguistique, de la ville. Il est impossible, au Bronze Récent, d’identifier des établissements coloniaux et les apports égéens sont immédiatement fondus dans une civilisation matérielle mixte : l’immigration est invisible, seuls ses résultats sont sensibles. De même, à Kition, importations phéniciennes et imitations locales sont très proches, dès le VIIIe s. av. J.-C.,

et la phénicisation du répertoire céramique n’est véritablement achevée que trois siècles plus tard, à l’époque classique20. Ce n’est assurément pas un modèle colonial, ni au sens grec, ni au sens

contemporain, du mot : il n’y a pas de transposition d’un modèle urbain étranger dans l’île, mais l’adoption d’un modèle local par des populations étrangères. Les changements sont considérables, et il n’est pas question de nier le caractère phénicien de Kition, mais ils s’intègrent dans une continuité.

De fait, replacé dans son contexte chypriote, le cas de Kition est plus caractéristique qu’exceptionnel. Sur la longue durée, les étapes de son développement urbain sont celles des autres villes-capitales chypriotes à l’époque des royaumes.

Comme les autres villes, Kition est occupée dès le XIe s. av. J.-C., en l’occurrence bien

avant, puisque, comme on l’a vu, Kition est le seul centre urbain majeur du Bronze Récent, avec Palaepaphos, à être habité sans solution de continuité à l’Âge du Fer21. Durant tout le premier Âge

du Fer, Kition, comme les autres villes-capitales de royaumes, est le seul établissement important à l’échelle régionale. Dans la région de Kition comme dans les autres régions de l’île, il n’existe pas d’établissement secondaire, de sanctuaire extra-urbain ou de nécropole avant la fin du IXe s. av.

J.-C.22. Tous les vestiges d’époque géométrique sont concentrés dans les villes-capitales de royaumes.

De fait, il n’y a pas, à cette époque à Chypre, de dispersion de l’habitat, comme on peut l’observer au cours des Âges Obscurs en Grèce : si les campagnes se dépeuplent, les centres urbains demeurent. Et cette permanence topographique est un argument fort en faveur d’une stabilité politique.

Les développements urbains que connaît Kition au VIIIe s. av. J.-C. et que l’on met traditionnellement

en rapport avec la colonisation phénicienne ne sont pas, eux non plus, isolés. Les premières constructions monumentales apparaissent également dans les autres villes : sanctuaires mais aussi palais (à Amathonte23).

L’affirmation d’une élite est marquée par l’apparition de nécropoles « royales », avec des tombes construites et des rites spécifiques (en particulier l’exécution d’équidés dans le dromos). Cette affirmation du pouvoir royal se manifeste également, par une emprise territoriale plus forte des centres urbains sur les territoires qui en dépendent : des sites secondaires se développent, des sanctuaires de territoire se multiplient24. On assiste

aussi à une réoccupation de certains vestiges monumentaux du Bronze Récent par des sanctuaires, à Enkomi ou à Sinda, par exemple25. Ces réoccupations ont certainement une valeur idéologique : on récupère des

lieux de mémoire à un moment où l’autorité centrale s’affirme. À Kition, la réoccupation des sanctuaires du Bronze Récent de Kathari par un sanctuaire dit « phénicien » illustre donc, là encore, un phénomène pan-chypriote. Qu’en conclure, sinon que la royauté chypriote n’est pas une importation phénicienne, datable du VIIIe s. av. J.-C., comme on le suggère parfois, mais que la royauté phénicienne de Kition reprend un modèle

chypriote, déjà bien implanté dans l’île ?

Seul trait original par rapport aux autres royaumes, Kition, avant l’époque classique, ne semble pas posséder de territoire étendu, contrairement à ses voisins, Idalion et surtout Salamine26.

Mais ce sera chose faite dès le milieu du Ve s. av. J.-C., avec l’absorption du territoire du royaume

d’Idalion. Et l’époque classique sera marquée par la compétition entre les rois de Salamine et de Kition pour la maîtrise de la Mésaoria27.

20 Voir les remarques de Bikai 1981, p. 23. On remarquera que, pour les niveaux les plus anciens des sanctuaires de

Kathari comme de Bamboula, l’image principale que déclinent les figurines de terre cuite est celle de la « déesse

aux bras levés », connue à Chypre depuis le XIe s. av. J.-C. : Karageorghis 2005 ; Calvet 2002. 21 Iacovou 1999.

22 Les seules exceptions sont la nécropole d’Alaas et le sanctuaire de Limassol-Komissariato. On notera toutefois que

ces deux sites sont occupés pour une très brève période, au tout début de l’Âge du Fer, sans développement ultérieur.

23 Alpe et alii 2007.

24 Fourrier 2007, pp. 103-124. 25 Ibidem, p. 108.

26 Ibidem, pp. 115-116. Cette singularité a conduit certains spécialistes à suggérer que Kition n’était pas un royaume

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La ville de Kition (Chypre) du Xe au IVe siècles av. J.-C. : questions de topographie urbaine

Kition n’est donc ni une fondation, ni une colonie phénicienne. En ce sens, parler de période ou de niveaux « phéniciens » à Kition est impropre, d’autant plus que le terme est souvent employé afin de souligner le caractère fini de cette période, qui serait comme une parenthèse28. L’empreinte phénicienne

sur la civilisation matérielle de Kition est profonde, il ne s’agit certainement pas d’une parenthèse, mais elle est d’emblée mélangée, fondue : Astarté est peut-être nommée dès le début du VIIIe s. à

Kathari29, mais elle revêt l’image chypriote de la « déesse aux bras levés ». Ce mélange donne à Kition

un caractère particulier, qui distingue la civilisation de la ville de celle d’autres sites de Chypre où l’installation de populations phéniciennes est sensible, et en particulier Amathonte : là, certains indices (nécropole de plage à incinérations dans des urnes placées dans le sable, existence de sanctuaires extra-urbains dont le matériel est majoritairement de type phénicien) invitent à conclure que la population phénicienne du royaume possédait des lieux propres, distincts30. Kition n’est pas plus phénicienne

qu’Enkomi, ancienne Salamine, ou Paphos, ne sont mycéniennes. Au Bronze Récent comme à l’Âge du Fer, l’arrivée de populations étrangères, tout en entraînant des changements importants (notamment sur le plan linguistique), se fond dans des structures, urbaines et étatiques, locales.

Cl. Baurain a autrefois défendu l’idée que les éléments chypriotes présents dans les légendes relatives à la fondation de Carthage résultaient d’une confusion entre la Carthage d’Afrique et la Carthage de Chypre31. C’est une hypothèse satisfaisante du point de vue de l’archéologie de la

Carthage d’Afrique où l’on est bien en peine de trouver des productions chypriotes. C’est également satisfaisant du point de vue de l’idéologie royale chypriote, puisqu’on attend, en effet, que les rois de Kition développent une idéologie des origines, comme les autres rois de l’île, qui rattachent leurs dynasties au moment des nostoi homériques (ainsi, les héros Agapénor à Paphos ou Teucros à Salamine). La réoccupation des sanctuaires du Bronze Récent de Kathari pourrait d’ailleurs, comme je l’ai suggéré, participer du même procédé. Que des populations levantines aient été impliquées dans les mouvements migratoires de la fin du Bronze Récent est également probable. Que cette Carthage de Chypre ait été fondée à Kition à la fin du Bronze Récent est, en revanche, difficile à accepter : rien n’étaie l’hypothèse et les seules preuves, quoique fragiles, de l’installation de populations nouvelles, ne sont pas antérieures au VIIIe s. av. J.-C. À cette époque, des migrants d’origine phénicienne, sans

doute tyrienne, se sont installés à Kition, où ils ont rapidement représenté l’élite dominante de la ville. La Qarthadasht du prisme d’Assarhaddon est peut-être Kition, mais son roi phénicien est un roi chypriote comme les autres32. C’est évident pour les périodes ultérieures. Ainsi, les sculptures d’époque

classique découvertes à Idalion et dans sa région, à une époque où tout ce territoire appartenait au royaume de Kition, sont à cet égard tout à fait révélatrices : les rois phéniciens s’y font représenter selon le modèle royal en vigueur à Chypre, et non pas selon un modèle importé33. Le développement

de Kition aux IXe-VIIIe s. av. J.-C. est celui des autres villes-capitales de royaumes qui, soumis à

l’empire assyrien, affirment leur emprise sur leur territoire pour mieux contrôler son exploitation, et notamment celle du cuivre. Il n’est pas étonnant qu’on trouve, dans le sanctuaire de Bamboula d’époque archaïque comme dans celui de Kathari au Bronze Récent34, des ateliers métallurgiques.

Il paraît donc vain de chercher dans la ville de Kition un modèle de colonie phénicienne. Kition est une ville qui est certainement phénicisée, à un moment de sa longue histoire, mais c’est avant tout une ville chypriote, dont les modèles urbains ne doivent pas être recherchés à l’extérieur de l’île.

28 C’est ce qui ressort clairement des conclusions de Karageorghis 2005, pp. 107-109. 29 Yon 2004a, p. 188, n° 1100.

30 Fourrier, Petit-Aupert 2007. Voir également les remarques de Hadjisavvas 2000, p. 1025, qu’on ne suivra toutefois pas

lorsqu’il suppose que cette différence provient du fait que les Phéniciens de Kition ont adopté « une partie de la culture et des usages grecs locaux ». Voir en dernier lieu Yon 2004a, pp. 19-22 et Cannavò 2011, pp. 482-493.

31 Baurain 1988.

32 Pour les problèmes d’identification relatifs à la Carthage de Chypre, voir en dernier lieu Yon 2004a, pp. 19-22. 33 Hermary 2005.

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