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Mutations en milieu paysan dans un contexte de crise : étude de cas des femmes rurales de la région de kpele (sud-ouest Togo)pp. 33-46.

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MUTATIONS EN MILIEU PAYSAN DANS UN CONTEXTE DE CRISE : ETUDE DE CAS DES FEMMES RURALES DE LA REGION DE KPELE (SUD-OUEST

TOGO)

Follygan HETCHELI Université de Lomé, Togo

RÉSUMÉ

Dans un contexte d’aggravation de crise socio- économique et politique, les femmes rurales de la région de Kpélé au Sud-ouest du Togo multiplient les stratégies adaptatives grâce à l’action des ONG, acteurs émergeants dans le milieu rural togolais. Les femmes constituent aujourd’hui l’épine dorsale de l’économie de la zone et partant celle de l’économie nationale grâce à leur motivation, à leur créativité et à leur inventivité dans le domaine agricole, le traitement des aliments, l’artisanat, le commerce etc. Ces diver- ses activités participent à la définition de l’identité de la femme rurale et de son statut social. Elles sont cependant 78% qui travaillent dans des conditions très précaires et font face à des contraintes et exclu- sions de divers ordres. Ces femmes, majoritairement analphabètes et pauvres apprennent actuellement à se responsabiliser pour prendre en charge le déve- loppement local. Cet article qui évoque le contexte de mutation des femmes en milieu rural, s’emploie à décrire et à analyser l’évolution de leur statut et leur contribution socio-économique au développement, ainsi que les nouveaux obstacles qu’elles doivent surmonter pour atteindre leurs objectifs.

Mots-clés : Crise, femme rurale, statut des fem- mes, développement rural, ONG, microfinance

ABSTRACT

In a socioeconomic and political crisis aggrava- tion context, the rural women of Kpélé zone in the southwest of Togo multiply the adaptive strategies to the favor of the action of the NGO, emerging actors in the Togolese farming environment. The women constitute today the dorsal thorn of the economy of the zone and hence the one of the national economy to the favor of their motivation, to their creativeness and resourcefulness in the agricultural domain, in the treatment of food, in the handicraft, the trade etc. These various activities participate in the defi- nition of the identity of the farming woman and her social statute. They are however 78% that works in very precarious conditions and face constraints and exclusions of various orders. These women, mainly illiterate and poor, learn to take in charge the responsibility of the local development. This article that evokes the context of mutation of the women in rural environment uses to describe and to analyze the actually evolution of their statute and their socio- economic contribution to the development, as well as the new obstacles that strew their way to reach their objectives.

Key words: Crisis, rural women, status of wo- men, rural development, NGO, microfinance

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1. PAYSANNERIE EN PÉRIODE DE CRISE Depuis 1990, le Togo traverse une longue crise qui a fortement affecté le processus de développe- ment économique et social du pays. La région de Kpélé qui fait l’objet de la présente étude n’a pas été épargnée.

1.1. CRISE ET CONTEXTE GÉNÉRAL DE LA MUTATION DU STATUT DES FEMMES DE KPÉLÉ

La situation socio-économique du Togo s’est fortement dégradée depuis 1990 à cause des crises politiques, sociales, institutionnelles et de gouver- nance2. L’ensemble de ces crises ont de lourdes conséquences sur les groupes les plus vulnérables, surtout la population des milieux ruraux qui constitue 2/3 de la population totale du pays et qui contribue à hauteur de 43% dans la formation du PIB. Selon l’enquête QUIBB (Questionnaire Unifié sur les In- dicateurs de Base du Bien-être, 2006), le taux de pauvreté en milieu rural est de 79,9% et 4 togolais sur 5 vivront en dessous du seuil de la pauvreté à partir de 2016, si aucune action n’est entreprise très tôt pour améliorer les conditions de vie.

La préfecture de Kpélé qui fait l’objet de cette étude est une localité située au Sud-ouest du Togo entre 0°38’ et 0°58’ de longitude Est et entre 6°97’

et 7°18’ de latitude Nord sur une superficie totale de 749 km² (fig.1). Elle relève de la Région des Plateaux dont le chef-lieu est Atakpamé. Sa population hétéro- gène est actuellement estimée à près de 75 000 ha- bitants dont plus de la moitié, constituée de femmes, vivant en dessous du seuil de pauvreté (DSID, 2009).

Dans la zone, la pauvreté est un phénomène surtout rural et en l’an 2007, 82,5% des femmes étaient en situation d’extrême pauvreté. L’espérance de vie à la naissance est seulement de 56 ans dans la zone contre 58 sur le plan national. Le taux d’analphabé- tisme féminin est de 67,5% contre 31,5% chez les hommes selon le Document de la Stratégie Nationale de Lutte contre la Pauvreté (DSRP, 2009-2011).

2- Selon les données de la Banque Mondiale, le pays a obtenu en 2007, un score relativement faible (2,81 sur un barème de 6) dans l’évaluation des politiques et des institutions des pays (EPIP), ce qui le classe parmi les pays ayant les plus faibles institutions.

INTRODUCTION

La politique d’ajustement structurel, la crise socio- politique et économique que traverse le Togo depuis les années 1990 ont fortement façonné les milieux ruraux dans lesquels évoluent aujourd’hui les fem- mes togolaises. Elles sont les plus touchées par la crise économique qui les plonge dans une grande pauvreté, et de ce fait, elles forment la majorité la plus démunie et la plus vulnérable du pays (MASPFPE, 2001). Dans ce contexte socio-économique difficile, la diversification des stratégies de survie est devenue aujourd’hui indispensable pour les femmes dans les campagnes. L’accroissement du rôle des femmes induit de plus en plus de changements dans leur place au sein de la société traditionnelle. Dans quel domaine s’opèrent ces changements ? Quelles sont les incidences de ces changements sur ces femmes qui représentent 53,7% de la population (DSID, 2008) ? A partir de ces questions fondamentales, cet article se propose d’analyser les questions de l’intégration des femmes au développement et le rôle fondamental joué par les ONG dans la “promo- tion féminine” en milieu rural. Il est certes vrai que la réflexion générale sur la situation des femmes rurales n’est pas un thème nouveau. Le présent ar- ticle n’a pas non plus pour ambition d’introduire une nouveauté. Sa contribution réside dans la prise en compte du contexte de crise du Togo qui a favorisé des mutations dans le statut de 82,5% de femmes extrêmement pauvres de la région de Kpélé1.

Cette étude tire sa substance des informations quantitatives internationales et nationales obtenues à travers la littérature. Cependant, l’absence ou l’insuf- fisance des données statistiques désagrégées selon le genre et les groupements de femmes du milieu nous a amené à conduire des entretiens approfondis de 21 jours avec les populations de 12 villages. Les discussions individuelles et de groupes avec les femmes et les responsables d’ONG, la collecte et la synthèse des informations auprès de 212 personnes dont 182 femmes appartenant à des groupements nous ont permis de réaliser ce travail.

Pour mettre en évidence la mutation féminine dans la région de Kpélé, l’étude analyse dans un premier temps le contexte de crise qui a contribué à l’évolution du statut des femmes au sein de la société rurale et explique ensuite au détail l’orientation ac- tuelle de leurs activités grâce à l’action des ONG.

1- Document de la Stratégie Nationale de Lutte contre la Pauvreté 1995.

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Source : Follygan HETCHELI, travaux de terrain, 2010

Figure 1 : Villages et fermes de la préfecture de Kpélé dans le Sud-ouest du Togo

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Kpélé qui était très riche en productions agricoles dans les années 1980, avec notamment le café, le cacao, les cultures vivrières et fruitières, connaît actuellement une crise agraire. La production du café et du cacao qui s’élevait respectivement à 88 456 kg et 95 000 kg en 1980, est tombée à 9 230 kg pour le café et 11 948 kg pour le cacao en 2010. La chute des cours mondiaux, les activités agricoles fortement dépendantes d’une pluviométrie très irrégulière ces dernières décennies, la pauvreté de plus en plus croissante des sols entrave tout développement durable de l’agriculture.

Les estimations montrent que 51,34% des fem- mes actives de la région de Kpélé travaillent dans l’agriculture (DSID, 2008), ce qui constitue en réalité un potentiel important à valoriser. Mais pendant long- temps dans ce milieu rural, l’égalité entre les sexes, un important facteur de développement et un élément essentiel de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (1948) n’est pas connue. Dans tous les domaines d’activités, les femmes sont victimes de la discrimination et des inégalités. La persistance de stéréotypes et de pratiques culturelles et religieuses traditionnelles portent souvent des préjudices aux femmes. Elles sont souvent exclues de certains avantages comme l’accès à la terre, la liberté de cultiver les plantes pérennes etc. Ces disparités ont sérieusement compromis le potentiel des femmes en tant que moteurs de croissance agricole et les empêchent de jouer leur rôle d’agents primordiaux de la sécurité alimentaire et du bien-être des ménages.

Mais ces dernières années, les différentes crises que connaît la région et le niveau de pauvreté de plus en plus élevé font que le statut traditionnel de la femme n’est pas resté figé. En effet, la migration

des hommes suite à la crise, la dégradation de l’en- vironnement, les aléas climatiques de ces dernières années, la chute des cours des produits agricoles entraînant la baisse des revenus familiaux ont vite entraîné des mutations. Les femmes de Kpélé sont devenues aujourd’hui des acteurs incontournables des actions de développement. Grâce à l’action des ONG, acteurs émergeants dans le milieu, les femmes reçoivent des formations aux techniques artisanales de production et à la gestion financière et technique des petits projets porteurs de développement.

1.2- PLACE ET RESPONSABILITÉS DE LA FEMME DANS UN MILIEU RURAL À DOMINANCE FÉMININE

Depuis les années 1990 où l’économie togolaise est en crise profonde, des stratégies économiques féminines maintiennent les ménages ruraux en vie, ou plutôt en « survie ». Notre enquête auprès des femmes de la région de Kpélé montre qu’en plus des tâches domestiques quotidiennes qu’elles prennent en charge (nourriture, logement, éducation et en- tretien des enfants, approvisionnement du ménage en eau et en bois etc.), les femmes réalisent leurs propres champs. L’agriculture de la région est formée de deux grandes composantes : l’agriculture d’expor- tation dominée par les hommes (café, cacao, coton) et l’agriculture vivrière d’autoconsommation monopo- lisée par les femmes. Elles cultivent le maïs, le riz, les légumes, l’arachide et quelques plantes arbustives (tableau n°1). Elles transforment ces produits agri- coles pour la consommation de la famille et le reste est commercialisé. Elles s’adonnent également aux activités artisanales.

Tableau 1 : Répartition des enquêtées selon les types de production

Types de cultures Superficie (ha.) Nbre de femmes %

Cultures arborées

Palmier à huile Café et cacao Arbres fruitiers

3,753,9 18

139 32

7,434,95 17,58

Cultures vivrières

MaïsRiz Arachide

Manioc+patate + igname Piment + tomate

21,7591 38,72 76,534

18287 121123 165

47,80100 66,48 67,58 90,66 Source : Enquête de terrain, 2010

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Les agricultrices dans la région représentent une part de 51,34% par rapport à un effectif total de 16 480 d’actifs agricoles (DSID, 2010). Les résultats de nos enquêtes auprès de 182 femmes montrent qu’elles possèdent généralement plusieurs petites exploitations ; ainsi : 57,2% ont des exploitations in- férieures à 0,5 ha, 34,5% ont des surfaces comprises entre 0,5 et 1 ha et seulement 8,3% ont plus de 1 ha.

Les estimations de la Direction des Statistiques, de l’Information et de la Documentation (DSID, 2010) montrent que les femmes sont plus nombreuses à emblaver de petites surfaces. Les hommes disposent des plus grandes surfaces (fig.2). Les facteurs so- ciaux et le manque de moyens financiers expliquent cette situation.

Source : d’après les estimations recueillies auprès de la DSID, 2010

Figure 2 : Surfaces exploitées par les agriculteurs et agricultrices

Elles pratiquent à la fois plusieurs activités dans leurs propres exploitations avec un outillage archaï- que, nécessitant un travail plus difficile et plus long.

Elles sont 82% qui accordent en même temps une aide permanente à leurs époux dans la réalisation des travaux champêtres. Toutes les femmes assu- rent le semis, la récolte et la commercialisation des produits agricoles de leurs époux.

Dans le contexte culturel, elles sont également au centre de la vie rituelle de la communauté : pratique des rituels religieux, cérémonies de mariage, céré- monies agraires etc. Selon Little et Austin (1996), la femme rurale remplit dans tous les domaines, un de- voir conjugal, maternel, familial et communautaire.

Dans la région, la majorité des femmes n’a que peu ou pas d’éducation. 78,1% sont analphabètes

ou du niveau primaire ; 21,8% sont du niveau pro- fessionnel ou secondaire et 0,10% seulement ont un niveau d’études supérieures (MASPFPE, 2001).

Travaillant très tôt dans l’agriculture et dans l’écono- mie informelle, elles ont peu bénéficié de l’éducation, de la formation et l’information.

Il ressort clairement de ce qui précède que les femmes jouent un rôle essentiel dans l’économie de la zone étudiée, mais l’énorme potentiel qu’elle dispose est resté inexploité parce qu’elle n’a pas un égal accès aux facteurs de production. Toutefois, la crise que connaît le pays depuis 1990, semble avoir changé les donnes et conduit à un changement de statut de la femme de Kpélé.

2- EVOLUTION DU STATUT DE LA FEMME RURALE DE KPÉLÉ

Des troubles socio-politiques ont éclaté au Togo au début des années 1990. Cette crise politique qui a entraîné neuf mois consécutifs de grève et le départ des bailleurs de fonds a eu des conséquences gra- ves sur le plan économique, surtout en milieu rural.

La dégradation des conditions de production s’est accélérée et a entraîné un changement progressif dans le rôle et la place des femmes au sein des unités familiales. Ainsi, on assiste à une évolution dans le statut de la femme et une diversification du champ de leurs activités : prise en charge de la famille et de la production, constitution des groupements féminins et développement de certaines nouvelles activités.

2.1- DES FEMMES CHEFS DE MÉNAGE ET DE PRODUCTION

Dans la société rurale traditionnelle de la zone étudiée, c’est l’homme qui est le chef de ménage et de production. Mais en se référant aux données d’une étude menée par “Demographic and Health Surveys (DHS) et Demographic Characteristics of Housebolds” en 1993 au Togo, 24,1% des ménages en milieu rural sont dirigés par des femmes. Avant cette période, le taux était inférieur à 10% selon les mêmes sources. Les résultats de nos enquêtes montrent que dans la région de Kpélé, le taux des femmes qui sont chefs de ménages et de production atteint actuellement 25%. La raison fondamentale qui explique cette situation dans la région est la crise agraire qui entraîne l’émigration de 27% des hom- mes vers les milieux urbains pour exercer des travaux

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non-agricoles (DSID, 2009). Près d’une vingtaine de femmes enquêtées ont également accédé au statut de chef de ménage après le décès de leurs maris.

Source : Follygan HETCHELI, travaux de terrain, 2010

Figure 3 : Les facteurs qui font accéder les femmes au statut de chef de ménage

Avant la crise de 1990, les épouses des mi- grants, les veuves et leurs enfants sont placées sous l’autorité des responsables de la famille élargie (père, beau-frère, grand-frère, oncle etc.), mais la crise économique actuelle ne permet plus à ceux-ci d’assumer cette charge. Il arrive aussi que le mari soit dans l’incapacité physique suite à une mala- die ou à un accident, âge très avancé dans le cas d’hommes ayant épousé des femmes très jeunes, etc. les femmes deviennent de fait dans ces cas, chefs de ménages. Dans ces contextes de perte des principaux actifs agricoles, il incombe bien souvent aux épouses des migrants, des maris handicapés et aux veuves d’assurer l’entière responsabilité de leur famille et des activités agricoles. Devenues des forces productives fondamentales, la décision de ces femmes est d’une importance absolument capitale pour le développement agricoles et celui de leurs milieux (FAO, 1982).

En réalité, dans la région de Kpélé, les femmes ne peuvent hériter la terre agricole du patrilignage ni de leurs maris. Ce principe traditionnel qui limite l’accès de celles-ci au foncier, fragilise bien souvent leurs capacités de production agricole. Mais les dif- ficultés économiques liées à la crise, le départ des jeunes agriculteurs font que les femmes qui héritent et assurent l’exploitation agricole de leurs époux deviennent de fait les « propriétaires » des parcelles.

Cette situation montre que les structures culturelles ne pèsent plus sur les ménages ruraux. La crise a contribué à une redistribution des rôles et pouvoir au sein des familles. En plus de son rôle traditionnel et obligatoire d’épouse et de mère, la femme Kpélé peut aujourd’hui se livrer à des occupations lucratives et prendre en charge sa famille en cas de nécessité.

2.2- DES FEMMES PROPRIÉTAIRES DE PLANTATIONS ARBUSTIVES

Pendant longtemps dans la société traditionnelle de Kpélé, l’arbre est considéré comme une culture symbolique de l’homme, chef de famille. Les femmes ne peuvent donc pas cultiver les plantes pérennes qui leur donnent une autonomie vis-à-vis de leurs familles. Cependant, ce sont souvent les femmes qui ont une meilleure connaissance des arbres et de leurs utilités. Wood et al. (1980) notent d’ailleurs que c’est surtout à elles que revient le soin de ramasser et d’utiliser le bois, d’exploiter et de transformer les produits de l’arbre. Les femmes participent aux côtés de leurs maris aux différentes étapes de la production des arbres et à la collecte des fruits (entretien des pieds, collecte et vente des fruits, séchage etc.).

Ce temps de travail « imposé » aux femmes sur les terres de leurs maris n’est pas rémunéré, mais celles-ci se sont longtemps accoutumées à cette situation. Lorsque la femme de Kpélé met en valeur une exploitation de cultures vivrières sur une terre qu’elle a temporairement prêtée chez son mari, l’époux plante dans le champ les cultures pérennes (palmiers, arbres fruitiers, café et cacao etc.). Les vivriers appartiennent à la femme et servent sur- tout à l’alimentation familiale. Les revenus issus de l’exploitation des arbres sont par contre la propriété exclusive de l’homme. Il était clair pour tous à Kpélé que l’argent issu de l’arbre et ses produits était une affaire d’hommes.

Cette division traditionnelle du travail entre hom- mes et femmes qui empêche les femmes de cultiver à leur guise, les confine souvent à la production exclu- sive des cultures vivrières destinées à la consomma- tion quotidienne des ménages. L’acceptation du fait que la production commerciale (café, cacao, palmier à huile, fruitiers etc.) soit l’apanage des hommes, fait que ce milieu rural ne tire pas suffisamment parti du potentiel de production des femmes. Cette situation est bien souvent à l’origine de l’inefficacité des ac- tions sur la lutte contre la pauvreté dans la zone.

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Aujourd’hui, la situation change. La crise agraire du début des années 1990 dans la région a entraîné de profondes mutations dans les stratégies produc- tives. La baisse des cours du café et du cacao par exemple, fait que les hommes n’ont plus d’attache identitaire aux arbustes. On assiste actuellement à une production plus diversifiée des femmes. Plu- sieurs planteurs ruraux ont vendu leurs plantations fruitières aux riches commerçantes de Kpalimé, d’Adéta et de Lomé notamment. Celles-ci n’étant pas dans les villages, confient la gestion des champs à des intermédiaires qui sont le plus souvent les fem- mes avec qui elles traitent dans les villages. Pour les services rendus, ces intermédiaires reçoivent des commerçantes des parcelles de plantations à titre de commission. Il s’agit surtout des plantations de palmier à huile, de caféier et de cacaoyer, des vergers d’avocat, d’orange etc. Le plus souvent, des propriétaires de plantations en difficulté financière finissent par vendre leurs champs aux femmes.

15% des enquêtées sont devenues par achat, des propriétaires de plantations arbustives qui varient entre 0,25 et 0,75 ha. 2% des femmes sont devenues propriétaires après mise en gage des plantations. En cas d’absence du mari, les femmes plantent en plus des cultures vivrières, des cultures pérennes. Ainsi, 2% des femmes ont planté du palmier, 2% du cacao, 3% du café et 5% des fruitiers etc. Toutes ces femmes affirment n’avoir jamais possédé de plantations avant le déclenchement de la crise de 1990 et parlent de changements rapides actuellement. Ces données montrent que la crise a certes permis aux femmes de cultiver les plantes pérennes, mais les superficies exploitées restent encore très faible.

La crise agraire a brouillé les identités de genre et modifié les rôles et devoirs de chacun et chacune notamment au sein de l’espace familial. L’émergence ces dernières années d’un grand nombre de groupe- ments féminins et l’implication toute récente des ONG pour favoriser un meilleur accès aux ressources pour les femmes, sont d’autres facteurs qui attestent des dynamiques qui sont à l’œuvre dans la communauté rurale de Kpélé.

3- FEMMES RURALES ET ORGANISATIONS NON GOUVERNEMENTALES (ONG) Avec l’échec des institutions étatiques à financer l’activité agricole et la crise socio-politique et écono-

mique de ces dernières années, le nombre d’ONG s’est sensiblement accru dans la région de Kpélé.

Elles interviennent pour la plupart actuellement dans les secteurs de l’économie rurale où le rôle économique des femmes est prépondérant. Elles œuvrent pour une meilleure prise en considération des initiatives des femmes.

3.1- LES ONG DE KPÉLÉ ET LEURS OBJECTIFS

Les femmes Kpélé, bien qu’elles soient fortement impliquées dans la production des cultures vivrières, n’ont pas accès aux crédits. Il en est de même pour les commerçantes et les petits artisans du milieu. De- puis la faillite et la fermeture de la Caisse Nationale de Crédit Agricole (CNCA) en juillet 1989 et l’échec des institutions financières classiques à financer le secteur agricole, on assiste à un accroissement très rapide du nombre d’ONG qui interviennent au Togo.

D’une dizaine dans les années 80, le nombre d’ONG est passé aujourd’hui à plus de 528 reconnues et enregistrées auprès du Ministère de l’Administration Territoriale. Elles sont une vingtaine qui interviennent dans la région de Kpélé.

La crise socio-économique que traverse le Togo depuis 1990 a favorisé à Kpélé, grâce à l’action des ONG, le développement de petites coopératives de femmes (fig.4). La plupart des groupements créés sous l’impulsion des ONG visent à dynamiser un processus de changement destiné à mettre fin aux inégalités entre les sexes et à assurer l’accès des femmes aux ressources essentielles. Elles contri- buent à la lutte contre la pauvreté par l’augmentation des revenus et l’amélioration des conditions de vie des ménages ruraux en général, et des femmes ru- rales les plus vulnérables en particulier. Elles aident les femmes des milieux écologiquement favorables à certaines cultures ou à certaines activités géné- ratrices de revenus, à rationaliser leurs productions et à mieux organiser la commercialisation. Pour les populations vulnérables de la région, le recours aux ONG est devenu aujourd’hui une grande priorité.

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Source : d’après le Ministère de l’Agriculture et de la pêche, Fédération des ONG du Togo (FONGTO, 2010)

Figure 4 : Evolution des groupements féminins créés selon les années dans la zone de Kpélé Les coopératives créées sont surtout spécialisées dans la production agricole, la transformation et la vente des produits locaux, répondant ainsi à une demande urbaine croissante. Face à la féminisation croissante de la pauvreté, des stratégies exclusive- ment féminines sont développées pour leur permettre d’accéder à d’autres moyens financiers en dehors de l’agriculture. Selon Miantoloum, (1998), les femmes d’Afrique ont actuellement compris que faire partie d’un groupement est aussi un moyen d’émancipa- tion et de prise de décision pour la gestion de leurs biens individuels et collectifs. Il existe actuellement dans la région une quarantaine de groupements féminins de base qui regroupent environ 2 500 fem- mes selon l’Union des Organisations Paysannes de Kloto (UPOP). La plupart des groupements sont à la fois des organisations productives, mais aussi des réseaux de solidarité. Le nombre des membres par groupement varie entre 15 et 30. Les ONG permettent aujourd’hui aux femmes d’acquérir des compétences et des connaissances nouvelles et constituent un atout pour la réussite de nombreux projets dans le domaine rural.

3.2- ONG ET RÉADAPTATION DES DROITS D’ACCÈS AU FONCIER

Il est reconnu par plusieurs chercheurs qu’un des blocages majeurs à la promotion des femmes dans le monde rural africain, est leur difficulté à accéder à la terre (Mama A., 1997 ; Sow, 1993 ; Lecomte B.J., 1998). La femme rurale de Kpélé fait aussi face à

cette situation, bien que le travail de la terre soit l’une de ses premières occupations. Dans cette société traditionnelle, la femme ne peut hériter des terres ni de son père, ni de son mari3. Elle n’accède à la terre qu’avec l’autorisation de son mari, et on peut lui inter- dire son exploitation lorsque le mariage prend fin, ou si le mari décède. L’acquisition par achat de la terre par les femmes n’est pas strictement interdite dans la région, mais son coût de plus en plus élevé, même en milieu rural et la pauvreté des femmes font que très peu en achètent. Seulement 3% des enquêtées possèdent des terres agricoles par achat. Elles sont surtout les retraitées de l’administration publique ou privée qui ont pu obtenir des prêts bancaires. Ces dernières décennies, face à la paupérisation crois- sante et une diminution de la présence masculine en milieu rural pour exploiter les terres, les femmes s’organisent de plus en associations de femmes et reçoivent des ONG des appuis qui leur permettent d’avoir accès au patrimoine foncier.

A partir de la crise des années 1990, les ONG et la communauté internationale se sont beaucoup plus intéressées à l’accessibilité à la terre des femmes rurales dans la région. Les mentalités évoluent et les détenteurs des droits coutumiers sont de moins en moins réticents à accorder des droits fonciers, lorsque la terre est attribuée à un groupement de femmes. On assiste ainsi à une réadaptation progres- sive des règles d’accès au foncier dans le système coutumier de gestion des terres. L’acquisition de la terre par les femmes n’est pas pour autant facile.

C’est à l’issue de longues négociations impliquant les représentants des ONG et des personnes ressources (chefs de villages, notables, pasteurs ou prêtres, infir- miers etc.) que les détenteurs coutumiers acceptent d’accorder un lopin de terre aux groupements de fem- mes. Cette transaction foncière ne constitue pas une opération économique (pécuniaire) comme en milieu urbain, mais les donateurs reçoivent en contrepartie quelques boissons pour faire des cérémonies aux dieux. Le mode d’accès aux terres demeure, somme toute, un prêt à durée indéterminée qui confère aux 3- Au Togo, comme dans beaucoup de pays africains, les systèmes fonciers traditionnel et moderne coexistent. Les textes juridiques accordent les mêmes droits aux hommes qu’aux femmes. Mais en pratique, la propriété foncière reste aux mains des hommes, et la femme ne possède aucun droit formel sur la terre.

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groupements de femmes des droits étendus, hormis ceux de les aliéner à autrui unilatéralement. Pour les terres rurales, les populations dans la région n’ont pas pris l’habitude de se faire délivrer un titre par l’autorité administrative (préfecture), mais les ONG appuient les groupements pour qu’ils formalisent les transactions. Par le biais des ONG, 32% des femmes des migrants ont accédé à la terre. Les résultats de nos enquêtes montrent cependant que 62% des terres cédées aux groupements sont des zones de bas-fond et de savane médiocres, très peu fertiles et éloignées des habitations. Cette situation fait que leur mise en valeur leur demande des investissements importants.

Il est actuellement reconnu que les actions de développement sont devenues des opportunités qui permettent aux femmes d’acquérir de nouvelles connaissances et compétences. C’est d’ailleurs pour- quoi la participation de celles-ci aux projets de déve- loppement est devenue depuis plus d’une décennie une exigence des bailleurs de fonds qui interviennent au Togo (PUGET, 1999). Ainsi, 34% des femmes de la région de Kpélé affirment que c’est grâce aux ONG qu’elles sont aujourd’hui capables de mettre en place des projets qui peuvent leur permettre de lutter contre leur pauvreté et d’améliorer leurs revenus à travers la mise en place d’une agriculture durable.

Avant la crise de 1990, seulement 7% d’entre elles ont travaillé avec les ONG. Elles sont actuellement 28% qui affirment avoir déjà travaillé avec au moins une ONG pendant un an.

Dans la région de Kpélé où les femmes ont été longtemps désavantagées par des normes discrimi- natoires, l’intervention des ONG dans ces périodes de crise socio-économique dans le milieu a contri- bué à assurer l’accès permanent des groupements de femmes au foncier. Les femmes s’engagent aujourd’hui dans des activités économiques, réinven- tent des savoir-faire qui contribuent au dynamisme actuel de leurs milieux.

4- CHANGEMENT DE STATUT ET DYNAMISME DES ACTIVITÉS FÉMININES

La constitution de groupements féminins grâce à l’intervention des ONG à Kpélé, est un facteur d’auto- nomisation économique et sociale des femmes. Les

femmes diversifient leurs activités (valorisation et commercialisation des produits traditionnels) qui leur permettent d’augmenter collectivement la producti- vité et les revenus.

4.1- GROUPEMENTS DE FEMMES ET

VALORISATION DES PRODUITS DU TERROIR : DES ÉTUDES DE CAS

L’étude ici présentera quelques groupements de femmes rurales et analysera particulièrement leurs relations avec des ONG et leurs activités.

Parmi les groupements féminins de la région de Kpélé, il y a lieu de citer l’Association Avenir de l’Environnement (A.D.E) qui assure la gestion d’une unité de valorisation et de transformation des plan- tes locales médicinales. Cette expérience pilote au niveau local financée par l’ONG l’Association pour la Promotion de l’Agro-Foresterie (APAF) avec le soutien de l’UE ne cesse de susciter l’intérêt de tous. Le groupement dispose actuellement d’un champ botanique de 0,25 ha, mais exploite aussi des plantes sauvages. Cette coopérative qui est lo- calisée dans le canton rural de Kpélé-Bémé, cultive, collecte, transforme et commercialise des plantes médicinales. Elle a des débouchés à l’échelle locale et nationale, et même au niveau de la sous-région ouest africaine. Quatre femmes enquêtées commer- cialisent ces plantes au Niger et au Mali. La pauvreté grandissante en milieu rural et urbain conduit de plus en plus de malades à avoir recours aux herboristes.

Ainsi, l’exploitation et la mise en valeur des plantes médicinales sont devenue une source alternative de revenu des femmes en milieu rural, notamment au bénéfice des populations riveraines des zones péri- forestières. Des quantités de plantes médicinales sont annuellement prélevées dans la zone, mais il est difficile de quantifier avec exactitude dans cette étude, les prélèvements effectués, car il s’agit d’un circuit de production non contrôlé (Kadevi, 2001). Le revenu annuel des exploitants individuels de la zone varie entre 145 000 F et 160 000 F CFA.

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Photo n°1 : Vente de plantes médicinales au marché d’Abové (Lomé)

Source : Follygan HETCHELI, 2011

Au niveau du groupement étudié, une analyse des résultats serait prématurée, étant donné que le projet est toujours en cours d’exécution. Cependant, nous pouvons faire un aperçu de sa situation actuelle en tenant compte de l’importance du revenu qu’elle a pu réaliser. En 2008, la coopérative a dégagé un revenu de 1 458 678 F CFA. En 2009, ce revenu s’élève à 1 870 645 F CFA. Cependant, 67% des membres affirment qu’elles ne pourront pas vivre exclusivement de cette activité. 75% espèrent que la continuation du projet leur permettra d’augmenter

leur revenu et leur épargne. Un autre impact positif fondamental a été l’obtention d’un droit d’exploitation de la terre par les femmes. Le groupement a ainsi pu obtenir un terrain de 1,5 ha à Kpélé-Bémé. Le projet n’est cependant pas développé dans d’autres villages, or, la généralisation d’un tel projet sera également un moyen de reboisement et de protection de l’environnement dans les villages. Le financement constitue le problème fondamental pour généraliser un tel projet.

En dehors du groupement étudié, il se développe dans la zone des coopératives de femmes spéciali- sées dans la valorisation et la commercialisation des produits alimentaires du terroir. Ce sont des activités- refuges qui regroupent 47,02% des enquêtés. Il est à remarquer ces dernières années que la population urbaine togolaise s’intéresse de plus en plus à la consommation des produits traditionnels locaux : huiles de palme (Amidjin) et de palmiste (Némi), vin de palme (Déha), alcool (Sodabi), miel, gari, ta- pioca… En effet, dans les imaginaires collectifs des populations urbaines, d’ailleurs en majorité d’origines campagnardes, ces produits du terroir renvoient à des matières premières pures, des recettes « maison » dont l’origine constitue un facteur de confiance pour les consommateurs. Cette tendance du retour aux produits alimentaires de la campagne suscite donc de nouvelles dynamiques et perspectives qui incitent à la création des groupements grâce à l’aide d’ONG.

Nous avons identifié le groupement des femmes transformatrices d’igname et de manioc de Tutu- zonou et d’Adagali. Créés grâce à l’aide financière de l’ONG Association Femmes Solidaires au Togo (AFES-Togo), ces groupements regroupent actuelle- ment une trentaine de femmes qui font des recettes moyennes annuelles d’environ 1 200 000 FCFA.

Un autre groupement a particulièrement attiré notre attention dans le milieu. Il s’agit du groupement des femmes transformatrices des produits du palmier à huile d’Akata. Il regroupe 34 femmes productrices d’huile et 18 femmes productrices de savon local (savon de lessive akoto, de toilette kpévidi et des savons antiseptiques némidi ou si je savais) dont les matières premières principales sont l’huile de palme et l’huile de palmiste.

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Photo n°2 : Groupements de femmes transformatri- ces des produits du palmier à huile

Source : Follygan HETCHELI, 2003

L’ONG Association pour le Progrès Social et Economique (A.PRO.S.EC-Togo) appui ces femmes transformatrices des produits du palmier à huile à mieux maîtriser de leurs activités : transformation, négociation, production de qualité, tant pour les marchés de Kpalimé, Agou, Adéta et Lomé que pour les marchés des pays voisins notamment le Ghana et le Benin. Le marché local demeure encore le plus important débouché quantitatif, le plus accessible pour ces femmes. En 2010, ce groupement a dégagé un revenu de 2 343 000 FCFA. Selon les femmes, les profits sont encore minces, mais l’appartenance au groupement a un effet positif, car cela leur a

permis d’augmenter la productivité, d’améliorer la qualité des huiles produites avec comme consé- quence l’augmentation de la compétitivité sur les marchés. Les circuits de vente sont les étals sur les marchés traditionnels, les boutiques, les supérettes, les vendeurs ambulants et les détaillants.

Les cultures vivrières, qui jadis étaient essentiellement développées par les femmes pour l’autoconsommation, sont devenues les principales cultures génératrices de re- venus. Les femmes de cette région en sont, non seulement les productrices essentielles, mais aussi les bénéficiaires quant aux revenus. Leurs productions individuelles de maïs par exemple qui étaient inférieures à 150 kg/an avant 1990, varient actuellement entre 450 kg et 1,5 tonne.

Source : Follygan HETCHELI, travaux de terrain, 2010

Figure 5 : Evolution annuelle du revenu issu de la production vivrière des enquêtés

Les femmes des différents villages contribuent actuellement à approvisionner les marchés urbains proches et lointains en maïs, riz, haricot, arachide, bananes plantains, légumes, fruits etc. L’accès à la vulgarisation et au crédit ainsi que l’appartenance aux groupements économiques améliorent l’efficacité technique des productrices dans la zone d’étude. Les femmes sont aujourd’hui nombreuses dans le Sud- ouest à se consacrer aussi aux activités artisanales et de transformation soit comme activité principale, soit en tant qu’activité secondaire qui leur procure des revenus complémentaires. La productivité dans ces domaines est certes faible, et les revenus tirés ne cor- respondent pas bien souvent aux efforts fournis.

Grâce au revenu complémentaire issu du com- merce d’exploitation des produits agricoles, on assiste à un renversement de la place relative qu’oc-

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cupent les activités des femmes dans les budgets des familles. Les résultats de l’enquête montrent que le statut des activités féminines et masculines se modifie en raison d’un retournement dans la création de richesses. Les femmes ont considérablement augmenté leur poids économique dans les foyers, dans la communauté et participent effectivement aux besoins financiers des familles. De ce fait, le niveau et cadre de vie subissent des améliorations notoires dans le milieu. Les femmes prennent aujourd’hui en charge des dépenses qui sont socialement du ressort des hommes.

Source : Follygan HETCHELI, travaux de terrain, 2010

Figure 6 : Répartition des dépenses prises en charge dans le budget des femmes

La crise agraire a désormais permis aux femmes rurales d’élargir leurs espaces de travail. Elles ont acquis un rôle économique et social nouveau dans et hors de la sphère villageoise grâce à la transfor- mation des produits locaux. L’union de ces femmes Kpélé fait leur force. A l’opposé des vastes opérations étatiques de développement, trop souvent peu effi- caces, les ONG proposent un progrès « à petits pas

», dont les bénéficiaires sont fortement impliqués dans le processus.

L’accès au crédit est un facteur qui joue un rôle considérable dans l’amélioration des conditions éco- nomiques et sociales du paysan (Helfand et Levine).

Les ONG de microfinance facilitent les conditions d’octroi des crédits aux femmes, mais différentes barrières leur font encore obstacles.

5- DES IMPACTS ENCORE LIMITÉS DES MICROFINANCES DANS LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ

Il est actuellement reconnu et accepté par tous que les femmes rurales togolaises ont une réelle capacité de mise en œuvre des activités génératrices de revenus pour contribuer au développement de leurs milieux, voire du pays. Selon Cheikh Hadjibou Soumaré (2008), le développement de l’Afrique se fera avec les femmes ou ne se fera pas. Cependant, le principal facteur limitant leurs initiatives est le man- que d’accès au capital. Les différentes institutions et mécanismes de distribution de crédits agricoles mis en place par l’Etat dans les années 1980 ; la Caisse Nationale de Crédit Agricole (CNCA), la Société Togolaise de Coton (SOTOCO), n’ont pas donné les résultats escomptés. Ces institutions refusaient bien souvent de financer les petits producteurs ru- raux qui ne peuvent pas offrir les garanties exigées pour l’octroi des crédits. Cette situation qui a eu pour conséquence la marginalisation d’une grande frange de populations, s’est aggravée avec la crise socio- politique et économique que traverse le pays depuis 1990. Le vide financier laissé par les banques clas- siques permet l’éclosion des ONG et des institutions de crédit/épargne (FUCEC, IDH, WAGES, IMPACT) et les coopératives agricoles (SOCODEVI/ADZEDZI) dans la région étudiée.

Les résultats de nos enquêtes montrent cependant que les femmes prises individuellement ne sont que 15% à participer à ces différents circuits de finance- ments. Seulement 0,25% ont accès au crédit formel et 6 % disposent d’une possibilité d’épargner. Si de façon générale, la problématique femme microcrédit semble être bien perçue au Togo, le cas spécifique de la femme rurale mérite une attention particulière.

En effet, bien que les femmes du milieu possèdent de réelles capacités de mise en œuvre des activités génératrices de revenus, on a l’impression que cette couche rurale n’est pas encore sérieusement prise en compte. Au-delà du manque d’information et de sensibilisation sur les avantages du microcrédit, on se rend compte qu’il existe des problèmes structurels dans le fonctionnement même des microfinances qui font barrière à l’adhésion de celles-ci.

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Tableau II : Répartition de crédits par sexe et par activité de la Fédération des Unions Coopératives d’Epar- gne et de Crédit (FUCEC) en 2010 dans la région

Activités Femmes Hommes

Nombre Montant Nombre Montant

Agriculture 278 27 346660 425 87 187500

Commerce 132 41 461900 125 91 000000

Total 410 68 808560 550 178 187500

Source : FUCEC, 2010

CONCLUSION

Dans le milieu rural africain en général, le statut social de la femme constitue un frein pour le déve- loppement durable. La femme ne peut exercer des responsabilités qui ne relèvent pas de son rôle de femme. Cependant, dans la situation de crise socio- politique et économique que traverse actuellement le Togo, des mutations apparaissent dans le statut et le rôle de la femme rurale du Sud-ouest. Devant les multiples responsabilités auxquelles elle doit faire face, elle diversifie ses stratégies. Elle devient chef de ménage et responsable de production agricole quand l’époux émigre. Elle est propriétaire de plan- tation arbustive par achat et diversifie ses sources de revenu. Grâce à l’action des ONG, acteurs émer- geants dans le milieu rural, les femmes s’organisent en coopératives pour acquérir des terres agricoles, valoriser les produits du terroir etc. Cependant, malgré leur place éminente dans ces périodes de crise, l’accès au crédit demeure au cœur de leurs difficultés ; un facteur important qu’il faut prendre en compte dans les processus de développement à la base. Le développement durable de nos milieux ne pourra avoir lieu que lorsque les femmes seront considérées comme des actrices de développement à part entière. Pour faire des groupements de vé- ritables structures de développement, les femmes ont besoin d’accompagnement et de formation afin que leurs actions soient plus efficaces sur le terrain.

Elles ne sont pas non plus nombreuses actuellement à adhérer aux groupements. Dans ce domaine, les actions des ONG sont capitales pour les motiver.

Cependant, l’un des problèmes fondamentaux qui entraînent l’échec des ONG est leur dépendance financière vis-à-vis des bailleurs de fonds étrangers.

Les financements qui mettent bien souvent beau- coup de temps avant d’être débloqués ralentissent énormément l’exécution des projets. Les ONG et L’agriculture qui est la principale activité de la

région étudiée ne représente que 46,37% des fi- nancements de la FUCEC, tandis que le commerce qui est l’activité secondaire a obtenu 53,63% des financements. Le crédit accordé aux femmes ne représente que 27,86 % alors que celui accordé aux hommes représente 72,14%. Tout comme les institutions financières classiques, on remarque que les institutions de microcrédit de la région évitent de financer les femmes rurales qui sont souvent consi- dérées comme insolvables de part le degré d’exploi- tation de leurs terres (agriculture de subsistance, faible productivité). Bien que la FUCEC ait débuté ses opérations en milieu rural, seulement 5% des fem- mes enquêtées ont bénéficié de ses crédits en 2009, 4% pour l’IDH, 1% pour WAGES et IMPACT, 5%

pour SOCODEVI/ADZEZI. L’exigence de garanties comme les titres de propriétés foncières, ainsi que le problème d’analphabétisme et de connaissances en gestion font que plus de 62% des femmes ne tentent pas l’accès à ces services financiers et continuent à agir avec leurs faibles moyens. On peut remarquer actuellement que l’activité des microfinances tend vers une marginalisation des ruraux et surtout des femmes rurales aux profits des acteurs urbains, et surtout à l’abandon du financement de l’agriculture au profit du commerce.

La situation socio-économique des femmes rurales de la région de Kpélé est encore loin d’être intéressante malgré quelques évolutions constatées pendant ces périodes de crise. Les politiques agrico- les sont actuellement insuffisantes pour dynamiser leur ardeur. Pour accroître leur contribution au dé- veloppement, une politique encourageante au profit de la femme rurale doit être menée par différents acteurs dans le cadre d’un programme de proximité de développement rural intégré.

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les projets mis en place disparaissent bien souvent lorsque les financements ne sont pas accordés ou sont arrivés à terme. La mise en place par l’Etat d’un fonds d’accompagnement des ONG en difficulté devient une nécessité.

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