• Aucun résultat trouvé

La démocratie comme principe directeur du droit des sociétés anonymes : mythes et réalités

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "La démocratie comme principe directeur du droit des sociétés anonymes : mythes et réalités"

Copied!
44
0
0

Texte intégral

(1)

Proceedings Chapter

Reference

La démocratie comme principe directeur du droit des sociétés anonymes : mythes et réalités

BAHAR, Rashid

BAHAR, Rashid. La démocratie comme principe directeur du droit des sociétés anonymes : mythes et réalités. In: Tschannen, Pierre. La démocratie comme idée directrice de l'ordre juridique suisse . Genève : Schulthess, 2005. p. 81-123

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:30538

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

(2)

LA DEMOCRATIE COMME PRINCIPE DIRECTEUR DU DROIT DES SOCIETES ANONYMES: MYTHES ET REALITES

par

RASHID BAHAR

Docteur en droit, Avocat à Zurich, Maître Assistant à l'Université de Genève*

1. Introduction

II. Fonctionnement démocratique de la société anonyme

1. Éléments constitutifs de la démocratie au sein de la société anonyme 2. Moyens de protection de la démocratie

III. Limites du paradigme démocratique au sein de la société anonyme

1. Limites économiques à la démocratie au sein de la société anonyme 2. Limites juridiques à la démocratie

IV. Quelques propositions de lege ferenda 1. Généralités

2. Ancrage du principe «one share, one vote»

3. Renforcement des droits d'initiative des actionnaires

Conclusion Bibliographie

1. Introduction

81

82 82 87

97 97 101 112 112 113 115

119 119

La démocratie est omniprésente dans le droit des sociétés anonymes. Des images propres aux démocraties politiques parsèment ce droit: par exemple, le slogan

«one share, one vote», miroir du «one man, one vote», et les appels à la sharehol- der democracyl. Cette proximité est-elle purement rhétorique ou existe-t-il une

Je remercie vivement Frédéric Helbling, avocat à Genève, Céline Peiretti, D.E.A, et Rita Trigo Trindadc, professeure à l'Université de Genève, pour leurs conseils et leur suggestions.

FORSTMOSER (2002), p. 24; FORSTMOSER (1997), p. 126; NOBEL (2003), p. 338. Récem- ment, en Suisse, une motion intitulée «Sociétés anonymes. Pour une plus grande démocra·

tie» a été déposée devant le Conseil national en vue de renforcer la position des actionnaires par rapport au conseil d'administration (Motion 01.3634) Cette motion a toutefois été rejetée

(3)

parenté entre la société anonyme et la démocratie politique? Le droit suisse des sociétés anonymes est-il fondé sur la démocratie, cette idée directrice de l'ordre juridique helvétique? Le but de cette contribution est d'identifier les caractéristi- ques démocratiques de la société anonyme et de les confronter à la réalité du droit des sociétés. Notre plan s'articulera en trois parties: dans un premier temps, nous examinerons le fondement et le fonctionnement de la démocratie au sein de la société anonyme. Puis, nous nous pencherons sur ses limites juridiques et écono- miques. Enfin, nous évoquerons en guise de conclusion quelques propositions de lege ferenda renforçant la démocratie au sein des sociétés anonymes. En revanche, nos réflexions ne porteront pas sur les problématiques distinctes de l'entreprise citoyenne et du rôle des sociétés anonymes dans le fonctionnement de la démo- cratie politique.

II. Fonctionnement démocratique de la société anonyme

1.

Éléments constitutifs de la démocratie au sein de la société anonyme

a) Droit de vote des actionnaires au lieu de droits de créance

Le droit de vote des citoyens caractérise la démocratie politique. Ce droit leur permet de déterminer la volonté politique. Il consacre la souveraineté du peuple et l'égalité des êtres humains devant la loi. Par contraste, la démocratie au sein de la société anonyme ne repose pas sur des fondements idéologiques. Elle joue un rôle instrumental.

Les liens entre les actionnaires et la société anonyme sont essentiellement finan- ciers2: les actionnaires fournissent des ressources financières contre l'expectative d'une rémunération sous la forme de dividendes, de gains en capital ou, excep- tionnellement, de parts d'excédent de liquidation3. Ils ne s'engagent qu'à fournir leurs apports et, quand bien même ils voudraient s'obliger plus, la loi le leur inter- dirait4. Ils ne sont pas tenus de gérer la société5 ni même de lui être fidèle6.

par Je Conseil national Je 20 mars 2002. Voir aussi B6CKLI/HUGUENIN/DESSEMONTET (2004) et VON DER CRONE (2003).

FüRSTMOSER/MEIER-HAYOZ/NOBEL (1996), § 2, no 19.

Nous visons ici exclusivement les sociétés à but lucratif.

Art. 680 al. 1 CO.

(4)

D'un point de vue économique, les actionnaires fournissent la part du ilnari,cetrtêiit• .. •.·•·

supportant en dernier lieu le risque qui n'a pas été attribué aux autres parties nantes. Ce rôle de residual claimant rend vaine toute tentative de spécifier en termes de droits les montants précis auxquels les acti01maires peuvent prétendre7:

les dividendes ne peuvent être versés que si la société dispose de fonds propres librement disponibles, c'est-à-dire de suffisamment d'actifs pour couvrir les fonds de tiers, le capital-actions et les réserves indisponibles8. De même, le capital- actions ne peut être remboursé qu'après avoir payé ou garanti toutes les créances9. Inversement, seuls les actionnaires peuvent espérer se partager le bénéfice annuel et l'excédent de liquidation10.

Cette absence de droit de créance expose les actionnaires à l'opportunisme des dirigeants sociaux. C'est pourquoi le droit des sociétés confère aux premiers un droit de participer à la formation de la volonté sociale11• Le droit de vote remplace les droits de créance12: chaque actionnaire a un droit de vote13 afin de protéger ses propres expectatives financières14Compte tenu de ce rôle protecteur, chacun peut en principe exercer son droit de vote même en présence de conflits d'intérêts1516

Contrairement, au membre d'une association17 qui en partage l'idéal, il poursuit un but lucratif qu'il réalise par la société mais dans son propre intérêt18•

Le droit de vote est, en principe, proportionnel à la valeur nominale des actions, car le besoin de protection d'un actionnaire est proportionnel à sa participation19 Le pouvoir de chaque actionnaire est donc proportionnel à sa participation au capital exposé au risque, sous réserve des seules exceptions prévues par la loi

D'ailleurs, à moins d'être administrateur, la loi le leur interdit (voir art. 716a al. 1 CO).

Voir l'arrêt du Tribunal fédéral du 6 juillet 1965, Wyss-Fux AG c. Fux, ATF 91 II 298 (IT 1966 I 264, consid. 6.a, p. 271); arrêt du Tribunal fédéral du 22 mai 1979, Tagal AG c.

Schmidt, ATF 105 II 114 (JT 1980 I 80, consid. 7.b, p. 95).

EASTERBROOK!FISCHEL (1991), p. 67-70.

Art. 675 al. l et 2 CO.

9 Art. 745 al. 1 CO.

10 Art. 660 al. 1 CO.

11 VON DER CRONE (1997), p. 77. Ce principe sous-tend également l'art. 1 Code suisse de bonne pratique pour le gouvernement des entreprises.

lZ EASTERBROOK/FISCHEL () 991 ), p. 66-70; RUFFNER (2000), p. 173.

13 Art. 692 al. 2 CO.

14 DESSEMONTET (1993), p. 25; FISCHER (1998), p. 231; VON DER CRONE (1997), p. 77.

15 BùCKLI (2004), § 12 no 148 et § 12 nos 454 ss; FORSTMOSERIMEIER-HAYOzlNOBEL {1996), § 24, no 76; KUNZ (2001), § 6, no 88 et § 12 no 124; LÂNZINGLER (2002), ad art.

692 CO, no6.

16 JI existe des exceptions à cette règle: les personnes chargées de la gestion, lorsqu'elles sont actionnaires ne peuvent pas voter leur propre décharge (art. 695 CO).

17 Art. 68 CC.

18 La loi veille à prévenir les effets néfastes des conflits d'intérêts par d'autres moyens. En particulier, elle prescrit que les décisions de l'assemblée générale doivent être dans l'intérêt social et respecter les autres principes du droit de la société anonyme faute de quoi elles se- raient annulables (art. 706 CO). FORSTMOSERIMEIER-HAYOZ /NOBEL (1996), § 24, no 77.

19 Art. 692 al. 1 CO.

(5)

(actions privilégiées, clauses de limitation de droit de vote et, s'agissant des so- ciétés totées, clauses d'agrément), sur lesquelles nous reviendrons ultérieure- ment20,21.

En synthèse, la démocratie au sein de la société anonyme n'est pas fondée sur une volonté de transposer l'idéal de démocratie politique dans le fonctionnement de l'économie. Elle joue un rôle instrumental: elle sert à protéger l'investissement des actionnaires. Cette fonction justifie également le caractère censitaire de cette forme de démocratie.

b) Objet des droits démocratiques: les compétences de l'assemblée générale

Le droit de vote des actionnaires s'exerce à l'assemblée générale22Ce forum où tous les actionnaires d'une société anonyme peuvent se réunir est le pouvoir su- prême de la société anonyme23En effet, non sans analogie avec le peuple souve- rain qui élit ses représentants et ses gouvernants et qui peut modifier la constitu- tion par des initiatives populaires, les actionnaires sont appelés, lors de l'assemblée générale, à nommer (et révoquer) les membres du conseil d'administration et le réviseur2\ à modifier les statuts et à se prononcer sur les décisions fondamentales de la vie sociale25. En d'autres termes, l'assemblée géné- rale est à la fois le corps électoral et le pouvoir législatif de la société anonyme26 Elle est également l'organe à qui l'exécutif doit des comptes: l'assemblée générale est chargée d'approuver le rapport annueF7 et de donner décharge aux administra- teurs28. Par ailleurs, en droit suisse, il appartient à l'assemblée générale de se dé- terminer sur l'emploi du bénéfice et donc de décider de l'opportunité de distribuer un dividende29• L'assemblée générale n'est toutefois pas omnipotente, elle doit respecter les compétences intransmissibles et inaliénables du conseil d'administration dans lesquelles elle ne saurait s'immiscer3°. Cette limite doit néanmoins être relativisée, parce que l'assemblée générale peut indirectement par le biais de sa compétence électorale influencer les décisions du conseil d'administration.

20 Voir infra p. 1 02 ss.

21 Arrêt du Tribunal fédéral du 14 juillet 1941, Lowenbrau Zurich A. G. c. Direktion der Justiz Kanton Zurich; ATF 67 I 248, consid. 2, p. 250. BüRGI (1959), ad art. 692 CO, no 2;

LANZTNGLER (2002), ad art 692 CO no Il.

22 Art. 689 al. 1 CO.

23 Art. 698 al. 1 CO.

24 Art. 698 al. 1 ch. 2 CO.

zs Art. 698 al. 1 ch. 1 CO.

26 TRIGO TRINDADEIBAHAR (2002), p. 391.

27 Art. 698 al. 1 ch. 3 CO.

28 Art. 698 al. 1 ch. 5 CO.

29 Art. 698 al. 1 ch. 4 CO.

30 Art. 716aal. 1 CO.

(6)

c) Fonctionnement démocratique: principe majoritaire

A l'instar de la démocratie politique, la société anonyme est soumise à la dictature de la majorité. Ce trait distingue les sociétés anonymes des sociétés de personnes fondées sur le principe contractuel de l'unanimité. Le principe majoritaire consti- tue même selon la doctrine31 et lajurisprudence32 un élément essentiel de la société anonyme33 Les statuts ne sauraient ainsi prévoir un droit de veto en faveur d'actionnaires déterminés34.

La majorité requise à l'assemblée générale fluctue selon la nature de la décision à prendre: en général, les décisions se prennent à la majorité absolue des voix attri- buées aux actions présentes ou représentées35, mais pour certaines décisions im- portantes, la loi exige la double majorité des deux tiers des voix attribuées aux actions représentées et la majorité absolue des valeurs nominales représentées36.

Cette majorité qualifiée protège les actionnaires minoritaires: le code requiert plus que l'assentiment d'une majorité absolue des actionnaires, parce que la décision a un potentiel dommageable accru pour ceux-ci37

31 KUNZ (2001), § 6, no 123.

32 Arrêt du Tribunal fédéral du 3 avril 1973, Ringier & Co. AG c. Weltwoche-Verlag Karl von Schumacher & Co. AG, ATF 99 II 55 (JT 1973 I 618, consid. 4.b, p. 62); arrêt du Tribunal fédéral du 9 juillet 1974, Dürst-Wismer c. Liegenschaflen und Beteiligungen AG, ATF 100 II 384, JT 1975 1 334, SAS 48 (1976), p. 163, consid. 3.b, p. 392-393; arrêt du Tribunal fédéral du 18 février 1969, Société coopérative pour la protection des actionnaires privés du BLS c.

Société du chemin de fer des Alpes bernoises Berne-Lotschberg-Simplon; ATF 95 li 157, JT 1970 1 334, arrêt du Tribunal fédéral du 22 septembre 1976, Ringier & Co. S.A. c. Jean Frey S.A. et Ojfset & Buchdrnck S.A., ATF 102 Il 265 (JT 1977 I 1 02), consid. 4, p. 269-270).

33 BôCKLl (2004), § 12, no 427. Ce point de vue sc fonde sur un obiter dictum de l'arrêt du Tribunal fédéral du 25 juin 1991, Association CANES c. Nestlé S.A., ATF 117 II 290 (SJ 1991 339; JT 1991 I 350, consid. 7.a.aa, p. 313). Voir également BÜRGI (1959), ad art. 703 CO,no26.

34 LÂNZINGLER (2002), ad art. 702 CO, no 9. En revanche, des droits de veto basés sur des majorités qualifiées sont admissibles. BôCKLJ (2004), § 12, no 427.

Selon BOCKLI, le principe majoritaire serait toutefois si fondamental que les décisions de l'assemblée générale ne sauraient être soumises à l'unanimité. Une disposition prévoyant une telle règle serait contraire à la structure de base de la société anonyme et par conséquent nulle et non avenue. BOCKLI (2004), § 12, no 427. Ce point de vue se fonde sur un obiter dictum de l'arrêt du Tribunal fédéral du 25 juin 1991, Association CANES c. Nestlé S.A., ATF 117 li 290 (SJ 1991 339; JT 1991 I 350, consid. 7.a.aa, p. 313). Voir également BÜRGJ (1959), ad art. 703 CO, no 26. Nous ne saurions suivre ce point de vue. Voir dans notre sens, DUBS/TRUFFER (2002), ad art. 704 CO no 13; FORSTMOSERIMEIER-HAYOz!NOBEL (1996) § 24, nos et 48; KUNZ (2001), § 1, no 106; ZACHISCHLEIFFER (1992), p. 265. D'ailleurs la loi elle-même prévoit des décisions sociales qui doivent être prises à l'unanimité: la renoncia- tion au but lucratif (art. 706 al. 2 ch. 4 CO) et la renonciation à la présence des réviseurs à l'assemblée générale approuvant les comptes annuels ou décidant de l'emploi du bénéfice (art. 729c al. 3 CO).

35 Art. 703 CO.

36 Art. 704 al. 1 CO.

37 Voir le titre marginal de l'art. 704 CO.

(7)

Pour la même raison, cette maj01ité qualifiée est de droit semi-impératif: les sta- tuts peuvent la soumettre à des exigences accrues, mais ils ne peuvent faciliter la prise de telles décisions en abaissant la majorité requise38Au contraire, la majo- rité ordinaire est de droit dispositif. Les actionnaires peuvent en modifiant les statuts l'abaisser (par exemple en se contentant de la majorité simple) ou l'augmenter39.1ls peuvent également l'assortir à un quorum de présence40

Le recours à des majorités qualifiées peut aussi nuire aux actionnaires et les empê- cher d'influencer le fonctionnement de la société. Ces majorités qualifiées, dites clauses de pétrification, scellent d'autres clauses statutaires. Elles soumettent l'abrogation de certaines clauses à une majorité qualifiée qu'il sera en pratique virtuellement impossible d'atteindre41 • Elles servent aussi à réduire la compétence de révoquer en tout temps les membres du conseil d'administration à un tigre de papier, une compétence nominale sans portée pratique42Le code des obligations cherche à restreindre l'utilisation de majorités qualifiées abusives: pour s'assurer que l'assemblée générale exerce effectivement sa fonction d'organe suprême de la société43, l'adoption de dispositions statutaires ayant pour effet de rendre la prise de décision plus difficile est soumise à la majorité qu'elle envisage de prévoii44. En synthèse, la société anonyme est fondée sur le principe de démocratie selon lequel les actionnaires doivent contrôler la société: les actionnaires sont dotés de droits de vote leur permettant de former la volonté sociale. Leurs compétences sont les compétences typiques d'un corps électoral et d'un organe législatif. Enfin, la dictature de la majorité est caractéristique de la démocratie des sociétés anony- mes et distingue ainsi celles-ci des organisations plus contractuelles et donc plus consensuelles.

38 BôcKLI (2004), § 12, no 362; BÜRGI (1959), ad art. 703 CO, no 14; DUBS!fRUFFER (2002), ad art. 704 CO, no 3a; FORSTMOSERIMELER-HAYOz/NOBEL (1996), § 24, no 46; KUNZ (2001), § 12, no 89; TANNER (1987), p. 184; Truoo TruNDADE/BAHAR (2002), p. 391.

39 L'art. 703 CO prévoit expressément «si la loi ou les statuts n'en disposent pas autrement».

BôCKLI (2004), nos 409 ss; DUBS(fRUFFER (2002), ad art. 704 CO, no 14; TANNER (1987), p. 184; TRlGO TRJNDADE/BAHAR (2002), p. 391.

40 DUBSffRUFFER (2002), ad art. 704 CO, no 14.

41 BôCKLI (2004), § 12, nos 397-398.

42 BôCKLI (2004), § 12, no 398; BÜRGI (1 959), ad art. 703 CO, no 27; DUBS!fRUFFER (2002), ad art. 704 CO, no 15; FORSTMOSERIMEIER-HAYOziNOBEL (1996), § 24, no 52; KUNZ (2001), § 12, no 90; TRTGO TRINDADEIBAHAR (2002), p. 391. Voir, également, arrêt du Tri- bunal fédéral du 25 juin 1991, Association CANES c. Nestlé S.A., ATF 117 II 290 (SJ 1991 339, JT 1991 I 350, consid. 7, p. 313--314).

43 Voir dans ce sens FORSTMOSER/M'EIER-HAYOz!NOBEL (1996), § 24, no 49.

44 Art. 704 al. 2 CO. DUBS!fRUFFER (2002), ad art. 704 CO, no 9; KUNZ (2001), §12, no 90.

Voir cependant BôCKLI (2004), § 12, no 395 qui estime que cette disposition s'applique uni- quement aux majorités et non aux quorums de présence.

(8)

2. Moyens de protection de la démocratie

Pour conserver son fonctionnement démocratique, la société anonyme recourt à deux techniques de protection: les droits des actionnaires en relation avec l'assemblée générale et l'obligation du conseil d'administration de garantir le bon fonctionnement démocratique de cette assemblée.

a) Règles de procédure et droits des actionnaires en relation avec l'assemblée générale

aa) Participation et convocation l'assemblée générale

L'assemblée générale est dans l'esprit du législateur un forum où s'exercent les droits sociaux des actionnaires et en particulier le droit de vote45. Cette idée d'une Landsgemeinde où tous les actionnaires peuvent s'assembler pour exercer leurs droits est à ce point central au droit suisse des sociétés anonymes que les action- naires ne peuvent pas prendre de décision par voie de circulation, par conespon- dance46 ou par l'intermédiaire d'une assemblée des délégués47. Toutefois, récem- ment, la tenue d'une assemblée générale à deux endroits reliés par une retransmission simultanée a été admise afin de permettre aux actionnaires suisses et suédois d' ABB de prendre part personnellement aux délibérations sociales48. Le droit de participer à l'assemblée générale joue par conséquent un rôle central dans la protection de la démocratie au sein de la société anonyme. Ce droit permet à tout actionnaire de participer à l'assemblée générale pour autant qu'il puisse légitimer sa qualité49• C'est sans doute pourquoi le droit suisse de la société ano-

45 Art. 689 al. 1 CO. Voir HOFSTETTER (2002), p. 13.

46 Arrêt du Tribunal fédéral du 17 décembre 1941, Grossenbacher & Cie Aktiengesellschafl et Gerber c. Office fédéral du registre du commerce, ATF 67 I 342, consid. 3, p. 346.

BCCKLI (2004), § 12 nos 52 et 147; BÜRGI (1959), ad art. 689 CO, no 6; DUBSITRUFFER (2002), ad art. 701 CO, no 5; FORSTMOSERIMEIER-HAYOZINOBEL (1996), § 23, no 12, LAMBERT (2000), p. 38, SCHAAD (2002), ad art. 689 CO, no 18. Voir cependant RUEDIN (1987).

47 BÜRGI (1959), ad art. 689 CO, no 6; DUBS/TRUFFER (2002), ad art. 701 CO, no 5;

FORSTMOSER/MEIER-HAYOZINOBEL (1996), § 23, no 13; LAMBERT (2000), p. 38; SCHAAD (2002), ad art. 689 CO, no 18.

48 Voir LAMBERT (2000). Les assemblées générales par visioconférence ou par Internet ne sont pas pour autant admissibles.

Comp. en droit français, Art. L. 225-107 C.com et Art. 145-2 du Décret n. 67 236 du 23 mars 1967 sur les sociétés commerciales tel qu'amendé par le décret n. 2002 803 du 3 mai 2002 permettant les assemblées générales tenues par visioconférence ou par d'autres moyens de télécommunication permettant l'identification des actionnaires et leur participation effec- tive à l'assemblée et garantissant la retransmission continue de l'assemblée.

49 BCCKLI (2004), § 12, nos 124 ss; BÜRGI (1959), ad art. 689 CO, no 9; FORSTMOSERIMElER·

HAYOZINOBEL (1996), § 23, no 86; SCHAAD (2002), ad art. 689 CO, no 10. Ce droit ne

(9)

nyme est favorable à la représentation d'actions par des tiers et permet aux action- naires de participer indirectement par le biais de représentants50; les dispositions statutaires restreignru1t le droit de représenter des actionnaires à d'autres actionnai- res sont les seules restrictions admissibles de ce droit51

Afin de garantir le principe démocratique de gouvernement par les actionnaires, le droit des sociétés protège, dans une certaine mesure, les actionnaires contre les abus potentiels d'administrateurs ou de membres d'autres organes subordonnés et de dépositaires professionnels. Il contraint les premiers à offrir aux actionnaires la possibilité de charger une personne indépendante de les représenter52 et oblige les seconds à demander des instructions de vote aux déposants avant chaque vote et, à défaut d'instruction de ces derniers, de suivre la proposition du conseil d'admi- nistration s'ils entendent exercer les droits de vote des actions déposées chez eux53.

Selon la jurisprudence et la doctrine majoritaire, ces règles sur la représentation n'ont qu'une portée limitée à la relation entre l'actionnaire représenté et son repré- sentant. Leur violation par ce dernier ne vicie pas la formation de la volonté de l'assemblée générale54A notre avis, cette façon de voir méconnaît que les règles prévues par le droit des sociétés visent tant à protéger l'actionnaire représenté que le bon fonctionnement de la société. Les violations de ces règles devraient par conséquent avoir des effets sociaux et entraîner l'annulabilité de la décision so- ciale55.

s'étend qu'aux actionnaires qui peuvent légitimer de leur possession immédiate ou médiate d'action au porteur (art. 689a al. 2 CO) ou qui peuvent se légitimer en tant qu'actionnaires inscrits au registre des actionnaires comme actionnaires avec droit de vote (art. 689a al. 1 CO). Les participants et les actionnaires, auxquels le droit de vote a été refusé ou qui n'ont pas demandé leur inscription au registre des actionnaires, n'ont pas le droit de participer à l'assemblée générale.

50 Art. 689d al. 2 CO. Voir BORG! (1959), ad art. 689 CO, no 21; FORSTMOSERlMEIER- HAYOZiNOBEL (1996), § 24, no 120; KÜNZLE (2003), p. 417; SCHAAD (2002), ad art. 689 CO, nos 24ss. Comp. avec le droit français qui restreint cette qualité aux actionnaires ou à leur conjoint (art. L 225-106 C.com).

51 Art. 689d al. 2 CO. Voir BôCKLI (2004), § 12, no 139; FORSTMOSERIMEIER-HAYOZiNOBEL,

§ 24, no 120; KÜNZLE (2003), p. 417; SCHAAD, ad art. 689 CO, no 29. Aucune autre restric- tion au droit de représentation n'est admissible. FORSTMOSER/MEIER-HAYOZ/NOBEL (1996),

§ 24, no 121 qui estiment que les restrictions personnelles ne s'appliquent qu'aux personnes représentées; SCHAAD (2002), ad art. 689 CO, no 29. Contra BôCKLI (2004), § 12, nos 139- 140; BüRGI (1959), ad art. 689 CO, no 21.

52 Art. 689c CO.

53 Art. 689d al. 1 et 2 CO.

54 Arrêt du Tribunal fédéral du 7 février 2002, A. c.B. SA, ATF 128 III 142 (SJ 2002 I 373, consid. 3.b, p. 376). BCCKLI (2004), § 12, nos 256 et 257; FORSTMOSERIMEIER-HAYOzl NOBEL (1996), § 24, no 129; LEU/VON DER CRONE (2002). Contra SCHAAD (2002), ad art.

689 CO, nos 17 et 24 sous réserve du cas où le représentant ne suit pas des instructions du représenté qui ne sont pas connues de la société ou lorsqu'ils ne recherchent pas ses intérêts.

55 Dans ce sens, SCHAAD (2002), ad art. 689 CO, no 17.

(10)

Le droit de participer à l'assemblée générale est rendu effectif par les droits for- mels relatifs à la convocation de l'assemblée. Ces droits permettent aux actionnai- res de savoir à l'avance quand se déroulera une assemblée générale, quels seront les objets qui seront débattus et quelles sont les propositions présentées56. Plus précisément, la convocation doit être communiquée 20 jours avant la date de la réunion selon le mode établi par les statuts (la loi ne prescrivant pas de mode im- pératif)57. Elle doit comprendre l'ordre du jour de l'assemblée générale58 et men- tionner les propositions de décisions du conseil d'administration ou du groupe d'actionnaires qui a requis la convocation de l'assem~lée générale ou l'inscription d'objets à l'ordre du jour59Grâce à ces droits, les actionnaires peuvent réfléchir aux objets à 1 'ordre du jour et se faire une opinion avant 1' assemblée générale afin de voter en connaissance de cause60• C'est pourquoi l'assemblée générale doit être convoquée en bonne et due forme pour être valablement constituée. La possibilité de renoncer à ces formalités lorsque les actionnaires forment une assemblée uni- verselle où tous les actionnaires sont présents61 confirme d'ailleurs que ces pres- criptions de forme ne visent pas une fm en soi mais servent à garantir un exercice libre et éclairé du droit de vote.

bb) Droit de faire convoquer une assemblée générale et d'inscrire un point à l'ordre du jour

En principe, le conseil d'administration est compétent pour convoquer l'assemblée générale et déterminer l'ordre du jour62Cependant, non sans analogie avec le droit d'initiative des citoyens, tout actionnaire ou groupe d'actionnaires représen-

56 En pnnc1pe, en droit suisse, les actionnaires ne peuvent prétendre à recevoir plus

d'infonnations en vue de préparer les assemblées générales. La principale exception à cette

règle concerne Je rapport de gestion (les comptes annuels ct rapport annuel) et le rapport de révision qui doivent être mis à disposition des actionnaires 20 jours avant l'assemblée géné- rale ordinaire (art 696 al. 1 CO). La loi sur la fusion prévoit des règles comparables per- mettant aux actionnaires de prendre connaissance 30 jours avant l'assemblée générale devant approuver la fusion ou la scission du contrat de fusion, du rapport de fusion du conseil d'administration et du rapport de révision et en matière de scission du contrat ou du projet de scission selon les cas, du rapport de scission et du rapport de révision (art. 16 al. 1 LFus et art. 41 al. 1 LFus. Voir Message concernant une loi fédérale sur la fusion, la scission et la transformation et le transfert de patrimoine du 13 juin 2000).

57 Art. 700 al. 1 CO.

ss Art. 700 al. 3 CO.

59 Art 700 al. 2 CO.

60 Sur le vote éclairé des actionnaires, voir BOcKLI (2004), § 12, nos 92-95; BûRGl (1959), ad art. 699 CO, no 19; DUBS(fRUFFER (2002), ad art. 699 CO, no 22; FORSTMOSERIMEIER- HAYOZ/NOBEL (1996), § 24, no 42 et 59. Dans ce sens également, voir l'art. 3 Code suisse de bonne pratique pour le gouvernement des entreprises.

61 Art. 701 al. l CO.

62 Art. 699 al. 1 CO in fme et art. 716 Co al. 1 ch. 5 CO. Les réviseurs, les liquidateurs et les représentants de la communauté des créanciers obligataires peuvent dans certaines hypothè- ses également convoquer directement une assemblée générale, mais ce sont des cas patholo- giques (art. 699 al. 1 CO in fine).

(11)

tant ensemble 10 % au moins du capital-actions peut exiger au conseil d'administration, le cas échéant moyennant une action judiciaire, de convoquer une assemblée générale avec les points et propositions qu'ils souhaitent porter à 1' ordre du j our63.

Les propositions des actionnaires ne doivent pas nécessairement être «fonnulées»

pour reprendre le terme du droit constitutionnel. Elles peuvent se contenter d'énoncer le principe sur lequel les actionnaires entendent faire débattre l'assemblée générale et l'ébauche d'une proposition de décision. Dans ce cas, le conseil d'administration doit concrétiser la proposition des actionnaires. La rece- vabilité de la proposition suppose dès lors que celle-ci soit suffisamment claire pour se comprendre sans causer de malentendu entre l'actionnaire requérant et le conseil d' administration64

Le seuil des 10 % du capital-actions nécessaire pour convoquer une assemblée générale se calcule en prenant en compte l'ensemble des actions émises sans égard aux bons de participations ou à la possibilité d'exercice des droits sociaux affé- rents à certaines actions65Si ce seuil est aisément franchi dans les petites sociétés fermées, la capitalisation et la dispersion de l'actionnariat dans les grandes socié- tés cotées rendent difficile l'exercice de ce droit par des actionnaires (qui ne con- trôlent pas déjà le conseil d'administration)66• C'est pourquoi la révision de 1991 a permis aux actionnaires détenant collectivement des actions totalisant une valeur nominale de 1 million de francs de requérir l'inscription d'un objet à l'ordre du jour67

L'instauration de ce seuil a certes facilité l'exercice de ce droit d'initiative, mais il faut souligner son caractère quelque peu arbitraire: la valeur nominale d'une ac- tion n'est par définition pas liée à sa valeur réelle ni donc à l'importance finan- cière de l'investissement d'un investisseur donné. Souvent, le rapport entre la valeur réelle et la valeur nominale est élevé. Dès lors, les actionnaires doivent

63 Art. 699 al. 4 CO. Le juge se contentera dans un premier temps de sommer le conseil d'administration de s'exécuter. Ce n'est que dans un second temps que le juge pourra procé- der à une exécution forcée par substitution et convoquer directement l'assemblée générale.

VoirDUBS/TRUFFER(2002), ad art. 699 CO, no 18.

64 BERTSCHlNGER (2001), p. 902; B6CKLI (2004), § 12, no 65; DUES/TRUFFER (2002), ad art.

699 CO, no 27.

65 BERTSCHINGER (2001), p. 902; DUES/TRUFFER (2002), ad art. 699 CO, no 12.

66 Message concernant la révision du droit des sociétés anonymes du 23 février 1983, p. 102.

67 Message concernant la révision du droit des sociétés anonymes du 23 février 1983, p. 184 prévoyait même la possibilité que de tels actionnaires puissent demander la convocation d'une assemblée générale. La doctrine unanime considère que les actionnaires détenant une participation de 10% du capital-actions peuvent également se contenter de demander l'inscription d'un point à l'ordre du jour. BERTSCHINGER (2001), p. 902; BôCKLI (2004),

§ 12, no 66. La réciproque n'est pas fondée, car le parlement a intentionnellement décidé de limiter les droits des actionnaires détenant une participation d'une valeur nominale de 1 mil- lion de francs mais ne détenant pas 10% du capital-actions. Voir B.O.C.N. 1988, p. 1781.

Dans ce sens, FORSTMOSERIMEIER-HAYOZ/NOBEL (! 996), § 23, nos 26--27. Contra BôCKLl (2004), § 12, no 66; DUBS!IRUFFER(2002), ad art. 699 CO, no 12.

(12)

détenir une participation de plusieurs millions, voire de centaines de millions pour disposer d'actions d'une valeur nominale de 1 million de francs. Par exemple, pour exercer ce droit, un actionnaire de l'UBS devrait détenir une participation d'une valeur boursière de 22 millions de francs, un actionnaire de la Swiss Re une participation de 90 millions de francs et un actionnaire de Nestlé une participation de 280 millions68!

Jusqu'à l'abaissement de la valeur nominale minimale des actions de 100 francs à 10 francs lors de la révision de 1991 puis à un centime en mai 2001, les sociétés procédaient régulièrement à des splits d'actions afin de baisser le prix de leurs actions. Ces opérations évitaient que les actions soient trop «lourdes», c'est-à-dire que le prix d'une action soit trop important en termes absolus, et souffrent de ce fait d'un manque de liquidité. Accessoirement, les splits réduisaient le rapport entre la valeur réelle et la valeur nominale des actions et maintenaient l'effectivité du droit de faire inscrire un point à l'ordre du jour. Depuis l'abaissement de la valeur nominale des actions à un centime, des actions d'une valeur nominale d'un centime peuvent avoir un rapport entre la valeur réelle et la valeur nominale de 1 '000 sans être perçues comme lourdes. Le prix de l'action étant dans ce cas de lO francs, les actionnaires doivent avoir une participation d'une valeur réelle de 1 milliard de francs afin de demander 1 'inscription d'un à l'ordre du jour69! Dans ces circonstances, ce droit d'initiative est dénué de toute effectivité, ce qui nous invite à suggérer un abaissement des valeurs limites pour l'exercice des droits d' initiati ve69".

cc) Droit de parole lors des délibérations

En plus des droits d'assister à l'assemblée générale et des droits de faire convo- quer une assemblée et d'inscrire un point à son ordre du jour, le droit de vote est renforcé par des droits accessoires: le droit de participer aux débats, le droit d'exprimer une opinion sur les points à l'ordre du jour et le droit de faire des pro- positions de décision dans le cadre des objets inscrits à l'ordre du jour70Tout actionnaire indépendamment de l'importance de sa participation au capital peut exercer ces droits sociaux. Ces droits renforcent le droit de vote et le caractère

68 Chiffres cités par BIEDERMANN, lors de la conférence «L'Organisation du conseil d'administration à la lumière des nouvelles exigences de corporate govemance>> du Il juin 2003.

69 Art. 2 (2) Code suisse de bonne pratique pour le gouvernement des entreprises suggère dans ce cas d'adapter les limites à la baisse.

693 Voir, dans ce sens, BOCKLJ!HUGUENINIDESSEMONTh"T (2004), p. 123-124, qui proposent d'abaisser la limite à 5 %du capital-actions ou à une participation d'une valeur boursière, et non nominale, de 1 million de francs.

70 Art. 689 al. 2 CO. BOCKLI ( 1996), no 1262d; DUBS/TRUFFER (2002), ad art 700 CO, nos 18- 19; FüRSTMOSERIMEIER-HAYOZiNOBEL (1996), § 23, nos 64-66 et nos 104-110; SCHAAD (2002), ad art 689 CO, no 15. Voir également, art. 5 Code suisse de bonne pratique pour le gouvernement des entreprises.

(13)

démocratique de la société anonyme en permettant aux actionnaires d'influencer effectivement la formation de la volonté sociale.

Le conseil d'administration, le président de l'assemblée générale et même l'assemblée générale par une décision majoritaire ne peuvent empêcher un action- naire d'exercer ces droits sous réserve des règles nécessaires à la police de l'assemblée générale71Le président de l'assemblée générale doit soumettre au vote des actionnaires toute proposition s'inscrivant dans les objets à l'ordre du jour72De même, il ne peut pas retirer la parole à un actionnaire qui s'exprimerait sur un point à 1 'ordre du jour ou sur un autre sujet lors de la discussion générale précédant la clôture de l'assemblée (le point «divers» à l'ordre dujour)13Enfin, il ne peut limiter le temps de parole des actionnaires que dans les limites du néces- saire74. Par conséquent, même lors d'une assemblée très controversée dans une grande société publique, il ne saurait empêcher certains actionnaires de s'exprimer (par exemple en raison de leur position minoritaire) ou même réduire le temps de parole de tous les actionnaires au point de vider le droit d'exprimer son opinion de toute substance75

b) Devoirs du conseil d'administration relatifs à l'assemblée générale

aa) Devoirs généraux relatifs au fonctionnement de l'assemblée générale En parallèle avec les droits des actionnaires, le droit de la société anonyme garan- tit l'exercice du droit de vote et les conditions d'une véritable démocratie des actionnaires par les devoirs du conseil d'administration.

Le conseil d'administration a la compétence intransmissible et inaliénable de préparer l'assemblée générale76. Bien que la loi ne prévoie rien quant à la conduite

71 Art. 5 (1) et (2) Code suisse de bonne pratique pour le gouvernement des entreprises. BÜRGI (1959), ad art. 689 CO, nos 9-1 0; FORSTMOSER (1997), p. 120; FORSTMOSER/MEIER- HAYOZ/NOBEL (1996), § 23, no 101.

72 DUBS/TRUFFER (2002), ad art. 700, no 20; FORSTMOSERIMEIER-HAYOZINOBEL (1996),

§ 23, no 101.

73 BÜRGI, ad art. 689 CO, nos 9-10; FORSTMOSER (1997), p. 124; FORSTMOSERIMEIER- HAYOZ/NOBEL (1996), § 23, no 101.

74 Voir également, Art. 5 (1) et (2) Code suisse de bonne pratique pour le gouvernement des entreprises. BOCKLI (2004), § 12, nos 176--177; FORSTMOSER (1997), p. 122-123; FORST- MOSERIMEIER-HAYOZ/NOBEL (1996), §23, no 101. Voir également, DUES/TRUFFER, ad art.

702 CO, no 25.

75 FORSTMOSER (1997), p. 122-123.

76 Art. 716a al. 1 ch. 6 CO. Le conseil d'administration est responsable pour prendre les mesu- res nécessaires afin de constater le droit de vote des actionnaires et de veiller à la rédaction du procès-verbal (art. 702 al. 1 et 2 CO).

(14)

de l'assemblée générale77, selon la doctrine, en l'absence de disposition statutaire, c'est une évidence qu'il appartient au président du conseil d'administration de présider l'assemblée générale78Or, cette fonction n'est de loin pas honorifique. Le président de l'assemblée est chargé du bon déroulement de l'assemblée générale79•

11 est tenu de prendre l'ensemble des mesures administratives nécessaires à cette fin. Il est chargé de conduire les débats et de donner aux actionnaires l'opportunité de poser des questions, de f01muler des contre-propositions ou d'exprimer leur opinion sur les points à l'ordre du jour8°. Il lui appartient si nécessaire de limiter le temps de parole des actionnaires81

En l'absence de règles de procédure, le comportement du conseil d'administration pendant l'assemblée générale ne se mesure qu'à l'aune des devoirs généraux des membres du conseil d'administration. Les usances et l'analogie avec les pratiques parlementaires peuvent servir dans ce cadre de source d'inspiration, mais ils n'ont en aucun cas un caractère obligatoire en droit des sociétés82• L'égalité de traite- ment83 constitue la pierre angulaire de ces devoirs: lorsqu'il s'agit d'exprimer son opinion à l'assemblée générale ou de formuler une proposition de décision, tous les actionnaires sont égaux en droit et le président de l'assemblée doit respecter cette égalité. Par ailleurs, les devoirs de diligence et de fidélité à l'égard de la société84 obligent le président à ne pas interférer dans le processus de formation de la volonté sociale et le contraignent à respecter le principe de neutralité85•

77 Selon B6CKLT (2003), p. 282, la compétence du conseil d'administration en matière de préparation doit se comprendre comme s'étendant également à la conduite de l'assemblée générale. Dans ce sens également, DRUEY (1997), p. 140, VON DER CRONE/KESSLER (2004), p. 3-4.

78 Voir dans ce sens, Art. 5 (1) et (2) Code suisse de bonne pratique pour le gouvernement des entreprises. BôCKLI (2003), p. 282; B6CKLJ (1997), p. 49; BÜRGI (1959), ad art. 702 CO, no 24; DUBS/TRUFFER (2002), ad art. 702 CO, no 24; FORSTMOSERIMElER-HAYOZ!NOBEL (1996), § 23, no 98, VON DER CRONE/KESSLER (2004), p. 4.

BôCKLI (1997), p. 61-62; VON DER CRONEIKESSLER (2004), p. 4-6, estiment, à raison, compte tenu de l'art. 702 CO et de l'art. 716a al. 1 ch. 6 CO, que cette compétence est impé- rativement liée à la présidence du conseil d'administration et au conseil d'administration dans son ensemble. Comp. FORSTMOSERIMETER-HAYOz!NOBEL (1996), § 23, no 98, selon qui les statuts sont libres de déterminer un autre mode d'élection ou d'attribution de cet of- fice. Dans ce sens également, DUBS!fRUFFER (2002), ad art. 702 CO, no 24. BüRGI (1959), ad art. 702 CO, no 24, estime qu'indépendamment de toute base statutaire, l'assemblée géné- rale peut librement choisir son président.

19 Art. 5 (1) Code suisse de bonne pratique pour le gouvernement des entreprises. BëJCKLl (1997), p. 50; BÜRGI (1959), ad art. 702 CO, nos 19-23; DRUEY (1997), p. 140-141;

DUBs/TRUFFER (2002), ad art. 702 CO, no 24; FORSTMOSERIMEIER-HAYOziNOBEL (1996),

§ 23, no lOI; VON DER CRONE/KESSLER (2004), p. 11-13.

ro Art. 5 (!)Code suisse de bonne pratique pour le gouvernement des entreprises.

81 Art. 5 (2) Code suisse de bonne pratique pour le gouvernement des entreprises.

82 BëJCKLI (1997), p. 50; HORBER (2001); POLEDNA (2001), p. 929; VON DER CRONEIKARLEN (2004), p. 13-16.

83 Art. 717 al. 2 CO.

84 Art. 717 al. 1 CO.

85 FISCHER (1998), p. 232; VON DER CRONEIKESSLER (2004), p. 11-13.

(15)

bb) Devoir du conseil d'administration de mettre à disposition une information neutre et objective

Les droits d'information des actionnaires avant l'assemblée générale sont relati- vement peu nombreuxs6. Ils se limitent généralement à garantir la communication de la convocation de l'assemblée générale et de son ordre du jour avec les propo- sitions du conseil d'administration ou des actionnaires qui ont demandé soit la convocation de l'assemblée générale soit l'inscription d'un point à l'ordre du jour87. Certes, les actionnaires disposent du droit de demander des renseignements.

Ce droit leur pennet d'obtenir des informations factuelles sur les affaires de la société, notamment afin d'exercer leur droit de vote88, mais il est d'une utilité limitée en l'absence d'informations générales sur la décision à prendre.

En pratique, le conseil d'administration remet souvent une infonnation plus dé- taillée aux actionnaires avant ou lors de l'assemblée générale. Cette information renforce l'effectivité des droits démocratiques des actionnaires. La communication de cette information est régie par les principes généraux: le devoir d'égalité de traitement des actionnaires et le devoir de fidélité contraignent le conseil d'administration à communiquer une information neutre et objective aux action- naires89. En d'autres termes, le conseil d'administration est tenu de faciliter la formation de la volonté de l'organe décisionnel. Il ne doit pas prendre la décision à la place de cet organe, il doit le mettre en position de se détenniner.

Par ailleurs, le conseil d'administration doit communiquer aux actionnaires une information exacte et non trompeuse: celle-ci ne doit pas contenir de faux ren- seignements ou taire des éléments de fait qu'il aurait dû dévoiler selon les règles de la bonne foi90A défaut, si l'assemblée générale a voté suite à un vice de la volonté, la décision peut être annulée91

Dans l'arrêt UBS c. BK Vision, le Tribunal fédéral a même retenu que le conseil d'administration devait se comporter de bonne foi à l'égard de l'assemblée géné- rale et que lorsqu'il sollicitait l'autorisation de supprimer le droit préférentiel de souscription, il résultait du principe de la confiance qu'il devait informer large-

86 Voir supra p. 8 7 ss.

87 Art. 700 al. 2 CO.

88 Art. 697 CO.

89 BOCKLI (1997), p. 50-51; DRUEY (1997), p. 139; POLEDNA (2001), p. 929.

90 HOMBURGERIMOSER (1989), p. 129.

91 Sur la base de l'action de l'art. 706 CO. Arrêt du Tribunal fédéral du 2 février 1925, Valenti et Corti et al. c. Baugenossenschft Klushalde, ATF 51 II 65, consid. 3, p. 69-70; arrêt du Tribunal fédéral du 7 avril 1976, Schnydrig Hoch- und T'iefbau AG c. Chef du Département de justice et police du Canton du Valais, ATF 102 lb 21, JT 1977 I 251, consid. 4., p. 255; ar- rêt du Tribunal fédéral du 17 janvier 1939, Volksbank Reiden A.-G in Liq. c. Kunz et con- sorts, ATF 65 II 2, consid. 4 c, p. 15-16.

BÜCKLI (2004), § 12, no 189; BÜRGI (1959), ad art. 692, nos 6 et 7; DRUEY (1997), p. 138- 139; DUBSffRUFFER (2002), ad art. 706 CO, no 7, s'agissant de l'invocation de l'erreur pour éviter l'extinction, HOMBURGERIMOSER (1989), p. 146; VON GREYERZ (1982), p. 189; VON STEIGER (1970), p. 214.

(16)

ment de ses intentions concrètes, sous réseiVe d'intérêts légitimes de la société ou de tiers92Cet arrêt impose implicitement au conseil d'administration un devoir d'information sur les propositions à l'assemblée générale qui s'étend au-delà des exigences de forme légales93 Ce devoir a une étendue comparable au devoir d'information précontractuel résultant de la bonne foi. Le conseil d'administration est ainsi également tenu de corriger d'éventuelles informations incomplètes ou erronées qu'il ou des tiers auraient communiquées aux actionnaires dans le cadre de l'assemblée générale. En particulier, s'il reconnaît que des participants à l'assemblée générale sont dans l'erreur sur un objet essentiel de la décision, il est tenu de les rendre attentifs à leur erreur et de la corriger94

Le devoir du conseil d'administration d'informer les actionnaires trouve un second fondement plus substantiel dans l'obligation de diligence et de fidélité du conseil lors de la préparation de l'assemblée générale95 • Les actes du conseil d'administration ne s'inscrivent pas dans un contexte de personnes en pourparlers contractuels, mais dans le cadre du mandat assumé par le conseil d'administration à l'égard de la société. Cette situation suscite une obligation analogue à l'obligation d'infotmer et de conseiller du mandataire spécialisé96En effet, un mandataire doit tenir son mandant régulièrement au courant du développement du mandat. Il doit lui signaler toute circonstance qui pourrait avoir une influence sur les instructions97• Il doit également informer son mandant des risques liés à l'exécution du mandat98• Enfin, il doit régulièrement conseiller son mandant sur les mesures à prendre dans son intérêt99• Afm de respecter ce devoir, le mandataire doit tenter de dissuader son mandant, lorsque ce dernier veut donner ou maintenir

92 Arrêt du Tribunal fédéral du 25 avril 1996, UBS c. BK Vision AG, ATF 121 lli 176, JT 1996 I 162, consid. 2, p. 178.

93 Art. 700 al. 2 CO.

94 Voir en matière de mandat, TERCIER (2003), nos 4679 sur les instructions déraisonnables et sur 1 'obligation générale de conseiller nos 4690-4691.

Ces devoirs résultent également mais avec moins de portée de la bonne foi et des obligations précontractuelles. Voir notamment arrêt du Tribunal fédéral du 5 juin 1996,1. AG c. X, Praxis 85 (1996), no 239, consid. 2d, p. 938; arrêt du Tribunal fédéral du 26 juin 1976, Vanofi c.

Thomas Domenig et consorts, ATF 102 Il 81, 1T 1977 I 210, consid. 2, p. 213 qui précise toutefois que «celui qui ne cherche pas à découvrir lors de pourparlers contractuels les er- reurs commises par sa partie adverse et dont celle-ci aurait pu elle-même se rendre compte en y apportant l'attention requise n'agit pas contrairement aux règles de la bonne foi»; arrêt du Tribunal fédéral du 19 septembre 1975, Société anonyme Sc. Commission fédérale des banques, ATF 101 Ib 442, consid. 4.b, p. 432. Voir GAUCHISCHLUEP/SCHMTD/REY (2003), no 958a; KRAMER (1991), ad art. 22 CO, no 21; MERZ (1992), no 124; SCHWENZER (2000), no47.09.

95 Voir dans ce sens en droit du Delaware, Stroud v. Grace, 606 A.2d 75 (Supr. Ct. 1992);

Corporate Director's Guidebook, p. 1586; HAMERMESH (1996).

96 Voir sur l'obligation d'information du mandataire FELLMANN (1992), ad art. 398 CO, nos 144 ss; TERCIER (2003), no 4690-4691. En matière de mandat de gestion de fortune;

BRETTON-CHEVALIER (2002), p. 92.

97 FELLMANN (1992), ad art. 398 CO, nos 170-172; TERCIER(2003), no 4690.

98 FELLMANN (1992), ad art. 398 CO, no 160; TERCIER (2003), no 4690.

99 FELLMANN (1992), ad art. 398 CO, nos 172-173; TERCIER(2003), no 4690.

(17)

des instructions potentiellement préjudiciables100 L'analogie s'applique pleine- ment au conseil d'administration, lorsqu'il présente à l'assemblée générale des propositions de décisions101

Le conseil d'administration a donc une véritable obligation de permettre à l'assemblée générale de décider en connaissance de cause102 et de jouer pleine- ment son rôle d'organe délibératif suprême de la société103• Ce devoir d'information implique que le conseil d'administration doit remettre aux action- naires au plus tard à l'assemblée générale l'ensemble des informations nécessaires à la prise de décision. Comme le recommande le Code suisse de bonne pratique pour le gouvemement des entreprises, ces informations devraient même être communiquées avec la convocation. Elles ne doivent pas se limiter au contenu de la décision, mais doivent également comprendre l'ensemble des éléments de fait qui permettent de juger de l'opportunité de la décision et les prévisions relatives aux conséquences de l'approbation de la décision ou de son refus. Quant à la den- sité qualitative de l'inf01mation, le test peut se résumer à déterminer si un action- naire a raisonnablement besoin de l'information en question pour prendre une décision.

En synthèse, le principe démocratique sous-tend le fonctionnement de la société anonyme: les actionnaires sont dotés d'un droit de vote leur permettant de former la volonté sociale par une décision émanant de la majorité de l'assemblée géné- rale, cette Landsgemeinde sociale. Ce principe démocratique est protégé d'une part par les droits des actionnaires comme le droit de participer à l'assemblée, le droit de la faire convoquer et/ou de faire inscrire un point à l'ordre du jour et le droit de parole. D'autre part, le devoir de neutralité active oblige le conseil d'administration à donner aux actionnaires les moyens de former la volonté so- ciale en connaissance de cause et sans se faire influencer par les préjugés du con- seil d'administration.

100 FELLMANN (1992), ad art. 397 CO, no 117 et ad art. 398 CO, no 162; TERCIER (2003), nos 4679--4691. Voir en matière de mandat de gestion de fortune; BRETTON-CHEVALIER (2002), p. 92.

101 En revanche, elle ne tient plus pour les décisions de gestion, car contrairement aux mandatai- res du droit des contrats (art. 397 al. 1 CO), les administrateurs sont tenus d'agir en toute in- dépendance et de refuser toute instruction quel qu'en soit l'auteur dans leur domaine de compétence intransmissible et inaliénable.

102 Art. 3 Code suisse de bonne pratique pour le gouvernement des entreprises. Dans ce sens, BÜCKLI (2003), p. 282.

103 Art. 3 et Art. 3 (1) Code suisse de bonne pratique pour le gouvernement des entreprises.

Dans ce sens, BôcKLI (2003), p. 283.

Références

Documents relatifs

Les jeunes n’ont donc jamais l’oc- casion au lycée de discuter, d’ar- gumenter pour ou contre, de manier des opinions par rapport aux grands événements du monde, en bref de faire

Plus que pour manier le bulletin de vote, les mains de femmes sont faites pour être baisées, baisées dévotement quand ce sont celles des mères, amoureusement quand ce sont celles

L’objectif de ce paragraphe est d’une part de comparer les dif- férents concepts évoqués dans la partie théorique (approximation d’ordre 1 ou 2 pour la

Ayant à l’esprit la question de l’extension du droit de vote aux étrangers, on peut se reconnaître dans ces lignes où Jacques Rancière situe les luttes historiques

développés dans les années 1980, à l’initiative des entreprises publiques, différents instruments donnant accès au capital. Dans ces sociétés, la multiplication

Conclusions: Continuous monitoring of oxygen saturation on the normal ward and subsequent oxygen therapy for hypoxia can reduce the incidence of atrial fibrillation in a subgroup

En plus de la méthode des volumes finis qui est adoptée dans cette étude, les éléments finis et les méthodes spectrales sont largement utilisées dans la simulation numérique

Le code de commerce français est muet concernant les obligations des administrateurs, notamment quant à la manière dont ces derniers doivent prendre leur