• Aucun résultat trouvé

QUE RESTE-T-IL DU PRINCIPE DE LÉGALITÉ EN DROIT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE?

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "QUE RESTE-T-IL DU PRINCIPE DE LÉGALITÉ EN DROIT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE?"

Copied!
34
0
0

Texte intégral

(1)

SOCIALE ?

SÉCURITÉ SOCIALE ET DÉMOCRATIE PARLEMENTAIRE *

Daniel DUMONT,

Professeur à l’Université libre de Bruxelles, Centre de droit public

« Pourquoi [le] droit subjectif [à l’indemnisation] est-il organisé et reconnu de façon aussi précaire ? » (1)

Une première ébauche de texte a fait l’objet d’une présentation lors d’un séminaire préparatoire organisé au Conseil national du travail le 10  mai 2016, puis lors d’un midi du Centre interdisciplinaire de recherche en droit constitutionnel et administratif (CIRC) de l’Université Saint-Louis le 17 juin 2016. Pour leur retour à ces occasions, l’auteur remercie en particulier Jonathan de Wilde, Xavier Delgrange, Luc Detroux, Isabelle Hachez, Koen Muylle, Paul Palsterman et François Tulkens. Il remercie aussi chaleureuse- ment les deux évaluateurs anonymes de ce texte pour leur relecture atten- tive du manuscrit, même s’il n’a pas pu être possible, pour des raisons d’es- pace, de donner suite à toutes leurs suggestions d’approfondissements. Il va de soi que l’auteur demeure l’unique responsable des analyses proposées.

L’étude est arrêtée au 31 décembre 2016.

(1) M.  JAMOULLE, avec la collaboration de N.  MEUNIER, « Indemnisation du chômage et droits subjectifs », J.T.T., 1987, p. 313.

(2)
(3)

CONTENU

Introduction : une question oubliée 117 I. Le principe de légalité en matière de sécurité sociale : une version

« atténuée » du principe de légalité, mais un principe de légalité quand même 119 A. Une rapide vue d’ensemble sur la répartition des attributions entre la loi

et le règlement 119

1. Dans les matières résiduaires 119

2. Dans les matières réservées à la loi 122

B. Le principe de légalité déduit de l’article 23 de la Constitution, ou la con sécration

d’un « droit au législateur » en matière de sécurité sociale ? 124 II. La législation de sécurité sociale : comment le provisoire est devenu le

définitif, ou l’introuvable codification 128 III. La norme en droit de la sécurité sociale : le principe de légalité bafoué ? 134

A. Un mode de production normative pathologique 135

B. Les avertissements du Conseil d’État 136

C. Le laisser-faire de la Cour constitutionnelle : une critique 138 D. La sécurité sociale est une matière réservée à la loi : une proposition 142 En guise de réflexions finales : restaurer la loi en sécurité sociale ? 143

(4)

En plus d’être marqué par des déficiences bien connues sur le plan légistique, le droit de la sécurité so- ciale est caractérisé par une hypertrophie des normes de type réglementaire, de sorte que de nombreux choix politiques essentiels sont opérés par le pouvoir exécutif seul. C’est dans ce contexte que la contri- bution cherche à identifier la portée du principe de légalité qui gouverne théoriquement la matière en vertu de l’article 23 de la Constitution. Elle propose en particulier une lecture critique de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle relative à ce principe et appelle à un affermissement de l’exigence, au fon- dement de l’État de droit mais singulièrement malmenée en matière de sécurité sociale, que le pouvoir d’exécution de la loi par le gouvernement soit davantage borné par cette même loi. Il en résulterait une plus grande insertion de la sécurité sociale dans le jeu de la démocratie parlementaire.

Het Belgische socialezekerheidsrecht is niet moeders mooiste. Het kampt met een aantal legistieke mankementen en lijdt aan reglementaire hypertrofie. De uitvoerende macht blijft op deze wijze heer en meester van essentiële beleidskeuzes. Het is vanuit die uitgangssituatie dat deze bijdrage de draag- wijdte van het legaliteitsbeginsel onderzoekt dat luidens artikel 23 van de Grondwet deze materie zou moeten beheersen. De rechtspraak van het Grondwettelijk Hof met betrekking tot dit beginsel wordt op kritische wijze geanalyseerd. Er wordt een pleidooi gehouden voor een verstrenging van de legaliteits- toets, die aan de grondslag ligt van de rechtsstaat maar in het socialezekerheidsrecht veronachtzaamd wordt. De grondwettelijke bevoegdheid om de wetten uit te voeren moet logischerwijze door die wet- ten beperkt worden. Een verstrenging van de legaliteitstoets heeft als voordeel dat de sociale zekerheid meer dan vroeger de inzet zal worden van een breed parlementair debat.

(5)

Introduction : une question oubliée

1. Il est de notoriété publique que, sur le plan légistique, le droit de la sécurité sociale n’est pas loin, avec le droit fiscal, de représenter un véritable anti-modèle, tant il s’agit d’un droit mouvant, complexe, peu lisible, riche en dispositions kilométriques et marqué par une invraisemblable pro- fusion de détails. La législation sociale s’apparente en effet à un entrelacs de textes boursouflés et superposés les uns aux autres qui, jamais à ce jour, n’ont fait l’objet d’une codification et d’une harmonisation d’ensemble. Il en résulte que de nombreux concepts ne sont pas définis de la même manière dans les différentes branches du système, qu’en raison de leur rédaction souvent alam- biquée, les textes sont d’un abord franchement rebutant même pour les spécialistes, qu’il n’est pas beaucoup de règles qui ne soient immédiatement assorties de leur cascade d’exceptions et d’exceptions à l’exception, etc. (2).

Mais le problème, en sécurité sociale, ne se limite pas à la légendaire illisibilité et à l’instabilité chronique de la norme, et donc à ses déficiences en termes de qualité légistique. Il est frappant de constater aussi que la hiérarchie classique des normes, et plus particulièrement le principe de légalité – soit l’exigence au fondement de l’État de droit que le pouvoir d’exécution de la loi par l’exécutif soit borné par cette même loi –, y sont singulièrement malmenés, compte tenu de ce qu’un nombre significatif de choix politiques essentiels sont confinés dans des arrêtés royaux, des arrêtés du gouvernement et des arrêtés ministériels, quand il ne s’agit pas de simples circulaires ou instructions administratives, au lieu d’être inscrits dans une norme de rang législatif, au sens formel du terme.

2. Curieusement, le problème ne semble pas avoir beaucoup retenu l’attention jusqu’ici (3), hormis sous la forme d’un plaidoyer, mais très laconique, de Guido Van Limberghen en 1993 (4). Les manuels, par exemple, sont muets sur la question (5). Peut-être parce que, s’agissant des juristes de droit de la sécurité sociale, il s’agit d’une situation, certes connue et que l’on déplore, mais à laquelle on a fini par s’habituer au fil du temps, et parce que, du côté des constitutionnalistes, le droit de la sécurité sociale reste perçu comme un marécage normatif dans lequel il est difficile de s’aventurer sans se perdre. Pourtant, la situation, à bien y penser, devrait étonner voire interpeller davantage : va-t-il tellement de soi que le droit qui organise le fonctionnement d’un système de redistribution réceptacle de tant de choix sociétaux fondamentaux et absorbants, bon an mal an,

(2) Le problème est ancien : A. TRINE, « Vers une simplification des lois sociales », R.B.S.S., vol. 1, n° 2, 1959, pp. 75- 86. Pour sa part, Micheline Jamoulle observait : « Le droit de la sécurité sociale constitue sans doute, au même titre que le droit fiscal, le secteur juridique le plus malaisé à maîtriser, en raison d’une technique légistique rebutante laissant souvent à désirer, de la modification constante des textes et aussi d’une jurisprudence abon- dante et mouvante » (M. JAMOULLE, « Préface » à F. DEMET, R. MANETTE, P. DELOOZ et D. KREIT, Les maladies professionnelles, Bruxelles, De Boeck, coll. « Bibliothèque de droit social », 1996, p. 5).

(3) La seule exception que nous sommes parvenu à identifier est la thèse de Johan Put, où est analysée la portée que reçoit le principe de légalité en matière de sanctions administratives dans la jurisprudence de la Cour de cassation et du Conseil d’État : J. PUT, Administratieve sancties in het socialezekerheidsrecht, Bruges, die Keure, coll. « Administratieve rechtsbibliotheek », 1998, nos 41 à 45, pp. 30-34.

(4) G. VAN LIMBERGHEN, « Socialezekerheidsrecht en rechts(on)zekerheid, recht en sociale(on)zekerheid », R.W., 1993-1994, p. 1178 : « hoewel meer onderzoek daaromtrent vereist is, dient mijns inziens een grondwettelijk legaliteitsprincipe op het vlak van de sociale zekerheid te worden ingevoerd ». Adde D. PIETERS, Onze sociale zekerheid: anders en beter, préface de R. DILLEMANS, Kapellen, Pelckmans, 2009, pp. 63-64.

(5) J.-F.  FUNCK, avec la collaboration de L.  MARKEY, Droit de la sécurité sociale, 2e  éd., Bruxelles, Larcier, coll.

« Droit actuel », 2014 ; J. VAN LANGENDONCK avec la collaboration d’Y. STEVENS et A. VAN REGENMORTEL, Handboek socialezekerheidsrecht, 9e éd., Anvers-Cambridge, Intersentia, 2015 ; W. VAN EECKHOUTTE, Sociaal compendium: socialezekerheidsrecht 2016-2017, 2 vol., Malines, Kluwer, 2016. Les arrêts pertinents de la Cour constitutionnelle ne sont pas davantage repris ni commentés dans le recueil Les grands arrêts de la Cour consti- tutionnelle en droit social (dir. C.-E. CLESSE), préface F. DELPÉRÉE, Bruxelles, Larcier, coll. « Droit social », 2010.

En revanche, le syllabus de Guido Van Limberghen contient quelques développements à propos des relations entre les pouvoirs législatif et exécutif et des problèmes que ces relations peuvent soulever en matière de sécurité sociale : G. VAN LIMBERGHEN, Socialezekerheidsrecht, vol. 1, Bruxelles, Vrije Universiteit Brussel, 2014- 2015, nos 26 et 27, pp. 31-33.

(6)

non moins d’un quart de la richesse nationale, consiste pour une part significative en des normes qui échappent totalement au contrôle des parlements, et donc à tout droit de regard des assem- blées démocratiquement élues ?

3. Tel est le point de départ de la présente contribution, qui entend donc revisiter la question de savoir « qui gouverne le social » en Belgique, pour reprendre le titre d’un ouvrage français (6), ou, pour le dire de manière plus précise, ce qu’il subsiste du principe de légalité en droit belge de la sé- curité sociale. D’emblée, et le constat ne fait qu’accroître la perplexité, on relèvera que le problème ne semble pas se poser, ou plus exactement ne semble pas se poser avec la même acuité, dans nos principaux pays limitrophes, la France, les Pays-Bas et l’Allemagne (7), alors que tous trois relèvent globalement de la même famille d’États-providence que la Belgique – mais, et c’est peut-être là une part de l’explication, ce sont des États adossés à une nation, alors qu’on peut s’interroger sur l’existence d’une véritable nation belge…

Nous procéderons en trois temps. Nous commencerons par revenir aux fondamentaux, c’est-à- dire aux limites qui corsètent le pouvoir d’exécution des lois et, plus spécifiquement, au principe de légalité qui gouverne théoriquement le droit de la sécurité sociale en vertu de l’article 23 de la Constitution. Nous verrons que, même si la portée de ce principe a été assez fort affaiblie par la Cour constitutionnelle, il n’autorise pas tout et n’importe quoi pour autant (I.). Nous rappellerons ensuite, dans une perspective plus historique, quelques jalons du processus au terme duquel le droit de la sécurité sociale n’a finalement jamais été codifié ni harmonisé et tout au long duquel les normes de rang réglementaire ont toujours occupé une place majeure. Ce faisant, nous serons amené à réserver une attention particulière au cas de l’assurance chômage, en raison du caractère presque exclusivement réglementaire de ses normes (II.). Dans un troisième et dernier temps, plus exploratoire, enfin, nous confronterons, à partir d’un certain nombre d’exemples, les modes de production normative en sécurité sociale aux balises constitutionnelles censées régir la matière.

On verra que les libertés prises avec les exigences de l’État de droit démocratique, dont seule la section de législation du Conseil d’État semble encore s’émouvoir de temps à autre, ont un impact significatif en termes de légitimité de la norme, après quoi nous appellerons à un affermissement des balises constitutionnelles applicables et de leur contrôle effectif (III.). En conclusion, nous nous interrogerons brièvement sur les conditions de possibilité d’une restauration de la loi en sécurité sociale, en soulignant l’intérêt que présenterait une telle restauration, sinon sur le plan substantiel, au moins sur le plan procédural.

(6) Qui gouverne le social ? (dir. M. BORGETTO et M. CHAUVIÈRE), Paris, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2008.

(7) La France dispose depuis 1985 d’un Code de la sécurité sociale long de plusieurs milliers d’articles, répartis en une partie législative contenant les principes fondamentaux et une partie réglementaire procédant à la mise en œuvre desdits principes : X. PRÉTOT, « La délimitation des compétences législatives et réglementaires », Droit social, 1986, p. 258-268 ; F. KESSLER, Droit de la protection sociale, 5e éd., Paris, Dalloz, coll. « Cours », 2014, nos 240 à 243, pp. 203-207 ; J.-P. CHAUCHARD, J.-Y. KERBOURC’H et C. WILLMANN, Droit de la sécurité sociale, 7e éd., Paris, L.G.D.J., coll. « Manuel », 2015, n° 157, pp. 90-92 ; J.-J. DUPEYROUX, M. BORGETTO et R. LAFORE, Droit de la sécurité sociale, 18e éd., Paris, Dalloz, coll. « Précis », 2015, nos 480 à 482, pp. 349-352. Pour les Pays-Bas, voy. S. KLOSSE et G. VONK, Socialezekerheidsrecht, 12e éd., Deventer, Kluwer, 2014, p. 19 ; adde les réflexions critiques de F.M. NOORDAM, « Socialezekerheidsrecht: ingewikkeld ingewikkeld », Arbeid en gezondheid. Schip- peren tussen verantwoordelijkheid en bescherming (dir. S. KLOSSE), Deventer, Kluwer, 2006, pp. 223-234. L’Al- lemagne, quant à elle, dispose d’un impressionnant Sozialgesetzbuch constitué de douze livres et couvrant l’ensemble de la sécurité sociale, dont l’essentiel a été réalisé dans les années 1970 et 1980 : M.  STOLLEIS, History of Social Law in Germany, Berlin, Springer, 2014, pp. 211 et 230. Bien entendu, les droits français, néer- landais et allemand de la sécurité sociale n’échappent pas eux non plus à l’inflation législative et à la montée en puissance du droit réglementaire, mais le contraste avec la situation belge n’en reste pas moins marquant.

(7)

I. Le principe de légalité en matière de sécurité sociale : une version « atténuée » du prin- cipe de légalité, mais un principe de légalité quand même

4. Comme on le sait, l’article 33 de la Constitution dispose : « Tous les pouvoirs émanent de la nation. Ils sont exercés de la manière établie par la Constitution  ». Pour mener à bien notre entreprise, il nous faut donc repartir des balises constitutionnelles qui gouvernent la répartition des compétences entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. C’est donc bien le principe de légalité dans sa dimension verticale, et non horizontale, que l’on vise ici. Autrement dit, ce qui nous intéresse n’est pas la répartition des attributions entre le législateur fédéral et les législateurs communautaires et régionaux, le premier adoptant des lois (au sens strict), les seconds des décrets ou des ordonnances, mais la division du travail entre les normes de rang législatif et les normes de type réglementaire, quel que soit le niveau de pouvoir concerné (8), (9).

En matière de sécurité sociale, la problématique a connu une évolution importante, au moins sur un plan théorique, avec l’introduction, en 1994, de l’article 23 dans la Constitution. Auparavant, la matière était gouvernée, comme n’importe quelle autre, par les principes généraux qui régissent la répartition des compétences entre la loi et le règlement (A.). Depuis l’insertion de l’article 23 dans la Constitution, la sécurité sociale est soumise en outre, à l’instar des autres droits économiques, sociaux et culturels constitutionnalisés, à un principe de légalité spécifique (B.). Alors que cette base textuelle additionnelle aurait a priori dû conduire à affermir le principe de légalité applicable au droit de la sécurité sociale, ce n’est pas, pour l’instant en tout cas, dans ce sens-là que semble s’orienter la Cour constitutionnelle, sans que la raison en apparaisse clairement. Il n’en reste pas moins que le législateur social est tenu de respecter un certain nombre de balises minimales.

A. Une rapide vue d’ensemble sur la répartition des attributions entre la loi et le règlement 1. Dans les matières résiduaires

5. Depuis 1830, le pouvoir exécutif dispose, en vertu de l’(actuel) article 108 de la Constitution, de la prérogative générale de pourvoir à « l’exécution des lois » (10). Par hypothèse, il dispose, dans cette tâche, d’une certaine latitude pour déterminer le contenu précis des mesures d’exécution à prendre. Toutefois, sa liberté d’appréciation n’est pas illimitée  : elle trouve sa frontière dans l’économie générale de la loi à laquelle exécution doit être donnée. Telle est, en substance, la signification du principe de légalité. Celui-ci a trouvé sa formulation classique dans un arrêt célèbre, et souvent cité, de la Cour de cassation de 1924 : « Si le pouvoir exécutif, dans l’accomplissement

(8) Pour un bref rappel sur la dualité de sens du terme « loi » dans la Constitution, voy. P. POPELIER, « La loi au- jourd’hui (le principe de légalité) », Les sources du droit revisitées (dir. I. HACHEZ et al.), vol. 2, Normes internes infraconstitutionnelles, Limal, Anthemis, 2012, nos 13 à 16, pp. 24-26.

(9) Pour un aperçu d’ensemble du problème, voy. les passages qui y sont consacrés dans les différents manuels de droit constitutionnel : Y. LEJEUNE, Droit constitutionnel belge. Fondements et institutions, 2e éd., Bruxelles, Larcier, coll. « Précis de la Faculté de droit de l’Université catholique de Louvain », 2014 ; M. UYTTENDAELE, Trente leçons de droit constitutionnel, 2e éd., Limal-Bruxelles, Anthémis-Bruylant, coll. « Précis de la Faculté de droit et de criminologie de l’ULB », 2014 ; A.  ALEN et K.  MUYLLE, Compendium van het Belgisch staatsrecht, 4e éd., Malines, Kluwer, 2015 ; J. VANDE LANOTTE et al., Belgisch publiekrecht, 8e éd., Bruges, die Keure, 2015 ; S.  SOTTIAUX, Grondwettelijk recht, Anvers, Intersentia, 2016 ; ainsi que J.  VELAERS, « Het “recht op de wet- gever”  : beschouwingen over de voorbehouden en de residuaire bevoegheden  », En hommage à Francis Delpérée. Itinéraires d’un constitutionnaliste, Bruxelles-Paris, Bruylant-L.G.D.J., 2007, pp. 1631-1641 ; K. MUYLLE et J. THEUNIS, « La Cour constitutionnelle comme juge de la séparation des pouvoirs : le cas des délégations et des validations », Liège, Strasbourg, Bruxelles : parcours des droits de l’homme, Liber Amicorum Michel Melchior, Limal, Anthemis, 2010, pp. 113-139 ; F. BELLEFLAMME, « La forme et la matière dans la définition du règlement aujourd’hui », Les sources du droit revisitées, vol. 2, op. cit., nos 16 à 26, pp. 328-344.

(10) Sur le régime juridique de l’article 108 de la Constitution, voy., outre les références citées à la note précédente, A. OOMS, « De uitvoerende bevoegdheid van de Koning: van conforme proclamatie tot eerste staatsmacht.

Een historische analyse van artikel 108 Grondwet », C.D.P.K., 2009, p. 195-216 ; P. GOFFAUX, v° « Pouvoir d’exé- cution de la loi », Dictionnaire de droit administratif, 2e éd., Bruxelles, Bruylant, 2016, pp. 495-499.

(8)

de la mission que lui confère l’article [108] de la Constitution, ne peut étendre pas plus qu’il ne peut restreindre la portée de la loi, il lui appartient de dégager du principe de celle-ci et de son économie générale les conséquences qui en dérivent naturellement d’après l’esprit qui a présidé à sa conception et les fins qu’elle poursuit » (11).

L’article 108 de la Constitution est précédé par l’article 105, qui constitue, quant à lui, le siège du pouvoir réglementaire dit d’attribution, lequel permet au législateur de déléguer au roi un pou- voir plus important que celui dont il est titulaire en vertu de sa prérogative générale de pourvoir à l’exécution des lois. C’est sur cette base que le pouvoir exécutif peut se voir confier des missions allant bien au-delà du simple développement de la règle légale. Pareille habilitation requiert tou- tefois une loi spécifiant expressément les objectifs à atteindre et les questions dont le règlement est laissé au roi. C’est aussi sur cette base qu’a été développée la pratique des arrêtés royaux de pouvoirs spéciaux (12).

6. Le principe dégagé par la Cour de cassation a été ultérieurement repris et développé par la Cour constitutionnelle et le Conseil d’État, à l’occasion de litiges portant, devant la Cour, sur le ca- ractère insuffisamment borné de la liberté d’appréciation concédée par le législateur au roi ou, de- vant le Conseil, sur le dépassement par le pouvoir exécutif des limites d’une habilitation législative.

Dès le début des années 1990, la Cour constitutionnelle, alors encore Cour d’arbitrage, a repris expressis verbis l’attendu de la Cour de cassation que l’on vient de rappeler (13). Dans un arrêt n° 31/2004, mais dont il faut immédiatement préciser qu’il est resté tout à fait isolé et a été rendu en chambre à sept juges – tout en n’en continuant pas moins d’être très régulièrement cité par la section de législation du Conseil d’État –, elle est allée plus loin, en posant que « conformément aux principes qui régissent les relations entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, les choix politiques essentiels doivent être fixés par l’assemblée législative », tandis que « le soin d’arrêter les modalités de leur mise en œuvre peut être laissé au pouvoir exécutif » (14). Toutefois, cet ar- rêt dénote clairement avec la jurisprudence de la Cour, aussi bien antérieure que postérieure (15). C’est que les articles 108 et 105 de la Constitution ne sont pas des normes directement soumises au contrôle de la Cour. Partant, celle-ci considérait habituellement qu’elle n’était pas compétente pour se prononcer sur un moyen directement tiré de la violation des règles constitutionnelles ré- partissant les attributions entre les pouvoirs législatif et exécutif, du moins en dehors des matières que la Constitution réserve expressément au législateur. C’est aussi la position à laquelle la Cour est revenue dans ses décisions postérieures à l’arrêt d’espèce mentionné (16).

Dans un arrêt n° 36/2012 rendu cette fois en séance plénière, la Cour a même explicitement affir- mé que la Constitution ne s’oppose pas à ce qu’une matière non réservée à la loi soit confiée par le législateur au roi, mais tout en acceptant d’envisager qu’une habilitation de ce type soit éventuel- lement susceptible de conduire à une violation du principe d’égalité : si c’est en principe au législa- teur, a dit la Cour, qu’il appartient de décider s’il règle lui-même une matière ou s’il en confie le soin au pouvoir exécutif, il ne peut toutefois pas opérer de discrimination entre catégories bénéficiant

(11) Cass., 18 novembre 1924, Pas., 1925, I, p. 25.

(12) Sur la difficulté d’identifier avec précision la frontière entre le pouvoir réglementaire général, ou d’exécution, fondé sur l’article 108 de la Constitution, et le pouvoir réglementaire d’attribution, fondé sur l’article 105, voy. la riche légisprudence du Conseil d’État analysée par J. VELAERS, De Grondwet en de Raad van State, afdeling Wet- geving. Vijftig jaar adviezen aan wetgevende vergaderingen, in het licht van de rechtspraak van het Arbitragehof, Anvers, Maklu, 1999, pp. 372-387 et surtout pp. 347-368. Sur cette difficulté, voy. aussi F. BELLEFLAMME, « La forme et la matière dans la définition du règlement aujourd’hui », op. cit., n° 20, pp. 331-334.

(13) C.A., 12 novembre 1992, n° 70/92, B.4.2. ; C.A., 10 juin 1993, n° 45/93, B.3.2.

(14) C.A., 3 mars 2004, n° 31/2004, B.5.4.

(15) Voy. du reste les critiques émises à son endroit par J. VELAERS, « Het “recht op de wetgever” », op. cit., n° 12, pp. 1640-1641, selon lequel l’exigence que le pouvoir législatif pose les choix essentiels est, en dehors des matières réservées à la loi, davantage de nature politique que strictement juridique.

(16) C.A., 14  décembre 2005, n°  190/2005, B.3.  ; C.C., 19  décembre 2007, n°  154/2007, B.32.  ; C.C., 12  mai 2010, n° 56/2010, B.5. ; C.C., 12 mai 2011, n° 71/2011, B.9.

(9)

et ne bénéficiant pas de son intervention (17). La Cour ne pose donc plus l’obligation que le pouvoir législatif opère directement lui-même les « choix politiques essentiels » d’une matière. Elle a même clairement abandonné cette exigence. En revanche, elle accepte d’examiner si est bien susceptible de justification la différence de traitement découlant de ce que certains administrés, au contraire d’autres, se voient retirer la garantie de l’intervention d’une assemblée législative (18). Cette ana- lyse a été reproduite dans des arrêts ultérieurs (19). À ce jour, elle n’a toutefois jamais conduit à un constat d’inconstitutionnalité, la Cour s’en tenant à un contrôle délibérément très marginal.

La section du contentieux administratif du Conseil d’État, elle, s’est faite plus exigeante, dans un arrêt au moins : « les éléments essentiels de la réglementation envisagée doivent figurer dans le texte même » de la norme de rang législatif à laquelle exécution doit être donnée. Plus, « les limites de la délégation consentie au gouvernement doivent être définies par [la loi] aussi précisément que possible, de préférence en indiquant, de manière concrète, les circonstances dans lesquelles il peut être fait usage de cette délégation et en définissant, à tout le moins dans leurs grandes lignes, les mesures à prendre » (20). Et le Conseil d’État, dans l’espèce citée, d’annuler la norme réglemen- taire querellée pour défaut de base légale suffisante.

7. La raison pour laquelle la prérogative de pourvoir à l’exécution des lois doit ainsi être bornée est simple, et elle a été, quant à elle, davantage explicitée par la section de législation du Conseil d’État, qui le répète à longueur d’avis : il faut que puisse avoir lieu devant une assemblée démocra- tiquement élue un débat sur l’essence de la réglementation à venir (21). En cela, le Conseil d’État ne fait que rappeler un classique de la théorie constitutionnelle : dans un État de droit démocratique, les gouvernés doivent être associés, par le biais de leurs représentants élus, à l’élaboration des règles fondamentales qui organisent la vie en société, et le gouvernement est tenu de se con- former aux lois ainsi collectivement adoptées (22). Sur cette base, les jurisconsultes de la haute juridiction administrative demandent très régulièrement aux législateurs d’éviter les attributions de pouvoir formulées en des termes trop vagues ou imprécis et de tracer eux-mêmes les grandes lignes des règles applicables (23).

(17) C.C., 8 mars 2012, n° 36/2012, B.6.

(18) Ce point est souligné dans son commentaire de l’arrêt par F. BELLEFLAMME, « Le principe de légalité en dehors des matières réservées à la loi par la Constitution », A.P., 2012, pp. 415-421.

(19) C.C., 18  juillet 2013, n°  107/2013, B.10.1. et B.10.2.  ; C.C., 11  juin 2015, n°  86/2015, B.8.  ; C.C., 28  avril 2016, n° 56/2016, B.14.4.

(20) C.E. (6e ch.), 20 octobre 2009, Elia System Operator c/ Région wallonne, n° 197.086, p. 22.

(21) Pour des exemples, voy. les nombreux avis en ce sens cités chaque année dans la chronique annuelle de légis- prudence du Conseil d’État publiée dans la Revue belge de droit constitutionnel : p. ex. M. JOASSART et al., « Le Conseil d’État : chronique de légisprudence 2014 », R.B.D.C., 2016, pp. 271-273. Sur cette légisprudence, voy. les réserves exprimées par J. VELAERS, De Grondwet en de Raad van State, afdeling Wetgeving, op. cit., p. 366-368.

(22) Sur cette justification du principe de légalité et les nombreux échos qu’elle reçoit dans la Constitution belge, voy. P. POPELIER, « La loi aujourd’hui (le principe de légalité) », op. cit., nos 29 à 38, pp. 32-36, et les références aux travaux antérieurs de l’auteure.

(23) Pour un exemple parmi tant d’autres, voy., à propos de la refonte du décret organique de Bruxelles Formation opérée par la COCOF en 2016, l’avis n° 58.106/2 du 30 septembre 2015, Doc. parl., Parlement francophone bruxellois, 2015-2016, n° 48/1, pp. 22-23, qui se réfère encore à l’arrêt n° 31/2004 de la Cour constitutionnelle évoqué plus haut. Au vrai, on peut se demander si la formation professionnelle ne doit pas être considérée comme une matière réservée à la loi : voy. la note n° 135. On nuancera ce qui précède en précisant que la légisprudence du Conseil d’État n’est pas totalement uniforme. Dans un avis au moins, rendu par les chambres flamandes, la section de législation a ainsi acté qu’en vertu de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle postérieure à l’arrêt n° 31/2004, une habilitation législative en faveur du pouvoir exécutif dans une matière qui n’est pas réservée à la loi n’est pas inconstitutionnelle, tout en ajoutant immédiatement qu’il n’en reste pas moins désirable, sur le plan de la légitimité démocratique, que les « principaux éléments » de la matière soient arrêtés par le législateur lui-même au terme d’un débat public au parlement : avis n° 59.000/1/3 du 25 mars 2016 sur un projet devenu le décret « houdende diverse bepalingen betreffende het beleidsdomein Welzijn, Volksgenzondheid en Gezin », Doc. parl., Parlement flamand, 2015-2016, n° 773/1, p. 200. Il y a fort à parier que la section de législation du Conseil d’État va être amenée à définir prochainement une nouvelle position de principe en assemblée générale au sujet de la répartition des attributions entre la loi et le règlement dans les matières résiduaires.

(10)

2. Dans les matières réservées à la loi

8. Parallèlement aux principes généraux déduits des articles 105 et 108 de la Constitution, il est un certain nombre de matières dans lesquelles la Constitution consacre un principe de léga- lité spécifique, que l’on pourrait qualifier de renforcé. On pense en particulier au droit pénal, au droit des libertés publiques, au droit de l’enseignement ou encore au droit fiscal. Dans toutes ces matières, une ou plusieurs dispositions constitutionnelles réservent en effet explicitement un certain nombre de prérogatives au législateur. Ainsi, dans le champ pénal, les incriminations doivent être établies « par la loi » (art. 12, al. 2) et les peines prévues « en vertu de la loi » (art. 14).

S’agissant des droits et libertés, de nombreux droits doivent être consacrés, et d’éventuelles im- mixtions autorisées, « par la loi », « par une loi » ou « par le pouvoir législatif » – ou « la loi, le décret ou [l’ordonnance] garantissent » tel et tel droit (titre II). En matière d’enseignement, l’organisation, la reconnaissance et le subventionnement doivent être réglés « par la loi ou le décret » (art. 24, § 5).

En matière fiscale, l’impôt ne peut être établi que « par une loi » (art. 170, § 1er), etc.

Dans ces différentes matières, le pouvoir susceptible d’être confié au roi doit donc être davantage balisé que d’ordinaire. Ces matières ne sont en effet pas seulement soumises aux principes géné- raux qui viennent d’être exposés. Elles sont en outre subordonnées au respect d’un principe de lé- galité propre, qui prend la forme d’une base textuelle réservant expressément un certain nombre de compétences au législateur. Ce sont les matières dites réservées à la loi (24).

9. La Cour constitutionnelle n’a pas attendu l’élargissement de ses compétences au-delà des principes d’égalité et de non-discrimination pour contrôler, par le biais des articles 10 et 11, le respect de la répartition des compétences entre pouvoir législatif et pouvoir exécutif dans ces matières. Très vite, elle a en effet considéré que, dans les matières réservées par la Constitution à la loi, le fait de voir la problématique en cause être examinée par une assemblée délibérante démocratiquement élue s’apparente à une garantie individuelle pour tous les citoyens concernés.

Dans la foulée, elle a jugé qu’une différence de traitement entre administrés découlant de ce que, dans une matière réservée, la norme régissant la situation de certains n’est pas l’œuvre du pouvoir législatif est, en règle, discriminatoire, car elle prive une catégorie d’une garantie essentielle par rapport aux administrés bénéficiant, eux, du principe de légalité. Depuis l’extension des normes de référence soumises au contrôle de la Cour, en 2003, à l’ensemble du titre II de la Constitution ainsi que, en particulier, aux articles 170 et 172 relatifs à la matière fiscale, le détour par le prisme de l’égalité n’est plus nécessaire : dans ces matières, la Cour contrôle désormais directement le respect du principe de légalité.

Il importe de préciser que, même dans les matières réservées, on admet que le législateur puisse confier au roi des missions d’exécution de la loi. Mais l’ampleur de ces attributions est limitée par une bottom line dont le tracé est, dans son principe au moins, net : au sein d’une matière réservée à la loi, au moins « les éléments essentiels » des mesures à exécuter – telle est la formule constam- ment employée par la Cour constitutionnelle – doivent être fixés par le législateur lui-même. Par voie de conséquence, la Cour conditionne les attributions de compétences au pouvoir exécutif à l’exigence que ces attributions soient définies de manière suffisamment précise et qu’elles ne portent que sur la mise en œuvre de principes préalablement posés par une assemblée délibé-

(24) Sur le régime juridique des matières réservées à la loi, voy., outre les références citées à la note n° 9, W. PAS et B. STEEN, « “Met het nodige voorbehoud”. Het grondwettelijk voorbehoud aan de formele en de federale wetgever – Deel 1 », T.V.W., 2004, pp. 362-384 ; H. BORTELS et P. HEYVAERT, « Het legaliteitsbeginsel in de rechtspraak van het Grondwettelijk Hof: een variërende intensiteit van de toetsing », T.B.P., 2011, pp. 334-364 ; G. NINANE et S. PERIN, « La Cour constitutionnelle exerce-t-elle un contrôle à deux vitesses sur les compé- tences expressément réservées par la Constitution au législateur ? Questions posées quant aux délégations données au pouvoir exécutif », A.P., 2015, pp. 61-67.

(11)

rante démocratiquement élue. Autrement dit, ces attributions ne peuvent avoir pour objet la dé- termination des principes eux-mêmes (25).

Quelques coups de sonde dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle montrent toutefois que celle-ci tend en pratique à se montrer assez souple et à valider sans trop de difficultés les at- tributions de pouvoir. Que ce soit en matière pénale (26), d’enseignement (27) ou encore fiscale (28), la Cour est globalement plutôt accommodante pour le législateur. Tantôt en se contentant de peu d’indications pour considérer que tous les éléments essentiels d’une matière sont inscrits dans la loi ; tantôt, comme en matière fiscale en particulier, en allant jusqu’à accepter que le roi se voie confier le soin de régler lui-même des éléments essentiels, mais à la condition alors que la déléga- tion puisse être justifiée par des circonstances exceptionnelles et que la loi prévoie une procédure de ratification ex post et à bref délai des arrêtés adoptés sur habilitation. Et ce qui est accepté dans une matière ne l’est pas toujours dans l’autre, de sorte que l’intensité du contrôle de légalité apparaît assez fluctuante. Ainsi, la Cour n’admet généralement pas, en matière pénale et d’ensei- gnement, la possibilité, par contre tolérée en matière fiscale, de déléguer dans des circonstances exceptionnelles au pouvoir exécutif la détermination d’éléments essentiels. Du coup, il faut bien constater que la théorie des matières réservées à la loi a fort perdu de sa cohérence conceptuelle et de sa clarté au fil des assouplissements de plus en plus lâches – mais variables – qui ont été admis. On peut même relever un écart manifeste entre la réitération régulière, et quelque peu incantatoire, des principes applicables et l’application concrète de ces principes, souvent assez déférente. Il en résulte que, même pour les constitutionnalistes, la théorie des matières réservées à la loi s’apparente désormais à ce qu’il faut bien appeler un sac de nœuds (29).

Reste que, pour autant, tout n’est pas permis. Si, jamais à ce jour, la Cour n’a invalidé une disposi- tion législative dans une matière non réservée à la loi pour violation de la séparation des pouvoirs, il est en revanche plusieurs affaires, dans des matières réservées, dans lesquelles le rappel des prin- cipes applicables a été suivi par une annulation. Ainsi, pour ne prendre que quelques exemples, il est déjà arrivé que la Cour constitutionnelle invalide une disposition pénale pour non-conformité au principe de légalité, en jugeant certaines notions à ce point vagues et imprécises qu’il était impossible d’en déterminer la portée exacte (30). La Cour a également prononcé l’annulation d’un dispositif prévoyant une atteinte au droit de propriété dont l’étendue et les modalités étaient en- tièrement renvoyées au pouvoir exécutif (31). En matière d’enseignement, et notamment de droits d’inscription, la Cour a interdit aux gouvernements de communauté de « combler l’imprécision [des] principes ou [d’]affiner des options insuffisamment détaillées » au préalable par le législateur

(25) Certains se sont demandé s’il ne s’agissait pas là d’une manière pour la Cour « de préserver ses propres com- pétences, étant donné que les actes délégués échappent à son contrôle » (K. MUYLLE et J. THEUNIS, « La Cour constitutionnelle comme juge de la séparation des pouvoirs », op. cit., n° 47, p. 139, note infrapaginale n° 152).

Pour notre part, nous serions davantage enclin à y voir une exigence démocratique élémentaire.

(26) M. VAN DE KERCHOVE, « Développements récents et paradoxaux du principe de légalité criminelle et de ses corollaires essentiels  », Liber Amicorum Jean du Jardin, Deurne, Kluwer, 2001, pp.  299-320  ; E.  CLAES, «  Het strafrechtelijk legaliteitsbeginsel en de rechtspraak van het Arbitragehof: erosie van legaliteit? », T.B.P., 2006, pp. 451-469.

(27) X. DELGRANGE et C. NIKIS, « L’exigence de légalité en matière d’enseignement. La jurisprudence de la Cour d’arbitrage et du Conseil d’État relative à l’article 24, § 5 de la Constitution », A.P., 2000, pp. 203-235 ; B. STEEN,

«  Het legaliteitsbeginsel in onderwijsaangelegenheden (art.  24, §  5  G.W.)  : een stand van zaken  », T.O.R.B., 2000-2001, pp. 347-382 ; B. STEEN et L. VANCRAYEBECK, « L’exigence de légalité », Les grands arrêts du droit de l’enseignement (dir. X. DELGRANGE, L. DETROUX et M. EL BERHOUMI), Bruxelles, Larcier, coll. « Grands arrêts », 2016, pp. 651-676.

(28) V. SEPULCHRE, Droits de l’homme et libertés fondamentales en droit fiscal, préface de R. ERGEC, Bruxelles, Larcier, coll. « Droit fiscal », 2005, nos 15 à 64, pp. 27-62 ; A. LACHAPELLE et S. WATTIER, « L’influence du droit constitu- tionnel sur le droit fiscal », Ann. dr. Louvain, vol. 75, nos 3-4, 2015, pp. 390-396 ; H. BORTELS et J. THEUNIS, « Het fiscale legaliteitsbeginsel in de rechtspraak van het Grondwettelijk Hof (2005-2015) », T.F.R., 2016, pp. 418-438.

(29) Voy. en effet les analyses, souvent empreintes de beaucoup de perplexité, des auteurs cités aux notes nos 9 et 24.

(30) C.A., 20 octobre 2004, n° 158/2004, B.9.

(31) C.A., 30 juin 2004, n° 115/2004, B.3.

(12)

décrétal, exigeant de celui-ci qu’il exprime « sans ambiguïté une volonté politique unique » (32). Dans le champ fiscal, la Cour a jugé inconstitutionnelle une délégation au roi qui énumérait de manière simplement exemplative et non limitative les critères sur la base desquels le montant exact d’un impôt devait être déterminé (33), etc.

Malgré toutes les incertitudes qui planent autour du régime juridique précis des matières réser- vées à la loi, on peut donc conclure, avec Jan Velaers, à l’existence dans ces matières d’une forme de « droit au législateur » (34).

10. Avant d’en venir à l’article 23 de la Constitution, on terminera ce point préliminaire en sou- lignant que tout ce qui précède, c’est-à-dire les principes généraux applicables en matière de délimitation du pouvoir d’exécution des lois comme la théorie des matières réservées à la loi, s’applique également, mutatis mutandis, aux relations entre le législateur et le pouvoir exécutif au sein de chacune des communautés et des régions. Par le biais de deux formules calquées sur les articles 108 et 105 de la Constitution, la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles confie en effet aux gouvernements des entités fédérées le soin de faire les règlements et arrêtés nécessaires pour l’exécution des décrets et ordonnances, d’une part, et autorise ces mêmes gou- vernements à faire œuvre normative pour autant qu’ils disposent d’une habilitation légale, d’autre part (35). Quant aux matières réservées, elles trouvent leur siège directement dans la Constitution.

Ce n’est pas anodin pour ce qui concerne la protection sociale, compte tenu du développement, depuis longtemps déjà, d’un important droit fédéré de l’emploi, de la formation professionnelle, de la santé et de l’aide aux personnes, et étant entendu que la sixième réforme de l’État adoptée en 2014 est venue substantiellement accélérer le mouvement (36).

B. Le principe de légalité déduit de l’article 23 de la Constitution, ou la consécration d’un

« droit au législateur » en matière de sécurité sociale ?

11. Introduit en 1994 dans notre charte fondamentale, l’article 23 de la Constitution proclame le droit de chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine et, dans la foulée, consacre une série de droits économiques, sociaux et culturels fondamentaux, parmi lesquels le droit à la sécurité sociale.

Comme on le sait, ces droits économiques, sociaux et culturels, à tout le moins le droit à la sécu- rité sociale, sont habituellement considérés comme dépourvus d’effet direct, et donc comme ne pouvant servir de fondement à l’invocation d’un droit subjectif à telle ou telle prestation positive devant un juge. C’est, en vertu du libellé même du texte, au législateur, ou plutôt aux législateurs, qu’il appartient de concrétiser les droits économiques, sociaux et culturels, afin de donner corps au prescrit constitutionnel. En son alinéa 2, l’article 23 prévoit en effet : « la loi, le décret ou [l’ordon- nance] garantissent […] les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les condi- tions de leur exercice ». Et il est largement admis que, dans l’accomplissement de cette mission, les législateurs fédéral, régionaux et communautaires disposent, chacun dans les limites de ses compétences, d’une large marge d’appréciation  : c’est à eux qu’il appartient d’opérer les choix politiques fondamentaux, d’adopter les textes nécessaires, de définir les notions centrales, de pro- céder aux arbitrages budgétaires…

(32) C.A., 7 mai 1992, n° 33/92, B.5.2. et, mais avec une formulation un peu différente, C.A., 1er juin 1994, n° 45/1994, B.8.

(33) C.C., 16 juin 2011, n° 103/2011, B.5. et B.6.

(34) J. VELAERS, « Het ‘recht op de wetgever’ », op. cit., n° 13, p. 1641.

(35) Loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, M.B., 15 août 1980, art. 20 et 78.

(36) Pour un tour d’horizon des nouvelles compétences régionales et communautaires en matière sociale, voy.

D.  DUMONT (dir.), « L’impact de la sixième réforme de l’État sur la sécurité sociale et le marché du travail : regards de juristes », numéro spécial de la R.B.S.S., vol. 57, n° 2, 2015, pp. 173-464.

(13)

Notre propos n’est pas de revenir une nouvelle fois sur le régime juridique de l’article  23 de la Constitution, dont les grands traits sont globalement bien connus (37). Seule nous intéresse ici la question de savoir si la disposition n’impose pas une certaine répartition des tâches entre le pou- voir législatif et le pouvoir exécutif dans la mise en œuvre du mandat constitutionnel. L’article 23 n’est-il pas porteur, dans les champs couverts par les différents droits économiques, sociaux et culturels qu’il consacre, et en particulier en matière de sécurité sociale, d’un principe de légalité, en réservant explicitement la garantie de ces droits au législateur formel ?

Les travaux préparatoires ne sont guère diserts sur la question (38). À leur suite, la doctrine relative à la portée juridique du droit à la sécurité sociale, à la protection de la santé et à l’aide sociale et médicale consacré par l’article 23, alinéa 3, 2°, de la Constitution ne l’est pas davantage (39). Pour- tant, la lettre du texte ne devrait a priori guère laisser de place au doute, nous semble-t-il, dans la mesure où le libellé retenu est manifestement calqué sur celui d’autres dispositions du titre II de la Constitution ayant pour objectif autant que pour effet de réserver une matière au pouvoir législatif (art. 11, 11bis, 22 et 22bis). Il est vrai que, dans le cas de l’article 23, le renvoi aux législateurs pour- rait s’expliquer avant tout par la volonté du constituant, exprimée à de nombreuses reprises dans les travaux préparatoires, de priver la disposition de tout effet direct (40). Mais il n’y a pas d’incompa- tibilité entre l’un et l’autre constat. De surcroît, on soulignera qu’au regard des autres dispositions constitutionnelles précitées, l’article 23 va plus loin, en ajoutant après la formule « la loi, le décret ou [l’ordonnance] garantissent […] les droits économiques, sociaux et culturels », la précision « et déterminent les conditions de leur exercice » : c’est aux législateurs, au sens formel du terme, qu’il appartient de donner chair aux droits économiques, sociaux et culturels.

Par voie de conséquence, il faut en déduire à notre sens que l’ensemble de la législation visant à concrétiser le droit constitutionnel à la sécurité sociale a basculé, en 1994, du statut de matière résiduaire à celui de matière réservée à la loi. À suivre cette lecture, l’article 23 de la Constitution

(37) Pour une synthèse focalisée sur la portée du droit à la sécurité sociale, on se permet de renvoyer à D. DUMONT,

« Le “droit à la sécurité sociale” consacré par l’article 23 de la Constitution : quelle signification et quelle justi- ciabilité ? », Questions transversales en matière de sécurité sociale (coord. D. DUMONT), Bruxelles, Bruylant, coll.

« UB3 », 2017, pp. 11-98.

(38) Révision du titre II de la Constitution, par l’insertion d’un article 24bis relatif aux droits économiques et sociaux, Doc. parl., Sénat, sess. extraord. 1991-1992, n° 100-2/3° et 4°.

(39) Voy. en effet M. DISPERSYN, « Le droit à la sécurité sociale dans l’article 23 de la Constitution », Les droits éco- nomiques, sociaux et culturels dans la Constitution (dir. R. ERGEC), Bruxelles, Bruylant, coll. « Faculté de droit de l’Université libre de Bruxelles », 1995, pp. 193-230 ; M. JAMOULLE, « L’article 23 de la Constitution belge dans ses relations avec les droits sociaux fondamentaux, le droit du travail et la sécurité sociale », Sociale grond- rechten als bakens voor een vernieuwd sociaal recht, Liber Amicorum Professor Maxime Stroobant (dir. G.  VAN  LIMBERGHEN et K. SALOMEZ), Gand, Mys & Breesch, 2001, pp. 121-147 ; A. VAN LOOVEREN, « Sociale grondrechten en minimarechten », Actuele problemen van het socialezekerheidsrecht (dir. R. JANVIER, A. VAN REGENMORTEL et V.  VERVLIET), Bruges, die Keure, coll. «  Recht en sociale zekerheid  », 2003, pp.  241-300  ; J.-F.  LECLERCQ,

« Sociale zekerheid: honderdduizend of niets, stop je of ga je verder? », J.T.T., 2007, pp. 317-331 ; D. PIETERS et P. SCHOUKENS, « Country Report on Belgium », Security: A General Principle of Social Security Law in Europe (dir. U. BECKER, D. PIETERS, F. ROSS et P. SCHOUKENS), Groningen, Europa Law Publishing, 2010, pp. 21-65 ; L. GOOSSENS, « Het grondrecht op sociale zekerheid en sociale bijstand: dammen tegen de afbouw van de sociale welvaartsstaat? », R.W., 2014-2015, pp. 803-824 ; H. VERSCHUEREN, « Het recht op sociale zekerheid als een grondrecht: een overzicht van het internationaal en nationaal juridisch kader », Grondrechten en sociale zekerheid (dir. A. VAN REGENMORTEL et H. VERSCHUEREN), Bruges, die Keure, coll. « Belgisch Genootschap voor Arbeids- en Socialezekerheidsrecht », 2016, pp. 1-36 ; P. SCHOUKENS, « Belgium: The Right to Social Se- curity in the Belgian Constitution », The Right to Social Security in the Constitutions of the World. Broadening the Moral and Legal Space for Social Justice (dir. A. EGOROV et M. WUJCZYK), Genève, International Labour Orga- nization, coll. « ILO Global Study », 2016, pp. 7-19. Une exception importante, on va y revenir, est J.-F. NEVEN, E. DERMINE, S. PALATE et S. GILSON, « Les droits à la sécurité sociale et à l’aide sociale, médicale et juridique », Les droits constitutionnels en Belgique. Les enseignements jurisprudentiels de la Cour constitutionnelle, du Conseil d’État et de la Cour de cassation (dir. M. VERDUSSEN et N. BONBLED), préface de F. TULKENS, vol. 2, Bruxelles, Bruylant, 2011, pp. 1323-1382.

(40) Ce point est accentué par H.  BORTELS et P.  HEYVAERT, «  Het legaliteitsbeginsel in de rechtspraak van het Grondwettelijk Hof », op. cit., nos 83 et 85, pp. 355-356.

(14)

consacrerait donc un « droit au législateur » en sécurité sociale. Cela veut dire que, en cette ma- tière, le pouvoir exécutif n’est plus seulement tenu, ainsi que le lui impose depuis toujours l’ar- ticle 108 de la Constitution, d’agir dans les limites de l’économie générale des lois à exécuter. Le législateur a en outre l’obligation, dans chaque régime et dans chaque secteur de la sécurité so- ciale, d’en consigner tous les éléments essentiels dans un texte de rang législatif. À tout le moins, compte tenu des incertitudes qui planent sur l’ampleur exacte des délégations autorisées dans les matières réservées à la loi, on devrait admettre, en toute logique, que le pouvoir susceptible d’être confié au roi dans le champ de la sécurité sociale doit être plus limité que dans les matières non réservées, sous peine de renoncer à toute cohérence.

12. Il faut bien le constater, telle n’est pas vraiment la voie qui a été suivie par la Cour consti- tutionnelle jusqu’à présent (41). Certes, alors qu’on ne peut pas dire qu’elle était poussée dans le dos par la doctrine, la Cour a reconnu assez vite, après quelque tergiversation (42), que l’article 23 recèle une « exigence de légalité » (43). Dans la mesure où la disposition assigne au législateur for- mel l’obligation positive de réaliser progressivement les droits économiques, sociaux et culturels, c’est à lui qu’il appartient de mettre en œuvre ces droits. Mais la Cour a également affirmé, et tout aussi vite, à l’occasion d’une affaire concernant du reste plus spécifiquement le droit à la sécurité sociale, que la matière n’est pas « pareillement » réservée à la loi que la matière fiscale, se conten- tant d’indiquer ensuite que le législateur avait en l’espèce satisfait au prescrit constitutionnel en définissant lui-même « les limites » – en l’occurrence particulièrement lâches – dans lesquelles les pouvoirs attribués au roi peuvent être exercés (44).

Depuis, le standard de contrôle employé par la Cour a régulièrement varié d’un arrêt à l’autre.

Dans sa déclinaison la plus laxiste, qui est aussi la plus fréquente et qui semble exprimer la posi- tion actuelle de la Cour, il se réduit à l’exigence que le législateur formule « l’objet » des mesures à adopter (45),  (46), tandis qu’à l’autre bout du spectre, il consiste à imposer au législateur d’« établi[r]

(41) Pour des analyses antérieures de la question, voy. G.  MAES, De afdwingbaarheid van sociale grondrechten, Anvers, Intersentia, 2003, nos 817-826, pp. 415-419 ; A. VANDEBURIE, L’article 23 de la Constitution. Coquille vide ou boîte aux trésors ?, Bruxelles, la Charte, coll. « Bibliothèque de droit administratif », 2008, nos 63 et 65, pp. 70 et 72 ; I. HACHEZ, Le principe de standstill dans le droit des droits fondamentaux : une irréversibilité relative, Bruxelles/

Athènes/Baden-Baden, Bruylant/Sakkoulas/Nomos Verlagsgesellschaft, coll. «  Droits fondamentaux  », 2008, nos 260 et 265, pp. 293-295 et 298 ; M. VERDUSSEN et N. BONBLED, « Les droits culturels et sociaux dans la Constitution belge », Les droits culturels et sociaux des plus défavorisés (dir. M. VERDUSSEN), Bruxelles, Bruylant, 2009, pp. 67-68 ; M. BOSSUYT, « Artikel 23 van de Grondwet in de rechtspraak van het Grondwettelijk Hof », Sociale en economische grondrechten. Artikel 23 Gw.: een stand van zaken na twee decennia (dir. W. RAUWS et M. STROOBANT), Anvers/Louvain-la-Neuve, Intersentia/Anthemis, 2010, pp. 60-61 ; et surtout H. BORTELS et P. HEYVAERT, « Het legaliteitsbeginsel in de rechtspraak van het Grondwettelijk Hof », op. cit., nos 81 à 112, pp. 355-363. Adde G. NINANE et S. PERIN, « La Cour constitutionnelle exerce-t-elle un contrôle à deux vitesses sur les compétences expressément réservées par la Constitution au législateur ? », op. cit. Voy. encore, cette fois spécifiquement à propos de l’article 23, al. 3, 2°, J.-F. NEVEN, E. DERMINE, S. PALATE et S. GILSON, « Les droits à la sécurité sociale et à l’aide sociale, médicale et juridique », op. cit., nos 25-36, pp. 1342-1351.

(42) C.A., 10 février 1999, n° 14/99, B.6.2.

(43) C.A., 6 octobre 1999, n° 103/99, B.3.2. ; C.A., 6 octobre 1999, n° 104/99, B.4.2.

(44) C.A., 3  avril 1998, n°  18/98, B.6. Voy. aussi C.A., 5  juin 2002, n°  93/2002, B.4.3.  ; C.A., 27  novembre 2002, n° 172/2002, B.4.3.

(45) C.C., 10 juillet 2008, n° 101/2008, B.39. (c’est l’arrêt dit Wooncode, qui a plutôt retenu l’attention de la doctrine pour les autres questions sensibles qu’il a tranchées : voy. toutefois la note de B. HUBEAU, « De rechterlijke tussenkomst bij de ontbinding van de sociale huurovereenkomst gerehabiliteerd », R.W., 2008-2009, n° 18, pp. 1142-1143) ; C.C., 18 décembre 2008, n° 182/2008, B.6.3. ; C.C., 9 décembre 2010, n° 135/2010, B.15. ; C.C., 22 décembre 2010, n° 151/2010, B.4. ; C.C., 28 juin 2012, n° 84/2012, B.5.2. ; C.C., 12 juillet 2012, n° 88/2012, B.13.3. ; C.C., 31 juillet 2013, n° 110/2013, B.4. ; C.C., 3 avril 2014, n° 62/2014, B.3.2. ; C.C., 5 mars 2015, n° 24/2015, B.39. ; C.C., 17 mars 2016, n° 42/2016, B.8.1. ; C.C., 6 octobre 2016, n° 125/2016, B.50.1. et B.63.1. Dans une espèce plus ancienne, la Cour a même validé l’attribution au roi de pouvoirs spéciaux en matière de sécurité sociale : C.A., 13 février 2002, n° 37/2002, B.2.6.

(46) Dans un arrêt isolé, la Cour est allée encore en deçà, mais sans doute par accident. N’ayant pas perçu que la loi au sujet de laquelle une question préjudicielle lui était posée relevait de la sécurité sociale – l’affaire concernait l’étendue de l’assujettissement au régime des travailleurs salariés –, et, partant, était couverte par l’article 23

(15)

lui-même le principe » dont la mise en œuvre est laissée au roi (47), l’exigence de poser les limites dans lesquelles les pouvoirs attribués au roi peuvent être exercés constituant une forme de version médiane entre ces deux variantes. Dans un arrêt n° 147/2005, isolé mais rendu en séance plénière et relatif au droit à la sécurité sociale, la Cour s’est montrée plus sourcilleuse, en posant, comme elle l’a fait en matière d’enseignement, qu’à travers des délégations, « un gouvernement ne sau- rait combler l’imprécision des principes arrêtés par le législateur compétent lui-même ou affiner des options insuffisamment détaillées ». Et de souligner, dans le cas qui lui était soumis, que « les compétences qui ont été déléguées […] sont limitées par des choix opérés par le législateur […]

lui-même », avant de renvoyer explicitement aux juridictions administratives et judiciaires le soin de contrôler l’usage que fera le gouvernement de ces délégations (48).

Depuis cet arrêt, la section de législation du Conseil d’État considère de manière constante que, dans les matières visées à l’article 23 de la Constitution, il appartient au législateur formel « de fixer les éléments essentiels de la réglementation en projet » et que « seul le pouvoir d’exécuter les mesures dont les éléments essentiels sont fixés au préalable par le législateur peut être laissé au roi » (49), ce qui revient à mettre ces matières exactement sur le même pied que les autres matières réservées par la Constitution à la loi.

Il reste que, jamais à ce jour, la Cour n’a, en matière de droits économiques, sociaux et culturels, fait explicitement usage de son critère habituel des éléments essentiels (50). Il est vrai que l’exigence d’une définition par la loi du «  principe  » et, plus encore, «  des choix  » à mettre en œuvre s’en rapproche quelque peu. Mais, en sens inverse, la Cour a eu l’occasion de souligner aussi, à propos d’une délégation au gouvernement dont la validité était contestée, qu’elle « fixe, ce qui n’est pas exigé par l’article 23 de la Constitution, les aspects essentiels » du dispositif à adopter (51). De sur- croît, indépendamment de la fluctuation du standard de contrôle lui-même, il est frappant que l’application concrète qui en est faite par la Cour est généralement nettement moins rigoureuse que dans les autres matières réservées. C’est pourquoi le principe de légalité déduit de l’article 23 tend à être considéré par la doctrine – néerlandophone en tout cas – comme une variante « af- faiblie » (52), « édulcorée » (53) ou encore « atténuée » de ce principe (54),  (55). De fait, on ne recense aucune annulation sur cette base à ce jour.

de la Constitution, elle a déclaré son incompétence pour censurer une disposition réglant la répartition d’at- tributions entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, soit la formule usuelle qu’elle répète lorsqu’une violation du principe de légalité est invoquée dans une matière non réservée à la loi : C.C., 22 septembre 2016, n° 118/2016, B.4.

(47) C.A., 21 juin 2006, n° 103/2006, B.3.3. Voy. aussi, mais avec des formulations un peu différentes, C.A., 1er avril 1998, n° 37/98, B.4.4. ; C.A., 15 mars 2006, n° 43/2006, B.21. ; C.C., 17 avril 2008, n° 64/2008, B.33. et B.55.

(48) C.A., 28 septembre 2005, n° 147/2005, B.11.2. et B.11.6.

(49) À notre connaissance, ces exigences ont été formulées par le Conseil d’État pour la première fois en 2005, dans son avis relatif au projet de loi relatif au pacte de solidarité entre les générations, et sous l’angle du droit à la sé- curité sociale : avis n° 39.420/1/2 des 22 et 23 novembre 2005, Doc. parl., Chambre, 2005-2006, n° 51 2128/001, p. 114.

(50) Il faut toutefois signaler la possible exception que constitue C.A., 14 décembre 2005, n° 189/2005, B.10.3., mais en ajoutant immédiatement que, dans cette affaire, l’article 23 a été mobilisé en même temps que d’autres dispositions du titre II de la Constitution réservant certaines attributions au législateur.

(51) C.C., 9 décembre 2010, n° 135/2010, B.15.

(52) M.  BOSSUYT, «  Artikel  23 van de Grondwet in de rechtspraak van het Grondwettelijk Hof  », op. cit., p.  61  ; H. BORTELS et P. HEYVAERT, « Het legaliteitsbeginsel in de rechtspraak van het Grondwettelijk Hof », op. cit., n° 1, p. 334 ; A. ALEN et K. MUYLLE, Compendium van het Belgisch staatsrecht, op. cit., vol. 1, n° 80, p. 36, note infrapaginale n° 89 ; S. SOTTIAUX, Grondwettelijk recht, op. cit., p. 195.

(53) K. MUYLLE et J. THEUNIS, « La Cour constitutionnelle comme juge de la séparation des pouvoirs », op. cit., n° 23, p. 126.

(54) P. POPELIER, « La loi aujourd’hui (le principe de légalité) », op. cit., n° 45, p. 40. Dans le même sens encore, J. 

VELAERS, « Het “recht op de wetgever” », op. cit., n° 5, p. 1635 et J. VANDE LANOTTE et al., Belgisch publiekrecht, op. cit., vol. 1, n° 971, p. 686. Adde T. MOONEN, De keuzes van het Grondwettelijk Hof. Argumenten bij de interpre- tatie van de Grondwet, Bruges, die Keure, coll. « Bibliotheek grondwettelijk recht », 2015, n° 213, p. 156.

(55) Par contraste, la doctrine francophone (voy. les auteurs référencés à la note n° 41) tend à mettre en exergue l’arrêt n° 147/2005 cité à la note n° 48, certes relatif au droit qui nous intéresse plus particulièrement ici, le droit

Références

Documents relatifs

ADJOINT TECHNIQUE PPAL 1ER CL AGENT DE CENTRE TRAITEMENT CT1 POLE PROPRETE CADRE DE VIE ET VALORISATION DES DECHETS DIRECTION DE LA VALORISATION DES DECHETS ADJOINT TECHNIQUE PPAL

Service transports publics de voyageurs - Exploitation des lignes interurbaines, urbaines, dessertes scolaires et des piscines de la Métropoe - Secteur.

Reçu au Contrôle de légalité le 23 décembre 2016... Reçu au Contrôle de légalité le 23

1 Semaine complète Cahier d’astreintes, véhicule de service, téléphone portable d’astreinte. Reçu au Contrôle de légalité le 23

Les peines correctionnelles 131-3, 131-4 code pénal ce sont les infractions punies d’une peine d’emprisonnement de 10 an au plus et ou d’une amande supérieur a 3750 E..

Les reproches à l’encontre du Parti de Dieu dessinent l’image d’un parti qui serait la branche politique d’une armée, d’un mouvement plus attaché au devenir des

Distinction entre le droit pénal matériel et le droit pénal formel 12..

Les droits fondamentaux ne sont pas absolus. Sous réserve de leur noyau intangible, la loi peut en restreindre l'exercice dans l'intérêt public, en respectant le