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Les coulisses de la quantification des langues : Executive Summary = Hinter den Kulissen der Quantifizierung von Sprachen: Executive Summary

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Les coulisses de la quantification des langues

I retroscena della quantificazione delle lingue

Davos las culissas da la quantificaziun da linguas

Hinter den Kulissen der Quantifizierung von Sprachen

Executive Summary

Alexandre Duchêne, Renata Coray, Philippe Humbert

2019

Illustr

ation originale d'O

nc le Phil , © tous dr oits r éser vés, 2016

(2)

Les coulisses de la quantification des langues

Executive Summary

I retroscena della quantificazione delle lingue

Sommario esecutivo

Davos las culissas da la quantificaziun da linguas

Executive Summary

Hinter den Kulissen der Quantifizierung von Sprachen

Executive Summary

Alexandre Duchêne, Renata Coray, Philippe Humbert

2019

Rapport du Centre scientifique de competence sur le plurilinguisme Rapporto del Centro scientifico di competenza per il plurilinguismo Rapport dal Center scientific da cumpetenza per la plurilinguitad Bericht des Wissenschaftlichen Kompetenzzentrums für Mehrsprachigkeit

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Index

Français Les coulisses de la quantification des langues 7

1 Contexte, objectifs et méthodes 8

2 Aperçu des résultats de recherche 11

2.1 Histoire de la statistique officielle des langues en Suisse 11 2.2 Les défis de la réalisation d’une nouvelle enquête statistique

officielle sur les langues 13

2.3 Le traitement médiatique des statistiques linguistiques 19

3 Conclusion 22

4 Bibliographie 80

5 Abréviations 81

Italiano I retroscena della quantificazione delle lingue 25

1 Contesto, obiettivi e metodi 26

2 Panoramica dei risultati della ricerca 29

2.1 Storia della statistica ufficiale delle lingue in Svizzera 29 2.2 Le sfide di una nuova inchiesta statistica ufficiale sulle lingue 31 2.3 Il trattamento mediatico delle statistiche linguistiche 36

3 Conclusione 40

4 Bibliografia 80

5 Acronimi 81

Rumantsch Davos las culissas da la quantificaziun da linguas 43

1 Context, finamiras e metodas 44

2 Survista dals resultats da la retschertga 47

2.1 Istorgia da la statistica uffiziala da las linguas en Svizra 47 2.2 Las sfidas d’ina nova enquista statistica uffiziala davart

las linguas 49

2.3 Il resun medial da las statisticas linguisticas 55

3 Conclusiun 58

4 Bibliografia 80

5 Abreviaziuns 81

Deutsch Hinter den Kulissen der Quantifizierung von Sprachen 61

1 Kontext, Ziele und Methoden 62

2 Übersicht der Untersuchungsresultate 65

2.1 Geschichte der offiziellen Sprachenstatistik in der Schweiz 65 2.2 Die Herausforderungen einer neuen offiziellen statistischen

Sprachenerhebung 68

2.3 Die mediale Verarbeitung der Sprachenstatistiken 74

3 Schlussfolgerungen 77

4 Bibliografie 80

(4)

6 Français 7

Les coulisses de la quantification

des langues

Executive Summary

(5)

Les coulisses de la quantification des langues 8 Les coulisses de la quantification des langues 9

les réponses. Finalement, nous avons exa-miné comment les chiffres publiés par les autorités circulent dans des sphères d’in-fluence, telles que les médias et le champ politique, et la manière dont ils sont appro-priés et/ou contestés.

Cette recherche, dont nous dégageons les principaux résultats dans cette synthèse, s’est organisée autour de trois grands axes d’investigation. Un axe historiographique qui a cherché à mettre en évidence les grandes étapes de l’évolution historique des statis-tiques sur les langues en Suisse. Un axe eth-nographique qui a examiné la manière dont s’élabore une enquête statistique sur les langues, ceci en documentant les différentes étapes d’une enquête contemporaine (rédac-tion du ques(rédac-tionnaire, passa(rédac-tion de l’enquête, traitement des données). Et finalement un axe médiatique dans lequel nous avons étu-dié les diverses appropriations des résul-tats tels qu’ils circulent dans l’espace public. Le premier corpus, à savoir les données historiographiques (de 1850, date de la publi-cation des premières statistiques des lan-gues en Suisse, à nos jours), est constitué de documents d’archives, de publications officielles du gouvernement et du parlement fédéral (Feuille Fédérale, Bulletin officiel de l’Assemblée fédérale, etc.), ainsi que de publi-cations et de documents de l’Office fédéral de la statistique (OFS) (rapports méthodo-logiques, matériel de recensement, etc.). Nous avons par ailleurs enrichi ce corpus d’entre-tiens d’expert∤e∤s ayant pris part à des recen-sements ou les ayant suivis de près. Nous avons étudié de manière systématique, en nous appuyant sur des analyses textuelles (Bauman & Briggs, 1990 ; Park & Bucholtz, 2009), les diverses formulations et

défini-tions des quesdéfini-tions sur les langues dans les recensements, de même que nous avons exa-miné les débats et rapports d’expertise qui ont conduit à la modification de certaines formulations ou encore au changement des modes de récoltes de données.

Le deuxième corpus est composé de don-nées ethnographiques récoltées lors de notre travail de terrain qui consistait à accompa-gner et à documenter la réalisation d’une nouvelle enquête statistique sur les langues : l’Enquête sur la langue, la religion et la culture (ELRC). Cette enquête s’inscrit dans une série de développements méthodologiques à l’OFS. Depuis 2010, le traditionnel recensement de la population décennal est remplacé par un nouveau système de récolte de données com-binant plusieurs sources et méthodes. Outre les registres des habitant∤e∤s, et le relevé structurel (une enquête par échantillonnage annuel), l’OFS propose chaque année une analyse thématique approfondie. En 2014, l’OFS a réalisé pour la première fois l’étude ELRC qui sera répétée tous les cinq ans. Cette étude inclut un important volet sur les lan-gues en Suisse. Nous avons eu l’opportunité de suivre l’élaboration et la réalisation de cette enquête en qualité d’observateur∤trice∤s participant∤e∤s (nous avons à plusieurs reprises été consulté∤e∤s et avons fourni à l’OFS des rapports périodiques). Les données analy-sées sont constituées de notes de terrain prises durant des séances de discussions avec l’OFS, de focus-groupes durant lesquels les enquêteur∤trice∤s et les superviseur∤e∤s de l’institut de sondage expliquent leurs méthodes de travail, de notes de terrain prises par plusieurs chercheur∤e∤s assis∙e∙s à côté des enquêteur∤trice∤s durant 150 entretiens téléphoniques, ainsi que des documents

ins-1

Contexte, objectifs et méthodes

Les recensements des langues constituent un des piliers fondamentaux dans la repré-sentation du plurilinguisme helvétique. Ancrées dans une tradition de plus de 150 ans, les statistiques linguistiques officielles servent à définir la composition linguistique du ter-ritoire. C’est entre autres à l’aide des sta-tistiques que les autorités dessinent les contours des frontières linguistiques et observent l’évolution démographique des communautés linguistiques à travers le ter-ritoire. En Suisse, nous sommes régulière-ment confrontés à ces chiffres qui sont consul-tés par de nombreux·ses acteur·trice·s sociaux·ales. Ils font partie de notre paysage scientifique, médiatique et politique, et font souvent l’objet d’âpres débats politiques et scientifiques, révélant des divergences sur ce qui compte comme « francophone », comme « plurilingue », comme « dialectophone », etc. Fondamentalement, ils viennent interroger ce qui fait la particularité de la Suisse, à savoir sa diversité linguistique, à laquelle est associée un imaginaire national et une certaine idée de la cohésion sociale.

Le point de départ de ce travail n’est pas stricto sensu statistique, il est avant tout sociolinguistique. Si les chiffres sont consti-tutifs d’une certaine image de la Suisse, ils posent une série de questions à la fois lin-guistiques et politiques. En effet, nous le savons, pour quantifier les pratiques langagières, il est nécessaire de catégoriser ce qui compte comme langue ou non, de réduire des phéno-mènes sociolinguistiques complexes en

uni-tés quantifiables. Quantifier les langues n’est pas un processus neutre, cela implique des décisions méthodologiques ancrées dans cer-taines conceptions du langage sur lesquelles les linguistes eux-mêmes sont en désaccord (qu’est-ce qu’une langue ? en quoi le dialecte est-il différent du standard ? qu’est-ce que le plurilinguisme ? etc.). Ces décisions ne sont pas sans conséquence. En fonction des ques-tions que l’on pose, de la manière dont on les formule, et du type de récolte et de traitement que l’on fait des données, les statistiques obte-nues contribuent à rendre certains groupes d’individus ou certaines pratiques plus visibles, ou au contraire à les effacer du paysage lin-guistique national.

C’est pourquoi nous avons cherché dans ce projet (effectué au Centre scientifique de compétence sur le plurilinguisme de Fribourg, 2014-2017), à mieux comprendre l’activité de compter les langues, les locuteur∤trice∤s et les pratiques langagières. Nous nous sommes intéressés à ce qui se passe dans les cou-lisses de chiffres que nous côtoyons quoti-diennement en tant que citoyen∤ne, cher-cheur∤e, journaliste ou encore politicien∤ne. Nous avons cherché à comprendre quels sont les raisonnements qui, au fil de l’histoire, président à la réalisation de statistiques lin-guistiques, quelles conceptions du langage, des langues, du plurilinguisme se donnent à voir dans la production et passation de ques-tionnaires sur les langues et quels défis ren-contrent les personnes qui répondent aux questions, de même que celles qui administrent

← Index

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Les coulisses de la quantification des langues 10 Les coulisses de la quantification des langues 11

2

Aperçu des résultats de recherche

2.1

Histoire de la statistique

officielle des langues en Suisse

Développement historique des modes de relevés statistiques sur les langues

Chargé de fournir des informations quanti-tatives sur l’évolution et l’état de la popula-tion, c’est en 1860 que l’OFS voit officielle-ment le jour en Suisse sous le nom de « Bureau fédéral de statistique » (voir Busset, 1993, et Jost, 2016, pour l’histoire des statistiques et des recensements de la population suisse). Depuis cette date, plusieurs manières de compter les langues ont été envisagées. Les premières données statistiques sont élabo-rées sur la base de la langue de la commune (1850, avant l’existence officielle de l’OFS) et de la langue parlée dans les ménages (1860-70). C’est en 1880 qu’une question linguis-tique sur la « langue maternelle » est intro-duite dans le recensement et donc posée de façon systématique à tou∤te∤s les habitant∤e∤s, de manière individuelle. La question linguis-tique sera maintenue (avec des variantes de formulation, cf. infra) dans le recensement général jusqu’en 1980. Dès 1990, cette ques-tion est accompagnée de deux quesques-tions com-plémentaires concernant les pratiques lan-gagières dans deux domaines (à la maison et au travail/à l’école). En 2010, le recensement exhaustif est abandonné au profit d’un relevé

structurel annuel, composé d’un échantillon d’au moins 200 000 individus âgés de 15 ans et plus qui se voient sollicités pour remplir un questionnaire. Les questions linguistiques sont maintenues dans le relevé structurel et une enquête thématique (ELRC) est conduite en 2014 afin de documenter plus en détail les pratiques langagières en Suisse.

Ces différentes manières de sonder la langue créent différents effets de saillance sur les groupes de locuteur∤trice∤s rendus visibles ou non. Compter les langues sur la base de la langue utilisée par la commune posait des problèmes dans des communes avec des habitant∤e∤s de langues différentes (notamment dans des régions à la frontière linguistique). Recenser les langues au tra-vers des ménages ne permettait pas de rendre compte de nombreux∤ses locuteur∤trice∤s logeant dans un ménage, p. ex. germano-phones, mais qui parlaient une autre langue comme l’italien ou le romanche. Le recense-ment général dès 1880 a permis de rendre compte de cette population. Par ailleurs, la disparition du recensement au profit du relevé structurel dès 2010 a entraîné, quant à elle, un problème inhérent à l’introduction de la méthode par échantillonnage, en particulier pour les groupes linguistiques de petite taille (voir Coray, 2017a et 2017b, pour le romanche). Il en va de même pour l’ELRC qui s’appuie sur un échantillonnage plus réduit encore. titutionnels liés à la conception et à la

pas-sation du questionnaire. De plus, nous avons pu enregistrer les 150 interactions télépho-niques de l’enquête (en français, en (suisse-) allemand et en italien) que nous avons ensuite transcrites. Les réponses telles qu’elles ont été codifiées dans la base de données de l’OFS ont été mises en relation avec les inter-actions. Nous avons alors analysé les défis rencontrés par les concepteur∤trice∤s, les enquêteur∤trice∤s, les répondant∤e∤s et les statisticien∤ne∤s, mobilisant ainsi à la fois les outils de l’analyse des interactions verbales (Traverso, 2008) et de l’analyse ethnogra-phique des enquêtes sociales (Cicourel, 1964 ; Merry, 2016).

Le troisième corpus, les données média-tiques, englobe principalement des coupures de presse répertoriées dans les archives de l’OFS et d’autres archives de presse. Le cor-pus de presse a porté sur la période de 1990 (moment où les questions du recensement ont connu une évolution majeure, cf. infra) à nos jours (incluant la réception de l’enquête ELRC 2014). Par ailleurs, pour les produits médiatiques liés aux résultats de l’ELRC 2014, nous avons élargi notre récolte aux journaux télévisés et radiophoniques. À la croisée des intérêts des politiques, des médias et du public, ces données ont donné lieu à une analyse des discours médiatiques d’inspira-tion foucaldienne (Keller, 2011). Nous avons alors observé quels aspects des résultats de l’OFS sont sélectionnés par les médias (ou non) et trouvent un écho (ou non) dans l’espace public. Nous avons par ailleurs ana-lysé la manière dont ces sélections théma-tiques ont été traitées et comment les

résul-1 Pour de plus amples informations concernant la méthodologie, cf. Duchêne, Humbert & Coray, 2018.

tats ont été interprétés par les acteur∤trice∤s médiatiques, pour finalement nous concen-trer sur la manière dont cette diffusion a été débattue par différents groupes d’intérêt.

Cette démarche1 et les questionnements

qui jalonnent notre étude nous permettent ainsi de proposer une lecture sociolinguis-tique des statissociolinguis-tiques sur les langues, de dégager les grands défis conceptuels sous-jacents au processus même de compter des langues et des locuteur∤trice∤s, de même que de saisir la portée politique de recenser les langues dans un territoire où la diversité lin-guistique est constitutive de l’image de la nation.

(7)

Les coulisses de la quantification des langues 12 Les coulisses de la quantification des langues 13

Elles estiment qu’il est préférable d’éviter le terme « maternel », car celui-ci suscite trop d’émotions et ne rend pas compte des véri-tables pratiques des individus, mais plutôt de leur sentiment d’appartenance familiale. A la locution « langue maternelle » est préfé-rée celle de « langue principale ». Au même moment, deux questions sont ajoutées sur les langues « habituellement parlées à la mai-son/avec les proches » et « au travail/sur le lieu de formation », permettant pour la pre-mière fois d’obtenir des résultats sur le plu-rilinguisme et la diglossie, puisque les répon-dant∤e∤s ont la possibilité de distinguer leurs pratiques langagières en indiquant l’utili-sation d’un/plusieurs standards et d’un/plu-sieurs dialectes suisses. L’apparition de ces deux questions concorde avec une volonté politique de soutenir scientifiquement et politiquement l’importance du plurilinguisme en Suisse. Cependant, la première question de la langue principale reste encore formu-lée au singulier, empêchant les répondant∤e∤s de se déclarer et de se définir comme bilingue ou plurilingue. Ce n’est qu’en 2010 qu’il devient possible d’indiquer plusieurs « lan-gues principales » dans le relevé structurel, élargissant encore l’empan des données sta-tistiques qu’il est possible d’obtenir sur le plurilinguisme.

Étant donné que la mobilité croissante des individus à travers la Suisse induit une recrudescence des contacts linguistiques, les chiffres sur le plurilinguisme individuel commencent à susciter plus d’intérêt. Basée sur des moyens technologiques plus sophis-tiqués, la diversification des modes de rele-vés statistiques de l’OFS reflète aussi la volonté d’essayer d’approfondir quantitati-vement des changements de société, tels que

le plurilinguisme et la diglossie, qui deviennent de plus en plus des sujets de débats écono-miques et politiques.

Ce bref aperçu historiographique sou-ligne combien l’évolution de la statistique des langues en Suisse constitue une forme de miroir de l’histoire sociale et politique des idées sur les langues. La manière de récol-ter les données, la récol-terminologie, la définition de la langue ou encore le nombre et l’ordre de passation des questions produisent des effets – certes de calculs – mais aussi de sens, permettant de donner à voir un certain type de paysage linguistique s’articulant à un certain imaginaire national au même titre qu’il soutient des enjeux politiques (voir Hum-bert, 2018, pour l’imaginaire linguistique cartographique). La diversification du paysage linguistique helvétique induit une complexi-fication dans la manière de compter les lan-gues. En ce sens, la nouvelle enquête ELRC constitue un terrain d’investigation sans pré-cédent, nous donnant accès à l’élaboration en temps réel d’une enquête statistique.

2.2

Les défis de la réalisation d’une

nouvelle enquête statistique

officielle sur les langues

Dans le prolongement des développements présentés ci-dessus, l’ELRC 2014, enquête réalisée par computer-assisted telephone interview (CATI) auprès d’un échantillon d’en-viron 16 500 répondant∤e∤s, a pour objectif de quantifier la diversité des pratiques lan-gagières en Suisse. Complémentaire au relevé structurel, cette enquête permet de poser davantage de questions et ainsi de

propo-Développement historique des questions sur les langues

De même que les manières de récolter des données ont évolué à travers le temps, celles de poser des questions sur les langues ont également pris des formes diverses au fil des années. Notre analyse historiographique a permis de dégager différentes étapes de for-mulation que nous décrivons brièvement ici. Le recensement de la langue dite « mater-nelle » dès 1880 coïncide avec le relevé des données linguistiques au niveau individuel. L’usage du terme « maternel » s’inscrit dans une volonté politique d’associer la question linguistique aux origines des répondant∤e∤s. Dès le début, la question de la « langue mater-nelle » affiche son objectif d’identifier les résident∤e∤s suisses et étranger∤ère∤s pro-venant de territoires linguistiques différents. La question sur la langue maternelle est intrin-sèquement inscrite dans une conception monolingue et mono-variétale, les répon-dant∤e∤s ne pouvant inscrire qu’une seule langue (ce qui restera le cas jusqu’en 2010) sans pouvoir faire de distinction entre dia-lecte et langue standard non plus. De nom-breux∤ses bilingues ou plurilingues se voient ainsi forcé∤e∤s de faire un choix en ne décla-rant qu’une seule langue. La question pose plus de difficultés encore dans des zones de contacts entre deux, voire trois, langues, comme dans le nord du canton de Berne, dans celui du Jura ou dans les Grisons par exemple. Si une première définition est relevée unique-ment dans la version française des formu-laires du recensement de 1900, c’est en 1910 que la « langue maternelle » est définie pour la première fois de la même manière pour l’en-semble du relevé national. À cette date, les

concepteur∤trice∤s précisent les caractéris-tiques définitoires de cette locution en insis-tant déjà sur le fait qu’il s’agit de « la langue dans laquelle on pense », celle qu’on « utilise le plus volontiers dans le contexte familial » et « le plus couramment ». Dès 1950, la défi-nition de la « langue maternelle » est reformu-lée (en opérant une réduction des critères) comme suit : « la langue dans laquelle on pense et que l’on possède/maîtrise le mieux ». L’idée de vérifier le degré d’intégration, voire d’as-similation linguistique, des individus par le biais de cette question se concrétise : une personne ayant grandi en parlant (suisse-) allemand qui déménagerait en territoire fran-cophone resterait ainsi identifiable, dans la mesure où même si elle s’exprimait en fran-çais, on partirait du principe qu’elle pense toujours en (suisse-)allemand. Avec le temps, il se pourrait toutefois que cette même personne se mette à penser en français, donc qu’elle change de langue et « s’assimile » – pour reprendre un terme déjà utilisé à l’époque – à la majorité linguistique de son milieu. En Suisse, c’est par le biais de la langue de la pensée – conçue comme celle que l’on sait mieux que toutes les autres – qu’on cherche à évaluer les rapports de force entre des com-munautés linguistiques imaginées homogènes et monolingues jusqu’à récemment.

Cette définition est encore proposée dans le relevé structurel actuel. D’un point de vue statistique, la relative stabilité de la défini-tion garantit une certaine continuité des don-nées récoltées à travers le temps, mainte-nant un niveau de comparabilité des résultats sur plus d’un siècle de relevés statistiques. Toutefois, la terminologie utilisée en 1990 change sous l’impulsion d’expert∤e∤s issus des milieux politiques et scientifiques. Ils/

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Les coulisses de la quantification des langues 14 Les coulisses de la quantification des langues 15

Face à ces questionnements, un com-promis a été trouvé en initiant le ques-tionnaire en deux temps. Dans un pre-mier temps, il a été décidé de reformuler la question de la « langue principale » au pluriel, sans limitation du nombre de lan-gues, tout en maintenant une définition proche de celle du relevé structurel. Ceci dans le but d’éviter d’énumérer trop de langues que les répondant∤e∤s disent savoir, sans pour autant les inciter à n’en indiquer qu’une seule. Dans un second temps, afin de garantir la docu-mentation d’un plurilinguisme fonction-nel, une question sur les « langues connues » a été ajoutée, dont la formu-lation plus ouverte permet au répon-dant∤e∤s de lister les langues qu’ils/elles connaissent plus ou moins bien. b. La distinction dialecte – langue

stan-dard : dans les espaces italophones et germanophones, le dialecte fait partie des usages quotidiens. Objet de débats (dans l’espace public et politique), sa pratique est tantôt perçue comme une menace sur la cohésion nationale, tan-tôt comme un patrimoine national vivant et comme une caractéristique identitaire qu’il convient de cultiver dans le res-pect de la diversité. De plus, dès 1990, le recensement avait introduit le dia-lecte comme une catégorie de réponse possible. C’est pourquoi il a rapidement été envisagé d’introduire le dialecte comme possibilité de réponses à de nom-breuses questions de l’ELRC. Cepen-dant, chercher à avoir des informations fiables sur le dialecte présuppose que la distinction entre « standard » et «

dia-lecte » soit claire et que toutes les per-sonnes interrogées en soient informées. Afin d’assurer cette information, il a été introduit dans le script du questionnaire des questions de relance qui étaient activées lorsque les répondant∤e∤s évo-quaient l’allemand (ou le suisse-alle-mand) ou l’italien (ou le dialetto) comme « langue principale » et/ou « langue connue ». Ces relances portent sur la distinction entre dialecte et standard, demandant aux répondant∙e∙s de préci-ser s’il s’agit du dialecte, du standard ou des deux.

c. Les niveaux de compétences linguistiques vs les fréquences et domaines d’usages : la distinction entre compétences et fré-quence d’usage a constitué un sujet cen-tral de discussion dans l’élaboration du questionnaire. Les représentant∤e∤s des milieux de l’éducation et de la migration, ainsi que des associations de défense des communautés linguistiques souhai-taient obtenir des informations statis-tiques sur les compétences linguisstatis-tiques, notamment pour en savoir plus sur des enjeux liés à l’intégration dans la société suisse. Plusieurs pistes ont été envisa-gées pour essayer de distinguer les niveaux de compétences linguistiques, mais elles suscitaient plusieurs difficultés (sub-jectivité des auto-évaluations et dimen-sion chronophage de questions précises sur les compétences). C’est pourquoi, il a été décidé d’abandonner le sondage de compétences et de se concentrer sur les fréquences d’usage qui permettent de donner un aperçu différencié du plu-rilinguisme fonctionnel.

ser un aperçu des pratiques plurilingues dans différents espaces sociaux. Il ne s’agit plus d’identifier les individus à une seule langue ou à plusieurs, il ne s’agit plus uniquement de les localiser sur le territoire, mais bien de documenter une myriade d’usages plurilin-gues productifs et/ou réceptifs au sein de la société helvétique. En ce sens, l’ELRC consti-tue l’aboutissement de la reconnaissance de l’importance d’un dénombrement des langues en Suisse, tout autant qu’il permet de pro-poser une image plus dynamique des pra-tiques langagières. Il s’agit d’un terrain de recherche unique afin de saisir les différents défis rencontrés par de nombreux acteur∤trice∤s impliqué∤e∤s dans la réalisation de cette enquête. Dans ce qui suit, nous allons déga-ger les principales lignes de tensions ren-contrées dans les diverses étapes de sa réa-lisation : conception de l’enquête, passation du questionnaire et traitement statistique des données.

La conception de l’ELRC 2014

Le choix des questions, de même que la manière de les formuler, sont le fruit de nombreuses discussions au sein de l’OFS, mais aussi entre des acteur∤trice∤s sociaux∤ales issu∤e∤s de divers domaines institutionnels, scientifiques et/ou politiques (migration, culture, éduca-tion, etc.). Le questionnaire final est donc le produit d’un processus complexe où les res-ponsables de l’OFS se doivent de prendre en considération des intérêts divers (et parfois divergents), de même qu’ils/elles doivent faire face à des contingences techniques et maté-rielles (durée de passation conditionnant le nombre de questions, modalités de passa-tion par téléphone impliquant un travail

impor-tant sur les enjeux d’intercompréhension, etc.). Au final, les questions qui sont posées et qui seront traitées sont le résultat de contraintes, d’intérêts et de collaborations multiples.

L’examen de cette pratique collaborative a permis de mettre en évidence trois grands défis conceptuels dans la réalisation de ce questionnaire :

a. Le relevé du plurilinguisme individuel : l’un des enjeux récurrents dans l’éla-boration du questionnaire est celui de savoir combien de langues peuvent être indiquées par les répondant∤e∤s comme relevant de leur répertoire linguistique (« langue(s) principale(s) » et « langues connues »). En effet, l’objectif de l’ELRC de recenser les pratiques langagières prédispose les statisticien∤ne∤s à docu-menter le plurilinguisme, et en ce sens à mettre l’accent sur la diversité linguis-tique en Suisse afin d’éviter ainsi de rendre les répondant∤e∤s plus monolin-gues qu’ils/elles ne le sont. Cependant, une série d’interrogations ont émergé lors du processus de rédaction de l’en-quête, liées cette fois-ci au degré d’ou-verture au plurilinguisme. Ces interro-gations portaient à la fois sur la manière de poser certaines questions (la ou les « langues principales », le degré de connaissance des « langues connues »), sur des enjeux pratiques (en particulier le temps de passation) qu’occasionne-rait une ouverture maximale à de multi-ples langues (sans limitation du nombre de langues), et sur l’écueil possible d’une formulation trop ouverte qui rendrait les répondant∤e∤s exagérément plurilingues.

(9)

Les coulisses de la quantification des langues 16 Les coulisses de la quantification des langues 17

qu’il/elle peut interpréter la question comme une incitation à lister l’ensemble de son répertoire linguistique. b. Des histoires de vie comme réponses :

il n’est pas rare que les répondant∤e∤s fassent part aux enquêteur∤trice∤s de bribes de leur vie lorsqu’on leur pose des questions sur leurs langues. Ces séquences interactionnelles révèlent que raconter ses pratiques langagières, c’est aussi parler d’expériences, de situa-tions sociales, de trajectoires souvent non linéaires. Elles indiquent aussi que les langues sont des lieux d’expression de relations sociales souvent colorées d’émotion ou de sentiments mitigés. Ces histoires de vie comme réponse signalent par là même qu’il n’est pas aisé de répondre à des questions sur les lan-gues par une simple liste. Cet état de fait complexifie alors la tâche de l’en-quêteur∤trice qui devra faire le tri des informations à l’appui de ces narrations. c. Des ambiguïtés interprétatives révéla-trices de la complexité des usages lan-gagiers en société : l’examen des hési-tations et des mécompréhensions dans les interactions ne sont pas à mettre sur le compte de « mauvaises » questions. Au contraire, nos analyses montrent qu’elles sont constitutives de la com-plexité des usages langagiers en société. Par exemple, la difficulté parfois qu’ont certain∤e∤s répondant∤e∙s à distinguer entre dialecte et langue standard est emblématique des conceptions que peuvent avoir les répondant∤e∤s de la distinction ou non entre les deux (cf. supra) et de

l’importance politique, identitaire, cultu-relle qu’elle revêt ou non pour eux. Ou encore, le fait que quand les répondant∤e∤s sont interrogé∤e∤s sur leurs pratiques langagières au travail, ces dernier∤ère∤s tendent à omettre les pratiques récep-tives (telle que la compréhension d’une conversation dans une autre langue ou dialecte). Ces réponses sont alors davan-tage révélatrices des conceptions hié-rarchisées des pratiques langagières des répondant∤e∤s plutôt que de leurs usages effectifs des langues.

Les logiques interprétatives à l’œuvre dans les interactions et ce qui est dit lors de la passation sont, par la force des choses, omis dans les résultats finaux. Le codage effec-tué par les enquêteur∤trice∤s s’appuie sur une multitude d’informations qui se doivent de converger vers des entrées préétablies par le questionnaire. Cette dimension néces-sairement interprétative, relevant de la co-construction du sens par les partici-pant∤e∤s, ne remet pas fondamentalement en question l’enquête en elle-même. Mais pour les sociolinguistes que nous sommes, elle donne accès à la manière dont les acteur∤trice∤s impliqué∤e∤s donnent du sens aux questions et, plus fondamentalement encore, à leurs conceptions des langues et de pratiques révé-lant les idéologies langagières à l’œuvre dans notre société.

Le traitement statistique des données

Une fois les données récoltées, il faut encore les traiter. Ce processus complexe révèle dif-férents enjeux emblématiques du processus de quantification des langues. En effet, les Malgré le nombre important de questions

qu’une enquête thématique permet de poser, l’élaboration du questionnaire a nécessité une sélection inévitable parmi une multitude de questions possibles. Pour ce faire, il a fallu naviguer entre les intérêts et les besoins des statisticien∤ne∤s, de l’institution manda-tée pour l’expertise scientifique (celle à laquelle nous sommes rattachés) et d’autres groupes d’intérêts (p. ex. CDIP, OFC, SEM). Les choix thématiques peuvent être ainsi considérés comme la résultante de ces dis-cussions, mais ils sont aussi le témoin de la place qu’occupent les langues dans notre société. L’emphase sur le travail ou sur les médias (y compris les médias sociaux) en est un exemple.

Nous le constatons, l’élaboration d’un questionnaire sur les langues et dialectes est loin d’être une activité simple et évidente. Au contraire, elle implique une série de déci-sions qui ne sont pas neutres et qui induisent des conséquences. Les débats qu’elles sus-citent sont ainsi le lieu d’expression d’en-jeux plus larges que celui de l’enquête. Ils révèlent à la fois les transformations socié-tales et l’image que les autorités et des groupes d’intérêts variés souhaitent donner des pra-tiques linguispra-tiques des citoyen∤ne∤s.

La passation du questionnaire

Une fois le questionnaire stabilisé, ce der-nier est introduit dans un système informa-tique qui est ensuite utilisé par les enquê-teur∤trice∤s, à la fois pour introduire les réponses mais aussi pour lire les questions, constituant ainsi un script communication-nel. Cette phase de l’enquête représente un moment important où se rencontrent

diffé-rents cadres interprétatifs : ceux des enquê-teur∤trice∤s et ceux des répondant∤e∤s. Que ce soit dans les discussions entre les enquê-teur∤trice∤s ou dans la négociation des tions par téléphone, l’interprétation des ques-tions s’inscrit dans un contexte où de multiples conceptions des langues, des dia-lectes et du plurilinguisme convergent ou divergent. Analyser la passation permet donc de mettre en évidence la complexité en jeu dans la compréhension et l’interprétation des questions.

a. Compréhension, interprétation et idéo-logies langagières des participant∤e∤s : pour les répondant∤e∤s, comme pour les enquêteur∤trice∤s, ce qui compte comme « langues principales » est tributaire de leur idéologie linguistique, mais aussi de leur interprétation de la désirabilité sociale des réponses. Nous avons alors observé des interprétations, pour une question formulée de la même manière, allant d’une approche restrictive de la langue principale, souvent monolingue, à savoir celle que l’on connait le mieux, à une conception ouverte d’usage, à savoir celles que l’on pratique le plus souvent. Dans les interactions, ces schèmes interprétatifs font l’objet de négociations : un∤e enquêteur∤trice peut parfois inciter le/la répondant∤e à men-tionner plusieurs langues, mais il/elle peut aussi parfois considérer qu’il est peu probable que le/la répondant∤e maî-trise plus d’une langue, par exemple. Il en va de même pour le/la répondant∤e qui peut omettre des langues qui entre-raient effectivement dans la catégorie « langues principales », au même titre

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Les coulisses de la quantification des langues 18 Les coulisses de la quantification des langues 19

c. Mise en perspective des données : la manière de catégoriser les langues, les locuteur∤trice∤s et leurs répertoires, mais aussi les décisions quant à quelles thé-matiques approfondir, constituent une mise en perspective des résultats fon-damentalement liée au mandat et aux principes directeurs de la statistique publique suisse. Il se crée alors des effets de saillances qui produisent des effets de sens indiquant que les statisticien∤ne∤s n’opèrent pas dans l’isolement, mais qu’ils/elles participent pleinement du débat social au même titre qu’ils/elles en sont dépendant∤e∤s. Par exemple, le choix de rédiger deux rapports théma-tiques, l’un sur le suisse-allemand et l’autre sur les langues au travail, révèle l’importance de ces deux sujets sur le plan national. Mais aussi, le choix, dans la plupart des rapports, de distinguer les locuteur∤trice∤s de différentes géné-rations de migration en Suisse pointe vers des débats sociaux autour de l’in-tégration tout autant qu’il renforce la distinction catégorielle.

2.3

Le traitement médiatique des

statistiques linguistiques

Publiés par l’OFS sous la forme de commu-niqués de presse et/ou de rapports géné-raux et thématiques, les résultats des enquêtes statistiques font l’objet d’articles dans la presse écrite, de lettres de lecteur∤trice∤s, de reportages télévisuels ou radiophoniques, etc. dans lesquels des journalistes, des groupes d’intérêts ou encore des expert∤e∤s soulignent

certains aspects des chiffres et de leurs trai-tements. En décrivant, commentant ou en critiquant les résultats, ils/elles sélectionnent des éléments des publications de l’OFS pour leur donner une orientation politique et/ou scientifique. C’est à cette appropriation média-tique que nous avons consacré la dernière partie de notre projet, dans la mesure où les médias offrent une vitrine des débats que suscitent les résultats des statistiques des langues.

Nos analyses ont permis de dégager les thématiques qui font l’objet d’une attention particulière dans la presse depuis 1990, les débats méthodologiques qui jalonnent la publication de ces chiffres, de même que les tensions politiques découlant de la mise en abîme médiatique des résultats de l’OFS.

a. Un traitement variable et historiquement situé de l’information : l’intérêt média-tique pour les diverses thémamédia-tiques abor-dées par l’OFS depuis les années 1990 n’est pas le même selon les régions lin-guistiques. Généralement, la presse romande, tessinoise et des Grisons relaie ces informations avec un intérêt plus marqué que dans la partie alémanique. Les résultats les plus discutés du recen-sement (jusqu’en 2000) et du relevé structurel (dès 2010) dans la presse sont certainement ceux découlant de la « langue principale ». Les statistiques issues des autres questions – les lan-gues parlées à la maison et/ou au tra-vail/à l’école – ne sont reprises que de façon marginale et commencent à trou-ver un plus grand écho dans les médias suite au recensement de 2000. La presse présente les chiffres en lien avec des données brutes requièrent une série de

trai-tements impliquant à la fois des processus de sélection (quelles données sont utilisables), de catégorisation (quelles données peuvent être agrégées, séparées, etc.) et de mise en perspective (quel sens donner aux chiffres et quelles données doivent-elles être mises en avant). Ce sont ces processus que nous allons brièvement décrire en mettant en évidence les défis rencontrés à chacune de ces étapes :

a. Sélection des données : tout traitement quantitatif présuppose que les chiffres à disposition sont pertinents statisti-quement. Ainsi, parmi les données à dis-position, certaines ne pouvaient faire l’objet de considération statistique, dans la mesure où le nombre de réponses était trop faible. C’était le cas par exemple pour de nombreuses réponses portant sur le romanche. Par ailleurs, certaines questions posées se sont avérées in fine difficilement utilisables, non pas pour des raisons statistiques, mais pour des raisons conceptuelles. C’est le cas pour la question qui concernait les obstacles linguistiques, qui n’a pas été systéma-tiquement posée aux personnes les plus concernées. Quand elle l’était, les indivi-dus pouvaient éprouver des difficultés à admettre qu’ils avaient de la peine à com-muniquer lors d’une visite chez le/la méde-cin ou dans d’autres contextes plus ou moins formels. En outre, les populations les plus concernées par cette probléma-tique n’étaient pas atteignables, puisqu’elles n’étaient pas capables de répondre à une enquête téléphonique en (suisse-)alle-mand, en français ou en italien.

b. Catégorisation des données : parmi la somme des réponses récoltées, il s’agit de déterminer lesquelles demandent à être regroupées et lesquelles demandent à être traitées séparément. Cela pré-suppose un travail de catégorisation mettant en évidence certaines concep-tions sociétales de la langue. Par exemple, les données concernant le standard et le dialecte ont été, lors du rapport ini-tial, traitées de manière agrégée (regrou-pant pour certains items le dialecte et le standard en une seule catégorie). Cependant, dans un rapport séparé sur le dialecte, ces chiffres ont fait l’objet d’un traitement explicitement séparé. En outre, afin de rendre compte du réper-toire plurilingue des répondant∤e∤s, une nouvelle catégorie a été créée : « les lan-gues d’usage régulier » ou « lanlan-gues uti-lisées régulièrement », regroupant les réponses à plusieurs questions en fonc-tion des fréquences d’usage (« tous les jours ou presque » et « au moins une fois par semaine », qu’il s’agisse d’un usage réceptif ou productif). Cette approche catégorielle permet à la fois de contour-ner le problème d’une définition du plu-rilinguisme sur la base des « langues principales », tout en démontrant la vita-lité des pratiques d’usages plurilingues en Suisse. Si certaines « langues d’usage régulier » font l’objet d’un traitement systématique, telles que l’anglais, d’autres se trouvent subsumées dans des caté-gories « autres » en raison de leur faible nombre de locuteur∤trice∤s, voire ne sont, dans quelques cas, pas comptabilisées parce qu’elles ont échappé au proces-sus de codification.

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Les coulisses de la quantification des langues 20 Les coulisses de la quantification des langues 21

est quant à lui avant tout porté par les expert∤e∤s, souvent des linguistes. Avant les grands changements de 2010, ils/ elles avaient relevé la vision trop res-trictive de la langue principale et insisté sur l’importance de recenser les per-sonnes qui étaient bilingues et plurilin-gues. Si la possibilité d’indiquer plu-sieurs langues principales a été considérée comme une avancée notoire, certain∤e∤s expert∤e∤s continuent de s’in-quiéter de la formulation de la question de la/des langue(s) principale(s) : l’orien-tation normativisante de cette question au détriment d’une approche axée sur les pratiques linguistiques empêcherait de rendre compte de nombreux plurilin-gues en Suisse.

c. Une transposition médiatique incertaine : avec l’arrivée du nouveau système de recensement en 2010, ce sont égale-ment des données plus complexes qui sont à disposition des médias. La mul-tiplicité des sources des statistiques langagières engendre une certaine confu-sion dans la transmisconfu-sion des informa-tions dans les médias, et la distinction entre relevé structurel et ELRC n’est pas toujours claire pour les journalistes. De plus, la présentation de l’augmentation importante des autres langues (c’est-à-dire des langues non nationales) comme langues principales n’est pas toujours mise en relation avec le changement méthodologique majeur dans le relevé structurel, à savoir la possibilité

d’in-diquer plus d’une seule langue comme langue principale. En outre, si le terme « langue principale » du relevé structu-rel est généralement structu-relayé tel quel dans les médias, le nouveau concept utilisé dans la présentation des résultats de l’ELRC 2014 – les « langues d’usage régu-lier » – fait parfois l’objet de glissements discursifs. La définition officielle de l’OFS de ce concept inclut des pratiques de communication quotidiennes et/ou heb-domadaire, réceptives et/ou productives, dans plusieurs contextes. Or, certaines présentations dans les médias ont recours à des formulations suggérant un usage essentiellement productif, telles que « parler » ou « pratiquer ». D’autres les présentent comme une preuve du pluri-linguisme et assimilent cette catégorie aux langues principales.

De manière générale, il ressort de cette ana-lyse que les modes de relevés statistiques, les catégories de langues (langues princi-pales, langues d’usages réguliers) et les nou-velles questions et objectifs de l’ELRC ne sont pas toujours pris en considération ou n’ont pas toujours été compris par les médias. Il est probable que ces transformations et déplacements soient trop complexes pour être relayés de manière concise dans l’es-pace public et médiatique. Par ailleurs, la façon variable dont les régions linguistiques couvrent l’information est révélatrice des préoccupations principales de chaque com-munauté linguistique et de sa place sur l’échi-quier politique.

thématiques linguistiques hautement politisées, notamment en faisant des liens entre les statistiques de l’anglais au travail et l’élaboration des programmes d’enseignement des langues dans les écoles du pays. En outre, la croissance des langues non nationales est asso-ciée à des questions de « multicultura-lisme » suite aux résultats de 1990, alors que la couverture des résultats de 2000 met surtout en avant « l’intégration lin-guistique » des populations issues de l’immigration – insistant sur le grand nombre d’étranger∤ère∤s ayant indiqué une langue nationale comme langue prin-cipale. Dès 2010, date de la modifica-tion en profondeur des modes de recen-sements (cf. chap. 2.1), les résultats issus du relevé structurel, ainsi que ceux de l’ELRC 2014, s’inscrivent dans des débats publics sur le bilinguisme et le plurilinguisme individuel. En Suisse romande, les médias soulignent que le plurilinguisme est plus présent qu’il n’y paraît et que cela constitue un aspect positif de la société suisse. En revanche, en Suisse italienne, la croissance de la diversité linguistique est commentée d’un ton plutôt critique, car elle sug-gèrerait un recul de l’utilisation des lan-gues nationales et une perte de l’italien face à l’anglais qui gagne du terrain comme langue d’usage régulier. Quant à la Suisse alémanique, la présentation des premiers résultats de l’ELRC 2014 met en avant le plurilinguisme considé-rable en Suisse thématisant les usages des langues nationales et étrangères, tout en insistant sur la vitalité des dia-lectes alémaniques.

b. Un débat méthodologique et politique : au fil des publications de l’OFS, nous observons dans les médias des ques-tionnements et des débats sur la métho-dologie des différents relevés. Ils sont de deux ordres : le premier concerne l’ina-déquation des enquêtes à rendre compte de la vitalité de la langue romanche ; le second concerne la vision réductrice des enquêtes de la définition de langues principales, empêchant de documenter le plurilinguisme fonctionnel des habi-tant∤e∤s. Porté par des groupes d’inté-rêts romanches et relayé par les médias, le premier objet de débat a pris des formes différentes en lien avec l’évolution des questions posées et des modalités de relevés. En 1990, les défenseur∤e∤s de la langue romanche regrettent le dépla-cement discursif de « langue maternelle » à « langue principale », arguant que cette modification incite les répondant∤e∤s à indiquer plutôt l’allemand (langue de tous les jours) au détriment du romanche (« langue du cœur »). Selon eux/elles, l’abandon du terme « maternel » aurait ainsi accentué le recul du romanche. L’impossibilité d’indiquer jusqu’en 2000 plus d’une langue principale était néces-sairement pointée du doigt par cette communauté bilingue. Enfin, le problème de la représentativité des données, qui, avec les nouveaux dispositifs de rele-vés (relevé structurel et ELRC), ne per-mettent plus de générer des chiffres significatifs à toutes les échelles géo-graphiques et sociales pour les roman-chophones, est également mentionné sporadiquement dans les médias. Le second type de débat méthodologique

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Les coulisses de la quantification des langues 22 Les coulisses de la quantification des langues 23

un sens à ces données, de fournir des résul-tats d’intérêt pour les consommateurs poten-tiels, des résultats pertinents et statisti-quement significatifs. Ce processus implique aussi des effets de saillance et d’effacement dans les chiffres publiés.

Quels que soient les modes de recense-ment des langues, notre analyse du traite-ment médiatique démontre que la publica-tion des chiffres donne lieu à des effets de loupe et qu’elle peut continuellement faire l’objet de contestation et d’instrumentali-sation dans différentes sphères (scientifique, politique, économique, etc.). Ainsi, les ques-tions linguistiques telles qu’elles sont abor-dées dans la statistique officielle sont conçues et perçues comme des indicateurs impor-tants de sujets fondamentaux en Suisse, tels que l’intégration des étranger∤ère∤s, les mou-vements migratoires internes et externes, l’enseignement des langues à l’école, la diver-sité culturelle ou encore la sauvegarde de la cohésion nationale. Si la publication des chiffres nécessite de privilégier certaines dimensions sociolinguistiques au détriment d’autres, leur appropriation – voire leur ins-trumentalisation – dans l’espace public dévoile dans quelle mesure des groupes d’intérêts variés contestent ou endossent ces statis-tiques afin de faire passer un message poli-tique et/ou scientifique.

En ce sens, notre recherche permet de comprendre que, derrière des chiffres que nous côtoyons tous les jours, se trament des enjeux dépassant le cadre strictement scien-tifique et la seule problématique du comp-tage. En cherchant à comprendre comment l’on définit ce qui compte comme « franco-phone », comme « plurilingue » ou comme « dia-lectophone », nous avons pu dévoiler une

facette inédite de la fabrication de l’image de la nation helvétique : sa diversité linguis-tique telle qu’elle est officiellement comp-tabilisée, diffusée puis réappropriée dans l’espace public.

3

Conclusion

Compter les langues, les locuteur∤trice∤s et les pratiques langagières n’est pas un pro-cessus neutre. Nos analyses du propro-cessus de production des statistiques linguistiques en Suisse depuis le 19ième siècle renvoient à

l’influence d’enjeux socio-politiques com-plexes sur la réalisation, la diffusion et l’ap-propriation de ces chiffres. En outre, elles révèlent les difficultés pratiques et concep-tuelles émergeant de la nécessité de réduire la diversité et la variabilité linguistique dans le but de fournir des informations quantifiées.

La production de statistiques linguis-tiques varie en fonction de facteurs sociale-ment, politiquesociale-ment, géographiquement et historiquement situés (voir Duchêne & Hum-bert, 2018). Nos analyses historiographiques, ethnographiques et médiatiques de la pro-duction et circulation de ces statistiques reflètent ce que la société suisse cherche à mettre en évidence sur les langues et dia-lectes à des moments précis et en fonction d’intérêts socio-politiques changeants. D’une vision restrictive, ancrée dans une tradition statistique de plus d’un siècle – se limitant à ne compter qu’une seule « langue mater-nelle » par personne –, la statistique suisse cherche désormais à sonder la diversité et les pratiques linguistiques en profondeur, tout en englobant des dynamiques linguis-tiques plus complexes, telles que l’utilisation des langues au travail, à la maison ou encore pour regarder des vidéos sur internet. Nos analyses permettent de comprendre comment certains phénomènes linguistiques – tels que

le plurilinguisme individuel et la diglossie –, qui étaient occultés par le passé, sont deve-nus aujourd’hui un sujet central de la sta-tistique suisse. En ce sens, l’analyse de la production de la statistique officielle des langues et dialectes constitue un indicateur de changements sociaux plus profonds, qui dépassent largement les intérêts des sta-tisticien∤ne∤s et les seuls enjeux linguistiques. Si l’ouverture à l’analyse statistique de phénomènes linguistiques plus complexes apparaît aujourd’hui comme une nécessité, celle-ci engendre une série de défis pra-tiques et conceptuels transparaissant dans notre analyse détaillée des différentes étapes de l’ELRC 2014. Lors de la conception du questionnaire, l’enjeu principal consiste à déterminer comment quantifier cette diver-sité et jusqu’à quel point elle est quanti-fiable, en suivant quels critères et en défi-nissant quel∤le∤s langues, dialectes, locuteur∤trice∤s nécessitent de faire l’objet d’une attention particulière. Au moment de la passation, d’autres interrogations sur-gissent, notamment lors des interactions télé-phoniques où enquêteur∤trice∤s et répon-dant∤e∤s ne partagent pas forcément la même conception de ces phénomènes : parler de ses pratiques et/ou compétences linguis-tiques en société, c’est aussi confronter des expériences et points de vues différents, et négocier implicitement la désirabilité sociale des réponses. Lors du traitement des don-nées, d’autres difficultés émergent, dont le fait de devoir trouver un moyen de donner

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I retroscena della quantificazione delle lingue 24 25

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Italiano

I retroscena della quantificazione

delle lingue

Sommario esecutivo

Alexandre Duchêne, Renata Coray e Philippe Humbert

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I retroscena della quantificazione delle lingue 26 I retroscena della quantificazione delle lingue 27

1

Contesto, obiettivi e metodi

1 Per favorire la leggibilità del testo si rinuncia ad indicare la forma femminile che resta comunque sottintesa. Ringraziamo per la comprensione.

I censimenti delle lingue costituiscono uno dei pilastri della rappresentazione del plu-rilinguismo elvetico. Radicate in una tradi-zione di oltre 150 anni, le statistiche lingui-stiche ufficiali servono a definire la composizione idiomatica del territorio. È per esempio basandosi sulle statistiche che le autorità tracciano i contorni delle frontiere linguistiche e osservano l’evoluzione demo-grafica delle comunità linguistiche sul terri-torio. In Svizzera, siamo regolarmente con-frontati con cifre consultate da numerosi attori sociali. Esse appartengono al nostro paesaggio scientifico, mediatico e politico, e sono sovente oggetto di accesi dibattiti politici e scientifici originati da divergenze sulla definizione di concetti come “franco-fono”, “plurilingue”, “dialettofono” ecc.1

Esse conducono a riflessioni sulla partico-larità della Svizzera, ossia sulla diversità linguistica, alla quale sono associati un im-maginario nazionale e una certa idea di co-esione sociale.

Il presente lavoro non si vuole propria-mente statistico, bensì prima di tutto socio-linguistico. Se da un lato queste cifre deli-neano una certa immagine della Svizzera, dall’altro pongono una seria di interrogativi linguistici e politici. Come sappiamo, per quantificare le pratiche linguistiche occorre dapprima determinare che cosa vada consi-derato lingua e che cosa no. Si tratta

in-somma di ridurre fenomeni sociolinguistici complessi a unità quantificabili. Quantifi-care le lingue non è un processo neutro, ma implica decisioni metodologiche radicate in determinate concezioni della lingua in me-rito alle quali gli stessi linguisti sono in di-saccordo (che cos’è una lingua? in che cosa il dialetto differisce dallo standard? che cos’è il plurilinguismo? ecc.). Tali decisioni comportano determinate conseguenze. In funzione delle domande poste, del modo in cui vengono formulate, e del tipo di rileva-mento e di trattarileva-mento dei dati, le stati-stiche ottenute contribuiscono a rendere più visibili certi gruppi di individui o certe pratiche, oppure al contrario a rimuoverli dal paesaggio linguistico nazionale.

Per questa ragione, l’obiettivo di questo progetto (realizzato presso il Centro scienti-fico di competenza per il plurilinguismo di Friburgo, 2014-2017) era quello di capire meglio l’attività del conteggio delle lingue, dei locutori e delle pratiche linguistiche. La nostra attenzione si è incentrata sui retro-scena delle cifre che consultiamo quotidia-namente in qualità di cittadini, ricercatori, giornalisti o politici. Abbiamo cercato di rico-struire i ragionamenti che, nel corso degli anni, sono stati alla base della realizzazione di statistiche linguistiche, le concezioni del linguaggio, delle lingue e del plurilinguismo che traspaiono dalla produzione e la

compi-lazione di questionari sulle lingue, e le sfide affrontate da chi risponde alle domande e da chi gestisce le risposte. Infine, abbiamo esa-minato come le cifre pubblicate dalle autorità circolano nelle sfere di influenza come gli or-gani di informazione e la politica, e il modo con il quale sono accolte e/o contestate.

La ricerca, di cui forniamo i risultati prin-cipali in questa sintesi, è ruotata attorno a tre grandi assi di inchiesta. Un asse storio-grafico volto a mettere in evidenza le grandi tappe dell’evoluzione delle statistiche sulle lingue in Svizzera, un asse etnografico per esaminare il processo di elaborazione di un’inchiesta statistica contemporanea sulle lingue documentandone le varie tappe (reda-zione del questionario, condu(reda-zione dell’in-chiesta, trattamento dei dati) e un asse me-diatico, nel quale abbiamo studiato come ci si appropria dei risultati quando essi circo-lano pubblicamente.

Il primo corpus, ossia i dati storiografici (dal 1850, anno della pubblicazione delle prime statistiche delle lingue in Svizzera, ai nostri giorni), comprende documenti di ar-chivio, pubblicazioni ufficiali del governo e del Parlamento federale (Foglio federale, Bollettino ufficiale dell’Assemblea federale ecc.), così come pubblicazioni e documenti dell’Ufficio federale di statistica (UST) (rap-porto metodologici, materiale di censimento ecc.). A questi abbiamo aggiunto colloqui con esperti che hanno partecipato a censi-menti o che li hanno seguiti da vicino. Ba-sandoci su analisi testuali (Bauman & Briggs, 1990; Park & Bucholtz, 2009), ab-biamo inoltre studiato in modo sistematico le varie formulazioni e definizioni delle do-mande sulle lingue nei censimenti, ed esa-minato i dibattiti e i rapporti di perizia che

hanno condotto alla modifica di certe for-mulazioni o al cambiamento delle modalità di rilevamento dei dati.

Il secondo corpus è composto di dati et-nografici acquisiti sul terreno, ossia accom-pagnando e documentando lo svolgimento di una nuova inchiesta statistica sulle lingue, l’indagine sulla lingua, la religione e la cultura (ILRC), inserita in una serie di svi-luppi metodologici dell’UST. Dal 2010, il tra-dizionale censimento decennale della popo-lazione è stato sostituito da un nuovo sistema di rilevamento dei dati che combina diversi metodi e fonti. Oltre ai registri degli abitanti e alla rilevazione strutturale (un’in-chiesta annuale per campioni), l’UST pro-pone ogni anno un’analisi tematica appro-fondita. L’ILRC è stata condotta per la prima volta nel 2014, e verrà riproposta a sca-denza quinquennali. Una parte importante di questo studio è consacrata alle lingue in Svizzera. Abbiamo avuto l’opportunità di seguire l’elaborazione e la realizzazione dell’inchiesta in qualità di osservatori par-tecipanti (siamo stati consultati a più ri-prese e abbiamo fornito all’UST rapporti pe-riodici). I dati analizzati comprendono appunti presi durante le sedute di discus-sione con l’UST e in occadiscus-sione delle inter-viste in gruppi (focus group) in seno ai quali i sondaggisti e i supervisori dell’istituto di inchiesta spiegavano i loro metodi di lavoro, appunti presi da diversi ricercatori seduti accanto a sondaggisti durante 150 colloqui telefonici, nonché documenti istituzionali legati alla concezione e alla compilazione del questionario. Abbiamo inoltre potuto re-gistrare i 150 colloqui telefonici (in italiano, francese e svizzero-tedesco o tedesco standard), che abbiamo in seguito

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tra-I retroscena della quantificazione delle lingue 28 I retroscena della quantificazione delle lingue 29

2

Panoramica dei risultati della ricerca

2.1

Storia della statistica ufficiale

delle lingue in Svizzera

Evoluzione storica delle modalità di rilevamento statistico delle lingue

Incaricato di fornire informazioni quantita-tive sull’evoluzione e lo stato della popola-zione, nel 1860 nasce ufficialmente in Sviz-zera l’“Ufficio federale di statistica” (cfr. Busset, 1993, e Jost, 2016, per la storia delle statistiche e dei censimenti della po-polazione svizzera). Da allora, si sono suc-cedute varie modalità di conteggio delle lingue. I primi dati statistici sono elaborati sulla base della lingua del Comune (1850, prima dell’esistenza dell’UST) e della lingua parlata nelle economie domestiche (1860-70). Risale al 1880 l’introduzione nei censi-menti del concetto di “lingua madre”, e la domanda viene dunque posta sistematica-mente e individualsistematica-mente a tutti gli abitanti. Essa verrà poi mantenuta (con diverse va-rianti di formulazione, vedi sotto) nel censi-mento generale fino al 1980. Dal 1990, è ac-compagnata da due domande complementari concernenti le pratiche linguistiche in due ambiti (a casa e al lavoro/a scuola). Il censi-mento completo viene abbandonato nel 2010 e sostituito da una rilevazione strut-turale annuale su un campione di almeno 200 000 persone maggiori di quindici anni, invitate a compilare un questionario. Le

do-mande linguistiche vengono mantenute nella rilevazione strutturale e, nel 2014, viene condotta un’indagine tematica (ILRC) volta a documentare più dettagliatamente le pratiche linguistiche in Svizzera.

Queste differenti modalità di sondare la lingua incidono sul grado di messa in evi-denza di gruppi di locutori. Contare le lingue sulla base dell’idioma utilizzato dal Comune comportava problemi nei luoghi in cui vive-vano abitanti di lingua diversa, in partico-lare nelle regioni di frontiera linguistica, mentre censire le lingue in seno alle eco-nomie domestiche non consentiva di ren-dere conto di numerosi locutori alloglotti, per esempio germanofoni, che in casa par-lavano italiano o romancio. A partire dal 1880, il censimento generale ha permesso di considerare anche queste persone. In se-guito, la scelta dal 2010 della rilevazione strutturale ha fatto sorgere il problema le-gato al campionamento, segnatamente per i gruppi linguistici di piccole dimensioni (cfr. Coray, 2017a e 2017b, per il romancio). Lo stesso vale per l’ILRC, basata su un cam-pione ancora più limitato.

Evoluzione delle domande sulle lingue

Analogamente alle modalità di rilevamento dei dati, anche le formulazioni delle domande sono variate nel corso degli anni. La nostra analisi storiografica ha permesso di rico-struirne le tappe, qui presentate in sintesi. scritto. Le risposte così come codificate

nella banca dati dell’UST sono state messe in relazione con i colloqui. Abbiamo quindi analizzato le sfide affrontate dagli ideatori del sondaggio, dai sondaggisti, dagli inter-pellati e dagli statistici, avvalendoci degli strumenti dell’analisi delle interazioni ver-bali (Traverso, 2008) e dell’analisi etnogra-fica delle inchieste sociali (Cicourel, 1964; Merry, 2016).

Il terzo corpus, i dati mediatici, com-prende in primis estratti di organi di infor-mazione trovati negli archivi dell’UST e di altri archivi dal 1990 (anno in cui le do-mande del censimento hanno conosciuto una notevole evoluzione, vedi sotto) ai no-stri giorni (inclusa la ricezione dell’indagine ILRC 2014). Per quanto riguarda i prodotti mediatici relativi ai risultati dell’ILRC 2014, abbiamo esteso la nostra raccolta ai tele-giornali e ai radiotele-giornali. Considerando gli interessi di politici, organi di informazione e pubblico, abbiamo proceduto a un’analisi dei discorsi mediatici di ispirazione fou-caultiana (Keller, 2011). Abbiamo dunque osservato quali aspetti dei risultati dell’UST sono selezionati dagli organi di informa-zione e quali generano un’eco nello spazio pubblico. L’analisi ha coinvolto anche il modo in cui queste selezioni tematiche sono state trattate e come i risultati sono stati interpretati dagli attori mediatici. Infine, ci siamo concentrati sulla maniera nella quale questa diffusione è stata dibattuta dai di-versi gruppi di interesse.

Questa procedura2 e gli interrogativi

che hanno costellato il nostro studio ci per-mettono di proporre una lettura

sociolingui-2 Per maggiori ragguagli concernenti la metodologia cfr. Duchêne, Humbert & Coray, 2018.

stica delle statistiche sulle lingue, di fare emergere le importanti sfide che comporta il processo di conteggio delle lingue e dei lo-cutori, e di misurare la portata politica del censimento delle lingue in un territorio in cui la diversità linguistica è parte costitu-tiva dell’immagine della nazione.

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I retroscena della quantificazione delle lingue 30 I retroscena della quantificazione delle lingue 31

mande riflette una volontà politica di soste-nere scientificamente e politicamente l’im-portanza del plurilinguismo in Svizzera. La prima domanda sulla lingua principale resta tuttavia formulata al singolare, il che impe-disce all’interpellato di dichiararsi o defi-nirsi bilingue o plurilingue. Solo nel 2010 di-venterà possibile indicare diverse “lingue principali” nella rilevazione strutturale. Ciò amplia ulteriormente il ventaglio di dati sta-tistici ottenibili sul plurilinguismo.

Considerato che la crescente mobilità degli individui attraverso la Svizzera com-porta un incremento dei contatti linguistici, le cifre sul plurilinguismo individuale comin-ciano a suscitare più interesse. Basata su mezzi tecnologici più sofisticati, la diversi-ficazione delle modalità di rilevamento sta-tistico dell’UST riflette la volontà di cercare di approfondire quantitativamente i cambia-menti in seno alla società, per esempio quelli legati al plurilinguismo e alla di-glossia, che sono vieppiù oggetto di dibat-titi economici e politici.

Questa breve panoramica storiografica sottolinea come l’evoluzione della statistica delle lingue in Svizzera costituisca una forma di specchio della storia sociale e po-litica delle idee sulle lingue. La modalità di rilevamento dei dati, la terminologia, la de-finizione della lingua o il numero e la se-quenza delle domande producono non solo effetti aritmetici, ma anche a livello di senso, il che consente di vedere un certo tipo di paesaggio linguistico accompagnarsi a un certo immaginario nazionale e suppor-tare le sfide politiche (cfr. Humbert, 2018, per l’immaginario linguistico cartografico). La diversificazione del paesaggio lingui-stico elvetico rende più complesso il

con-teggio delle lingue. In tal senso, la nuova ILRC costituisce un terreno di investiga-zione senza precedenti che ci fornisce ac-cesso all’elaborazione in tempo reale di un’inchiesta statistica.

2.2

Le sfide di una nuova inchiesta

statistica ufficiale sulle lingue

Nel solco degli sviluppi illustrati in prece-denza, l’ILRC 2014, condotta tramite com-puter-assisted telephone interview (CATI) su un campione di circa 16 500 persone, persegue l’obiettivo di quantificare la diver-sità delle pratiche linguistiche in Svizzera. Complementare alla rilevazione strutturale, questa inchiesta permette di porre più do-mande e di offrire quindi una panoramica delle pratiche plurilingui in vari spazi so-ciali. Non si tratta più di identificare gli in-dividui in base alla o alle loro lingue, né di li-mitarsi a localizzarli sul territorio, bensì di documentare una miriade di utilizzi pluri-lingui produttivi e/o ricettivi in seno alla società svizzera. In tal senso, l’ILRC costi-tuisce l’esito del riconoscimento dell’impor-tanza di un conteggio delle lingue in Sviz-zera e permette di fornire un’immagine più dinamica delle pratiche linguistiche. È un terreno di ricerca unico per affrontare le varie sfide incontrate da numerosi attori coinvolti nella realizzazione di questa in-chiesta. Di seguito, ne presenteremo le varie tappe, dalla concezione dell’inchiesta alla compilazione del questionario, al trat-tamento statistico dei dati.

Il censimento della “lingua madre” dal 1880 coincide con il rilevamento dei dati lingui-stici a livello individuale. L’uso del termine “madre” è il frutto della volontà politica di associare la lingua alle origini dell’interpel-lato. Sin dall’inizio, la domanda sulla “lingua madre” persegue lo scopo di individuare i residenti svizzeri e stranieri provenienti da territori linguistici diversi. Essa risponde a una concezione monolingue e mono-varie-tale del censimento: gli interpellati possono indicare una sola lingua (sarà così fino al 2010), senza neppure poter distinguere tra dialetto e lingua standard. Numerosi bi-lingui o pluribi-lingui si vedono così costretti a sceglierne una. La domanda pone ancora più difficoltà nelle zone di contatto tra due, se non tre, lingue, come per esempio nelle regioni settentrionali del Canton Berna, nel Canton Giura o nei Grigioni. Una prima defi-nizione di “lingua madre” si riscontra sol-tanto nella versione francese dei moduli di censimento del 1900. Occorrerà attendere il 1910 perché tale concetto sia definito per la prima volta in modo uniforme per l’insieme del rilevamento nazionale. Quell’anno, i rea-lizzatori del sondaggio precisano le carat-teristiche della “lingua madre”, e insistono già sul fatto che si tratta della lingua nella quale si pensa, quella utilizzata più volen-tieri nel contesto familiare e più corrente-mente. Dal 1950, la definizione di “lingua madre” viene riformulata, riducendone i cri-teri: si tratta della “lingua in cui si pensa e che si conosce meglio”. L’idea di verificare il grado di integrazione misurando l’assimi-lazione linguistica degli individui tramite questa domanda si concretizza: una per-sona cresciuta parlando (svizzero-)tedesco e trasferitasi in seguito in territorio

franco-fono resterebbe identificabile per il fatto che, pur esprimendosi in francese, conti-nuerebbe verosimilmente a pensare in (sviz-zero-)tedesco. Con il tempo, però, tale per-sona potrebbe incominciare a pensare in francese, dunque cambiare lingua e “assi-milarsi”, per usare un termine già impiegato all’epoca, alla maggioranza linguistica del suo contesto di vita. In Svizzera, si cerca di valutare i rapporti di forza tra comunità lin-guistiche, immaginate come omogenee e monolingui fino in anni recenti, basandosi proprio sulla lingua in cui si pensa, conside-rata quella che si padroneggia meglio.

Questa definizione è ancora proposta nella rilevazione strutturale attuale. Da un punto di vista statistico, la relativa stabilità della definizione garantisce una certa con-tinuità dei dati raccolti nel tempo, il che per-mette di operare confronti tra i risultati di oltre un secolo di rilevamenti statistici. La terminologia utilizzata nel 1990, tuttavia, cambia sotto l’impulso di esperti provenienti dagli ambiti politici e scientifici, che riten-gono preferibile evitare il termine “madre”, in quanto susciterebbe troppe emozioni e non renderebbe conto delle pratiche vere e proprie degli individui, bensì soltanto dei loro sentimenti di appartenenza familiare. Viene dunque introdotto il concetto di “lingua principale” e, parallelamente, ven-gono aggiunte due domande sulle lingue parlate abitualmente a casa/con i familiari e a scuola/al lavoro. Ciò consente per la prima volta di ottenere risultati sul plurilinguismo e sulla diglossia, in quanto gli interpellati hanno la possibilità di distinguere le loro pratiche linguistiche indicando l’utilizzo di uno o più standard e di uno o più dialetti svizzeri. L’introduzione di queste due

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Illustration originale d'Oncle Phil, © tous droits réservés, 2016

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