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QUE PENSE L'IRLANDE?

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Academic year: 2022

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QUE PENSE L'IRLANDE ?

Rien de ce qui est irlandais n'est simple. L'Irlandais lui-même n'est pas simple, unissant plus d'une fois (sans du tout en avoir conscience, l'heureux homme !) l'esprit pratique le plus terre à terre et le plus dur, avec un idéalisme ou une fantaisie échevelés, et bien incapable de distinguer entre son personnage vrai et son personnage imaginé.

L'Irlande aussi est une personne unique au monde, juste- ment offensée quand on la compare, elle nation antique, nation mère, à des Dominions nés d'hier, membre officiel et rechignant d'une communauté qu'elle repousse ; au fond, point très sûre d'être nettement chair ou nettement poisson, — l'intérêt d'un côté, l'âme de l'autre, — et qui en souffre, et qui en garde les nerfs perpétuellement à vif. Rien de ce qui est irlandais n'est simple, non pas même la neutralité.

Elle était prévue, peut-être inévitable. Dès le temps de paix, elle avait été annoncée d'avance. Au lieu qu'en Afrique du Sud, après combat, l'esprit d'abstention était battu avec Herzog et Malan, ici c'était lui qui l'emportait avec Valera.

Rien là que d'attendu. Qu'on y songe, de 1916 à 1923 c'est comme soldat de la sécession que l'homme surgissait à la vie politique et, en un tournemain, se révélait chef ; de 1921 à 1932, c'est comme champion de l'indépendance absolue,

— qu'on appelle ici république, — qu'il a combattu son prédécesseur plus modéré, Cosgrave ; c'est comme tel que, depuis sept ans au pouvoir, il a systématiquement relâché le lien fédéral qui retenait encore l'Irlande au Commonwealth.

L'an dernier, il avait obtenu l'évacuation des derniers ports, Berehaven, Cobh, que les marins britanniques occupaient encore dans l'ouest. E t toujours il avait réclamé, comme

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terres irrédentes, les six comtes d'Ulster qui, depuis 1920, constitués en É t a t distinct, étaient restés fidèles à Londres.

Tant que la Partition, ou division du territoire national, demeurerait irréparée, répétait-il, inutile de songer à une réconciliation impossible, à une coopération inimaginable.

De l'homme et du parti qui avaient pris, il y a beau temps, des positions si tranchées, on ne pouvait évidemment attendre, la guerre survenant, que neutralité.

Qu'on le sache tout de suite, afin que l'opinion française ne parte point à faux, neutralité ne veut pas dire hostilité.

Loin de là. Pour un Français, ici, l'atmosphère est décidément amicale. C'est que l'Irlande tout entière, — et par là bien plus britannisée qu'elle ne croit, — est profondément attachée à la tradition libérale et singulièrement à l'institution, parle- mentaire. Le seul nom de démocratie est pour elle encore un slogan tout-puissant. Elle n'examine même pas, elle exècre les régimes d'autorité, et comme tels. D'autre part, 90 pour 100 de ses exportations vont au Royaume-Uni ; en vain, cherchant à s'affranchir d'une telle servitude (car c'en est une), Valera a-t-il prospecté l'Europe pour découvrir des « marchés alternatifs » ; il a échoué ; et, l'expérience l'a démontré, la vie économique de l'Irlande dépend étroi- tement de la clientèle britannique. Ainsi donc, intérêts maté- riels, convictions politiques coïncident. E t il serait naïf à l'Allemagne d'espérer, comme sa radio tente, non sans quelque mollesse, de s'en convaincre, trouver en Irlande un levier sérieux contre les Alliés.

Les seuls éléments où elle ait pu raisonnablement songer à trouver appui (et dans quelle mesure songer ? cela m'échappe), savoir les groupes de VIrish fiepublican Army, sont très peu nombreux, très isolés, très faibles, peu sûrs aussi pour elle ; car, ne nous y trompons pas, eux songent bien plutôt à une opération de politique intérieure ou, si l'on préfère, à un carambolage par la bande ; leurs bombes sont quelque peu, sans doute, à l'adresse de l'Angleterre, mais pour le moins autant à celle du Cabinet irlandais, aujourd'hui considéré trop peu antianglais, et par conséquent à renverser.

Car le Cabinet, lui, quelque peu gêné à son tour par le souvenir de ses propres origines, appréhendant, pour la trop bien connaître, la séduction toujours facile d'une opinion naïve-

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meut sentimentale, craignant plus que tout au monde de faire des martyrs, ne peut évidemment traiter ces jeunes gens qu'en frères égarés, en enfants terribles ; eux le savent et en abusent : on sent toute la délicatesse du jeu...

Hors ces quelques centaines d'extrémistes, l'Irlande una- nime penche certainement, je le répète, pour la victoire des Alliés. N'oublions pas d'abord, bien que par prudence patrio- tique elle ne se fasse guère entendre, l'ancienne classe diri- geante du temps des Anglais, minorité puissante, plus encore par l'influence et par l'argent que par le nombre, « familles de comté », grands propriétaires, en général protestants, ceux-là restés de cœur attachés à l'Empire et à qui il suffit, pour choisir une cause, de savoir qu'elle est la cause anglaise. E t puis, il y a les hommes d'affaires, qui songent à leurs affaires, et, s'il faut parier, aiment mieux, comme de juste, prendre leurs clients gagnants que ruinés. Les professions libérales, qui vivent de l'activité de l'esprit, sentent, comme partout, que si l'abrutissement hitlérien triomphait, il n'y aurait plus, comme dit un savant, qu'à « mettre les volets à la boutique » : sen- timent quasi unanime dans les Universités par exemple, fussent-elles ardemment nationalistes. Le clergé, du moins en ses têtes les plus vivantes et les plus modernes, tel l'évêque de Galway, ne mâche pas son opinion. Les masses mêmes, pour les raisons que j ' a i dites et aussi parce que leur foi profonde est directement heurtée par le retour allemand au paganisme, détestent l'impérialisme et la tyrannie nazis. Seulement...

Seulement, cela n'empêche pas que la neutralité ne soit très populaire, ne réponde, en fait, au vœu quasi unanime.

A ce sentiment il y a les raisons générales et ordinaires des neutres : satisfaction compréhensible à la pensée d'éviter la bagarre, d'esquiver les coups ; espoir même (car le paysan irlandais, avide et dur comme tous les paysans du monde, a gardé le meilleur souvenir de la dernière guerre) de voir couler derechef le ruissellement d'or d'il y a vingt-cinq ans.

Il y a aussi des raisons proprement irlandaises : répugnance instinctive à se battre pour une cause qui se trouve être aussi la cause anglaise (je revois en pensée, lors de l'alerte de septembre 1938, les gars qui travaillaient dans les usines anglaises refluant par centaines sur le bateau d'Irlande pour fuir la conscription) ; il y a cette espèce de « poétique »,

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je ne trouve pas d'autre mot, dont la sourdine permanente orchestre toute la pensée politique irlandaise. Je m'explique.

Une femme gracieuse, instruite, fine, me dit en souriant elle-même de son- absurdité : « Ce qu'il faudrait, c'est que la France l'emportât, et non point l'Angleterre : à quoi cela sert-il, l'Angleterre ? » Un officier : « Ah ! cette fois, gouaille-t-il, la première que je sois avec les Anglais, et la seule, j'espère bien qu'ils ne vont pas s'amuser à perdre cette guerre-là ! » Si légèrement qu'ils disent ces choses, with their tongue in their cheek (mot à mot : avec leur langue dans leur joue), et dans le permanent souci, tellement irlandais ! de mystifier, on sent la restriction, la pointe : il est toujours inquiétant de se découvrir du même côté que les Anglais ; on s'en excuse.

L'idée sous-entendue, c'est que patriotisme irlandais et antibritannisme sont les deux termes d'une éternelle équation.

Que l'on m'entende bien : il n'est pas question de révoquer en doute, de minimiser même les torts, hélas ! éclatants de l'Angleterre envers l'Irlande. Il y a là derrière nous, par malheur, des siècles de violences, et d'autant plus sans excuse que, l'événement est là qui le prouve, la violence était vaine, elle a échoué. Extirpation des grandes maisons indigènes du x v ie siècle, confiscation des terres au x v ne, lois pénales contre les catholiques au x v me. Acte d'union arraché par la fraude et la corruption, cruelles répressions, soit militaires comme en 1798, soit judiciaires avec les bills d'exception, les jurys triés, etc., ruine de l'Irlande pastorale et agricole, après 1832, par un système économique pensé en fonction de l'industrielle Angleterre, quel chapelet lugubre de misères

infligées, de soulèvements trop naturels, d'écrasements qui toujours enfantaient plus de haine ! Mais si ces choses-là étaient, et pour jamais, du passé ? Si cette Angleterre-là était celle d'avant-hier, ou d'hier, non d'aujourd'hui ? Allons- nous, à perpétuité, jeter à la face de chaque nation qui fut, à un certain moment, la plus forte, les actes de force qui souillent son plus lointain passé ? Mais vous avez rencontré de ces huguenots qui, après quatre cents ans, se sentent personnellement massacrés à la Saint-Barthélémy, de ces Germains qui ne pardonnent pas encore l'incendie du Pala- tinat. La mémoire des nations est longue, hélas ! Qu'est-ce

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que vingt ans dans la vie d'un peuple ? Et l'Irlande n'a eu que vingt ans pour oublier.

On ne saurait imaginer quelle magie le succès, —. inima- ginable, à en croire le calcul normal des probabilités, — de l'insurrection de 1916 a exercé sur les têtes irlandaises.

Des moyens si faibles, une entreprise à ce point chimérique, l'écrasement immédiat, et puis, cinq ans après, à force de sacrifice, de foi aveugle dans la justice, de défi même à toute raison, le triomphe ! Il y avait toujours eu dans la politique irlandaise une tradition de physical force : on n'obtient rien de l'Angleterre que par les armes ; et l'événement, inespéré, inouï, justifiait une fois de plus, et cette fois sans conteste, la vieille doctrine ; du coup, la théorie devenait axiome.

L'ennui est qu'elle est fausse : une analyse incomplète n'est plus exacte ; une vérité partielle n'est plus une vérité. Pour que l'Irlande obtînt son affranchissement, il fallait bien, c'est vrai, l'insurrection qui marquât sa volonté d'indépendance ; mais il fallait, aussi, que l'Angleterre vainquît dans la Grande Guerre et avec elle l'idée de nation contre l'idée d'empire ; que, prise à ses propres principes, elle ne pût refuser à l'Ir- lande cette liberté au nom de quoi elle avait combattu.

De même, quand je m'entends dire que si l'Angleterre a cédé en 1921, c'est par appréhension de l'opinion américaine, sou- levée par les Irlandais de là-bas, j ' e n conviens ; mais elle a cédé, aussi, — et c'est ce qu'on néglige injustement de dire, — parce qu'une fraction croissante de sa propre opinion s'insurgeait contre les sévices que la force infligeait à des faibles pour les maintenir sous le joug. Le vrai, c'est que l'Angleterre (et c'est trop humain) a, un temps, oscillé entre l'égoïsme, appuyé de violence, et le renoncement, puis qu'enfin, elle la plus forte, a préféré céder : est-ce tellement commun ? Mais l'Irlandais (et cela aussi est trop humain) ignore volontiers les parts de la vérité qui lui cuisent. Et cette déficience l'amène à se complaire à des fictions chères et surprenantes. Un instituteur à qui l'on essaye de remontrer quel péril impliquerait pour l'Irlande faible et libre le triomphe de Hitler, répond : « Point du tout. Nous avons battu l'Angleterre, et nous battrions l'Allemagne. » Le plus grave est que, chez ce jeune homme, ce n'est pas là tarta- rinade innocente, c'est candeur.

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E t maintenant, regardez une carte. Voyez, excentrique, aux extrêmes confins du continent, murée derrière la Grande- Bretagne, en dehors des tourbillons dangereux, oui, mais aussi des courants qui portent les messages, cette menue île de quatre millions d'âmes : une telle géographie pèse sur la pensée. Petite communauté cernée entre ses quatre murs, repliée sur elle-même, où tout le monde connaît tout le monde et où, pour cette raison, il est plus malaisé de contredire parce que tout argument y prend vite une couleur person- nelle, il y faut un effort pour imaginer qu'on soit part de l'Europe et qu'on en doive, bon gré mal gré, partager le destin. Beaucoup n'ont pas idée d'une telle dépendance.

« Nous, mettre le nez dans cette guerre ? me dit une jeune fille que je taquine. Pourquoi faire ? Elle ne nous regarde pas. » Elle le croit. Si l'on pouvait seulement se payer le luxe de perdre la partie pour lui prouver son erreur ! Un senti- ment règne ici d'absurde sécurité, comme si la sûreté était un état normal, absolu, et non point une chance heureuse, une chance précaire, conditionnelle, et dont la condition est la flotte anglaise. Le mal le plus profond qu'ait fait peut-être ici cette longue tutelle étrangère, c'est d'y avoir laissé cette atmosphère artificielle dont n'ont plus conscience ceux-là qui la respirent. Pour les mêmes raisons de parti- cularisme un peu confiné, le sens de la proportion manque.

Le regard, d'instinct, s'absorbe sur les objets proches que lui magnifie leur proximité. Il est clair qu'un objet capital pour la nation est là réunion du Nord dissident. Il est non moins clair que pour l'Irlande même, passionnée de liberté, chré tienne, matériellement faible, l'enjeu de la présente guerre, si éloigné d'elle qu'il lui apparaisse, est autrement plus important. Supposez la France encore amputée de l'Alsace- Lorraine : même ainsi, ne sentirait-elle pas qu'aujourd'hui les valeurs en suspens, qui commandent pour demain la vie de l'humanité tout entière, dépassent, et de beaucoup, fût-ce le recouvrement de l'Alsace-Lorraine ? En Irlande, pour le nombre, ces évidences-là ne sont pas évidentes. Le nombre ne pense pas européen. Ceux qui le tentent (j'en connais, et cer- tains venus du plus intransigeant Sinn Fein, mais qui voient le danger d'un tel manque d'horizon), ceux-là sont acculés à user de la plus délicate prudence, sous peine de s'entendre

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jeter au visage la parole qui ne pardonne pas : pro-anglais ! Telle est cette opinion, unique, je pense, en Europe, faite de cautèle et d'idéalisme, de réticences justes et de préjugés, de défiance inapaisée, d'étroitesse et de sens commun, compo- site et complexe, souvent contradictoire avec elle-même, mais dont les contradictions se fondent, avec l'aisance des sèves naturelles, en un sentiment paisible, obscur, puissant. L'abs- tention, à n'en pas douter, en est l'expression la plus juste.

Ajoutez que la rivalité, passablement aigre, entre l'équipe au pouvoir hier et celle d'aujourd'hui, est une cause encore de paralysie. L'Irlande ne bouge pas. Elle refuse de prendre parti. Même elle se pique d'observer la balance entre belli- gérants avec la plus scrupuleuse rigueur. Et pourtant...

Qu'elle regarde dans sa bourse ou bien dans son cœur, au fond elle souhaite ardemment qu'un parti l'emporte, et elle sait bien lequel ; mais bien peu l'avoueront, et surtout point le Cabinet. On ne fera rien qui nuise aux puissances libérales, au contraire... Mais ce contraire, sub rosa. Que d'avantages à cette nuance ! On ne prête pas le flanc aux critiques d'une opposition à l'affût. On sert les intérêts matériels du pays en maintenant les affaires avec ses opulents voisins et ses intérêts moraux en nourrissant lesdits voisins, qui, après tout, en défendant leur liberté, défendent la liberté de tous.

En même temps, du seul fait de ne pas les joindre, on leur aura montré la froideur nécessaire, obéi aussi à ce confor- misme qu'en Irlande, pour un politique, il est si dangereux d'offenser. Tels sont les éléments, balancés, qui déterminent la ligne de conduite. Et j'avoue qu'elle confirme à la politique irlandaise cet air d'irréalité qu?elle a souvent, à cause d'une subtilité trop grande. En ce qui concerne les Alliés, je ne vois pas qu'ils aient à s'en plaindre. L'Irlande ni n'aide les Allemands dans leur essai de contre-blocus, ni ne profite des embarras britanniques pour y ajouter par une attitude agressive ou hostile. Ses ports, étant neutres, se défendent tout seuls. Elle envoie à John Bull toute la nourriture qu'il veut bien acheter. Que souhaiterions-nous de plus, pour nous ?

Mais pour elle, — et ici je ne veux considérer que son intérêt à elle, étroit et propre, — pour elle, n'y avait-il pas une autre et plus belle partie à jouer ? Elle a choisi le parti facile, fait la chose qui sautait aux yeux ; et, ce faisant, elle

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a, j ' e n conviens, préservé ses affaires et le sang de ses fils, préservé sa sûreté immédiate, et la quiétude, aussi, des positions parlementaires. C'est quelque chose. Mais était-il donc impossible de voir plus grand ? Je fais un rêve : l'Irlande a joint, non pas l'Empire (pour éviter aux responsables le reproche, qui ne leur eût pas été épargné, de pro-britannisme), mais les Alliés ; l'Irlande envoie au commandement suprême, qui se trouve n'être pas Anglais, et cela, non pas comme Domi- nion, mais comme Puissance indépendante, de son chef, sous son uniforme et son drapeau, une division. (Mes amis irlandais ne me taxeront pas, j'espère, de recruiting : ce n'est pas une division qui eût fait, je pense, pencher la fortune-des armes.) L'Irlande envoyait une division. Quels étaient ses risques ? Nuls. Tant qu'il y a une armée française et une flotte anglaise, elle est sauve ; si l'une ou l'autre cédait..., son sort est clair.

Elle jouait donc sur le velours. Et, d'autre part, quelle réclame ! Elle était là, seule, ou du moins la première des États secondaires au monde ; elle, la fière, la chrétienne, faible, mais droite, et debout contre le paganisme et la force, à son rang pour défendre ce qu'a défendu toute son histoire, l'idée de nation et l'idée de chrétienté. Quelqu'un à qui j'expose le plan murmure comme à regret : « Nous sommes si petits ! si ignorés ! Sait-on que nous sommes neutres ? A peine sait-on que nous existons... » Non, on ne le sait pas ; mais à qui la faute ? Votre abstention, l'Angleterre, — elle joue son jeu, — y a répliqué par le silence : est-ce à elle à faire votre publicité ? Mais si vous aviez prévu, David intrépide à la fronde, le monde entier eût retenti de votre nom. L'Angleterre, charmée de pouvoir, grâce à vous, exhiber

au monde une communauté sans fissure, n'aurait pu manquer de le reconnaître. Le jour venu de la paix, vous aviez votre mot à dire. Tandis que votre abstention d'aujourd'hui, que peut-elle vous valoir plus tard, que des indifférences ?

Même la dernière plaie qui vous reste d'une longue misère, la Partition, c'était peut-être votre plus belle chance, s'il en est une, de la guérir. « Pas de rapprochement, vous écriez-vous, si le tort de la Partition n'est d'abord réparé !

— Pas de redressement, vous répondra-t-on en face, sans d'abord réconciliation. »

Qu'il vous plaise ou non, que leur établissement originel

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procède ou non de la conquête, aujourd'hui le fait est là ; vous avez en Ulster 700 000 protestants loyalistes, têtus, compacts, que vous ne sauriez digérer, même si vous aviez la force, et vous ne l'avez pas. Pour les réunir un jour et qu'ils ne restent pas dans votre organisme, inexpiablement, un corps étranger et nuisible, il n'est qu'une voie : les désarmer, en fai- sant un pas vers l'Angleterre. Quelle meilleure occasion en aviez-vous ? Ce pas vous coûtait-il tellement ? Et ne rêvez- vous pas quelquefois, du moins les sages d'entre vous, d'une

Irlande indépendante couverte, comme le Portugal, par une alliance perpétuelle avec la vieille Britannia ? Si Londres garde Belfast pour le protéger contre vous ou si elle le protège pour le garder, c'est une question que vous posez sans cesse ; et si Belfast se veut distinct de vous pour préserver son loyalisme, ou bien use de son loyalisme pour se maintenir distinct de vous, c'en est une autre : quelle meilleure occasion aviez-vous, irréprochable, habile, généreuse, magnifique, de les mettre tous deux au pied du mur ? Pour jouer cette partie-là, que fallait-il ? Pas grand chose. Quelque imagination pour plonger au delà de la circonstance présente, un peu d'initiative pour secouer l'opinion somnolente et lui désigner d'un geste l'horizon, deux sous de grandeur d'âme pour enterrer vingt ans d'aigreurs partisanes et appeler au pouvoir l'opposition dans un Cabinet national... Rien de tout cela ne dépassait le prési- dent de Valera : son prestige eût suffi pour entraîner les foules, et, par choc en retour, en eût été grandi.

Sur quoi, mon ami convient bien qu'une telle politique apparaît spécieuse, même séduisante, et puis ajoute, pensive- ment : « Mais, dans l'état actuel de l'opinion irlandaise, elle est impossible. » Tant pis pour l'opinion irlandaise ! E t , assu- rément, à une heure si grave, où les nations jouent leur vie, je n'ai pas l'outrecuidance de vouloir dicter, ou seulement proposer, une conduite à un pays qui n'est pas le mien. J'ai parlé dans l'abstrait. Même, si je connais bien mon Irlande, le fait seul qu'un système fût né dans une tête étrangère suffirait à le condamner. Et puis, il est trop tard. Mais que ces joueurs nés me permettent de le leur dire : on ne m'enlè- vera pas de l'idée qu'ils ont manqué un beau coup.

ROGER CHAUVIRÉ.,

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