Anna Grasso
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/assr/49021 DOI : 10.4000/assr.49021
ISSN : 1777-5825 Éditeur
Éditions de l’EHESS Édition imprimée
Date de publication : 5 décembre 2019 Pagination : 336-338
ISBN : 9782713227844 ISSN : 0335-5985 Référence électronique
Anna Grasso, « Mohammed HASHAS, Jan Jaap de RUITER, Niels Valdemar VINDING (eds.), Imams in Western Europe. Developments, Transformations, and Institutional Challenges », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 188 | octobre-décembre 2019, mis en ligne le 08 janvier 2022, consulté le 07 janvier 2022. URL : http://journals.openedition.org/assr/49021 ; DOI : https://doi.org/10.4000/
assr.49021
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© Archives de sciences sociales des religions
Mohammed HASHAS , Jan Jaap de
RUITER , Niels Valdemar VINDING (eds.), Imams in Western Europe.
Developments, Transformations, and Institutional Challenges
Amsterdam, Amsterdam University Press, 2018, 438 p.
Anna Grasso
RÉFÉRENCE
Mohammed HASHAS, Jan Jaap de RUITER, Niels Valdemar VINDING (eds.), Imams in Western Europe. Developments, Transformations, and Institutional Challenges, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2018, 438 p.
1 La question du rôle et de l’influence des imams en Europe de l’Ouest est un sujet de grande actualité. Suscitant de nombreux fantasmes, ces acteurs sont désignés comme pions des pays musulmans, militants islamistes qui prônent la violence, réactionnaires qui bloquent l’intégration de leurs coreligionnaires. Néanmoins, au fil des années, les institutions étatiques en Europe reconnaissent de plus en plus leur utilité. Les imams sont en effet perçus comme étant des représentants de l’islam et, par conséquent, ils sont considérés comme des interlocuteurs et médiateurs incontournables dans la lutte contre la radicalisation et l’islamophobie. Certains de ces clercs ont ainsi saisi cette opportunité pour nouer des relations avec des organismes étatiques ou bien des associations issues de la société civile. L’un des objectifs affichés de Imams in Western Europe est de montrer comment l’analyse du rôle et de l’encadrement de ces acteurs permet de mieux saisir la question plus vaste de la régulation du religieux dans des sociétés libérales et séculières de l’Europe de l’Ouest. Cet ouvrage est le fruit d’une
plus théorique. La deuxième partie se penche sur des études de cas.
3 Si de nombreux pays européens sont analysés, les contributions ne négligent ni le Maroc ni la Turquie, souvent mentionnés. Les auteurs de ces textes sont issus de différents milieux : universitaires, représentants d’associations/organisations, et un imam. Les méthodes d'approche varient. Cette hétérogénéité fait aussi bien la force que la faiblesse de l’ouvrage : les articles étant denses et touchant à des sujets disparates, il est parfois difficile d’arriver à saisir la cohérence du volume.
4 Parmi les différents thèmes abordés, nous en retenons trois : les programmes de formation des imams en Europe de l’Ouest, la question de l’autorité religieuse féminine, le statut et le rôle de l’aumônier musulman. Le thème qui émerge le plus tout au long de l’ouvrage est celui de la formation des imams dans les pays européens. Dans le chapitre introductif, les éditeurs soulignent le besoin qui émerge en Europe de former des imams autochtones (p. 23). Les instances gouvernementales de différents pays ont mené des études concernant la mise en place de ces projets de formation, avec l'objectif de permettre aux futurs imams de se familiariser avec la situation sociale et juridique des pays dans lesquels ils habitent, de maîtriser la langue du pays, et d'échapper à l’influence de « forces » externes, comme cela pourrait se produire chez les imams
« importés ».
5 Les textes qui portent sur cette thématique montrent les écarts importants entre les types de formation envisagés. Cela dépend du nombre, de l’ancienneté, ainsi que des moyens financiers des communautés musulmanes dans les différents pays étudiés, mais aussi du rapport entre État et religion au sein de ces derniers. Trois principaux modèles de formation ont été mis en place : la formation prise en charge par des associations ou institutions privées (Royaume-Uni, Italie, Espagne) ; la formation financée par les États, mais sans inclure des cours de théologie (pays scandinaves) ; la formation financée par l’État incluant des cours de théologie (Pays-Bas et Allemagne).
6 La création d’une formation commune en théologie est très difficile à réaliser notamment parce qu’il existe une concurrence entre différentes interprétations théologiques et juridiques. À titre d’exemple, Tuomas Martikainen et Ritta Latvio évoquent la fracture existant entre les musulmans Deobandi et les Barelvi au Royaume- Uni (p. 425). Göran Larsson souligne les tensions entre le modèle du Diyanet Turque et le programme saoudien de l’institut de Médine ou le programme égyptien d’Al Azhar (p. 133). Afin de s’affranchir de ces différences, Juan Ferreiro Galguera considère qu’un objectif ambitieux serait de créer un institut ou une université européenne d’études islamiques (p. 356). Laarson considère, lui aussi, que le véritable défi est justement celui de mettre sur pied une formation proposant une manière de vivre et transmettre l’islam en tant que religion minoritaire (p. 134-135).
7 L’un des aspects les plus surprenants de l’ouvrage concerne la prise en compte du rôle des femmes, alors que la fonction d’imam concerne exclusivement le genre masculin.
Dans l’introduction de l’ouvrage, les auteurs déclarent : « Ce livre traite de la figure de l’imam – pour la plupart de genre masculin, mais aussi féminin, à l'image des murshidas (les guides féminines) – et leurs différents rôles » (p. 21, nous traduisons). L’autorité religieuse féminine en Europe de l’Ouest semble émerger dans les interstices. Claudia Carvalho parle de l’invisibilité des femmes dans les mosquées et de leur présence qui se développe plutôt sur les réseaux sociaux (p. 188). Niels Valdemar Vinding s’intéresse à une typologie d’imams indépendants qui ne sont associés à aucune forme d’autorité institutionnelle. Parmi ces imams, il identifie une femme, Halima Krausen, qui exerce son rôle à Hambourg en Allemagne (p. 245 et 248). Mohamed Khalid Rhazzali parle du rôle des femmes en Italie, en se penchant sur les médiatrices interculturelles (p. 388).
Sans être reconnues en tant que guides, Rhazzali souligne comment « les femmes finissent souvent par effectuer la majorité des tâches associées à la figure de l’imam (par exemple en ce qui relève de la formation) » (p. 389).
8 Le Maroc est souvent mis en avant à cause de l’émergence d’autorités féminines religieuses étatiques. Sara Borrillo – qui a étudié le cas des murshidas (prêcheuses et enseignantes) et des alimat (spécialistes du droit musulman) – considère néanmoins que le modèle marocain ne peut être repris pour mettre en place un système de formation des femmes musulmanes en Europe. Selon elle, il existerait une troisième voie entre l’autoritarisme marocain et le laïcisme européen. La prise en compte de l’autorité religieuse féminine et l’échange entre femmes de différents milieux pourrait permettre de revoir certains schémas préconçus. Mohammed Hashas partage cette vision de la prise en compte des femmes pour renouveler le regard sur l’autorité religieuse musulmane. Il parle de leur influence en tant que guides spirituelles qui s’attaquent aussi bien aux positions de militants djihadistes qu’à celles d’autorités religieuses conservatrices qui empêchent aux femmes de diriger la prière (p. 87). À cet égard, il mentionne un cas encore plus controversé, celui des imams homosexuels (p. 87).
9 Parmi ces « nouvelles » figures associées à l’imamat, les contributions de cet ouvrage portent aussi sur le rôle des aumôniers. Un aumônier peut être défini en tant qu’individu qui offre du soutien spirituel au sein d’une institution (p. 296). Dans l’introduction, les trois éditeurs soulignent comment, à cause du nombre grandissant de musulmans présents dans ces différents pays européens, les institutions privées et publiques (hôpitaux, écoles, prisons, etc.) tentent de mieux répondre aux besoins des adeptes de cette religion en embauchant des aumôniers musulmans (p. 23). Selon plusieurs auteurs, la réorganisation de l’autorité religieuse musulmane en Europe devrait s’inspirer de cette figure de l’aumônier. À titre d’exemple, Mansur Ali souligne les nombreuses difficultés rencontrées par les imams qui ont étudié dans les Darul Uloom au Royaume-Uni. Selon Ali, ce type de formation ne prépare pas les imams à donner des réponses concrètes aux problèmes des fidèles qui vivent dans le monde actuel et ont affaire à des cas d’abus d’alcool ou de drogues, des problèmes familiaux, des troubles psychologiques, etc. Pour cela, les imams bénéficient d’une expérience de terrain à l’image des aumôniers. Selon Ali, sortir de la mosquée et agir dans l’espace public favorise une forme de liberté d’action et de mouvement (p. 306).
10 Ces études montrent aussi que les États européens s'investissent davantage en faveur des aumôniers que dans la formation des imams. Galguera note l’amélioration des conditions de travail des aumôniers musulmans en Espagne qui, depuis 2007, peuvent
Mansur Ali a pu interviewer des femmes qui exercent ce rôle au Royaume-Uni (p. 303).
Enfin, Mohammed Khalid Rhazzali met l’accent sur les médiatrices interculturelles musulmanes en Italie, lesquelles assument le rôle d’aumôniers au sein des prisons italiennes, « en offrant une direction spirituelle aux détenus, en formant le personnel des prisons aux sujets qui pourraient être sensibles pour la communauté musulmane, en offrant des livres sur l’Islam aux bibliothèques pénitentiaires » (p. 389).
12 Nous sommes en présence d’un ouvrage qui contient des études approfondies et qui apporte des éclairages utiles sur la figure de l’imam dans les pays d’Europe de l’Ouest.
Nous pouvons cependant regretter ses limites. Bien évidemment, l’ambition d’exhaustivité affichée dès le titre, Imams in Western Europe, ne va pas de soi. Les éditeurs soulignent eux-mêmes dans le chapitre introductif la difficulté d’arriver à proposer un schéma qui soit à même de subsumer tous ces cas dans un cadre d’analyse unique (p. 29-30). Néanmoins, ce collectif constitue une contribution pionnière sur les imams européens, qui donne matière à réfléchir à d’autres chercheurs travaillant sur l’autorité religieuse en islam, sur d’autres religions ou encore sur des thématiques plus larges, telles que la migration, la sécularisation ou le multiculturalisme.