• Aucun résultat trouvé

QUEL ORDRE NATIONAL POUR LES AVOCATS? Michel BENICHOU Avocat au Barreau de Grenoble Ancien Bâtonnier

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "QUEL ORDRE NATIONAL POUR LES AVOCATS? Michel BENICHOU Avocat au Barreau de Grenoble Ancien Bâtonnier"

Copied!
11
0
0

Texte intégral

(1)

QUEL ORDRE NATIONAL POUR LES AVOCATS ? Michel BENICHOU

Avocat au Barreau de Grenoble Ancien Bâtonnier

Lors de chaque mandature, le Conseil National des Barreaux aborde la question de sa représentativité et de sa « Gouvernance ». Les mots ne sont pas neutres et les avocats le savent. Ce terme, tombé en désuétude, a resurgi au XXème siècle à l’occasion de la réflexion sur la « Gouvernance d’entreprises » puis a envahi le monde des médias, la politique pour domestiquer le débat sur la représentation et la démocratie. « Or, la gouvernance obéit à une logique de marché ; elle est découplée du politique, du Peuple et de la souveraineté, alors que la démocratie en est l’expression. La participation dans la gouvernance est sélective, à travers la cooptation de groupes d’intérêts organisés…

Le fonctionnement de la gouvernance est opaque et dénué d’imputabilité (obligation de rendre des comptes) »1.

Si on en croit cette définition, alors il faut arrêter le débat sur la gouvernance et parler de notre démocratie représentative professionnelle.

Le terme « gouvernance » ne pourrait être utilisé qu’au sujet du fonctionnement et de la gestion des organismes publics et privés. Or, nous n’avons pas besoin d’une gestion mais d’un gouvernement de la profession. Le véritable débat, le seul débat reste donc l’instauration de l’Ordre National2.

Naturellement, il ne s’agit pas, comme le prétend le rapport du CNB ou d’autres voix, d’une question « cosmétique ». S’il ne s’agissait que de changer l’appellation de notre institution, alors gardons l’actuelle. Nous commençons à nous habituer à ne plus confondre C.N.B. et C.N.B.F.. Mais s’il est nécessaire de retrouver la voie d’une « re- fondation de l’Ordre », s’il convient de maintenir collectivement efficacité économique et dévouement public, il faut alors raviver la démocratie au sein des Ordres et de la profession.

Si le mouvement fort et confraternel que j’appelais, en 2008, de mes vœux n’a pas prospéré, aujourd’hui des avocats, des bâtonniers, des organisations conviennent que l’Ordre National est la solution indispensable.

L’ACE, dans son dossier dénommé « L’avenir de la profession » (Revue trimestrielle mars 2011), consacre deux articles au gouvernement de la profession et à l’Ordre National. Le Président W. FEUGERE (ACE) a confirmé son engagement pour l’Ordre National3. Le Bâtonnier Alain POUCHELON, Président de la Conférence des Bâtonniers, y a fait allusion dans son discours lors de l’assemblée générale statutaire de janvier 2011. Son Dauphin, le Bâtonnier Jean-Luc FORGET, n’exclut pas qu’à la fin de la réflexion, il faille concevoir un Ordre National. Enfin, Jean CASTELAIN, Bâtonnier de l’Ordre de PARIS, a clairement appelé à la constitution de cet Ordre National et a indiqué qu’il ne serait candidat à la présidence du Conseil National des Barreaux que si

1 Ali KAZANCIGIL : « La gouvernance – pour ou contre le politique ? » Edition Armand Colin 2010

2 Michel BENICHOU : « Plaidoyer pour un Ordre National des Avocats » Gazette du Palais 16-18 mars 2008

3 W. FEUGERE – Entretien Petites Affiches 25/26 Avril 2011

(2)

se dessinait « un mouvement puissant de la profession pour créer un Ordre National à partir du C.N.B. »4. Il est rejoint par la Commission « Prospective » du Barreau de PARIS qui appelle à un véritable référendum des avocats parisiens sur cette question.

Ces contributions permettent de reprendre le débat. Toutefois, il convient d’être prudent.

La réflexion doit être transversale et non captée, uniquement, en vue du débat électoral prévu pour la fin 2011. L’idée de l’Ordre National ne doit pas diviser les confrères puisque son objectif est justement de réaliser l’unité de la profession, cette unité que nous recherchons.

Il reste que, derrière cette idée, se cachent des approches contradictoires quant à sa composition et aux objectifs de cette nouvelle institution.

I°) LES ENJEUX ET LA COMPOSITION DE L’ORDRE NATIONAL

Notre situation actuelle et les enjeux sont connus. Le constat est quasiment unanime. En revanche, la composition de l’Ordre National appelle des solutions différentes.

La profession d’avocat au XXIème connaitra des changements encore plus importants que ceux qu’elle a entamés au siècle précédent. Le marché du Droit reste aussi sauvage que les autres. Il laissera des avocats au bord du chemin. Il ne s’agit pas d’ignorer l’existence des besoins de droit. Il reste néanmoins à décider si nous serons des acteurs ou simplement absorbés par le marché. Celui-ci veut écraser les velléités d’indépendance collective, d’éthique et ce au nom du profit maximum et de la productivité. Le marché ne supporte pas les identités collectives, facteur de résistance et de régulation. Il considère que nous ne sommes que des agents économiques, des producteurs et que, comme tels, nous devons accepter sa prétendue loi. Les modes opératoires du marché sont ceux du marchandage, du compromis, de l’élaboration d’une éthique minimum qui ne puisse, en aucune façon, gêner la recherche et l’accumulation du profit.

L’Etat, de son côté, n’a jamais vraiment aimé, voire supporté, les avocats. Napoléon, dont on a récemment célébré le Décret de 1810 visant à rétablir les Ordres, avait le souhait de « couper la langue aux avocats qui parlaient contre le Gouvernement » et son décret n’avait d’autre objectif que de contrôler les avocats rebelles. Le pouvoir étatique proclame qu’il souhaite n’avoir qu’un interlocuteur unique mais fait en sorte de diviser les avocats, de susciter de multiples représentants en leur accordant une fausse légitimité.

Lorsque, par hasard ou nécessité, la profession commence à s’organiser, il n’hésite pas à tenter d’ajouter aux représentants légaux politiques, déjà trop nombreux, un nouvel interlocuteur au nom de la spécificité technique et chacun accepte cette situation en considérant son ego et la défense de prétendus intérêts particuliers contre l’intérêt supérieur de la profession.

4 Jean CASTELAIN – Entretien Gazette du Palais du 27/29 Mars 2011

(3)

Il faut ajouter à ce tableau le rôle des Autorités Européennes qui continuent de souhaiter une dérèglementation, à l’exemple de l’Angleterre, proclamée bon élève de l’Europe.

En ce pays, ce ne sont plus les avocats qui font les normes mais une « autorité indépendante », le Legal Services Board, composé de personnalités désignées par le Gouvernement et, en minorité, d’avocats. Les firmes spécifiques d’avocats seront concurrencées par des Alternative Business Structures qui regrouperont plusieurs professions ou activités commerciales. La première sera portée sur les fonds baptismaux, dès octobre 2011, par une chaine de pompes funèbres. Elle considère, en effet, que ses clients, outre l’organisation de funérailles, ont besoin de services juridiques. Les capitaux extérieurs entreront dans les sociétés d’avocats et manifesteront leurs exigences (choix de la clientèle la plus rentable, fin du secret professionnel car on ne cache rien aux actionnaires, abandon du principe de la prévention des conflits d’intérêts car l’objectif est d’avoir de plus en plus de clients et de profits).

La Commission Européenne appelle à la suppression des monopoles, à la généralisation de la publicité, à la fin de l’asymétrie d’information entre avocats et clients. La Cour de Justice de l’Union Européenne a franchi une nouvelle étape en considérant que l’interdiction générale et absolue de toute activité de démarchage était contraire à l’article 24 de la Directive 2006/123/C.E. du Parlement Européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur (Arrêt C- 119/09 du 5 avril 2011). Nous somme donc dans l’économie marchande et non plus dans celle de la « singularité ».

Enfin, la mondialisation des services juridiques constitue un enjeu de taille. On verra naître des firmes d’avocats encore plus importantes que celles qui existent aujourd’hui et regroupant des milliers d’individus ayant leur propre logique, leur propre éthique, refusant l’éparpillement ordinal et menant leur politique spécifique de lobbying.

La mondialisation, c’est la dérégulation + internet. Déjà, de nouvelles pratiques sont en marche, exemptes de toute règlementation. Les avocats anglais pratiquent l’outsourcing.

Ils sous-traitent leurs dossiers à des avocats indiens, pakistanais ou autres, pratiquant la Common Law et ayant des tarifs moins élevés, pour satisfaire leurs clients dans les plus brefs délais (décalage horaire oblige !) et à moindre coût.

Si les enjeux ne sont pas compris et les mesures nécessaires ne sont pas prises en urgence, nous serons des spectateurs de seconde zone.

Face à ces défis, connus et craints des avocats, certains s’organisent en firmes et partent à la conquête du marché avec des stratégies propres et des moyens importants. Ils n’attendent plus des institutions que la fourniture de services collectifs et une législation

« soft » qui n’entravera pas leur développement. Pour d’autres, la survie économique est déjà difficile. Ils se heurtent aux plus puissants (clients institutionnels, banques, assurances, …) qui leur imposent des tarifs qui, parfois, n’atteignent même pas ceux de l’aide juridictionnelle. En butte aux difficultés du quotidien, à la baisse du contentieux, aux difficultés d’une Justice lente, lointaine et parfois méprisante à leur égard, à la

(4)

concurrence des braconniers du droit, des experts-comptables et autres qui développent, sans cesse, de nouveaux services juridiques, ils désespèrent de leur avenir.

Les questions de gouvernement leur sont donc lointaines. Toutefois, les avocats ont encore confiance en leurs Ordres. Il suffit de constater la participation, souvent massive, des avocats de province et de Paris lors des élections du Bâtonnier.

Quant au Conseil National des Barreaux, ils en connaissent désormais l’existence.

Personne ne rejette son bilan. Celui-ci s’est progressivement construit et les 80/82 membres qui, de mandature en mandature, ont œuvré, l’ont fait avec bonne foi, sérieux et souci de l’intérêt général.

Le chemin parcouru n’est pas négligeable. Le Conseil National des Barreaux est reconnu par les pouvoirs publics. Le Bâtonnier de PARIS et le Président de la Conférence des Bâtonniers ont souhaité en faire partie comme vice-présidents de droit, reconnaissant la légitimité de l’institution. Un triumvirat officiel a été constitué.

Mais, on le constate, le CNB n’est pas le seul représentant de la profession. Il n’est même qu’une institution parmi d’autres. Chacun veut s’exprimer sur tout. Ainsi, chaque bâtonnier local a eu son point de vue sur la réforme de la garde-à-vue et a donné son avis sur les ondes. Les médias ont prêté d’autant plus d’attention aux minoritaires qu’ils ont critiqué les décisions de la Cour de Cassation sans les comprendre, et ont refusé l’application de la loi qui consentait de nouveaux droits aux personnes suspectes…

Chaque organisation, locale ou nationale, développe son point de vue sur les lois proposées par le Gouvernement ou le Parlement, les réformes de la profession et cela peut être légitime. En revanche, ce qui l’est moins, c’est ce défilé permanent auprès des ministères, les lettres ou les appels téléphoniques adressés aux parlementaires, la description d’un CNB qui ne représenterait que lui-même. On décrédibilise la voix de la profession. Face à la légion romaine que constitue le notariat, organisé en France et en Europe, les avocats français – sympathique troupe gauloise – se complaisent dans des divisions néfastes. Certes, « le diable serait dans les détails » mais nous avons le génie d’inventer le détail qui nous divise.

Le Barreau de Paris est partie intégrante du CNB mais souhaite avoir un rôle prépondérant. Il représente le Barreau de France dans le monde et il peut affirmer avoir cette légitimité. Lorsque le Bâtonnier de Paris se déplace, il ne rencontre pas le barreau de la capitale de l’autre pays, mais le représentant du barreau national. Lorsqu’il reçoit, ce sont des représentants nationaux de barreaux étrangers ou les ministres de la Justice.

Enfin, lorsqu’il demande à être reçu, ce n’est pas par le Maire de Paris mais par le Président de la République. Il est vrai que lorsque l’on examine le budget consacré par le Barreau de Paris à son développement international, le CNB et les barreaux de France ne sont que des nains.

Ce constat est partagé par tous. Il existe, dans notre profession, plusieurs légitimités qui se concurrencent. Les bâtonniers considèrent bénéficier de la légitimité offerte par le suffrage universel et la loi. Les Ordres, de part la loi de 1971, sont indépendants et peuvent traiter toutes les questions. Il ne s’agit donc pas seulement de gestion locale ou

(5)

de rapports avec leurs magistrats. Ils s’estiment dépositaires de toute légitimité pour évoquer les questions nationales.

Cette situation conduit à la cacophonie. Il faut une rupture franche et la constitution d’un Ordre National. Nous ne devons avoir qu’un seul représentant qui prendra les décisions, démocratiquement, les imposera aux pouvoirs publics et, s’il le faut, à la profession.

Certains considèrent qu’il suffirait de changer le mode électoral du CNB. Il s’agirait de revenir aux élections d’origine, celles de 1992, avec un scrutin de listes et une circonscription nationale. On sait que le Président DANET, à la fin de son mandat, a souhaité opérer une réforme électorale indispensable. L’expérience avait été tentée et avait échoué. Le scrutin national par liste assure uniquement la présence des syndicats au sein du CNB. Cela maintient à l’extérieur de l’institution les Ordres, les bâtonniers.

Or, la légitimité des Ordres est liée à l’Histoire des avocats et personne ne pourra la remettre en cause. Par ailleurs, s’il ne s’agit que de modification du mode de scrutin, comment revenir sur la réforme de 1995 qui a permis au Conseil de l’Ordre de Paris (43 membres) d’élire seul 20 % des membres du Conseil National des Barreaux (16 élus/82).

Comment revenir sur la profusion des différentes listes qui, dans le collège général, se présentent et n’ont parfois qu’une vie éphémère, ceci sans omettre que leurs élus apportent, souvent, à l’institution, vigueur nouvelle et travail considérable ?

Certains, au contraire, préconise une élection dans des circonscriptions de Cour d'Appel ou régionales. Toutefois, la simple réforme électorale ne changera rien quant aux légitimités diverses qui s’affrontent, celle des Ordres, celle de l’Ordre de Paris, celle des syndicats, celle des organismes techniques qui font de la politique.

Il faut donc un changement profond.

Il faut affirmer que l’Ordre National ne peut se créer sans les Ordres. Il devra faire sa place – toute sa place – à l’ordinalité et devra être constitué d’un collège de bâtonniers en exercice. Le Collège Ordinal province du CNB n’a jamais démérité. Toutefois, il est composé d’anciens bâtonniers ou d’anciens membres de conseils de l’Ordre qui n’ont plus le pouvoir d’engager leurs Ordres ou leurs conférences régionales. Ils n’ont plus la légitimité de l’exercice au quotidien du pouvoir.

Il est impensable de prévoir une institution avec 160 bâtonniers. Il convient donc d’aboutir à une représentation par circonscription. L’efficacité pousserait à adopter la région comme circonscription. Mais il ne faut pas injurier l’Histoire. Celle-ci est encore liée au judiciaire, même si le chiffre d’affaires des avocats se fait à 70 % dans le service juridique. Ce n’est pas le marché qui dicte la composition de nos institutions. Les avocats sont liés à l’administration de la Justice et au ressort de la Cour d'Appel. Il faut donc considérer les 33 Cours d'Appel de France et désigner un Bâtonnier par Cour d'Appel qui représenterait les avocats de ladite cour au niveau national. Certains préconisent une élection au suffrage universel. Nous aurions alors, de nouveau, deux légitimités s’affrontant, celle des Bâtonniers des ordres locaux et celle du Bâtonnier de Cour. Il est plus simple, à cette étape, de faire procéder à l’élection d’un bâtonnier de Cour d'Appel par les Bâtonniers des Ordres locaux et les membres des Conseils de l’Ordre réunis en assemblée. Le Décret n° 2011-451 du 22 avril 2011 pris pour

(6)

l’application de la loi du 25 janvier 2011 portant réforme de la représentation devant les Cours d'Appel a institué un Bâtonnier référent au niveau de la Cour pour traiter de toutes questions d’intérêt commun relatives à la procédure d’appel. Il ne s’agit, certes, pas d’une nouvelle institution de représentation de tous les avocats mais d’un premier pas.

Ainsi, nous aurions un collège ordinal composé de 33 bâtonniers en exercice représentant leurs Cours d'Appels. Ils allieraient ainsi pouvoir, légitimité et proximité.

Le Bâtonnier de Paris devra représenter son Ordre. La Cour d'Appel de PARIS pourrait alors être scindée en une circonscription parisienne et une circonscription

« périphérique ». Il serait impensable que le Bâtonnier de Paris ne soit pas dans l’Ordre National.

Chacun de ces 34 bâtonniers se verrait doté d’un nombre de voix correspondant à ses mandants. Ces voix lui permettront de voter lors de questions ordinales.

Il conviendra, parallèlement, de développer l’inter-ordinalité. Les communes ont vu naître l’intercommunalité sans perdre leur existence, leur identité et leur autonomie. Les groupements inter-ordinaux doivent bénéficier de transfert de compétences, de pouvoirs et de moyens financiers et humains. Chacun en bénéficiera et cela renforcera le rôle des Ordres. Tous bénéficieront de cette action commune. L’inter-ordinalité est une solution permettant le maintien des Ordres actuels adossés (tant que la postulation existera) aux TGI tout en créant de nouvelles synergies et sans qu’il soit besoin de créer un véritable échelon intermédiaire.

La seule question qui semble discutée concerne l’existence d’un collège général et de la présence des syndicats. J’avais écrit naguère que je croyais que seuls les Ordres et les Bâtonniers devaient être représentés au sein de l’Ordre National, les syndicats participant aux diverses commissions, émettant des propositions ou contestant celles émises par l’institution. Cette analyse était cohérente. Néanmoins, elle condamne l’émergence d’un Ordre National car elle ne pourra pas entrainer l’adhésion des avocats.

Ceux-ci sont favorables à la présence des syndicats même si ceux-ci ne recrutent pas massivement dans la profession. Les syndicats ont largement travaillé au sein du CNB.

Si on comptabilise les rapports portés par leurs membres, si on regarde leur travail dans les commissions, on constate l’impact considérable qu’ils ont eu et qu’ils ont.

Exclure les syndicats et leurs représentants au sein de l’Ordre National nous condamnerait à la paralysie et à l’immobilisme. Jamais le Ministère de la Justice n’acceptera un Ordre National sans l’existence d’un véritable consensus. Jamais, nous nous ne parviendrons à un accord en excluant les syndicalistes.

De surcroit, les exclure pourrait nous amener à une situation allemande d’une double légitimité partagée entre un Ordre national regroupant les différents Ordres (la BRAK) et, d’autre part, un organisme national regroupant les syndicats et les avocats (le DAV).

Cette concurrence, cette compétition seraient néfastes.

Dès lors, le collège général serait composé de 34 membres. Il s’agira de déterminer s’ils seront élus par listes avec une circonscription nationale : système ayant la faveur des syndicats, ou dans les ressorts de Cour d'Appel au scrutin uninominal ou par listes, ce qui rapprocherait les élus des avocats et leur donnerait une forte légitimité de proximité. Naturellement, il y aurait un élu parisien.

(7)

La composition semble proche de celle de l’actuel Conseil National des Barreaux.

Toutefois, les deux éléments majeurs du changement seront la présence de bâtonniers en exercice et, d’autre part, le fait que, pour certains votes, on devra tenir compte d’une double majorité, d’une part, la majorité des élus, et d’autre part, celle des voix représentées. Il s’agira des décisions normatives et de portée d’intérêt général ou ordinale. Elles devront être strictement limitées et définies. Seule l’attribution de ces voix permettant aux Bâtonniers de procéder aux votes en fonction de leurs mandants, pourra être acceptée par les Ordres les plus nombreux et notamment par le Barreau de Paris qui passera, avec cette réforme, de 16 élus à un élu mais pesant plus de 20.000 voix, correspondant au nombre d’avocats parisiens. Il faudra toutefois trouver un système de limitation car un barreau ne peut être majoritaire.

Enfin, il faut que dans cet Ordre National soient présents les Présidents en exercice des syndicats et des organismes techniques. Naturellement, le statut de ces derniers devra être revu. En premier lieu, l’Ordre National devra nécessairement être présent dans les conseils d’administration avec un poste de vice-président de droit.

En second lieu, certaines institutions devront être directement intégrées dans l’Ordre National. Les CARPA, au niveau local, devront être intégrées dans les Ordres en devenant ainsi une division. L’UNCA sera intégrée à l’Ordre National. Elle n’a nullement démérité et a fait un travail important d’harmonisation, de développement et de protection de nos CARPA. Lors de la création des CARPA, seuls quelques avocats étaient adhérents. Actuellement, l’adhésion est obligatoire. L’existence d’une association indépendante des Ordres ne se justifie plus. C’est une illusion que de laisser la CARPA indépendante. Dans de nombreux barreaux, c’est le Bâtonnier qui en est le président. Par ailleurs, il faut passer au stade d’une « CARPA nationale ». Si nous voulons donner à l’Ordre National les moyens de son développement, il faut regrouper les sources de financement. Comme il ne s’agit pas d’ajouter de nouvelles cotisations, il faudra donc utiliser l’argent que permet de générer les CARPA. Sans diminuer les ressources des Ordres, issues, d’une part, des cotisations des avocats, d’autre part, de la gestion des fonds CARPA permettant de régler des dépenses indispensables, on peut, par le regroupement, générer de nouveaux produits financiers qui permettront à l’Ordre National d’avoir des moyens conséquents. Comme l’indique le Bâtonnier CHARRIERE-BOURNAZEL « L’essentiel est que chaque barreau à proportion des fonds qu’il manie et dépose, retrouve, en contrepartie, la rémunération qui doit lui revenir pour faire face à ses besoins locaux »5. Ainsi, cette mutualisation permettra de bénéficier de nouvelles ressources et d’entreprendre de nouvelles actions.

J’ai bien conscience que ces développements, ces détails génèreront de nouvelles oppositions à l’Ordre National. On veut bien d’une représentation nationale forte, d’un gouvernement de la profession mais il convient de ne contrarier en rien aux les intérêts spécifiques. Il ne faudrait pas toucher au système féodal que nous connaissons.

Il reste quelques questions secondaires. Ainsi, certains souhaitent que le Président de l’Ordre National soit élu au suffrage universel. C’est un risque important. En premier lieu, on créerait, de nouveau, un conflit de légitimité entre une assemblée issue, soit du vote des bâtonniers, soit du vote général et un Président qui serait au-dessus de l’assemblée, directement issu du suffrage universel direct. Ce serait un Président « Vème République ». Le Bâtonnier de l’Ordre National aurait quasiment tous les pouvoirs et

5 Christian CHARRIERE-BOURNAZEL – Entretien Actuel Avocats du 21 Mai 2011

(8)

serait un président « omniprésent et omnipuissant ». Nous connaissons, ailleurs, les limites de ce système… Cela ne pourra qu’encourager l’exercice solitaire du pouvoir.

Enfin, l’élection au suffrage universel par 55.000 avocats suppose des moyens financiers considérables, d’une part, pour les candidats, d’autre part, pour l’institution aux fins de l’organiser. Les candidats seront donc, soit présentés par les syndicats qui investiront leurs faibles ressources financières dans cette élection, soit soutenus par des firmes ou par un barreau qui entendrait dominer les autres.

Les tendances bonapartistes doivent être écartées.

Il faudra, enfin, définir la durée du mandat. Il ne pourra s’agir, pour le collège ordinal, que de bâtonniers en exercice. Dès lors, soit on fixe la durée du mandat du Bâtonnier de Cour d'Appel à trois années, soit on ramène la durée des membres de l’Ordre National à deux années. Quelque soit la solution, il faudra impérativement prévoir la possibilité de renouvellement pour la même durée.

Nous vivons sur l’idée qu’un Bâtonnier ne peut se représenter. Il s’agirait d’une avancée de la démocratie. Or, justement, la démocratie c’est pouvoir se soumettre au suffrage des confrères, présenter son bilan, faire voter sur son programme. Nous constatons des situations aberrantes. Certains bâtonniers ont fait un travail admirable et sont – au bout de deux années – aimés et respectés de leurs confrères. Ils doivent abandonner leur mandat pour laisser leur place à un nouveau bâtonnier qui, finalement, n’aura cédé qu’à l’amicale pression de ses confrères et n’aura pas la même volonté de réussir ou de servir le Barreau. Cette situation n’existe pas dans la plupart des pays européens et, sans retenir les exemples italiens ou espagnols de renouvellement sans limites (et « l’éternité, c’est long, surtout vers la fin » comme disait Woody Allen), il faut permettre la réélection pour un mandat de même durée (3 ou 2 années).

Naturellement, il ne s’agit que de premières suggestions et d’autres modalités seront nécessairement à préciser.

La question fondamentale reste néanmoins de savoir quels seront les objectifs et les pouvoirs d’un Ordre National

II°) LES COMPETENCES ET ACTIONS DE L’ORDRE NATIONAL

Défendre les avocats, faire respecter, promouvoir les activités, leur redonner fierté, dignité et ambition, voilà le rôle de l’Ordre National. Etablir plus de proximité entre l’institution nationale et chacun des avocats, telle doit être la méthode. Il faut combler le fossé de l’indifférence, de l’incompréhension entre les confrères et l’Institution. Il faudra, dans toutes les situations, privilégier la cohésion de la profession. L’Ordre National ne sera fort que si la profession est rassemblée. Il faudra également combattre le fatalisme et la résignation des avocats.

(9)

En conséquence, l’Ordre National devra faire de la Politique. Il définira la politique professionnelle du Barreau de France. Il ne s’agit nullement de se cantonner aux questions ordinales. L’institution forte que j’appelle de mes vœux doit représenter l’ensemble des avocats et être l’interlocuteur unique des pouvoirs publics français et européen, être le représentant de la profession auprès du Parlement, du Gouvernement, du Président de la République et des institutions européennes et internationales. Il doit examiner ou proposer les textes qui, de façon générale, concernent la profession mais également tous les textes juridiques qui peuvent avoir une influence sur les libertés individuelles et collectives de nos concitoyens. Il devra retrouver ce rôle de porte-parole du public, vigie des libertés.

L’Ordre National, par son action, doit nous permettre de conserver l’autorégulation et d’éviter l’émergence d’une autorité prétendument indépendante dont les membres seraient désignés par le Gouvernement ou le Parlement. Il devra tenir sa place dans la mondialisation des services juridiques en cours.

Nous avons besoin d’une Institution portant la parole des avocats, prenant les décisions et les appliquant. Aucun ordre local, aucune firme n’aura la possibilité de s’opposer aux décisions votées. L’Ordre National devra assumer la création des normes de la profession. Il devra disposer du pouvoir disciplinaire. Les normes de la profession concernent la formation qui devra être d’excellence, l’éthique mais également les pratiques professionnelles. Le Règlement Intérieur National ne pourrait être enrichi, localement, que des coutumes et usages locaux dans la mesure où ceux-ci ne seraient nullement contraires à la norme nationale.

L’évolution du Règlement Intérieur National, pour les normes comme pour les nouvelles activités, sera soumis à l’Ordre National et la décision concernera l’ensemble du Barreau Français aux fins qu’il n’y ait ni divergences ni différences.

En matière disciplinaire, les conseils régionaux de discipline demeureront mais, comme en Italie, l’Ordre National sera la juridiction de second degré. On dit que la Justice est encombrée et qu’il manque des magistrats. Libérons les magistrats d’appel de la tâche de juger nos confrères !

Ainsi, une formation disciplinaire existera avec des règles procédurales précises, garantissant les droits des avocats poursuivis. Le rôle du plaignant sera pleinement reconnu au premier et au second degré. Il devra être représenté par un avocat. Il faudra, parallèlement, mettre en place des procédures de conciliation et de médiation pour régler les questions de responsabilité civile. Il est illusoire de penser que les gens accepteront longtemps d’être écartés du processus disciplinaire et attendront, de longues années, la solution de leur litige avec un avocat.

Ne pas traiter ce problème conduira nécessairement les pouvoirs publics à s’en emparer.

On arrivera alors à la situation anglaise et à l’émergence d’un « office legal for complaints », autorité « indépendante », gérant les plaintes contre les avocats.

Une discipline nationale suppose, nécessairement, l’émergence, à côté du tableau des ordres locaux, un tableau national. Les ordres locaux doivent conserver la maitrise de leur tableau. Toutefois, le contentieux de l’inscription ne doit plus passer par la Cour d'Appel mais par l’Ordre National. La Cour de Cassation conservera son rôle de troisième degré en cette matière et dans le domaine disciplinaire.

(10)

Naturellement, l’Ordre National continuera à fixer les normes en matière de formation initiale et continue. Ainsi qu’indiqué, en matière de finances, chaque barreau conservera sa « CARPA », intégrée à l’Ordre. Toutefois, une « CARPA » nationale gérée par l’Ordre National s’impose. Elle recevra les fonds déposés par les clients sur tout le territoire. Ils seront transmis par les Ordres. Ils continueront de générer, pour les Ordres locaux, les mêmes ressources leur permettant de mettre en place les programmes de prévoyance, de formation continue, de promotion.

En revanche, cette gestion nationale permettra de dégager des ressources plus importantes, sans comparaison avec les fonds actuellement générés. Ce surplus sera employé au profit de la profession par l’Ordre National. Ainsi, aucun Ordre n’y perdra.

Toute la profession y gagnera.

J’ai évoqué la nécessaire présence de l’Ordre National dans chacun des organismes techniques. Ceux-ci conserveront leur pleine autonomie dès l’instant où ils ne s’occupent que de questions techniques liées à leurs compétences propres. En revanche, la présence d’un vice président, issu de l’institution nationale, permettra, d’une part, une coopération utile et, d’autre part, la détermination de l’orientation politique claire qui sera suivie.

Il ne peut y avoir de conflit de légitimité, en particulier politique, entre l’Institution nationale et un organisme technique.

L’Ordre National devra être chargé de toute la communication de la profession (promotionnelle, informative ou électronique). Il devra adopter un programme de réduction de la fracture numérique entre les confrères et nous doter de nouveaux outils à des prix compétitifs. Il devra faire de la recherche et du développement en Droit une de ses priorités. Nous avons besoin de nouveaux outils juridiques pour nous adapter à la mondialisation et à la concurrence externe. Pour ce faire, il devra renouer des liens forts avec les Universités.

L’Ordre National devra s’appuyer sur un réseau d’universitaires. Je rêve de la constitution d’un « CRIDON » des avocats comme cela existe depuis des années au sein de la profession notariale. On sait que cela fonctionne et que cela a permis de réduire les cas de responsabilité civile. Cela a également générer des liens forts avec nombre d’universitaires permettant de les mobiliser le moment venu. On l’a constaté lors du débat sur l’acte d’avocat.

Nous devons retrouver une capacité de propositions auprès du Parlement et du Gouvernement. Nous sommes trop souvent réactifs. Nous attendons le projet ou la proposition pour donner notre position. Cela est manifestement tardif.

Dans l’Union Européenne, lorsqu’un Livre Vert, posant nombre de questions, est publié par la Commission Européenne, il est déjà trop tard pour exercer un véritable lobbying.

Les questions posées induisent des réponses. Il faut donc être présent lors de l’élaboration du questionnement. L’activité de lobbying au niveau national et au niveau européen ne peut être exercée que si l’on dispose de moyens importants. Seul un Ordre National, avec des moyens mutualisés, pourra exercer cette fonction de lobbyiste.

Il devra développer des services collectifs. Il est invraisemblable qu’une profession de 55.000 individus ne puisse être référencée aux fins de bénéficier de tarifs bas auprès de producteurs divers.

Mais nous connaissons la profession et les avocats.

(11)

Il ne s’agit pas de faire de l’Ordre National un pouvoir unique exerçant sans contestation. Il faut créer des contre-pouvoirs. Le premier de ces contre-pouvoirs est constitué par chacun des 55.000 avocats de ce pays. Nous connaissons notre indépendance et notre capacité de résistance. Les syndicats continueront leur travail de propositions mais également de critiques. Les Ordres locaux pourront adresser les amendements utiles lors des concertations nécessaires que l’Ordre National organisera concernant les normes déontologiques ou professionnelles. Les conférences régionales joueront leur rôle. La concertation passera toujours par la Conférence des Bâtonniers qui réunira tous les bâtonniers pour échanger leurs expériences, leurs pratiques ordinales mais aussi pour faire des propositions ou examiner les propositions de l’Ordre National.

Elle s’exprimera directement auprès de l’institution nationale comme le fera l’Ordre de Paris. En revanche, seule l’institution nationale s’exprimera auprès des pouvoirs publics.

Enfin, il faut développer une plus grande démocratie au sein des Ordres. Actuellement, les assemblées générales n’ont pas suffisamment de pouvoirs. Elles ne peuvent que suggérer et émettre des vœux. Il faut leur donner la possibilité de voter des propositions qui seront adressées et examinées par leurs conseils puis transmises auprès de l’Ordre National. Des compétences nouvelles devront être définies.

Il faut créer un référendum qui pourra être initié à l’initiative des confrères, gage de vitalité démocratique. Nous sommes 55.000. Si 10% des avocats – soit 5.500 avocats – se réunit pour demander une consultation sur une question professionnelle, ils doivent être entendus. L’Ordre National sera chargé de l’organiser, avec impartialité et objectivité, et devra gérer le débat.

Il faut éviter le centralisme et la bureaucratie. L’Ordre National ne doit pas générer une technocratie. Il faudra donc prévoir un statut des élus. Il doit organiser la décentralisation et la démocratie au travers des Ordres locaux, de l’inter-ordinalité et des syndicats.

La profession a besoin de démocratie représentative professionnelle. Cela passe par la création de l’Ordre National aux fins d’en terminer avec les débats stériles concernant les légitimités superposées. Il faudra donner à cet Ordre les compétences et les moyens nécessaires. Cette réforme devra servir à améliorer la vie des confrères. Il faut plus d’efficacité. Il faut être entendu par les pouvoirs publics, nationaux et européens.

J’ai conscience que proposer, c’est s’exposer à des critiques violentes et aux interpellations. J’en prends le risque. Je suis avocat et j’exerce et, comme tel, je suis soucieux de l’avenir de ma profession. Je ne veux pas être absorbé par le Marché et je ne veux pas être asservi par l’Etat. Je veux rester un avocat indépendant, exerçant au sein d’une profession puissante dotée d’une institution forte, écoutée et respectée des pouvoirs publics, une institution écoutant et respectant les avocats de ce pays. Je veux être fier de ma profession et de l’institution qui la représente.

Michel BENICHOU

Avocat au Barreau de Grenoble Ancien Bâtonnier

Références

Documents relatifs

Dans le salon du Rectorat, sous la présidence de Bernard DURAND, Professeur à l’Université de Montpellier I, Michel BENICHOU, Ancien Bâtonnier du Barreau de Grenoble, Président

Article 152 : La décision du bâtonnier est notifiée par le secrétariat du conseil de l'ordre, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, aux parties qui peuvent

Article 1 er : Le présent décret institue en République Populaire du Bénin, la profession d’Architecte et l’Ordre des Architectes. –Quiconque désire entreprendre des travaux

En effet, nous constatons depuis plusieurs années des manquements répétés à plusieurs articles de la Convention relative aux Droits de l’Enfant, sur lesquels il nous

A l’hôpital, les infirmiers ont aussi un rôle à jouer dans l’évolution des organisations pour qu’elles soient davantage centrées sur les besoins des patients et leurs parcours

Un institut de l’Ordre des Avocats du Barreau de Bordeaux au service des personnes de nationalité étrangère L’Institut de Défense des Étrangers (IDE) regroupe les Avocats de

Pauline DESERT Youssef BACHRI Nicolas TOUCAS Sébastien REVEL Clément PICARD Agathe de PANTHOU. Charles SOUBLIN

Le titre de président d’honneur du Conseil National peut être conféré par l’Assemblée Générale sur proposition du Conseil National de l’Ordre, au président sortant ou à