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Un contexte favorable à la réflexion sur le temps de travail des cadres

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Academic year: 2022

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Dans les années 90, avec l’arrivée des nouvelles technologies, du chômage et de la flexibilité, le travail des cadres change. A l’époque de la préparation des lois sur les 35 heures, l’Union Confédérale des Cadres propose de prendre en compte ces réalités pour compter le temps de tra- vail des cadres non plus en heures mais en jours.

C’est la genèse du forfait jours, qui rencontrera de fortes oppositions de la part des autres orga- nisations syndicales représentantes des cadres, mais aussi de fédérations de la CFDT.

Un contexte favorable à la réflexion sur le temps de travail des cadres

Plusieurs éléments expliquent que, dans les années 90, toute une réflexion s’organise autour du décompte des heures et des journées de travail des cadres.

Tout d’abord, à cette période, le chômage commence à frapper les cadres, alors qu’ils étaient jusqu’alors épar- gnés par ce fléau. Deuxièmement, à la même période, les technologies de l’information et de la communication commencent à modifier les pratiques de travail des cadres. L’Union Confédérale des Cadres1 (UCC), avec

Pierre Vial a été secré- taire général adjoint de l’UCC-CFDT entre 1991 et 2003. Il por- tait notamment les dossiers de la réduc- tion du temps de tra- vail et du forfait jours.

Pierre Vial La genèse du forfait jours

Le rôle central de la CFDT Cadres

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Yves Lasfargue, travaille sur le sujet2. On voyait alors assez clairement comment les conditions de travail étaient en train d’évoluer, avec une plus grande porosité des temps professionnel et privé. Troisièmement, les cadres étaient confrontés à un problème récurrent. Ils étaient soumis, comme les autres salariés, à une réglementation du temps de travail : ils devaient faire 39 heures par semaine comme les autres. Mais dans les faits, ils faisaient beaucoup plus, ce qui mettait un grand nombre d’entreprises dans la plus grande illégalité (une étude que nous avions réalisée en 1998 montrait que les deux tiers des cadres faisaient plus de 39 heures par semaine). Quatrièmement, les entreprises avaient besoin de plus en plus de flexibilité dans l’organisation du travail, or tout était imposé par les directions, rien n’était négocié (la plupart des autres orga- nisations syndicales refusant toute négociation directe avec l’employeur sur les conditions de travail des salariés).

Nous sommes allés voir précisément comment le travail s’organisait dans les entreprises où les cadres CFDT étaient bien implantés. Chez Thomson par exemple, nous avons pu constater que les cadres travaillaient plus de 39 heures par semaine et qu’il était difficile de faire autrement. Cette petite étude, conduite en 1997, avait d’ailleurs lancé un vent de panique chez les directeurs des ressources humaines des grosses entreprises : ils ont eu peur d’être trainés devant les tribunaux pour non-respect de la législation en vigueur sur la durée légale du temps de travail. Certaines entreprises avaient même entrepris de faire badger leurs cadres à l’entrée et à la sortie du bureau.

Mais devant l’inadéquation de ces pratiques avec la réalité du travail des cadres, ces pratiques ont été abandonnées au bout de quelques mois.

Tous ces éléments montraient qu’il y avait réellement un problème du temps de travail spécifique aux cadres.

Compter le travail en jours et non en heures

Un décompte en heures ne pouvait pas coller à la réalité du travail d’une bonne partie des cadres. L’UCC a donc eu l’idée de partir du même principe de réduction horaire que pour le passage de 39 à 35 heures, soit une

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baisse de 10% du temps de travail. Mais plutôt que de compter le temps de travail en heures, nous avons proposé de le compter en jours pour les cadres. Avec une baisse de 10% du temps de travail, on passait de 220 à 200 jours de travail par an environ. Nous

proposions différentes modalités pour réaliser cette baisse tout en restant compatible avec le secteur d’activité et les fonctions exercées.

Soit le repos compensateur pour- rait être pris à l’initiative du cadre ou en accord avec sa direction, soit ce dernier passerait à la semaine

de quatre jours ou quatre jours et demi, soit encore il pren- drait des jours de congés supplémentaires (ce qui pouvait induire 22 jours en plus), soit enfin il mettrait son temps sur un compte épargne temps.

Cette logique permettait à la fois de prendre en compte la spécificité de la charge de travail des cadres et de sortir de l’illégalité qui prévalait alors avec le décompte en heures pour cette catégorie de salariés. Le slogan créé pour porter cette revendication était explicite : « 200 jours pour les cadres en l’an 2000 ». Ce slogan a d’ailleurs été choisi pour un congrès de l’UCC, ce qui montre l’impor- tance de ce sujet pour notre organisation à cette époque.

Des oppositions syndicales fortes

Toute cette réflexion avait lieu dans le contexte de la préparation de la loi sur les 35 heures. Après la phase préparatoire, à l’UCC, une phase de discussion sur la loi d’incitation a commencé.

Très rapidement, nous nous sommes trouvés iso- lés par rapport aux autres organisations syndicales qui regroupaient les cadres. L’UGICT-CGT, l’UCI-FO et la CGC étaient contre le décompte en jours du temps de travail des cadres. Cela tenait sans doute à la sociologie de leurs cadres adhérents qui étaient moins souvent des cadres managers ou commerciaux et plus souvent des cadres techniciens qu’à la CFDT. Pour eux, si le décompte quotidien des heures de travail disparaissait, les condi-

Un décompte en heures ne pouvait pas coller à la réalité du travail d’une bonne partie des cadres. Mais plutôt que de compter le temps de travail en heures, nous avons proposé de le compter en jours pour les cadres.

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tions de travail des cadres s’en trouveraient dégradées.

Il y avait aussi un problème de fond sur la conception de l’activité syndicale. Pour l’UGICT-CGT et l’UCI-FO, en cas de forfaits jours, il aurait fallu négocier directement dans les entreprises, ce qu’elles refusaient de faire. On a donc eu droit à cette époque à des attaques assez violentes contre l’UCC. Je me souviens par exemple d’un tract distribué par la CGC qui annonçait aux cadres qu’en cas d’application du forfait jours, les cadres allaient travailler 78 heures par semaine (c’est-à-dire 13 heures par jour, six jours par semaine, le maximum autorisé par le projet de loi).

L’opposition a aussi été très dure à l’intérieur de la CFDT. Elle venait principalement de la fédération de la métallurgie. Pour les responsables de cette fédération, les cadres n’occupaient pas une place à part dans le salariat. Ils étaient juste une catégorie parmi d’autres et ne devaient donc pas être traités différemment. Par ailleurs, les cadres de la métallurgie, ce qui est très rare, avaient leur propre convention collective, ce qui renforçait leur position. Concrètement, l’opposition s’est exprimée à plusieurs reprises lors du bureau national confédéral de la CFDT. Plusieurs tentatives ont aussi été faites pour bloquer le projet d’élaboration du forfait jours auprès de la commission exécutive. L’ensemble du bureau natio- nal (représentants des syndicats) et du conseil national (représentants des fédérations) n’avait pas une position très déterminée face au dossier. S’il a pu progresser et être porté par la confédération, c’est grâce au soutien sans faille du secrétaire confédéral chargé du dossier et parce que Nicole Notat, alors secrétaire générale, était convain- cue de son bien-fondé.

Nous avons aussi trouvé des soutiens à l’extérieur de la CFDT : le PS, avec Gaetan Gorce qui s’occupait de la Commission des affaires sociales à l’Assemblée Nationale, et au gouvernement, avec le directeur de cabinet de Martine Aubry. Cette dernière, quant à elle, alors ministre de l’Emploi et de la Solidarité du gouvernement Jospin, était hostile au départ à l’idée du forfait jours. Elle a fina- lement changé d’avis et a porté l’idée dans son ministère avant d’annoncer que la loi devrait trouver les modalités

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d’une baisse du temps de travail de 10% également pour les cadres.

La mise en place du forfait jours dans les entreprises Les lois Aubry ont été précédées par une loi de 1996 dont on parle aujourd’hui moins souvent, la loi Robien, qui proposait déjà une aide aux entreprises qui souhaitaient passer aux 35 heures de baisser les cotisations de 10%

contre une hausse de 10% des embauches. Dès la mise en place de cette loi Robien, l’UCC avait acquis une vraie pra- tique syndicale sur la question de la réduction du temps de travail, en aidant à la mise en place de 2 500 accords Robien dans les entreprises.

Les deux lois Aubry étaient de nature différente.

La loi Aubry I de 1998 était une loi d’incitation au pas- sage à 35 heures. La loi Aubry II, deux ans plus tard, rendait obligatoire la négociation

des 35 heures dans les entreprises et incitait à négocier en parallèle sur les conditions de travail. Cette seconde loi était moins favorable aux employeurs que la première puisqu’elle prévoyait beaucoup moins d’allégement de charges.

Toutes les entreprises étaient

désormais obligées de négocier. Celles qui n’avaient pas de délégués syndicaux pouvaient avoir un salarié mandaté par une organisation syndicale. Beaucoup n’ont pas utilisé cette possibilité, ce qui explique que peu d’avancées ont été obtenues pour les cadres.

Lors de la préparation de cette seconde loi, la bataille avec les autres organisations syndicales a été également rude. L’UGICT-CGT et FO ne voulaient entendre parler du forfait jours pour aucun cadre. Il s’agissait selon eux d’une grave dégradation des conditions de travail, certains tracts parlaient même d’un retour de cinquante ans en arrière.

Il me reste un grand regret qui date de cette époque.

Alors que nous étions en pointe sur les débats du forfait jours, nous avons aidé des entreprises à mettre en place les

De nombreux mandataires avaient adhéré à la CFDT. Or, nous n’avons pas su garder tous ces nouveaux adhérents, ce qui représente une vraie perte pour notre organisation de cadres.

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nouvelles dispositions pour les cadres. De nombreux man- dataires avaient adhéré à la CFDT, par l’intermédiaire du Syndicat Général des Ingénieurs et des Cadres (SGIC) et avaient utilisé tous les outils d’aide à la négociation que nous avions mis à leur disposition. Or, nous n’avons pas su garder tous ces nouveaux adhérents, ce qui représente une vraie perte pour notre organisation de cadres.

1 L’UCC est l’ancien nom de la CFDT Cadres

2 Voir entre autres la revue Cadres, « Opportunités numé- riques (2) », juillet 2012.

Références

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