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Techniques et habilités en négociation : existe-t-il un profil français?

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Academic year: 2022

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Techniques et habilités en négociation : existe-t-il un profil français ?

Olivier Arifon

Maître de conférence en Sciences de la communication et de l’information à Université de Technologie de Belfort-Montbéliard,

Centre de Recherche sur les Médias, Université de Metz Courriel : olivier.arifon@utbm.fr

Les capacités de négociation, qui comptent parmi les savoir-faire d'un diplomate ou d'un représentant d'une organisation, comportent deux caractéristiques : d'une part, elles sont le fruit de la formation et de l'expérience ; d'autre part, elles sont fortement liées au contexte culturel et aux représentations de la personne, à savoir l'histoire, la langue et les valeurs de la société et du négociateur lui-même.

Nous proposons de questionner l'existence d'une tradition française spécifique en matière de négociation, d’abord en décrivant l'historique puis en présentant les mécanismes de représentations sociales et les procédures de communication qui pourraient être propres à une tradition française.

Les sources de la négociation en France

1. L'étiquette et le protocole

Même si étiquette et protocole influencent plus les relations entre les pays que véritablement la négociation, nous présentons les points essentiels comme préliminaires à l’analyse d’un « modèle culturel français ».

L'étiquette, du nom du recueil de règles fait pour la cour de Philippe le Bon, duc de Bourgogne, apparaît au 15e siècle. Le terme se diffuse dans le royaume de France à la fin du 17e et connaît son plein déploiement à la cour de Louis XIV. Dès lors, l’étiquette désigne l'ensemble des règles et solennités de cour.

Pour sa part, Jacques Gandouin dans son Guide du protocole et des usages, voit dans le protocole un héritage précieux : « chacun de nous, du premier au plus humble, doit donc se sentir tenu par des

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règles étroitement liées aux fastes de notre histoire (…) et que nous ont léguées des ancêtres, soucieux d'atténuer la rudesse primitive des rapports humains. » Sept principes généraux caractérisent le protocole selon Jacques Gandouin : « la hiérarchie des valeurs, la bienveillance du chef, la cordialité des égaux, la déférence du subordonné, l'exactitude, la discrétion et la similitude réciproque des formes. »

Sous la monarchie, l'étiquette et le protocole ont des conséquences sur le négociateur et le diplomate. Celui-ci, investi par le roi, négocie et représente symboliquement ce dernier et le respect auquel il a droit. Sous la République, le registre est similaire et Jules Cambon, dans son ouvrage Le diplomate (1926), explique : « Les agents étrangers représentent quelque chose de plus élevé qu'eux-mêmes. C'est à la personne morale dont ils sont l'expression que s'adressent les honneurs qui leur sont rendus ».

Historien des formes artistiques européennes, Marc Fumaroli dans son ouvrage « Quand l’Europe parlait français » propose une analyse culturelle et historique de la France et du français au 18e siècle. Lié au rayonnement de Versailles et aux liens tissés entre toutes les monarchies européennes, le français est la langue de la cour et des échanges épistolaires et diplomatiques.

Ainsi : « jusqu’en 1789 l’universalité toute relative du français […] bénéficia des mêmes puissants vecteurs qui assuraient la prééminence de la monarchie française en Europe : l’autorité et l’intelligence d’un excellent réseau diplomatique, la qualité des traductions de tous les livres européens importants publiés en français à Paris, à Amsterdam, à Londres, le prestige de l’étiquette de la première cour du monde, l’autorité des académies royales… »

Ainsi, étiquette et protocole forment un cadre qui détermine les formes de la négociation, en particulier celles entre Etats. Toutefois, le protocole n'est pas le seul élément qui en France, influence la négociation. La culture est également un élément d'importance.

2. Le modèle culturel français

Un certain nombre d'éléments permettent de cerner le modèle culturel français, sachant que cette présentation s'inscrit dans l'ensemble plus vaste des recherches en cours sur l'interculturalité.

Le poids de l'histoire

La France, un pays de nos jours d'importance moyenne, garde à l'étranger grâce à son passé et à une volonté politique, une image plus importante que ne le laisse penser son rang économique.

Outre les domaines des droits de l'homme d’une part, des arts et des lettres d’autre part, la France tente de maintenir sa place sur les plans politiques, économiques et culturels. Toutefois, cela ne

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promotion d’intérêts et d’influence vis-à-vis de l’étranger, nous proposons d’introduire un autre élément, à savoir la langue française. Celle-ci contribue à caractériser la France comme le pays de la diplomatie et de la négociation. Nous avons vu que la langue française était en effet la langue de la diplomatie et des traités. Mais la Première Guerre mondiale, la conférence sur la paix et le traité de Versailles de 1919 marquent le début du déclin. François-Poncet avance trois raisons : la bourgeoisie remplace les élites précédentes et ne parle que la langue de son pays natal ; le nationalisme se développe et la langue en est une manifestation visible et audible ; enfin les Etats- Unis ont un rôle croissant dans les affaires internationales.

La langue et le style français

Le lien entre l'histoire et la langue est analysable : Jules Cambon et André François-Poncet avancent tous deux que le français est bien adapté à la diplomatie. La langue française « fut pendant des siècles considérée, d'un aveu général, comme le meilleur véhicule que pussent emprunter les relations internationales et ceux qui, comme les Anglais, rédigeaient leurs notes dans leur propre langue, avaient soin d'y joindre une traduction française. » (Cambon.)

Ou encore, parce que le français « oblige à la rigueur dans l'analyse et à la précision dans les termes, parce qu'il convient particulièrement à l'argumentation logique, à la démonstration, aux démarches progressives du raisonnement (…) »(François-Poncet).

Les comportements sociaux sont aussi des éléments sur lesquels un interlocuteur s'appuie pour se construire une image. Ce qui nous permet de dire, en nous appuyant sur les travaux d’Edward Hall (1978), l’un des premiers anthropologues qui analyse le poids du contexte dans plusieurs cultures, que la norme française est l'implicite. Le décalage entre ce qui est dit et ce qui est signifié paraît être une véritable nécessité dans l'expression française. Dans l'interstice existant viendra se loger l'allusion, la référence historique partagée (et donc la relation). C’est pourquoi le risque du malentendu et du désaccord, qui, obligeant qu'on y prenne garde, vient situer la communication sur le terrain de la relation plus que sur celui du contenu.

D'Iribarne (1989) pense que c'est une des raisons qui conduisent le négociateur français à pratiquer la négociation comme une suite de joutes oratoires qu’il arrête temporairement, puis recommence en cas de nouveaux arguments, la négociation reprenant à l'endroit précédemment arrêté. De plus, un négociateur de culture francophone cherche à connaître les règles – c’est-à- dire les codes sociaux et culturels - de la situation pour en évaluer les limites, voire les transgresser avec élégance, tout en prenant garde de ne pas aller trop loin.

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Mais la négociation est aussi une rencontre avec l'autre. La perception sociale se fait donc sur des bases qu'il appartient maintenant de présenter.

3. Les mécanismes de perception sociale

La perception sociale est le processus de traduction des stimulations sensorielles en interprétations de la réalité. Nous effectuons des sélections, ce qui compose des impressions globalisantes.

Le premier contact est généralement surévalué

Lors du premier contact, l'attention se porte en priorité sur la vue et l'ouïe et ces impressions restent longtemps présentes, souvent même sans que nous nous rendions compte de leur influence.

La cohérence et les contradictions sont prêtées à l'autre

On pense souvent, à tort, que les autres sont totalement responsables de leurs actions. Si quelqu'un d'inconnu agit de telle manière, c'est qu'il le fait en pleine cohérence. Et, si nous admettons pour nous-mêmes certaines incohérences et contradictions, ceci est moins naturel vis- à-vis de l'autre. Nous opérons donc des synthèses et des réductions, afin de garder cohérent notre univers, ceci aux dépens de l'autre.

Les ressemblances abusives

Il s'agit du fait que nous pensons naturellement que les autres nous ressemblent psychologiquement. Ce qui revient parfois, dans le cas d’un négociateur particulièrement pressé, à rechercher dans les arguments de l'autre les raisons qu’il considère comme conformes à ses positions, voire uniquement les raisons qu’il peut imaginer à partir des ressemblances repérées.

Les qualités souhaitées d'un négociateur

Pour fournir le cadre introductif à cette partie, retenons avec Dupont (1990) « quatre caractéristiques propres à la négociation internationale : l’importance capitale des facteurs culturels, la diversité considérable des contextes, la dimension, souvent multipolaire, de la négociation, et finalement son exigence exceptionnelle. »

1 - Le négociateur vu par le monde français des relations internationales Jean Picq (1994), dans son article sur le ministère des Affaires étrangères « Genèse d'une réforme », remarque des faiblesses – souvent cités comme traits culturels des organisations

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l'absence de cohésion et d'unité. » Il considère que « les qualités des diplomates : sens de l'Etat et du service public, dévouement et capacités d'adaptation sont partout reconnus. »

Pierre Moscovici (Jeanneney, 2000) fait une intéressante liaison entre la représentation de la diplomatie par le monde politique et par le monde de la communication. Lorsqu’il évoque son action de ministre chargé des Affaires européennes, il explique : « argumenter, convaincre, séduire, consentir des concessions ou faire preuve d’intransigeance, nouer ou dénouer des complicités : voici quelques-uns des ressorts du quotidien communautaire. Dans cette machinerie apparemment imperturbable, l’être humain, pourtant, doit être replacé au premier plan. »

Puis, lorsque Pierre Moscovici s’interroge sur les stéréotypes et représentations, il fait appel aux sciences de la communication avec son approche anthropologique : « dans un tel contexte [celui de l’Union européenne], comme ne pas comprendre la tentation de simplifier la réalité, en faisant appel à des images de l’autre, en s’appuyant sur des catégories ou des jugements préétablis ? Là intervient le stéréotype ». Sans développer ce thème, remarquons la posture que l’auteur choisit :

« nous devons faire reculer, autant que possible, le “quelque chose de faux” toujours présent dans nos représentations mentales de l’altérité et nous efforcer en revanche d’assumer le “quelque chose de vrai” ».

Cette approche naturellement proche de l’anthropologie nous conduit vers la seconde partie de notre analyse. Le travail sur l'interaction dans les procédures de communication du négociateur permet de dégager des caractéristiques que nous pensons essentielles.

2 – Quel profil français ?

Tout d’abord, la culture française accorde de l’importance à la forme des propos, peut être suite à la naissance des salons de conversations au 18e siècle, ou l’on organisait des concours d’éloquence, ce qui nous fait entrer dans le registre de la séduction. C’est ici que rentre en ligne de compte le besoin de connaître et si possible de maîtriser ses émotions. C’est alors rendre actif son corps, savoir que l’émotion influence l’intonation et le rythme de la voix.

Le métier de négociateur comporte aussi d'autres situations intéressantes. En effet, le négociateur est souvent pris entre les exigences de son camp - réussir son objectif - et celles de son interlocuteur – lui donner satisfaction. Sur ce point, certains pays ou régimes savent faire croire à leur volonté de négocier, en prenant place aussi longtemps que possible autour d'une table sans avoir réellement l’intention de céder quoi que ce soit face au partenaire. En France, les caractères évoqués, à savoir individualisme et absence de cohésion, peuvent d’une part, être considérés

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comme composants d’un modèle, d’autre part comme des handicaps importants dans un tel schéma

Si l’on se penche sur le modèle de la société française, porteur des valeurs de l’universalisme de la Révolution française, nous avançons l’idée qu’en arrière-plan, le négociateur français aborde une négociation dans un rapport de force, face à un « adversaire » sur lequel quelque chose est à conquérir. Nuançons en précisant que les Français ne sont les seuls à avoir ce style de négociation, mais que l’adjectif qualitatif « arrogant », est parfois présent pour définir la démarche d’un français, forme atténuée de ce type de négociation ? Nous avons d’ailleurs constaté ce phénomène lors de négociation avec des partenaires allemands.

Nous venons de parcourir, à l’aide des sciences de l'information et de la communication, les registres du négociateur dans les relations internationales, et ce, afin d'exposer les fondements d’une possible tradition française de la négociation. Nous avons vu qu'il existe bien une approche spécifique du sujet à travers l’histoire du pays, le rôle de la langue française et les représentations, voir les modèles qui contribuent à dessiner un profil français. Plusieurs pistes s’ouvrent à nous : celle des stéréotypes, de l’anthropologie de la communication et des référents culturels.

D’ailleurs, d’après les travaux de l’anthropologie culturelle, la négociation soulève une autre question, celle de l’origine sociologique de l’image d’une nation. Une telle image « résulte d’une projection, elle-même issue de plusieurs visions concurrentes et ancrées dans la mémoire collective d’une nation » (Bock, dans « la nation, un moment de l’histoire ? » Jeanneney, 2000).

Proposons alors que les référents culturels présentés ici nous renseignent d’abord sur la manière dont une société se perçoit. Il convient également d’écouter ce que les autres peuples, nations et individus ont à dire sur le profil du négociateur français pour approfondir la pertinence de ces descriptions.

Bibliographie

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Christophe Dupont, La négociation, Dalloz, Paris, 1992

Pierre Fayard, La maîtrise de l'interaction, Editions 00h00.com, Paris, 2000 Roger Fisher et William Ury, Comment réussir une négociation, Seuil, Paris, 1982

André François-Poncet, « Le français, langue diplomatique », in Revue des deux mondes, n°8, 1956, p. 577-585

Marc Fumaroli, Quand l’Europe parlait français, Poche n° 15418, Paris, 2003 Jacques Gandouin, Guide du protocole et des usages, Stock, Paris, 1984

Madame de Genlis, De l'esprit des étiquettes, Mercure de France, Paris, 1996

Jean-Noël Jeanneney (dir), Une idée fausse est un fait vrai, les stéréotypes nationaux en Europe, Odile Jacob, Paris 2000

Edward T. Hall, La dimension caché, Points Seuil, 1978, Paris Philippe d’Iribarne, La logique de l’honneur, Points Seuil, Paris, 1989 Bruno Jarrosson, Décider ou ne pas décider ? Maxima, Paris, 1994

Marie-Christine Kessel, La politique étrangère de la France, Acteurs et processus, Presses de sciences Po, Paris, 1999

Marie-France Lecherbonnier, Le protocole, histoire et coulisses, Perrin, Paris, 2001 Miyamoto Musashi, Ecrits sur les cinq roues, Maisonneuve et Larose, Paris, 1977

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Références

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