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Mémoire présenté par la Confédération des syndicats nationaux. à la Commission des relations avec les citoyens

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Mémoire présenté par

la Confédération des syndicats nationaux à la Commission des relations avec les citoyens

sur le projet de loi n

o

77 Loi sur l’immigration au Québec

10 février 2016

au Québec

(2)

Confédération des syndicats nationaux 1601, avenue De Lorimier

Montréal (Québec) H2K 4M5 Tél. : 514 598-2271

Téléc. : 514 598-2052 www.csn.qc.ca

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Table des matières

Introduction ... 5

1. Les écueils du projet de loi no 77 ... 7

1.1 Centralisation des pouvoirs ...7

1.2 Vision purement économique et utilitariste de l’immigration ...8

1.3 Privatisation du système d’immigration... 10

1.4 Immigration temporaire et passage vers l’immigration permanente ... 11

2. Éléments inhérents à une pleine intégration des personnes immigrantes ...13

2.1 Apprentissage et maîtrise de la langue française ... 14

2.2 Reconnaissance des diplômes, acquis et expériences professionnelles obtenus à l’étranger ... 17

2.3 Reconnaître l’existence du racisme et de la discrimination pour mieux les prévenir et les enrayer ... 18

2.4 Répondre aux besoins des femmes immigrantes ... 18

Conclusion ...21

Recommandations ...23

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La Confédération des syndicats nationaux (CSN) est une organisation syndicale composée de près de 2 000 syndicats. Elle regroupe plus de 325 000 travailleuses et travailleurs réunis sur une base sectorielle ou professionnelle dans huit fédérations, ainsi que sur une base régionale dans treize conseils centraux, principalement sur le territoire du Québec. En 1986, le comité confédéral sur les relations interculturelles fut créé. Par ailleurs, en 2012, la CSN adoptait la plateforme L’immigration, une richesse à partager1.

La CSN tient à remercier la Commission des relations avec les citoyens de lui permettre de prendre part aux consultations sur le projet de loi no 77 qui vise à remplacer l’actuelle Loi sur l’immigration au Québec2. La CSN s’est toujours intéressée aux questions liées à l’immigration. Au fil des ans, nous avons participé aux diverses consultations gouvernemen- tales sur les niveaux d’immigration, sur la politique contre le racisme, sur l’accès aux professions et métiers règlementés, etc. En janvier 2015, nous avons soumis un mémoire dans le cadre de la consultation sur le document intitulé « Vers une nouvelle politique québécoise en matière d’immigration, de diversité et d’inclusion ». Notre vision de l’immigration se veut humaniste, orientée vers l’intégration harmonieuse des personnes immigrantes dans leur société d’accueil. Cela suppose l’adoption de politiques assurant la pérennité du français, le respect des droits de la personne et l’élimination des discrimi- nations vécues par les personnes, natives ou immigrantes, particulièrement celles appartenant à des minorités visibles. C’est dans cette continuité que s’inscrit le présent mémoire.

Ce projet de loi vient réformer le système d’immigration actuel, soit un traitement des demandes selon leur ordre de réception. Ce système serait remplacé par un processus à deux étapes et la constitution d’une banque de candidatures dont le profil correspond aux besoins de main-d’œuvre des employeurs.

Mais le projet de loi va plus loin et annonce un changement de cap, le gouvernement semblant prioriser désormais la seule prospérité économique, au détriment de toutes autres considérations. Que recouvre cette notion de prospérité? Et, s’agit-il d’une prospérité pour tous?

1 Confédération des syndicats nationaux (CSN), L’immigration, une richesse à partager, 2012.

[www.csn.qc.ca/c/document_library/get_file?uuid=9daf386c-db03-4778-9937- b868f8a64941&groupId=13943]

2 Loi sur l’immigration au Québec, L.R.Q. ch. I-02.

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1. Les écueils du projet de loi n

o

77

Cette première partie fait état des lacunes que comporte, selon nous, le projet de loi à savoir : une centralisation excessive de pouvoirs entre les mains du ministre, une vision purement économique de l’immigration, une privatisation du système d’immigration, l’intensification éventuelle du recours aux travailleurs étrangers temporaires.

1.1 Centralisation des pouvoirs

Le projet de loi no 77 manque de transparence. Des pans essentiels de la loi seront, en effet, établis par règlement du gouvernement ou du ministre. Il en est ainsi pour les matières suivantes :

• catégories de ressortissants étrangers et de programmes d’immigration (articles 8 à 10);

• certification du consentement du ministre en matière d’immigration temporaire (article 14) et la décision de sélection en matière d’immigration permanente (article 213);

• conditions applicables à l’employeur qui embauche un ressortissant étranger à la suite de l’obtention d’une évaluation positive de son offre d’emploi (article 15);

• conditions et droits exigibles dans le cadre d’un nouveau programme d’immigration temporaire (article 16);

• conditions et critères de sélection d’un ressortissant étranger qui séjourne temporaire- ment au Québec et qui désire s’y établir de manière permanente (articles 17 et 18);

• les termes et la durée d’un engagement à titre de garant (article 23);

• critères de sélection tels que la formation, l’expérience professionnelle et les connaissances linguistiques et leur pondération pour l’immigration économique (articles 26 et 27);

• cas et conditions de validation par le ministre, de l’offre d’emploi d’un employeur qui souhaite embaucher un ressortissant étranger (article 29);

• conditions relatives au placement, au dépôt, à la gestion et à la disposition des sommes des personnes ou sociétés qui participent à la gestion d’un placement (article 30);

exigence d’un contingent (article 31);

• conditions, critères de sélection et droits exigibles relativement à un programme pilote d’immigration permanente (article 32);

• cas et conditions pour qu’un ressortissant étranger qui est dans une situation de détresse puisse être sélectionné (articles 34, 35 et 36);

• conditions qui donnent au ministre un pouvoir de dérogation à la loi (articles 37 à 39);

• conditions relatives à la présentation de toute demande faite en vertu de la loi (article 40);

• cas où un ressortissant étranger ne peut présenter une demande de sélection sans avoir été invité à le faire (article 41);

conditions de dépôt d’une déclaration d’intérêt dans la banque (article 42);

conditions de validité d’une déclaration (article 42);

3 Le caractère gras signale qu’un règlement pris en vertu de l’un ou l’autre de ces articles n’est pas soumis à l’obligation de publication prévue à l’article 8 de la Loi sur les règlements (article 99 du projet de loi no 77).

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8 – Mémoire de la CSN sur le projet de loi no 77

• cas où le ministre invite un ressortissant étranger à présenter une demande, sans que ne lui soient appliqués les critères d’invitation (article 47);

• conditions pour la reconnaissance du titre de consultant en immigration (article 62);

• durée et obligations liées au statut de consultant en immigration (articles 64 et 65);

fixation de certains droits à payer et les cas d’exemption (article 78 et 79).

Nous pouvons convenir que certains sujets se prêtent bien à la règlementation. Mais en l’espèce, c’est un nombre effarant d’éléments cruciaux qui se trouvent soustraits du débat démocratique. Ces matières seront décidées par le pouvoir exécutif et généralement sans consultation aucune, car l’article 99 du projet de loi édicte « [qu’] un règlement pris en vertu de l’un ou l’autre des articles 15, 17, 18, 21, 26, 27, 29 à 31, 34, 35, 40 à 42, 47 et 78, n’est pas soumis à l’obligation de publication prévue à l’article 8 de la Loi sur les règlements ». Cela signifie que le public ne pourra pas soumettre de commentaires préalablement à l’adoption de ces règlements. Une telle façon de faire est inacceptable et d’autant plus critiquable, qu’elle concerne l’immigration, un sujet névralgique pour la société québécoise tout entière. Le gouvernement aurait tout à gagner à écouter et à prendre en compte les commentaires et propositions des différentes parties prenantes.

Nous invitons la ministre à réviser sa position et à accepter le dialogue sur les éléments essentiels de sa loi. Aucune urgence ne justifie de passer outre au débat public.

1.2 Vision purement économique et utilitariste de l’immigration

En 1990, le gouvernement de Robert Bourassa adoptait un Énoncé de politique en matière d’immigration intitulé Au Québec pour bâtir ensemble4. Dans la perspective du développement du Québec comme société distincte5, quatre grands objectifs sont alors assignés à l’immigration :

• le redressement démographique;

• la prospérité économique;

• la pérennité du fait français;

• l’ouverture sur le monde.

En ce qui concerne « l’ouverture sur le monde » le texte souligne :

« les mouvements migratoires ont joué, jouent et continueront de jouer un rôle important puisque le brassage des populations et l’échange des idées et des expériences qu’ils induisent contribuent au dynamisme des sociétés d’accueil. Celles-ci sont enrichies et fécondées par cet apport nouveau. C’est pourquoi, même en l’absence d’impératifs démographique, linguistique ou économique, la nécessité d’une politique d’immigration – fut-elle plus modeste – s’imposerait à la société moderne et ouverte que constitue le Québec. »

4 Au Québec pour bâtir ensemble, Énoncé de politique en matière d’immigration et d’intégration, 1990.

5 « Si l’immigration est devenue un enjeu majeur pour le Québec, c’est parce qu’elle s’inscrit dans une perspective de développement de la société distincte », p. 8.

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Cette « ouverture sur le monde » se reflète dans le texte de l’actuelle Loi sur l’immigration qui énonce que la sélection de ressortissants étrangers doit « contribuer à l'enrichissement du patrimoine socio-culturel du Québec » en plus de participer « à la stimulation du développement de son économie et à la poursuite de ses objectifs démographiques ».

Or, le projet de loi no 77 laisse tomber la composante socio-culturelle de l’immigration au profit d’une vision axée sur l’économie. Les personnes immigrantes ne sont plus recrutées que pour contribuer « à la prospérité du Québec, à son rayonnement international et à la vitalité du français ».

Il s’agit là d’un net recul signalant le passage à une vision purement utilitariste de l’immigration. Celle-ci se réduit à l’arrimage entre les besoins de main-d’œuvre des employeurs et la sélection des immigrants, le tout sous couvert de résoudre les problèmes économiques du Québec. Cet arrimage n’est pourtant pas une panacée. D’une part, le marché du travail est en constante évolution et il nous apparaît pour le moins difficile d’arriver à une parfaite adéquation. D’autre part, même un arrimage parfait entre les profils des candidats à l’immigration et les besoins des employeurs ne saurait résoudre les problèmes économiques du Québec. En effet, selon Statistique Canada, il y avait en 2014 au Québec, 8,2 chômeurs pour un poste vacant6. Ainsi, « même si l’arrimage était parfait entre les qualifications des personnes sans emploi et les exigences des postes, il y aurait toujours un nombre important de personnes en chômage7. »

L’approche purement économique choisie par le gouvernement repose sur une fausse prémisse, celle consistant à confondre besoins des entreprises et besoins de la société. Cette même vision se trouve au cœur du projet de loi no 708, vertement critiqué par les organisations syndicales dans un mémoire conjoint où on souligne :

« Il est intéressant de noter que, dans son plan économique, le gouvernement alterne l’utilisation des expressions « besoins du marché du travail » et « besoins des entreprises ». Il ne semble y avoir aucun doute à savoir que les besoins du marché du travail correspondent uniquement aux besoins des entreprises. Les besoins des individus ne l’intéressent tout simplement pas s’ils ne sont pas directement associés à ceux des employeurs. »

Certes l’immigration peut dans certains cas permettre de répondre à des besoins précis de main-d’œuvre, mais on ne saurait la réduire à un système de recrutement, une liste mondiale de rappel au service des employeurs.

6 Statistique Canada, Statistiques sur les postes vacants (SPV), ratio chômeurs-postes vacants selon le Système de classification des industries de l’Amérique du Nord (SCIAN), la province et le territoire, Tableau CANSIM 284-0004.

7 Comité consultatif de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, Adapter le marché du travail aux personnes, bulletin no 16, novembre 2015, p. 1.

8 Loi visant à permettre une meilleure adéquation entre la formation et l’emploi ainsi qu’à favoriser l’intégration en emploi.

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10 – Mémoire de la CSN sur le projet de loi no 77

« Les immigrants qui sélectionnent le Canada et le Québec ne sont pas et ne devraient pas être considérés comme n’étant que du « capital humain ». En tant que futurs citoyens, leur contribution ne peut se réduire à leur participation au développement économique. Ils et elles contribuent aussi au développement social et à l’enrichisse- ment culturel de la société d’accueil9. »

Si l’immigration doit refléter les choix de société, comme le proclame le document de consultation gouvernemental « Vers une nouvelle politique québécoise en matière d’immigration » alors la Loi sur l’immigration doit conserver son objectif de favoriser l’enrichissement du patrimoine socio-culturel du Québec.

1.3 Privatisation du système d’immigration

Par le biais du projet de loi no 77, le gouvernement du Québec vient remplacer le système d’immigration actuel, que l’on pourrait qualifier de « premiers arrivés, premiers servis », par l’instauration d’un système à deux étapes. Ces étapes sont décrites à l’article 41 qui prévoit que « celui qui souhaite être invité à présenter une demande doit déposer, auprès du ministre, une déclaration d’intérêt à séjourner ou à s’établir au Québec ». Ainsi, les personnes désireuses de venir séjourner ou s’établir au Québec devront, dans un premier temps, satisfaire un certain nombre de critères et, le cas échéant, pourront remplir une déclaration d’intérêt. Cette dernière sera déposée dans une banque de candidatures10. Les candidats seront ensuite ciblés et priorisés essentiellement selon les besoins de main- d’œuvre des employeurs : métier, profession, formation, et au terme de deux années, les candidatures non sélectionnées seront éliminées de la banque11. Les personnes désireuses de réintégrer cette banque pourront le faire, en soumettant une autre déclaration d’intérêt, ainsi qu’en déboursant à nouveau les droits exigibles.

L’Association du Barreau canadien signale, à juste titre, qu’un tel système pourrait nous priver d’excellents candidats à l’immigration faute pour les demandeurs de correspondre aux profils recherchés :

« Ce système de [gestion de demandes] mis en place dans le reste du Canada, n’est pas, à notre avis, comme son nom l’indique et, malgré les déclarations des représentants du gouvernement fédéral, un système de gestion, mais bien un système de sélection qui ajoute une [grille de sélection ] aux conditions d’éligibilité des différents programmes d’immigration et qui peut empêcher des candidats aux profils fort intéressants de déposer leurs demandes d’immigration. »

Par ailleurs, bien qu’il s’agisse d’un système d’immigration déjà bien implanté en Australie et en Nouvelle-Zélande, et plus récemment au Canada par le biais de l’Entrée express12, cela

9 FORCIER et HANDAL, Note socio-économique, L’intégration des immigrants et immigrantes au Québec, novembre 2012, Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), p. 9.

10 Article 42.

11 Article 43.

12 Dans le cadre du système Entrée express lancé en janvier 2015, les seules demandes acceptées seront celles des personnes invitées à immigrer au Canada au titre de certains programmes d’immigration économique. [www.cic.gc.ca/francais/ministere/media/avis/2014-12-01.asp#1]

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n’implique pas nécessairement qu’il convient au contexte québécois. L’un des avantages soulevés par le gouvernement est la diminution du temps de traitement des demandes. Cela peut s’avérer, mais cette rapidité de traitement ne doit pas l’emporter sur la qualité et la transparence du processus.

Nous craignons enfin que ce système n’accentue encore la privatisation de l’immigration, déjà amorcée dans le cadre de certains programmes de travailleurs temporaires13. Rappelons, à cet égard, l’explication donnée par le gouvernement canadien pour justifier son passage au système de déclaration d’intérêt, système dont s’inspire largement le projet de loi no 77 :

« La création, pour le Canada, d’un programme d’immigration économique moderne et efficace permet une participation accrue des employeurs dans le cadre du processus de sélection des immigrants au titre de la catégorie de l’immigration économique14. »

Rappelons aussi ce passage du mémoire du Conseil du patronat du Québec dans le cadre de la consultation sur la politique d’immigration en janvier 2015 :

« Par ailleurs, peut-on penser donner accès aux employeurs au bassin des candidats qui auront déposé une déclaration d’intérêt, quitte à ce qu’on leur ait demandé au préalable leur consentement? »

1.4 Immigration temporaire et passage vers l’immigration permanente

Le recours à la main-d’œuvre temporaire augmente au Canada et au Québec. Si elle peut s’avérer nécessaire dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre encore faut-il que des besoins en main-d’œuvre existent réellement. Et encore faut-il que ces besoins soient effectivement temporaires. On ne saurait en effet considérer les travailleurs migrants comme une main-d’œuvre bon marché et jetable que l’on peut « importer » au gré des besoins de l’entreprise et retourner ensuite chez elle. « Le travail n’est pas une marchandise15. »

Les travailleurs migrants œuvrent majoritairement dans des secteurs d’activité qui ne trouvent pas preneurs dans la population locale en raison de la pénibilité du travail ou de conditions de travail inadéquates. La motivation première de ces travailleuses et travailleurs est d’ordre économique. En provenance de pays frappés par la pauvreté et le chômage, ils immigrent pour améliorer leur sort et celui de leur famille. Malheureusement, pour certains

13 Par exemple, la Fondation des entreprises pour le recrutement de la main-d’œuvre étrangère (FERME) qui gère le programme de travailleurs temporaires dans le secteur agricole. Marie LE RAY, Migration

temporaire, injustices durables. « Pour Salimah Valiani, c’est également un transfert de la prise de décision concernant l’accès à la résidence permanente qui s’opère de l’État canadien vers les employeurs canadiens.

Ce transfert marque encore une fois cette orientation plus que favorable aux employeurs et aux logiques du marché du travail sur le court terme, ainsi qu’une rupture plus globale dans les politiques

d’immigration », 2010.

14 Gouvernement du Canada, Le rôle des employeurs dans un système fondé sur un modèle de déclaration d’intérêt. [www.cic.gc.ca/francais/ministere/consultations/mdi/index.asp]

15 Déclaration concernant les buts et objectifs de l'Organisation Internationale du Travail (Déclaration de Philadelphie), 1944, article 1.

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12 – Mémoire de la CSN sur le projet de loi no 77

de ces travailleuses et travailleurs, le rêve se transforme en cauchemar. L’obligation de travailler pour un seul employeur et de résider, dans les faits, dans ses installations; le manque de formation en santé et sécurité au travail et les problèmes qui en découlent; la pénibilité du travail; la difficulté à se syndiquer; les entraves à l’exercice de recours judiciaires; la barrière linguistique et l’isolement; autant de facteurs qui placent ces travailleurs dans une situation de grande vulnérabilité. Qui plus est, des barrières législatives sont parfois érigées par le gouvernement lui-même pour empêcher ces travailleurs de faire valoir leurs droits. L’adoption récente du projet de loi no 8empêchant la syndicalisation des travailleurs agricoles en témoigne.16

Dans ce contexte, la possibilité pour le gouvernement de mettre en œuvre des projets- pilotes d’immigration temporaire d’une durée maximale de cinq ans nous laisse perplexes.

Que vise-t-on ainsi? Entend-t-on intensifier l’utilisation de la main-d’œuvre étrangère temporaire, et ce, par région ou par secteur? La question est d’autant plus préoccupante si on tient compte de l’accord de Partenariat transpacifique dont le chapitre 12 engage le Canada à accorder des autorisations temporaires de travail à certains professionnels et techniciens sans examen des besoins économiques ni restriction numérique à l’endroit de ceux-ci. 17

Entend-t-on s’attaquer, par ailleurs, à certaines caractéristiques des programmes de main- d’œuvre temporaire qui ont pour effet de rendre vulnérables ces travailleurs et qui constituent des pratiques discriminatoires? La Commission des droits de la personne et des droits de la la jeunesse (CDPDJ) a en effet conclu en février 2012 « que les aides familiales résidantes, les travailleurs agricoles saisonniers et les autres travailleurs étrangers temporaires peu spécialisés sont victimes de discrimination systémique en raison de leur origine ethnique ou nationale, de leur race, de leur condition sociale, de leur langue et, dans le cas des aides familiales résidantes, de leur sexe18. »

L’octroi de la résidence permanente permettrait, selon nous, de remédier au problème de vulnérabilité des travailleurs étrangers temporaires. Pour la CSN, les travailleurs migrants devraient avoir la possibilité de demander le statut de résident permanent dès la première année au pays. Notre position rejoint celle de la CDPDJ qui recommande :

« Que le gouvernement du Québec utilise sa compétence législative en matière d’immi- gration afin de limiter le recours à des travailleuses et des travailleurs migrants en proposant pour ceux-ci des programmes d’immigration permanente qui tiennent compte des problèmes réels de pénurie de main-d’œuvre. »

16 Gouvernement du Québec, Loi modifiant le Code du travail à l’égard de certains salariés d’exploitations agricoles, Éditeur officiel du Québec, 2014, c. 9.

17 « Le Canada autorise l’admission temporaire des professionnels et techniciens et leur fournit un permis ou une autorisation de travail sans :

a) subordonner l’autorisation d’admission temporaire à des validations de l’offre d’emploi ou à d’autres procédures ayant un objectif similaire;

b) imposer ou maintenir de restrictions numériques relativement à l’admission temporaire » Partenariat transpacifique, Annexe 12-A-CANADA-9.

18 Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), La discrimination systémique à l’égard des travailleuses et travailleurs migrants.

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Or, l’article 17 du projet de loi no 77 permettrait à un ressortissant étranger séjournant à titre temporaire de présenter une demande dans le cadre d’un programme menant à la résidence permanente. S’il convient de saluer cette avancée, il est regrettable de constater que les conditions et critères assurant le passage de l’immigration temporaire à l’immigration permanente seront déterminés par règlement du gouvernement et sans consultation aucune!

La CSN estime que le gouvernement devrait saisir l’occasion de la nouvelle loi sur l’immigration, pour permettre aux travailleurs migrants de demander le statut de résident permanent après un an de séjour.

2. Éléments inhérents à une pleine intégration des personnes immigrantes

L’Énoncé de politique de 1990 attachait beaucoup d’importance à l’intégration des nouveaux arrivants :

« le succès du projet migratoire de chaque individu de même que le maintien de rapports harmonieux entre les Québécois de toutes origines dépendent du degré d’intégration et de participation des immigrants et de leurs descendants à la société québécoise. C’est pourquoi les deux volets de la présente politique – l’immigration et l’intégration – doivent être considérés comme indissociables. »

Or, force est de constater qu’à maints égards cette intégration n’a pas toujours été une réussite : taux de chômage élevé des personnes migrantes, discrimination en emploi, difficulté à faire reconnaitre les diplômes étrangers. La CDPDJ note à propos de ces ratés :

« si l’Énoncé de politique de 1990 a pu contribuer au processus d’accueil et d’intégration des immigrants, les acquis qui en découlent demeurent partiels, voire fragiles. C’est en ce sens qu’elle déplore le fait que les devoirs et responsabilités de l’État et de la société d’accueil en matière d’intégration demeurent largement méconnus du grand public. (…) Dans ce contexte, le fardeau de l’intégration doit pour beaucoup être supporté par l’immigrant lui-même19. »

Ceci étant, il est surprenant de constater le peu de place qu’occupe l’intégration à la société québécoise dans le projet de loi. Seulement deux articles en traitent, les articles 58 et 59, et encore de façon extrêmement vague. Le projet de loi doit marquer beaucoup plus fermement l’importance de l’intégration à la société d’accueil sans quoi la politique d’immigration sera vouée à l’échec.

Certains éléments sont nécessaires à la pleine intégration des personnes immigrantes. Le plus déterminant concerne l’apprentissage et l’utilisation de la langue française. L’intégration sur le marché du travail passe aussi par le français et par une meilleure reconnaissance des diplômes, des acquis et des expériences professionnelles étrangers. Finalement, la mise en

19 Mémoire de la CDPDJ sur le document intitulé Vers une nouvelle politique québécoise en matière d’immigration, de diversité et d’inclusion, janvier 2015, p. 6.

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14 – Mémoire de la CSN sur le projet de loi no 77

place de politiques et pratiques visant à enrayer le racisme et la discrimination s’impose.

Tout comme la prise en compte des besoins particuliers des femmes immigrantes.

2.1 Apprentissage et maîtrise de la langue française

Une des barrières fondamentales à l’intégration à la vie économique et sociale résulte de la méconnaissance de la langue de la communauté20. En ce sens, la Charte de la langue française a été adoptée pour préserver le fait français, mais aussi pour favoriser l’intégration des nouveaux arrivants au Québec.

À quelques reprises, le projet de loi no 77 avance que la pleine participation à la vie québécoise par les personnes immigrantes contribuera à « la vitalité du français ». Dans les faits, nous constatons que peu de mesures sont proposées.

Sur l’île de Montréal, la proportion d’individus de langue maternelle française est sous la barre des 50 % et celle des individus parlant principalement français était de 53 % en 200621. Depuis 1996, le poids démographique du français recule, tant sur le plan de la langue maternelle que de la langue d’usage, alors que celui de l’anglais demeure stable. Le faible taux de fécondité des francophones et l’arrivée massive de nouveaux citoyens ne maîtrisant pas la langue française posent un défi à la survie de la langue française au Québec et plus particulièrement dans la région de Montréal où l’immigration se concentre à 86 %22.

En ce sens, la connaissance du français comme critère de sélection des nouveaux arrivants doit être renforcée. Les immigrants qui ne sont pas de langue maternelle francophone ou latine restent trop souvent imperméables aux mesures de francisation. C’est ainsi qu’actuelle- ment plus de 200 000 immigrants, soit 20 % de l’ensemble de la population immigrée du Québec, ne parlent pas le français même si certains sont ici depuis plus de 30 ans!

Pour assurer l’intégration des immigrants à la société québécoise, il conviendrait qu’un maximum de nouveaux arrivants sélectionnés connaissent le français à leur arrivée ou soient francotropes23. Par exemple, un employeur souhaitant embaucher un travailleur temporaire devrait respecter des conditions touchant la connaissance de la langue française (article 15). Cette condition devrait aussi être spécifiée pour les travailleurs permanents.

Or, le projet de loi fait plutôt mention de « connaissances linguistiques » et non du

20 R. BOURHIS et autres, Language Matters : A Policy-Research Seminar on Language Acquisition and Newcomer Integration, Présentation pour Citizenship and Immigration Canada, Ottawa, 22 octobre 2009.

21 Office québécois de la langue française (OQLF), Rapport sur l’évolution de la situation linguistique au Québec, Faits saillants du suivi démolinguistiques, septembre 2011.

22 Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, Fiche synthèse sur l’immigration et la diversité ethnoculturelle au Québec, 2013.

23 Francotrope : Personne provenant de pays reconnus comme ayant des affinités avec la langue française. Ce terme fait référence aux allophones dont la langue maternelle est une des langues parlées dans l’ancien empire français (arabe, créole, vietnamien, etc.) ou une langue proche du français (italien, espagnol, portugais, catalan, roumain, etc.), ainsi qu’aux allophones qui sont nés dans un des pays membres de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). OQLF, Rapport sur l’évolution de la situation linguistique au Québec, Suivi démolinguistique de la population du Québec, 2011.

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« français » dans les critères de sélection (article 26). Le terme « connaissance linguistique » laisse toute la place à la sélection de travailleurs tant anglophones que francophones, voire d’une langue tierce.

Le gouvernement du Québec doit aussi faire en sorte que la langue officielle de l’adminis- tration soit bien le français comme l’énonce le chapitre IV de la Charte de la langue française. On constate en effet un laxisme de la part de l’appareil gouvernemental québécois à cet égard. Ainsi, 75 % des interactions entre les institutions publiques et les immigrants allophones se déroulent en anglais24. La portion du personnel soignant du système public québécois utilisant l’anglais le plus souvent ou de façon régulière au travail a augmenté de 13,5 % entre 2001 et 200625. Bref, le gouvernement québécois offre de facto des services en anglais aux citoyens allophones. Cette manière de faire conduit à un bilinguisme d’État aux antipodes de l’esprit de la Charte de la langue française. Pour favoriser l’intégration, en français, nous croyons que les ministères et les institutions publiques (par exemple, la Société de l’assurance automobile du Québec ou Revenu Québec) devraient s’adresser uniquement en français aux immigrants prestataires de services; quitte à prévoir une phase d’adaptation d’un an pendant laquelle les services seraient disponibles en anglais.

Malgré la volonté de « vitaliser le français », le projet de loi no 77 marque un recul quant à l’obligation gouvernementale d’offrir des services de francisation. En effet, l’article 58 mentionne l’obligation pour le ministre d’élaborer des programmes d’accueil et de francisation alors que la loi actuelle édicte plutôt que le ministre doit établir et maintenir les programmes d’intégration (3.2.3) ainsi que dispenser et assumer les services d’intégration linguistique (3.2.4).

Dans un contexte où le gouvernement provincial, champion de l’austérité, coupe dans les différents budgets ministériels, nous sommes inquiets quant à l’accès et à la qualité des services de francisation (par exemple : le nombre d’heures) offerts aux nouveaux arrivants.

En effet, depuis 2011-2012, alors que le nombre d’immigrants ne connaissant pas le français est en augmentation, le financement des programmes de francisation diminue dans l’ensemble des ministères concernés par la francisation (ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion [MIDI], ministère de l'Éducation, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche [MEESR] et ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale [MESS])26. Nous croyons que pour assurer la vitalité du français, le budget alloué aux programmes d’accueil et de francisation doit être établi en fonction du volume prévu d’immigrants à franciser et du coût unitaire moyen de francisation.

Par ailleurs, des études soulignent l’insuffisance du nombre d’heures de cours de francisation.

Plusieurs immigrants, faute d’une compensation financière adéquate, se tournent davantage vers les formations à temps partiel. En ce sens, nous estimons qu’il serait opportun de

24 Robert DUTRISAC, L’administration publique québécoise et les allophones : le roi est-il anglais?, Le Devoir, 12 avril 2008.

25 Mathilde LEFEBVRE, La bilinguisation des services de santé et des services sociaux du Québec, Rapport de recherche de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC), 2014.

26 Jean FERRETTI, Le Québec rate sa cible. Les efforts du Québec en matière de francisation et d’immigration : un portrait, IREC, 2016.

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16 – Mémoire de la CSN sur le projet de loi no 77

spécifier, à l’article 59, que le ministre « doit », et non pas « peut », allouer l’aide financière aux personnes immigrantes pour le suivi de programmes d’accueil, de francisation ou d’intégration.

De plus, les sessions de formation en milieu de travail sont une voie importante pour rejoindre et franciser les nouveaux arrivants. La CSN participe depuis plusieurs années à l’instauration de formations adaptées aux travailleurs issus de l’immigration. Malheureuse- ment, les subventions assurant le financement de ces cours sont passées sous le couperet de l’austérité. Pourtant ces formations devraient être soutenues et encouragées par le gouvernement.

Consciente, par ailleurs, que l’installation en région peut favoriser la francisation, la CSN estime que les régions doivent être encouragées à se doter d’une politique d’immigration facilitant le recrutement et la rétention de personnes immigrantes. Nous considérons qu’une façon d’y arriver est la mise en place d’un programme de jumelage des nouveaux arrivants avec des résidents locaux. Il s’agit d’une forme efficace d’accompagnement et d’intégration des personnes immigrantes dans leur région d’accueil.

Finalement, tous ces efforts de francisation seront vains tant que des doutes persisteront sur la réalité du français comme langue commune de la société québécoise, et ce, plus parti- culièrement dans les milieux de travail. En ce moment, seulement 37 % des Québécois parlent uniquement en français au travail et 46 % utilisent l’anglais comme complément27. À Montréal, 17 % des individus utilisent uniquement le français lorsqu’ils travaillent, mais 33 % parlent la majorité du temps en anglais. De plus, 28 % des petites et moyennes entreprises (PME) de Montréal ont uniquement ou principalement l’anglais comme langue d’usage et près de 50 % possèdent des logiciels de bureautique non traduits28. Enfin, 40 % des petites entreprises montréalaises exigent l’anglais pour tous leurs postes affichés et 31 % pour certains postes.

Dans le secteur privé du Grand Montréal, la proportion de la main-d’œuvre travaillant uniquement en français a diminué de près de 10 points de pourcentage entre 1997 et 2010.

À Montréal, la proportion de travailleurs du secteur privé utilisant uniquement le français était de seulement 12 % en 201029.

Si l’apprentissage du français n’assure pas l’intégration au marché du travail, tous les programmes de francisation resteront inutiles. Une langue perd sa vitalité et est condamnée à long terme à disparaître lorsqu’elle n’est plus utile pour gagner sa vie. Au-delà de la sélection et des services de francisation offerts, il serait primordial que le gouvernement du Québec s’assure de l’application de la Charte de la langue française dans tous les milieux de travail. L’obligation de mettre en place des comités de francisation devrait s’étendre aux entreprises de 50 à 99 employés; un processus de francisation allégé pour les entreprises de 25 à 49 employés pourrait s’appliquer.

27 Yulia PRESNUKHINA, Les pratiques linguistiques au travail au Québec en 2010, Office québécois de la langue française, 2012.

28 Pierre BOUCHARD, Les entreprises de 11 à 49 employés. Portrait de leur réalité linguistique, Rendez-vous des gens d’affaires et des partenaires socioéconomiques, Gouvernement du Québec, 2008.

29 Conseil supérieur de la langue française, Redynamiser la politique linguistique du Québec, 2010.

(17)

2.2 Reconnaissance des diplômes, acquis et

expériences professionnelles obtenus à l’étranger

Le ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion reconnaît avec justesse que :

« […] si le fait d’occuper un emploi est capital, les caractéristiques de ce dernier le sont tout autant. L’une de ces caractéristiques est l’adéquation entre le niveau de scolarité de la personne et les compétences demandées par l’emploi occupé. La personne sera adéquatement qualifiée si son niveau de scolarité correspond aux compétences requises par l’emploi. On parlera de surqualification lorsque le niveau de scolarité est supérieur aux compétences requises30. »

Les statistiques démontrent que la probabilité d’être surqualifié est statistiquement liée au sexe, à l’âge et au statut d’immigrant.

Ainsi, selon une étude du ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles (devenu depuis le ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion [MIDI]), « en 2010, plus de la moitié des personnes immigrantes ayant un diplôme universitaire étaient surqualifiées pour leur emploi (56,1 %)31. » Il s’agit là d’un navrant gaspillage de talents.

Par ailleurs, les personnes surqualifiées gagnent moins d’argent que les non surqualifiées et l’effet est encore plus fort chez les immigrantes et les immigrants32.

La CSN croit que le gouvernement doit accentuer la pression sur les ordres professionnels afin qu’ils favorisent l’accès à leur profession, et ce, à un coût et dans des délais raisonnables.

Les employeurs doivent aussi contribuer. Un sondage mené pour le compte du Conseil du patronat du Québec auprès de 350 dirigeants d’entreprises révèle que 33 % d’entre eux ne sont pas favorables à l’embauche d’immigrants sans expérience de travail au Québec33. Ce sont les petites entreprises qui se montrent les plus réticentes, ce qui a des répercussions certaines, puisque les PME occupent une place très importante dans l’économie québécoise.

Paradoxalement, ces mêmes entreprises se plaignent de la rareté de main-d’œuvre dans plusieurs secteurs.

30 Éléments explicatifs de la surqualification chez les personnes immigrantes au Québec en 2012, ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles, Direction de la recherche et de l’analyse prospective, octobre 2013, page 4. [www.midi.gouv.qc.ca/publications/fr/recherches-

statistiques/TXT_Surqualification_2013.pdf]

31 Ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles, Éléments explicatifs de la surqualification chez les personnes immigrantes au Québec en 2012, Québec, 2013, p. 5.

32 Jean-Marc KILOLO MALAMBWE, Institut de la statistique du Québec (ISQ), La surqualification des travailleurs québécois selon l’industrie : portrait évolutif selon le genre et effets sur la rémunération, avril 2014, page 5. [www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/travail-remuneration/journee-qualite-emploi-2014/3- Jean-Marc-Kilolo.pdf]

33 Léger Marketing, Étude auprès des dirigeants d’entreprises sur les facteurs déterminants de la prospérité, sondage effectué pour le Conseil du patronat du Québec, décembre 2010, p. 10. [www.cpq.qc.ca/wp- content/uploads/files/sondages/2011/sondage0111.pdf]

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18 – Mémoire de la CSN sur le projet de loi no 77

Le gouvernement doit aussi assurer la pérennité des programmes d’insertion en matière d’emploi et multiplier les initiatives qui favorisent l’embauche des immigrants et freinent la déqualification, comme l’accompagnement, le mentorat, les stages, les formations d’appoint, les formations en francisation et le soutien financier aux personnes ou aux employeurs dans certains cas.

Rappelons en terminant sur ce point que « l’exigence d’une expérience québécoise, la non- reconnaissance des diplômes, l’opacité des ordres professionnels sont autant d’obstacles auxquels font face les immigrants racisés34. »

2.3 Reconnaître l’existence du racisme et de la discrimination pour mieux les prévenir et les enrayer

Parmi les obstacles auxquels font souvent face les personnes immigrantes dans leur intégration socioéconomique figurent le racisme et la discrimination à l’embauche et en emploi. Dans une étude publiée en mai 2012, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse35 conclut que « les difficultés d’insertion en emploi que rencontrent certains groupes ethniques et racisés, issus de l’immigration ou non, ne tiennent pas qu’à une distribution inégale des acquis et des compétences, mais également aux préférences discriminatoires des employeurs. »

Ces pratiques discriminatoires, dont les responsables ne sont pas toujours conscients, sont souvent engendrées par des procédures de recrutement et d’embauche et des pratiques en matière de ressources humaines non adaptées à la diversité culturelle. On parle alors de discrimination systémique.

Le gouvernement doit s’engager résolument dans la lutte contre la discrimination par la sensibilisation et l’éducation aux droits, par une stratégie d’intégration de la main-d’œuvre immigrante et par un renforcement des programmes d’accès à l’égalité en emploi.

2.4 Répondre aux besoins des femmes immigrantes

Plusieurs facteurs peuvent expliquer les différences observées entre les immigrantes et les immigrants dans l’accès au marché du travail, notamment les difficultés liées à la conciliation famille-travail ou aux approches culturelles différentes quant aux responsabilités familiales. De plus, aucune connaissance des langues officielles n’étant exigée des personnes admises dans la catégorie du regroupement familial, il peut s’avérer plus difficile pour elles de trouver du travail. S’ajoutent à cela les difficultés pour faire reconnaître leurs diplômes et leurs expériences professionnelles et l’orientation des femmes vers des emplois tradi- tionnellement féminins, sans égard à leur formation professionnelle. Ainsi, les femmes immigrantes plus que les hommes dans la même situation occupent des emplois inférieurs

34 Mémoire de la CDPDJ sur le document intitulé Vers une nouvelle politique québécoise en matière d’immigration, de diversité et d’inclusion, janvier 2015. p. 47.

35 Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Mesurer la discrimination à l’embauche subie par les minorités racisées : résultats d’un « testing » mené dans le Grand Montréal, mai 2012, p. 45.

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plus, elles peuvent subir de la discrimination croisée, c’est-à-dire liée à plusieurs motifs : la condition sociale, la race, la couleur, l’origine ethnique ou nationale, le sexe, la religion et l’état civil.

La recommandation générale no 26 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) appelle les gouvernements à prendre en compte la discrimination dont les femmes migrantes sont victimes :

« Pour comprendre les problèmes particuliers rencontrés par les femmes, il faut examiner la migration des femmes à la lumière des inégalités entre les sexes, des rôles traditionnels de la femme, de la répartition inégale des emplois entre les hommes et les femmes sur le marché du travail, de la prévalence universelle de la violence sexiste et de la féminisation mondiale de la pauvreté et de la migration des travailleurs. Il est donc indispensable de prendre en compte la situation de la femme lors de l’examen de la condition des migrantes et de la formulation de politiques de lutte contre la discrimination, l’exploitation et la maltraitance. »

La CSN considère que le gouvernement ne peut occulter la réalité particulière des femmes;

il se doit donc d’appliquer rigoureusement l’analyse différenciée selon les sexes dans la conception des programmes et des mesures destinés aux personnes immigrantes.

36 Statistique Canada, La surqualification des nouveaux diplômés universitaires au Canada, 2011. « Parmi les immigrants diplômés universitaires qui n’ont pas obtenu leur diplôme au Canada ou aux États-Unis, 43 % des femmes et 35 % des hommes travaillaient dans des professions exigeant des études de niveau secondaire ou moins. » [www.statcan.gc.ca/pub/75-006-x/2014001/article/11916-fra.htm#a3]

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Conclusion

Selon nous, l’immigration ne peut pas seulement constituer un élément de réponse à nos problèmes économiques. Elle ne saurait non plus se réduire à l’arrimage mécanique de candidatures avec les besoins immédiats de main-d’œuvre des entreprises. Elle doit s’inscrire dans une vision plus large, qui tient compte des valeurs sociales, humaines, démocratiques, égalitaires et humanitaires de la société québécoise.

À cet égard, le projet de loi no 77 nous inquiète vivement. Il marque, croyons-nous, un changement de cap vers une immigration au service des entreprises plutôt que de la société tout entière. La disparition de l’objectif d’enrichissement du patrimoine socio-culturel qu’on retrouve dans la loi actuelle sur l’immigration s’ajoute à nos craintes et nous invitons la ministre à maintenir cet élément comme enjeu fondamental de notre système d’immigration.

Par ailleurs, pour qu’elle reflète vraiment « les choix de société » la loi doit permettre un dialogue continu. Or, des pans entiers de celle-ci seront précisés par règlements, sans consultation. Nous croyons que le gouvernement doit réviser sa position et prévoir un mécanisme de consultation ouvert au public. L’assujettissement de la règlementation à un processus parlementaire s’impose en outre pour certains sujets importants, notamment les catégories de ressortissants étrangers et de programmes, les conditions applicables à l’employeur qui embauche un ressortissant, les critères de sélection des ressortissants pour le passage du statut de temporaire à permanent, les programmes pilotes d’immigration temporaire, les conditions de sélection pour les personnes en situation de détresse, etc.

Le projet de loi est par ailleurs nettement insuffisant relativement aux moyens à prendre pour assurer la pérennité du français. Selon nous, la connaissance du français comme critère de sélection des nouveaux arrivants doit être renforcée. Le gouvernement du Québec doit aussi faire en sorte que la langue officielle de l’administration soit bel et bien le français. En ce qui concerne les milieux de travail, il y aurait lieu d’étendre aux entreprises de 50 à 99 employés l’obligation de mettre en place des comités de francisation; un processus de francisation allégé pour les entreprises de 25 à 49 employés pourrait s’appliquer.

Le projet de loi est finalement beaucoup trop flou sur le volet pourtant névralgique de l’intégration des personnes immigrantes. Le problème de reconnaissance des acquis et des diplômes tarde à se résoudre. Malgré des avis percutants de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, le gouvernement n’a pas entrepris de véritable plan de lutte contre la discrimination, particulièrement en emploi. La situation du français se dégrade rapidement dans la région montréalaise qui reçoit la plus grande part des personnes immigrantes. Le projet de loi ne témoigne pas de l’urgence d’agir sur ces questions.

Nous joignons en annexe une liste des éléments qui devraient se retrouver dans le système d’immigration du Québec.

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Recommandations

La CSN recommande que la nouvelle politique d’immigration, de diversité et d’inclusion comprenne les éléments suivants :

L’accueil

1. Une bonne évaluation des besoins d’immigration par :

• Le portrait de la situation démographique;

• Un état de situation de l’emploi et des besoins de main-d’œuvre par région et par secteur.

2. L’état de situation de l’intégration socioéconomique des personnes déjà admises.

3. Une sélection juste, équitable et exempte de discrimination, notamment en fonction du lieu d’origine.

4. Une information complète et pertinente aux candidates et aux candidats à l’immigration avant leur arrivée :

• Ce qu’est le Québec : la langue, la culture et les valeurs communes;

• Les exigences demandées pour certains métiers et certaines professions.

5. Des mesures permettant aux candidats sélectionnés de démarrer certaines démarches avant leur arrivée (reconnaissance de diplômes, apprentissage du français, etc.).

6. Un accompagnement avant et après l’arrivée pour faciliter les démarches.

L’intégration socioéconomique

7. Des activités de sensibilisation, d’éducation et de lutte aux préjugés et d'éducation aux droits auprès de la société en général et des nouveaux arrivants eux-mêmes, notamment dans le système d’éducation, les médias et les milieux de travail.

8. Une stratégie d’intégration en emploi de la main-d’œuvre issue de l’immigration comprenant :

• De la formation et des outils pour les employeurs afin de s’assurer que les procédures d’embauche soient exemptes de biais discriminatoires, qu’ils mettent en place des programmes d’égalité en emploi et qu’ils œuvrent, de façon paritaire, à une intégration et à un maintien en emploi harmonieux des personnes issues de l’immigration et des minorités visibles;

• Un renforcement des programmes d’accès à l’égalité et de leur surveillance;

• Des mesures efficaces de reconnaissance des diplômes et de l’expérience acquis à l’étranger incluant du soutien, de l’accompagnement, de la formation d’appoint, etc.;

• Des programmes suffisants, efficaces et éprouvés pour permettre l’acquisition d’une première expérience de travail québécoise, incluant un financement stable des organismes communautaires d’insertion en emploi et des mesures de soutien à l’intention des personnes et des employeurs;

• Des mesures spécifiques pour les personnes n’ayant pas fait l’objet de la sélection, notamment les réfugié-es et les personnes admises par le regroupement familial;

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24 – Mémoire de la CSN sur le projet de loi no 77

• Un système efficace pour mettre en lien les travailleurs à la recherche d’emploi et les donneurs d’ouvrage partout au Québec;

• Un encouragement aux régions à se doter d’une politique d’immigration afin de recruter et de retenir de nouvelles et de nouveaux arrivants;

• Un programme de jumelage des nouveaux arrivants avec des résidents de la région;

• Des mesures d’accompagnement et de soutien spécifiques à l’endroit des femmes de la catégorie du regroupement familial afin de briser leur isolement et de favoriser leur intégration à la société d’accueil;

• Des mesures spécifiques pour les femmes immigrantes telles que du soutien à leurs responsabilités familiales et de l’accompagnement pour leur permettre l’accès à des cours de français et la possibilité de poursuivre leurs démarches de reconnaissance de diplômes et d’expérience afin d’éviter l’isolement et les ghettos d’emploi.

Le français

9. Des cours de français de base accessibles rapidement, dans la communauté ou en milieu de travail, aux candidats et à leur famille et le soutien nécessaire pour y assister.

10. Des cours de français de niveau avancé, en milieu de travail dans le domaine de travail de la personne, et les ressources nécessaires pour les soutenir.

11. Une affirmation accrue du caractère français du Québec, ici et à l’étranger, et les moyens nécessaires pour le faire respecter, notamment dans les milieux de travail.

Les besoins temporaires de main-d’œuvre

12. L’adoption d’un décret par lequel le gouvernement du Québec se déclare lié par la convention internationale de l’ONU ainsi que par les conventions de l’OIT concernant les travailleurs migrants et les travailleuses domestiques.

13. Le développement par le gouvernement du Québec d’une politique globale et intégrée d’immigration qui inclut le rapatriement des pouvoirs nécessaires à l’adaptation et à la gestion du programme des travailleuses et des travailleurs étrangers temporaires.

Cette gestion devrait être confiée au MIDI en collaboration avec la CPMT.

14. La possibilité pour les travailleuses et les travailleurs migrants de changer d’employeur.

15. La possibilité pour les travailleuses et les travailleurs migrants de choisir leur lieu de résidence.

16. Un système d’inspection des logements fournis par les employeurs pour en vérifier la qualité et les conditions de respect de la vie privée.

17. La couverture de tous les travailleurs temporaires par la Loi sur la santé et la sécurité du travail.

18. Un mécanisme qui permette à la travailleuse ou au travailleur de poursuivre ses recours jusqu’au bout, même après le retour dans son pays.

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19. Une formation par les employeurs sur l’utilisation sécuritaire des équipements et du matériel.

20. Un mécanisme permettant aux travailleuses et aux travailleurs qui ont besoin de suivre un traitement en cas d’accident ou de maladie au travail de continuer d’être couverts une fois de retour chez eux.

21. L’obligation aux employeurs de permettre l’accès à des cours de français aux travailleuses et aux travailleurs migrants temporaires.

22. La possibilité pour les travailleuses et travailleurs migrants temporaires de demander le statut de résident permanent au Canada dès la première année.

23. Un processus simplifié pour l’obtention d’un permis de travail ou d’études temporaire pour les conjoints et les enfants des travailleurs et des travailleuses temporaires.

L’évaluation des actions

Une vérification régulière des impacts de la politique et des plans d’action s’y rattachant, au moyen d’indicateurs d’intégration socioéconomique et par la consultation des acteurs concernés.

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