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LA RELANCE DES RELATIONS CULTURELLES EXTERIEURES DE LA FRANCE II

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Academic year: 2022

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LA RELANCE

DES RELATIONS CULTURELLES EXTERIEURES DE LA FRANCE

II

I

l faut maintenant analyser les étapes de cette réflexion, qui fut un travail collectif. L'occasion est peut-être bonne pour exposer, à partir d'un exemple concret, les méthodes d'une action administrative trop souvent dissimulée sous les voiles d'une dis- crétion abusive quand elle n'est pas défigurée par les interpré- tations tendancieuses. Il est vrai qu'il y a des réformes aux couleurs de conspiration, des rapports qui ressemblent à des bombes à retardement, des commissions qui naissent dans le chuchotement, vivent d'indiscrétions et meurent par indifférence.

Mais puisqu'il est des exemples plus avouables, pourquoi ne pas les présenter dans leur vérité ?

L a mission qui me fut confiée nommément était nette dans son objectif et dans son échéance et totalement ouverte en ce qui concerne ses méthodes, son contenu et ses directions. J'avais, à compter de janvier 1979, six mois au moins, neuf mois au plus, pour proposer au ministre des orientations en vue d'une relance des relations culturelles extérieures, relance qu'il jugeait souhaitable à partir des considérations générales que je lui avais exposées en me fondant sur les expériences que j ' a i rap- pelées et qui le convainquaient que le ministère des Affaires étrangères avait un rôle moteur à jouer dans l'intensification de la présence culturelle de la France dans le monde.

Les moyens ? Nuls comme i l se doit. Pas un crédit d'études ou de missions, pas d'autre infrastructure que celle, artisanale, que peut fournir le cabinet d'un ministre. Mais i l est des dénue- ments qui fouettent l'imagination, et je ne me souciai guère de

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réunir ces lourds bagages qui alourdissent trop souvent la démar- che des explorateurs. Quelques bonnes volontés réunies par l'amitié et le sens de l'intérêt général et réconfortées, tard le soir ou tôt le matin, par les nourritures terrestres de cet excellent hôtel qu'est le Quai d'Orsay, devaient suffire à l'affaire, avec le concours des services.

Le groupe que je réunis dès le début de janvier 1979 décu- plait mon expérience propre et corrigeait par ses talents addi- tionnés ce que ma démarche initiale avait de flou et d'incertain.

Le recteur Gérald Antoine, Pierre de Boisdeffre, écrivain et diplomate, Yves Brunsvick, secrétaire général de la commission française pour l'Unesco, Alain Trapenard, conseiller à la Cour des comptes et ancien directeur des affaires culturelles de Paris, assistés d'André Gadaud, ancien conseiller culturel à New Y o r k et d'Yves Hersant, universitaire, ancien attaché culturel, voulu- rent bien consacrer à ce travail une large partie de leur temps.

Grâce à eux, l'enseignement du français, les relations univer- sitaires, la coopération scientifique et technique bilatérale et multilatérale, les échanges culturels et artistiques pouvaient être examinés à partir de l'expérience. Il nous fallut peu de temps pour constater notre accord sur les orientations fondamentales de notre recherche, tant i l est vrai que ceux qui ont pratiqué en profondeur l'échange culturel ont su voir la culture française reflétée dans le regard des étrangers qui la pratiquent ou qui l'abordent, ont réfléchi sur les chances et les manques de notre présence au-dehors et n'ont pas besoin d'une longue concertation pour décider dans quel sens et dans quel esprit des efforts doivent être faits pour rendre notre culture à la fois plus présente, plus active et plus ouverte.

L'une de nos premières décisions, dans l'ordre des méthodes, fut d'associer étroitement le directeur général des relations cultu- relles et ses collaborateurs à notre réflexion. Cette attitude n'était pas dictée d'abord par le souci d'obtenir des services la docu- mentation nécessaire ; elle obéissait à des raisons plus profondes, qui relèvent d'une éthique administrative commune à tous les membres du groupe : nous considérions en effet qu'il n'est de vraie réforme, dans l'administration, qu'avec l'adhésion de ceux qui auront à mettre en œuvre les idées nouvelles et que rien n'est plus irréaliste qu'une réforme imposée de l'extérieur à des bureaux rétifs.

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A u reste, notre mission ne consistait nullement à faire le procès d'une administration dont personne, à commencer par le ministre, ne considérait qu'elle avait démérité. L'esprit pédago- gique du groupe de travail l'incitait à faire lever dans l'adminis- tration même des idées nouvelles plutôt qu'à l'assujettir à un corps de doctrine.

L a suite devait montrer que le pari était jouable. Grâce à l'ouverture d'esprit de Roger Vaurs et de son équipe, la réflexion fut d'un bout à l'autre le fruit d'un échange entre le groupe de travail et la direction générale. S'il y eut entre nous une tension dialectique, ce fut, de façon féconde, celle qui peut s'instaurer entre des gestionnaires préoccupés par les contraintes du quotidien et des hommes de réflexion soucieux avant tout d'orientations à long terme. Mais les premiers avaient suffisam- ment de sens prospectif et les seconds d'expérience de gestion pour se comprendre et se compléter.

Le démarrage était ainsi assuré dans de bonnes conditions ; une question m'obsédait : si riches et diverses que fussent les expériences accumulées par tous ceux qui étaient associés à la réflexion, elles ne nous dispensaient pas d'une consultation à la fois vaste et approfondie de tous ceux qui, à un titre ou à un autre, concourent aux relations culturelles extérieures. S'il est des domaines où l'administration domine par elle-même une matière, il en est d'autres, comme celui qui nous occupe, où son rôle, si important qu'il soit, est avant tout de coordination, d'impulsion et de soutien. Que sont en effet les relations cultu- relles extérieures ? Des actions d'enseignement du français ou en français, des animations culturelles, des tournées théâtrales ou musicales, des expositions, une présence à l'étranger du livre, de la télévision, du cinéma français, des échanges scientifiques, des actions de formation scientifique et technique ou l'assistance technique au bénéfice des pays en voie de développement, bref des activités multiformes dont le ministère des Affaires étran- gères définit le cadre, les priorités et assure, à partir des postes diplomatiques, la gestion mais qui, dans leur substance même, relèvent d'une multitude d'institutions nationales, publiques ou privées, universitaires, scientifiques ou artistiques qui répondent en définitive de la présence française au-dehors et produisent, si l'on peut dire, la ressource exportable.

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Si nous avions eu devant nous le temps nécessaire, une méthode se fût imposée : i l eût fallu concevoir et diffuser un questionnaire auquel ces institutions, ainsi que les personnalités qui, individuellement, sont appelées à incarner à l'étranger la culture française, eussent répondu. Ensuite, à partir d'une exploi- tation méthodique de ces réponses, des séances d'audition, à la manière des commissions royales d'outre-Manche, eussent permis d'approfondir les témoignages les plus révélateurs.

Nous dûmes malheureusement renoncer à procéder de la sorte. Notre méthode fut, par la force des choses, beaucoup plus empirique. Chacun de nous se livra à un maximum de consul- tations individuelles. E n quelques semaines, nous avions accumulé un matériau suffisant pour élaborer un premier document, d'une cinquantaine de pages, qui fut adressé à environ deux cents personnalités : sénateurs représentant les Français de l'étranger, parlementaires (et notamment les rapporteurs du budget des Affaires étrangères), ambassadeurs et conseillers culturels en poste à l'étranger, responsables de grandes institutions scienti- fiques, recteurs, universitaires ayant l'expérience des relations extérieures, personnalités artistiques, responsables de l'Alliance française, de la mission laïque, des organes de formation spécia- lisés dans l'accueil des étudiants du tiers monde, personnel dirigeant des principaux ministères intéressés (Education, Univer- sités, Culture, Commerce extérieur).

Le nombre, la densité, la qualité des réponses furent impres- sionnants. Sur beaucoup de points, nos intuitions, nos proposi- tions se trouvaient confirmées mais aussi enrichies d'une multi- tude de notations précises, de suggestions concrètes, d'expériences transposables. Mais surtout cette consultation empirique, large- ment arbitraire, i l faut l'avouer, dans le choix des personnalités invitées à réagir, nous apportait la preuve que tous ceux qui, à un titre ou à un autre, se sentaient responsables de la présence culturelle française dans le monde étaient désireux de contribuer davantage à son rayonnement, d'en mieux connaître les priorités et d'en accroître l'efficacité. Chacun, dans son domaine, faisait preuve de zèle mais sans toujours percevoir dans quel ensemble s'insérait chacune de ces actions ponctuelles ni quelle complé- mentarité pouvait s'établir entre toutes ces manifestations de notre présence culturelle, ou entre celles-ci et les formes multi- ples de notre présence économique ou politique dans les diffé-

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rentes régions du monde. E n un mot, ce qui ressortait avant tout de cette consultation, c'est qu'il ne manquait à notre rayon- nement dans le monde ni la bonne volonté ni le sens de l'intérêt général, mais une doctrine et une méthode d'ensemble capables de valoriser au maximum ces multiples initiatives dispersées. Dès lors apparaissait clairement la mission du ministère des Affaires étrangères : non pas régenter de façon bureaucratique cette action multiforme, ni se limiter au rôle d'une agence de voyages distri- buant des billets d'avion et assurant l'hébergement des mission- naires de la présence française, mais être le carrefour, le lieu de la coordination, de l'information et de la synthèse grâce auquel toutes ces actions puissent s'ordonner et acquérir leur pleine efficacité en fonction des impératifs et des priorités de la diplomatie française.

Enrichi de toutes ces données, le groupe de travail put, au cours de l'été 1979, élaborer ses conclusions. Réuni en août autour du ministre et en présence de l'état-major de la direction générale dans un séminaire, i l en définit les grandes lignes et me confia le travail de rédaction finale.

Le rapport fut remis au ministre en octobre. Nous avions travaillé dans une atmosphère de totale liberté : i l était entendu que le rapport n'engageait que le groupe de travail et que le ministre se réservait la possibilité d'en retenir, tout aussi libre- ment, ce qui lui paraissait compatible avec ses propres vues.

Il adhéra à notre démarche générale, aux grandes orientations du rapport, et sélectionna un certain nombre de propositions qui lui paraissaient de nature à composer un premier train de mesures concrètes, dont la mise en œuvre pouvait intervenir rapidement. Sur ces mesures, il consulta ses collègues du gouver- nement qui étaient directement intéressés et obtint du président de la République la convocation, au début de décembre, d'un conseil restreint à l'Elysée. Là furent décidées la publication de notre rapport et la mise à l'ordre du jour d'un conseil des minis- tres ultérieur d'une communication du ministre des Affaires étran- gères sur la relance des relations culturelles extérieures. Cette communication fut faite en février 1980 ; peu après, la direction générale des relations culturelles, à la tête de laquelle venait d'être nommé M . Jean-Bernard Raimond, était réorganisée selon le schéma préconisé par notre rapport. Dans les semaines qui suivirent, des décisions étaient prises en divers domaines, dans

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la ligne de nos recommandations, tandis que le rapport sur les relations culturelles extérieures était publié à la Documentation française.

Si l'on a tenu à donner ici toutes ces précisions, c'est pour montrer que l'action réformatrice est possible, en dépit du scepti- cisme ambiant et des incontestables lourdeurs de nos structures administratives. Il y faut seulement une volonté politique, quel- ques idées simples, une atmosphère de confiance entre ceux qui sont chargés de la réflexion et ceux qui auront à gérer et une communication réelle entre l'administration compétente et tous ceux qui, dans le pays, sont les vrais responsables de l'action.

C'est parce que ces conditions étaient réunies en la circonstance que la réforme des relations culturelles extérieures a pu être entreprise et qu'elle reçoit, il faut le souligner, l'adhésion effec- tive de ceux qui auront à la mettre en œuvre.

S

'il fallait, en simplifiant à l'extrême, exprimer en quelques pages l'esprit du rapport et des réformes qui en sont la conséquence, il faudrait à peu près dire ceci :

L a vie internationale ne saurait, à notre époque, se réduire aux relations diplomatiques qu'entretiennent les gouvernements.

L'économie d'une part et la culture de l'autre prennent une place croissante dans ces relations, en même temps qu'elles constituent la substance même des rapports que les individus, les entreprises, les institutions, les groupes nouent directement et de plus en plus à travers les frontières. E n conséquence, les gouvernements doivent prendre conscience que le jeu international est désormais à trois dimensions : politique, économique et culturelle, celle-ci étant comprise dans son sens le plus étendu, qui inclut la science, la technique et la communication sous ses formes les plus avan- cées — ce qui déborde largement la notion trop conventionnelle qui cantonne la culture à ses aspects littéraires et artistiques.

Si les gouvernements autoritaires ont très vite compris le parti qu'ils pouvaient tirer d'une mainmise sur les relations culturelles internationales, à la fois pour contrôler ou interdire les influences extérieures et pour faire servir la culture à leur propagande, les gouvernements des pays libres ne sauraient rester indifférents, par réaction, à cette dimension nouvelle des relations internationales. L a libre circulation des idées, des personnes et

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des valeurs intellectuelles et artistiques appelle leur garantie, leur protection, voire leur aide. E n outre, dans le strict respect des droits imprescriptibles de l'esprit, il leur appartient de favo- riser les échanges ainsi que d'aider les pays en développement à affirmer et à promouvoir leur identité culturelle propre.

L a France a certainement, dans cette perspective, une vocation singulière : à la fois parce qu'une longue tradition histo- rique a conféré à sa culture une force de rayonnement universel et une aptitude marquée au dialogue des cultures, qui lui ont valu d'être reconnue comme lieu d'accueil, de confrontation et de concertation des créateurs, des penseurs et des artistes, et parce que, dans le monde tel qu'il est, le poids spécifique de notre pays, dans l'ordre de la démographie ou dans celui de la puissance économique ou militaire, le réduirait à un rôle secon- daire si l'influence de sa langue, de sa pensée, de sa culture ne la maintenait pas au rang d'une nation à influence mondiale.

Encore faut-il que les Français et leurs dirigeants politiques, économiques et culturels soient conscients de cette vocation et de cette chance. Or, on ne saurait dire que tel soit le cas aujour- d'hui. Hésitant entre les satisfactions douillettes du repli sur l'Hexagone et la certitude que leur pays fait l'objet de l'admira- tion universelle, les Français oublient que l'influence culturelle de la France est un atout qu'il faut jouer avec obstination, et non pas une rente dont il suffit de toucher les intérêts. Qu'il s'agisse de la place de notre langue, du retentissement de nos idées, de notre vocation de carrefour culturel, rien ne saurait être maintenu, et moins encore développé, sans effort. Si notre pays a acquis depuis une vingtaine d'années une mentalité expor- tatrice dans le domaine commercial, il a encore beaucoup à faire pour simplement consolider et a fortiori pour promouvoir son influence dans l'ordre culturel.

Dans ce domaine comme dans tant d'autres, rien ne serait plus stérile qu'une attitude qui consisterait à tout attendre de l'Etat. Maître de la diplomatie et gérant des positions publi- ques de la France au-dehors, l'Etat peut en effet beaucoup pour organiser les relations culturelles internationales, assurer dans ce domaine des services publics comme ceux de l'enseignement, de la coopération en vue du développement des échanges artisti- ques. Mais des institutions autonomes comme les universités, les sociétés publiques de télévision, des professions comme le cinéma,

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l'édition, la presse doivent prendre l'initiative et se tourner vers l'extérieur. E n outre, et c'est peut-être là un des plus grands changements à opérer, les milieux économiques doivent compren- dre que l'influence culturelle de la France est un des meilleurs atouts de la présence économique mondiale de la France : notre

« image de marque » dans le monde incorpore un certain nombre de traits, de valeurs de nature culturelle ; ce que nous faisons pour diffuser notre langue, former chez nous ou par nos métho- des les cadres des pays en développement, le dynamisme que nous pouvons illustrer par nos inventions scientifiques et techni- ques ou par des expériences novatrices comme le Centre Pom- pidou, tout cela crée pour notre économie une situation favorable.

Il importe donc qu'en retour les milieux économiques soient sensibles à cette dimension culturelle de notre présence et qu'ils contribuent concrètement à son développement, y compris par des actions de mécénat d'entreprise, domaine où, en France, tout est à faire, en tenant compte de quelques expériences pilotes.

Ce développement d'initiatives multiples permet de mieux situer ce que doit être, à l'avenir, le rôle de l'Etat, et spéciale- ment du ministère des Affaires étrangères. A l'Etat revient d'abord la responsabilité de définir le cadre et les orientations de notre action culturelle à l'étranger, dans la mesure où ces données de base dépendent des grands choix de notre diplo- matie ; dans cette perspective, i l est clair que toutes les initiatives, y compris les plus libres, doivent prendre en considération les priorités géographiques qu'il appartient au gouvernement de fixer.

Notre rapport préconise à cet égard une approche nouvelle : l'action de la France est jusqu'ici marquée par une accumulation quasi sédimentaire de priorités héritées de l'histoire et qui finissent par se neutraliser, sans qu'aucune ligne de force n'apparaisse vraiment, sinon une préférence pour le Maghreb qui, à certains égards, est plus voulue que subie. Nous pensons que la vocation de la France dans le monde justifie une présence culturelle minimale sur tous les continents, dont notre rapport précise les modalités (enseignement du français, présence radiophonique et audiovisuelle, manifestations culturelles légères utilisant les réseaux de l'Alliance française et les lieux d'animation des pays concernés). Sur ce fond de présence culturelle minimale générale, des priorités géographiques planifiées et révisables doivent être définies et mises en œuvre avec conséquence.

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Le rôle de l'Etat ne se limite pas à cette définition du cadre de notre action. Il s'étend à la gestion directe d'un certain nombre de domaines précis, qui concernent plusieurs ministères et les institutions qui en relèvent : Education, Universités, Culture, Commerce extérieur, Recherche, Jeunesse et Sports, Coopéra- tion, toutes administrations qui, depuis quelques années, ont intégré dans leurs préoccupations la dimension extérieure. Pour que ces actions soient convergentes, nous avons préconisé la création d'un comité interministériel des relations culturelles extérieures. Ce comité, dont la création vient d'être décidée, sera présidé au nom du premier ministre, par le ministre des Affaires étrangères et réunira, en deux sessions annuelles, l'ensem- ble des ministres intéressés, un groupe permanent de hauts fonctionnaires ayant d'autre part une réunion mensuelle. U n comité de plus, dira-t-on, une réforme qui, comme tant d'autres, accouche d'un comité ! L'objection est courante et nul ne saurait prétendre qu'un élément de procédure puisse suffire à régler un problème de fond. Mais lorsque l'on connaît les difficultés de l'action administrative, les inconvénients qui résultent du cloison- nement des services, de leur incompréhension mutuelle et de l'absence de cohérence de leurs initiatives, on peut admettre qu'une instance d'impulsion et de synthèse est la condition non pas suffisante mais nécessaire de leur efficacité.

Par cette création se trouve reconnu et consacré le rôle qui doit être, en la matière, celui du ministre et du département des Affaires étrangères. Notre rapport insiste sur le fait que le Quai d'Orsay n'est pas et ne saurait être responsable par lui- même de la « ressource », c'est-à-dire de l'ensemble de la produc- tion culturelle, au sens le plus large du terme, qu'il s'agit de faire connaître à travers le monde, pas plus qu'il n'a la responsa- bilité directe de tout ce qui, en France, contribue à la connais- sance et à la pratique des autres cultures. Mais il doit être le lieu de la synthèse stratégique et de l'organisation des supports par lesquels cette circulation culturelle peut s'opérer. Sur le terrain c'est sous la responsabilité des ambassadeurs, dont un récent décret a précisé et étendu l'autorité, que notre présence culturelle doit s'organiser ; ils disposent pour ce faire des ser- vices culturels, scientifiques et de coopération dont le rapport préconise le renforcement et, sur bien des points, le changement de mentalité, mais aussi des services commerciaux et des services

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de presse et d'information dont l'action doit être coordonnée.

Car la présence culturelle de la France à l'étranger est moins un secteur qu'une dimension de l'activité internationale de la France, et tous les moyens doivent être conjugués pour lui donner sa plénitude et son dynamisme.

Décloisonnement, ouverture, concertation : la réforme, on le voit, n'est pas l'expression du repli sur soi d'une administration campant farouchement sur des positions menacées. Elle est tout au contraire un appel au concours de tous ceux qui, à l'intérieur de l'administration ou en dehors d'elle, peuvent contribuer au rayonnement culturel du pays. Médecins, ingénieurs, chercheurs, artistes, entrepreneurs ont de plus en plus le goût du contact avec l'étranger, l'ambition de faire connaître la France moderne et de connaître la culture des autres ; pourvu qu'on les sensibilise à leur responsabilité d'intérêt général, on trouvera en eux autant d'agents de ce rayonnement. Le temps n'est plus, s'il fut jamais, des conseillers culturels retranchés dans des travaux érudits et confidentiels, ou des ambassadeurs limitant leur curio- sité à l'exploration des cercles diplomatiques. U n dialogue actif des cultures appelle un autre état d'esprit et des motivations bien plus profondes.

On aborde par là ce qui est la philosophie même de la réforme : l'interdépendance des cultures.

Un pays comme la France devrait, plus que d'autres, être sensible à cette notion d'interdépendance, car sa culture a beau- coup donné et beaucoup reçu. Depuis la Renaissance, elle a porté sur la culture des autres un regard attentif et respectueux.

Nos archéologues, nos linguistes et nos ethnologues ont largement contribué à la connaissance des grandes civilisations du monde entier et, par là, ont aidé les peuples qui en sont les héritiers à constituer leur identité culturelle. E n sens inverse, c'est souvent avec profusion et désintéressement que nous leur avons livré une culture française qui, par son humanisme, était pour ces peuples une voie d'accès à l'universel.

Cette grande tradition devrait nous rendre sensibles à l'inter- dépendance des cultures. Ce n'est malheureusement pas toujours le cas. On serait même tenté de dire que la France s'éloigne à grands pas de sa tradition d'internationalisme culturel : notre attitude à l'égard de cultures proches ou parentes, comme celles de la Belgique ou du Québec, est souvent paternaliste, voire

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ironique ; à l'égard des cultures lointaines, elle est archaïsante et de plus en plus indifférente ; et, dans certains domaines, notam- ment scientifiques, nous acceptons volontiers de baisser les bras devant l'influence américaine. Nous nous replions sur l'Hexagone en croyant rayonner encore sur le monde.

Les relations culturelles extérieures pâtissent de cette perversion des attitudes. Beaucoup d'échecs sont dus à l'indif- férence ou à la maladresse de ceux qui, chargés d'assurer une présence culturelle de la France, n'ont pas su comprendre qu'ils s'adressaient à des étrangers dont l'intérêt pour notre culture n'est ni inconditionnel ni exclusif et qui attendent de nous la considération, la possibilité d'un échange mutuellement profi- table, non la délivrance unilatérale et triomphaliste d'un message sans réplique.

Une véritable conversion s'impose dans notre comporte- ment. Notre prétention, notre ignorance ou notre indifférence à l'égard des autres cultures ne sauraient être compensées par quelques gestes de pure courtoisie diplomatique ou par l'alibi de quelques spécialistes, d'ailleurs méconnus et souvent portés à négliger le présent dont ils dissèquent les racines. Et nous ne devons pas borner notre intérêt aux cultures des pays développés.

Les cultures des pays sous-développés sont loin d'être, comme on le croit souvent sur les bords de la Seine, des cultures sous- développées. Ce ne sont pas seulement les ethnologues mais nous tous qui avons beaucoup à en apprendre dans bien des domaines, qu'il s'agisse de la façon dont elles assument leur héritage, ou de leur comportement créatif, dans les domaines littéraire, artistique ou scientifique, comme le montrent les exemples du Mexique, de l'Inde ou de la Chine.

L'interdépendance des cultures est une réalité historique et actuelle dont il importe de tirer toutes les conséquences dans la définition et la mise en œuvre d'une politique de relations culturelles extérieures. Il n'est plus possible de penser ces rela- tions en termes de diffusion de notre culture ; il doit s'agir d'échanges mutuellement bénéfiques entre notre culture et celle des autres. Sans doute, c'est bien dans cet esprit que les relations culturelles sont gérées, dans une large mesure. Mais i l y a lieu de généraliser cette orientation et d'en tirer, systématiquement, toutes les conséquences.

J A C Q U E S R I G A U D

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