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Une controverse autour de l huile de palme : regard international versus regard local

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Academic year: 2022

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278 | Juillet-Décembre Varia

Une controverse autour de l’huile de palme : regard international versus regard local

Clotilde Luquiau

Édition électronique

URL : https://journals.openedition.org/com/9610 DOI : 10.4000/com.9610

ISSN : 1961-8603 Éditeur

Presses universitaires de Bordeaux Édition imprimée

Date de publication : 1 juillet 2018 Pagination : 541-553

ISBN : 979-10-300-0566-0 ISSN : 0373-5834 Référence électronique

Clotilde Luquiau, « Une controverse autour de l’huile de palme : regard international versus regard local », Les Cahiers d’Outre-Mer [En ligne], 278 | Juillet-Décembre, mis en ligne le 01 janvier 2022, consulté le 08 janvier 2022. URL : http://journals.openedition.org/com/9610 ; DOI : https://doi.org/

10.4000/com.9610

© Tous droits réservés

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Une controverse autour de l’huile de palme : regard international versus regard local

Clotilde Luquiau1

Introduction

Les élèves de primaire d’une école internationale de Kuala Lumpur (Park City School) ont fait une vidéo dans laquelle ils ont diffusé un extrait d’une campagne anti-huile de palme réalisée par l’ONG Greenpeace2. Les enfants y évoquaient l’avenir des orangs-outans ainsi : « si on ne fait rien maintenant et qu’on ne s’assure pas que toute l’huile de palme est exploitée de façon durable, dans 10 ans, ces créatures magnifiques disparaitront pour toujours » (traduction de l’auteur). Teresa Kok Suh Sim, la ministre des industries du secteur primaire3, s’est offusquée de cette initiative car elle liait la culture du palmier à huile avec l’exploitation du bois et la rendait responsable de la déforestation4. Selon elle, cela rejoint une campagne qui est menée dans l’ensemble du monde contre le secteur et se retourne contre la Malaisie5, second pays producteur d’huile de palme au monde. Le ministre de l’éducation a promis de prendre des sanctions contre l’école6. Des Malaysiens se sont indignés de la réaction du gouvernement en faisant l’éloge de l’art et de

1. Agrégée, docteur en géographie, associée au Centre Asie du Sud-Est UMR  8770. Courriel  : clotilde.luquiau@ymail.com.

2. Greenpeace, 2018, « Rangtan, the story of dirty palm oil  » video, https://www.youtube.com/

watch?v=FNp9vDqr05U.

3. Primary Industries Minister qui correspond globalement aux missions d’un ministère de l’agriculture et des industries agro-alimentaires.

4. The Star, 2 juillet 2019, “Anti-palm oil presentation by students is a disservice to the country, says Teresa Kok”, https://www.thestar.com.my/news/nation/2019/07/02/anti-palm-oil-presentation-by- students-is-a-disservice-to-the-country-says-teresa-kok, (consulté le 3 septembre 2019).

5. Ibid.

6. MalaysiaKini 3/07/2019 “Action will be taken against int’l school for anti-palm oil performance”, https://www.malaysiakini.com/news/482236, (consulté le 24 septembre 2019).

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l’enseignement de l’esprit critique7 et la presse nationale et internationale a relayé cet événement.

Cette controverse qui a défrayé les médias de Kuala Lumpur à Los Angeles est révélatrice d’une forte opposition à l’huile de palme qui fournit pourtant 35 % des huiles végétales consommées dans le monde (FAO, 2019, p.  155). Dans les médias occidentaux, la dénonciation des méfaits de cette culture industrielle est largement répandue. L’huile de palme est qualifiée de nocive pour la santé, les plantations sont présentées comme responsables de la déforestation et plus précisément, de l’habitat des orangs-Outans, espèce en

« danger critique d’extinction » par l’Union Internationale de Conservation de la Nature (Ancrenaz et. al., 2016 ; Singleton et. al., 2017 ; Nowak et. al., 2017). Cette campagne fonctionne puisque, dans les rayons des magasins européens, des aliments et produits sanitaires affichent « sans huile de palme » pour pouvoir être mieux vendus. En revanche, dans les pays producteurs, la communication au sujet de l’huile de palme repose sur des lignes directrices positives  : l’huile de palme permet d’économiser de l’espace grâce à ses forts rendements, elle apporte un développement économique qui bénéficie à de nombreux salariés et petits producteurs, elle est polyvalente et utile, tant pour l’alimentation que pour les carburants. Troisième consommateur après l’Inde et la Chine, l’Union Européenne promet de mettre en place une politique fiscale qui incite l’utilisation des énergies renouvelables, or, l’huile de palme n’est plus considérée comme durable. Une directive8 prévoit que son importation soit plafonnée et qu’elle soit supprimée en 2030 de façon progressive pour lutter la déforestation dans le cadre du Programme de Développement Durable à l’Horizon 2030 des Nations Unies9. Même si les directives ne sont pas contraignantes pour les membres de l’Union Européenne, ces mesures inquiètent les pays producteurs qui mettent en place des systèmes de certification de durabilité, augmentent la consommation nationale en favorisant l’utilisation de biodiesel sur place (FAO, 2019, p. 155) et en pratiquant du lobbying pour contrer la diabolisation de la production10. La table ronde pour l’huile durable (RSPO, Roundtable for Sustainable Palm Oil) fait partie des nouveaux acteurs qui tentent de concilier les impératifs économiques du secteur avec un meilleur respect de l’environnement.

7. Kunar, 4  juillet 2019, “Stop action against the school artists”, (lettre ouverte), MalaysiaKini, (consulté le 19 septembre 2019.

8. «  DIRECTIVE  (UE)  2018/2001 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL - du 11 décembre  2018 – relative  à la promotion  de l’utilisation  de l’énergie produite  à partir  de sources renouvelables », 128 p. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32018L2001.

9. https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/objectifs-de-developpement-durable/

10. Bernama, 4  juillet 2019, «  Teresa to lead new round of lobbying on palm oil in EU this November », http://bernama.com/en/news.php?id=1742487.

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Le conflit entre cette école internationale relayant le discours écologiste et les autorités malaisiennes est-il anodin ? Non, quand on sait que les feux de forêts dont sont principalement accusés les plantations de palmiers à huile nuisent à la santé des enfants et que les autorités sont obligées de fermer les écoles en raison du haze11 comme cela a été le cas pendant l’été 2019 pour près de 1 500 écoles comptant environ un million d’élèves dans 7 États de Malaisie12. Les brûlis forment une fumée qui se mêle aux masses d’air humides pour former un brouillard toxique qui favorise les maladies respiratoires. De quoi les plantations sont-elles vraiment responsables dans le contexte actuel ? De la déforestation ? De la disparition progressive des Orangs-Outans ? Du haze ? De la surmortalité due aux pollutions atmosphériques ? Pourquoi les autres productions agricoles tropicales ne sont-elles pas pointées du doigt ? L’huile de palme est-elle un corps gras si nocif ? Et pourquoi la production continue-t-elle de progresser ? Cet article vise à ouvrir le questionnement en confrontant les campagnes de communication pro et anti huile de palme et quelques faits établis, de façon non exhaustive.

I- Des polémiques relayées par la presse internationale L’analyse du traitement du conflit qui a opposé le gouvernement malaisien et les responsables de l’école internationale révèle des clivages qui traversent la communauté internationale mais aussi la société malaisienne. Les élèves de Park City School ont choisi une vidéo réalisée par l’ONG écologiste Greenpeace, « Rangtan, the story of dirty palm oil » diffusée depuis août 2018 sur Youtube. On y voit un petit orang-outan détruire la chambre d’une petite fille qui se fâche et lui demande donc de partir. Il est suggéré qu’il explique que les produits qu’elle utilise, comme son shampoing, détruisent l’habitat des primates. Sous la vidéo, la chaîne Greenpeace sur Youtube invite à signer une pétition pour supprimer l’huile de palme. L’ONG s’est associée à une chaîne de supermarché britannique dénommée Iceland qui a supprimé l’huile de palme de ses rayons, pour la campagne de publicité de Noël 2018 (The Guardian, 9/11/2018). Jugée trop politique, contrevenant aux principes déontologiques qui régissent les publicités, la diffusion de cette vidéo a été interdite au Royaume-Uni par Clearcast, le gendarme des médias du pays (The Edge Market 18/11/2018). C’est via la diffusion sur les réseaux qu’elle a donc été portée à la connaissance du public. Le retrait de cette publicité par des

11. Dans le contexte de l’Asie du Sud-Est, le haze désigne les fumées dégagées par les incendies, elles sont chargées de fines particules ainsi que de vapeur en raison du climat humide.

12. Borneo Post Online, 18 septembre 2018, « 1484 schools closed », https://www.theborneopost.

com/2019/09/18/haze-1484-schools-closed/ (consulté le 23/09/2019)

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autorités britanniques est à rappeler pour mieux comprendre la réaction du gouvernement de Malaisie.

Dans leur travail, les élèves ont mis en scène une manifestation contre l’huile de palme en utilisant un extrait de cette vidéo. Quand elle l’a su, Teresa Kok, la ministre des «  industries primaires  » s’est offusquée déclarant lors d’une conférence de presse au parlement que ces enseignants « ne rendent pas service au pays ». Elle a invité les professeurs et les autres responsables à venir rencontrer les acteurs du Conseil de l’Huile de Palme Malaisien (Malaysian Palm Oil Council) pour qu’ils puissent prendre la mesure de tous les efforts faits par la filière pour s’améliorer et participer à la préservation de l’environnement (The Star, 2 juillet 2019). Le lendemain, le ministre de l’éducation a déclaré que « le ministère de l’environnement ne fera pas de compromis avec les institutions privées qui pratiquent endoctrinement et propagande qui ternissent l’image et le nom du pays  » (MalaysiaKini, 3  juillet 2019). Des citoyens Malaisiens ont vivement critiqué cette position à l’image du caricaturiste Kunar dans une lettre ouverte publiée sur un grand site d’information en ligne (MalaysiaKini, 04/07/2019). Finalement, le gouvernement malaisien n’a pas pris de sanction contre cette école ; le différend a été réglé par une rencontre avec les responsables de l’école internationale au cours de laquelle la ministre a déclaré que le plus important est que les élèves « aient une vision complète des controverses sur l’huile de palme, tout particulièrement les nombreux efforts faits par le gouvernement et les entrepreneurs de la filière de l’huile de palme vers plus de durabilité » (Free Malaysia Today 06/07/19). Le gouvernement est apparu respectueux de la liberté des écoles mais il se repose sur d’autres outils : il a mis en place une campagne pour l’huile de palme intitulée « love my palm oil  » dès janvier  2019 dont des ambassadeurs choisis parmi des étudiants se doivent de dépeindre les bienfaits du secteur13.

L’une des polémiques ouvertes par ce fait divers porte sur le degré de contrôle que le gouvernement est prêt à déployer pour maitriser son image dans les médias et auprès des élèves fréquentant les différents types d’écoles du pays. En Malaisie les écoles privées jouissent d’une autonomie pédagogique et définissent elles-mêmes les programmes, de nombreuses écoles internationales s’inspirent des systèmes britannique, australien, canadien ou américain. Il existe aussi des écoles chinoises, indonésiennes, philippines (etc.) chacune transmet des valeurs, une langue et une histoire propres à l’aire culturelle représentée ce qui entraîne régulièrement des critiques de la part des autorités. Les écoles internationales rencontrent un succès grandissant car il est plus facile pour les jeunes gens diplômés de ces écoles d’obtenir

13. Blog de Teresa Kok http://teresakok.com/2019/01/08/love-my-palm-oil-campaign-to-raise- awareness-on-palm-oil-among-malaysians/

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une place dans une université étrangère plus prestigieuse que les universités malaisiennes. À l’inverse, les écoles malaisiennes, financées par les impôts et gratuites pour les Malaisiens, nécessitent un bon apprentissage du malais et favorisent une intégration professionnelle plutôt nationale. Plusieurs matières sont enseignées en anglais et la sensibilisation aux enjeux environnementaux est présente dans les programmes des écoles publiques depuis 1998 (Pudin et.  al., 2005) ainsi que celles des écoles privées. Le programme est défini par les autorités. Celui des autres écoles est aussi encadré par le ministère de l’éducation. Dans ce cas, la ministre des industries primaires a été vivement critiquée pour sa condamnation du spectacle des élèves et elle a dû se justifier face aux journalistes. Elle a affirmé à plusieurs reprises qu’elle n’avait pas vocation à limiter la liberté d’expression des écoles. De fait, malgré les menaces énoncées par le ministre de l’éducation, la négociation a été choisie.

La question de l’ingérence de puissances étrangères dans les choix économiques du pays a été posée. La présence des écoles internationales et leur succès est une source d’inquiétude. Cet épisode fait craindre aux autorités qu’un des secteurs économiques les plus florissants du pays soit critiqué par les élèves et affaiblisse le pays. Rappelons que la Malaisie est le second producteur du monde d’huile de palme. Cette culture, quatrième ressource économique du pays, totalisant 8,3 % des exportations en valeur14, lui rapporte 20  milliards de dollars par an (R.AGE, 2019) soit 5,6  % du PIB (Banque mondiale, 2018). La qualité de l’image de cette culture auprès des habitants et des consommateurs est absolument stratégique. La menace que le troisième consommateur d’huile de palme, l’Union Européenne, n’en n’achète plus, fait craindre aux autorités pour l’avenir des trois millions de personnes qui dépendent de la filière. L’UE a en effet pour intention de n’acheter que de l’huile de palme durable. Elle soutient l’initiative de la table ronde pour l’huile de palme durable (RSPO) mais la certification entraîne un surcoût que tous les producteurs ne peuvent pas assumer.

En effet, en Malaisie les plantations représentent 5 millions d’hectares et produisent environ 21 millions de tonnes d’huile15. Le secteur est transnational : les plantations de Malaisie et d’Indonésie sont dominées par de grandes compagnies qui reçoivent des fonds de multiples investisseurs telles que Sime Darby, une compagnie malaisienne d’État qui possède 545 000 hectares de plantations en Malaisie et en Indonésie et réalise près de 6 % de la production totale d’huile de palme. Wilmar International est une compagnie de droit privé basée à Singapour résultant de la fusion d’un groupe malaisien, un indonésien

14. http://mpoc.org.my/mpoc-press-release/

15. Farminex, Hammad Yousuf company http://www.palmoilfrommalaysia.com/malaysia-palm-oil/

palm-oil-production/ and Malaysian Palm Oil Board mpoc.org.my

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et un américain (Pye et Bhattacharya, 2013, p.  7). Cette intrication permet de comprendre pourquoi le gouvernement malaisien refuse de prendre toutes les responsabilités. Au contraire, les petits planteurs, bien que vendant leur production aux moulins qui appartiennent aux grandes sociétés, sont bien ancrés dans l’économie nationale et font vivre les espaces ruraux. 40 % de l’huile de palme mondiale est produite par des petits planteurs16. En Malaisie, ils possèdent 11 % de la surface totale des plantations. Une grande partie des travailleurs des plantations de Malaisie sont des migrants venus d’Indonésie et des Philippines. Bien que certaines compagnies offrent des salaires tout à fait décents, financent des écoles et respectent le droit du travail, d’autres ne respectent pas le droit du travail, prennent les passeports de leurs salariés et ne les paient parfois pas suffisamment pour qu’ils puissent manger convenablement ce qui favorise le braconnage (Luquiau, 2015  ; Majid- Cook, 2013). Les politiques fiscales de l’Union Européenne, la diminution des importations de l’Inde qui augmente la production de corps gras produits localement et la guerre commerciale qui oppose la Chine et les Etats-Unis ralentissent la croissance de la demande et menacent surtout les petits planteurs. Trois millions de personnes sont concernées en Malaisie. L’enjeu est donc de taille.

L’ample couverture médiatique de la réaction du gouvernement au sujet de l’école internationale a donné la possibilité à la ministre des industries primaires de rappeler les aspects positifs des plantations de palmier à huile en comparaison des autres oléo protéagineux dans les médias nationaux.

Elles ont répliqué en soulignant la qualité de cette huile très stable lors de la cuisson. Les autorités ont mis en avant les très hauts rendements qui permettent de consommer environ sept fois moins de terres que pour d’autres cultures comme le soja, (huile la plus consommée en Amérique), le tournesol, le colza ou l’huile d’olive (Figure 1).

Figure 1 – Superficie nécessaire pour produire une tonne d’huile (WWF)

16. https://www.rspo.org/smallholders/

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De plus, elles ont rappelé que dans le contexte actuel d’augmentation de la demande, l’huile de palme est inévitable tout en soulignant le développement apporté par cette culture et la mise en place de critères de plus en plus drastiques dans le respect des travailleurs et de l’environnement ainsi que l’existence de l’huile de palme « durable » certifiée par la Table Ronde sur l’Huile de Palme Durable (RSPO) déployé depuis une dizaine d’année et la mise en place d’une organisation nationale pour assurer la durabilité de la filière, le MSPO (table ronde malaisienne pour l’huile de palme durable). Enfin, elles ont redit que la loi interdit la conversion de forêts « primaires » en plantations. Ce sont des forêts secondaires qui sont converties, c’est-à-dire des forêts qui ont déjà été coupées pour être transformées en parcelles agricoles puis abandonnées et sur lesquelles une forêt s’est reconstituée spontanément.

II- Le rôle de l’huile de palme et la lutte contre la déforestation

L’huile de palme est principalement produite par la Malaisie et l’Indonésie. En Malaisie, c’est un Français, Henri Fauconnier, administrateur de plantation et lauréat du prix Goncourt de 1930 pour son roman Malaisie, qui a apporté l’arbre depuis l’Afrique pour l’y acclimater. Les cultures ont commencé discrètement et se sont très largement intensifiées à partir des années 1990, après le boom de l’hévéa, elles occupent maintenant 17 % du territoire national (R.AGE, 2019). Avant 1990 l’attention internationale a été portée sur la déforestation indépendamment du type de culture industrielle qui s’y produisait à cette époque. En  1986 au Sarawak, la résistance à l’abattage de forêts habitées par des peuples nomades, les Penan (ou Punan), a ému la communauté internationale. Ce n’est qu’en 1997, avec les grands incendies dus au phénomène de sécheresse causé par El Niño rendant difficile voire impossible l’extinction de feux allumés par les compagnies ayant les plantations de palmiers que les projecteurs internationaux ont établi un lien entre la menace d’extinction des Orangs-Outans et la culture de l’huile de palme (Durand, 1998 et 2016). Le Fond mondial pour la nature, plus connu sous l’acronyme WWF, a publié une carte sur la déforestation de Bornéo (Figure 2) qui a été largement diffusée puis confirmée par des études d’images satellites (Gaveau et  al., 2014) et mises à disposition sur des sites publics comme celui du centre international de recherche sur les forêts (CIFOR)17. Si 96  % de l’huile de palme produite par l’Indonésie, premier producteur mondial, provient des îles où vivent les Orangs-Outans, la culture s’étend aujourd’hui aux Philippines, en Colombie, au Nigéria, en Nouvelle Guinée et

17. https://atlas.cifor.org/borneo/

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dans d’autres territoires forestiers. Certes, cette culture représente 10 % de la superficie de l’île Bornéo mais 50 % de son territoire est encore recouvert de forêt (Gaveau, 2014).

Figure 2 – La déforestation à Bornéo selon le Fond mondial pour la nature, estimations et prévisions (WWF)

Les gouvernements de la Malaisie et de l’Indonésie ont interdit la déforestation de forêts primaires ces dernières années. La plupart du déboisement officiel a été effectuée des années 1970 aux années 2000. De 1973 à 2016, l’exploitation de la pulpe du bois et les plantations d’huile de palme ont été responsables de 15 %, (soit 2,2 millions d’hectares) de la déforestation du Bornéo indonésien mais de 60  % dans l’espace occupé par la Malaisie, ce qui correspond à 2,5  millions d’hectares, la majorité sur des zones déjà déboisées en 1973 ou des forêts secondaires ; les incendies jouent aussi un rôle prépondérant dans la perte de forêt ancienne (Gaveau, 2014). Une partie de plus en plus importante des deux pays est protégée bien que, parfois, des parcs naturels soient déclassés en zones agricoles ou ouverts à la construction d’infrastructures de transport ou de mines. La difficulté à surveiller ces

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immenses territoires et la corruption n’ont pas empêché des entreprises et des particuliers de poursuivre le prélèvement de bois et la plantation de palmiers à huile illégalement. L’appareil législatif interdit ces abus. De plus, les gouvernements ont encadré la fiscalité de la culture du palmier à huile de sorte qu’elle rapporte collectivement par le biais de systèmes de redistribution des profits comme la fondation de l’État de Sabah en Malaisie (Lim, 2008).

Ils ont aussi mis en place des politiques de travail plus respectueuses des petits planteurs et des salariés des plantations favorisant ainsi un enrichissement des campagnes (Barral, 2013). Ces deux pays producteurs acceptent donc mal l’accusation de participation à la déforestation générale. Pourtant, l’ensemble de ces mesures ne suffit pas à assurer la préservation des habitats de la faune.

Les orangs-Outans de Sumatra et de Bornéo sont toujours en déclin mais aussi les tigres présents à Sumatra, en Asie du Sud-Est et en Asie du Sud continentale et bien d’autres espèces à l’extinction moins médiatisée comme le tigre en Malaisie péninsulaire. Les peuples dépendant des ressources forestières comme les Orang Asli de Malaisie péninsulaires ou les Papous de Nouvelle Guinée (Papouasie et Irian Jaya, province d’Indonésie) voient également leur mode de vie menacé par la progression illégale de plantations. Les incendies qui ont ravagé Sumatra et les provinces indonésiennes de Bornéo en 2019 rappellent que la destruction de l’environnement impacte tous les habitants : ceux qui vivent en forêt en premier lieu mais aussi les citadins des grandes métropoles résidant à plusieurs centaines de kilomètres des incendies. Ces incendies illégaux atteignent la santé des habitants des villes et des campagnes, ralentissent l’économie en désorganisant les transports aériens et maritimes en raison du manque de visibilité et de la présence de particules dangereuses et sont une menace globale.

Conclusion

La sensibilisation à l’environnement qui présente les actes de destruction de l’environnement comme inutiles et sans bénéfice ne permettent pas de donner à réfléchir aux élèves. Les symboles choisis sont réducteurs : l’aire d’extension de l’huile de palme ne coïncide pas avec celle de l’orang- outan. Les plantations d’huile de palme ne sont pas les seules responsables et l’orang-outan n’est pas la seule victime. Les médias rappellent rarement que la déforestation est officiellement interdite chez les principaux pays producteurs. L’huile de palme consomme moins d’espace que les autres oléagineux : supprimer l’huile de palme risque d’intensifier la déforestation.

La consommation mondiale d’oléagineux continue d’augmenter malgré un ralentissement dû à une diminution de la demande dans les pays développés et à une moindre demande en biodiesel (FAO, 2018, p. 147).

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Ces discours pro et anti huile de palme décrivent la réalité d’un seul et même secteur : ce sont les deux faces d’une même pièce. Ils sont présentés comme des arguments antithétiques alors qu’ils sont indissociables. Ils ne sont pas diffusés dans les mêmes sphères médiatiques. D’un côté, les écologistes et les médias occidentaux présentent les dangers de la croissance des plantations.

De l’autre côté, les sphères économiques et les médias des pays producteurs présentent les arguments en faveur de cette culture. Les acteurs sont présentés comme des blocs alors qu’ils sont pluriels : des militants de l’environnement de Malaisie et d’Indonésie trouvent des appuis dans certaines institutions tandis que d’autres soutiennent l’élargissement des plantations et le flou au sujet des normes environnementales et sociales. Les pays consommateurs sont aussi traversés par des courants contradictoires. L’Union Européenne souhaite obtenir des énergies renouvelables et durables et d’un autre côté, les grandes entreprises de l’énergie craignent le surcoût des politiques fiscales taxant les agrocarburants comme le montre l’opposition entre le gouvernement français et Total au sujet de la fiscalité des biocarburants et de la nouvelle raffinerie d’huile de palme de la Mède dans le sud de la France18.

L’intérêt de la polémique au sujet de l’huile de palme est de faire comprendre «  à qui profite le crime  », d’expliquer pourquoi une culture perdure, quels sont ses apports et sa nocivité. La prise en compte du contexte économique et géographique, de l’historicité de l’acte de destruction de l’environnement est aussi capitale. Enfin, présenter les particularités des écosystèmes qui disparaissent, savoir faire la part des choses entre des espèces totalement éteintes d’un côté et des écosystèmes résilients qui peuvent se reconstituer est aussi capital. Une belle forêt secondaire à l’apparence d’une jungle ne remplacera pas la biodiversité de celle de Bornéo qui daterait de 130 millions d’années selon les documentaires (Netflix, Our Planet) et qui est indéniablement une des terres les plus riches en termes de biodiversité (McKinnon, 2003, p. 72). Par contre, elle pourra, grâce à la sélection d’arbres judicieusement associés, permettre d’abriter une densité d’espèces animales plus importante que certaines forêts considérées comme primaires comme c’est le cas pour les orangs-Outans (Ancrenaz et al., 2004).

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