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Academic year: 2021

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Texte intégral

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G

ÉRARD

V

EYSSIÈRE

CRLHOI U

NIVERSITÉ DE

L

A

R

ÉUNION

Le moyen âge tourne le dos à l’Antiquité, refuse son héritage païen, abomine Rome, la Grande prostituée, et son souvenir. Grégoire de Tours ne fait-il pas proclamer à saint Rémy, évêque de Reims, lors du baptême de Clovis : « Fier Sicambre, adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré » ?

C’est, en premier lieu, le refus des dieux, et bien entendu de leurs images, au bénéfice de celle du Christ, dans une représentation totalement différente. L’on rencontre des idoles païennes, dont certaines ont été volontairement brisées, à l’instar de Moïse détruisant le Veau d’or

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. Mais surtout, il n’y a plus de dieux huma- nisés avec leurs caprices, leurs amitiés et leurs haines, maintenant c’est le Christ, Dieu fait homme, qui se montre après avoir triomphé, finalement assez vite, de l’interdit biblique du Décalogue : « Tu ne feras pas d’image taillée, ni aucune figure de ce qui est en haut dans le ciel, ni de ce qui est en bas sur la terre, ni de ce qui est dans les eaux sous la terre »

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.

L’image est fondamentalement autre. Aux dieux naturalistes païens repré- sentés dans leur vie quotidienne ou dans des scènes relatées par la mythologie, le christianisme répond par un Dieu symbolique comme sur cette applique ajourée en or, rehaussée d’incrustations de grenats, qui ornait une aumônière féminine et qui représente la tête du Christ et le chrisme

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.

D’abord jeune et imberbe, celui-ci apparaît bientôt comme un adulte barbu.

L’illustration ne se veut pas réaliste, au contraire elle privilégie la symbolique, allant jusqu’à l’allégorique. De même, l’on prend le contre-pied de l’Antiquité avec la glorification de la mort du Christ. À l’image infamante du supplice de la croix, le christianisme répond par l’exaltation de la Passion et bientôt de la crucifixion

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1 Statue de déesse-mère brisée, œuvre indigène gauloise (vers 200 ?), culte indigène, Caen (1).

2 Bible, Ancien Testament, L’Exode, 20, 4.

3 Applique ajourée en or, rehaussée d’incrustations de grenats, découverte à Limons, elle ornait une aumônière féminine, v. 600. Art franc et présence de la tête du Christ incluse dans un chrisme (2).

4 Alexoménos adore son dieu, IIe siècle, graffito (3).

Plaque de reliure, ivoire d’Adalbéron, v. 1000, Metz, ivoire d’éléphant, 15,3 x 9,2 cm, « Adalbéron, serviteur de la croix du Christ », Metz, musée de la Cour d’or (4).

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Dans un même souci de coupure avec le passé, le clergé récuse toutes attractions profanes. Les jeux du cirque, bien sûr, avec la mort d’hommes, mais aussi les courses à l’hippodrome ou même les pièces de théâtre. Tous ces divertis- sements païens sont condamnés. Seule est fortement encouragée l’assistance à la messe dominicale qui rappelle la Cène évangélique du Jeudi saint, célébrant le lien indéfectible entre Dieu et ses fidèles, manifesté par la communion annuelle pour les Pâques. Lieu de rassemblement, l’église devient le cœur de la ville, là où se passe l’essentiel de la vie, là où les grands moments de la cité se réalisent, bientôt au son des cloches, baptême de Clovis, sacre de Charles, couronnement des rois, exaltation des victoire remportées au nom de Dieu

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.

La date traditionnelle de la fondation de Rome, 753 avant J.-C., n’est plus la référence chronologique. Désormais, c’est la naissance du Christ qui en est le fondement. Un homme nouveau est né, une nouvelle civilisation est apparue, qui débute avec une nouvelle ère, l’an 1 après Jésus-Christ, même si Denis le Petit, le moine qui a calculé cette nouvelle datation, s’est quelque peu trompé, le Christ étant vraisemblablement né en -7 ou -6.

La littérature également se transforme totalement. Le monde antique était ouvert à toutes sortes d’expressions littéraires, ouvrages philosophiques, histo- riques, aux poésies ainsi qu’aux romans des plus sérieux aux plus licencieux, toutes les formes étaient produites par des écrivains qui avaient un public de lettrés avides de nouveautés.

Sur cette illustration de l’Énéide, le peintre représente le moment où le traître Sinon ouvre la trappe du cheval de bois tandis qu’Ulysse se laisse glisser le long d’une corde

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. D’autres Achéens massacrent des Troyens qui festoient allongés autour d’une table. Au-delà des murs, un bateau sous la lune et les étoiles indique que l’attaque a eu lieu de nuit.

Le monde chrétien transforme complètement cette liberté d’expression en exaltant d’abord le message divin, dans un monde où la lecture se restreint désor- mais à une toute petite minorité de clercs

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. La Bible traduite en latin par Jérôme au début du IV

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siècle, les écrits des Pères de l’Église, les textes hagiographiques, une littérature essentiellement religieuse à destination presque exclusive des religieux, les seuls qui désormais sachent lire le latin correct que l’on pratique dès la fin du

5 Maquette de l’ancienne basilique de Saint-Pierre de Rome érigée sur la tombe de Pierre. Les fouilles récentes semblent corroborer cette tradition de la localisation de la tombe de l’apôtre (5).

6 Vergilius Vaticanus, f. 19. L’Énéide, La prise de Troie, Livre II et III (6).

7 Évangiles, Angers, BM ms 24, Bretagne, v 1000, parchemin 125 f., 307 x 210 mm, f. 7v-8.

Scène de la Crucifixion et de la déposition de Croix. L’image et essentiellement didactique et souligne les éléments majeurs des scènes (7).

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VIII

e

siècle. En contrepartie, l’expansion et l’évolution des langues vernaculaires le rend maintenant incompréhensible à la quasi-totalité de la population.

L’écriture elle-même se modifie. À la capitale romaine qui s’étale triompha- lement sur les bâtiments ou à la rustica qui court sur les volumen composés de parchemins ou de papyrus, le monde chrétien privilégie d’une part le

codex et

surtout une autre écriture, l’onciale, qui se développe dans les

scriptoria des

monastères

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Quant aux images, elles se transforment totalement. L’Antiquité, et surtout les mondes hellénistique et romain, avaient privilégié ce que la réalité montrait, l’artiste s’en inspirait, on recherchait la représentation la plus parfaite de la nature.

Le paysage s’étalait sur les murs, on représentait les jardins en trompe l’œil, les livres étaient illustrés par des scènes historiées, par des images de végétaux ou d’animaux et surtout, à Rome, par les portraits qui identifiaient formellement le personnage représenté. L’individu était reconnu et c’était ce qui importait

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. L’individualisme triomphait et dans le monde des vivants et aussi après la mort.

Rien de commun avec le christianisme. L’image ne se veut pas réaliste, elle n’est aucunement identificatrice, elle est avant tout symbolique et si possible didactique

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. Sur cette image d’art copte, le Christ, dans un geste d’accompagne- ment protecteur inspiré de l’iconographie pharaonique, pose sa main sur l’épaule de l’abbé, situé à sa droite. Jésus est identifié par le nimbe crucifère, mais aussi par l’épithète de Sauveur qui exalte son pouvoir de rédemption. Il porte le Livre, dont la couverture rappelle les riches décors byzantins, où seront inscrits les élus après le Jugement denier. Vêtu d’un long tissu sombre aux plis simplifiés, son visage, aux grands yeux stylisés, se présente dans une frontalité biblique et ne manifeste aucune émotion. L’image christologique renvoie ici à un topos de Jésus adulte et barbu dans Sa gloire. Cette image est en quelque sorte une prolepse du Christ pantocrator.

8 Tables claudiennes, peu après 48, capitales romaines, Lyon, musée de la civilisation gallo- romaine.

Pentateuque d’Asbrunham, Paris, BnF, cod. N. acq. Lat. 2334, 124 f, 371 x 321 mm, Isaac et Rébecca, f 21r (8).

9 Paysage maritime, Rome, villa Farnesina, corridor G, Rome, Museo nazionale romano (9).

Pompéi, aile de la maison du Faune, Chat attrapant un oiseau, fresque du Ier style, Naples (10).

Patricien romain portant les bustes de ses ancêtres, v. 30 av. J.-C., Rome, musées capitolins(11).

Portrait d’homme, dit de Rhoimétalkès, provenant d’Athènes, théâtre de Dionysos, marbre, H. 48 cm, 200-210, Athènes, musée national (12).

10 Baouît, Le Christ et l’abbé Ménas, VIe-VIIe siècle, Louvre (13).

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C’est qu’il s’agit en tout premier lieu de glorifier l’œuvre de Dieu par la représentation de la Création, par la mise en valeur des prophètes, par les exempla que la Bible propose tout au long de ses lignes : Abraham acceptant de sacrifier son fils Isaac, Jonas englouti par la baleine pour n’avoir pas suivi immédiatement le commandement de Dieu, Judith décapitant Holopherne afin de sauver son peuple

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On peut y ajouter tous les textes hagiographiques exaltant le martyre des chrétiens morts pour la gloire de Dieu, pour l’exemple, pour que leur sang féconde la terre, Pierre et Paul, mais aussi Blandine... Bientôt, c’est la vie même du Christ qui, se déroulant sous les yeux des fidèles, sert d’exemple, de la Nativité jusqu’à la Crucifixion. Glorification du Christ, de ses miracles, de la toute puissance de Dieu, mais aussi punition des méchants comme le montre l’histoire de Judas, ce disciple qui embrasse le Christ et le trahit, avant de se pendre. L’individu, le fidèle n’est pas la référence chrétienne. Non, c’est le groupe des fidèles qui compte, l’ensemble des chrétiens qui représente le peuple de Dieu. Sur les mosaïques, sur les ivoires, sur les fresques, les histoires qui se déroulent ne sont pas des histoires réalistes, ce sont des représentations imaginaires de scènes qui auraient pu se passer et quand on avait besoin de signaler un nom, il suffisait de l’écrire, ou de représenter un symbole admis par tous, comme les clés du paradis que porte saint Pierre ou la roue dentée du martyre de sainte Catherine d’Alexandrie. L’image n’est pas et ne se veut pas identificatrice, elle est d’abord édificatrice.

Mais en pratique, le chrétien peut-il se dispenser de tout ce qui composait sa vie quotidienne, ses références mentales, ses envies, ses joies et ses peines ?

La vie des fidèles demeure toujours plus ou moins celle des païens. Ils vont toujours dans les mêmes bâtiments, la basilique, parce que c’est le plus pratique, le plus commode pour rassembler une foule, celle qui assiste à la transsubstantiation lors de la célébration de l’eucharistie

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. D’ailleurs, un certain nombre de temples ne sont-ils pas transformés en églises, comme le Panthéon à Rome, ce qui permet d’utiliser un bâtiment déjà existant et de continuer à accueillir des chrétiens dans les anciens lieux de culte dont la vocation a été fondamentalement bouleversée

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.

La conception du pouvoir sacerdotal s’inspire du

Pontifex maximus

romain. Léon III en est le représentant triomphant sur la mosaïque qu’il fait réaliser

11 Art copte, Le sacrifice d’Abraham, tapisserie (14).

Bible dite de saint Bernard, Troyes, ms. 458, t. 1, f. 232. Lettrine E historiée sur parchemin, Jonas (15).

Bible d’Hirsau, XIe siècle, Livre de Judith, parchemin, Munich, Staatsbibliothek, Clm 13001, f. 88 (16).

12 Basilique de Maxence, 307-313 (17).

13 Panthéon, Rome (18).

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au palais du Latran quelques années avant le couronnement de Charles

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. Le Saint père remplace Auguste, l’empereur divinisé. Léon III est le vicaire de Dieu sur terre, son représentant, le lien privilégié entre Dieu et les hommes, il est le successeur de Pierre.

La place des femmes est toujours réduite, elles ne peuvent accéder à des postes de responsabilité dans l’Église, mais n’est-ce pas la norme dans la société de cette époque, et ce malgré les magnifiques paroles égalitaires évangéliques, assez vite oubliées par les Pères de l’Église ? Le rôle des femmes, et en particulier des trois Marie, est pourtant très important dans le message évangélique

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Les esclaves, eux non plus, ne voient leur sort se modifier en rien. Certes, l’Église encourage les grands propriétaires à les affranchir, mais sans excès, afin de ne pas perturber l’économie qui a besoin d’un grand nombre de bras. Et puis une multitude de faits et gestes, théoriquement interdits car d’origine païenne, perdu- rent. Les jeux ne cessent que très lentement, d’abord dans l’arène, puis au théâtre et bien plus tard dans le cirque. De nombreuses attitudes demeurent imprégnées de paganisme, rassemblement auprès des arbres aux fées, auprès des sources, sans oublier les invocations aux forces divines, et même le recours aux saints, dans un syncrétisme particulièrement ouvert et peut-être pas toujours très orthodoxe

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.

L’imaginaire nécessaire à la compréhension et au développement du culte chrétien utilise d’anciens modèles païens, mais comment faire autrement ? Pouvait- on tout réinventer ? Qu’est-ce qu’un ange, personnage humanisé et ailé, sinon la mutation christianisée de la Niké grecque, puis de la Victoire romaine

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?

Sans oublier les difficultés d’interprétation des images. Que signifie ce haut- relief copte où sont représentés à l’évidence Léda et le cygne

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? Est-ce Éros qui observe et protège les amours de Zeus, métamorphosé en cygne, dominant Léda, nue et allongée ? N’est-ce pas plutôt un ange, bras armé de Dieu, qui attaque le couple démoniaque et contre-nature, véritable abomination ?

La représentation du Christ trônant, en majesté, s’inspire de formules païennes, d’ailleurs en parties sassanides. Le costume même du clergé, vêtu de long, perpétue la toge romaine face à la tunique courte issue du monde barbare.

Les sculptures et les peintures, longtemps réfractaires à la réalité, mettent l’accent

14 Mosaïque de Léon III, de 796-798, anciennement au Latran, aujourd’hui disparue, dessin (19).

15 Plaque illustrée, Allemagne, Cologne, v 1135, « Les Maries découvrent le tombeau vide que leur désigne l’ange », défense de morse, 21 x 10 cm, New York, Cloister (20).

16 Au début du XVe siècle, Jeanne d’Arc ne s’y rendra-t-elle pas encore avec ses amies comme le mentionnent les actes du procès ?

17 Pompéi, Murecine, Victoire avec trépied doré, Pompéi Magazzino archeologico.

18 Art copte, Léda et le cygne, Ahnas el-Medindh, Ve siècle, calcaire, 34 x 77 cm, Le Caire, musée copte (21).

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sur la didactique en s’appuyant sur des images où le fidèle peut retrouver des modèles antiques. Dans l’image du tétramorphe, le taureau ailé, symbole de l’évan- géliste Luc, n’est-il pas déjà présent dans les modèles perses que l’on observe à Suse et à Persépolis

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La plupart des monstres qui peuplent les chapiteaux romans sont certes issus de l’imagination des sculpteurs, mais ils s’inspirent évidemment aussi de modèles anciens antiques comme les centaures, les sphinx, la Gorgone...

Au final, le moyen âge aurait bien voulu se libérer de l’Antiquité, dire

« non ». Créer un monde nouveau est indispensable pour le christianisme. Le plus aisé, c’est de prendre systématiquement le contre-pied de ce qui existe, mais n’est- ce pas alors un aveu de soumission à tout un ensemble préexistant et en fait le prendre délibérément pour référence ? Peut-on faire l’économie du passé, de la force de la tradition, des habitudes et des mentalités des populations qui ne peuvent pas basculer, quoi qu’on fasse et même en quelques siècles, dans un monde totalement nouveau ? L’homme est composé de strates de civilisations et chacune est indispensable, mais aussi indéracinable, et ce afin de pouvoir aller de l’avant.

19 Suse, lion ailé, avec tête de bélier et pattes de griffon, relief en briques émaillées du palais de Darius le Grand (22).

Livre de Kells, v. 800 (?), Dublin, Bibliothèque de Trinity College, 58, 330 x 250 mm, Symbole des quatre évangélistes (23).

Lectionnaire de Zadar, XIe siècle, zoomorphe de Luc, 185 x 285 mm, écriture bénéventine (24).

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