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NO : Chile piensa en su futuro (Au sujet du film de Pablo Larraín)

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NO : Chile piensa en su futuro (Au sujet du film de

Pablo Larraín)

Stéphane Boisard

To cite this version:

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“NO: Chile piensa en su futuro” (Au sujet du film de Pablo Larraín).

“Seamos honestos, creemos que Chile está listo para este tipo de comunicación: Chile piensa en su futuro”. [“Soyons francs. Nous croyons que le Chili est prêt pour ce type de communication. Le Chili pense à son avenir »].

C’est par cette phrase, reprise comme une antienne à trois moments clés du film, que débute NO, le troisième film du cinéaste chilien Pablo Larraín, portant sur la dictature du général Pinochet. A l’instar des autres jeunes réalisateurs du Cône Sud de l’Amérique latine, Pablo Larraín a entrepris de revisiter les années de plomb qu’a connu son pays à partir du 11 septembre 1973. A la différence des précédents (Tony Manero en 2009 et

Santiago 1973 Post-Mortem en 2011), NO n’a rien de métaphorique. Il traite du référendum organisé par la junte

militaire chilienne en octobre 1988 qui devait décider de la prolongation pour huit années du régime militaire et donc de la reconduction du général Pinochet à la présidence de la République pour ce lapse de temps.

L’objectif de Pablo Larraín, affiché dès les premières scènes du film, est de coller au plus près de la réalité. Il limite son propos aux vingt-sept jours qui ont précédé le référendum, vint-sept jours pendant lesquels il suit l’équipe en charge des programmes télévisuels de la campagne de l’opposition. On peut même considérer que ce film est à la limite du docu-fiction, tant celle-ci est imbriquée dans les images d’archives. Ou vice versa ! Car le tour de force majeur réside dans le fait que l’on ne distingue plus les images réelles des scènes de fiction. Pour ce faire, il a fallu retrouver les couleurs et le grain des images de la télévision de la fin des années 1980 et effectuer un travail de montage absolument remarquable. Non sans clins d’œil d’ailleurs, parce que certaines personnalités et artistes y jouent leur propre rôle comme le présentateur de télévision Patricio Bañados, ou encore l’ancien président de la République, Patricio Aylwin. A posteriori, on se dit qu’il n’aurait pas été possible de procéder autrement pour narrer ce fait historique très précis et mettre en scène tous ces hommes politiques, dont bon nombre sont encore vivants.

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Le film s’articule autour de ce personnage central, très bien interprété par l’acteur mexicain Gael García Bernal, en une série confrontations binaires qui soulignent à l’envi le choix proposé aux Chiliens en 1988 : eux

ou nous. Malgré leur caractère parfois caricatural, ces face à face nous montrent une société certes pacifiée par la

force brutale mais absolument pas réconciliée. Pourquoi se laisse-t-il convaincre de participer à la campagne pour le NON ? Par amitié envers l’ami de son père qui est venu le chercher ? Ou pour s’opposer au directeur de l’agence de publicité dans laquelle il travaille ? Interprété par l’acteur fétiche de Pablo Larraín, Alfredo Castro, le directeur de l’agence est le pendant du jeune publicitaire. Il appartient par son âge à la génération du coup d’État. Très proche des militaires et du gouvernement, il en vient à s’imposer rapidement comme le directeur de la campagne télévisée du OUI, transformant cette bataille politique en lutte de communicants. Ou bien est-ce encore pour reconquérir son ex-compagne – la mère de son petit garçon – militante d’extrême-gauche, refusant le référendum considéré comme une compromission politique et préférant l’affrontement physique avec les forces de l’ordre ? L’intérêt de ce personnage central, au-delà de sa psychologie, réside dans la stratégie narrative mise en œuvre par Pablo Larraín. Le cinéaste peut grâce à lui balayer tout le spectre politique et recomposer par petite touche le kaléidoscope complexe des courants politiques qui ressurgissent dans ce Chili dictatorial.

C’est heureux, car Pablo Larraín donne peu de clés historiques pour saisir les enjeux du référendum. Si pour un Chilien adulte, cette histoire est compréhensible, il en va tout autrement pour un spectateur étranger. Nous sommes en effet dans la phase appelée par le sociologue Tomás Moulián « dictature constitutionnelle »1, qui démarre en 1981, avec l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution – votée l’année précédente par le biais d’une farce électorale. La promulgation de cette Constitution est importante car elle grave dans le marbre de la loi une « nouvelle démocratie » définie comme « autoritaria, protegida, integradora, tecnificada y de auténtica participación social »2. Or les militaires chiliens réussissent là où leurs homologues au pouvoir en Argentine et

en Uruguay échouent. En effet, malgré une campagne de terreur, les militaires uruguayens perdent en 1980 le plébiscite constitutionnel qu’ils organisent, ouvrant ainsi la voie à la transition à la démocratie. Les militaires argentins, quant à eux, échouent à « accoucher d’une nouvelle constitution » du fait de leurs profondes divisions internes et se lancent dans la fuite en avant de la Guerre des Malouines en 1982.

Il ne faut pas perdre de vue non plus que tout cela se produit sur fond de crise économique : cette fameuse décennie perdue des années 80. Au Chili, elle a des conséquences très importantes. Le général Pinochet est obligé de se séparer – au moins momentanément – de ses principaux ministres civils en charge de l’économie, ses fameux Chicago Boys, artisans de la « révolution capitaliste silencieuse »3. Les conséquences

politiques et sociales de cette crise se mesurent à l’aune des trois années de manifestations ininterrompues et très violentes qui font vaciller le régime de 1982 à 1985. La junte militaire résiste à la pression de la rue, à l’image de son principal dirigeant qui échappe de justesse à un attentat fomenté par l’extrême-gauche armée, le Front Populaire Manuel Rodríguez, en 1986. C’est donc cette conjoncture très particulière, où la Junte semble plus que jamais imposée ses règles et son calendrier, que les deux camps ennemis vont accepter de jouer le jeu de ce référendum.

1 Tomás Moulian, Chile actual. Anatomía de un mito, LOM, Santiago, 2002

2 Discurso del General A. Pinochet en Cerro Chacarillas con ocasión del día de la juventud (9 de julio de

1977) http://www.archivochile.com/Dictadura_militar/doc_jm_gob_pino8/DMdocjm0003.pdf

3 Celle-ci sera célébrée dans un fameux livre qui sortira à l’occasion du référendum Joaquín Lavín, Chile

: revolución silenciosa, Santiago : Zig-Zag, 1987

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Cependant les choses ne sont peut-être pas si simples. Pour les militaires et dans ce pays où pas une feuille ne bouge sans qu’Augusto Pinochet le sache (comme il l’a lui-même affirmé), ce vote peut être vu comme une simple formalité. Il doit permettre de légitimer définitivement la dictature qui a déjà reçu la bénédiction de Jean-Paul II en 1987 comme cela est rappelé dans le film. Or l’attentat manqué contre le Général Pinochet a posé la question de la succession et de la sauvegarde du régime. Par ailleurs et même si cela n’a fait l’objet d’aucune étude, il est évident que les militaires chiliens ont dû regarder avec une certaine frayeur le retentissant procès de leurs frères d’armes argentins en 1985. Et on peut aisément imaginer l’impact qu’a pu avoir le visage ruisselant de sueur du général Videla, filmé en gros plan et retransmis à la télévision nationale lors de la lecture du verdict de sa condamnation à la prison à perpétuité. Ce procès a dû motiver plus d’un gradé chilien à préférer une transition négociée avec l’opposition plutôt que l’infamie de se retrouver un jour sur le banc des accusés, alors même que le régime a remporté sa guerre contre le marxisme-léninisme athée et sauvé la civilisation chrétienne occidentale. Du côté des civils, la nouvelle droite veut s’assurer que son modèle économique et politique néoconservateur survivra au gouvernement militaire. Enfin l’opposition politique modérée et rénovée, qui a craint que le mouvement de protestas ne lui échappe du fait de la radicalisation des jeunes des bidonvilles en 1985, préfère se réunir dans une très large « Concertation des partis pour le NON », négocier avec le régime et s’organiser pour participer au référendum4.

Une fois ce contexte posé, le film soulève, du point de vue de l’Histoire, une dernière question : le rôle et l’impact de la campagne télévisuelle sur l’issue du scrutin. L’opposition a-t-elle réussi, comme le laisse entendre le film, à faire tomber le régime grâce à ces petits spots télévisés d’une durée de 15 minutes conçus sur le mode publicitaire, présentés à parité de temps avec les spots du gouvernement, et programmés pendant trois semaines seulement à une heure très tardive ? En d’autres termes, les communicants et les publicitaires ont-ils pris le pas sur l’équipe de direction composée d’hommes politiques et censés les encadrer ? Ont-il réussi à « vendre » l’idée que la démocratie était finalement supérieure à l’autoritarisme, juste parce qu’elle signifiait que la « joie revenait enfin au Chili », comme l’indiquait le slogan central de campagne : « Chile : la alegría ya viene ». Les participants à ces programmes ne sont pas loin de le penser si l’on s’en réfère à leurs témoignages recueillis dans un ouvrage intitulé La Campaña del No vista por sus creadores.5.

On ne pourra pas trancher ici une telle question, mais il faut reconnaître que cette campagne télévisuelle va, pour la première fois depuis quinze longues années, rompre le statu quo autoritaire et la loi du silence. Grâce à l’humour – qui a semblé à beaucoup de Chiliens ayant souffert très décalé par rapport à la tragédie qu’a vécue le pays –, cette campagne contribue à ringardiser le régime et à déjouer sa mécanique implacable fondée sur la peur. Pour la première fois, les langues se délient, on parle ouvertement de « dictature » et on moque le chef tout puissant (qui est d’ailleurs fort mécontent, comme le fait savoir un officier qui assiste aux réunions de la campagne du OUI). Cette question de la peur n’est pas sans rappeler le très beau livre écrit par l’un des plus grands écrivains chiliens contemporains, Marco Antonio de la Parra, Lettre ouverte à Pinochet.

4

http://www.cepchile.cl/1_1194/doc/acuerdo_nacional_y_transicion_a_la_democracia.html#.UVjVpDdrmCk

5 Celui-ci fut réalisé à partir des témoignages recueillis lors du séminaire « La campaña del No. Análisis

et perspectivas » réalisé un mois après le résultat du référendum les 24 et 25 novembre 1988. (SERIE ENSAYO, agosto 1989, CIS ICEO · ILET· SUR, EDICIONES MELQUIADES, Santiago). Ce livre est téléchargeable sur internet sur l’excellent site www.memoriachilena.cl de la Bibliothèque nationale du Chili.

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La lecture de La Campaña del No vista por sus creadores nous livre un autre enseignement. Pablo Larraín s’est montré très scrupuleux en tentant de représenter tous les points de vue. Or, il faut noter que cela ne se fait jamais au détriment du regard critique. Il dénonce le fait que la politique devienne une simple technique communicationnelle, notamment par le truchement de son protagoniste qui n’arrive pas à se joindre à la liesse populaire après la victoire du NON. De même, dans le camp du OUI, il n’est pas anodin non plus que ce soit le communiquant qui, le premier, sente le vent mauvais de la défaite, alors que les gérontes suffisants du régime, qui ont perdu depuis longtemps le contact avec la société, ne voient rien venir.

Mais le jugement le plus sévère porte sur l’absence d’illusion et d’enthousiasme des élites quant à la démocratie, voire leur cynisme, que l’on pourrait résumer par un : « Business as usual ». En effet, à peine la campagne du référendum terminée, les deux communicants qui se sont affrontés sur le terrain politique reprennent leurs affaires, comme s’il ne s’était rien passé, en assénant à leurs clients les mêmes phrases éculées dont ils se sont servies pour vendre la boisson soda « Free », le « non » à Pinochet ou encore une télésérie intitulée « Belles et audacieuses » : « Seamos honestos, creemos que Chile está listo para este tipo de

comunicación: Chile piensa en su futuro ». Et Pablo Larraín de mettre en garde : en considérant la démocratie

comme un simple produit et en laissant la politique aux seuls communicants, l’utopie peut se perdre en chemin. Or la démocratie ne peut vivre sans cette part d’utopie qui permet le « vivre ensemble ». Même si la transition à la démocratie chilienne est souvent jugée exemplaire (à l’instar de la transition espagnole), il n’est pas sûr, avec le recul, que le changement ait été à la hauteur des espérances. Amer constat pour un pays qui pourtant a payé très chèrement sa liberté.

Stéphane Boisard

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