• Aucun résultat trouvé

UNE FÊTE PARISIENNE SOUS LOUIS XIV

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "UNE FÊTE PARISIENNE SOUS LOUIS XIV"

Copied!
13
0
0

Texte intégral

(1)

UNE FÊTE PARISIENNE SOUS LOUIS XIV

Le Roi enfant au feu d'artifice

Les feux de joie que l'on allume, la veille de la Saint-Jean, d'origine très ancienne, furent, ce semble, dans leur primitive physionomie, à l'époque de la moisson, un rite du culte rendu au Soleil pour glorifier sa bienfaisance. On ne peut indiquer à quelle date ils perdirent cette signification païenne pour prendre

une signification chrétienne. Au X I I Ie siècle seulement, on les vit, en France, voués au saint dont ils avaient emprunté Je nom.

Dressés au devant des Eglises, ils étaient devenus des feux de joie paroissiaux destinés à perpétuer la mémoire de cet élu. Nul n'avait alors le droit de les embraser, hors le curé de la paroisse, en pré- sence de ses ouailles qui en avaient fourni le bois. Une tradition s'établit de la sorte, sanctionnée par l'autorité ecclésiastique.

Aux siècles suivants, cette tradition tomba peu à peu en

•désuétude. L'autorité civile s'avisa, en effet, d'ériger, devant ses Hôtels de Ville, un bûcher de la Saint-Jean parallèle à

•celui de l'Eglise. Cèlle-ici s'insurgea contre cet empiétement sur ''1 son domaine religieux. Les Parlements de diverses provinces

jugèrent la cause et donnèrent raison aux échevinages.

En conséquence de leurs arrêts, un tel état de fait s'ins- titua à Paris dès le X Ve siècle. Tandis que le Prévôt des Mar- chands de la Capitale faisait élever et allumait en personne un feu municipal sur la Place de Grève, à la gauche de la Maison

(2)

Commune, les curés dressaient et faisaient flamber les leurs sur le parvis de leurs Eglises.

Par malheur pour ces derniers, la fête de la Saint-Jean muni- cipale dépassa vite en splendeur la fête de la SainWean parois- siale ; elle enleva bientôt à celle-ci ses spectateurs et même ses fidèles. Lorsque, en l'an 1471, le roi Louis X I prit l'initiative d'y paraître et d'enflammer de sa main le bûcher, c'en fut fait de toutes les tentatives de l'Eglise pour conserver à la Commémoration du bienheureux martyr son pieux caractère et à elle-même le privilège de cette commémoration.

L'échevinage parisien s'efforça naturellement, au cours du temps, de donner à sa propre manifestation une forme pompeuse afin d'y attirer le plus souvent possible, les monarques qui se succédèrent sur le trône de France. Il n'y parvint qu'à grand' peine. A une date imprécisée, François Ie r ; en 1549 et 1573, Henri II et Henri III, et, au moins une fois, pour suppléer le der- nier, faîtière Catherine de Médicis, se rendirent à l'Hôtel de Ville et daignèrent accompagnés de cortèges fastueux, faire jaillir la flamme du bûcher symbolique. En 1598, Henri I V , souverain plus débonnaire que ses prédécesseurs, alla, à son tour, sans se faire prier, brandir le flambeau d'animateur du bassin munici- pal et écouter avec délices les vivats de la populace.

Les contemporains finirent-ils néanmoins par trouver mono- tone, même agrémentée de fusées, la cérémonie de l'allumage du bûcher présidée par un prince du sang ou par Je gouverneur de Paris plus souvent que par les rois ? Y accoururent-ils avec moins de zèle ? On ne le sait. Toujours est-il que, dès 1615, et pendant toute la durée du X V I Ie siècle, pour lui rendre son pres- tige déclinant, l'échevinage doubla, le 23 juin au soir, sur la Place de Grève, le feu de joie traditionnel d'un feu d'artifice proprement dit, que ses ingénieurs s'évertuèrent, d'année en année, à embellir des plus merveilleuses magies de la science pyrotechnique.

Si grande était, en effet, cette attraction que Louis X I I I , timide de nature et qui n'aimait guère s'exhiber dans les grandes assemblées, consentit, par trois fois, au cours de son règne (1615, 1616,1620) à venir, sur la place entre toutes populaire, allumer le bûcher pour jouir, en récompense de son effort de volonté,, du ravissant spectacle des jeux pyriques.

Louis X I V suivit-il l'exemple de ses pères ? Descendit-il de son palais pour gagner les régions lointaines où régnait

(3)

Bien que la tranquillité de-Paris ne fût pas très assurée et que l'on pût craindre des troubles, Messire Hiérosme L e Féron, seigneur d'Orvila, Prévôt des Marchands, n'avait pas cru devoir renoncer à célébrer la fête de la Saint-Jean. C'est pourquoi, ce mercredi matin, dix-septième jour i > juin 1648, rue Saint-Honoré, au premier étage du Palais-Royal ( 1 ) , entouré de ses quatre échevins, du Procureur, du Greffier et du Receveur de la ville, il attendait, dans le grand cabinet, tout couvert de lambris dorés et de tableaux, Madame la Régente, Anne d'Autriche, et Sa Majesté le Roi, qui tardaient à venir. Il se proposait, selon la coutume, de leur faire la « semonce > (2) du feu de la Saint-Jean.

Il souhaitait fort que sa démarche ne restât point vaine, car, depuis l'an 1620, nul souverain n'avait, en personne, assisté à cette cérémonie traditionnelle.

Après un quart d'heure d'attente, il vit paraître au bout de la galerie, les enfants royaux qui se rendaient à la messe.

Monseigneur le duc d'Anjou, petit, grêle, rose et blanc comme une fille, marchait à côté du roi, Louis XIV, son frère aîné, âgé

(1) Ancien Palais-Cardinal, légué par Richelieu à L o u i s ' X I I I . Anne d'Autriche, lasse de l'incommodité du Louvre, était venue l'habiter avec

« e s enfants et y tenait cour.

(2) Invitation.

l'opulent" Lourgeoisie de la capitale ? On l'ignorerait encore si Messieurs de l'Echevinage n'avaient pris la précaution de taire, par la main d'un scribe, rédiger, pour en conserver le souvenir et satisfaire leur gloriole, des comptes-rendus minutieux des di- vertissements dont ils régalaient les foules.

L'une de ces pièces manuscrites, restée inédite, a subsisté, aux Archives nationales, dans les cartons de l'Hôtel de Ville.

Grâce aux renseignements circonstanciés qu'elle contient, nous allons non seulement évoquer le roi, à peine sorti de la petite enfance, mettant bravement en ignition le bûcher de la Saint- Jean, mais encore montrer comment se déroulaient, dans leur '"imuable cérémonial, les actes et les gestes que les hommes de ce temps lointain croyaient indispensable d'accomplir pour honorer dignement un Saint tout en se réservant à eux-mêmes quelques heures de piaisir.

(4)

de dix ans, plus mâle, plus robuste, portant avec noblesse son fier visage aux grands yeux sévères, au nez allongé, aux lèvres charnues et bien dessinées, encadré dans des boucles châtain- clair. Madame la Régente suivait les deux princes et derrière elle, allaient à petits pas, Messire Nicolas de Neufville, maréchal-duc de Villeroy et Monseigneur Hardouin de Beaumont de Péréfixe, évêque de Rodez, gouverneur et précepteur de Sa Majesté, pré- cédant un groupe de gentilshommes et de dames.

Parvenue à la porte du grand cabinet, Anne d'Autriche y arrêta ses enfants et, en leur compagnie, reçut, toute souriante, les compliments de Messieurs de la Ville. Incontinent après, Messire Hierosme L e Féron lui présenta sa requête, Paris, dit-il éprouverait une joie sensible si Leurs Majestés, mes seigneurs les princes et princesses et toute la Cour daignaient honorer de leur présence la solennité de la Saint-Jean, qui aurait lieu six jours ensuivants.

Madame la Reine se rembrunit et ne répondit pas sur le champ. Elle savait que la bourgeoisie et le peuple, menacés d'impôts nouveaux, agités par des brouillons, vivaient depuis quelques mois dans la fièvre et avaient témoigné de leur tur- bulence en plusieurs rencontres. Elle craignait, en exposant Louis X I V au contact de la foule, que celle-ci ne lui fît quelque insolence. Comme son silence se prolongeait, le jeune roi, animé de curiosité, dit soudain qu'il verrait avec grand plaisir cette solennité inconnue de lui ; et il conjura Madame sa mère de lui en donner le divertissement.

Anne d'Autriche le regarda, sourit de nouveau, hésita encore, puis, tournée vers le Prévôt des Marchands, promit que Sa Majesté se rendrait à l'Hôtel de Ville.

— A mon égard', ajouta-t-elle, je ne crois point y pouvoir aller ; néanmoins j'aviserai entre ci-et-là.

Messire Hierosme L e Féron se confondait encore en remer- ciements alors que la Reine, l'ayant salué d'un bref signe de tête, reprenait le chemin de la chapelle. Ravi de son succès, il crut que la bienséance voulait qu'il allât de ce pas, avec sa^compa- gnie, inviter à son tour Monseigneur le Cardinal Mazarin. L e ministre logeait dans un appartement contigu du même Palais.

II s'y présenta peu après et, ayant aussitôt obtenu audience, il dit quel contentement il ressentait de savoir que le roi « faisait

(5)

318 REVUE DES DEUX MONDES

état » de venir au feu de la Saint-Jean et il supplia Son Emi- nence de vouloir bien « être de la partie >.

— L e Roi, répondit le cardinal, aime fort sa bonne ville de Paris. Pour moi, M. le Prévôt, j e verrai volontiers vos céré- monies auxquelles j'accompagnerai sans faute Sa Majesté.

Messire le Prévôt et ses compères gagnèrent leurs carrosses et reprirent le chemin de l'Hôtel de Ville. Ils riaient en pensant à la belle fête dont ils allaient régaler les Parisiens. L e temps pressait cependant. Dès l'arrivée en leurs bureaux, ils convo- quèrent maître Denis Caresme, leur artificier ; celui-ci leur avait déjà soumis un dessin de feu d'artifice qui accompagnerait, sur la place de Grève, le bûcher de la Saint-Jean. Ce dessin ne les satisfaisait guère ; ils voulaient y apporter des modifi- cations. Or, par malchance, maître Denis Caresme venait de se blesser grandement dans une chute. En sa place, accoururent sa femme, son fils et son gendre, le sieur Dambrémont. Ils sup- plièrent Messieurs de la Ville de formuler leurs désirs, assurant qu'ils les exécuteraient de la même façon qu'eût fait le dit Caresme. Incontinent, en effet, le sieur Dambrémont rectifia à leur gré le dessin de son beau-père. Muni d'un mandement de 500 livres donnés par avance, il allait quitter la Maison i Commune quand Messire le Prévôt le rappela pour lui recom- mander d'apporter, le jour de la cérémonie, deux douzaines de grosses fusées. Elles serviraient à divertir le Roi et à « faire couler le temps » en attendant l'heure du feu d'artifice.

Messieurs de la Ville pensèrent ensuite à la collation. Ils n'étaient guère contents du sieur Joachim du Pont, leur épicier ordinaire : ce lanternier se souciait plus de débiter sa marchan- dise courante que d'édifier des confiseries compliquées. Us lui passèrent commande de sept douzaines et. demie de boîtes de confitures pour emplir trois bassins, de deux douzaines de flam- beaux en cire jaune pour illuminer la façade de la Maison Com- mune, de huit livres de bougies blanches pour garnir les chan- deliers en cristal de la Grand'Salle, de deux douzaines de flam- beaux en cire blanche, à poignées de velours bleu, qui serviraient à éclairer, la nuit venue, le cortège royal rentrant en son palais.

Cette commande faite, ils mandèrent, pour le suppléer, Je sieur Grosbois, marchand confiturier plus accommodant : celui-ci leur avait déjà présenté le croquis d'une grande machine de cinq pieds de haut et de large, tournant sur un pivot et qui, leur

(6)

#

semblait-il, ornerait admirablement la table royale. Toute de confiture et de sucre, elle représentait un rocher, creusé de cavernes, d'où s'échapperaient des ondes parfumées et un vol d'oiselets ; à sa base étaient disséminés de petits animaux qui paraissaient courir les uns après les autres. Ils ordonnèrent au sieur Grosbois de construire cette machine, de fournir, en outre, quatre figures en sucre qui pareraient les quatre coins de la dite table, quantité d' « excellents ouvrages de confiture dont on emplirait des « soucoupes agencées à la mode » , enfin, un oranger et un citronnier chargés de leurs fleurs naturelles et de fruits confits.

L e confiturier expédié avec quelque argent en poche, Mes- sieurs de la Ville appelèrent successivement leur maître d'hôtel, leur menuisier, leur tapissier, leur bouquetier en charge. Ils invitèrent le premier à tenir prêts, pour compléter la collation de mets solides, deux saumons cuits au court-bouillon avec ragoûts de la saison, les plus beaux fruits qui se puissent ren- contrer, des massepains, biscuits, tailladins et autres friandises.

Au second, ils enjoignirent d'édifier hâtivement, devant la cheminée et la fenêtre médiane de la Grand'Salle, deux es- trades surmontées de dais, de garnir les autres fenêtres donnant sur la Grève d'échafauds à degrés, d'agencer, dans une encoi- gnure, sur des tonneaux alignés, des ais où se pussent établir, sans risque de choir, les violons du roi, de construire, au surplus, pour la Salle des Capitaines, deux grandes tableis, l'une avec dais où festineraient Leurs Majestés. L e tapissier, de son côté, substituerait des tapisseries des Flandres aux portraits de Pré- vôts et d'Echevins qui ornaient les parois de ces salles ; il couvri- rait de riches étoffes d'or les dais, les tables, les estrades, les échâ- fauds, et de tapis de Turquie les parquets ; il meublerait, d'autre part, de fauteuils et de carreaux les vastes pièces. Dans le même temps, le bouquetier de la Ville fabriquerait les affiquets de fleurs dont on se pare habituellement à la fête du solstice d'été, chapeaux, bouquets, écharpes en boutons de fleurs d'orange pour le Roi, en roses et giroflées rouges pour la suite de Sa Majesté.

Ainsi passaient les journées, dans une activité fébrile. L e 23 au matin, Messieurs de la Ville envoyèrent un message au curé de la paroisse Saint-Jean-en-Grève pour le supplier de ne point faire sonner les cloches de son église, qui faisaient un

(7)

Un peu avant six heures, un huissier vint annoncer que le cortège du Roi entrait dans la rue de la Vannerie. On entendait au loin bruire les tambours et frémir les fifres des Cent-Suisses.

En hâte, Messieurs de la Ville révêtirent leurs « robes de livrée » , puis, précédés de Monseigneur le duc de Montbazon, ils descen- dirent précipitamment le grand escalier.

Le groupe royal gravit 'le perron. Au sommet de celui-ci, Messire Hierosme L e Féron, après une longue révérence, com- mença de haranguer, le dominant de sa taille, le petit souverain dont le visage s'était refermé. Il avait déjà dit combien la Ville se félicitait du grand honneur que lui faisait Sa Majesté, à l'exemple de son auguste aïeul Henri le Grand dont le portrait en bronze faisait revivre, au-dessus de la porte, le visage débonnaire, lorsqu'une immense acclamation, s'élevant de tous les alentours de la place, et qui ne cessait plus, le contraignit au silence.

Eii foule, les gens de Cour avaient rejoint Leurs Majestés.

Il n'était plus question d'éloquence. Dans un bruit infernal de tambours et de trompettes, Louis X I V , accompagné des magis- trats urbains, et Anne d'Autriche, guidée par Mmes de Montbazon et L e Féron, montèrent l'escalier d'honneur. Au premier palier, un doux concert de bouquins, de hautbois et de musettes suc- céda au vacarme des instruments* martiaux ; le second palier atteint, les vingt-quatre violons, juchés sur leurs tonneaux voilés d'un tapis de Turquie, accueillirent la compagnie, au seuil de la Grand'Salle, aux rythmes allègres d'une sarabande d'Antoine Bœsset.

bruit à ne plus s'entendre, tandis que le Roi serait dans leur maison. Ils coururent ensuite examiner les dispositions prises sur la place de Grève.'Ils virent qu'une haute et solide palissade à claire-voie entourait, selon leurs ordres, cette place et que toutes les rues y aboutissant avaient été barrées par des chaînes cadenassées. Du perron de l'Hôtel de Ville, on avait ménagé, entre deux barrières, une allée sablée conduisant au bûcher, ainsi qu'à la rue de la Vannerie d'où déboucheraient les car- rosses de la Cour. Vers la droite s'élevait, sur son théâtre, le feu d'artifice, surmonté d'une pyramide au pied de laquelle étaient assises des figures allégoriques.

(8)

TOME LXXVIII. — 1943. 7 La pièce était revêtue de tapisseries où jouaient, parmi les verdures, de galants pastoureaux et pastourelles. Au devant de la grande cheminée, s'élevait, sur une estrade, un dais coiffé d'étoffes d'or où s'assirent, sur des fauteuils à hauts dossiers la Reine-mère et le Roi.

Leurs Majestés exprimèrent le désir de voir, sur la place de Grève, le peuple boire à leur santé trois muids de vin dont la ville le régalait en ce jour de fête. Menées par Je vieux magis- trat, Elles s'allèrent seoir, avec le duc d'Anjou, la princesse de Condé et le cardinal sous le dais élevé à la fenêtre centrale de l'Hôtel de Ville, cependant que l'assistance escaladait les écha- fauds dressés devant les autres ouvertures.

Les canons, sur les rives de la Seine, puis les boîtes ton- nèrent, tandis que les postes de Gardes du corps ouvraient à la foule 'les chaînes et les barrières. Bientôt toute la partie droite de la place où l'on avait disposé trois tonneaux sur des hauts chantiers, fourmilla d'une plèbe bruyante que les soldats grou- paient en rangs parallèles. Les buveurs se passaient, de mains en mains, les gobelets emplis de vin, les levaient vers la fenêtre où paraissait Sa Majesté, criaient : Vive le Roi !, les vidaient d'un trait et s'en allaient ragaillardis. Louis1 X I V contemplait le spec- tacle sans rien dire et ne s'en rassasiait point,

Lorsqu'il fut terminé il revint s'asseoir sur son estrade, mais il s'ennuya tout de suite. Il appela Messire le Prévôt et lui dit qu'il voulait, sans plus tarder, allumer le feu en l'honneur de Monsieur Saint Jean-Baptiste. Messire le Prévôt envoya sur le champ le greffier et quelques huissiers quérir les fleurs de Sa Majesté et des personnes admises au cortège. Il procéda lui- même, dès que les messagers furent revenus, à 'l'ajustement du garçonnet royal. Il lui passa en bandoulière l'écharpe en fleurs d'orange au bout de laquelle pendait une croix du Saint- Esprit, lui mit sous le bras droit le chapeau et, dans la main droite, le bouquet de mêmes fleurs. Ainsi, Louis X I V eut-il lui- même l'air d'un petit Saint-Jean et toute la Cour se récria d'ad- miration.

Tandis que les huissiers distribuaient des bouquets à 'la reine, aux filles d'honneur, aux courtisans, le gouverneur de Paris, le Prévôt, les échevins, le procureur, le greffier, le rece- veur de la Ville s'équipaient à leur tour d'écharpes. de chapeaux, de bouquets de roses et de giroflées et s'organisaient en cortège

(9)

322 REVUE DES DEUX MONDES

sous l'œil amusé des dames. Ils se mirent bientôt en marche, descendirent l'escalier et gagnèrent le perron.

Déjà, conduits par leurs officiers, les archers de la Ville et du Grand Prévôt, les Cent-Suisses les précédaient sur l'allée sablée. Après que les dix sergents de la Ville eurent passé en grou- pe, survinrent, dans leurs robes rouges ou mi-parties traversées d'écharpes de fleurs, le procureur, le greffier, le receveur ensem- ble, les échevins deux à deux, flanqués des sieurs de Rhodes et de Sainetot, grand maître et maître des cérémonies de la Cour. L e gouverneur de Paris et le Prévôt des Marchands che- minaient côte à côte et, séparé d'eux par quelque espace, la tête découverte, les boucles de sa chevelure étendues sur ses épaules, le justaucorps de brocart disparaissant sous la guirlande de fleurs virginales, le petit Roi allait seul, d'un pas ferme. Il s'effor- çait, embarrassé par son bouquet et son chapeau, de garder sa gravité ; mais il ne pouvait, de temps à autre, s'empêcher de rejoindre le gouverneur et l e Prévôt et de les questionner sur cette tâche d'animateur de la flamme qu'il remplissait pour la première fois. Vainement, le comte de Charost, son capitaine des Gardes, chargé de sa sécurité, le conjurait-il de ne s'écarter

point de lui. i

Le bûcher apparaissait, dans sa masse gigantesque. Un arbre de soixante pieds de hauteur, surmonté d'une roue symbolisant le soleil, soutenait l'armature de traverses où l'on avait superposé, de la base au faîte, la paille, les bourrées1, les coffrets et le gros bois. L e Roi le contempla avec étonnement et poursuivit sa route sans mot dire.

Lentement, dans l'espace resserré, le cortège accomplit, selon le rite ancien, trois évolutions autour du bûcher, puis il s'arrêta.

L e contrôleur de la bûche sortit du rang et tendit le flambeau de cire au Prévôt des Marchands. Messire Hiérosme L e Féron le vint présenter au Roi. Tandis que les trompettes sonnaient et que les artilleurs tiraient des volées de coups de canon sur la Seine, il recommanda à Sa Majesté de se retirer vivement, le feu allumé. L'enfant, flambeau en main, s'approcha du bûcher, em- brasa la paille d'un geste vif et fit un bond en arrière. La flamme avait jailli d'un trait jusqu'au sommet de l'édifice. Elle trans- forma tout de suite eh brasier le menu bois des traverses infé- rieures. De tous côtés, le peuple lançait des clameurs de joie.

L e Roi cependant regagnait l'Hôtel de Ville illuminé main-

(10)

tenant de tous ses lustres, appliques et flambeaux. Longtemps après son retour, il admirait encore, sans se lasser, l'énorme foyer dont les gerbes ignées dépassaient en hauteur les toits des mai- sons, lorsque Messire le Prévôt le vint tirer de sa contemplation et conduire en la Salle des Capitaines où la collation était servie.

La Reine-mère et ses enfants s'assirent sous le dais devant la table centrale. Elle était couverte de vaisselle et de bassins d'ar- gent débordant de friandises ; en son milieu s'élevait le grand rocher de confiserie, si bien imité qu'on le pouvait prendre pour un rocher véritable ; à l'une de ses extrémités était dressée la nef en vermeil doré figurant au blason de 'la ville ; à l'autre, quatre statuettes de sucre semblaient engager les convives à satisfaire, sans différer, leur gourmandise.

La Reine-mère dit tout haut qu'on n'avait jamais vu colla- tion plus riche et mieux ordonnée. L e cardinal Mazarin, installé à une table voisine, approuva ce propos.

Le festin commença par les poissons et ragoûts. Les jeunes # princes, servis par les magistrats dg^la Ville, se récriaient de

contentement après chaque plat. Ils tirèrent de telles délices des confitures et des pâtisseries qu'ils réclamèrent à M. le Gref- fier des papiers pour en emporter dans leur carrosse. L e repas achevé, ils se divertirent à faire tourner sur son axe le rocher de confiserie et rirent à beUes dents de voir ses fontaines! verser de l'eau d'ange et ses oiseaux s'envoler. Ils n'avaient jamais encore reçu de jouet si plaisant. Comme Messire le Prévôt allait donner au maître d'hôtel l'ordre de le découper, ils l e supplièrent de n'y point toucher, mais bien plutôt de l'envoyer, avec les sta- tuettes de sucre, au, Palais-Royal, où ils s'en délecteraient, avec leurs compagnons de jeu. Messire le Prévôt promit de leur obéir.

Les deux princes se croyaient transportés au pays des fées et ils attendaient de nouveaux prodiges de ces belles dames. Or, il s'en produisit un à l'instant où ils sortirent de table. Arrêtés devant 'le buffet --d'argent de la Ville, ils virent, en effet, sur les deux côtés de ce meuble fastueux, dans des caisses peintes d'azur et ornées, en leur milieu, de A et de L d'or entrelacés et couron- nés, un oranger et un citronnier portant des fruits confits mêlés à leurs feuilles et fleurs réelles. Ayant cueilli et goûté ces fruits

(11)

324 REVUE DES DEUX MONDES

extraordinaires, ils s'extasièrent devant une si grande merveille.

Ils se disposaient à en demander ,l'explication, mais Sa Majesté Anne d'Autriche les ramena dans la Grand'Salle où ils reprirent leurs sièges à la fenêtre médiane.

A peine y étaient-ils assis que la foule, maintenant maltresse de la Grève et s'y livrant à des rondes effrénées autour du bûcher à demi consumé, rompit son divertissement et les vint saluer de ses vivats. Elle voulait sa part du festin. Les princes le com- prirent quand les huissiers leur eurent ^apporté des bassins rem- plis de friandises. A pleines mains, ils lancèrent des dragées, des confitures sèches, des oranges et des citrons confits.

L'ombre envahissait la place. L e bûcher agonisait. Les sol- dats repoussèrent la foule au-delà des barrières. Des fusées volan- tes zébrèrent le ciel et retombèrent en pluie d'étoiles. L'enchan- tement du feu d'artifice allait commencer. D'une bougie agi+ée trois fois, le Roi en donna le signal.

Brusquement vers la droite de l'immense espace, parurent, sous un théâtre hérissé de lances à feu, des figures lumineuses

^gisant au pied d'une haute pyramide. Au fur et à mesure que

* le temps s'écoulait les couleurs changeaient et les effets des appa- reils mobiles. Aussi bien que la foule lointaine, la compagnie royale lançait des « ho ! > et des « h a ! » d'admiration. A la fin, dans un fracas effrayant de fusées qui firent un « second jour » sous la voûte céleste, un grand cadre s'alluma portant l'inscription, en lettres ignées : « Vive le Roy Louis XIV et Anne d'Autriche, la Reyne régente ! » .

Les canons et les boîtes grondèrent de nouveau sur le bord de la Seine, devers le port Saint-Paul. Ils annonçaient, de leur vacarme assourdissant, la fin de la cérémonie. Les augustes spec- tateurs, la Régente la première, « e levèrent de leurs sièges et se hâtèrent vers la sortie , dirigés par Messieurs de l'échevinage.

Ils descendirent lentement les escaliers à peine éclairés mainte- nant, par les flammes languissantes de quelques bougies.

Messire le Prévôt cherchait vainement les laquais de la Cour, que l'on avait munis de deux douzaines de flambeaux de cire blanche et chargés d'encadrer d'une haie lumineuse, le départ de Leurs Majestés ; ces coquins avaient dû les voler et s'enfuir pour tirer profit de leur larcin chez les chandeliers du voisinage Fort marri de l'aventure, craignant que les souverains ou quel- ques personnes de leur entourage ne se rompissent le col dans la pénombre où ils tâtonnaient, il fit, en cachette, par un huis-

(12)

•sier de service, enjoindre à ses propres laquais, six adroits cou- reurs, de s'aider, par un chemin détourné, ranger, avec torches et flambeaux, au pied du perron de l'Hôtel de Ville où station- nait le carrosse de la Régente. Débouchant peu après sur ce perron, avec la compagnie royale, il fut tout heureux d'en voir les degrés parsemés des molles lueurs de lumignons de fortune.

L e jeune Roi n'avait point remarqué la pauvreté du lumi- naire. Il s'arrêta à la porte de la Maison commune pour contem- pler les décombres rougeoyants du bûcher et le surprenant

•ableau, qu'il n'avait encore jamais vu, des maisons illuminées de lanternes vénitiennes et de pots à feu. Il éprouvait le regret amer de voir s'achever la belle soirée de plaisir qu'il venait de goûter sans contrainte. Après quelques instants de silence émer- veillé, il rappela à Messire le Prévôt sa promesse de faire porter,

dès le lendemain, au Palais-Royal, le rocher et les figures de sucre qui ornaient si plaisamment la table de collation. En enten- dant le vieux magistrat en donner l'ordre au maître d'hôtel de la Ville, il le remercia d'un sourire ; puis, d'une gambade joyeuse, il sauta dans le carrosse où Madame sa mère avait déjà pris place

Après une démarche vaine, le 24 juin, au Palais-Royal, où ils ne rencontrèrent ni le Roi, ni la Régente en promenade dans la Ville, Messire le Prévôt et ses échevins s'y présentèrent le 25.

Ils venaient rendre grâce à Leurs Majestés de leur visite à l'Hôtel de Ville. A la harangue du premier, pleine de flatteries, la Régente répondit tout uniment que leur gratitude était bien superflue.

Le Roi et elle-même, ajouta-t-elle, « étaient si satisfaits de toutes leurs magnificences et de la bonne chère qu'on leur avait faite, du divertissement qu'ils avaient eu et de l'affection que les bour- geois de leur bonne Ville de Paris avaient témoignée par des accla- mations continuellement réitérées qu'il me se présenterait jamais aucune occasion de s'en ressentir que Leurs Majestés ne l'em- brassassent volontiers » .

Ayant prononcé ces paroles à voix douce, elle fit une pause

<jt sembla se recueillir ; puis, d'un ton plus ferme où perçait une nuance d'aigreur, elle dit soudain « qu'elle priait Messieurs de la Ville de continuer leurs soins à nourrir et entretenir le

(13)

326 REVUE DES DEUX MONDES

respect du peuple envers son prince, qu'elle faisait élever dans la bienveillance qu'il devait avoir pour lui » . ( 1 )

Quittant, quelques instants après les compliments et révé- rences d'usage, le Palais Royal, Messire le Prévôt et ses échevins affectaient une contenance radieuse ; mais en leur particulier, ils s'en allaient tourmentés d'une sourde inquiétude que les der- niers mots d'Anne d'Autriche, en apparence débonnaires, en réalité pleins de menaces, avaient suscitée en leurs esprits. Ils n'ignoraient point que la bourgeoisie et le peuple murmuraient contre les exigences financières de la Cour démunie d'argent pour conduire la guerre étrangère et qu'une dangereuse effer- vescence, traduite par des criailleries et des échauffourées, trou- blait la tranquilité de Paris. Ils pressentaient qu'un avenir pré- caire s'ouvrait devant eux et se demandaient, avec anxiété, s'ils parviendraient, en conciliant les intérêts divergents, à prévenir un redoutable conflit. (2)

Emile MAGNE

(1) De Mazarin, qu'ils allèrent ensuite congratuler, Messire le Prévôt et ses échevins reçurent la même réponse, preuve que la Régente et le ministre l'avaient ensemble arrêtée.

(2) Ils n'y réussirent pas. Deux mois plus tard l a Fronde éclatait.

Le Roi devait revenir, alors âgé de treize ans, pour l a dernière fois d e sa vie, allumer le feu de la Saint-Jean devant l'Hôtel de* Ville, sous l a prévôté d'Antoine L e Fèvre, conseiller d u Parlement. L a cérémonie se déroula sous la forme que nous venons d'écrire. Y assistaient : l a Reine- mère, le duc d'Anjou, Mlle de Montpensier, la princesse de Carignan, la duchesse de Nemours, les ducs de Vendôme et de Mercceur, les maréchaux de Villeroy et d u Plessis-lPraslln, les grands officiers de la couronne, de nombreux courtisans et les filles de la Reine. L a collation ne comprenait, sur le désir de la ReineHmère, la misère publique étant devenue fort grande, par suite des troubles, que huit grands bassina de pâtisseries, confitures, marmelades. L e Roi, aussi enfant qu'il l'était trois ans auparavant, demanda au Prévôt des Marchands de lui faire réserver et envoyer a u Palais-Royal un bassin d'orangeade dont le contenu avait enchanté sa gourmandise.

Les courtisans montrèrent! peu de discrétion. Ils se disputèrent les reste*

de la collation royale avec tant d'avidité qu'ils en renversèrent bonne par- tie. L e maître d'hôtel de la Ville, homme à poigne, parvint à grand'peine à préserver du pillage le bassin réservé à Louis XIV.. L e feu d'artifice, qui suivit l'embrasement du bûcher, représentait Atlas soutenant le monde en quatre pyramides et un balustre fait d'initiales d u roi eji d e l a reine entremêlées de fleurs de lis.

Références

Documents relatifs

Pour étudier le passé, l’historien a recours à plusieurs outils : la ligne du temps, des repères chronologiques (durées, dates), des faits historiques, un grand nombre de

Le Vau Lulli Corneille Descartes Mazarin Louvois Vauban Jean-Bart Marie Thérèse Anne d’Autriche Condé. La Fronde Vaux-le-Vicomte

[…] C'est pourquoi saint Pierre dit « Soyez donc soumis pour l'amour de Dieu à l'ordre qui est établi parmi les hommes ; soyez soumis au roi comme à celui qui a la

Sous Louis XV, le développement de la cartographie profita de l'impulsion qu'avait déjà donnée l'Académie des Sciences tant pour la description du monde que pour

» La pratique est d’autant plus appréciée que les personnes présentes ont été préalablement et soigneusement sélectionnées – tout comme celles qui assistent au lever et

Le portrait de Hyacinthe Rigaud propose une image du pouvoir royal plus personnel : on voit sur le tableau que les regalia, contrairement au portrait de François

Certes, en la fin du règne de Louis XIV il Y eut une extension néfaste de l'emploi du quinquina susceptible d'entraîner confusion et dépréciation du produit ;

Quelles sont les activités qui montrent que Versailles est le siège du gouvernement  ?. Quels sont les divertissements